Article Le Monde 17 10-2017 - Sitôt Cliqué, sitôt livré !
Le r,lohdg
t? oct . ZolT §[tmt clüqué- ffiitôt
as moins de toTooo mètres
carrés au sol, quelque 7o quais
d'expédition, 5oo salariés à
temps plein annoncés, sans
compter les intérimaires : Arna-
zon a inauguré fin septembre,
près dAmiens, en présence d'[mmanuel Ma-
cron, son cinquième et plus vaste pôle logis-
tique en France. Le géant américain de la
vente en ligne ne compte manilestement pas
s'arrêter en si bon chenrin: il devrait ouvrir
enzorS un entrepôt à Brétigny-sur-Orge (Es-
sonne), puis un âutre à Senlis (Oise).
En rachetant laméricain Whole Foods,
Amazon s'est lancé dans la distribution
physique. Ët commence à marcher strr les
plates-bandes d'un secteur - l'un des pre'
miers employeurs de France - en plein
chambardement. Pour ces acteurs (trans-
porteurs, entreposage, spécialistes du « der-
nier kilomètre »), le spectre dAmaeon in-
came tout ce qui transforme, voire ébranle,
leurs métiers: cles circuits ultrarapides, des
technologies de pointe, des cotrts réduits et
une chaîne totalement intégrée, allant de
l'otÏre du produit iusqu'à sa reprise en cas
de problème. Exactement ce que souhaite le
consommateur.
«Auiourd'hui, le client est de plus en plus
exigeant: il veut plus de rapidité, Ttlus d'agî-
lité, plus de réactivité, mais pottr ntoins cher »,
résume Magali Testard, associée responsa-
ble du conseil achats et supply clnin chez
Deloitte. C'est vrai pour la fashionista qui
commande ses escarpins en surfant le soir
sur le Web, mais aussi pour les industriels
convertis aux flux tendus, qui ne stockent
plus, mais ne peuvent pas pour autant se
permettre de faire attendre leurs clients.
«Plus les clients sont contents, ltlus ils vont
utitiser,Intemetvou.r!eur1y-l:it:!-":::_?-::
« La croissance du e-commerce, Ia globalisa-
tion de la fabrication entraînent une très
grande contplexiJication de la logistique,
abonde Alain Picard, président du conseil de
surveillance de Geodis, premier Iogisticieu
français (et filiale du groupe SNCF).À,lbutez ci
cela la mondialisation de Ia distribution,
lémergence de lAfrique et de l'lnde, qui vont
créer des besoins gigantesques. » L'activité de
la logistique croît de manière comparable ar"r
PIB mondial - ce qui est certes une bonne
nouvelle, mais qui ne va pas sans créer quel-
qr.res tensions. « Le ntande de la logistique est
très impacté par les nouvelles technologies.
An peut se retrauver rapidement avec très peu
dacteurs qui monopoliseraient le secteur»,
ajoute Luc Nadal, directeur général de Gefco.
Pour les acteurs français, lenieu est d'exis-
ter dans un marché qui, par nature, est mon-
dial. Economiquement, la logistique repré-
sente LSmillion d'emplois en France, url
chiffre qui pourrait augmenter fortement
dans les années qui viennent afin d'accom-
pâgner le développement de l'activité,." à
condition que celle-ci ne parte pas au-delà de
nos frontières . « Contrairement aux idées re-
çues, la logistique est complètement ddocali-
sable. Et dhilleurs, le barycentre européen se
décale vers l'Est et prolite largement à lAlle-
magne et à ses yorsirrs; Tchéquie, Pologne... »,
remarque |érôme Libeskind, fondateur de
Logicités et expert en logistique urbaine et e-
commerce. Autre danger: ne pas se faire dé-
posséder de ses métiers par ses propres
clients. «Certains industriels se rendent
campte que la logistîque est stratégique et se
dotent d'une vraie entité, quitle à travailler
pour dhutres groupes Cela se Jhit déjà beau-
coup en Espagne et en Allemagne», met en
garde Vincent Gaide, associé responsable du
secteur transport et logistique chez PwC.
Compétitivité et efficacité sont donc es-
sentielles dans ces métiers transformés par
le numérique et I'automatis ation. « En tg6g,
on livrait les colis en dix jours, rappelle ]ean-
Sébastien Léridon, directeur général de Re-
lais Colis, filiale de La Redoute. Aujourd'hui,
ottec une activité quî croît de t5 % par an, on
est capable de livrer en 24 heures sur tout le
territoire. » L'entrepôt de Combs-la-Ville,
dans une viile de Seine-et-Mame couverte
d'entrepôts - proximité des nceuds autorou-
tiers obllge - a été entièrement repensé pour
cela. D'immenses tapis roulants transpor-
tent 10 ooo colis à l'heure (tz ooo d'ici à la fin
de l'année) d'un point à l'autre du site en les
dispatchant selon les destinations de ma-
nière automatique, les capteurs optiques li-
sant les codes-barres.
I"A GUERRE DES TALENTS
« iVons avons changé rous nos outils de back-
office et tle traçabilité; la technologie nous
pemtet de localiser les colis tout au long de la
clwîne », commente Jean-Sébastien Léridon.
Montant total de l'investissement: 40 mil-
lions d'euros, auxquels s'ajoute la formation
des équipes aux nouveaux processus. Les co-
lis du iour, une fois triés et placés dans des
sacs par secteur géographique, sont chargés
dans des camions, qui partent entre zoheu-
res et 23 herlres distribuer les points relais, oùr
les clients finaux viendront les récupérer. Co-
«CONTRAIREMENT
AUX IDÉES
REçUES" [A
LoGTSTTQUE EST
COMPTÈTEMENT
DEIOCAIISABIE»
JÉRôME lrbrsxlxo
fondateur de Logicités
Iissimo a également réalisé des investisse-
n-;etris ccuséquenis dâns sa chaùre logisii-
qiie, tout en expérimentant de ltouveaux ser-
vices, comme le fait d'aller chercher la
marchandise dans les magasins physiques
pour la iiwer directement chez le client, sur le
modèle de ce que font les enseignes de Iuxe.
« Si notts somntes présents darTs 17 pays avec
une ctaissance de zo % à I'intemational, c'est
lié à notre capacité à innover, assure de son
côté Ludovic Lamaud, directeur général ad-
joint d'ID Logistics, une entreprise créée
en2oo2. Chaque année, grô.ce à des appels à
projets lancés altprès de sta,i-up, ID Logistics
met en æavre une teclmologie nouvelle. Par
exempie,le proiet Cosling consiste à coniposer
de façon intelligente, grôce à Ia ntodélisa-
üon jD, des palettes a-vec des colis hétérogè-
nes. Le tnanutentionnaire n'a plus c1uà suivre
ie schéma proposé par lbrdinateur pour em-
piler les colis. »
Anaiyse prédictive, machine leaming, géo-
localisation et, auiourd'hui, blockchain : tou-
tes ces technologies prometteuses se heur-
tent à une waie question, celle des talents.
«Les data scientists sont encore rares et très
chers sur le marché
",
concède Magali Testard.
La logisiique attire moins les profils les plus
pointus que d'autres secteurs; et c'est aussiie
cas pour ies investisseurs. Sur le sulet <<abso-
luinent fondamen-tal" de la logistique ur-
baine - c'est-à-dire la livraison de millions de
peüts ou gros coüs dans les ülles, depuis la
paire de chaussures achetée en ligne jusqu'à
l'approvisionnement des magasins-, « otM'cl
pas de sohrtiotr », déplore Alain Picard.
Erreur I Une start-itp l].onnaise,
TwinsivHeel, a mis au point un petit robot
autonome, capable de liwer des colis de 4o à
1zo kg et adâpté aux besoins urbains. «tVorre
véhicule GutotTotne esf lrès apprécié des ex-
perts de Ia logistique et des utilisateurs finata,
mais on a beaucoup plus de ntal avec les insti-
tutions publiques et les gens durtnancement,
déplore Vincent Talon, à l'origine, avec son
frère jumeau, Beniamin, du proie! qu'ils fi-
nancent sur leurs fonds propres. Nou s avons
présenté huit fois notre dassier à la Bdnque
publique d'investissement et on nous a ré'
ponduhuitfois non, car nou-s nétîans pas ca-
pables de démontrer que notre proiet était in-
dustiellement rentable à court terme. »
Dommage. Car ia logistique « du ciemier ki-
lomètre » est un véritable gisement de créa-
tion de valeur, selon les experts. D'autant
que, souligne Rayanond Woessner, ancien di-
recteur du master trènsport, logistique, terri-
toire et environnement à la Sorbonne, « c'esf
aussi un enj eu environnemental : les métropo-
les sont en cancurrence globale et doivent se
présenter comme écologiquement carrectes. Il
faut une logistique innovante pour cela ».Tov-
tefois, d'autres start-up, comme lVing, créée
en octobre 2ot5, prestataire de sen ices logis-
tiques pour les commerçants et e-commer-
çants, qui compte déià plus de 3oociients et
une trentaine de salariés, connaissent moins
de vicissitudes - mais il s'agit moins d'une
s olution industrielle que logicielle.
L'EÈ.IJEU DES INFRASTRUCÎURES
Àutre acteur important du sesteur: Gefco. Si
te dirigeant de l'entreprise (aujourd'hur déte-
ilue par les chemins de fer russes) ne nie pas
f importance de se rapprocher des start-up, il
a choisi une autre approche. «/e consîdère que
ie big nbst pas nécessairentent beautifuI,note
Luc Nadal. On voit des logisüciens de niche qui
:e débrouillent très bien. » Cette ancienne fi-
liale de PSA a choisi de se concentrer sur Ia fi-
lière automobile, son métier historique, avec
une stratégie « en amont » : intégrer sa
main-d'æuwe sur les chaùres de montage
pour finaliser l'assemblage des l,éhicules
avant ieur transport. l'eryérience est menée
à l'usine PSA de Mulhouse depuis clnq mois
et Luc Nadal entend bien « éIargir cette acti-
vité pour être plus proche de ses c/ienfs». Une
stratégie validée par Rayrnond Woessner, qui
constate que <'les entrepises développent de
plus en plus le service autour du transport ou
de i'entreposage lui-même ». Sams aller fusqu'à
prôner la polyvalence de Ia main-d'ceuwe,
cetie approche est partagée par nombre d'ac-
ieurs: «On vend du temps, pas du transport
routier », concède Alain Picard.
Même s'ils ont intégré tous ces impératifs,
les logisticiens hexagonaux se heurteni mal-
gré tout à deux problèmes franco-français:
celui de la taüe et celui des infrasbrrctures.
« Le secteurîrançais abesoin de se consolider,
plaide Vincent Gaide. Il y a une dizaine d'an-
nées, Ia îrance corùptait 36000 compagnîes
Ce transport, 1oo à zoasociétés de transport
inaitime. Au-jourd'hui, il reste quelques
grands acteurs - Geadis, ID Logistics, FM Lo-
gistics, Gefco... - mais aussi beaucoup d.e petï
tes entreprises quî ont de dix.à quînze ca-
mions.» Pas de quoi faire le poids ftce aux
puissants concurrents étrangers que sont Fe-
dex, DHL, UPS ou Kuehne + Nagel...
Autre problème: la France ne pourra être
un âcteur incontoumable dans l'échiquier
mondial de la logistique que si ses infrastruc-
tures le soni. Or, prenons un exemple, le
port cie Zeebruges, en Belgique, voit passer
chaque année z,Smillions de voitures; celui
de Bremerhaven, en Allemagne, z,imillions;
ie seul port siovène, celui de Koper, en Istrie,
Sooooovoitures; quant au premier port
français, ü se contente de 3ooooo voitures...
Les inftastruclures ferroviaires pour le fret
ac.usent également un gros retard en
France, même si Guillaume Pepy, président
de la SNCF, a semblé vouloir rééquilibrer
transport de passagers et fret en présentant
son proiet strâtégique à la presse le 3 octobre.
Enfia, que dire de la guéguerre entre Xarrier
Bertraad et Edouard Philippe, autour du ca-
nai Seile-Noid, qur doit relier les départe-
ments du Nord, et notamment le port de
Dunkerque, au bassin cie Seine? Le président
(LR) de la région i{auts-de-France en rêve
pour dynamiser la Picardie, sinistrée en em-
piois, tandis que le premier ministre redoute
ia concr:rrence qui serait faite à « son » port
du Hawe,.. « Ce serait catastrophique que cela
ne sefasse pa.s», tranche |érôme Libeskind. Et
ceia enverrait ua signal négatif à tous ies ac-
teurs européens et mondiaux, qui iront piu-
rôt installer des plates-formes en Allemagne,
en Belgique ou aux Pays-Bas. Et Raymond
!'oessner de conciure: «On pinaille, an pi-
naille et pentlatTt ce teft7ps, les autres font rou-
ler les trains. » a
sÉetnrcr MADELINE