1. Suzuki Intruder C1800R
Après un premier essai un brin ostentatoire, Suzuki revient sur le créneau des power
cruisers avec une interprétation plus classique de la chose. Derrière cet effet de
manche, on se demande si le custom japonais arrivera un jour à se trouver...
Il est marrant, le motard Scandinave: dans cette région du monde, en effet, l'engin
avec lequel il est recommandé de s'afficher est, devinez quoi, non pas une Bandit
600 mais un gros custom. Japonais, le custom. Ça doit être ça, l’effet norvégien...
Ici, évidemment, ça le fait moins, voire pas du tout pour ce genre de machines,
jugées bien plus imposantes que valorisantes par le biker hexagonal. Biker dont
l'intérêt plus que mesuré pour le genre se traduit par des chiffres de vente faméliques
avec, pour conséquence directe, des achats d’équipements à prix réduits et des
migraines proportionnelles au bide redouté par les quatre marques japonaises, qui
ont toutes à faire face au même problème.
Illustrons ces propos liminaires avec l'exemple de l’Intruder.
Oui. toi. motard peu attentif qui dormait au fond de la classe. Peux-tu nous donner la
définition de l'Intruder? L'Intruder, pour ceux qui auraient loupé un épisode ou ne
s'intéresseraient que très moyennement à la chose, est le custom proposé par
Suzuki depuis plus de vingt ans déjà, et ceci dans un relatif anonymat. Refrain
habituel: un gros custom japonais n'a pas d’âme.
2. Certes, la 1400 Intruder de 1987 avait gentiment secoué le Landerneau du deux-
roues (elle avait les plus grosses gamelles de l'époque), et sa petite sœur en 750 a
eu une carrière commerciale décente. Mais ensuite, qui, hein, qui, a entendu parler
des Intruder 1500 ou 1600? Cherchez pas, personne. L'an dernier, l'Intruder 1800 a
de nouveau fait sensation en attaquant de concert sur les deux terrains où Harley-
Davidson subit un peu le poids de la tradition : tout plein de centimètres cubes (et la
grosse patate qui va avec), et le look décalé, tant qu'à faire. Un terrain brillamment
occupé par la Triumph Rocket III 2300, par ailleurs.
Clones
La C1800R qui nous concerne aujourd'hui en conserve d'ailleurs le cœur, c'est-à-dire
un V-twin refroidi par eau de 1783 cm3 et qui possède, répétons-le car c’est
important pour le cœur de cible, les pistons les plus larges du monde moto (alésage:
112 mm). Grand bien lui fasse, d’ailleurs, car ce moteur c’est patator. Capable de
reprendre à 60 km/h sur le dernier rapport, il dispose d'une allonge phénoménale et,
par conséquent, d'une plage d’utilisation sans fin. Résultat, même à plus de 200
km/h, le bicylindre en a encore sous le pied. Ces performances se doublent d’une
sonorité à nulle autre pareille. Il racle et tousse avant de s'éclaircir la voix pour
devenir plus rond et régulier avec la poussée. Et quelle poussée! Y'a des jours, on
n'aimerait pas être un pneu. Les 16 mkg de couple mettent à mal l'énorme pneu
arrière de 240 mm... mais aussi les pavés, le goudron et tout ce qui peut se trouver
dessous. Sans oublier la concurrence qui espérait taxer ce gros tas au feu vert. Bref,
en perfs, la C1800R met carrément une Harley- Davidson, une vraie, dans le vent; en
charisme, ça se discute, car il faut aller tout de même chercher cette puissance dans
les tours (à plus de 7 000) alors que la plupart des amateurs du genre aiment cruiser
sur le couple.
3. Vous avez dit paradoxe ? Oui, et c'est d'ailleurs ce qui définit le mieux cette C1800R.
Le style revient donc aux fondamentaux du genre: du lourd, du bulbeux, du massif; le
rapport poids/prix n’est pas désavantageux, mais l'identité stylistique pose question.
La M1800R au moins avait de la gueule, quitte à ne pas faire dans le consensus,
mais elle revendiquait une vraie personnalité. Qu'un rigolo colle un badge Hyosung
ou Kymco (sacrilège!) sur le réservoir de cette C1800R, et bien malin qui saura dire
exactement de quelle moto il s'agit... La C1800R est classique, très, trop même si
l'on considère que le manque d'identité n'est pas la moindre des tares du gros
custom japonais.
Paradoxe encore questions qualités routières: conformément aux canons du genre,
la position de conduite “a l'air" confortable, du moins au début. La selle douce et
épaisse et les suspensions qui gomment toutes les imperfections mettent
immédiatement à l’aise. Cet accueil royal est renforcé par un embrayage progressif,
une boîte de vitesses douce et de larges marchepieds équipés d’un sélecteur à
double branche pour épargner vos orteils. Les lombaires accusent un peu le coup
avec la distance, sans parler de la pression du vent, puisque, on l'a dit. le moteur
incite tout de même plus à envoyer la purée qu’à faire de la contemplation
paysagère. D’autant que, autre bonne surprise, la C1800R ne tombe pas dans les
travers typiques du genre, à savoir le cadre chewing-gum, les freins inexistants et la
tenue de route à la parfaite croisée des chemins entre une enclume et un Flamby. Ici,
tout inspire une confiance inébranlable et la seule limite se situe dans le manque de
garde au sol, mais c'est le genre qui veut ça, alors... Et si le freinage abandonne les
très puissants étriers radiaux de la M1800R, il étrenne un système de couplage
avant/arrière, dont le principe est d'actionner trois pistons à l’avant lorsque l’on
appuie sur la pédale. Bien vu. Quant à l’agilité, elle se révèle surprenante pour un
engin qui s'affiche avec un pneu de 150 x 16 à l'avant, et un autre de 240 de large à
l'arrière. Au final, on découvre un engin qui manque de style et de classe (la finition,
bof), conçu de toute évidence pour des quinquagénaires bedonnants, mais qui ne
dédaignent pas le pilotage façon hooligan. Du coup, on s'attache à cette C1800R
bien plus que l'on ne l'aurait imaginé avant les premiers tours de roue. Mais le plus
gros des paradoxes, finalement, quand on roule en custom japonais, c'est de devoir
passer sa vie à expliquer aux badauds pourquoi on n'a pas acheté une Harley-
Davidson. D'autant qu'à 14 999 €, on peut commencer à faire de belles emplettes
chez un concessionnaire de la marque de Milwaukee
John Deltaure