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1
Master en Sciences de la Population &
du Développement
Le projet participatif chaviste
Une révolution à travers le prisme de la société-civile
Présenté par : Robin ABRIC
Promoteur : G. PIROTTE
Année Académique 2013-2014
2
3
Table des matières
Introduction............................................................................................................................................. 4
Première partie: Donner un cadre de lecture à la société civile............................................................. 6
A) Une conception à l’épreuve du temps ........................................................................................ 6
a) L’ordre politique Antique ........................................................................................................ 6
b) L’Etat civil................................................................................................................................. 7
c) La société civile de l’individu: un contre-pouvoir.................................................................... 7
d) Le tiers secteur pour gommer les imperfections .................................................................... 8
B) La société civile au secours de la Démocratie............................................................................. 9
a) Un monde à trois dimensions ................................................................................................. 9
b) La Démocratie Participative .................................................................................................. 10
Deuxième partie : la politisation de la société civile par les pouvoirs publics ...................................... 11
A) L’arme du pétrole...................................................................................................................... 11
a) La loi organique des hydrocarbures...................................................................................... 11
b) Le pays de l’or noir ................................................................................................................ 12
c) Un enjeu politique d’utilité révolutionnaire.......................................................................... 12
B) Les programmes sociaux ........................................................................................................... 13
a) Une situation économique et sociale exsangue.................................................................... 13
b) Les premières Missions ......................................................................................................... 14
C) Vers encore plus de participation ............................................................................................. 16
a) Les conseils locaux................................................................................................................. 16
b) L’élan coopératif.................................................................................................................... 16
Troisième partie : la société civile, un obstacle au socialisme du 21eme siècle................................... 17
A) Un fait participatif à deux vitesses................................................................................................ 18
a) L’associatif comme contre-pouvoir....................................................................................... 18
b) L’outil législatif ...................................................................................................................... 18
B) La poussée des conflits sociaux................................................................................................. 19
a) Les raisins de la colère........................................................................................................... 19
b) L’intronisation de la violence ................................................................................................ 20
C) L’entêtement du régime............................................................................................................ 20
a) Un projet porteur d’espoir .................................................................................................... 21
b) Beaucoup trop nombriliste.................................................................................................... 21
Conclusion ............................................................................................................................................. 22
Bibliographie.......................................................................................................................................... 24
4
Introduction
Le 5 mars 2013 restera une date importante dans le paysage politique Vénézuélien et dans
l’histoire du pays. Le président Hugo Chavez meurt des suites d’un cancer alors qu’il vient de se faire
réélire pour la troisième fois (en 2012), au poste de Président de la République. Il occupait cette fonction
depuis le début de son premier mandat en 1999. Sa mort renvoie alors à tout un pays, l’interrogation de
son devenir et de ses choix politiques futurs. Ils sont aujourd’hui assumés dans la continuité de Chavez
par un de ses plus proches disciples, Nicolas Maduro.
Il n’est pas question de s’attaquer frontalement aux enjeux et défis post-chaviste. Ce travail
cherche avant tout à élucider le phénomène Chavez et aller au-delà de la simple dichotomie pro ou anti
chaviste. Le Venezuela a été sous Chavez et est toujours une société profondément fragmentée dans le
sens où elle clive, elle divise la population en deux parties distinctes: les pauvres et les riches, pourrait-
on dire pour être un brin réducteur. On parlera ici de deux visions de vie en société qui s’affrontent.
D’un côté, le Néolibéralisme et de l’autre le Socialisme du 21ème
, un projet qu’on qualifie et que Chavez
qualifiait lui-même d’anti-néolibéralisme mais qui mérite d’être étudier pour ce qu’il est réellement et
non seulement dans sa simple opposition.
L’arrivée au pouvoir de Chavez en 1999, après un premier coup d’état manqué en 19921
, marque
avant tout la fin d’un système politique planifié et bien trop prévisible. On a longtemps qualifié le
Venezuela : « d’exception vénézuélienne » pour son système démocratique des années 60 à 80 dans une
Amérique Latine, alors confrontée à une pluralité de dictateurs. Le Venezuela est une démocratie certes,
mais une démocratie qualifiée de « contrôlée » (Mouterde, 2012) qui prend source dans un pacte
politique établit dans la propriété de « PuntoFijo » en 1958. Il établit un régime d’alternance au pouvoir
entre les grands partis politiques du pays (tous bords confondus) et prétend stabiliser définitivement le
processus démocratique contre les coups d’états. Dans une période comme la Guerre Froide et face à la
menace cubaine contre le « monde libre », le pays fût une zone géopolitique stratégique pour les Etats-
Unis et l’objet de toutes les convoitises, notamment pour son pétrole (nous en reparlerons). Cette alliance
de « Punto Fijo » fige en quelque sorte la démocratie et limite toutes nouvelles alternatives politiques.
La politique de Chavez, c’est le socialisme du 21ème
siècle, qu’on peut qualifier aussi de projet
bolivarien2
. C’est selon son instigateur, une révolution qui se veut avant tout sociale et indépendante de
1
Le 4 février 1992, avec l’appui de plus de 2000 hommes, Chavez et quelques collaborateurs lancent une opération militaire
visant à destituer le président, alors en exercice Carlos Andrés Perez, en cherchant à s’emparer des principaux lieux de pouvoir
de la capitale: le palais présidentiel de Miraflores, l’aéroport de Carlota ainsi que le musée Militaire. Cette opération, ponctuée
de nombreux imprévus est un échec et Chavez sera emprisonné par la suite. Néanmoins, il s’est construit auprès de la
population, une image et une solide réputation de défendeur du peuple, à partir de ce coup manqué.
2
Chavez fait référence à la figure de Simon Bolivar, qui à l’aube de la fin de l’Empire colonial Espagnol va tenter de créer un
projet d’Amérique du Sud unifiée mais surtout indépendante.
5
l’impérialisme américain3
. Mais qu’entend-on par le mot révolution? Le dictionnaire Larousse parle de
« changement brusque, d’ordre économique, moral, culturel qui se produit dans une société ». La
révolution vénézuélienne, si elle a pour point de départ la victoire électorale d’un ancien militaire
putschiste, n’a cependant jamais remis en cause les deux piliers du pays : le pétrole et la politique
étrangère. Qu’en est-il alors? Nous utiliserons ici les lumières d’Antonio Gramsci à travers sa
conceptualisation de l’hégémonie pour appréhender la vision Chaviste.
Le socialisme du 21ème
siècle, c’est une croisade contre une population à la solde du
néolibéralisme qui tient d’une main de fer le pays alors qu’une grande majorité de la population vît dans
une extrême pauvreté. Gramsci montrait que le pouvoir politique reposait sur deux dimensions: l’autorité
(l’exercice de la violence légitime) et l’hégémonie. Pour renverser la classe dominante, et occuper une
place politique sur le devant de la scène sur le long terme, il ne suffit pas de renverser les anciens
dirigeants et de les mettre hors-jeu, il faut aussi gagner « le consentement de larges secteurs de la
population, c’est-à-dire apparaître comme la direction intellectuelle ou idéologique de la société
entière. » (Gramsci, 1975)
C’est cette hégémonie que va tenter d’organiser Hugo Chavez. C’est alors les grands débuts du
projet participatif mis en œuvre dès son arrivée, dans la nouvelle Constitution de 19994
. A côté des
pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, on introduit le pouvoir électoral et le pouvoir citoyen. Sur le
papier, la démocratie participative est mobilisée comme le complément de la démocratie représentative.
« El présidente » marque un profond rapprochement avec le peuple, ce qui lui vaudra l’accusation de
populiste. Sur ce point, Pierre Rosanvalon définît le populisme telle une « forme extrême antipolitique »
(Rosanvalon, 2006, p276) dans le sens où le souverain va s’intéresser à un peuple hétéroclite de manière
homogène en exacerbant son mécontentement, pour s’abroger ses faveurs5
.
Il est alors intéressant de voir comment cette population à travers la perche tendue par la
Constitution de 1999 va faire usage de son droit de participation au destin du pays et quelle est donc la
place que cette dernière occupe dans le processus hégémonique et participatif du socialisme du 21ème
siècle?
Nous utiliserons tout au long de ce travail la notion de « société civile» comme prisme de la
population. La première partie du travail consiste à poser les bases théoriques de ce concept et ses liens
3
Il est important de noter ici l’importance que l’Amérique Latine a constituée depuis des décennies dans la stratégie
géopolitique des Américains. On se rappelle des théories de M Friedmann qui se sont dispersés dans nombreux pays latinos
ainsi que la dépendance en ressources des Etats-Unis qui consomme alors de l’énergie comme personne ne l’a eu fait
auparavant.
4
Il la distribuera sous forme de petits livres à l’entièreté de la population, symbole de sa volonté de s’accaparer le soutien du
peuple.
5
Le but de ce travail ne réside en rien dans le fait de savoir si Chavez est populiste ou pas. Il apparaissait tout simplement utile
de mentionner ce fait qui fait amplement débats aujourd’hui dans nombreuses sociétés et pas seulement au Venezuela, mais
aussi en France par exemple avec le mouvement du Front National.
6
étroits avec la démocratie participative pour ensuite étudier à la loupe les tentatives de mobilisations et
d’évitements de cette dernière par l’appareil étatique dans le cadre du projet politique chaviste.
Première partie: Donner un cadre de lecture à la société civile
L’exercice de définition de la notion de société civile n’est pas une mince affaire tant ce mot
composé est utilisé à toutes les sauces autant au niveau des institutions (aussi bien nationales,
qu’internationales, Banque Mondiale en tête) que sur le plan médiatique et scientifique. Il est alors
compliqué de donner un sens univoque et rectiligne à cette sorte de Buzz-Word « qui s’est imposé ces
dernières années avec succès sans que ce vocable ne revête toujours un sens précis » (G.Pirotte, 2007,
p4). L’exercice consiste dans cette première partie du travail à d’avantage donner un cadre de lecture du
concept, plutôt que de s’attaquer à une définition en bonne et due forme. Il est important dans un premier
temps, d’appréhender l’apparition du terme société civile et les différentes caractéristiques qu’il arbore
de manière diachronique, afin de permettre au lecteur de considérer les changements de perception du
concept. La société civile se base sur trois dimensions, trois fondations sur lesquelles, elle va se
construire. On parlera ici du pilier associatif, normatif et la notion d’espace public, pour ensuite terminer
avec son incarnation dans le processus chaviste: la démocratie participative.
A) Une conception à l’épreuve du temps
« Il est impossible de poser convenablement les problèmes de notre temps, et notamment celui de la
nature de l'homme, si l'on perd de vue que l'histoire est le nerf de la science sociale »
C Wright Mills.
Etudier l’histoire du concept, c’est avant tout comprendre comment ce dernier s’est façonné,
s’est construit, à travers quelle étape il s’est forgé. Ce travail est primordial. L’acquisition d’une vue
d’ensemble va nous permettre par la suite de transposer cette réalité théorique dans une étude de cas
contemporaine comme le Venezuela d’Hugo Chavez.
a) L’ordre politique Antique
L’avènement de la démocratie dans l’époque Antique, chez la civilisation Grecque puis par la
suite Romaine marque le début avec des auteurs comme Aristote, Platon puis Cicéron, d’une réflexion
poussée sur les enjeux du vivre ensemble. C’est ainsi que la Philosophie Politique prend ses racines et
marque le début du développement d’une véritable conscience politique chez l’homme. La démocratie
met en avant un homme nouveau qu’Aristote nomme « Animal Politique ». « La cité est au nombre des
réalités qui existent naturellement, et (…) l’homme est par nature un animal politique » (Aristote, 330
7
Av JC). Ce qui est important ici, outre les prédispositions naturelles de l’homme à vivre ensemble, c’est
le fait que l’homme dans la vie de la cité forme un tout, une communauté de citoyens (« polis ») qui va
organiser politiquement son existence commune. C’est en cela qu’Aristote voit la société civile, une
société organisée politiquement.
b) L’Etat civil
L’intérêt général reste le challenge que toute société démocratique se doit de relever. « La notion
d’intérêt général se présente comme un principe fondamental de légitimation du pouvoir dans les
sociétés modernes : tout pouvoir quel qu’il soit est en effet tenu d’apparaître comme porteur d’un intérêt
qui dépasse et transcende les intérêts particuliers des membres ; cette représentation permet d’ancrer
la croyance dans son bien-fondé et de créer le consensus indispensable à son exercice. » (A. Chevalier,
1978). La société civile avec l’apparition des Etats-Nations puis à l’approche de l’ère industrielle va
progressivement s’incorporé dans l’Etat au point que nous parlerons ici d’« Etat-Civil ».
Thomas Hobbes (1588-1679) dans son œuvre «The Leviathan» (1651) est un des premiers à
penser la logique de «contrat social». Selon lui, l’homme vit originellement dans un état de nature ou
règne l’instabilité. Il a besoin d’un ordre politique pacifié afin d’assurer sa sécurité et son bien-être.
L’intronisation d’une force coercitive légitime, en la personne de l’Etat, va alors créer cet ordre et c’est
à travers ce contrat entre l’Etat (le souverain) et l’homme que la société civile prend naissance selon
l’auteur. John Locke (1632-1704) dans son ouvrage « Two Treatises of Government » (1690) parle lui
de « totalité sociale » (J.Locke, 1690). La société civile c’est « l’Etat à qui les êtres humains délèguent
le contrôle et l’agencement de la loi naturelle » (Pirotte, 2007, p14). Cette focalisation étatique qui va
s’amoindrir par la suite, reste toujours dans la vision d’une société organisée politiquement et
juridiquement, une société où règne l’ordre.
c) La société civile de l’individu: un contre-pouvoir
L’avènement d’une société capitaliste industrielle marquera un nouveau tournant dans la théorie
de la société civile avec la remise au premier plan de l’intérêt privé. La société civile prend ici ses
distances avec les hautes institutions politiques et renie toute existence de contrat social. La poursuite
des intérêts privés autorise la satisfaction des besoins de tous et chacun est gagnant. Cette vision se
constitue essentiellement sur la notion de besoin, propre à la société marchande. Il est important de noter
aussi qu’elle donne une place prédominante à la confrontation des intérêts privés. Elle ravive la
dimension de conflits que des auteurs comme Machiavel ont largement encensé (Machiavel, 1513). Elle
se crée au quotidien à travers l’action d’individus isolés, opposés non pas à l’état de nature mais à l’Etat
tout court.
8
Montesquieu dans De l’Esprit des Lois (1748) sera le premier à mettre en exergue la séparation
des pouvoirs pour éviter tout absolutisme. C’est le fameux «pouvoir qui arrête le pouvoir»
(Montesquieu, 1950). Inscrit dans cette nouvelle pensée de l’homme démocratique, Tocqueville (1805-
1859) dans son œuvre « De la démocratie en Amérique » (1835) lance des pistes de réflexions aux vues
de ses observations américaines pour un regain démocratique de nos sociétés européennes. En effet,
l’Etat est garant de plus d’égalité mais Tocqueville se pose la question de savoir si cela se fait au
détriment des libertés fondamentales6
. Selon lui, le fait associatif qu’il décrit comme « la science mère »
(Tocqueville, 1986) est le plus à même de réconcilier l’égalité à la charge de l’Etat avec les libertés
individuelles du peuple. Il est le socle de la société civile dans la manière où il remet en liaison une
population séparée depuis la fin de la monarchie, où chacun occupait auparavant, socialement une place
précise, limitée et fortement hiérarchisée. La société civile est donc ici un véritable contre-pouvoir au
profit du peuple pour se prémunir des excès du pouvoir étatique et conserver collectivement ses libertés
fondamentales.
d) Le tiers secteur pour gommer les imperfections
On arrive ici dans une dimension plus contemporaine de la société civile en tant que tiers-secteur.
L’homme est ici ancré dans un système capitaliste, marchand et les premiers couacs sociaux de ce
système commencent à se faire ressentir : promiscuité, violence, pauvreté, maladies, etc. Avec
l’affirmation de la liberté d’association (1901 en France et 1831 en Belgique), cette nouvelle société
civile qui panse les blessures et qui gomme les imperfections va s’affirmer.
On partira ici de la définition du conseil de Wallonie de l’économie sociale : « Par économie sociale,
on entend les activités économiques productrices de biens ou de services, exercées par des sociétés,
principalement coopératives et/ou à finalité sociale, des associations, des mutuelles ou des fondations
(ici d’utilité publique) dont l'éthique se traduit par: le service à la collectivité, une certaine autonomie,
un processus démocratique de décision et la primauté des personnes et du travail sur le capital»
L’économie sociale est là pour replacer l’homme au centre des débats, et affirmer sa primauté sur
le matériel. Elle se distingue par conséquent du Marché et de l’Etat sans être déconnectée complétement
de ces deux entités7
. La participation de la population au niveau local, afin de régler les problèmes
collectifs est ici essentielle. L’économie sociale ne veut pas changer les fondations du système mais
juste sa décoration intérieure.
La société civile n’est donc pas une notion figée mais bien en constante mutation (fonction des
points de vues et des époques). Elle revêt différents sens et significations parfois contradictoires, parfois
6
On peut faire ici référence à l’Etat Jacobin, centralisateur de la période d’après 1789 et son caractère extrêmement privatif
des libertés. Sous prétexte d’être le garant de l’intérêt général, on pense notamment à la période de la grande terreur qui fît en
France des milliers de morts.
7
La dépendance financière de ce secteur aux deux premiers est une réalité.
9
complémentaires. Il est alors intéressant de voir comment cette dernière s’insère dans le processus
démocratique contemporain.
B) La société civile au secours de la Démocratie
La société civile est aujourd’hui contextualisée dans une situation politique de désenchantement.
Il n’y a qu’à constater l’absentéisme grandissant que chaque élection revêt. La démocratie délibérative
est devenue comme le souligne Pierre Rosanvalon dans son ouvrage « La contre Démocratie » (2006)
une démocratie au fonctionnement opaque, loin du peuple, où on vote la majorité du temps pour le moins
pire. « Le citoyen s’est mue en un consommateur politique de plus en plus exigeant, renonçant tacitement
à être le producteur associé du monde commun » (Rosanvalon, 2006, p 258). Le citoyen est donc un
être déçu, porteur d’une vision négative qui va s’employer à simplement défier le pouvoir en place de
manière pessimiste. P. Rosanvalon ne parle à aucun moment dans son ouvrage de société civile mais
l’expression de « Contre Démocratie » nous amène à voir en quoi cette société du peuple a son mot à
dire dans une conception plus participative de la société démocratique.
a) Un monde à trois dimensions
Il me semble d’abord important de distinguer les trois éléments qui façonnent cette vision (bien
que changeante) de la société civile. Comme le souligne Gautier Pirotte dans son ouvrage « la notion de
société civile » (2007), « le tissu associatif, ce sont ces associations, organisations et mouvements qui à
la fois accueillent, condensent et répercutent, en les amplifiant dans l’espace public politique, la
résonance que les problèmes sociaux trouvent dans les sphères de la vie privé ». L’association stimule
le capital social. On parle ici de relations sociales basées sur la confiance. Elle renforce alors à travers
son activité la confiance entre les citoyens. Elle leurs permet de transcender le noyau familial. Le fait de
s’associer va par la suite harmoniser tous ces capitaux sociaux et va contribuer à la formation et
l’affirmation de valeurs8
, de normes.
Dans une vision très Néo-Tocquevilienne, l’homme va se sociabiliser démocratiquement en
apprenant à vivre ensemble, à respecter des règles qui assure le bien être de chacun. C’est en ce sens
que l’on peut affirmer que la société civile à travers les différentes liaisons qu’elle crée au sein de la
société et la confrontation des idées qui en découle, va dégager des lois implicites, mais qui au regard
de l’expérience de la vie vont figurer au rang de normes.
Troisième point important de notre raisonnement ici, c’est le concept d’espace public comme
arène de délibération et d’argumentation de ces normes. C’est le lieu qui permet le débat public où le
conflit est édifié. Jürgen Habermas définit l’espace public comme « un réseau permettant de
8
Il faut souligner que toutes les valeurs ne se valent pas et que la disparité des ressources au sein des différentes associations
va pousser vers le haut telles valeurs au détriment d’autres. Mais cela est un tout autre débat qui ne sera pas abordé ici.
10
communiquer des contenus, des prises de positions… les flux de communications y sont filtrés et
synthétisés de façon à se concentrer en opinions publiques » (Habermas, 1997, p 387). L’espace public
est alors selon Habermas une zone tampon entre les différents « stake-holders » sociétaux, institutions
et organisations de la société civile dans laquelle le conflit et la subjectivité des opinions vont dans une
vision progressiste nous amener à résoudre les problèmes d’ordre collectif. On assiste ici à « une
désacralisation de l’intérêt général qui implique alors un rapport nouveau entre le public et le privé »
(Chevalier, 2013).
b) La Démocratie Participative
On en vient à la notion de démocratie participative qui est aujourd’hui largement associée à la société
civile, à cette volonté que le peuple participe activement à la vie politique de son pays. Sandrine Rui
parle de « l’ensemble des procédures, instruments et dispositifs qui favorisent l’implication directe des
citoyens au gouvernement des affaires publiques.» (S. Rui, 2013).
Le citoyen est inégalement informé, encouragé à rester passif. Un fossé se creuse de plus en plus
entre gouvernants et gouvernés. Ces derniers doivent dépasser leur simple statut d’électeur et par la
même occasion de figurant qu’il occupe la majorité du temps, afin d’exprimer tous leurs talents. Il est
important ici de recréer du lien social, de la solidarité comme se plaît à le dire l’écrivain et philosophe
Edgar Morin. Il faut tout simplement apprendre « à connaitre son voisin » (Pirotte, 2007, p62). Les lois
de décentralisation en France (1982) ont cherché à rapprocher les centres de décision politiques de la
population pour que cette dernière se sente un minimum impliquée. La création des comités de quartiers
s’inscrit aussi dans cette dynamique. Le local devient la nouvelle arène publique où l’individu, dans sa
qualité d’habitant prend part au débat public. On assiste ici à « l’apparition de nouveaux espaces de
délibération » (Pirotte, 2007, p64). Il faut souligner le problème de la représentativité parfois trop élitiste
et l’utopie de la participation universelle qui pourrait sembler un brin totalitaire. Il est important alors
de citer le phénomène de tirage au sort énoncé par des personnes comme Etienne Chouard afin de
permettre un « turn-over » politique participatif régulier garant d’une certaine égalité.
La société civile, dans ces jours actuels et à l’entame du cas Vénézuélien, peut être considérée
comme un concept puissant et porteur d’une nouvelle vision de la démocratie, certes toujours imparfaite
mais qui se réclame comme étant plus approfondie, plus proche du peuple. Il reste à savoir en quoi le
concept participatif du président Chavez organise-t-il ce rapprochement ?
11
Deuxième partie : la politisation de la société civile par les pouvoirs
publics
La société civile est le catalyseur du projet de Démocratie Participative. On va voir à quelle point
elle devient un enjeu pour le président Chavez et sa révolution du 21ème
siècle, car l’hégémonie ne
s’acquiert que si vous vous évertuez à donner de l’importance au peuple. C’est ce que Hugo Chavez va
amplement faire à travers ce qu’on appellera ici : « une politisation top down » du peuple par l’Etat.
A) L’arme du pétrole
« La politique et l’économie sont comme deux amants qui cherchent à s’émanciper chacun de leurs
côtés, mais au final ils finissent toujours par retomber dans les bras l’un de l’autre. »
a) La loi organique des hydrocarbures
Les « 49 mesures » marquent le virage socialiste de la politique de Chavez : une série de lois
publiée sous décrets9
, se voulant réformatrice des principaux secteurs productifs dont le secteur du
pétrole. Comme le souligne P.Guillaudat et P Mouterde dans leur ouvrage « Hugo Chavez et la
Révolution Bolivarienne » (2012), on assiste à une forte percée de la révolution Chaviste à travers une
nouvelle orientation économique concoctée de manière radicale par le gouvernement. Parmi ces
différentes lois10
, on notera celle des hydrocarbures (novembre 2001); source de nombreuses
contestations de la part de l’opposition et qui amènera la tentative de coup d’état raté du 11 avril 2002.
L’entreprise nationale « Petroleos de Venezuela »(PDVSA) est une entreprise d’Etat à l’époque qui ne
souffre d’aucunes surveillances, ni d’aucuns contrôles sur un fonctionnement qui apparaît alors bien
opaque. Le projet est clair, le gouvernement Chaviste se donne ici les moyens d’en finir avec « les
caisses noires »11
et le clientélisme pour plus de transparence. Il veut aussi contraindre l’entreprise à
verser son dû à l’Etat. Dû qui sera désormais fixé par décret présidentiel.
9
Hugo Chavez profite en effet d’une loi habilitante de novembre 2000 qui l’autorise à gouverner par décret pendant un an.
10
Parmi les principales mesures à retenir, on se rappelle de la loi sur la Terre et le Développement Durable (« Ley de Tierras y
desarrollo Agrario ») qui a pour but de réorganiser la production agricole sur deux axes majeurs, le droit à la terre et le
développement durable. On annonce par la même occasion la création d’un Fonds Social Unique (« Fondo Unico Social »)
permettant de coordonner la gestion et l’investissement des programmes sociaux à venir.
11
C’est ainsi que Chavez les nommera.
12
b) Le pays de l’or noir
Le Venezuela est en effet un producteur et exportateur de pétrole important à l’échelle mondiale
depuis les années 30, date des premières grandes découvertes de gisements pétroliers. En 1999, à l’aube
de la loi sur les hydrocarbures, le Venezuela avait des réserves estimées à 70 ans et une production
d’environ 4 millions de barils par jours (G. Coronel, 2007, p208). L’industrie est bien rodée à la tâche,
elle possède un secteur de raffinage important et une technicité reconnue. Le pays posséderait selon les
dernières estimations les plus grandes réserves de pétrole prouvées à ce jour soit un total de quasi 18%
des réserves mondiales12
. La Vallée de l’Orénoque localisée pour les 2/3 au Venezuela offre pour
certains experts une des plus grandes accumulations d’hydrocarbures mondiale. Le trésor public français
affirme dans un rapport de 2012 que le pétrole génère 95 % des exportations du pays, chiffre témoin
d’un pays complétement dépendant de son or noir. Certes, des projets de diversifications ont été
développés comme l’agriculture notamment, sans grand succès. On se souvient des pénuries en produits
importés, exemple saisissant en 2013, la pénurie de papiers-toilettes qui a frappé le pays.
c) Un enjeu politique d’utilité révolutionnaire
L’arrivée de Chavez va complètement redéfinir l’utilisation du pétrole qui devient à temps plein,
une arme au service et à la botte de l’Etat. Il devient un moyen de construire « un pouvoir contre
hégémonique alternatif à celui des classes dominantes » (P. Guillaudat, 2012, p129). L’Etat va utiliser
la rente pétrolière pour asseoir son pouvoir à l’intérieur du pays. C’est le début des grandes politiques
de redistribution en faveur des populations les plus défavorisées à travers les politiques sociales du
gouvernement. Comme exemple, en 2010, alors que Chavez est toujours au pouvoir, PDVSA a versé 20
milliards de dollars soit l’équivalent de 15 milliards d’euros aux programmes sociaux du gouvernement.
Roberto Mandini, PDG de PDVSA en 1999 parlera de l’entreprise pétrolière comme de la « tirelire du
gouvernement ».
Il est à noter que le pays est un des fournisseurs principaux des Etats-Unis depuis de nombreuses
décennies. Pendant la seconde guerre mondiale, ce rôle fut un facteur déterminant dans la victoire des
alliés. Nationalisé depuis 1975 et maintenant aux mains du projet bolivarien, le pétrole devient une arme
anti-américaine. Elle va permettre notamment à son leader de s’octroyer les bienveillances de tous les
ennemis des Etats-Unis d’Amérique. On soulignera la politique extérieur de « copinage » avec la Syrie,
l’Iran, Cuba, ennemis tous désignés des Etats-Unis et les échanges de bons procédés consentis par ses
pays au Venezuela en échange du pétrole13
.
12
Source: http://www.bp.com/en/global/corporate/about-bp/statistical-review-of-world-energy-2013/review-by-energy-
type/oil/oil-reserves.html (consultée en juillet 2014)
13
On en reparlera notamment avec Cuba dans le cadre des missions.
13
B) Les programmes sociaux
Gagner la bataille de l’hégémonie et donc l’accomplissement du socialisme du 21ème
siècle, c’est
avant tout pour Chavez se donner les moyens de construire peu à peu un pouvoir contre hégémonique
alternatif à celui des classes dominantes acquises à la cause néolibérale14
. Il va donc s’efforcer de
renforcer les classes populaires au sein de la société. Patrick Guillaudat et Pierre Mouterde nous rappelle
intelligemment que cette acquisition d’une majorité de la population à sa cause passera par l’ouverture
de nouveaux espaces démocratiques, « en cherchant à démocratiser la société de part en part, et pas
seulement en termes juridiques, culturels ou symboliques mais aussi en termes productifs, économiques
et institutionnels. » « Le changement majeur c’est l’incorporation comme sujets d’action politique des
majorités pauvres du pays qui se trouvent exclues. » (P Guillaudat, 2012, p131).
a) Une situation économique et sociale exsangue
A l’aube du lancement des vastes programmes sociaux qui prendront le nom de « Missions », le
pays connaît une importante crise économique qui de 2001 à 2003 va considérablement aggraver les
conditions de vie des couches populaires. De 45% de la population considérée comme étant pauvre, on
passe à 55%15
durant cette période16
Les facteurs sont tous désignés : hausse du taux de chômage, baisse
des salaires, part importante de travailleurs dans le secteur informel.
Car le problème du Venezuela, c’est que l’économie du pays repose sur seulement un secteur qui
monopolise toutes les attentions : bien entendu celui du pétrole. Et cette denrée rare est tout sauf un long
fleuve tranquille. Les fluctuations du cours provoquent de temps à autres de graves dépressions dans
une économie complètement dépendante. De plus, l’opposition à Chavez compte de puissants alliés
économiques influents. Symbole de cette période d’instabilité, la « grève des gérants » qui va mettre,
d’octobre à décembre 2002, l’industrie pétrolière en paralysie causant de sérieux dommages collatéraux
sur le plan économique17
.
L’inflation reste le fléau marquant de cette situation économique instable et faiblarde. Maxim Ross
économiste parle d’une moyenne d’inflation sur les 20 dernières années qui tourne autour des 30%,
chiffre hallucinant qui fait du pays le champion du monde en la matière. Le dispositif de contrôle des
changes et des prix est clairement pointé du doigt par les spécialistes. Certaines accusations, dont celles
de l’actuel président et successeur de Hugo Chavez, Nicolas Maduro vont à l’encontre de l’opposition
14
Edgardo Lander pose la question « en quoi consiste un projet contre-hégémonique viable dans le monde actuel ? Un retour
aux substitutions d’importations, un Etat de bien-être social ? Un projet anti néo-libéral à l’intérieur du capitalisme ?
15
http://interwp.cepal.org/cepalstat/WEB_cepalstat/Perfil_nacional_social.asp?Pais=VEN&idioma=e (site de la CEPAL :
consulté 07/14)
16
Il est à noter aujourd’hui que le taux de pauvreté en comparaison à cette époque est sensiblement inférieur, avoisinant les
24%.
17
Toute la direction et les cadres techniques supérieurs participeront à cette grève, bloquant ainsi la production, le transport et
la distribution. L’activisme de quelques cercles d’ouvriers permettra avec l’aide du gouvernement de relancer la production
laissant le pays dans une situation économique catastrophique.
14
et l’accuse d’organiser des pénuries volontairement, dans le but d’augmenter les prix. Les trop grosses
dépenses de l’état sont aussi pointées du doigt. Cette création excessive de monnaie finit tout bonnement
par être excédentaire à la réalité de la production.
Déjà en 1999, Chavez avait lancé dans une période d’instabilité économique encore, le plan
« Bolivar » : une sorte d’action sociale à échelle nationale dans une période politique qu’on ne peut pas
encore qualifier en rupture avec celle de « PuntoFijo ».18
C’est le premier programme d’intervention
sociale de l’ère bolivarienne. Il se donne bien évidemment pour cible les quartiers populaires. On est ici
dans une réponse d’urgence à dimension humanitaire : vaccination, dépistage, distribution de repas,
réparation d’infrastructures (écoles, hôpitaux)… Outre les chiffres qui légitimeront ce succès, les
critiques se focaliseront sur le caractère assistentialiste. Comme le disait le ministre actuel du transport
terrestre du pays, Haiman El Troudi « Aucun problème d’ordre structurel ne peut être solutionné avec
des mesures contingentes ». De plus, des scandales de corruptions et le peu de contrôles administratifs
entacheront ce relatif succès. Il est important de notifier ici qu’on est encore loin de l’image d’un
développement participatif par le peuple pour le peuple.
Vient alors 2003, Hugo Chavez sort de plusieurs tentatives de déstabilisations venant de
l’opposition (tentative de coup d’Etat19
, grève générale,…). Devant les fortes réactions populaires qui
lui ont permis de conserver son poste, il va alors entreprendre de consolider et de véritablement lancer
sa révolution hégémonique et populaire. Les Missions en sont le symbole le plus révélateur.
b) Les premières Missions
Elles s’inscrivent directement dans la continuité du plan « Bolivar » avorté quelques années plus
tôt. Elles prennent place à l’intérieur d’un vaste plan de lutte contre la pauvreté et visent au
développement rapide de services de santé, d’éducation, d’alimentation et de logement. Le nom de
Mission n’est pas anodin et gargarise symboliquement la mobilisation populaire. On est en plein ici dans
ce souhait de créer une hégémonie populaire autour de Chavez, clé du succès du socialisme du 21ème
siècle. Le gouvernement de cette époque le décrit parfaitement bien : « Ces politiques révolutionnaires
s’orientent pour solder l’énorme dette sociale que traîne la nation, après des décennies de gaspillage
et d’exclusion sociale, et pour construire un nouvel Etat social révolutionnaire » (P Guillaudat, 2012,
p138).
Très vite, Hugo Chavez et ses proches collaborateurs se rendent compte que les circuits
traditionnels de la bureaucratie sont parsemés d’embûches en la personne des nombreux opposants anti-
chaviste. Comme le Souligne Anna Daguerre, on va alors « multiplier les mécanismes ad hoc reposant
18
A cette époque, le modèle économique reste fondé sur le rôle de la concurrence et de l’entreprise privée. L’Etat, lui régule et
favorise les investissements publics.
19
A ce propos, voir l’excellent documentaire : « La révolution ne sera pas télévisée » réalisée par Kim Bartley et Donnacha
O’Briain.
15
largement sur la coopération du secteur privé et des ONG » (A. Daguerre, 2010, p154). On va donc
s’appuyer sur la société civile majoritairement pour réaliser ces programmes. Hugo Chavez qui présente
lui-même une émission télévisé appelée « Alo Presidente » va user de cette position médiatique20
pour
donner une plus grande visibilité à ses missions auprès de la population. Il sera relayé par les fameux
cercles bolivariens sur le terrain, véritable fer de lance et partisan du président.
Bien qu’il existe plusieurs missions, nous allons nous pencher sur les deux plus révélatrices de
l’ère Chavez et touchant à des problèmes de première ordre que sont la santé avec la mission « Barrio
Adentro » et l’éducation avec les missions « Robinson 1 et 2, Ribas et Sucre ». Dans un premier temps,
faute de concours de la part des principaux acteurs en la matière, le gouvernement fort de ses relations
diplomatiques avec la Cuba de Fidel Castro, va utiliser le pétrole comme monnaie d’échange. En
contrepartie, Cuba va alors envoyer une horde de médecins, de fournitures, de manuels scolaires et
enseignants pour mener à bien les débuts des Missions.
Au niveau de la santé, outre l’arrivée des médecins et des fournitures, on met en place une
véritable médecine participative et communautaire. On mobilise les différentes organisations de
quartiers pour qu’elles définissent les besoins de santé. Un comité de santé se met en place à côté de
chaque centre de santé composé d’élus. Les habitants participent alors à « une démarche communautaire
tendant à les transformer en agent de leurs propres santé » (P. Guillaudat, 2012, p 139).
Au niveau de l’éducation, on participe à l’éducation des populations les plus désœuvrées et à
leurs insertions dans le circuit scolaire national. Il faut y voir ici un enjeu politique qui va bien au-delà
de la lutte contre les inégalités. On tente ici de former un nouveau pan de la société, diplômé proche du
mouvement bolivarien et prêt à participer à la transformation du pays. En effet, la majorité des personnes
occupant un poste administratif ou un métier nécessitant une formation universitaire sont acquis à
l’opposition, dans la plus grande majorité.
En trois ans, la mission « Bario Adentro » a touché plus de 20 millions d’habitants (70% de la
population du pays). Elle a permis une meilleure prévention des maladies chroniques (diabètes, asthme,
etc.). Le taux de mortalité des enfants a nettement reculé de 2003 à 2005. Pour ce qui est de l’éducation,
malgré de nombreux obstacles qui retarderont la mise en place du projet21
, la fin de l’alphabétisme est
officiellement déclaré au Venezuela avec un total de 1 482 543 élèves formés. La mission « Ribas » qui
se donne pour objectif l’accès aux études secondaires a vu passer environ 700 000 élèves. Pour ce qui
20
Il est ici important d’informer le lecteur que la majorité des médias sont acquis contre le projet de Chavez. Chavez utilise les
chaînes publiques pour animer lui-même un « talk-show » lui permettant de contraster avec l’image que véhiculent les chaînes
privées.
21
On notera l’absence de locaux suffisamment disponibles pour former les étudiants, un encadrement enseignant insuffisant et
aussi la concurrence avec les universités traditionnelles.
16
est de la mission « Sucre », véritable terminologie pour le régime, 37 centres universitaires vont ouvrir
leurs portes dans tout le Venezuela pour quelques 100 000 élèves.22
Les missions sont un succès important en témoigne les chiffres qu’elles mettent en valeur après leurs
premières années d’existence. Elles ont permis de stimuler un vaste mouvement de solidarité et
améliorer la perception et la gestion de la vie communautaire des quartiers.
C) Vers encore plus de participation
Mais ces dernières vont faire face à des difficultés d’ordre structurel avec le temps. Difficultés
que le mouvement bolivarien va contourner au profit d’encore plus de participation.
a) Les conseils locaux
Avant toute chose, il est important ici de noter que les Missions sous entendent une action de l’Etat
qui stimule la participation communautaire. C’est pour la création d’organisations sociales que l’Etat
met la main à la pâte dans l’optique de son objectif d’hégémonie idéologique. On notera aussi que le
Venezuela est un pays historiquement dénué de mouvements sociaux nés de luttes sociales, organisés et
capable de mobiliser des personnes de manière autonomes (principalement dans les quartiers
populaires).
Les années vont user le système, les organisations sociales mises en places perdent de la vitesse et
s’apparente alors plus à des entités administratives sans véritable marge de manœuvre vis-à-vis de l’Etat.
On est en plein dans les limites d’un phénomène « Top Down » s’instituant loin des réalités au plus haut
de l’Etat. Le clientélisme reste aussi une réalité et la corruption n’est jamais très loin23
. On va donc
mettre en place des organisations parallèles aux institutions élus existantes, « les conseils locaux » ayant
pour but de court-circuiter les comités et pouvoirs municipaux. Il s’agit d’une structure paritaire faisant
remonter les préoccupations directement au plus haut de l’Etat. Le succès restera peu visible, restant
loin de l’objectif des 50 000 conseils communaux. On se repose essentiellement sur la participation
populaire « avec toutes les promesses que cela éveille en matière de reprise collective du pouvoir » (P
Guillaudat, 2012, p 153).
b) L’élan coopératif
Dans sa volonté de lutter contre le chômage, le gouvernement va fortement développer l’économie
sociale à travers notamment la structure coopérative qui en incorporant la logique de profit dans son
22
Chiffres obtenus dans l’ouvrage « Hugo Chavez et la révolution Bolivarienne » préalablement cité (Voir bibliographie).
23
La mise en place de magasin solidaire : « les mercales » vont voir se développer des cas de détournement de marchandises
par les responsables des points de vente afin de les revendre au prix fort sur le marché libre.
17
fonctionnement, (même si cette dernière n’est pas privilégié par rapport aux facteurs travail) représente
une intéressante éventualité.
C’est la mission « Vuelvan Caras » qui va former environ 250 000 « lanceros »24
qui bénéficieront
d’une formation générale et d’une allocation mensuelle afin de constituer des coopératives. Le nombre
de coopératives explose forcément dans tout le pays (85 000) mais le bilan reste mitigé; seulement un
tiers en 2006 étaient encore en activité. Anna Daguerre déplore un opportunisme du court terme afin de
percevoir des allocations, un certain clientélisme et autoritarisme qui renie le principe « d’une personne,
une voix » cher au concept coopératif. Elle note aussi des retards dans le paiement des allocations
mensuelles de la part du gouvernement, dû aux aléas économiques de la machine pétrolière. La mission
fût remplacée par la mission « Che Guevara » aux objectifs sensiblement égaux mais avec une
dimension révolutionnaire encore plus poussée à travers la création d’un homme nouveau
«l’homme Bolivarien ».
La pauvreté va être pour le projet Bolivarien la porte d’entrée pour le développement d’un projet
participatif qui va constituer, autours des enjeux sociaux, en l’organisation poussée et ordonnée de la
société civile au profit de l’appareil étatique et de son idéologie révolutionnaire. On est ici dans une
conception de l’Etat civil comme on l’a vu dans la première partie plus orientée Lockéen et Hobbesien.
Le socialisme du 21ème siècle n’est-il pas alors l’avènement d’un Etat Providence omniprésent et seul
garant de l’intérêt général ?
Troisième partie : la société civile, un obstacle au socialisme du
21eme siècle
On l’a bien compris, le socialisme du 21ème
siècle est un projet politique qui tire sa verve de la
participation populaire. Cependant, il est à noter que le Venezuela est une démocratie élective de fait à
laquelle Chavez s’est toujours plié même quand cette dernière lui fait défaut avec sa défaite au
référendum de 200725
. L’opposition est visible sur les médias qu’elle contrôle majoritairement, dans ses
démonstrations de force, mais qu’en est-il réellement de son implication dans le processus participatif.
La confrontation des idées comme nous l’avons vu est une dimension fondamentale de la démocratie
participative et la société civile doit permettre en ce sens la création d’un espace public favorable à
l’institution du conflit. Le projet de démocratie participative n’est-il pas une chance pour le Venezuela
de créer ce nouvel espace public où la société civile toute entière peut pleinement s’exprimer?
24
Lanciers : surnoms des participants à la mission.
25
Les réformes au centre des contestations et du « Non » au référendum porte sur l’extension des pouvoirs du Président, par
exemple, la non-limitation de ses mandats successifs.
18
A) Un fait participatif à deux vitesses
« Vous recevez d’une main ce que vous rechignez à l’autre. Au fond, c’est que vos valeurs ne sont pas
sérieuses ».
Jean Paul Sartre.
a) L’associatif comme contre-pouvoir
Le premier constat nous vient de deux organisations non gouvernementales: l’ICNL (International
Center For Not For Profit Law) qui est une source d’information majeure pour tout ce qui a attrait à
l’environnement légal de la société civile et CIVICUS, ONG qui fait du monitoring sur la société civile
dans le monde. Ces deux entités, à travers leur rapport respectif, soulignent certains manquements du
projet participatif chaviste et notamment à l’encontre des ONGs qu’on qualifiera ici de contre-pouvoir
dans le sens où elles sont spécialisées sur la question des Droits de l’Homme et la surveillance de l’action
du régime.
Il est important de rappeler que le droit d’association est une liberté reconnue dans le pays, acquise
en 1982. La Constitution du 30 décembre 1999 qui marque l’arrivée du président Chavez au pouvoir
souligne l’importance de la protection des Droits de l’Homme et par conséquent en relation directe, la
liberté d’association. L’article 67 n’est, on ne peut plus équivoque sur le sujet : « Tous les citoyens ont
le droit de s’associer pour des fins politiques par le biais de méthodes, d’organisations, d’opérations et
de direction démocratiques. »
b) L’outil législatif
Mais une proposition de loi va faire tâche sur ce bout de papier constitutionnel : la loi sur la
coopération internationale de 2006. Elle ne sera jamais actée faute au « non » du référendum de 2007.
En novembre 2010, le président dans un discours à l’assemblée nationale persiste en recommandant aux
parlementaires de faire une « sévère loi » qui ferait obstacle aux associations politiques et non
gouvernementales financées par « the Yankee Empire », à comprendre ici les Etats-Unis (Chavez, 2010).
Ce projet contient des propositions saisissantes. Un fonds est établit sous l’égide du gouvernement
qui va collecter toutes les donations venants de l’extérieur et s’abroge par la même occasion le droit de
19
redistribuer selon ses propres critères, ces ressources26
. Une agence est créée afin de contrôler tous les
flux financiers venants de l’extérieur en direction d’associations. La loi va jusqu’à créer un système
d’inscription étatique afin de distinguer les associations autorisées à avoir des relations quelles qu’elles
soient avec une entité étrangère. La loi sur le crime organisé et le financement du terrorisme qui prend
acte en mai 2012 va encore plus loin. Elle stipule que n’importe quelle activité financière qui paraît
suspicieuse aux yeux du régime doit être relevée, même si la source de cette dernière est légitime.
Ces lois cristallisent la peur d’un régime qui ne veut souffrir d’aucune contestation populaire
organisée émanant de la société civile. En effet, les associations en tant que contre-pouvoir, parce
qu’elles tissent du capital social et se construisent à partir d’une base populaire, représente une menace
importante. Ces dernières, aux contraires des grands médias et des notables de l’opposition prennent
racine directement dans la population. Accepter cette participation de défiance au projet bolivarien s’est
risquer que les rangs de l’opposition gangrènent son électorat et voir son projet hégémonique battre alors
de l’aile.
B) La poussée des conflits sociaux
a) Les raisins de la colère
L’année 2007 et le premiers revers électoral de Chavez marque le ravivement de l’opposition et
d’une partie de la population qui commence à voir les limites du projet politique chaviste. Bien que ce
dernier remporte un nouveau référendum en 200927
, la corruption est toujours là et l’insécurité reste un
fléau majeur avec un taux d’homicide vertigineux de plus de 13 000 homicides volontaires par an. Les
réformes sociales tardent à venir se fixer aux programmes sociaux qui apparaissent plus pragmatique
sur le court terme que réellement efficace sur la durée. Cette grogne sociale trouve aussi ces explications
dans le fonctionnement institutionnel du régime et son enchevêtrement administratif. Les créations des
Missions, des Conseils locaux créent un désordre administratif si bien que tout le monde revendique la
même compétence, s’en suit un imbroglio des plus déconcertants. Au final c’est les institutions privés,
qui fonctionnant en parallèle de manière autonome, tirent leur épingle du jeu au profit de la population
la plus aisée.
26
Il est ici important de noter que les conseils locaux sont entièrement financés par le gouvernement alors que 2/3 des
associations indépendantes au régime ne reçoivent aucune ressources de l’Etat.
27
Il revient sur sa proposition d’éligibilité à vie mais englobe cette fois ci tous les mandats politiques éligibles.
20
b) L’intronisation de la violence
2008-2009 est la période de multiplication des conflits sociaux, parfois violents. On y trouve
des affrontements avec la police. Janvier 2009, deux salariés de l’usine Mitsubishi sont tués lors de rixes
avec les forces de l’ordre, par des officiers. L’OSAL, observatoire de l’Amérique Latine souligne que
2008 est l’année de la mobilisation sociale depuis 1999 et l’arrivée de Chavez au pouvoir. Les grèves se
multiplient par la suite et touchent tous les secteurs de l’économie : transport, construction, métallurgie,
etc. On quémande des revalorisations salariales, des améliorations des conditions de travail. Les
associations au fleuron de ces contestations ne sont pas en manques. Des rapports comme celui du
département d’Etat des Etats-Unis soulignent de nombreux faits de non-respects des Droits de l’Homme,
notamment des agressions et menaces à l’égard d’ONG. C’est le cas relevé de Rocio San Miguel qui à
travers son ONG dénonça la présence dans le parti de Chavez de haut dignitaires militaires alors que la
Constitution interdit formellement pour le corps militaire d’appartenir à un parti politique quel qu’il soit.
L’intéressé parle de menaces et d’harcèlements récurrents et portera son cas devant la Fédération
International des Droits de l’Homme. Les conflits se radicalisent férocement: occupation de voies
publiques, des entreprises, blocage des voies de communications. En juillet 2008 à Merida, un étudiant
est tué par balle. Selon différent organisations protectrice des Droits de l’Homme, on estime
approximativement que 131 dirigeants syndicaux ont été assassinés entre 2005 et 200928
.
C) L’entêtement du régime
« Nous pourrions perdre les élections parlementaires, non à cause des impensables bonnes
décisions prises par l’opposition… mais à cause de nos propres limitations à faire connaître les succès
de la révolution ainsi que nos réticences à admettre et à rectifier nos erreurs ou à punir les coupables
de dégâts officiels. En vérité, le mal le plus grand que nous a causé cette opposition antipatriotique est
d’avoir étourdi notre capacité d’autocritique, parce qu’à force d’entendre ses diffamations, nous ne les
croyons plus lorsqu’elles dénoncent nos réelles erreurs. » (Roy Chaderton Matos, 2010).
Cette citation est le fruit d’un ancien ministre des relations extérieures de la République
Bolivarienne. Elle souligne l’inquiétude grandissante dans les rangs pro-chaviste sur la bonne
continuation de leur projet et met en exergue un certain entêtement du régime. L’idéologie semble
prendre le pas sur la réalité populaire et les discours parlent de moins en moins à la classe populaire, le
berceau partisan.
28
Voir rapport de l’International Center For Non Profit Law
21
a) Un projet porteur d’espoir
L’exemple du PSUV est ici saisissant. En 2006, Chavez lance dans son style très militaire, le
commando « Miranda », une structure politique censée regrouper les militants qui le soutiennent et les
organiser en pelotons et bataillons. C’est sur ce modèle que sera calquée l’organisation du PSUV
(Partido Socialista Unido Del Venezuela) afin que ses partisans puissent se rassembler dans une seule
et même organisation: un parti unique. Chavez cherche ici à assouvir son attachement au peuple par la
mise en place d’un immense réseau politique dédié à la cause bolivarienne et censé inclure ici ses
partisans les plus démunis dans le cercle de discussions. Le parti comptera rapidement plus de 7 millions
d’adhérents.
Il est clair que la formation de ce parti est une formidable chance de créer un nouvel espace
public, certes cloisonné car réservé seulement au pro-chaviste mais un nouveau moyen pour Chavez de
se rapprocher des réalités du quotidien et d’oublier quelque peu sa croisade anti-impérialiste.
b) Beaucoup trop nombriliste
Malheureusement pour lui, ce n’est pas le cas. L’élection des candidats à la direction a été
décidée par Chavez lui-même, difficile de faire moins démocratique sur ce coup. De plus, le parti va
continuellement se confondre avec le gouvernement. La logique du PSUV va alors se fondre
complétement dans celle de gouverner. On a favorisé pleinement la venue de nouveaux membres plutôt
opportunistes et pas franchement militants au détriment d’une sélection plus qualitative. Lors du
référendum de 2007, le oui en faveur de Chavez obtiendra environ 4 379 000 voix alors que le parti
compte plus de 7 millions d’adhérents à ce moment. C’est à se demander où sont passé les 2,5 millions
manquants pourtant inscrits sur les listes du parti.
L’absence d’une véritable démocratie interne au parti et son autonomisation vis-à-vis de l’Etat
interdit tout débat de fond sur la suite à donner au socialisme du 21ème
siècle. De plus, la création de cet
espace de délibération n’autorise même pas un véritable débat avec la masse populaire car son
fonctionnement se limite aux décisions du président et de ses proches collaborateurs. Le parti semble
avoir loupé sa vocation, celle d’être un haut-parleur de la société d’en bas. Il aurait pu être un fer de
lance cette fois ci « Down Top », plus collectif, plus participatif et donc plus ouvert à la critique et aux
ajustements.
22
Conclusion
Au vue des faits et de l’analyse qui en a suivi, nous pouvons maintenant affirmer que nous
sommes en présence d’un projet participatif à deux vitesses. D’un côté, celui qui flatte la révolution du
21ème
siècle avec ses missions, ses coopératives, ses conseils locaux et de l’autre, la censure, les barrières
législatives, la violence et les tentatives ratées de remise en questions. Chavez donne d’une main à la
démocratie pour lui reprendre de l’autre. Le socialisme du 21eme siècle comprend mal que la société civile
ne s’assimile pas au peuple. Le peuple serait bolivarien par nature? N’est-il pas alors normal que cette
société reste toujours autant clivée, chacun étant bien trop attentionné à prêcher pour sa propre paroisse.
Comme le souligne Erik Neveu dans son ouvrage « Sociologie des Mouvements sociaux »
(1996), on assiste à un formatage en bonne et due forme de la société civile par l’autorité publique. « La
structure des opportunités est ainsi construite par les autorités à travers l’institution des structures de
concertation, l’ouverture de recours juridictionnels, l’encouragement ou la répression de formes
d’organisations ou d’expression » (Eric Neveu, 1996, p90). Le gouvernement adoube et institue les
organisations en fonction de son projet politique et grâce à l’aide financière du pétrole.
Il n’y a donc pas de véritable contre-pouvoir constructif et populaire au Venezuela. La société
civile ne permet pas ici l’institutionnalisation du conflit. L’espace public ne fonctionne pas de manière
autonome à la croisée des chemins et ne peut en conséquent amener un dialogue productif entre les deux
camps. Les médias et les notables sont véritablement les seules à exercer ce droit de défiance vis-à-vis
du pouvoir grâce au poids qu’il pèse dans la société.
De plus, on peut se demander en quoi la révolution Bolivarienne du président Chavez propose
un véritable changement au néolibéralisme d’aujourd’hui. Elle tire ses revenus de ce même libéralisme
dont elle dépend. Elle propose certes, c’est indéniable une alternative sociale mais en aucun cas
économique. Et puis sert-il encore aujourd’hui à quelque chose de vouloir se démarquer d’un système
globalisant qui nous aurait tous déjà globalisé?
Certains résultats parlent pour Chavez et ses Missions, comme nous l’avons souligné. Mais, la
promesse de lendemain heureux se fait sur du long terme avec de véritables fondations et non avec la
croyance éphémère dans les pétrodollars.
On en arrive à la fin et plusieurs questions restent en suspens. Notamment à savoir qu’est ce qui
a motivé Chavez tout au long de sa politique ? Le pouvoir plus que le peuple ou le peuple plus que le
pouvoir ? La société civile n’a-t-elle pas un rôle plus approfondie à jouer en se réveillant réellement ?
La révolte des étudiants en 2013 va dans ce sens. La notion de contre-pouvoir est une étape fondamentale
que la société civile doit s’approprier dans un futur proche. Elle doit savoir peser dans la balance et tirer
la sonnette d’alarme toute seule, en cas de nécessité. Cette instauration du conflit ordonné que
23
Tocqueville et bien d’autres ont souligné, est primordiale pour partir sur de bonnes bases et envisager
ensuite la construction d’un Venezuela plus démocratique, plus égalitaire. Il semble aujourd’hui que le
peuple autonome doit ériger un symbole fort de cet apprentissage et suite à ça s’institutionnaliser en
véritable interlocuteur indépendant du pouvoir étatique.
24
Bibliographie
Ouvrages:
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gauche toute, édition Couleur Livre ASBL, en collaboration avec le CETRI (centre
tricontinental), Charleroi
 Université du Québec 1975, Gramsci dans les textes, recueil de textes réalisé sous la
direction de François Ricci en collaboration avec Jean Bramant, édition Sciences
sociales, Paris
 GUILLAUDAT. Patrick, MOUTERDE. Pierre, 2012, Hugo Chavez et la révolution
bolivarienne : promesses et défis d’un processus de changement social, édition
Collection Mouvements Québec
 HABERMAS. Jürgen, 1997, Droit et Démocratie, entre faits et normes, Gallimard,
Paris
 HOBBES, Thomas, 2011, Leviathan, Pacific Publishing Studio, USA
 LOCKE. John, 1984, Traité du gouvernement civil, Flammarion, Paris
 MONTESQUIEU, 1950, De l’esprit des lois, Flammarion, Paris
 NEVEU. Éric, 2011, Sociologie des mouvements sociaux, édition La Découverte,
collection Repères Paris
 PIROTTE. Gautier, 2007, La notion de société civile, édition La Découverte, collection
Repères Paris
 ROSANVALLON. Pierre, 2006, La contre Démocratie, édition du Seuil Paris
 TOCQUEVILLE. Alexandre, 1986, De la Démocratie en Amérique, Robert Laffont,
Paris
Articles :
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interdisciplinaire de la participation, GIS Démocratie et Participation, Paris
 CORONEL. Gustavo, 2007, Pétropolitique dans un Etat autoritaire : l’exemple du
Venezuela de Hugo Chavez, Outre-Terre, p205-226 (CAIRN Info)
 DAGUERRE. Anne, 2011, Les programmes de lutte contre la pauvreté au Venezuela,
Critique Internationale n°46, p 147-167 (CAIRN Info)
 LANGUE. Frédérique, 2009, De la révolution bolivarienne au socialisme du XXIème
siècle : héritage prétorien et populisme au Venezuela Problèmes d’Amérique Latine,
p27-45 (CAIRN Info)
25
 PARENTI. Christian, 2006, Venezuela : une révolution indéchiffrable, édition La
Découverte, Mouvements, p131-148 (CAIRN Info)
 RUI. Sandrine, 2013, Démocratie Participative, Dictionnaire critique et
interdisciplinaire de la participation, GIS Démocratie et Participation, Paris
Rapports:
 CIVICUS NGO, 2011, Civil Society Profile : Venezuela
 International Center For Non profit Law NGO, 2012, NGO Law Monitor,
 U.S State Department, 2010, Human right Reports, Advancing Freedom and democracy
reports

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la société civile vénézuelienne sous l'ère Chavez

  • 1. 1 Master en Sciences de la Population & du Développement Le projet participatif chaviste Une révolution à travers le prisme de la société-civile Présenté par : Robin ABRIC Promoteur : G. PIROTTE Année Académique 2013-2014
  • 2. 2
  • 3. 3 Table des matières Introduction............................................................................................................................................. 4 Première partie: Donner un cadre de lecture à la société civile............................................................. 6 A) Une conception à l’épreuve du temps ........................................................................................ 6 a) L’ordre politique Antique ........................................................................................................ 6 b) L’Etat civil................................................................................................................................. 7 c) La société civile de l’individu: un contre-pouvoir.................................................................... 7 d) Le tiers secteur pour gommer les imperfections .................................................................... 8 B) La société civile au secours de la Démocratie............................................................................. 9 a) Un monde à trois dimensions ................................................................................................. 9 b) La Démocratie Participative .................................................................................................. 10 Deuxième partie : la politisation de la société civile par les pouvoirs publics ...................................... 11 A) L’arme du pétrole...................................................................................................................... 11 a) La loi organique des hydrocarbures...................................................................................... 11 b) Le pays de l’or noir ................................................................................................................ 12 c) Un enjeu politique d’utilité révolutionnaire.......................................................................... 12 B) Les programmes sociaux ........................................................................................................... 13 a) Une situation économique et sociale exsangue.................................................................... 13 b) Les premières Missions ......................................................................................................... 14 C) Vers encore plus de participation ............................................................................................. 16 a) Les conseils locaux................................................................................................................. 16 b) L’élan coopératif.................................................................................................................... 16 Troisième partie : la société civile, un obstacle au socialisme du 21eme siècle................................... 17 A) Un fait participatif à deux vitesses................................................................................................ 18 a) L’associatif comme contre-pouvoir....................................................................................... 18 b) L’outil législatif ...................................................................................................................... 18 B) La poussée des conflits sociaux................................................................................................. 19 a) Les raisins de la colère........................................................................................................... 19 b) L’intronisation de la violence ................................................................................................ 20 C) L’entêtement du régime............................................................................................................ 20 a) Un projet porteur d’espoir .................................................................................................... 21 b) Beaucoup trop nombriliste.................................................................................................... 21 Conclusion ............................................................................................................................................. 22 Bibliographie.......................................................................................................................................... 24
  • 4. 4 Introduction Le 5 mars 2013 restera une date importante dans le paysage politique Vénézuélien et dans l’histoire du pays. Le président Hugo Chavez meurt des suites d’un cancer alors qu’il vient de se faire réélire pour la troisième fois (en 2012), au poste de Président de la République. Il occupait cette fonction depuis le début de son premier mandat en 1999. Sa mort renvoie alors à tout un pays, l’interrogation de son devenir et de ses choix politiques futurs. Ils sont aujourd’hui assumés dans la continuité de Chavez par un de ses plus proches disciples, Nicolas Maduro. Il n’est pas question de s’attaquer frontalement aux enjeux et défis post-chaviste. Ce travail cherche avant tout à élucider le phénomène Chavez et aller au-delà de la simple dichotomie pro ou anti chaviste. Le Venezuela a été sous Chavez et est toujours une société profondément fragmentée dans le sens où elle clive, elle divise la population en deux parties distinctes: les pauvres et les riches, pourrait- on dire pour être un brin réducteur. On parlera ici de deux visions de vie en société qui s’affrontent. D’un côté, le Néolibéralisme et de l’autre le Socialisme du 21ème , un projet qu’on qualifie et que Chavez qualifiait lui-même d’anti-néolibéralisme mais qui mérite d’être étudier pour ce qu’il est réellement et non seulement dans sa simple opposition. L’arrivée au pouvoir de Chavez en 1999, après un premier coup d’état manqué en 19921 , marque avant tout la fin d’un système politique planifié et bien trop prévisible. On a longtemps qualifié le Venezuela : « d’exception vénézuélienne » pour son système démocratique des années 60 à 80 dans une Amérique Latine, alors confrontée à une pluralité de dictateurs. Le Venezuela est une démocratie certes, mais une démocratie qualifiée de « contrôlée » (Mouterde, 2012) qui prend source dans un pacte politique établit dans la propriété de « PuntoFijo » en 1958. Il établit un régime d’alternance au pouvoir entre les grands partis politiques du pays (tous bords confondus) et prétend stabiliser définitivement le processus démocratique contre les coups d’états. Dans une période comme la Guerre Froide et face à la menace cubaine contre le « monde libre », le pays fût une zone géopolitique stratégique pour les Etats- Unis et l’objet de toutes les convoitises, notamment pour son pétrole (nous en reparlerons). Cette alliance de « Punto Fijo » fige en quelque sorte la démocratie et limite toutes nouvelles alternatives politiques. La politique de Chavez, c’est le socialisme du 21ème siècle, qu’on peut qualifier aussi de projet bolivarien2 . C’est selon son instigateur, une révolution qui se veut avant tout sociale et indépendante de 1 Le 4 février 1992, avec l’appui de plus de 2000 hommes, Chavez et quelques collaborateurs lancent une opération militaire visant à destituer le président, alors en exercice Carlos Andrés Perez, en cherchant à s’emparer des principaux lieux de pouvoir de la capitale: le palais présidentiel de Miraflores, l’aéroport de Carlota ainsi que le musée Militaire. Cette opération, ponctuée de nombreux imprévus est un échec et Chavez sera emprisonné par la suite. Néanmoins, il s’est construit auprès de la population, une image et une solide réputation de défendeur du peuple, à partir de ce coup manqué. 2 Chavez fait référence à la figure de Simon Bolivar, qui à l’aube de la fin de l’Empire colonial Espagnol va tenter de créer un projet d’Amérique du Sud unifiée mais surtout indépendante.
  • 5. 5 l’impérialisme américain3 . Mais qu’entend-on par le mot révolution? Le dictionnaire Larousse parle de « changement brusque, d’ordre économique, moral, culturel qui se produit dans une société ». La révolution vénézuélienne, si elle a pour point de départ la victoire électorale d’un ancien militaire putschiste, n’a cependant jamais remis en cause les deux piliers du pays : le pétrole et la politique étrangère. Qu’en est-il alors? Nous utiliserons ici les lumières d’Antonio Gramsci à travers sa conceptualisation de l’hégémonie pour appréhender la vision Chaviste. Le socialisme du 21ème siècle, c’est une croisade contre une population à la solde du néolibéralisme qui tient d’une main de fer le pays alors qu’une grande majorité de la population vît dans une extrême pauvreté. Gramsci montrait que le pouvoir politique reposait sur deux dimensions: l’autorité (l’exercice de la violence légitime) et l’hégémonie. Pour renverser la classe dominante, et occuper une place politique sur le devant de la scène sur le long terme, il ne suffit pas de renverser les anciens dirigeants et de les mettre hors-jeu, il faut aussi gagner « le consentement de larges secteurs de la population, c’est-à-dire apparaître comme la direction intellectuelle ou idéologique de la société entière. » (Gramsci, 1975) C’est cette hégémonie que va tenter d’organiser Hugo Chavez. C’est alors les grands débuts du projet participatif mis en œuvre dès son arrivée, dans la nouvelle Constitution de 19994 . A côté des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, on introduit le pouvoir électoral et le pouvoir citoyen. Sur le papier, la démocratie participative est mobilisée comme le complément de la démocratie représentative. « El présidente » marque un profond rapprochement avec le peuple, ce qui lui vaudra l’accusation de populiste. Sur ce point, Pierre Rosanvalon définît le populisme telle une « forme extrême antipolitique » (Rosanvalon, 2006, p276) dans le sens où le souverain va s’intéresser à un peuple hétéroclite de manière homogène en exacerbant son mécontentement, pour s’abroger ses faveurs5 . Il est alors intéressant de voir comment cette population à travers la perche tendue par la Constitution de 1999 va faire usage de son droit de participation au destin du pays et quelle est donc la place que cette dernière occupe dans le processus hégémonique et participatif du socialisme du 21ème siècle? Nous utiliserons tout au long de ce travail la notion de « société civile» comme prisme de la population. La première partie du travail consiste à poser les bases théoriques de ce concept et ses liens 3 Il est important de noter ici l’importance que l’Amérique Latine a constituée depuis des décennies dans la stratégie géopolitique des Américains. On se rappelle des théories de M Friedmann qui se sont dispersés dans nombreux pays latinos ainsi que la dépendance en ressources des Etats-Unis qui consomme alors de l’énergie comme personne ne l’a eu fait auparavant. 4 Il la distribuera sous forme de petits livres à l’entièreté de la population, symbole de sa volonté de s’accaparer le soutien du peuple. 5 Le but de ce travail ne réside en rien dans le fait de savoir si Chavez est populiste ou pas. Il apparaissait tout simplement utile de mentionner ce fait qui fait amplement débats aujourd’hui dans nombreuses sociétés et pas seulement au Venezuela, mais aussi en France par exemple avec le mouvement du Front National.
  • 6. 6 étroits avec la démocratie participative pour ensuite étudier à la loupe les tentatives de mobilisations et d’évitements de cette dernière par l’appareil étatique dans le cadre du projet politique chaviste. Première partie: Donner un cadre de lecture à la société civile L’exercice de définition de la notion de société civile n’est pas une mince affaire tant ce mot composé est utilisé à toutes les sauces autant au niveau des institutions (aussi bien nationales, qu’internationales, Banque Mondiale en tête) que sur le plan médiatique et scientifique. Il est alors compliqué de donner un sens univoque et rectiligne à cette sorte de Buzz-Word « qui s’est imposé ces dernières années avec succès sans que ce vocable ne revête toujours un sens précis » (G.Pirotte, 2007, p4). L’exercice consiste dans cette première partie du travail à d’avantage donner un cadre de lecture du concept, plutôt que de s’attaquer à une définition en bonne et due forme. Il est important dans un premier temps, d’appréhender l’apparition du terme société civile et les différentes caractéristiques qu’il arbore de manière diachronique, afin de permettre au lecteur de considérer les changements de perception du concept. La société civile se base sur trois dimensions, trois fondations sur lesquelles, elle va se construire. On parlera ici du pilier associatif, normatif et la notion d’espace public, pour ensuite terminer avec son incarnation dans le processus chaviste: la démocratie participative. A) Une conception à l’épreuve du temps « Il est impossible de poser convenablement les problèmes de notre temps, et notamment celui de la nature de l'homme, si l'on perd de vue que l'histoire est le nerf de la science sociale » C Wright Mills. Etudier l’histoire du concept, c’est avant tout comprendre comment ce dernier s’est façonné, s’est construit, à travers quelle étape il s’est forgé. Ce travail est primordial. L’acquisition d’une vue d’ensemble va nous permettre par la suite de transposer cette réalité théorique dans une étude de cas contemporaine comme le Venezuela d’Hugo Chavez. a) L’ordre politique Antique L’avènement de la démocratie dans l’époque Antique, chez la civilisation Grecque puis par la suite Romaine marque le début avec des auteurs comme Aristote, Platon puis Cicéron, d’une réflexion poussée sur les enjeux du vivre ensemble. C’est ainsi que la Philosophie Politique prend ses racines et marque le début du développement d’une véritable conscience politique chez l’homme. La démocratie met en avant un homme nouveau qu’Aristote nomme « Animal Politique ». « La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et (…) l’homme est par nature un animal politique » (Aristote, 330
  • 7. 7 Av JC). Ce qui est important ici, outre les prédispositions naturelles de l’homme à vivre ensemble, c’est le fait que l’homme dans la vie de la cité forme un tout, une communauté de citoyens (« polis ») qui va organiser politiquement son existence commune. C’est en cela qu’Aristote voit la société civile, une société organisée politiquement. b) L’Etat civil L’intérêt général reste le challenge que toute société démocratique se doit de relever. « La notion d’intérêt général se présente comme un principe fondamental de légitimation du pouvoir dans les sociétés modernes : tout pouvoir quel qu’il soit est en effet tenu d’apparaître comme porteur d’un intérêt qui dépasse et transcende les intérêts particuliers des membres ; cette représentation permet d’ancrer la croyance dans son bien-fondé et de créer le consensus indispensable à son exercice. » (A. Chevalier, 1978). La société civile avec l’apparition des Etats-Nations puis à l’approche de l’ère industrielle va progressivement s’incorporé dans l’Etat au point que nous parlerons ici d’« Etat-Civil ». Thomas Hobbes (1588-1679) dans son œuvre «The Leviathan» (1651) est un des premiers à penser la logique de «contrat social». Selon lui, l’homme vit originellement dans un état de nature ou règne l’instabilité. Il a besoin d’un ordre politique pacifié afin d’assurer sa sécurité et son bien-être. L’intronisation d’une force coercitive légitime, en la personne de l’Etat, va alors créer cet ordre et c’est à travers ce contrat entre l’Etat (le souverain) et l’homme que la société civile prend naissance selon l’auteur. John Locke (1632-1704) dans son ouvrage « Two Treatises of Government » (1690) parle lui de « totalité sociale » (J.Locke, 1690). La société civile c’est « l’Etat à qui les êtres humains délèguent le contrôle et l’agencement de la loi naturelle » (Pirotte, 2007, p14). Cette focalisation étatique qui va s’amoindrir par la suite, reste toujours dans la vision d’une société organisée politiquement et juridiquement, une société où règne l’ordre. c) La société civile de l’individu: un contre-pouvoir L’avènement d’une société capitaliste industrielle marquera un nouveau tournant dans la théorie de la société civile avec la remise au premier plan de l’intérêt privé. La société civile prend ici ses distances avec les hautes institutions politiques et renie toute existence de contrat social. La poursuite des intérêts privés autorise la satisfaction des besoins de tous et chacun est gagnant. Cette vision se constitue essentiellement sur la notion de besoin, propre à la société marchande. Il est important de noter aussi qu’elle donne une place prédominante à la confrontation des intérêts privés. Elle ravive la dimension de conflits que des auteurs comme Machiavel ont largement encensé (Machiavel, 1513). Elle se crée au quotidien à travers l’action d’individus isolés, opposés non pas à l’état de nature mais à l’Etat tout court.
  • 8. 8 Montesquieu dans De l’Esprit des Lois (1748) sera le premier à mettre en exergue la séparation des pouvoirs pour éviter tout absolutisme. C’est le fameux «pouvoir qui arrête le pouvoir» (Montesquieu, 1950). Inscrit dans cette nouvelle pensée de l’homme démocratique, Tocqueville (1805- 1859) dans son œuvre « De la démocratie en Amérique » (1835) lance des pistes de réflexions aux vues de ses observations américaines pour un regain démocratique de nos sociétés européennes. En effet, l’Etat est garant de plus d’égalité mais Tocqueville se pose la question de savoir si cela se fait au détriment des libertés fondamentales6 . Selon lui, le fait associatif qu’il décrit comme « la science mère » (Tocqueville, 1986) est le plus à même de réconcilier l’égalité à la charge de l’Etat avec les libertés individuelles du peuple. Il est le socle de la société civile dans la manière où il remet en liaison une population séparée depuis la fin de la monarchie, où chacun occupait auparavant, socialement une place précise, limitée et fortement hiérarchisée. La société civile est donc ici un véritable contre-pouvoir au profit du peuple pour se prémunir des excès du pouvoir étatique et conserver collectivement ses libertés fondamentales. d) Le tiers secteur pour gommer les imperfections On arrive ici dans une dimension plus contemporaine de la société civile en tant que tiers-secteur. L’homme est ici ancré dans un système capitaliste, marchand et les premiers couacs sociaux de ce système commencent à se faire ressentir : promiscuité, violence, pauvreté, maladies, etc. Avec l’affirmation de la liberté d’association (1901 en France et 1831 en Belgique), cette nouvelle société civile qui panse les blessures et qui gomme les imperfections va s’affirmer. On partira ici de la définition du conseil de Wallonie de l’économie sociale : « Par économie sociale, on entend les activités économiques productrices de biens ou de services, exercées par des sociétés, principalement coopératives et/ou à finalité sociale, des associations, des mutuelles ou des fondations (ici d’utilité publique) dont l'éthique se traduit par: le service à la collectivité, une certaine autonomie, un processus démocratique de décision et la primauté des personnes et du travail sur le capital» L’économie sociale est là pour replacer l’homme au centre des débats, et affirmer sa primauté sur le matériel. Elle se distingue par conséquent du Marché et de l’Etat sans être déconnectée complétement de ces deux entités7 . La participation de la population au niveau local, afin de régler les problèmes collectifs est ici essentielle. L’économie sociale ne veut pas changer les fondations du système mais juste sa décoration intérieure. La société civile n’est donc pas une notion figée mais bien en constante mutation (fonction des points de vues et des époques). Elle revêt différents sens et significations parfois contradictoires, parfois 6 On peut faire ici référence à l’Etat Jacobin, centralisateur de la période d’après 1789 et son caractère extrêmement privatif des libertés. Sous prétexte d’être le garant de l’intérêt général, on pense notamment à la période de la grande terreur qui fît en France des milliers de morts. 7 La dépendance financière de ce secteur aux deux premiers est une réalité.
  • 9. 9 complémentaires. Il est alors intéressant de voir comment cette dernière s’insère dans le processus démocratique contemporain. B) La société civile au secours de la Démocratie La société civile est aujourd’hui contextualisée dans une situation politique de désenchantement. Il n’y a qu’à constater l’absentéisme grandissant que chaque élection revêt. La démocratie délibérative est devenue comme le souligne Pierre Rosanvalon dans son ouvrage « La contre Démocratie » (2006) une démocratie au fonctionnement opaque, loin du peuple, où on vote la majorité du temps pour le moins pire. « Le citoyen s’est mue en un consommateur politique de plus en plus exigeant, renonçant tacitement à être le producteur associé du monde commun » (Rosanvalon, 2006, p 258). Le citoyen est donc un être déçu, porteur d’une vision négative qui va s’employer à simplement défier le pouvoir en place de manière pessimiste. P. Rosanvalon ne parle à aucun moment dans son ouvrage de société civile mais l’expression de « Contre Démocratie » nous amène à voir en quoi cette société du peuple a son mot à dire dans une conception plus participative de la société démocratique. a) Un monde à trois dimensions Il me semble d’abord important de distinguer les trois éléments qui façonnent cette vision (bien que changeante) de la société civile. Comme le souligne Gautier Pirotte dans son ouvrage « la notion de société civile » (2007), « le tissu associatif, ce sont ces associations, organisations et mouvements qui à la fois accueillent, condensent et répercutent, en les amplifiant dans l’espace public politique, la résonance que les problèmes sociaux trouvent dans les sphères de la vie privé ». L’association stimule le capital social. On parle ici de relations sociales basées sur la confiance. Elle renforce alors à travers son activité la confiance entre les citoyens. Elle leurs permet de transcender le noyau familial. Le fait de s’associer va par la suite harmoniser tous ces capitaux sociaux et va contribuer à la formation et l’affirmation de valeurs8 , de normes. Dans une vision très Néo-Tocquevilienne, l’homme va se sociabiliser démocratiquement en apprenant à vivre ensemble, à respecter des règles qui assure le bien être de chacun. C’est en ce sens que l’on peut affirmer que la société civile à travers les différentes liaisons qu’elle crée au sein de la société et la confrontation des idées qui en découle, va dégager des lois implicites, mais qui au regard de l’expérience de la vie vont figurer au rang de normes. Troisième point important de notre raisonnement ici, c’est le concept d’espace public comme arène de délibération et d’argumentation de ces normes. C’est le lieu qui permet le débat public où le conflit est édifié. Jürgen Habermas définit l’espace public comme « un réseau permettant de 8 Il faut souligner que toutes les valeurs ne se valent pas et que la disparité des ressources au sein des différentes associations va pousser vers le haut telles valeurs au détriment d’autres. Mais cela est un tout autre débat qui ne sera pas abordé ici.
  • 10. 10 communiquer des contenus, des prises de positions… les flux de communications y sont filtrés et synthétisés de façon à se concentrer en opinions publiques » (Habermas, 1997, p 387). L’espace public est alors selon Habermas une zone tampon entre les différents « stake-holders » sociétaux, institutions et organisations de la société civile dans laquelle le conflit et la subjectivité des opinions vont dans une vision progressiste nous amener à résoudre les problèmes d’ordre collectif. On assiste ici à « une désacralisation de l’intérêt général qui implique alors un rapport nouveau entre le public et le privé » (Chevalier, 2013). b) La Démocratie Participative On en vient à la notion de démocratie participative qui est aujourd’hui largement associée à la société civile, à cette volonté que le peuple participe activement à la vie politique de son pays. Sandrine Rui parle de « l’ensemble des procédures, instruments et dispositifs qui favorisent l’implication directe des citoyens au gouvernement des affaires publiques.» (S. Rui, 2013). Le citoyen est inégalement informé, encouragé à rester passif. Un fossé se creuse de plus en plus entre gouvernants et gouvernés. Ces derniers doivent dépasser leur simple statut d’électeur et par la même occasion de figurant qu’il occupe la majorité du temps, afin d’exprimer tous leurs talents. Il est important ici de recréer du lien social, de la solidarité comme se plaît à le dire l’écrivain et philosophe Edgar Morin. Il faut tout simplement apprendre « à connaitre son voisin » (Pirotte, 2007, p62). Les lois de décentralisation en France (1982) ont cherché à rapprocher les centres de décision politiques de la population pour que cette dernière se sente un minimum impliquée. La création des comités de quartiers s’inscrit aussi dans cette dynamique. Le local devient la nouvelle arène publique où l’individu, dans sa qualité d’habitant prend part au débat public. On assiste ici à « l’apparition de nouveaux espaces de délibération » (Pirotte, 2007, p64). Il faut souligner le problème de la représentativité parfois trop élitiste et l’utopie de la participation universelle qui pourrait sembler un brin totalitaire. Il est important alors de citer le phénomène de tirage au sort énoncé par des personnes comme Etienne Chouard afin de permettre un « turn-over » politique participatif régulier garant d’une certaine égalité. La société civile, dans ces jours actuels et à l’entame du cas Vénézuélien, peut être considérée comme un concept puissant et porteur d’une nouvelle vision de la démocratie, certes toujours imparfaite mais qui se réclame comme étant plus approfondie, plus proche du peuple. Il reste à savoir en quoi le concept participatif du président Chavez organise-t-il ce rapprochement ?
  • 11. 11 Deuxième partie : la politisation de la société civile par les pouvoirs publics La société civile est le catalyseur du projet de Démocratie Participative. On va voir à quelle point elle devient un enjeu pour le président Chavez et sa révolution du 21ème siècle, car l’hégémonie ne s’acquiert que si vous vous évertuez à donner de l’importance au peuple. C’est ce que Hugo Chavez va amplement faire à travers ce qu’on appellera ici : « une politisation top down » du peuple par l’Etat. A) L’arme du pétrole « La politique et l’économie sont comme deux amants qui cherchent à s’émanciper chacun de leurs côtés, mais au final ils finissent toujours par retomber dans les bras l’un de l’autre. » a) La loi organique des hydrocarbures Les « 49 mesures » marquent le virage socialiste de la politique de Chavez : une série de lois publiée sous décrets9 , se voulant réformatrice des principaux secteurs productifs dont le secteur du pétrole. Comme le souligne P.Guillaudat et P Mouterde dans leur ouvrage « Hugo Chavez et la Révolution Bolivarienne » (2012), on assiste à une forte percée de la révolution Chaviste à travers une nouvelle orientation économique concoctée de manière radicale par le gouvernement. Parmi ces différentes lois10 , on notera celle des hydrocarbures (novembre 2001); source de nombreuses contestations de la part de l’opposition et qui amènera la tentative de coup d’état raté du 11 avril 2002. L’entreprise nationale « Petroleos de Venezuela »(PDVSA) est une entreprise d’Etat à l’époque qui ne souffre d’aucunes surveillances, ni d’aucuns contrôles sur un fonctionnement qui apparaît alors bien opaque. Le projet est clair, le gouvernement Chaviste se donne ici les moyens d’en finir avec « les caisses noires »11 et le clientélisme pour plus de transparence. Il veut aussi contraindre l’entreprise à verser son dû à l’Etat. Dû qui sera désormais fixé par décret présidentiel. 9 Hugo Chavez profite en effet d’une loi habilitante de novembre 2000 qui l’autorise à gouverner par décret pendant un an. 10 Parmi les principales mesures à retenir, on se rappelle de la loi sur la Terre et le Développement Durable (« Ley de Tierras y desarrollo Agrario ») qui a pour but de réorganiser la production agricole sur deux axes majeurs, le droit à la terre et le développement durable. On annonce par la même occasion la création d’un Fonds Social Unique (« Fondo Unico Social ») permettant de coordonner la gestion et l’investissement des programmes sociaux à venir. 11 C’est ainsi que Chavez les nommera.
  • 12. 12 b) Le pays de l’or noir Le Venezuela est en effet un producteur et exportateur de pétrole important à l’échelle mondiale depuis les années 30, date des premières grandes découvertes de gisements pétroliers. En 1999, à l’aube de la loi sur les hydrocarbures, le Venezuela avait des réserves estimées à 70 ans et une production d’environ 4 millions de barils par jours (G. Coronel, 2007, p208). L’industrie est bien rodée à la tâche, elle possède un secteur de raffinage important et une technicité reconnue. Le pays posséderait selon les dernières estimations les plus grandes réserves de pétrole prouvées à ce jour soit un total de quasi 18% des réserves mondiales12 . La Vallée de l’Orénoque localisée pour les 2/3 au Venezuela offre pour certains experts une des plus grandes accumulations d’hydrocarbures mondiale. Le trésor public français affirme dans un rapport de 2012 que le pétrole génère 95 % des exportations du pays, chiffre témoin d’un pays complétement dépendant de son or noir. Certes, des projets de diversifications ont été développés comme l’agriculture notamment, sans grand succès. On se souvient des pénuries en produits importés, exemple saisissant en 2013, la pénurie de papiers-toilettes qui a frappé le pays. c) Un enjeu politique d’utilité révolutionnaire L’arrivée de Chavez va complètement redéfinir l’utilisation du pétrole qui devient à temps plein, une arme au service et à la botte de l’Etat. Il devient un moyen de construire « un pouvoir contre hégémonique alternatif à celui des classes dominantes » (P. Guillaudat, 2012, p129). L’Etat va utiliser la rente pétrolière pour asseoir son pouvoir à l’intérieur du pays. C’est le début des grandes politiques de redistribution en faveur des populations les plus défavorisées à travers les politiques sociales du gouvernement. Comme exemple, en 2010, alors que Chavez est toujours au pouvoir, PDVSA a versé 20 milliards de dollars soit l’équivalent de 15 milliards d’euros aux programmes sociaux du gouvernement. Roberto Mandini, PDG de PDVSA en 1999 parlera de l’entreprise pétrolière comme de la « tirelire du gouvernement ». Il est à noter que le pays est un des fournisseurs principaux des Etats-Unis depuis de nombreuses décennies. Pendant la seconde guerre mondiale, ce rôle fut un facteur déterminant dans la victoire des alliés. Nationalisé depuis 1975 et maintenant aux mains du projet bolivarien, le pétrole devient une arme anti-américaine. Elle va permettre notamment à son leader de s’octroyer les bienveillances de tous les ennemis des Etats-Unis d’Amérique. On soulignera la politique extérieur de « copinage » avec la Syrie, l’Iran, Cuba, ennemis tous désignés des Etats-Unis et les échanges de bons procédés consentis par ses pays au Venezuela en échange du pétrole13 . 12 Source: http://www.bp.com/en/global/corporate/about-bp/statistical-review-of-world-energy-2013/review-by-energy- type/oil/oil-reserves.html (consultée en juillet 2014) 13 On en reparlera notamment avec Cuba dans le cadre des missions.
  • 13. 13 B) Les programmes sociaux Gagner la bataille de l’hégémonie et donc l’accomplissement du socialisme du 21ème siècle, c’est avant tout pour Chavez se donner les moyens de construire peu à peu un pouvoir contre hégémonique alternatif à celui des classes dominantes acquises à la cause néolibérale14 . Il va donc s’efforcer de renforcer les classes populaires au sein de la société. Patrick Guillaudat et Pierre Mouterde nous rappelle intelligemment que cette acquisition d’une majorité de la population à sa cause passera par l’ouverture de nouveaux espaces démocratiques, « en cherchant à démocratiser la société de part en part, et pas seulement en termes juridiques, culturels ou symboliques mais aussi en termes productifs, économiques et institutionnels. » « Le changement majeur c’est l’incorporation comme sujets d’action politique des majorités pauvres du pays qui se trouvent exclues. » (P Guillaudat, 2012, p131). a) Une situation économique et sociale exsangue A l’aube du lancement des vastes programmes sociaux qui prendront le nom de « Missions », le pays connaît une importante crise économique qui de 2001 à 2003 va considérablement aggraver les conditions de vie des couches populaires. De 45% de la population considérée comme étant pauvre, on passe à 55%15 durant cette période16 Les facteurs sont tous désignés : hausse du taux de chômage, baisse des salaires, part importante de travailleurs dans le secteur informel. Car le problème du Venezuela, c’est que l’économie du pays repose sur seulement un secteur qui monopolise toutes les attentions : bien entendu celui du pétrole. Et cette denrée rare est tout sauf un long fleuve tranquille. Les fluctuations du cours provoquent de temps à autres de graves dépressions dans une économie complètement dépendante. De plus, l’opposition à Chavez compte de puissants alliés économiques influents. Symbole de cette période d’instabilité, la « grève des gérants » qui va mettre, d’octobre à décembre 2002, l’industrie pétrolière en paralysie causant de sérieux dommages collatéraux sur le plan économique17 . L’inflation reste le fléau marquant de cette situation économique instable et faiblarde. Maxim Ross économiste parle d’une moyenne d’inflation sur les 20 dernières années qui tourne autour des 30%, chiffre hallucinant qui fait du pays le champion du monde en la matière. Le dispositif de contrôle des changes et des prix est clairement pointé du doigt par les spécialistes. Certaines accusations, dont celles de l’actuel président et successeur de Hugo Chavez, Nicolas Maduro vont à l’encontre de l’opposition 14 Edgardo Lander pose la question « en quoi consiste un projet contre-hégémonique viable dans le monde actuel ? Un retour aux substitutions d’importations, un Etat de bien-être social ? Un projet anti néo-libéral à l’intérieur du capitalisme ? 15 http://interwp.cepal.org/cepalstat/WEB_cepalstat/Perfil_nacional_social.asp?Pais=VEN&idioma=e (site de la CEPAL : consulté 07/14) 16 Il est à noter aujourd’hui que le taux de pauvreté en comparaison à cette époque est sensiblement inférieur, avoisinant les 24%. 17 Toute la direction et les cadres techniques supérieurs participeront à cette grève, bloquant ainsi la production, le transport et la distribution. L’activisme de quelques cercles d’ouvriers permettra avec l’aide du gouvernement de relancer la production laissant le pays dans une situation économique catastrophique.
  • 14. 14 et l’accuse d’organiser des pénuries volontairement, dans le but d’augmenter les prix. Les trop grosses dépenses de l’état sont aussi pointées du doigt. Cette création excessive de monnaie finit tout bonnement par être excédentaire à la réalité de la production. Déjà en 1999, Chavez avait lancé dans une période d’instabilité économique encore, le plan « Bolivar » : une sorte d’action sociale à échelle nationale dans une période politique qu’on ne peut pas encore qualifier en rupture avec celle de « PuntoFijo ».18 C’est le premier programme d’intervention sociale de l’ère bolivarienne. Il se donne bien évidemment pour cible les quartiers populaires. On est ici dans une réponse d’urgence à dimension humanitaire : vaccination, dépistage, distribution de repas, réparation d’infrastructures (écoles, hôpitaux)… Outre les chiffres qui légitimeront ce succès, les critiques se focaliseront sur le caractère assistentialiste. Comme le disait le ministre actuel du transport terrestre du pays, Haiman El Troudi « Aucun problème d’ordre structurel ne peut être solutionné avec des mesures contingentes ». De plus, des scandales de corruptions et le peu de contrôles administratifs entacheront ce relatif succès. Il est important de notifier ici qu’on est encore loin de l’image d’un développement participatif par le peuple pour le peuple. Vient alors 2003, Hugo Chavez sort de plusieurs tentatives de déstabilisations venant de l’opposition (tentative de coup d’Etat19 , grève générale,…). Devant les fortes réactions populaires qui lui ont permis de conserver son poste, il va alors entreprendre de consolider et de véritablement lancer sa révolution hégémonique et populaire. Les Missions en sont le symbole le plus révélateur. b) Les premières Missions Elles s’inscrivent directement dans la continuité du plan « Bolivar » avorté quelques années plus tôt. Elles prennent place à l’intérieur d’un vaste plan de lutte contre la pauvreté et visent au développement rapide de services de santé, d’éducation, d’alimentation et de logement. Le nom de Mission n’est pas anodin et gargarise symboliquement la mobilisation populaire. On est en plein ici dans ce souhait de créer une hégémonie populaire autour de Chavez, clé du succès du socialisme du 21ème siècle. Le gouvernement de cette époque le décrit parfaitement bien : « Ces politiques révolutionnaires s’orientent pour solder l’énorme dette sociale que traîne la nation, après des décennies de gaspillage et d’exclusion sociale, et pour construire un nouvel Etat social révolutionnaire » (P Guillaudat, 2012, p138). Très vite, Hugo Chavez et ses proches collaborateurs se rendent compte que les circuits traditionnels de la bureaucratie sont parsemés d’embûches en la personne des nombreux opposants anti- chaviste. Comme le Souligne Anna Daguerre, on va alors « multiplier les mécanismes ad hoc reposant 18 A cette époque, le modèle économique reste fondé sur le rôle de la concurrence et de l’entreprise privée. L’Etat, lui régule et favorise les investissements publics. 19 A ce propos, voir l’excellent documentaire : « La révolution ne sera pas télévisée » réalisée par Kim Bartley et Donnacha O’Briain.
  • 15. 15 largement sur la coopération du secteur privé et des ONG » (A. Daguerre, 2010, p154). On va donc s’appuyer sur la société civile majoritairement pour réaliser ces programmes. Hugo Chavez qui présente lui-même une émission télévisé appelée « Alo Presidente » va user de cette position médiatique20 pour donner une plus grande visibilité à ses missions auprès de la population. Il sera relayé par les fameux cercles bolivariens sur le terrain, véritable fer de lance et partisan du président. Bien qu’il existe plusieurs missions, nous allons nous pencher sur les deux plus révélatrices de l’ère Chavez et touchant à des problèmes de première ordre que sont la santé avec la mission « Barrio Adentro » et l’éducation avec les missions « Robinson 1 et 2, Ribas et Sucre ». Dans un premier temps, faute de concours de la part des principaux acteurs en la matière, le gouvernement fort de ses relations diplomatiques avec la Cuba de Fidel Castro, va utiliser le pétrole comme monnaie d’échange. En contrepartie, Cuba va alors envoyer une horde de médecins, de fournitures, de manuels scolaires et enseignants pour mener à bien les débuts des Missions. Au niveau de la santé, outre l’arrivée des médecins et des fournitures, on met en place une véritable médecine participative et communautaire. On mobilise les différentes organisations de quartiers pour qu’elles définissent les besoins de santé. Un comité de santé se met en place à côté de chaque centre de santé composé d’élus. Les habitants participent alors à « une démarche communautaire tendant à les transformer en agent de leurs propres santé » (P. Guillaudat, 2012, p 139). Au niveau de l’éducation, on participe à l’éducation des populations les plus désœuvrées et à leurs insertions dans le circuit scolaire national. Il faut y voir ici un enjeu politique qui va bien au-delà de la lutte contre les inégalités. On tente ici de former un nouveau pan de la société, diplômé proche du mouvement bolivarien et prêt à participer à la transformation du pays. En effet, la majorité des personnes occupant un poste administratif ou un métier nécessitant une formation universitaire sont acquis à l’opposition, dans la plus grande majorité. En trois ans, la mission « Bario Adentro » a touché plus de 20 millions d’habitants (70% de la population du pays). Elle a permis une meilleure prévention des maladies chroniques (diabètes, asthme, etc.). Le taux de mortalité des enfants a nettement reculé de 2003 à 2005. Pour ce qui est de l’éducation, malgré de nombreux obstacles qui retarderont la mise en place du projet21 , la fin de l’alphabétisme est officiellement déclaré au Venezuela avec un total de 1 482 543 élèves formés. La mission « Ribas » qui se donne pour objectif l’accès aux études secondaires a vu passer environ 700 000 élèves. Pour ce qui 20 Il est ici important d’informer le lecteur que la majorité des médias sont acquis contre le projet de Chavez. Chavez utilise les chaînes publiques pour animer lui-même un « talk-show » lui permettant de contraster avec l’image que véhiculent les chaînes privées. 21 On notera l’absence de locaux suffisamment disponibles pour former les étudiants, un encadrement enseignant insuffisant et aussi la concurrence avec les universités traditionnelles.
  • 16. 16 est de la mission « Sucre », véritable terminologie pour le régime, 37 centres universitaires vont ouvrir leurs portes dans tout le Venezuela pour quelques 100 000 élèves.22 Les missions sont un succès important en témoigne les chiffres qu’elles mettent en valeur après leurs premières années d’existence. Elles ont permis de stimuler un vaste mouvement de solidarité et améliorer la perception et la gestion de la vie communautaire des quartiers. C) Vers encore plus de participation Mais ces dernières vont faire face à des difficultés d’ordre structurel avec le temps. Difficultés que le mouvement bolivarien va contourner au profit d’encore plus de participation. a) Les conseils locaux Avant toute chose, il est important ici de noter que les Missions sous entendent une action de l’Etat qui stimule la participation communautaire. C’est pour la création d’organisations sociales que l’Etat met la main à la pâte dans l’optique de son objectif d’hégémonie idéologique. On notera aussi que le Venezuela est un pays historiquement dénué de mouvements sociaux nés de luttes sociales, organisés et capable de mobiliser des personnes de manière autonomes (principalement dans les quartiers populaires). Les années vont user le système, les organisations sociales mises en places perdent de la vitesse et s’apparente alors plus à des entités administratives sans véritable marge de manœuvre vis-à-vis de l’Etat. On est en plein dans les limites d’un phénomène « Top Down » s’instituant loin des réalités au plus haut de l’Etat. Le clientélisme reste aussi une réalité et la corruption n’est jamais très loin23 . On va donc mettre en place des organisations parallèles aux institutions élus existantes, « les conseils locaux » ayant pour but de court-circuiter les comités et pouvoirs municipaux. Il s’agit d’une structure paritaire faisant remonter les préoccupations directement au plus haut de l’Etat. Le succès restera peu visible, restant loin de l’objectif des 50 000 conseils communaux. On se repose essentiellement sur la participation populaire « avec toutes les promesses que cela éveille en matière de reprise collective du pouvoir » (P Guillaudat, 2012, p 153). b) L’élan coopératif Dans sa volonté de lutter contre le chômage, le gouvernement va fortement développer l’économie sociale à travers notamment la structure coopérative qui en incorporant la logique de profit dans son 22 Chiffres obtenus dans l’ouvrage « Hugo Chavez et la révolution Bolivarienne » préalablement cité (Voir bibliographie). 23 La mise en place de magasin solidaire : « les mercales » vont voir se développer des cas de détournement de marchandises par les responsables des points de vente afin de les revendre au prix fort sur le marché libre.
  • 17. 17 fonctionnement, (même si cette dernière n’est pas privilégié par rapport aux facteurs travail) représente une intéressante éventualité. C’est la mission « Vuelvan Caras » qui va former environ 250 000 « lanceros »24 qui bénéficieront d’une formation générale et d’une allocation mensuelle afin de constituer des coopératives. Le nombre de coopératives explose forcément dans tout le pays (85 000) mais le bilan reste mitigé; seulement un tiers en 2006 étaient encore en activité. Anna Daguerre déplore un opportunisme du court terme afin de percevoir des allocations, un certain clientélisme et autoritarisme qui renie le principe « d’une personne, une voix » cher au concept coopératif. Elle note aussi des retards dans le paiement des allocations mensuelles de la part du gouvernement, dû aux aléas économiques de la machine pétrolière. La mission fût remplacée par la mission « Che Guevara » aux objectifs sensiblement égaux mais avec une dimension révolutionnaire encore plus poussée à travers la création d’un homme nouveau «l’homme Bolivarien ». La pauvreté va être pour le projet Bolivarien la porte d’entrée pour le développement d’un projet participatif qui va constituer, autours des enjeux sociaux, en l’organisation poussée et ordonnée de la société civile au profit de l’appareil étatique et de son idéologie révolutionnaire. On est ici dans une conception de l’Etat civil comme on l’a vu dans la première partie plus orientée Lockéen et Hobbesien. Le socialisme du 21ème siècle n’est-il pas alors l’avènement d’un Etat Providence omniprésent et seul garant de l’intérêt général ? Troisième partie : la société civile, un obstacle au socialisme du 21eme siècle On l’a bien compris, le socialisme du 21ème siècle est un projet politique qui tire sa verve de la participation populaire. Cependant, il est à noter que le Venezuela est une démocratie élective de fait à laquelle Chavez s’est toujours plié même quand cette dernière lui fait défaut avec sa défaite au référendum de 200725 . L’opposition est visible sur les médias qu’elle contrôle majoritairement, dans ses démonstrations de force, mais qu’en est-il réellement de son implication dans le processus participatif. La confrontation des idées comme nous l’avons vu est une dimension fondamentale de la démocratie participative et la société civile doit permettre en ce sens la création d’un espace public favorable à l’institution du conflit. Le projet de démocratie participative n’est-il pas une chance pour le Venezuela de créer ce nouvel espace public où la société civile toute entière peut pleinement s’exprimer? 24 Lanciers : surnoms des participants à la mission. 25 Les réformes au centre des contestations et du « Non » au référendum porte sur l’extension des pouvoirs du Président, par exemple, la non-limitation de ses mandats successifs.
  • 18. 18 A) Un fait participatif à deux vitesses « Vous recevez d’une main ce que vous rechignez à l’autre. Au fond, c’est que vos valeurs ne sont pas sérieuses ». Jean Paul Sartre. a) L’associatif comme contre-pouvoir Le premier constat nous vient de deux organisations non gouvernementales: l’ICNL (International Center For Not For Profit Law) qui est une source d’information majeure pour tout ce qui a attrait à l’environnement légal de la société civile et CIVICUS, ONG qui fait du monitoring sur la société civile dans le monde. Ces deux entités, à travers leur rapport respectif, soulignent certains manquements du projet participatif chaviste et notamment à l’encontre des ONGs qu’on qualifiera ici de contre-pouvoir dans le sens où elles sont spécialisées sur la question des Droits de l’Homme et la surveillance de l’action du régime. Il est important de rappeler que le droit d’association est une liberté reconnue dans le pays, acquise en 1982. La Constitution du 30 décembre 1999 qui marque l’arrivée du président Chavez au pouvoir souligne l’importance de la protection des Droits de l’Homme et par conséquent en relation directe, la liberté d’association. L’article 67 n’est, on ne peut plus équivoque sur le sujet : « Tous les citoyens ont le droit de s’associer pour des fins politiques par le biais de méthodes, d’organisations, d’opérations et de direction démocratiques. » b) L’outil législatif Mais une proposition de loi va faire tâche sur ce bout de papier constitutionnel : la loi sur la coopération internationale de 2006. Elle ne sera jamais actée faute au « non » du référendum de 2007. En novembre 2010, le président dans un discours à l’assemblée nationale persiste en recommandant aux parlementaires de faire une « sévère loi » qui ferait obstacle aux associations politiques et non gouvernementales financées par « the Yankee Empire », à comprendre ici les Etats-Unis (Chavez, 2010). Ce projet contient des propositions saisissantes. Un fonds est établit sous l’égide du gouvernement qui va collecter toutes les donations venants de l’extérieur et s’abroge par la même occasion le droit de
  • 19. 19 redistribuer selon ses propres critères, ces ressources26 . Une agence est créée afin de contrôler tous les flux financiers venants de l’extérieur en direction d’associations. La loi va jusqu’à créer un système d’inscription étatique afin de distinguer les associations autorisées à avoir des relations quelles qu’elles soient avec une entité étrangère. La loi sur le crime organisé et le financement du terrorisme qui prend acte en mai 2012 va encore plus loin. Elle stipule que n’importe quelle activité financière qui paraît suspicieuse aux yeux du régime doit être relevée, même si la source de cette dernière est légitime. Ces lois cristallisent la peur d’un régime qui ne veut souffrir d’aucune contestation populaire organisée émanant de la société civile. En effet, les associations en tant que contre-pouvoir, parce qu’elles tissent du capital social et se construisent à partir d’une base populaire, représente une menace importante. Ces dernières, aux contraires des grands médias et des notables de l’opposition prennent racine directement dans la population. Accepter cette participation de défiance au projet bolivarien s’est risquer que les rangs de l’opposition gangrènent son électorat et voir son projet hégémonique battre alors de l’aile. B) La poussée des conflits sociaux a) Les raisins de la colère L’année 2007 et le premiers revers électoral de Chavez marque le ravivement de l’opposition et d’une partie de la population qui commence à voir les limites du projet politique chaviste. Bien que ce dernier remporte un nouveau référendum en 200927 , la corruption est toujours là et l’insécurité reste un fléau majeur avec un taux d’homicide vertigineux de plus de 13 000 homicides volontaires par an. Les réformes sociales tardent à venir se fixer aux programmes sociaux qui apparaissent plus pragmatique sur le court terme que réellement efficace sur la durée. Cette grogne sociale trouve aussi ces explications dans le fonctionnement institutionnel du régime et son enchevêtrement administratif. Les créations des Missions, des Conseils locaux créent un désordre administratif si bien que tout le monde revendique la même compétence, s’en suit un imbroglio des plus déconcertants. Au final c’est les institutions privés, qui fonctionnant en parallèle de manière autonome, tirent leur épingle du jeu au profit de la population la plus aisée. 26 Il est ici important de noter que les conseils locaux sont entièrement financés par le gouvernement alors que 2/3 des associations indépendantes au régime ne reçoivent aucune ressources de l’Etat. 27 Il revient sur sa proposition d’éligibilité à vie mais englobe cette fois ci tous les mandats politiques éligibles.
  • 20. 20 b) L’intronisation de la violence 2008-2009 est la période de multiplication des conflits sociaux, parfois violents. On y trouve des affrontements avec la police. Janvier 2009, deux salariés de l’usine Mitsubishi sont tués lors de rixes avec les forces de l’ordre, par des officiers. L’OSAL, observatoire de l’Amérique Latine souligne que 2008 est l’année de la mobilisation sociale depuis 1999 et l’arrivée de Chavez au pouvoir. Les grèves se multiplient par la suite et touchent tous les secteurs de l’économie : transport, construction, métallurgie, etc. On quémande des revalorisations salariales, des améliorations des conditions de travail. Les associations au fleuron de ces contestations ne sont pas en manques. Des rapports comme celui du département d’Etat des Etats-Unis soulignent de nombreux faits de non-respects des Droits de l’Homme, notamment des agressions et menaces à l’égard d’ONG. C’est le cas relevé de Rocio San Miguel qui à travers son ONG dénonça la présence dans le parti de Chavez de haut dignitaires militaires alors que la Constitution interdit formellement pour le corps militaire d’appartenir à un parti politique quel qu’il soit. L’intéressé parle de menaces et d’harcèlements récurrents et portera son cas devant la Fédération International des Droits de l’Homme. Les conflits se radicalisent férocement: occupation de voies publiques, des entreprises, blocage des voies de communications. En juillet 2008 à Merida, un étudiant est tué par balle. Selon différent organisations protectrice des Droits de l’Homme, on estime approximativement que 131 dirigeants syndicaux ont été assassinés entre 2005 et 200928 . C) L’entêtement du régime « Nous pourrions perdre les élections parlementaires, non à cause des impensables bonnes décisions prises par l’opposition… mais à cause de nos propres limitations à faire connaître les succès de la révolution ainsi que nos réticences à admettre et à rectifier nos erreurs ou à punir les coupables de dégâts officiels. En vérité, le mal le plus grand que nous a causé cette opposition antipatriotique est d’avoir étourdi notre capacité d’autocritique, parce qu’à force d’entendre ses diffamations, nous ne les croyons plus lorsqu’elles dénoncent nos réelles erreurs. » (Roy Chaderton Matos, 2010). Cette citation est le fruit d’un ancien ministre des relations extérieures de la République Bolivarienne. Elle souligne l’inquiétude grandissante dans les rangs pro-chaviste sur la bonne continuation de leur projet et met en exergue un certain entêtement du régime. L’idéologie semble prendre le pas sur la réalité populaire et les discours parlent de moins en moins à la classe populaire, le berceau partisan. 28 Voir rapport de l’International Center For Non Profit Law
  • 21. 21 a) Un projet porteur d’espoir L’exemple du PSUV est ici saisissant. En 2006, Chavez lance dans son style très militaire, le commando « Miranda », une structure politique censée regrouper les militants qui le soutiennent et les organiser en pelotons et bataillons. C’est sur ce modèle que sera calquée l’organisation du PSUV (Partido Socialista Unido Del Venezuela) afin que ses partisans puissent se rassembler dans une seule et même organisation: un parti unique. Chavez cherche ici à assouvir son attachement au peuple par la mise en place d’un immense réseau politique dédié à la cause bolivarienne et censé inclure ici ses partisans les plus démunis dans le cercle de discussions. Le parti comptera rapidement plus de 7 millions d’adhérents. Il est clair que la formation de ce parti est une formidable chance de créer un nouvel espace public, certes cloisonné car réservé seulement au pro-chaviste mais un nouveau moyen pour Chavez de se rapprocher des réalités du quotidien et d’oublier quelque peu sa croisade anti-impérialiste. b) Beaucoup trop nombriliste Malheureusement pour lui, ce n’est pas le cas. L’élection des candidats à la direction a été décidée par Chavez lui-même, difficile de faire moins démocratique sur ce coup. De plus, le parti va continuellement se confondre avec le gouvernement. La logique du PSUV va alors se fondre complétement dans celle de gouverner. On a favorisé pleinement la venue de nouveaux membres plutôt opportunistes et pas franchement militants au détriment d’une sélection plus qualitative. Lors du référendum de 2007, le oui en faveur de Chavez obtiendra environ 4 379 000 voix alors que le parti compte plus de 7 millions d’adhérents à ce moment. C’est à se demander où sont passé les 2,5 millions manquants pourtant inscrits sur les listes du parti. L’absence d’une véritable démocratie interne au parti et son autonomisation vis-à-vis de l’Etat interdit tout débat de fond sur la suite à donner au socialisme du 21ème siècle. De plus, la création de cet espace de délibération n’autorise même pas un véritable débat avec la masse populaire car son fonctionnement se limite aux décisions du président et de ses proches collaborateurs. Le parti semble avoir loupé sa vocation, celle d’être un haut-parleur de la société d’en bas. Il aurait pu être un fer de lance cette fois ci « Down Top », plus collectif, plus participatif et donc plus ouvert à la critique et aux ajustements.
  • 22. 22 Conclusion Au vue des faits et de l’analyse qui en a suivi, nous pouvons maintenant affirmer que nous sommes en présence d’un projet participatif à deux vitesses. D’un côté, celui qui flatte la révolution du 21ème siècle avec ses missions, ses coopératives, ses conseils locaux et de l’autre, la censure, les barrières législatives, la violence et les tentatives ratées de remise en questions. Chavez donne d’une main à la démocratie pour lui reprendre de l’autre. Le socialisme du 21eme siècle comprend mal que la société civile ne s’assimile pas au peuple. Le peuple serait bolivarien par nature? N’est-il pas alors normal que cette société reste toujours autant clivée, chacun étant bien trop attentionné à prêcher pour sa propre paroisse. Comme le souligne Erik Neveu dans son ouvrage « Sociologie des Mouvements sociaux » (1996), on assiste à un formatage en bonne et due forme de la société civile par l’autorité publique. « La structure des opportunités est ainsi construite par les autorités à travers l’institution des structures de concertation, l’ouverture de recours juridictionnels, l’encouragement ou la répression de formes d’organisations ou d’expression » (Eric Neveu, 1996, p90). Le gouvernement adoube et institue les organisations en fonction de son projet politique et grâce à l’aide financière du pétrole. Il n’y a donc pas de véritable contre-pouvoir constructif et populaire au Venezuela. La société civile ne permet pas ici l’institutionnalisation du conflit. L’espace public ne fonctionne pas de manière autonome à la croisée des chemins et ne peut en conséquent amener un dialogue productif entre les deux camps. Les médias et les notables sont véritablement les seules à exercer ce droit de défiance vis-à-vis du pouvoir grâce au poids qu’il pèse dans la société. De plus, on peut se demander en quoi la révolution Bolivarienne du président Chavez propose un véritable changement au néolibéralisme d’aujourd’hui. Elle tire ses revenus de ce même libéralisme dont elle dépend. Elle propose certes, c’est indéniable une alternative sociale mais en aucun cas économique. Et puis sert-il encore aujourd’hui à quelque chose de vouloir se démarquer d’un système globalisant qui nous aurait tous déjà globalisé? Certains résultats parlent pour Chavez et ses Missions, comme nous l’avons souligné. Mais, la promesse de lendemain heureux se fait sur du long terme avec de véritables fondations et non avec la croyance éphémère dans les pétrodollars. On en arrive à la fin et plusieurs questions restent en suspens. Notamment à savoir qu’est ce qui a motivé Chavez tout au long de sa politique ? Le pouvoir plus que le peuple ou le peuple plus que le pouvoir ? La société civile n’a-t-elle pas un rôle plus approfondie à jouer en se réveillant réellement ? La révolte des étudiants en 2013 va dans ce sens. La notion de contre-pouvoir est une étape fondamentale que la société civile doit s’approprier dans un futur proche. Elle doit savoir peser dans la balance et tirer la sonnette d’alarme toute seule, en cas de nécessité. Cette instauration du conflit ordonné que
  • 23. 23 Tocqueville et bien d’autres ont souligné, est primordiale pour partir sur de bonnes bases et envisager ensuite la construction d’un Venezuela plus démocratique, plus égalitaire. Il semble aujourd’hui que le peuple autonome doit ériger un symbole fort de cet apprentissage et suite à ça s’institutionnaliser en véritable interlocuteur indépendant du pouvoir étatique.
  • 24. 24 Bibliographie Ouvrages:  BAJOIT. Guy, HOUTART. François, DUTERME. Bernard, 2008, Amérique Latine, à gauche toute, édition Couleur Livre ASBL, en collaboration avec le CETRI (centre tricontinental), Charleroi  Université du Québec 1975, Gramsci dans les textes, recueil de textes réalisé sous la direction de François Ricci en collaboration avec Jean Bramant, édition Sciences sociales, Paris  GUILLAUDAT. Patrick, MOUTERDE. Pierre, 2012, Hugo Chavez et la révolution bolivarienne : promesses et défis d’un processus de changement social, édition Collection Mouvements Québec  HABERMAS. Jürgen, 1997, Droit et Démocratie, entre faits et normes, Gallimard, Paris  HOBBES, Thomas, 2011, Leviathan, Pacific Publishing Studio, USA  LOCKE. John, 1984, Traité du gouvernement civil, Flammarion, Paris  MONTESQUIEU, 1950, De l’esprit des lois, Flammarion, Paris  NEVEU. Éric, 2011, Sociologie des mouvements sociaux, édition La Découverte, collection Repères Paris  PIROTTE. Gautier, 2007, La notion de société civile, édition La Découverte, collection Repères Paris  ROSANVALLON. Pierre, 2006, La contre Démocratie, édition du Seuil Paris  TOCQUEVILLE. Alexandre, 1986, De la Démocratie en Amérique, Robert Laffont, Paris Articles :  CHEVALIER. Jacques, 2013, L’intérêt général, Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, GIS Démocratie et Participation, Paris  CORONEL. Gustavo, 2007, Pétropolitique dans un Etat autoritaire : l’exemple du Venezuela de Hugo Chavez, Outre-Terre, p205-226 (CAIRN Info)  DAGUERRE. Anne, 2011, Les programmes de lutte contre la pauvreté au Venezuela, Critique Internationale n°46, p 147-167 (CAIRN Info)  LANGUE. Frédérique, 2009, De la révolution bolivarienne au socialisme du XXIème siècle : héritage prétorien et populisme au Venezuela Problèmes d’Amérique Latine, p27-45 (CAIRN Info)
  • 25. 25  PARENTI. Christian, 2006, Venezuela : une révolution indéchiffrable, édition La Découverte, Mouvements, p131-148 (CAIRN Info)  RUI. Sandrine, 2013, Démocratie Participative, Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, GIS Démocratie et Participation, Paris Rapports:  CIVICUS NGO, 2011, Civil Society Profile : Venezuela  International Center For Non profit Law NGO, 2012, NGO Law Monitor,  U.S State Department, 2010, Human right Reports, Advancing Freedom and democracy reports