1. en uetesECONOMIE
Finances
LESRETARDS
DE PAIEME T FONT
CRAQUER LES PME
Le respect des delais de paiement pourrait
faire revenir plus de 10 milliards d'euros dans
les caisses des PME. Et eviter bon nombre
de defaillances·...
PAR ARNAUD DUMAS
LES D~LAIS DE
PAIEMENT EN FRANCE
• Poids du credit
interentreprises
600 milliards d'euros
• Poids des retards
de paiement
10a15milliards d'euros
• Nombre moyen
dejours de retard 12
SOURCES: ALTAR~S, OBSERVATOIRE
DES DELAIS DEPAIEMENT
« Nous realisons 95 °/o de notre
chiffre d'affaires a I'export, raconte
Laurent Vronski, le president d'Er-
vor, un fabricant de compresseur
d'air installe a Argenteuil (Val-
d'Oise). Et il est plus facile de se
faire payer par des clients en Nou-
velle-Zelande qu'en France! Beau-
coup trop de societes considerent
leurs fournisseurs comme une
variable d'ajustement. » La colere
grande chez les patrons de PME
qui n'en peuvent plus de devoir faire
credit aleurs clients. Surtout les grandes entreprises, qui
profitent de leur position de force pour financer leur fonds
de roulement sur les plus petites... Resultat, les retards de
paiement s'accumulent et plom.bent1atresorerie des PME. Au
point que 25 °/o des faillites sont dues a ces retards, rapporte
LA FRANCE AU MIUEU DU GUE
Retards de paiement selon les pays europeens (enjours)
Allemagne
Pays-Bas
Belgique
France
Royaume-Uni
Espagne
lrlande
Italie
Portugal
so
6,5
9,4
11,3
16,6
17,5
18,3
21,2
la mediation interentreprises. Selon les chiffres du cabinet
Altares, les retards ont pourtant eu tendance a se stabiliser
en 2014, autour de douze jours. Douze jours qui se font
cependant beaucoup plus cruellement ressentir par les PME
aujourd'hui, apres plusieurs annees de crise et de tresorerie
tendue. D'autant qu'ils ne refletent qu'une partie de la realite.
«II s'agit d'une moyenne pourtoutes les entreprises, explique
Pierre Pelouzet, le mediateur national interentreprises. Pour
les PME, c'est sans doute beaucoup plus, on est sans doute
plus pres de 30 jours. » S'ajoutent aux delais de paiement
officiels les retards non comptabilises. Quand, par exemple,
le client tarde a emettre un bon de commande pour retarder
I'emission de la facture. Entin, les litiges imaginaires (facture
incomplete, mauvaise adresse de facturation...) tendent a se
multiplier. Selon le barometre 2014 du cabinet Arc (recou-
vrement de creances), 27°/o des entreprises ont constate
une augmentation des litiges qui, dans 37°/o des cas, se
revelaient infondes.
Des entreprises s'organisent
Et pourtant, si les clients payaient a l'heure en respectant
la loi de modernisation de l'economie de 2008 (45 jours fin
de mois ou 60 jours calendaires), entre 10 et 15 milliards
d'euros retoumeraient dans les caisses des entreprises. Un
mini-effet Cice! En 2009, la LME avait permis d'ameliorerles
delais de paiement mais, la crise financiere aidant, les mauvais
payeurs ont repris leurs vieilles habitudes. En mars 2014, la
loi Hamon a done remis le couvert avec de nouvelles mesures
plus coercitives. La encore, un an apres la promulgation du
texte, les effets tardent a se faire sentir. En cause, des opera-
tions de lobbying de certains grands groupes pour retarder la
parution des decrets d'application de la mesure imposant aux
commissaires aux comptes de signaler a 1'administration les
retards de paiement generes ou subis des entreprises qu'ils
doivent controler. «Cette mesure fait grincer des dents», croit
savoir Pierre Pelouzet. Les grandes entreprises etles ETI n'ont
pas envie que I'on pointe du doigt leurs travers... Une autre
disposition prevoit des amendes administratives, jusqu'a
375000 euros, en cas de non-respect des delais de paiement.
La Direction generale de la concurrence, de la consommation
et de 1arepression des fraudes a pour cela obtenu des pouvoirs
elargis. «Le risque, c'est qu'il y ait tellement de dossiers que
ce ne soit pas suivi d'effets», tempere Denis Le Bosse, le
president du cabinet Arc.
Tous les grands groupes ne sont pas de mauvais payeurs.
Legrand, Schneider ou Dassault sont arrives en tete du
sondage de Croissance Plus sur le respect des delais de
paiement en 2013. LVMH est repute pour prendre soin de
ses fournisseurs. 11 n'a pas le choix: la plupart detiennent
un savoir-faire rare. Confrontees a ce veritable enjeu de
survie, des entreprises commencent as'organiser. Une PME
girondine a dedie une personne au suivi des factures et
son PDG monte trois ou quatre jours par mois aParis pour
faire la tournee de ses clients et recuperer les cheques. Le
fabricant de fenetres dijonnais Pacotte et Mignotte a, quant
a lui, saisi huit fois la mediation interentreprises pour des
retards de paiement [lire 1'encadre]. Radical, LaurentVronski,
le president d'Ervor et le vice-president de Croissance Plus,
I
!
Pour Pacotte et Mignotte, c'est une question de competitivite
Pas question de laisser les retards de paiement
s'accumuler chez Pacotte et Mignotte. «A partir
du moment ouje suis dans man droit,je n'ai pas
de limite dans les actions amener », lance
Emmanuel Chevasson [photo], le PDG de cette
entreprise dijonnaise (Cote-d'Or) qui con~oit,
fabrique et pose des fenetres et des ouvrants. Cette
annee, il n'a pas hesite asaisir huit fois Ia mediation
interentreprises pour regler un differend avec des
clients. «('est d'une grande efficacite, parce qu'elle
est amiable et qu'elle permet de dire au client les
consequences des actions de ses lieutenants»,
poursuit-il.ll s'est aussi organise en interne pour
ameliorer ses process: recrutement d'une
Une entreprise perd un client si ses produits sont
de mauvaise qualite au trap chers, c'est tout.»
Pour cet entrepreneur, Ia question des delais
de paiement depasse le simple faitde faire rentrer
I'argent dans les caisses. «Ces comportements
conduisent afaire baisser Ia competitivitepersonne chargee des relances, mise en place
de procedures strictes, formation des salaries...
Sansjamais perdre des affaires. «On ne perd pas un
client quand on va chercher son argent, tranche-t-il.
des entreprises, assene-t-il. Cela aun impact sur
l'investissement, le renouvellement de l'outillage,
le recrutement... »•
soutient qu'il ne faut pas avoir peur de signaler les mauvais
payeurs. «Ne pas vouloir mettre ses affaires en danger est un
mauvais calcul, plaide-t-il. Un bon client, c'est un client qui
paye. »Face a une grande entreprise qui ne 1'avait pas paye au
bout de six mois, il a ainsi irnmobilise le produit a distance.
«Miracle, en 48 heures ils ont paye! », s'exclame-t-il.
Comment se prob!ger
Des outils financiers permettent egalement de se proteger.
Traditionnellement, les PME utilisent le decouvert bancaire
pour faire le lien entre les delais clients et les delais fournis-
seurs. Mais les solutions d'affacturage Oe factor finance la
PME pour le rnontant des factures qui lui sont dues, moyen-
nant un taux d'interet) peuvent s'averer plus interessantes.
L'USINE NOUVELLE IN°3408129 JANVIER2015
Elles permettent d'etre moins sensibles aux retards, surtout
si elles sont doublees d'un contrat de recouvrement. Les
contrats d'assurance-credit donnent aussi des indications
au jour le jour sur 1'etat des finances de son client. «Si la
garantie est retiree a un client, nous demandons le paie-
ment comptant», resume Laurent Vronski. Plus prospectif,
Denis Le Bosse estime que la dematerialisation de factures
reduira les litiges en standardisant les echanges entre les
clients et les fournisseurs. « D'ici cinq adix ans, cela se
generalisera», assure-t-il. En attendant, 2015 ne devrait
pas encore voir d'amelioration sur le front des retards. Leur
evolution a en effet tendance asuivre celle de 1'economie
generale, il faudra done sans doute attendre une veritable
reprise pour esperer une reduction des delais moyens. n
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