1. Regnabit. Revue universelle du Sacré-Coeur. 1921/08.
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2. "
La bienvenue à ï^egnabit"
Les témoignages de sympathie continuent à nous parvenir,
reconnaissants, enthousiastes, encourageants.
J'en choisis quelques-uns.
* '
» Évêché de Perpignan.
MONSIEURE DIRECTEUR,
L
Veuillez me permettre de vous adresser mes félicitations pour la
revue universelle du Sacré-Coeur, Regnabit, qui se présente fort bien,
avec une abondance d'information et de doctrine qui lui assurera son
succès.
Je vous donne l'assurance que votre revue va entrer dans le
grand Catalogue du Prêt-Revues et je suis sûr que je vous procurerai
plusieurs abonnements.
1Daignez agréer, Monsieur le Directeur, l'assurance de mon respect.
J. MARTY.
Archevêché de Valence, 5 juin 1921.
MON RÉVÉREND PÈRE,
J'ai l'honneur de vous accuser réception de votre lettre très aimable
de mai, avec le programme de la nouvelle revue Regnabit qui l'accom-
pagne.
Et l'objet et le but de la revue sont d'une utilité très grande, et
répondent à merveille aux besoins d'aujourd'hui.
Je vous prie d'agréer, mon Révérend Père, ma reconnaissance,
mes voeux les plus sincères et ma bénédiction pour le succès de cette
publication, avec l'assurance de mes sentiments tout religieusement
dévoués.
ENRIQUE.
Archev. de Valence.
ALEXANDRIE (Egypte) 1 Juin 1921.
MONSIEUR L'ABBÉ,
J'ai parcouru la revue Regnabitque vous avez eu l'amabilité de
, m'erivoyer. J'en apprécie fort le but, le programme, l'esprit et l'utilité.
3. — 146 —
Aussi' je me fais un agréable devoir de vous remercier de votre envoi
et j'inscris ma maison épiscopale pour un abonnement à la revue
Regnabit.
Puisse la revue Regnabit, que je bénis ainsi que ses rédacteurs,
attirer au Divin Coeurde nombreux et très fidèles amis. Ils trouveront-
en Lui : force, consolation, espérance et mettront leur sàiut personnel
en sécurité.
Avec ma bénédiction, veuillez agréer, Monsieur l'Abbé, l'assurance
de mon entier dévouement en Notre-Seigneur Jésus-Christ.
AURÈLEBRIANTE,
Arch. de Cyrène, Vicaire apostolique de l'Egypte. .
Du R. P. Pègues, 0. P. :
MON RÉVÉREND PÈRE,
...J'ai déjà dit autour de moi combien votre titre me paraissait
heureux. Regnabit ne pouvait être mieux choisi. Il dit tout, à lui seul.
Le premier numéro m'a beaucoup plu. Je crois que la Revue «prendra »
et je lui souhaite le meilleur succès.
Du R. P. Dom Gaspar Lefebvre, Prieur de l'Abbaye de Saint-
André, Belgique.
BIEN CHER RÉVÉREND
ET MONSIEUR'ABBÉ,
L
Votre excellente Revue universelle du Sacré-Coeurme paraît appelée
au plus brillant avenir et devoir exercer un apostolat des plus fructueux-
L'heure de la lancer est admirablement choisie, et d'emblée elle
aura conquis toutes les sympathies.
D'une petite employée :
Je suis heureuse de vous dire, Monsieur l'Abbé, que votre Revue
est aussi belle que je la désirais. La méditation sur l'apostolat du
Sacré-Coeur m'a plu particulièrement. Je pense que cette publication
trouvera des lecteurs très fidèles, dans un public qui sera du même
genre que celui des Etudes ou de la Vie spirituelle. Pour ma part, j'en
espère beaucoup de bien.
Je ne suis qu'une petite employée ; d'une instruction moyenne.
Je compte bien être aidée par cette Revue à aimer davantage Notre-
Seigneur et à le faire aimer.
Enfin, bien des périodiques ont déjà salué Regnabit. Pour
faire connaître quel a été leur accueil, il me suffira de citer
l'Action catholique de Québec :
« Sous le titre : Regnabit, vient de paraître une revue universelle
consacrée à la gloire du Sacré-Coeur. Elle a pour fondateur et directeur,
M. l'abbé Félix Anizan, dont on connaît les nombreux et importants
travaux pour l'extension et l'affermissement du Règne social du Sacré-
Coeur de Jésus : Vers Lui, Par Lui, En lui, Élévations, etc. La nouvelle
'/publication se présente sous le patronage distingué de S. E. le Cardinal
Dubois, archevêque dé Paris, et avec une bénédiction de l'Ordinaire de
Paray-le-Monial, S. G. Mgr Berthoin, évêque d'Autun.
Cette Revue est particulièrement sympathique et s'annonce d'un
intérêt captivant, avec la collaboration qu'elle s'est assuréede la part
4. de quelques théologiens, parmi les.plus éminents du monde entier,
heureux de vouer leur talent à la propagande du Règne social du
Divin Maître.
*
* *
J'ai d'abord hésité à transcrire ces lignes dont quelques-unes
sont trop flatteuses pour moi. Mais ces louanges, c'est à l'idée de
Regnabit qu'elles vont ; c'est à son esprit ; c'est à son programme ;
c'est aux amis ardents qui le réaliseront.
Je l'ai maintes fois senti, la joie qui sourit à Regnabit vient
de ce que bien des amis du « Roi universel » avaient besoin
d'une revue qui soit universelle... à Son image : d'une revue où
toutes les voix puissent se faire entendre, où toutes les oeuvres
puissent se présenter !
Vive le Sacré-Coeur, « Roi et Centre de tous les coeurs ! »
Regnabit est etjrestera « la Revue Universelle du Sacré-Coeur ».
„ F. ANIZAN,
Secrétaire général de Rédaction.
5. -.—148 —
/. LES IDÉES
La Dévotion au Sacré
dans les Missions du Mackenzie
C'est sans doute pour affirmer qu'ils ne refusent aucune
collaboration, si humble soit-elle, que les Directeurs du Regnabit
ont sollicité quelques pages du Vicaire Apostolique du Mackenzie.
Ils ont voulu aussi donner une preuve évidente de leur intention
d'étendre l'objet de la revue à tout l'univers.
- Le Vicariat du Mackenzie est bien, en effet, aux extrémités
du monde, puisqu'il comprend la majeure partie des îles que
possède le Canada dans l'océan Glacial et n'a d'autres limites,
au nord, que le pôle.
La Congrégation des Oblats de Marie Immaculée, dont les
Missionnaires s'y dévouent depuis plus de trois quarts de siècle,
fut choisie de Dieu pour aller, la première, visiter les immenses
régions qui s'étendent, de la baie d'Hudson aux extrémités de
l'Alaska. Par ses enfants, pour la première fois, sur divers points
de ces vastes solitudes, fut offert le « Sacrifice Saint » que, suivant
la prophétie de Malachie, Dieu voulait se voir offrir en tous lieux,
jusqu'aux extrémités du monde.
Me sera-t-il permis d'ajouter que deux de nos Missionnaires,
en arrosant de leur sang ce champ de neige, ont eu l'insigne
honneur de suppléer à ce qui manquait au sang du Rédempteur
pour faire bénéficier du salut les pauvres habitants de ces déserts
de glace ?
Mais je ne veux traiter ici que de la « dévotion au Sacré-Coeur
dans les Missions du Mackenzie. » Je dirai donc : 1° Comment
nos chrétiens comprennent le Sacré-Coeur ; 2° Comment ils le
servent.
* **
.'.'.'.. I. Comment nos chrétiens comprennent le Sacré-Coeur.
Je me rappelle la parole d'un vétéran de nos missions à un
bon prêtre qui, il y a trente ans, cherchait à le convaincre des
effets que produirait chez nos indiens, la diffusion d'une image,
du reste très belle, du Sacré-Coeur représenté tout seul avec les
emblèmes habituels. « Mon cher Monsieur, lui dit en toute
franchise le missionnaire, nos sauvages n'y comprendront rien
du tout. Il ne faut pas oublier que, dans nos missions, nous en
sommes encore aux premiers temps de l'Église. »
6. — 149 —
Quelques mois plus tard, arrivant à la mission de Notre-Dame
des Sept-Douleurs où je devais faire mes premières armes, je fus
frappé par un beau Sacré-Coeur lui aussi tout seul, qu'un de nos
bons frères convers avait peint sur le devant de l'autel. « Ce coeur
là est en effet un petit chef-d'oeuvre de peinture pour nos contrées,
me fit remarquer mon mentor à barbe grisonnante. Mais ça ne
dit pas plus à nos sauvages que ferait un coeur de caribou. Ils en
manipulent tant durant leurs chasses. »
Il est certain que, par attrait, nos chrétiens vont plutôt et
directement à la Personne même de Notre-Seigneur, qu'ils
appellent « Sacré-Coeur » quand ils Le voient le coeur sur la
poitrine.
Je suis heureux de pouvoir en extraire la preuve d'une lettre
sortie de la plume d'une de nos anciennes élèves de la Providence.
Elle avait quinze ou seize ans. A la suite de la perte vivement
sentie d'une personne aimée, elle m'écrivait •— en français — :
« Mon unique consolation est de la retrouver tous les jours dans
le Coeur du Sacré-Coeur. » Pour cette enfant des bois, le Sacré-
Coeur est bien la personne même de Notre-Seigneur montrant
son Coeur.
Autre exemple. C'est à la veille de quitter notre mission
Saint-Joseph pour me rendre en Europe. Louyson Dos-Noir, un
des gros personnages Montagnais, venant me donner la poignée
de main d'adieu, en profite pour me confier toute sa joie d'avoir
le Sacré-Coeur intronisé depuis quelque temps dans sa petite
cabane. « C'est très bon ! me dit-il. Il vit avec nous ! Il est le
Maître de la maison. Devant Lui nous prions réunis. Quand je
suis à la chasse, Il veille sur ma femme qui ne se sent plus seule.
Et cette pensée me rend le coeur fort et plus alerte pour chercher
la vie de la famille. D'autant plus que en même temps II me
protège partout où je vais dans les bois. Ainsi, par Lui, malgré
la distance, ma femme et moi restons toujours unis, et nous avons
le coeur plus fort. Oui ! c'est très bon ! Je te remercie de nous
l'avoir donné ! » v .
Inutile de multiplier les faits. Il n'y a aucun doute. C'est bien
Notre-Seigneur que nos Indiens veulent honorer directement.
Et je crois que le génie même de leurs différents dialectes les y
pousse.
Chez nous, pas de mots abstraits. Pour exprimer les réalités
que les mots abstraits représentent dans les autres langues, nous
devons avoir recours à des verbes employés à l'impersonnel, ou à
des périphrases.
Ainsi deux mots sont en usage pour dire : aimer. Le premier
beganyenigest' an, plus général, signifie" éthymologiquement :
« Je mets, ou mieux, j'ai mis mon esprit (ma pensée) auprès de
lui ». — Le second plus affectueux, plus tendre, begandareschie
veut dire : « je mè pousse (je me grandis) vers lui par désir où
7. — 150
par souffrance ». Quel que soit celui que l'on applique à Notre-
Seigneur pour traduire son amour, il faudra toujours construire
la phrase comme suit : « Jésus son amour (son-il-nous-aime) ».
Comme on le voit, nous sommes contraints de mettre tout de.
suite en avant la personne même, —- et agissante — du Verbe.
De même, si nous parlons du Sacré Coeur, nous devrons dire :
« Jésus, son Coeur-Saint, Jésus son Coeur bienveillant »... Et
l'amour du Sacré-Coeur de Jésus s'exprimera ainsi : Jésus son
Coeur, son-Il-nous-aime. Grammaticalement, impossible de
s'expliquer autrement...
Pour nos Dénés, le Sacré-Coeur n'a donc jamais été que le
Verbe Incarné. Mais c'est le Verbe Incarné se manifestant à eux
sous une forme nouvelle plus attrayante. C'est Jésus les aimant
de tout son Coeur, et leur montrant son Coeur pour mieux leur
faire comprendre son amour et leur en rappeler le souvenir.
Et c'est bien sous cette forme qu'ils préfèrent Jésus : avec le
Coeur embrasé sur la poitrine.
Il leur parle plus au coeur : La Croix, la Couronne, la Plaie
leur redisant sans cesse les excès auxquels l'amour l'a porté pour
les sauver.
Chez nos Indiens, comme chez tous les peuples, le coeur est
considéré comme le siège de l'amour. Ils disent couramment :
« Je t'aime de tout mon coeur. » Pour eux aussi le coeur donne à
l'homme sa vraie valeur morale ; suivant les qualités de son coeur,
un Montagnais est bon ou mauvais
Ils ne trouvèrent donc point étrange que, pour mieux leur
faire comprendre, estimer et aimer le Rédempteur, on s'appliquât
plus spécialement à'leur montrer toutes les richesses de son Coeur
adorable et à faire remonter vers Lui, comme à sa source, le
fleuve de miséricordes dont les ondes purifiantes et vivifiantes
parvenaient jusqu'à eux.
Chez eux, le Coeur est-il considéré comme symbole de l'amour ?
Il n'y a pas à en douter, bien que les mots symbole et le verbe
symboliser ne se trouvent pas dans leur vocabulaire. Ils ont en
effet l'expression qu'emploient les amis pour affirmer plus énèr-
giquement leurs sentiments : « Si tu voyais mon coeur : je voudrais
pouvoir te montrer mon coeur... »
Eh bien, nos sauvages n'ont vu, dans le récit des manifes-
tations que Notre-Seigneur a daigné faire de son Coeur, que la
réalisation d'une chose impossible à l'amitié humaine... Et ils
ont trouvé cette manifestation toute naturelle à un Dieu tout
puissant.
On leur a dit que' le Verbe, le Fils de Dieu est l'image parfaite'
substantielle, vivante du Père. De même que de toute éternité,
Il dit au Père ses amabilités infimes, le Père trouvant ses complai-
sances dans la contemplation de cette parole vivante, le Verbe
8. a pour mission de parler à l'homme, dont l'intelligence est â
l'image de celle du Père, et de lui dire que Dieu est parfait,
surtout qu' Il est tout amour, infiniment aimable. Son discours à
l'humanité a commencé à la création : chaque être sorti du néant
au souffle de cette parole toute puissante, porte le reflet de
quelque amabilité divine.
Il a continué par ses révélations aux prophètes. Il s'est fait
plus vivant par l'Incarnation dans les exemples, les enseigne-
ments, les miracles de Notre-Seigneur, plus pressant, plus explicite
encore à mesure qu'approche la démonstration si éloquente du
calvaire... Quid potui facere et non feci ?... Il semblerait toucher à
la fin quand on l'entend prier pour ses bourreaux, les excuser
même!... Encore un gémissement : Sitio ! Appel suprême
d'un amour insatiable !... Le « Tout est consommé » n'est
qu'une pause impressionnante... Defunctus adhuc loquitur /...
Les apôtres, continuateurs du Verbe qui vit en eux et qui confirme
leur parole par dés miracles, s'en vont à travers le monde prêcher
l'amour de Dieu... Sic Deus dilexit mundum !... Amour dont ils
ont été les témoins, amour qu'ils ont, en quelque sorte touché du
doigt avec saint Thomas dans les plaies sacrées... Avec saint
Jean ils répètent : « Nos autem credidimus caritati » et leur
ils le scellent de leur sang !... •
témoignage,
Après eux, des milliers, des millions de martyrs marchent sur
leurs pas. Comme eux ils attestent, sous les coups de fouet, au
milieu des tortures, sous là dent des bêtes fauves, que biens,
plaisirs et honneurs de la terre, ne sont que boue repoussante en
Iface des amabilités divines... Peu à peu l'Évangile se répand,
Striaisavec quelle lenteur pour l'Amour du Sauveur impatient
du salut des hommes ses frères !...
Alors, comme dans une péroraison sublime, pour jeter la
conviction dans nos âmes, non content de porter sa main à la
poitrine pour nous crier avec une émotion profonde : « Ah ! si
vous pouviez voir mon coeur, vous verriez combien je vous aime ! »
Lui à qui rien n'est impossible, dans un geste de suprême élo-
quence, — geste vraiment divin — Il arrache pour ainsi dire
son coeur de sa poitrine, Il le met en relief, avec ses flammes
débordantes, la croix plongée dans son intime, la couronne
d'épines, là plaie encore béante, le sang qui en coule toujours, et
Il lance à l'univers cet appel suprême d'un amour méconnu.
« Voilà ce coeur qui a tant aimés les hommes »... N'y aura-t-il
donc personne pour l'aimer en retour ?...
Il, Comment nos chrétiens aiment le Sacré-Coeur,
Alors qu'il était encore rattaché à celui d'Athabaskâ, Te
vicariat du Mackenzie fut officiellement consacré, avec ce dernier,
au Sacré-Coeur de Jésus, vers 1893, par Mrg Grouard, récemment
9. .:>?;;' '"./
-Vv:--' ...:;';'.-—.' 152 V-,---.
nommé Vicaire Apostolique des deux districts. Depuis lors, en
union avec Montmartre, le jour de Noël, qui voit toujours
accourir dans nos missions le plus grand nombre de nos Indiens,
le Saint Sacrement est exposé à leur piété simple et naïve.Dans
certains centres l'adoration est organisée par familles : ce sont
les plus fervents.
Si cette consécration solennelle à donné un nouvel essor à
la dévotion au Sacré-Coeur, elle était cependant connue et aimée
, longtemps auparavant. En font foi nos livres de piété dans
différents dialectes. Sans parler des cantiques qu'ils contiennent,
mentionnons l'acte de Consécration en Montagnais. Il a pour
titre : Jésus son Coeur Saint, on le console, on le loue, on se
donne à Lui, pour cela on Le prie.
Il serait difficile de préciser à quelle date fut introduite
'telle forme plus spéciale de la piété. Tous les Missionnaires
rivalisèrent sans doute de zèle pour maintenir toujours leurs
petites chrétientés à l'unisson dans l'hommage que le monde
catholique, sous de multiples formes, comme pour attester son
impuissance à Le louer assez, se plaît à rendre au Roi divin
qui ne craint pas de s'humilier jusqu'à se faire mendiant d'amour
auprès de ses plus humbles créatures.
Les premiers vendredis de chaque mois sont en honneur dans
nos missions. Souvent nos gens retarderont ou abrégeront leur
chasse pour pouvoir répondre au désir du Sacré-Coeur et com-
munier ce jour-là
• Dès la
veille, plusieurs de nos petites chapelles réunissent
les fidèles de l'Heure Sainte. Avec quelle piété en suivent l'exer-
cice ces pauvres sauvages.
Dans l'adoration, la louange, la réparation et la prière, ils
se préparent à recevoir le lendemain, dans l'Eucharistie, l'Ago-
nisant de Gethsémani.
Un certain nombre, parmi les plus fervents, ont envoyé leur
nom à Paray-le-Monial avec leur jour choisi de communion
hebdomadaire ou mensuel, pour l'avènement du Règne social
du Sacré-Coeur.
La pratique de F Intronisation a pénétré elle aussi dans le
vicariat. « Dieu soit béni ! nous écrit le P. Duport, nos fidèles de
la Mission Saint-Joseph ont entendu les appels du Coeur de Jésus ;
peu à peu la porte de leur tente s'ouvre pour laisser passage au
Divin Roï, qu'ils intronisent avec une grande piété, à la place
d'honneur dans leur foyer ; cette intronisation est une vraie
consécration de toute la famille (1). Il y a du reste peu de huttes,
qu'elles soient de bois ou de peau, qui n'aient une image du Sacré-
Coeur. Devant elle les mamans apprennent aux enfants à balbutier
(1)Cettelettre a étécitéepar la Revue Marie
Apostolique.de Immaculée
(Lyon),
mars 1921.
10. — 153 —
leurs premières prières ; elle préside la réunion du dimanche en
l'absence du Missionnaire; elle console les derniers instants des
mourants, et c'est vers elle que monte comme un encens parfumé,
l'acceptation généreusement résignée de la séparation suprême.
La fête du Sacré-Coeur se célèbre avec une solennité, de plus
en plus grande, et le mois qui lui est consacré est fidèlement
observé, là où les circonstances le permettent.
Enfin chez nous, cpmme partout, l'amour du Sacré-Coeur
amène les âmes à la Sainte Eucharistie. Tel est bien le désir du
Sacré-Coeur. N'est-ce pas en effet pour rapprocher les âmes de
Lui, les convoquer à l'union la plus intime toute d'amour, que
Notre-Seigneur a manifesté son Coeur Sacré à Sainte Marguerite-
Marie, lui faisant les plus attrayantes promesses pour les fidèles
du premier vendredi de chaque mois, lui redisant si souvent sa
soif d'être visité, consolé,.reçu au Saint Sacrement?... Et pourrait-
on trouver une âme vraiment passionnée d'amour pour le Sacré-
Coeur qui ne le soit pour la .SainteEucharistie ?
Eh bien ! dans toutes nos missions le chiffre des communions
augmente graduellement. Qu'il me suffise de citer la plus septen-
trionales de toutes, — celle du Saint-Nom de Marie. — C'est un '
tout petit poste fréquenté seulement pendant quelques mois de
l'année par 190 Loucheux... Nous y avons eu l'année dernière
près de 3.000 communions.
Il est vrai que cette mission compte parmi les plus ferventes.
Peu nombreux sont les sauvages qui n'y sont pas fidèles à la
visite quotidienne au très Saint Sacrement.
1 *
Voilà comment nos chrétiens comprennent et servent le
Sacré-Coeur.
Pour eux, le Sacré-Coeur, c'est bien le Verbe divin fait homme'
pour leur apporter la Rédemption. C'est le Fils de Dieu leur
disant l'amour de son Père, leur Père, pour eux !... Ils ont trouvé
tout naturel que pour leur faire comprendre que Dieu est tout
. amour, le Verbe se soit fait tout Coeur, prenant un coeur dejehair,
et l'ait montré tout endolori, avec les insignes de la passion !.,. ;
Ils sont heureux de se joindre aux bergers, aux mages, aux
chrétiens de tous les siècles... Devant Lui, se prosternant^ ils
"
L'adorent, et ils L'aiment !... '.,
f G. BREYNAT, . M. i., év. d'Adramyte,
o
Vicaire Apostolique du Mackenzie.
11. 154
Les Révélations
privées
II. - La Révélation pMpe et les Bévélations .privées
Par un dessein de son incompréhensible amour, Dieu veut
nous communiquer sa vie, ses perfections, son bonheur, et nous
avoir avec lui dans le ciel comme compagnons de son éternité
Sa toute-puissance aurait pu, dès l'instant même où elle nous
tirait du néant, nous placer dans ce bienheureux état de la vie
céleste et nous admettre aussitôt dans cette intimité qui doit
constituer un jour notre bonheur suprême. Cependant, selon les
sages méthodes de sa Providence qui gouverne toutes choses avec
une force irrésistible, mais aussi avec la plus grande suavité, Dieu
a jugé plus glorieux pour lui, et plus profitable pour nous, de
nous préparer peu à peu à cette ineffable société qu'il veut avoir
éternellement avec nous .dans le ciel.
Or, à la base de cette économie de l'amour divin qui nous
saisit dès notre arrivée à l'existence et qui nous enveloppe durant
toute notre vie terrestre, se trouve la Révélation : parole divine
exprimée en langage humain, par laquelle Dieu, condescendant
à notre faiblesse, se met à la portée de notre esprit et se fait lui-
même notre maître et notre guide dans les voies qui conduisent
à la vie pleine et parfaite du salut éternel. Ayant voulu nous
adopter dans son adorable famille, et nous avoir pour enfants,
il se conduit avec nous comme le plus aimant des pères, se char-
geant lui-même de notre instruction, de notre éducation, de notre
formation à la vie divine.
L'Écriture nous le montre, dès l'origine, conversant familiè-
rement avec nos premiers parents ; il continue dans la suite des
siècles à parler directement aux patriarches et aux prophètes ; il
nous parle surtout par Jésus-Christ et ses apôtres qui nous
apportent la grande révélation ; il continue encore de nos jours,
et il continuera toujours à parier à quelques âmes de choix,
jusqu'à ce qu'enfin vienne la pleine manifestation, celle qui nous
le montrera à découvert, face à face, tel qu'il est dans la splendeur
de sa gloire.
* *
.. Cependant, dans cet ensemble de communications intellec-
tuelles entre Dieu et l'humanité, il faut absolument distinguer
deux sortes de paroles de Dieu : celles qu'il adresse à tout le
genre humain, et celles qu'il adresse à quelques âmes seulement
qu'il fait les confidentes intimes de son coeur. De là, d'après
;'. : Renseignement de la théologie, deux révélations tout à fait
12. ;'.. — 155 — ;.'.' ';•-'',
distinctes, et d'importance tout à fait inégale : la Révélation
publique et les révélations privées. .
Si nous ne considérions que les documents du magistère
officiel de l'Église, il semblerait cependant, au premier abord,
qu'il n'y a d'autre révélation que celle qui s'impose à. tous les
hommes et qui nous vient par Jésus-Christ et ses apôtres. Offi-
ciellement, l'Église n'en connaît pas d'autre que celle-là ; elle
n'a donc pas à lui donner un nom spécial et à l'appeler «publique», .
en opposition à une autre révélation qui serait moins universelle.
Elle distingue bien la Révélation d'après l'Ordre du temps où
d'après les auteurs inspirés qui l'ont reçue de Dieu ; elle parle
donc de révélation « mosaïque » ou de révélation « chrétienne » ;
elle la distingue encore selon la forme d'expression qu'a revêtue
la parole de Dieu pour arriver jusqu'à nous : elle parle donc de
révélation « écrite » ou de révélation « oralement transmise »;
elle la distingue enfin selon le degré de perfection ou de clarté
qu'a eu la vérité révélée à diverses époques : par conséquent elle
dit que sous la loi ancienne la révélation était « incomplète et
imparfaite », tandis que sous la loi évangélique, elle est arrivée
par Jésus-Christ et les Apôtres à sa perfection et à sa plénitude.
Mais jamais elle ne la distingue selon sa destination, ou parti-
culière, ou universelle. En ce sens, l'Église ne connaît officielle- .
. ment que la Révélation universelle qu'elle appelle tout simple-
ment « la Révélation ».
La théologie dogmatique, qui n'est que l'exposé rationnel et
, méthodiq uede la doctrine révélée, ne traite, elle aussi, que delà
jseule révélation publique, celle qui est contenue dans l'Écriture
iou dans la Tradition apostolique. Sous le nom tout court de
^Révélation, jamais elle n'entendra une révélation privée.
Est-ce à dire que en dehors de la doctrine révélée que l'Église
propose à tous, il n'y ait pas d'autres révélations véritablement
divines ? où, s'il y en a, qu'on n'ait pas à s'en occuper, et qu'on
doive les laisser aux heureux privilégiés qui les ont reçues de Dieu?
Cette conclusion serait certainement trop rapide. Autre chose,
en effet, que dans son enseignement officiel, qui s'impose obliga-
toirement à tous, l'Église ne parle que de la Révélation faite
par Dieu à tous les hommes ; et autre chose que, outre cette
révélation universelle, l'Église n'en connaisse ou n'en admette
pas d'autre.
Toute l'histoire de l'Église n'est-elle pas remplie d'inter-
ventions manifestes et immédiates de la divine Providence ?
'
N'y voit-on pas à toute époque, et dans tous pays, d'innombrables
miracles et de fréquentes manifestations de l'esprit prophétique ?
N'y lit-on pas bien souvent des récits de révélations • divines,
rapportés par ceux-là même qui en sont les dépositaires et que
13. —::i5&
l'Église compte parmi les plus éjclalrésët les plus reeomtnandables
de ses enfants ? Sans doute, l'Église ne veut pas que nous accep-
tions sans discernement tous les récits merveilleux de la vie des
saints ; elle nous donne elle-même l'exemple de la plus sage
réserve. Mais ce serait certainement aller contre ses directions,
et même contre son enseignement, que de rejeter en bloc toute
intervention personnelle, directe et immédiate de la puissance
et de la bonté de Dieu dans la conduite des âmes.
L'Église est fière de son histoire. Elle nous en recommande la
lecture assidue et l'étude approfondie ; mais elle veut que nous
y apportions un esprit sincèrement croyant qui sache voir, à
travers les siècles, l'accomplissement, même sensible, de cette
promesse de Jésus-Christ : «Voici que je suis avec vous jusqu'à la
consommationdes siècles. » Elle nous exhorte surtout à étudier
la vie des saints pour nourrir notre âme de leur céleste doctrine
et y contempler des modèles de toutes les vertus. Or, la vie d'un
grand nombre de saints, notamment parmi les plus illustres et les
plus honorés, est toute remplie dedivines confidences, de véritables
entretiens avec Dieu, avec Notre-Seigneur ou avec les esprits
Célestes. Ne serait-ce donc pas une insupportable témérité pour
un chrétien que de rejeter d'avance tous les récits de ce genre_?
Ne serait-ce pas mépriser la conduite et les décisions de l'Église
elle-même qui examine avec un si grand soin les révélations des
saints qu'elle canonise? Ne serait-ce pas porter un jugement
contraire à celui de l'Église que de traiter d'illusions et de pures
imaginations les révélations d'une Sainte Gertrude, d'une Sainte
Jeanne d'Arc, d'une Sainte Marguerite-Marie, et de tant d'autres
saints si hautement loués par l'autorité suprême de l'Église ?
Certains auteurs, anciens et modernes, qui s'étaient engagés un
peu trop loin dans la voie du doute au sujet de ces interventions
directes de Dieu, ont pu apprendre, à leurs dépens, combien
cette tendance était contraire à la pensée de l'Église : la lecture
de leurs ouvrages a été interdite, tandis que celle des livres
racontant la vie des saints avec tous leurs miracles et leurs
révélations, reste toujours fortement recommandée aux fidèles.
Il est bien vrai, comme nous l'avons indiqué plus haut, que
y Église ne se prononce jamais, en vertu de son magistère infaillible
ni sur l'authenticité ni sur le contenu de telle ou telle révélation
privée, mais, dans l'ensemble, elle admet et enseigne comme
certain que Dieu intervient encore parfois dans le monde d'une
manière directe et sensible, soit par les miracles de sa puissance
soit par les communications immédiates de sa pensée.
Prise ainsi dans sa gènéralitéj l'existence des révélations
privées est admise sans conteste par tous les théologiens : saint
Thomas affirme sans hésiter que de tout temps il y à eu des
âmes éclairées par l'esprit de prophétie(11-11, Q. 174, a.6.ad3) ;
14. le Cardinal Bona est plus explicite encore quand il dit : « Aussi ;:
bien l'Écriture que les documents de l'histoire nous prouvent
jusqu'à l'évidence que, de tout temps et dans toute condition, r
depuis l'origine jusqu'à nos jours, il a existé des révélations
privées. » (De Discret. Spirit. cap. 20). Tel est le langage de tous
les théologiens, notamment des mystiques et des canonistes qui,
avec Benoît XIV {De Canon. Sanct. Iib, 3), tracent minutieuse-
ment les règles à suivre pour discerner les révélations divines de
leurs imitations ou contrefaçons.
Nous n'insisterons donc pas davantage sur ce point qui ne
fait doute pour personne parmi les catholiques. Ce que nous
voudrions déterminer avec un peu plus de soin, parce que la chose
est beaucoup moins claire, c'est la différence caractéristique qui
existe entre ces deux sortes de révélations : publique et privée.
D'où vient que l'une est obligatoire pour tous, tandis que l'autre
est sans force pour obliger ceux qui ne la reçoivent pas directe-
ment ? Il semble en effet que, de part et d'autre, c'est la même
parole de Dieu qui, une fois commue, devrait s'imposer également
à tous les hommes.
Écartons tout d'abord quelques réponses manifestement
fausses ou insuffisantes ; nous essayerons ensuite d'expliquer ce
qui distingue radicalement la Révélation publique de toutes les
révélations privées.
* *
; En premier lieu, là différence que nous cherchons ne saurait
se trouver dans le fait matériel de la plus ou moins grande
publicité de la parole de Dieu. Il est évident en effet, que certaines
parties de la Révélation publique, par exemple certains dogmes
sur la Trinité, la grâce ou les Sacrements, sont moins connues que
plusieurs révélations privées, comme sont les révélations du
Sacré-Coeur.
Nous ne la trouverions pas non plus dans l'objet même de la
révélation, selon qu'il concernerait ou bien tout le genre humain
ou bien seulement quelques personnes en particulier. Comment
soutenir, par exemple, que le détail du festin d'Assuérus qui nous.t
est rapporté dans le livre d'Esther, et qui fait partie de la Révé-
lation publique, intéresse le genre humain plus que les récentes
manifestations de l'amour du Sacré-Coeur, qui cependant ne sont
que des révélations privées ?
Il ne faudrait pas la chercher davantage dans le terme immédiat
de l'action divine. Dans l'une et dans l'autre révélation^ en effet.
Dieu ne: s'adresse directement qu'à telle ou telle personne, et il
Féclâire de la même manière. Il est même fort probable que Dieu
a parié ou parle encore personnellement à plusieurs saints beau-
15. 158 —
coup plus intimement et plus clairement qu'il ne l'a fait à quelques-
uns des anciens prophètes dont les écrits font cependant partie de
la Révélation publique.
La différence provient uniquement de la destination de la
parole de Dieu. Dieu veut-il s'adresser à tous les hommes par
l'intermédiaire du confident qu'il a choisi ? Dans ce cas, la parole
de Dieu sera Révélation publique, bien que peut-être elle ne soit
pas encore publiée, et qu'elle soit, pour le moment, connue de
celui-là seul qui la reçoit. Dieu veut-il au contraire ne s'adresser
qu'à la personne qui l'écoute ? La parole divine ne sera qu'une
révélation privée, bien que, peut-être, le contenu de cette révé-
lation ait été ensuite publié et soit maintenant connu partout.
Telle est la réponse donnée par tous les théologiens pour établir
la distinction entre la Révélation publique et les révélations
privées.
Si on veut se contenter, sur ce point, d'une idée générale et
un peu vague, cette réponse est complète et suffisante. Mais ne
devrait-on pas pousser l'analyse un peu plus loin, et résoudre par
exemple cette question : Comment se fait-il que telles épîtres de
saint Paul, adressées par leur auteur à telle personne déterminée :
à Timothée, ou à Philémon, sont adressées par Dieu à toute
l'humanité ? Comment se fait-il, au contraire que telles révé-
lations publiées dans toute l'Église par les confidents de Dieu, et
sur l'ordre même de Dieu, ne soient que des révélations privées ?
Essayons ici encore de donner quelques détails un peu plus précis
pour mieux comprendre la notion que nous étudions.
*
*. *
Comme chrétiens, nous ne reconnaissons d'autre maître que
Jésus-Christ : c'est de lui que nous tenons tout ce que nous
croyons ; c'est par lui que Dieunous a dit tout ce qu'il voulait
nous dire, c'est lui qui est l'auteur de toute notre religion, le
docteur de toute vérité révélée.
Ce que Dieu avait révélé autrefois aux prophètes d'Israël,
il nous l'a redit par Jésus-Christ qui a de nouveau promulgué
' pour nous l'antique révélation ; ce que Dieu voulait manifester
au monde, dans la plénitude des temps, pour établir la religion
définitive et éternelle, il nous le dit par son propre Fils, le Verbe
Incarné. Jésus apparaît sur la terre, non pas seulement comme
envoyé de Dieu ; il vient comme la Parole substantielle même de
Dieu, comme Verbe de Dieu uni à notre nature. Et, tout comme
là-haut, dans le ciel, le Verbe éternel exprime Dieu parfaitement
et immuablement, de même,, parmi nous, sur la terre, le Verbe
Incarné exprimera Dieu aussi parfaitement que cela est possible
par des expressions humaines et pour des intelligences humaines.
Jésus se forme donc un petit groupe de disciples, pusillus grex,
16. '"-—159'— -
germe de la société immense des croyants à venir, et il leur dit
tout ce qu'ils peuvent comprendre et porter de la vérité divine.
Ce qui les dépasse encore, et qu'il ne peut leur faire entendre
pendant sa vie mortelle, il le leur dira bientôt, en leur envoyant
son Esprit qui leur apprendra toute vérité, et leur suggérera le
sens profond de tout ce qu'il leur aura dit lui-même auparavant.
La mission visible de Jésus est finie ; la Parole divine a été
entendue sur la terre ; par elle les apôtres ont reçu toute la vérité
que Dieu voulait faire connaître au monde. A eux maintenant de
l'exprimer, de la répandre au dehors, et de là faire arriver partout
jusqu'aux extrémités de la terre.
Puisque les apôtres sont les organes divins de toute la Révé-
lation chrétienne, il nous suffira, pour comprendre la différence
entre la révélation publique et les révélations privées, de comparer
le rôle que les apôtres ont à remplir au nom du Christ et celui
qu'exercent les autres saints par la communication des confi-
dences dont Dieu daigne les honorer.
*
* *
Tant que Jésus était resté visiblement sur la terre, il avait
été le centre, visible de toute sa religion et l'unique chef de tous
ceux qui croyaient en lui. L'église était alors, humainement, une
bien petite Société ; mais Jésus, sachant qu'elle devait se déve-
lopper partout et se perpétuer à traversées siècles, veut, avant de
remonter au ciel, se donner des remplaçants qui continueront
a guider visiblement la multitude de plus en plus nombreuse des
fidèles. Dans un moment solennel entre tous, Jésus réunit donc
les siens sur le mont des Oliviers ; et là, juste avant de retourner
à son Père, en présence de cette assemblée qui constitue presque
toute l'Église ou qui du moins la représente tout entière, il
proclame et promulgue la mission officielle qu'il confie aux
Apôtres. Interpellant spécialement les Onze, il leur dit : « Toute
puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc,
enseignez toutes les nations, leur apprenant à garder tout ce que
je vous ai commandé. » (Matt., xxviii, 18-22). Par le fait que les
apôtres reçoivent de Jésus là mission publique de prêcher partout
son enseignement, les fidèles reçoivent aussi l'ordre divin de se
soumettre aux apôtres comme à Jésus lui-même. « Celui qui croira
sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné (Marc, xvi, 16.
Voila le premier caractère de la parole des apôtres : elle est la loi
suprême de l'Église, et cela d'après la volonté expresse et
manifeste de Jésus-Christ.
Or,çe premier caractère fait totalement défaut dans toutes les
révélations qui ont existé depuis en dehors des apôtres. On ne
peut citer aucun saint qui ait voulu imposer à l'Église sa parole
ou son enseignement comme venant de Dieu ; aucun qui ait
17. 160
prétendu avoir une mission divine de parler à l'Église avec
autorité, de telle sorte que les fidèles fussent obligés de le croire
sur parole. Au contraire, tous les saints, même les plus favorisés
des révélations célestes, ont soumis en toutes choses et leurs
écrits et leurs paroles, au jugement suprême de l'autorité de
l'Église. Qui plus est,l'Église n'a jamais reçu et ne recevra jamais
aucune parole, aucun ordre qu'on prétendrait lui imposer au nom
de Dieu. Elle enseigne et elle croit que tout ce que Dieu a voulu
lui dire, ou lui faire dire, comme règle obligatoire de sa foi et de
sa conduite, il Fa fait dire par les apôtres. Après eux, c'est elle
qui gouverne en souveraine maîtresse pour tout ce qui concerne
et la foi et les moeurs.
Donc, première différence radicale entre la révélation publique
".et les révélations privées. La Révélation publique est donnée à
l'Église entière par les apôtres au nom de Jésus-Christ. Les autres
ne sont jamais adressées à l'Église au nom de Dieu ; pour l'Église,
elles ne sont qu'un témoignage humain et d'ordre privé, de ce
que Dieu a opéré dans telle ou telle âme.
Parmi les hommes, un initiateur, un fondateur ne peut
exercer d'influence personnelle que de son vivant sur la terre.
A sa mort, il disparaît et laisse ses anciens collaborateurs complè-
tement à eux-mêmes, de telle sorte que son oeuvre ne dépend plus
de lui, mais uniquement de ceux qui lui ont succédé. Il n'en est
pas ainsi de Jésus-Christ. Après avoir confié à ses apôtres l'exercice
visible de ses pouvoirs, il disparaît bien lui aussi ; mais il ne meurt
pas et il ne quitte pas son Église. Il en reste toujours le chef
vivant et agissant, quoique d'une manière différente. Il a donné
à ses apôtres la mission de prêcher partout sa doctrine ; mais
ceux-ci sont évidemment incapables par eux-mêmes d'enseigner
à toutes les nations une doctrine si profonde et si complète sans
jamais en altérer le sens, et sans jamais y introduire des idées
étrangères ou contraires à la pensée du Christ. Par son assistance
invisible, Jésus suppléera à leur impuissance et leur fera éviter
toute erreur, quand ils parleront en son nom et qu'ils exposeront
son enseignement. Ce n'est pas tout cependant. Les apôtres
n'auront pas seulement à prêcher la doctrine du Christ sans
commettre d'erreur ; il faudra encore qu'ils l'enseignent tout
entière sans en rien omettre. Comment pourraient-ils y arriver
eux qui sont naturellement si ignorants, si Jésus, ici encore, ne les
aidait et ne leur suggérait tout ce qu'ils auront à enseigner.
Cette double assistance, Jésus-Christ la leur promet quand il
leur dit : « Allez, enseignez toutes lés nations, leur apprenant à
garder tout ce que je vous ai commandé. Voici que je suis avec vous
tous les jours jusqu'à la fin du monde ». En fait, elle leur confère
un double privilège que l'Église leur reconnaît expressément,:
18. le privilège AèVtnfMUlhïfflè.ptïsonfâlte.~$ë;t lequel chaque âpôtfè
est préservé de toute erreur dans son éhséigîièinént, et le privilège
de Yinspiration divine par lequel les apôtres sont, non plus sèulê-f
ment lès envoyés de Dieu parlant en son nom, mais pour ainsi
dire ses secrétaires, né disant où fi'écrivàht que eë qùê.bièû lui-
même leur suggère et leur dicte. C'est pourquoi leurs pardiè's où
leurs écrits, tout en leur appartenant véritablement, sont plus
encore les paroles ou les écrits de Dieu qui lès dicte à leur esprit.;
Ce deuxième caractère de la parole des apôtres manque encore .
totalement aux révélations privées. La personne qui lès reçoit
a beau mettre toute l'exactitude possible dans les récits qu'elle
nous en fait, rien ne nous garantit son infaillibilité.. Puisqu'elle
ne parlé pas au nom de Diéùj niais en son propre noïh, Dieu n'a
pas à l'assister spécialement, ni à donner à ses récits une perfectiôti
supérieure à celle qui convient à une parole purement nùmàihèi
Nous n'avons donc aucun critère absolument certain pouf savoir
si les paroles qu'on nous fait "entendre rendent exactement lé
sens dé là parole intérieure que Dieu a dite à tel de ses confidents.
— A plus forte raison, aucun récit dé révélation privée ne jouit
du privilège de l'inspiration divine ; l'Église n'en reçoit absolu-
ment aucun comme écrit sous là dictée de Dieu, aucun qui soit .
considéré comme parole, de Dieu.
Donc, deuxième différence radicale entre ces deux sortes de
révélations. La révélation publique nous arrive par le ministère
des apôtres, non seulement tomme parole qui exprime infailli-
blement le sens de la vérité dite par Dieu, mais comme parole
vraiment divine, écrite du prononcée sous là dictée même de
Dieu ; les révélations privées au contraire nous arrivent comme
parole simplement humaine, nous rapportant d'après les seuls
moyens humains la vérité révélée par Dieu à l'intime de l'âme,
Ce n'est pas tout encore. Là Révélation, soit publique, soit
privée, a été faite par Dieu à telle époque déjà lointaine, dont
rioùs sommes séparés peut-être pair une longue séfièjdé siècles. Par
quels moyens ést-élle arrivée jusqu'à nous, et âfriverâ-t-êllè plus
tard à tous ceux qui seront après nous ?
S'agit-il de Révélation publique, Jésus-Christ a pourvu k
cette nécessité dé la manière la plus simple et la plus efficace par
là mission qu'il a donnée à ses apôtresi Ceux-ci, en effet, outre
leur mission personnelle et temporaire d'établir l'Église et de
constituer le dépôt de la'Révélation» avaient encore la mission
sociale et perpétuelle de gouverner l'Ëglise^ et d'enseigner tous
les fidèles jusqu'à la fin des temps: Cette mission se transmet
donc absolumefit la même dans leurs successeurs ; te Pape et
les Évêqués, Tout comme autrefois les apôtres pariaient au nom
du Christ, de même aujourd'hui ie Magistère suprême de l'Église.
19. — 162 —
De part et d'autre, c'est la même autorité, s'exerçant sous la même
assistance de Jésus-Christ, avec le même privilège del'inf aillibilité.
C'est la même parole du Christ, reçue et transmise en vertu de
la même mission divine résidant autrefois dans les apôtres, et
aujourd'hui dans leurs successeurs ! C'est donc aussi de la part des
fidèles la même obligation de se soumettre au Magistère de
l'Église, exercé au début par les Apôtres, et ensuite par leurs
successeurs. En vérité, les fidèles reçoivent encore, et recevront
toujours la parole de Jésus-Christ, aussi directement et aussi
authentiquement que les premiers fidèles la recevaient de la
bouche même des apôtres.
S'agit-il de révélations privées, nous ne trouvons rien de
semblable comme moyen de transmission ou de conservation.
Après la mort de ceux qui les ont reçues de Dieu et qui nous les
ont rapportées, elles tombent purement et simplement dans la
condition de tous les autres écrits humains, soumises à des
altérations, à de fausses interprétations comme tous les autres
documents de l'histoire. En aucune manière elles ne nous arrivent
au nom de Dieu, parce que personne n'a mission divine officielle
de les conserver et de les transmettre. Et en cela nous avons une
troisième différence radicale entre la Révélation publique et les
révélations privées.
En un mot, ce qui constitue la différence essentielle entre ces
deux formes de la parole de Dieu, ce n'est au fond que la
mission divine officielle que Jésus-Christ a confiée aux Apôtres
et qui n'est partagée par aucun autre. D'autres voyants ont pu,
dans la suite, recevoir peut-être à l'intime de leur âme, plus de
lumière divine que n'en ont eu les Apôtres eux-mêmes ; mais
comme Dieu n'a pas manifesté lui-même à son Église qu'ils
parlent en son nom et qu'on doit les écouter et leur obéir, tout
ce qu'ils disent ou rapportent des révélations qu'ils ont reçues
n'a d'autre valeur que celle de leur assertion personnelle. Et leur
assertion ne s'impose à personne ; elle n'arrive pas à d'autres
avec le caractère authentique de parole de Dieu, mais tout
simplement de parole humaine. Les Apôtres au contraire, en
vertu de leur mission, sont présentés à tous publiquement et
explicitement par Jésus-Christ lui-même, comme ses représen-
tants et ses porte-parole officiels, auxquels tous doivent se
soumettre. Toute sa doctrine nous arrive authentiquement par
leur intermédiaire ; par son action personnelle invisible, il les
assistera ou.les inspirera pour qu'ils la transmettent parfaitement;
mais nous, nous aurons l'ordre, divin de recevoir ce que les
Apôtres ou leurs successeurs nous diront au nom de Jésus-Christ
comme, si Jésus-Christ nous le disait lui-même directement;
20. — 163 —
On comprend maintenant pourquoi l'Église dans son ensei-
gnement qui s'adresse à tous les fidèles ne connaît qu'une révé-
lation, qu'une parole de Dieu : celle qui lui vient de Jésus-Christ
et des Apôtres ; pourquoi nous aussi, comme fidèles, nous ne
recevons pour objet de notre foi que ia seule Révélation divine
qui nous est proposée par le Magistère infaillible institué autrefois
par Jésus-Christ dans la personne des Apôtres, et toujours
vivant, indéfectible, dans l'Église catholique, apostolique et
romaine.
AUG. ESTÈVE, 0. M. I.
21. —. 164 —
LA SOCIÉTÉ
dû, Règne Social de Jésus-Christ.
II. - BUT ET MOYENS D'ACTION.
DÉVELOPPEMENT DE LA SOCIÉTÉ.
Le P. Drevon eut l'intuition immédiate, en voyant M. de
Sarachaga, de ce qu'il pourrait obtenir de cette âme et de cette
intelligence d'élite. Pendant trois ans, de 1873 à 1876, il forma ce
novice aux choses saintes, aux moeurs eucharistiques, à la commu-
nion- quotidienne, à ces adorations pendant lesquelles Sarachaga
restait à genoux, immobile deux et trois heures de suite, sans
épuiser jamais le sujet divin, sans se lasser; y trouvant, disait-il,
autant de saveur et de grandeur, que le monde lui avait découvert
de petitesse et d'objets de dégoût. D'ailleurs à partir de sa
conversion, de ce monde il n'eut plus cure. Jamais un mot de ses
anciennes relations, de ses plaisirs d'autrefois, de ses parents, de
ses succès. En retournant le mot de saint François on pouvait
pleinement le lui appliquer : « Trouvant la Vérité, il avait quitté
toute vanité. » Le P. Drevon le voua d'abord à la « Communion
Réparatrice » pour laquelle il avait obtenu de Pie IX le Bref
contenant ce rare éloge : « Elle est une OEuvre propre à sauver la
Société, » et à laquelle Léon XIII prodigua les bienfaits spirituels.
Elle formait comme le premier échelon dé cette création que le
Père et le disciple, devenus deux amis inséparables, méditaient
et ébauchaient ensemble : « La société du Règne social de Jésus-
Christ » qu'on peut ainsi définir: Une société de piété,d'étude, et
d'action destinée à reconnaître et à promouvoir le Règne Social de
Jésus-Christ (1).
Le Règne Social de Jésus-Christ ! Cette expression qui est
maintenant sur toutes les lèvres, souleva, à cette époque, des
objections infinies, et fit couler des flots d'encre. On la trouvait
inutile et provocante. Mais le P. Drevon écoutait d'un côté
l'Hôte divin du Tabernacle, réclamant à Marguerite-Marie le
culte public de son amour infini ; de l'autre, il recueillait toutes
les brises qui, de tous les coins du monde moral, lui apportaient^
comme un écho des tendances de ses contemporains (2). Il en
concluait : La gloire et la justice de Dieu ne peuvent être satis-
faites que si les Nations qu'il lui a toutes données en héritage
(1) Cette heureuseformule,répandue partout actuellementpar Y Association
Catholique ela Jeunesse:
d Française,avait été trouvée,longtemps
auparavant,par
la Société RègneSocial.
du
(2) Le Règnesocialde Jésus-ChrisHostie.Articlede M. de Sarachaga, année
1886,page 19.'
22. — 165 —
reconnaissent la Souveraineté de son Christ. Les hommes, eux-
mêmes, ne peuvent vivre dans la-justice et la paix, que s'ils
soumettent non seulement leurs destinées éternelles, mais leur
existence temporelle, en tant que sociétés et peuples, à la Royauté
puissante et bienfaisante du Christ Jésus.
Et, où se fera la rencontre du Dieu assoiffé de l'amour dé ses
créatures, et de ses créatures vouées à toutes les chimères; actuelles,
mais qui, sans le savoir, sont aussi en recherche et assoiffées de
leur Dieu ? Dans l'Eucharistie, où le Christ vivant s'est mis à la
portée de Fhumanité, et où, en 1689, Il est venu, par un suprême
effort, les attirer sur son Coeur,
Le P. Drevon et Sarachaga maintinrent donc avec fermeté
la devise si attaquée de leur société : Le Règne Social de Jésus-
Christ ; l'estimant, au rebours de l'opinion du monde : nécessaire
et pacificatrice.
En analysant la définition de leur oeuvre, nous verrons
toutes les idées fondamentales qui la motivèrent, et nous décri-
rons sommairement sa vie intime et extérieure.
A - PIÉTÉ
En effet, depuis le xvie siècle, où la Réforme, rompant avec
la tradition catholique, a tout à coup posé la raison humaine en .
juge de la parole divine, la discutant et l'interprétant à sa guise ; •
depuis que la Révolution Française a osé nier ouvertement les
Droits souverains de Dieu, toutes les constitutions modernes
les ont peu à peu niés pratiquement. Elles ont méconnu, oublié
le Christ vivant dans l'Eucharistie ; elles ne l'ont rappelé à leur
•souvenir, que pour l'enfermer étroitement dans les sacristies,
-dans les consciences individuelles, pour réduire le nombre de ses
ministres, pour Lui disputer même la possession de ses Temples,
après avoir fait disparaître, en certaines contrées, son Nom des.
Tribunaux, des écoles, et de la presse officielle.
Or, si l'on outrage le drapeau d'une nation, si un ambassadeur .
reçoit au loin, ne fût-ce qu'un coup d'éventail, on voit soudain la
^nation blessée se dresser frémissante, demandant à laver son
injure dans le sang des coupables.
Et Dieu resterait insensible à l'honneur de son propre Fils
auquel on refuse tous lesjhomrnages dus à son rang ! (1)
La société pourrait traiter en paria le Créateur dans sa
çrçation, refusant, à Lui et à ses ambassadeurs- la justice qu'elle
se vante de rendre même au paria (2).
0 Causeries " nos OEuvres. .-V. Le Règnesocialde Jésus-Hostie,
' sur J :-=--.,- tome 1er.'
(2) Idem.
23. — 166 —
Mais il devenait de plus en plus impossible au coeur du petit-
fils de Bayard, de laisser traiter ainsi Celui dont l'honneur lui
était infiniment plus cher que l'honneur de François Ier ne
l'avait été à son ancêtre. Pour tant d'injustice et de révoltante
ingratitude, il fallait que, non seulement dans les monastères,
mais au sein même de la société civile, il y ait des hommes faisant
profession de réparer et de compenser, par une piété profonde,
les outrages commis envers leur « Dieu sacramenté».
La piété des sociétaires ne devait rien avoir d'individuel dans
le sens restrictif du mot. Leurs communions, toujours très fré-
quentes . et pour la plupart quotidiennes (devançant ainsi le
décret Sacra Tridentina Synodus de Pie X), leur assistance à la
Messe journalière, et en tous cas, paroissiale, leurs prières,
devaient être : réparations, compensations, impêtrations sociales.
L'oreille toujours tendue vers les attaques des sociétés aux
Droits souverains du Christ, ils devaient les réparer en tirant de
leur propre coeur un baume qui panserait les blessures divines,
une huile qui oindrait à nouveau ce Christ, Roi absolu d'eux-
mêmes, de leurs foyers, de la portion du territoire sur lequel ils
avaient droit, de la partie de ia famille humaine sur laquelle ils
exerçaient leur influence.
Trente ans plus tard, une personne qui avait longtemps
critiqué l'oeuvre du P. Drevon, disait : « J'ai reconnu son bon
esprit à ce signe particulier 1:c'est que, quelque temps qu'il passe
devant le Saint Sacrement, pas un sociétaire qui ne paraisse
— Je le crois bien, reprenait un des
toujours attentif et occupé.
membres de la Société du Règne Social, on a toujours, hélas!
tellement à réparer et à compenser ! Entre le dû et le rendu des
hommes la marge est si effrayante, que, sans l'Eucharistie, qui
est à la fois Victime, Rançon et Actions de grâces, nous ne
saurions jamais la combler. Avec une telle tâche, l'ennui ne
peut venir, et le temps d'adoration est toujours trop bref pour
nous ».
.. v La piété de la Société du Règne Social doit encore prouver
sa sincérité par un acte que les monastères, réparateurs et
compensateurs admirables, ne peuvent cependant effectuer.
Elle doit les presser d'instaurer un ordre nouveau de la société
et de ne point pactiser avec le désordre actuel.
De là vient qu'elle a inspiré à ses membres, comme nous le
verrons plus tard, de faire la Consécration au Sacré-Coeur, de
. leur commune, de leur canton, de leur arrondissement, de toutes
les forces vives de la Nation qu'ils possèdent, et qu'il devront
tâcher de plus en plus d'obtenir.
Que de fois leur a-t-on dit : Quelle illusion est la vôtre ; vous
voulez que la Société soit convertie par la reconnaissance du
Règne de Jésus-Christ ; ne voyez-vous pas que la Société ne
24. — 167 —
reconnaîtra le Règne Social de Jésus-Christ que lorsqu'elle sera
convertie ?
A quoi la Société du Règne Social répond : Pourquoi les premiers
Apôtres n'ont-ils pas attendu que les moeurs cruelles et volup-
tueuses du paganisme aient disparu pour oser prêcher Je Règne
de la Croix ? Le Christ a-t-il dit seulement : « Je suis la Vérité
et la Vie. » N'a-t-il pas affirmé aussi : « Je suis la Voie, » la
seule par laquelle on puisse arriver à la vraie Vie. Étant le but
suprême, n'est-il pas en même temps le Moyen ? Étant l'Oméga,
a-t-il cessé d'être l'Alpha de toutes choses ?
— Mais, leur disait-on encore : serez-vous plus ambitieux
pour Jésus-Christ que Lui-Même ne l'était lorsqu'il affirmait :
« Mon royaume n'est pas de ce monde. » — Sans doute, repartait
1a Société du Règne Social, le royaume de Jésus-Christ ne tire pas
son origine de ce monde ; mais pourquoi venait-Il sur la terre et
mourait-Il en Croix ; pourquoi fondait-Il son Église, si ce n'était
pour établir son. Règne en ce bas monde ? Qu'avait-il besoin de
nous apprendre ce cri quotidien : Adveniat Regnum tuum ?
Apparemment, nous n'avions point à demander une chose
déjà existante : sa Domination dans les Cieux...
Les sectaires, quand ils n'étaient qu'une poignée, se sont .
donnés pour les seuls interprètes de la Société et lui ont fait
renier son Roi ; aujourd'hui, ils parlent imprudemment, au nom
de l'humanité entière. Pourquoi nous, les catholiques, aurions-
nous moins d'audace pour rétablir la vérité, qu'eux, pour installer
l'erreur ? Pourquoi nos adorations, nos réparations sociales ne
diraient-elles 'pas à Dieu, pourquoi nos pèlerinages, nos consé-
crations, nos hommages publics ne rediraient-ils pas aux peuples
que les sectaires en ont menti, et que les sociétés de demain,
comme celles d'hier, n'ont d'autre Roi que le Christ, leur Auteur
vivant dans son Eucharistie, et leur montrant son Coeur par
lequel II veut régner. « Fundamentum aliud nemo ponere potest
proeter id quod positum est Christus Jésus » (1) Aucun fondement
pour les Sociétés, sinon Celui qui a été posé : le Christ Jésus.
B - ÉTUDE
Ce sont les idées qui mènent le monde, ont affirmé Platon,
Leibnitz et Bossuet. Comment donc, alors que pendant des
siècles, les nations européennes formant la « chrétienté » s'inspi-
raient du Christ d'ans les grandes lignes de leurs Constitutions,
de même qu'elles étaient nées des Pactes conclus avec Lui,
(Tolbiac, Rutli, Covadonga, etc.) comment, après avoir grandi
et prospéré sous son Règne, sont-elles parvenues à Le nier, à Le
reléguer dans son Ciel, à vivre en dehors de Lui, c'est-à-dire, en
perpétuelles convulsions sociales, résultantes des déliquescences
(1) Ad. Apost, IV, 12, 13.
25. —w —
rnprales ?•— Par les idées.fausses infiltrées dans les veines de la
Société, et émanant des Luther, des Encyclopédistes, des Karl
Max, de tous les fauteurs en mal de rationalisme,' de libéralisme,
de socialisme, dont la dernière conséquence est l'anarchie et le
nihilisme;
Il faut noter ici, qu'aucune erreur n'a osé se présenter au
début, sans se couvrir de quelques loques de vérités empruntées
au christianisme. Tous les meneurs intellectuels ont attaqué la
puissance du Christ dans Fhistqire, dans les arts, dans les sciences,
par atténuation, oblitération, oublis, traits perfides et cauteleux.
La Société du Règne Social prit donc à sa charge le soin de
rétablir la notion intégrale de la Royauté du Christ, non seule-
ment par FéVângélisation de cette vérité (î) mais par l'histoire,
les sciences et les arts.
A- — Par l'Histoire. Jésus-Christ est le premier Personnage
historique. Avant que de paraître sur terre, Il était annoncé, Il
était préfiguré par îes sacrifices constants de l'Humanité.
Personne n'habite et n'agit ici-bas depuis aussi longtemps que
Lui. Pourquoi donc n'aurait-Il pas l'histoire de son Règne, aussi
bien et plus que tant d'autres dont, l'influence a été passagère
et réduite, tandis que la sienne est immense et permanente?
L'Histoire actuelle se tait sur son rôle ou l'oblitère. La Société
du Règne Social la forcera à parler ; elle déterrera les monuments,
die fouillera dans tous les sens les archives humaines et leur fera
dire, tout ce qu'elles contiennent sur l'action sociale de son
Christ. Qr, le Christ vivant parmi nous, c'est l'Eucharistie. Elle
est Mus Çhristus comme dit saint Thomas. Elle est Ipse Rex
Âdest, ce Rqi présent, ainsi, que parle saint Jean Chrysostoriie,
C'est donc l'histoire de l'Eucharistie à travers les siècles et par
çpnséquent, tout le système; social de la chrétienté, que la Société
du Règne Social poursuivra.
Or, dès la fin de 1875, la nouvelle Bibliothèque de Paray avait
déjà posé ses premiers jalons.
La Société du Règne Social avait dû d'abord s'informer de
tout ce qui avait jusqu'alors été créé à la gloire de l'Eucharistie,
tamiser dans d'autres ouvrages ce qui Lui revenait, combler
ensuite de nombreux déficits. Elle avait acquis les catalogues
publiés de toutes les anciennes bibliothèques, des universités,
célèbres d'Europe, de monastères et de collèges; elle avait
sollicité et obtenu à des prix divers, les catalogues manuscrits de
quelques bibliothécaires actuels importants. Enfin, elle s'était
procuré, à prix d'or, de remarquables ouvrages ; et, là où toute
offre de tractation eût été peu respectueuse et repoussée d'avance,
(1)Beaucoupd'entre eux étaientprêtres ou religieux.
26. — 169 —
elle avait copié ou fait copier des extraits de livres d'une haute
valeur. Dès 1885, un compte rendu présenté à Turin, à la première
réunion solennelle de la filiale italienne de la Société, par le Père
Sanna Solaro, put faire l'exposé suivant :
« Paray possède aujourd'hui une Bibliothèque de cinq mille
volumes contenant les oeuvres lesplus appréciées jusqu'à présent,
sur l'Eucharistie et le Sacré-Coeur. » (1)
Depuis, elle s'est augmentée de manuscrits, d'incunables
précieux, et d'ouvrages dûs à la plume des membres de la Société.
B. — Par les arts. — L'art est une expression très juste d'un
état d'âme social. C'est un effet plein de révélations sur les causes
qui le produisent. Si donc, en fouillant les Beaux-Arts à travers
les âges, toiles, sculptures, architecture, objets divers, on trouve
les plus nombreux et les plus précieux convergeant autour de
Jésus-Christ, rappelant, pour la plupart, sa fonction éminemment
sociale de Jésus-Hostie, du sacrifié Divin se livrant par amour ,
pour l'humanité, on'prouvera, d'une façon évidente la grande
place occupée par l'Eucharistie dans la pensée et la Vie des
peuples.
Telle fut l'idée qui présida, en 1878, à la fondation du Musée
du Règne Social de Jésus-Christ. Pendant trente années, M. de• •
Sarachaga fit appel à toutes ses nombreuses relations possédant
des peintures remarquables ; il Visita les Musées du Continent ;
il obtint, au nom de la gloire du Christ Jésus, ou à prix parfois
considérable, une collection unique en son genre, de près de cinq
cents tableaux sur toile, sur bois ou sur cuivre, dont une cinquam-
taine sont des originaux de grands Maîtres, tels que Guido Reni,
Sasso-Ferrato, les Carrache, le Titien, le Tintoret, Carlo Dolce,
Camoncini, Van Eick, Véronèse, Lebrun, Mignard, etc.
En 1882, le futur archevêque de Besançon, l'abbé Gauthey,
pouvait recommander, au Congrès Eucharistique international
d'Avignon, la visite du Hiéron comme un complément indispen-
sable de tout pèlerinage au Sacré-Coeur, en affirmant « que la
Foi en serait fortifiée, le Coeur réjoui, et qu'on y concevrait une
invincible espérance du Règne Magnifique et prochain de l'Eucha-
ristie sur le Monde ».
C. — Par la science. — Là l'entreprise : « Prouver le Règne
de Jésus-Christ par la science », était grosse de difficultés et
d'obstacles. Aujourd'hui, en effet, la science s'est sécularisée,
et, au fond de la plupart de ses informations, on entend affirmer
cette première erreur : La science n'a aucun rapport avec la
religion dont elle s'est heureusement émancipée (2).
(1) Compterendu du R. P. Sanna Solaro,traduit de l'italien par le baron de
Maricourt,Lyon, Imprimerie jévain, 42, rue Sala.
(2) On connaît d'illustres exceptions,telles en France les Pasteur, Cauly,
Lapparent,Branly; Secchien Italie, etc.
27. — 170 —
La science marche en avant, elle évolue, elle se transforme,
sous l'impulsion de nouvelles découvertes, tandis que la Religion
fixée à ses Dogmes, et immobilisée parlaroutine, reste statiohnaire.
Entre la Science et la religion, aucune entente n'est possible.
L'une, c'est l'avenir et ses espérances, l'autre, c'est le passé avec
ses déceptions.
Or, pour la Société du Règne Social, comme pour Léon XIII,
qui le déclare dans son Encyclique Mterni Patris : « Le Christ
est le Restaurateur de la science, puisqu'il est la Force et la
Sagesse de Dieu, et qu'en Lui sont cachés tous les trésors de la
Sagesse et de la Science ».
Il est, conjointement avec son Père, l'Artiste infini de toute
la Création. Rien dans l'univers, depuis le minerai caché dans les
entrailles de la terre, jusqu'à l'astre perdu dans les deux, qui ne
révèle sa Sagesse et ne doive chanter sa gloire.
De plus, comme il est essentiellement Un et Vrai, rien dans
les ouvrages de ses mains qui puisse démentir les paroles de sa
révélation. La Société du Règne Social se mit donc à chercher les
preuves abondantes par lesquelles la vraie science confirme de
tous points le plan divin de la Création, tel que la Genèse nous
l'a montré.
En outre, par des collections scientifiques réunies dans les
salles du Hiéron, on s'est essayé à mettre en lumière que Jésus-
Hostie est bien le Fondement de l'ordre cosmologique et biolo-
gique. Une fois de plus, il faut que les esprits qui ne sont point de
parti, pris conviennent que « Tout a été fait pour le Verbe et que
rien n'a été fait sans Lui ».
(A suivre)' G. DE NOAILLAT
Directeur du Hiéron
et de la Société du R. S. de J.-C.
28. -— 171 —
* ... •
La Fête du Coeur de Jésus
dans la Congrégation de Jésus et Marie.
Ni les bienheureux dans le ciel, ni les amis du Sacré-Coeur sur
la terre, ne pourraient être « particularistes » sans froisser le Christ
dont l'amour est infini.
En cette année jubilaire où tous les yeux se tournent avec
bonheur vers sainte Marguerite-Marie, l'un des bonheurs de
l'heureuse Apôtre est de voir rendre à ses devanciers les honneurs
qui leur sont dûs.
Parfois, pendant que j'écoutais ses panégyristes, il m'a semblé
la voir se tourner vers quelques-uns de ses amis et leur rendre
justice...
...Cher et vénéré Père Lebrun, soyez sûr que vous faites plaisir
. à sainte Marguerite-Marie, en rappelant ce que fit le bienheureux
Jean Eudes, pour établir une fête qu'elle désira de toute son âme,
qu'elle promut de tout son pouvoir.
* **
« C'est dans la Congrégation de Jésus et Marie dit le bienheu-
reux Jean Eudes, que l'on a commencé à célébrer solennellement
les fêtes du Coeur admirable de Jésus et de Marie. Et l'on ne doit
. pas avoir égard à l'extrême et infinie indignité de celui dont
Dieu s'est servi pour les établir, qui est le dernier de tous les
hommes, le premier de tous les pécheurs et le plus indigne de
tous les prêtres. Mais le grand Dieu qui a fait le monde de rien
et qui l'a racheté sans qu'il ait en rien contribué à sa rédemption,
a coutume de choisir les choses les plus viles et les plus basses
et qui ne sont point, pour., faire ce qu'il lui plaît. Ne s'est-il pas
servi de sainte Julienne, qui était une pauvre religieuse de l'ordre
de Cîteaux pour porter le pape Urbain IV à établir la solennité
du Très Saint Sacrement de l'autel (1) ? »
C'est en 1680, au plus tard, que le P. Eudes tenait ce langage.
A cette époque, personne ne songeait à contester l'exactitude
de ses paroles, car la fête du Coeur de Jésus, comme la fête du
Coeur de Marie, n'existait que dans ses instituts ou dans les
milieux soumis à son influence. Aujourd'hui^ peut-être surpren-
dront-elles plus d'un lecteur. Nous voudrions consacrer le présent
article à en montrer le bien-fondé en racontant l'institution de
(1) B. JEAN Coeur dmirable, . VIII, en. m, sect. 12.
EUDES, a L
29. -. — 173 —
la fête du Coeur de Jésus dans la Congrégation de Jésus et Marie
et en étudiant les rapports qui existent entre la fête établie par
le P^ Eudes et celle du vendredi après l'octave du Saint Sacrement.
I
Jean Eudes naquit à Ri, près d'Argentan, diocèse de Séez,
le 14 novembre 1601. Après de brillantes études chez les Jésuites
de Caen, il entra dans la Congrégation de l'Oratoire où il fut reçu
le 25 mars 1623, Il quitta l'Oratoire, le 25 mars 1643 pour fonder
une société nouvelle, la Congrégation de Jésus et Marie, à laquelle
il assigna comme fin principale la formation des clercs dans les
séminaires et comme fin secondaire le renouvellement de l'esprit
chrétien dans le peuple par les exercices des missions. Il dédia
la société naissante aux Sacrés Coeurs, ou, epmme il disait
volontiers, au Sacré Coeur de Jésus et de Marie, expression qui
nous étonne aujourd'hui, niais qui, de son temps, était conforme
au langage courant (1). il affirme même que c'est en grande partie
pour honorer les Sacrés Coeurs qu'il avait institué sa société.
« Cette Congrégation, dit-il, est toute dédiée et consacrée à ce
divin Coeur (de Jésus et de Marie); et une des principales fins
pour lesquelles elle a été établie est pour honorer particuliè-
rement ce Coeur très auguste qu'elle regarde et respecte comme
son premier et principal Patrùn et comme la règle et l'exem
plaire qu'elle propose à ses enfants, afin qu'ils s'étudient d'y
conformer les sentiments et affections de leur Coeur (2) ».
On voit par là que pour les enfants du P. Eudes, la dévotion
aux Sacrés Coeurs n'est pas une pratique secondaire, ajoutée
après coup; elle est, au contraire, fondamentale, puisquel a Congré-
gation a été établie pour honorer les Sacrés Coeurs, qu'elle leur
est entièrement dédiée et qu'elle les considère comme ses patrons
et sa règle principale. D'où ces paroles du Bienheureux dans son
office du Coeur de Jésus :
Pars nostra, spes et gaudium,
Coetusquetiosiri gloria.
Car, flamma, dux, oràculum
Orlgo, finis, omniù (3).
Voilà certes une nouveauté digne de remarque et qui fait
grand honneur au P. Eudes. Avant lui, les Sacrés Coeurs avaient
trouvé des adorateurs dévoués dans beaucoup d'instituts religieux,
mais aucune société, pas plus la Visitation que les autres, ne
s'était placée sous leur patronage et vouée à leur culte.
(1) Voirce que nous avonsdit de cette expression
danslesOEuvres complètes
duB. Jean Eudes,VI, p. Lxxxyiii-xciv. pjraussiLa dévotion Coeur e Marie,
V w d
p,'52 ; Le Bienheureux EudesetlecultepublicduCoeiirde
Jean Jésus,$. 17.
(2)Coeur dmirable,h.VIII, ch. in, sect;12.
a
(3)Hymnedé Matines, e strophe.
4 Ï
30. — 173—: -'
;
Nous h'àVons pas à raconter ici tout ce que lé P.'Eudes à
fait pour l'organisation du culte des Sacrés Coeurs dans sort
institut : cela nous entraînerait trop loin. Occupons-nous séù*-
lement de ce qui fait le sujet de cet article, la fête du Coeur dé
Jésus.
Il semble que, dès 1643, trente ans aVant les premières révé-
lations de sainte Marguerite-Marie, le Bienheureux s'était décidé
à établir cette fête dans sa société. « Dès le 26 octobre 1643;
c'est-à-dire sept mois après qu'il eût jeté les fondements dé sa
Congrégation, dit le P. Martine, le P. Eudes écrivit au P. Matt-
noury une lettre dans laquelle il lui marquait quand et de quelle
manière on devait réciter la salutation du Très Saint Coeur (1).
Il lui marquait aussi les deux fêtes qu'il fallait célébrer tous les
ans en l'honneur de ces deux Coeurs (2) ». Dès cette époque, en
effet, avec l'approbation de Mgr d'Angennes, évêque de Bayeux,
il fit célébrer dans sa Congrégation une fête solennelle du Coeur
de Marie qui plus tard fut approuvée par un assez grand nombre
d'archevêques et d'évêqùes et même par le Cardinal Louis de
Vendôme, légat à lalerè du Pape Clément IX. La fête nouvelle
fut adoptée par bon nombre de communautés (3). Dès qu'il la
vit solidement établie, ie P. Eudes songea à compléter son oeuvre
eri instituant une fêté semblable en l'honneur dû Coeur de Jésus.
Dans ce but, il composa un office et une messe propres qui
furent approuvés lé 20 avril 1670, par Mgr de la VieùVillë, êvêqué
de Rennes, le 29 juillet par Mgr de Loiriénie de Brieririe, évêque
de Coûtantes, le 8 octobre par Mgr de Maùpas du Tour, éyêqûe
d'Évreux, le 3 février 1671, par Mgr de Hârlay de Chàmpvâlibn,
archevêque de Rouen, lé 16 mars de la même année par Mgr de
Nèsmond, évêque de Bayeux et le 27 septembre suivant par
Mgr de Matignon; ëvèquè de Lisiéùx (4).
L'office Composé par le P. Eudes est ûri office coriiplët avec
dès leçons pour les huit jours dé l'octâvé. Antiennes, psâùhîès,
versets, leçons, répons, bràisbn, irivitatôïre, tout est propre dans
cet office comme dans celui des grandes fêtés de l'Église. Les
hymnes ont été composées par lé'Bienhëûfeux ; les autres parties
de l'office sont empruntées à la Sainte Écriture et aux écrits
du Pères ; mails en combinant les textes choisis et en les adaptant
à la dévotion du Sacré-Coeur, lé P, Eudes a su imprimer à son
office un caractère personnel très marqué et en faire ùrie oeuvre
à la fois très Originale et très une. La pensée dominante est telle
(1) Voircette salutationdans notre livrésur là Dévotion Coeur eMarie.
au d
(2) MARTINE, Viedu P. Eudes,L. VIII, n. 25.
(3? Nousavonslonguement arlé,de Cettefête dans notre livresur là Dévotion
p
au Coeur e Marie.
d
(4}Voircesapprobations, ont quelques-unes très belles,dansnotre livre:
d sont
LeBienheureux EudesettecultepublicditCoeur eJésus, p. 29-36.
Jean d
31. — 174 —
que Notre-Seigneur développe dans le discours après la Cène,
lorsqu'il rappelle à ses apôtres l'amour qu'il n'a cessé de leur
témoigner et les exhorte à demeurer dans son amour et à s'aimer
étroitement les uns les autres.
La messe roule sur le même thème que l'office et ne lui est
inférieure à aucun point de vue. La prose, imitée du Lauda Sion,
est remarquable. Le P. Eudes y célèbre avec des transports de
joie et d'amour les gloires du Sacré-Coeur. L'élévation de la pensée,
la vivacité du sentiment et la perfection.de la forme en font un
vrai chef d'oeuvre.
Les écrivains qui se sont occupés de la messe et de l'office
du Bienheureux sont unanimes à en faire l'éloge.
« On n'y respire, disait Zaccharia (1), que la plus suave dévo-
tion et, en les lisant, il est aisé de voir que, pour les composer,
le P. Eudes s'est encore plus inspiré des sentiments de son coeur
que des lumières de son esprit. »
« Cet office, disait naguère le cardinal Satolli, est empreint
d une piété si suave et si ardente que seul le coeur d'un saint peut
rencontrer de pareilles formules (2) ».
« C'est là, en effet, écrit le P. Bainvel (3), une oeuvre originale,
qui rappelle par endroits l'incomparable office du Saint Sacrement
pour le mélange harmonieux d'une pensée riche et profonde, de
l'enthousiasme poétique, de la piété suave et solide, toute nourrie
de l'Écriture et des Pères... C'est de la grande et belle liturgie,
qui étendra et prolongera l'influence du P. Eudes jusque dans les
milieux les plus imprégnés de la dévotion de Paray. »
« Le P. Eudes, dit de son côté M. Gastoué (4), a. composé une
admirable messe avec office pour une fête propre du Sacré Coeur
de Jésus... Dans son oeuvre, le Bienheureux réunissant la moelle
la plus suave de tout ce qu'on avait écrit sur ce sujet, arrive à une
élévation de pensée et de forme rarement atteinte. Le sens litur-
gique le plus pur a inspiré ce bel office... Quel lyrisme dans toute
la messe..., surtout dans l'admirable prose où le P. Eudes sut
chanter l'amour de Jésus pour nous avec des accents dignes des
plus grands poètes liturgiques du Moyen-Age. »
Dans son livre sur la Mère de Saumaise (5), le P. de Curley
étudie la messe du P. Eudes, qu'il attribuait par erreur à la mère
Joly : « Si nous avions, dit-il, à donner un nom à cette messe,
nous l'appellerions la Messe de feu. C'est' l'éternel amour éclatant
en notes suppliantes et attendries ».
(1)ApudLEDORÉ, LesSacrésCoeurs,, p. 231.
I
(2) LEDORÉ, circulairedu 6 janvier 1909,p. 6. .
(3) La dévotionu Sacré-Coeur, êdit, p. 400^01.
a 3e
(4) L'Eucharistie,16 juin 1912.
(5) Page 181.
32. — 175 —
Les évêques de Rennes, de Coutances, d'Évreux, de Rouen,
de Bayeux et de Lisieux avaient autorisé le P. Eudes à célébrer
la fête du Coeur de Jésus dans les séminaires fondés par lui dans
leur diocèse (1). Presque tous lui avaient même permis d'en faire
l'office le premier jeudi de chaque mois non occupé par un office
à neuf leçons. Tout était donc pfêt pour l'inauguration de cette
grande fête. Le 29 juillet 1772, le P. Eudes en prescrivit la célé-
bration dans ses séminaires, par une circulaire imprimée dont
voici le texte :
« MES BIEN CHERS ET TRÈS AIMÉS FRÈRES,
« C'est une grâce inexplicable que, notre très aimable Sauveur
nous a faite de nous avoir donné dans notre Congrégation le
Coeur admirable de sa très sainte Mère ; mais sa bonté, qui est
sans bornes, a passé bien plus outre, en nous donnant son propre
Coeur pour être, avec le Coeur de sa glorieuse Mère, le fondateur
et le supérieur, le principe et la fin, le coeur et la vie de cette
Congrégation.
« Il nous a fait ce grand don dès la naissance de la même
Congrégation ; car, quoique jusqu'ici nous n'ayons pas célébré
une fête propre et particulière du Coeur adorable de Jésus, nous
n'avons pourtant jamais eu intention de séparer deux choses que
Dieu a unies si étroitement ensemble,' comme sont le Coeur très
auguste du Fils de Dieu et celui de sa bénite Mère : au contraire,
notre dessein a toujours été, dès les commencements de notre
Congrégation, de regarder et honorer ces deux aimables Coeurs .
comme un même coeur en unité d'esprit, de sentiment et d'affec-
tion, ainsi qu'il paraît manifestement en la salutation que nous
disons tous les jours au divin Coeur de Jésus et de Marie, comme
aussi en l'oraison et en plusieurs endroits de l'office et de la messe
que nous célébrons en la fête du Coeur sacré de la même Viere.g
« Mais la divine Providence, qui conduit toutes choses avec
une merveilleuse sagesse, a voulu faire marcher la fête du Coeur
de la Mère avant la fête du Coeur du Fils, pour préparer les voies
dans les coeurs des fidèles à la vénération de ce Coeur adorable,
et pour les disposer à obtenir du Ciel la grâce de cette seconde
fêter par la grande dévotion avec laquelle ils ont célébré la pre-
mière. Car encore que celle-ci ait été combattue par l'esprit du
monde, qui nç manque jamais de s'opposer à tout ce qui procède
de l'esprit de Dieu, aussitôt néanmoins qu'elle commença à
paraître aux yeux de ceux qui font profession d'honorer parti-
culièrement la très sainte Mère de Dieu, ils la regardèrent avec
joie, l'embrassèrent avec ardeur et Font célébrée depuis plusieurs
années avec beaucoup de ferveur ; et aujourd'hui elle est solen-
riisée par toute la France, et en plusieurs ordres et congrégations
0
(1) On sait que, au XVII et au xvine siècle, es évêquesde Francese croyaient
l
le droit d'établir des fêtes nouvellesdans leur diocèseet que Rometolérait leur
manièred'agir.
33. - .
y,: ^' 176 — -,
religieuses, àvëé tant dë: bénédictions qu'il y à sujet d'espérer
qu'elle se célébrera un jour très solennellement par tout FùniversL
« C'est cette ardente dévotion des vrais enfants dû Coeur delà
Mère, d'amour, qui l'a obligée d'obtenir de son Fils bien-aimé
cette faveur très signalée qu'il a faite à son Église, de lui donner
là fête de son Coeur royal, qui sera une nouvelle source d'une
infinité dé bénédictions pour ceux qui se disposeront à la célébrer
saintement.
« Mais qui est-ce qui ne le ferait pas ? Quelle solennité plus
digne* plus sainte, plus excellente que celle-ci qui est le principe
de tout ce qu'il y a de grand, de saint et de vénérable dans toutes
les autres solennités ? Quel coeur plus adorable, plus admirable
et plus aimable que le Coeur de cet Homme-Dieu qui s'appelle
Jésus ? Quel honneur mérite ce Coeur divin qui a toujours rendu
et rendra éternellement à Dieu plus de gioire et d'amour en chaque
moment que tous les coeurs des hommes et des Anges, ne lui en
pourront rendre en toute l'éternité ? Quel zèle devons-nous
avoir pour honorer ce Coeur auguste qui est la source de notre
salût, qui est l'origine de toutes les félicités du ciel et de la terre,
qui est une fournaise immense d'amour Vers nous et qui ne songe,
jour et nuit* qu'à nous faire une infinité de biens, et qui est enfin
crevé de douleur pour nous en la croix, ainsi que le Fils de Dieu
et sa très sainte Mère l'ont déclaré à sainte Brigitte* au rapport
d*un excellent docteur, M. Bail.
,.. « Si on objecte la nouveauté de cette dévotion*-je répondrai
qùë la nouveauté dans les choses de la foi est très pernicieuse,
niais qu'elle est très bonne'dans les choses de la piété. Autrement
il faudrait réprouver toutes lès fêtes qui se font dans l'Église* qui
ont été nouvelles quand on a commencé de les célébrer; spécia*-
lement celles qui ont été établies les dernières, comme les fêtes
du Très Saint Sacrement; du saint Nom de Jésus, de la Conception
immaculée de la sainte Vierge; de son saint nom de Marie, de ses
grandeurs, de Notre-Dame de Pitié, de l'Expectation, de Notre--
Dame de là Victoire au diocèse de Paris; et plusieurs autres; et
un grand nombre dé nouvelles fêtes de saints qu'on à ajoutées
au bréviaire romain. Si on dit que cela s'est fait par l'autorité
de Notre Saint-Pèré le Pape; je répondrai avec saint François
dé Sales et un très grand nombre de très illustrés et" savants
Prélats et de grands docteurs, que chaque évêque dans son diocèse*
spécialement en France* a le même pouvoir en ce sujet que le
souverain pontife en toute F Églises
« Reconnaissonsdonc, nies très chers Frères, là grâce infime
et la faveur ihcompréhéùsiblë dont notre très bon Sàùyèùr honore
notre Congrégation de lui donner son très aimable Coeur avec le
Coeur très aimable dé sa saihte Mère. Ce sont deux trésors ines-
timables qui comprennent une immensité de biens célestes et de
34. — .177 —.-"'
richesses éternelles, dont il la rend dépositaire pour ensuite les
répandre par elle dans les coeurs des fidèles.
« Humilions-nous infiniment en la vue de notre indignité
infinie au regard de choses si grandes. Entrons dans une profonde
reconnaissance vers la bonté ineffable de notre très bénin Sauveur
et la charité incomparable de sa très chère Mère et la nôtre. Ne
cessons point de les bénir, louer et glorifier et d'inviter tous les
Saints et toutes les créatures à les bénir et remercier avec nous.
Embrassons avec joie et jubilation la solennité du divin Coeur
'
de notre très aimable Jésus.
« En voilà l'office et la messe que je vous envoie, approuvés
de tous Messieurs nos Prélats ; employons tout le soin, la dili -
gence et la ferveur possible pour la bien célébrer.
« Pour cet effet :
1° Invitez-y tous nos amis et toutes les personnes de dévotion.
2° Si vous recevez ce paquet assez tôt, faites-la publier ;
s'il y avait du temps, il faudrait y prêcher.
3. Jeûnez la veille de la fête.
'
4. Faites dîner douze pauvres au réfectoire en la veille ou
surveille. N
« Enfin, je vous conjure, mes très chers Frères, de célébrer
cette fête avec toute la dévotion et solennité que vous pourrez
et de me récrire ensuite comme elle se sera passée, et vous
réjouirez celui qui vous désire les plus saintes bénédictions dé
notre très bon Sauveur et de sa très douce Mère et qui est dans
l'amour sacré de leur divin Coeur, mes très chers Frères,
« Votre indigne serviteur,
« JEAN EUDES».
Paris, 29 juillet 1672.
Plus on étudie cette circulaire et plus on la trouve remar-
quable. En même temps qu'elfe inaugure dans l'Eglise catholique
la fête du Coeur de Jésus, elle en détermine l'objet avec précision,
en montre l'excellence, et en établit la légitimité en écartant à
l'avance cette objection de nouveauté qu'on a ressassée dans
tout le cours du XVIII»siècle.
Le 20 octobre 1672, deux ans avant les premières révélations
de Paray-le-Monial, dans les séminaires de Rennes, de Coutances,
de Caen, de Lisieux et d'Evreux, on célébra donc solennellement
la fête du Coeur de Jésus sous le rite double de lre classe avec
octave. A Rouen, Mgr de Médary, qui venait de succéder à
Mgr de Harlay, refusa d'en permettre la célébration ; mais dès
l'année suivante, au dire du P. Martine, il revint sur sa décision,
et, le 20 octobre, la fête du Coeur de Jésus put être célébrée au
35. 178 —
Séminaiie de Rouen comme dans les autres séminaires du
P. Eudes.
Dès 1674, le Bienheureux eut la consolation de voir la fête
nouvelle adoptée par les Bénédictines de Montmartre. ,
-..A une époque que nous ne pouvons préciser elle fut également
reçue par les Bénédictines du Saint Sacrement.
Toutefois le déclin de ses forces et la persécution dont il fut
l'objet pendant les dernières années de sa vie empêchèrent le
saint missionnaire de propager comme il l'aurait voulu la fête
établie par lui. Epuisé par le travail et la souffrance plus encore
que par l'âge, il mourut à Caen, le 19 août 1680, dans lessenti-
; rflents de la plus vive piété.
• Il laissait un testament dont l'article 10 est ainsi
conçu :
« De toute l'étendue de ma volonté, je me donne à l'amour
incompréhensible par lequel mon Jésus et ma toute bonne Mère
m'ont donné leur très aimable Coeur d'une manière spéciale, et
en union de ce même amour, je donne ce même Coeur comme
une chose qui est à moi et dont je puis disposer pour la gloire de
mon Dieu ; je le donne, dis-je, à la petite Congrégation de Jésus
et Marie pour être le partage, le trésor, le patron principal, le
coeur, la vie et la règle des vrais enfants de cette Congrégation.
Comme aussi je donne et dédie cette même Congrégation à ce
divin Coeur pour être consacrée à son honneur et à sa louange
dans le temps et l'éternité, suppliant et conjurant tous mes bien-
aimés frères de s'efforcer d'y rendre et faire rendre tout l'honneur
qui leur sera possible ; d'en célébrer les fêtes et les offices aux jours
qui sont marqués dans notre Propre, avec toute la plus grande
dévotion qu'ils pourront, et de faire quelques exhortations sur
ce sujet dans toutes les missions; de s'étudier à imprimer dans
leurs coeurs une image parfaite des vertus de ce très saint Coeur,
de le regarder et de le suivre comme la règle primitive de leur
vie et de leurs déportements, et de se donner à Jésus et à Marie
dans toutes leurs actions et exercices pour les faire dans, l'amour,
dans l'humilité et dans toutes les autres, dispositions de leur
Sacré Coeur, afin que, par ce moyen, ils aiment et glorifient
Dieu avec un coeur qui soit digne de Dieu, Corde magno et anima
volenti, et qu'ils soient selon le Coeur de Dieu et les vrais enfants
du Coeur de Jésus et de Marie. »
Quelles paroles !
On en chercherait vainement de pareilles sous la plume des
autres apôtres du Coeur de Jésus.
Le P. Eudes affirme avec une splendide assurance que Jésus
et Marie lui ont donné leur coeur et qu'il en peut disposer comme
d'un bien propre pour la gloire de Dieu. Et de fait, il dispose des
Sacrés Coeurs, il les lègue à sa Congrégation et il veut qu'ils
soient U partage, k• trésor, le patron principal, le coeur, la vie et
36. . '., . • —'.179-,—: :
la règle de ses enfants, D'autre part* il dédie et consacre une der-
nière fois sa Congrégation aux Sacrés Coeurs et il supplie ses
enfants d'être fidèles à les honorer de diverses manières, mais
spécialement par la célébration des fêtes qu'il avait instituées
en l'honneur de l'un et de l'autre.
Les enfants du Bienheureux se sont montrés fidèles aux
recommandations de leur Père. Le Coeur de Jésus est resté, avec
le Coeur de Marie, l'objet préféré de leur dévotion et de leur
apostolat. Le Souverain Pontife a daigné les autoriser à conserver
les fêtes établies par leur bienheureux Fondateur et à se servir
pour les célébrer des messes et offices composés par lui. Aujour-
d'hui, comme en 1672, ils ont donc la consolation de célébrer la
fête du Coeur de Jésus, le 20 octobre, sous le rite double de pre-
mière classe avec octave; et les Religieuses de Notre-Dame de
Charité du Refuge et du Bon Pasteur, dont les couvents au
nombre de plus de 300 se rencontrent dans toutes les parties
du monde, jouissent du même privilège.
II
Nous venons de raconter l'origine et l'histoire de la fête
instituée par le P. Eudes en l'honneur du Coeur de Jésus. Tout
le monde sait que, dans les dernières années du xvne siècle, à la
suite des révélations de Paray-le-Monial, une autre fête du Sacré-
Coeur fut établie dans les monastères de la Visitation et fixée au
vendredi qui suit l'octave du Saint Sacrement. Beaucoup de
communautés l'adoptèrent ; plusieurs évêques la firent célébrer
dans leur diocèse et finalement, après de longues discussions,
le Saint Siège l'approuva le 26 janvier 1765.
Cm peut se demander quel rapport il y a entre la fête du
P. Eudes et celle du vendredi après l'octave du Saint Sacrement.
Il est incontestable qu'elles sont indépendantes l'une de l'autre
dans leur origine, que la fête de Paray-le-Monial se rattache plus
étroitement à l'Eucharistie que celle du Bienheureux et que la
réparation y occupe plus de place ; mais, à cela près, ces deux
fêtes ont le même objet et la même fin. Leur objet commun, c'est
le coeur de Jésus, son coeur de chair qui constitue l'objet sensible
de la dévotion, et son amour, qui en est l'objet spirituel, son
amour incréé aussi bien que son amour créé, son amour pour
son Père aussi bien que son amour pour nous. Leur fin commune,
c'est de rendre au Coeur de Jésus, le culte auquel il a droit et
tout spécialement de répondre à son amour en l'aimant de tout
notre coeur.
Bien entendu, il y a des nuances dans la manière d'envisager
le Coeur de Jésus et il va de soi qu'elles influent sur la pratiqué
de la dévotion. Il n'en est pas, en effet, du Coeur de Jésus comme
des mystères particuliers de la vie du Sauveur que l'Eglise honore
par dés fêtes spéciales. Ces mystères, celui de F Incarnation, de la