Smart City
L
Pour une ville stratège
garante du bien vivre et de
l’attractivité territoriale
Par Bernard Matyjasik
La Smart City est-elle la solution providentielle pour améliorer le fonctionnement de la ville
à grand renfort de big data et de réseaux haut débit ? S’agit-il d’introduire des technologies
dans une fonction verticale ou bien une approche systémique est-elle possible ?
Les enjeux de la ville
de demain
Le XXIème
siècle est sous doute appelé à
être le Siècle des Villes, comme ce fut
le cas à l’Antiquité, à la Renaissance,
périodes de prospérité économique.
La planète connaît la plus longue pé-
riode d’urbanisation de son histoire. À
l’aube d’une profonde transformation
urbaine, les villes consomment 75%
des ressources naturelles et de l’éner-
gie mondiale et produisent 80% des
gaz à effet de serre dont plus de 70 %
des émissions de CO2 pour une surface
qui occupe seulement 2% du territoire
mondial.
Les villes sont également des lieux où la
densité attire et favorise les talents, la
diversité et l’innovation. Aujourd’hui,
les villes produisent plus de 80 % de la
richesse mondiale et forment ainsi le
catalyseur naturel de l’invention et de
la création. Plus précisément, 600 villes
dans le monde (soit 20% de la popula-
tion) génèrent 60% du PIB mondial.
Deux éléments se détachent dans ce
contexte en évolution rapide :
• Le potentiel offert par les nou-
velles technologies de l’informa-
tion. Celles-ci transforment la ville et
la façon dont nous pensons et vivons
l’espace urbain. L’Internet mobile
donne à chaque citadin une nouvelle
autonomie et lui permet de devenir
un acteur de la ville en temps réel. La
ville devient entièrement connectée
voire intelligente : ce bouleversement
ne doit pas devenir facteur d’exclu-
sion.
• L’urgente nécessité de repenser
les rapports entre les acteurs qui
font la ville. La ville ouverte, dyna-
mique, juste, créative et durable, à
laquelle chacun peut légitimement
aspirer, repose sur une gouvernance
urbaine qui prend acte et encourage
de nouvelles formes de collaboration
entre les citoyens, les municipalités et
les entreprises, en impliquant étroite-
ment le tissu associatif et le monde de
la recherche.
La ville doit répondre aux défis induits
par des changements intervenant très
rapidement : le changement climatique,
l’évolution démographique et la raré-
faction des ressources, l’urbanisation
massive. La ville doit impérativement
retrouver une cohérence à long terme
dans un contexte de changements
sociaux et politiques, économiques et
technologiques, environnementaux et
urbains.
La Smart City, espace
numérique de coopération
Une ville peut être considérée comme
« smart » dès lors que les investisse-
ments dans le capital humain et social,
dans les infrastructures de communica-
tion, favorisent un développement éco-
nomique local durable et une qualité de
vie élevée, avec une gestion rationnelle
des ressources naturelles et une gouver-
nance participative.
La montée en puissance exponentielle
de l’Internet des Objets (IoT et M2M)
transforme la ville en une plateforme
numérique qui permet l’optimisation
des paramètres de l’économie, de la
société, de l’environnement et le bien-
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Smart City
être dans les villes. Elle facilite le chan-
gement vers un comportement plus
responsable de tous les acteurs et vise
également à optimiser les budgets pu-
blics, par l’amélioration des processus
propres à la ville et à ses habitants. Elle
permet l’émergence de nouveaux mo-
dèles économiques en constituant une
plateforme d’excellence pour l’innova-
tion dans l’écosystème urbain. Dans ce
contexte, une Smart City est un sys-
tème complexe, un écosystème dans
lequel plusieurs agents interviennent
et où coexistent de nombreux proces-
sus qui sont intimement liés et difficile-
ment abordables individuellement.
Une Smart City est un espace urbain
avec des infrastructures, des réseaux et
des plateformes intelligentes, avec des
milliers de capteurs et d’actionneurs,
auxquels il faut également inclure les
téléphones mobiles des citadins. C’est
un espace capable d’écouter et de com-
prendre ce qui se passe dans la ville afin
de prendre les meilleures décisions et
de fournir des informations et des ser-
vices adéquats à ses habitants. Ensuite,
l’utilisation de techniques analytiques
avancées en temps réel permet de créer
une prise de conscience et une compré-
hension des phénomènes urbains dans
la perspective d’amélioration des ser-
vices.
La ville, système de systèmes
ou système complexe ?
Définir la ville comme seulement un
système de systèmes induit implicite-
ment qu’à chaque domaine correspond
une solution en termes de système d’in-
formation et qu’au sein d’un système
globalisant, le big data serait en capaci-
té de brasser toutes les données hétéro-
gènes desquelles apparaîtrait par séren-
dipité une compréhension maligne des
phénomènes urbains et des solutions
générées spontanément.
La compréhension du système par l’au-
torité de tutelle et l’exploitant de ser-
vices urbains imposent une réflexion
sur la propriété des données et sur les
questions de respect de la vie privée. De
nouvelles formes de gouvernance pu-
blic-privé se dégagent alors et le big da-
ta révèle les corrélations sur lesquelles
reposent de nouveaux services et des
optimisations budgétaires.
Ce sont les réseaux de la Smart City
qui importent à l’usager au quotidien
car il recherche la dimension avant
tout relationnelle de la ville. Dans un
avenir proche, les innovations servi-
cielles « disruptives » apparaîtront dans
l’espace communautaire de la ville valo-
risant vraisemblablement l’économie
collaborative en sa capacité d’optimiser
l’utilisation de l’espace public et le cycle
de vie des biens matériels, faisant émer-
ger des modèles de revenus dont la ville
doit se soucier des retombées locales
(fiscalité, emploi, modèle social...).
La ville est un système complexe dans
lequel l’Elu –maire, président de métro-
pole- doit trouver une légitimité dans
cet écosystème au-delà de la légalité
que lui a conféré son élection au suf-
frage universel. L’approche systémique
lui impose de dégager une vision glo-
bale -la « finalité » du système-, de mettre
en œuvre une organisation capable
d’animer l’écosystème et de catalyser
les énergies -les niveaux d’organisation-,
afin de favoriser les échanges entre les
parties pour qu’ils créent le maximum
de valeur, notamment localement. Sa
connaissance du jeu des acteurs per-
met à l’Elu d’anticiper des interactions
et des rétroactions éventuellement
contraires et de se positionner en ani-
mateur, en catalyseur, en facilitateur
dans une démarche de co-conception de
services urbains et de la feuille de route
de leur déploiement. Dans un contexte
de financement public sous contrainte,
l’Elu peut réguler son écosystème en
participant à l’émergence de nouveaux
services en finançant des appels à ma-
nifestation d’intérêt plutôt que par ap-
pels d’offre et aussi en fixant des règles
locales dans la limite des compétences
attribuées à son Conseil.
La ville stratège a compris les po-
tentialités de la Smart City pour son
développement. L’Elu y définit la vision
(projet politique) puis anime son éco-
système local avec seulement deux prio-
rités à l’esprit :
• Améliorer de façon continue la qua-
lité de vie pour tous,
• Développer l’attractivité de son ter-
ritoire et son rayonnement.
Proposition d’approche
systémique
Une approche systémique est une façon
d’aborder la complexité d’un système.
Elle ne prétend pas être unique mais
se détache des solutions « verticales »
des fournisseurs du marché de la Smart
City, soient-elles présentées comme
holistiques.
L’approche systémique de la Ville,
présentée ici, s’affranchit des silos
fonctionnels et métiers. Voici six clés
d’entrée qui mériteraient d’être déve-
loppées.
La Gouvernance
La gouvernance de la Smart City est en
premier lieu celle de la ville stratège.
Elle est axée sur la production de ser-
vices efficaces, économiques, partagés
et mutualisés, durables. Pour conce-
voir ces solutions, les relations entre
les acteurs évoluent vers davantage de
concertation et de participation. La
relation de la ville aux exploitants de
services urbains évolue vers davantage
de performance dans la fourniture des
services que la Smart City est en capaci-
té de mesurer (capteurs, connecteurs).
La population participe aux choix ur-
bains et aux services en les concevant,
les produisant ou les co-consommant.
L’animation des communautés et la
prise en compte des réseaux sociaux
sont déterminantes dans la mise en
œuvre de ces nouvelles méthodes de
gouvernance : démocratie contributive,
urbanisme participatif, covoiturage
domicile-travail, autopartage commu-
nautaire...
La Smart City est l’incubateur de l’In-
novation Politique et de l’Innovation
Sociale.
Les Citoyens
La Smart City est une ville de services
et le citadin est au cœur de ses finalités.
Il contribue en tant que citoyen à la vie
de sa ville et à la prise de décision. Son
engagement est une clé de succès de
la Smart City. L’éducation, la culture, la
capacité d’initiative et l’appartenance
à des communautés d’intérêt sont
constitutifs du citoyen éclairé donnant
son sens à la Smart City. Le sentiment
d’appartenance à une ville/un terri-
toire dont il est fier est une des clés de
l’engagement individuel.
Il ne s’agit pas d’attirer une seule élite
soit-elle « créative » mais de concevoir
une démarche où chacun joue un rôle
actif. Le principe de responsabilité indi-
viduelle est le seul garant de la réussite
du déploiement sobre et efficace des
services urbains. L’accompagnement au
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Smart City
changement de comportement in-
dividuel dans les usages est au cœur de
la réussite du déploiement de la Smart
City au-delà de l’appropriation numé-
rique : consommation énergétique, tri
sélectif, mobilité durable et partagée...
L’Economie
La vocation de la Smart City est la
prospérité économique. Là où les
Etats-nations opposaient économie de
marché à économie planifiée il y a 30
ans encore, la ville fait sienne des nou-
velles formules de création de valeur.
L’économie sociale et solidaire crée
de la valeur sans finalité purement
capitaliste. Ses associations et entre-
prises ont vocation à s’emparer des
potentialités de la Smart City pour dé-
ployer des solutions d’insertion sociale.
L’économie de la connaissance (stra-
tégie de Lisbonne) se décline dans la
Ville dans l’identification de clusters, de
pôles de compétitivité. Elle donne aux
entreprises, aux laboratoires l’accès au
marché mondial via les télécommuni-
cations et développe un « écosystème
de la croissance » durable. L’économie
circulaire optimise le métabolisme
urbain, ses entrants et ses sortants
grâce au suivi des processus par les TIC.
La Smart City permet l’émergence de
nouveaux modèles économiques plus
sobres. L’économie de fonctionnalité
qui devient économie quaternaire
par l’apport des TIC et de l’aide fiscale
(CESU) remplace la propriété de l’objet
par le service rendu, développant ainsi
des emplois non délocalisables comme
les services à la personne. L’économie
collaborative crée une activité, parfois
de nouveaux emplois en promouvant
de nouveaux modèles économiques aux
conditions près de retombées locales
évoquées supra.
La Transition Energétique et
Ecologique et la Transition
Numérique fournissent de formidables
opportunités de redéfinir les missions,
les processus dans la mise en œuvre de
nouveaux modèles économiques au sein
de la ville stratège, avec l’appui des TIC.
Le Territoire
La Smart City crée les conditions d’at-
tractivité du territoire et du rayon-
nement international ; la Smart City
valorise et entretient ses actifs, avec des
logiciels de conception et de visualisa-
tion (carte n dimensions, BIM), de ges-
tion du cycle de vie des biens publics…
Ce patrimoine foncier, immatériel,
naturel et mobilier constitue les par-
ties les plus visibles de son écosystème.
Les outils numériques lui fournissent
les outils de connaissance approfondie
de son territoire et de sa dynamique.
En compétition mondiale, l’intelli-
gence territoriale met en lumière ses
forces et faiblesses, et subséquemment
les éléments d’aide à la décision et à la
planification. Consciente de la néces-
sité d’attirer les talents, les projets et
les capitaux, la Smart City valorise son
identité territoriale par la marque
territoriale pour développer son attrac-
tivité. Cette marque qui n’est pas le
nom de la Ville mais qui reflète la diver-
sité d’un territoire élargi dont elle est le
sémaphore.
La Résilience
L’Elu se retrouve confronté à la vul-
nérabilité de la Ville et à la préser-
vation de la sécurité des citadins. Les
crises sont naturelles, industrielles,
économiques et sociales. Les temps
courts chevauchent les temps longs.
Le réchauffement climatique provoque
des crises et des conflits qui ajoutent
à l’exode rural des flux migratoires de
populations à la recherche d’un mieux
vivre ou seulement de survie.
La Smart City déploie des méthodes,
des connecteurs et des capteurs pour
la sécurité des biens et des personnes
au quotidien et pour assurer la sûreté
urbaine par la prévention des risques.
La résilience urbaine est la capacité
de la ville à revenir à l’état nominal de
fonctionnement en cas de crise ou de
catastrophe naturelle ou industrielle.
Les processus reposent sur la même
chaîne : informer en remontée, agir en
réaction.
L’autonomie énergétique des ter-
ritoires constitue vraisemblablement
un des leviers de la résilience urbaine.
Elle permet de relever le défi collectif
de la transition énergétique en créant
de la valeur, reposant notamment sur
l’exploitation de réseaux locaux et uni-
taires (micro grid, smart grid)…
La Mobilité
Devenue mode de vie, la mobilité ur-
baine intelligente repose sur le couplage
de l’infrastructure et des systèmes, sur
le rapprochement des problématiques
de transports de biens et de personnes
et sur l’intégration des modes de trans-
ports individuels et collectifs classiques
aux nouvelles mobilités actives (vélo,
marche…) et partagées (autopartage
communautaire, covoiturage, parking
partagé…).
L’espace physique fusionne avec l’es-
pace numérique. Les réseaux physiques
(routes, rails, canaux, fibre…), les ré-
seaux logiques (lignes de bus, tournées
de logistique…) et les réseaux virtuels
(associations, voisinage, communautés
web) jusque-là disjoints s’alimentent de
leur potentialités les uns les autres.
Le système de mobilité est tourné vers
l’aide à la décision : choix individuel,
décision opérationnelle de l’exploitant,
arbitrage de l’autorité organisatrice.
L’engagement individuel de chaque uti-
lisateur à changer sa façon de « consom-
mer » sa mobilité est la clé la plus acces-
sible .
Les technologies débarquent en
ville avec leurs potentialités qui se
transforment en une ardente obli-
gation à agir, changer, échanger…
Cela impacte les décideurs publics,
les concepteurs, les constructeurs,
les opérateurs de la ville, les utilisa-
teurs, citadins, travailleurs ou visi-
teurs. Les services sont réinventés,
les modèles économiques boule-
versés, les relations contractuelles
mesurées, l’urbanisme, la mobilité
deviennent participatifs… 40 ans
après l’industrie, chacun participe
au re-engineering des processus
urbains dans une démarche d’opti-
misation des services et de moindre
impact sur l’environnement.
La ville stratège peut devenir la
nouvelle frontière d’une construc-
tion européenne essoufflée.
Bernard Matyjasik
participe chez Egis
à l’incubateur Smart
City. Il est diplômé
de Kedge Business
School (’89).
D’abord Consultant
en systèmes
d’information puis Manager chez Peat
Marwick Consultants, il se spécialise
dans la transformation d’entreprise
et l’émergence de nouveaux modèles
économiques. Il dirige ensuite une filiale
dédiée aux Transports Intelligents (Vinci).
@twitter : @be_maty
https://fr.linkedin.com/pub/bernard-
matyjasik/0/69/176
L’AUTEUR
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