3. PRéfACE
CE QUE CAROLINE GLORION a réussi dans le film Joseph l’insoumis et
qu’Elisabeth Roger a su restituer avec intensité dans les photos de ce
livre, inscrit dans le réel l’utopie rêvée par le Père Joseph quand il a fondé
le Mouvement ATD Quart-Monde en 1957.
Il n’y a plus ici d’un côté des acteurs professionnels et de l’autre des
figurants confrontés dans leur vie quotidienne à la misère, il y a des
deux côtés des acteurs qui prennent ensemble le risque de faire revivre,
face à une caméra, une histoire qui mène inévitablement à la trans-
formation de tous.
Les uns et les autres, en décidant de s’associer dans cette création
artistique extraordinairement exigeante, parviennent avec force vérité et
authenticité à faire en sorte qu’il n’y ait plus d’un côté une histoire de
fiction, et de l’autre une histoire de réalité.
De son vivant, Joseph, l’insoumis, a exprimé le rêve qu’un jour
l’humanité n’ait plus qu’une seule Histoire à raconter à ses enfants,
celle où l’égale dignité voulue et reconnue par tous a raison de
l’humiliation et de l’assistance.
Qui aurait pu penser, au milieu de cette boue du bidonville de
Noisy-le-Grand, que des femmes et des hommes initieraient une
nouvelle histoire d’alliance aussi espérée qu’inattendue ?
Qui aurait imaginé que, cinquante ans plus tard, cette histoire
essaimerait aussi bien au flanc des ravines à Port-au-Prince, que dans
les quartiers où l’eau monte d’année en année à Dakar, sur les
décharges à Guatemala City, ou dans les banlieues les plus
abandonnées de l’Occident ? C’est là en effet que des citoyens
.5.
4. reconnus ou méconnus, s’inspirant de l’aventure vécue par le père
Joseph et ces familles de Noisy-le-Grand, agissent aujourd’hui ensemble
pour que, dans l’égale dignité, chacun puisse offrir à tous sa dimension
d’acteur à part entière. BIENVENUE DANS CE LIVRE construit comme un voyage à travers
des photos, des témoignages ou des textes assemblés comme les
C’est pourquoi ce film est attendu aussi bien à Manille qu’à Varsovie, pièces d’un puzzle. Nous l’avons voulu impressionniste, une
à Ouagadougou qu’à New-York. invitation à partager notre aventure cinématographique à travers les
Il est attendu partout où les Droits de l’Homme sont piétinés, forçant allées du décor, le croisement d’un regard, le moment d’une
à l’exil, chassant et privant de tout des communautés entières. rencontre ou le mystère d’une silhouette en silence.
Il est attendu aussi là où certains s’emmurent dans des sécurités Je n’ai découvert ces photos que le dernier jour du tournage.
illusoires, au prix d’une totale insécurité pour d’autres. Elisabeth Roger avait été si discrète et moi sans doute si concentrée sur
Il est attendu encore là où les uns continuent à réfléchir, à décider à le plateau… Nous ne nous étions pas parlé, à peine croisées mais en
la place des autres, sous prétexte de les protéger. regardant ses images, j’ai été saisie par la simplicité des cadres, la force
Il est attendu par tous ceux, riches et pauvres, qui s’investissent des regards, l’intelligence avec laquelle elle avait capté des moments de
ensemble dans le monde de l’art, dans celui des sphères politiques, calme et de confiance, de concentration, de gravité et de légèreté. Qui
économiques, environnementales. est qui ? Acteurs ou figurants ? Professionnels ou non ? Techniciens ou
Il est attendu par ceux qui agissent dans le champ de la paix, de la artisans ? Réalité ou fiction ?
spiritualité. C’étaient les coulisses du plateau, l’énergie et l’humanité de
Parce que ce film crée et rend compte des possibles qui rapprochent toutes ces personnes qui ont travaillé ensemble.
les humains, il est attendu partout. Ainsi, comme le dit dans ces pages Partager les coulisses de ce tournage, c’est partager nos émotions,
Geneviève Avril : notre travail mais c’est aussi raconter une démarche, celle que j’ai
“Celui qui va me voir pour la première fois, il va peut-être partir en souhaité en rassemblant, pour réaliser le film, des acteurs talentueux,
courant mais s’il accepte de parler avec moi, on va peut-être devenir amis, des techniciens chevronnés mais aussi des hommes et des femmes qui
comme si on se connaissait depuis toujours.” étaient étrangers au monde du cinéma. Des familles qui aujourd’hui,
en 2011, se battent encore quotidiennement pour vivre dignement
dans une société dure où le travail, le logement manquent
EUGEN BRAND, cruellement, où les plus fragiles sont laissés de côté.
DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DU MOUVEMENT INTERNATIONAL
Avec Julie Lecœur, nous les avons rencontré grâce au centre social
ATD QUART-MONDE
de Bègles, ville où le tournage s’est déroulé, et à l’équipe du
Mouvement ATD Quart-Monde de Bordeaux. Ils ont accepté ainsi de
prêter leur voix, leur corps, leur visage, pour incarner les personnages
.7.
5. UN FILM INSPIRÉ DU COMBAT DU PÈRE JOSEPH WRESINSKI
du film. Au cours de la préparation, nous nous sommes retrouvés FONDATEUR DU MOUVEMENT ATD QUART-MONDE
plusieurs fois pour improviser, découvrir ensemble le scénario, nous
apprivoiser et apprivoiser ce “métier” d’acteur de complément, plus Début des années 60, un bidonville aux portes de Paris. Des familles
connu sous le nom de “figurant”. Souvent je répétais : “C’est ce qui se survivent sous des abris en forme d’igloos dans une misère effroyable et une
passe à l’intérieur de vous que je vais filmer, ce qui se passe dans votre violence quotidienne. Un homme, le Père Joseph Wresinski, vit là, au milieu
esprit, dans votre cœur… Ce sont vos émotions, vos pensées qui de ceux qu’il appelle “son peuple”.
imprimeront la pellicule…” Parmi ces familles, celle de Jacques et de sa mère Alicia.
Alors précisément c’est Leur vie va être transformée par leur rencontre avec le Père Joseph. Celles
cette intimité qui se dévoile à aussi de ceux qui vont rejoindre le combat de ce curé révolutionnaire. Un
travers les photos et les textes combat contre l’assistance et la charité qui, dit-il, “enfoncent les pauvres dans
de ce livre. Avec pudeur et l’indignité”. Joseph chasse les soupes populaires et installe dans le bidonville
un jardin d’enfants, une bibliothèque mais aussi un salon d’esthétique et un
générosité. L’expérience de la
foyer pour les femmes. Il propose aux familles de se rassembler pour faire
vie dure, du combat quoti- entendre leur voix.
dien a nourri l’interprétation Venus du monde des nantis, des jeunes gens s’engagent à ses côtés ;
de chacun et a permis Suzanne, Catherine mais aussi Geneviève de Gaulle, la nièce du général,
d’incarner avec fierté la vie et ancienne résistante et déportée qui va lui ouvrir les portes vers les pouvoirs
le combat de ceux qui entouraient, à l’aube des années 60, le Père Joseph politiques. Mais les oppositions sont farouches, les responsables politiques
Wresinski dans le bidonville de Noisy-le-Grand. traitent Joseph de “curé de la racaille” et le considèrent comme un dangereux
Je crois fermement à la force du partage des expériences, à la rencontre agitateur. Dans le bidonville, certains, habitués à survivre de la charité
d’univers souvent très éloignés. Ce qui nous a rassemblés, c’est publique et de trafics en tous genres, réclament le départ de ce curé qu’ils
l’exigence dans le travail, la curiosité et le respect de chacun, le plaisir de prennent pour un illuminé.
créer et la responsabilité de raconter cette histoire. Bagarres, incendies criminels, dénonciations et coups tordus vont ébranler
la lente progression qui réunit ceux qui suivent le Père Joseph.
Joseph l’Insoumis est mon premier film de fiction. C’était pour moi
Un quartier en dur sera pourtant construit à la place du bidonville. Pour le
aussi une aventure inédite, intimidante et parfois un peu effrayante. La Père Joseph c’est un échec car il rêvait “d’un vrai projet politique ambitieux”
confiance et l’engagement de chacun a été un moteur puissant. Tous mais comme il le dit à Jacques à la fin du film : “Nous avons tout de même
m’ont encouragée avec fermeté et enthousiasme à raconter cette histoire gagné une chose : la dignité, la fierté d’avoir lutté ensemble… et on va
d’hier qui résonne si fort avec la réalité et nos combats d’aujourd’hui. continuer…”
Trente ans plus tard au cours d’une grande manifestation en plein Paris, le
CAROLINE GLORION Père Joseph, fondateur du Mouvement ATD Quart-Monde rassemble des
RÉALISATRICE familles venues des quatre coins de la planète.
Ce jour-là, ils prennent la parole et le monde les écoute.
.9.
6. I
DES REGARDS QUI S’APPRIVOISENT
tnesiovirppa’s iuq sdrager seD
La misère est l’œuvre des hommes,
seuls les hommes pourront la détruire.
JOSEPH WRESINSKI
7. Dans les réunions de préparation, il fallait accepter l’idée que
je représentais “une gueule”, celle de quelqu’un qui vivait dans
un bidonville dans les années 60. Il fallait accepter que
j’avais été choisie pour ça. Il me fallait m’accepter
telle que j’étais. Mais au fur et à mesure du tournage, la
manière dont on était regardé par la caméra, par les acteurs,
par Caroline, j’ai oublié. Nous n’étions pas simplement des
images en fond de décor.
GHISLAINE GERARD
Dans le film, je suis Madame Dubois. Comme je savais
tricoter, on m’a demandé de montrer à Anouk comment faire
pour qu’elle apprenne. On s’est donné une semaine, une
heure par jour. Elle n’avait jamais touché à des aiguilles, ne
savait pas comment on monte des mailles. On n’a fait que le
jersey et la maille à l’endroit.
FRANÇOISE HAMEL
.12. .13.
8. De mon bureau, j’ai souvent jeté un coup d’œil sur ces
“figurants” qui attendaient leur tour avec une patience infinie.
Jamais un soupir, jamais de lassitude, les amoureux
semblaient bienheureux sous le barnum et ne
voyaient pas le temps passer, les enfants passaient le temps à
jouer. Aucun malaise n’émanait de cette discrétion étonnante.
Puis tout le monde se mettait au boulot.
ISABELLE GIES
Anouk Grinberg, c’était pas une actrice, c’est quelqu’un
qui s’est mélangé à notre vécu.
DOMINIQUE DHONT
.14.
9.
10. La peur d’être rejetée, de ne pas réussir ma vie, de rester au bord
de la société… Je vis avec cette hantise en permanence. Sur le
tournage, j’ai rencontré des personnes, des “vrais gens” qui
connaissent ce sentiment, qui ont éprouvé ou éprouvent réellement
cette peur car leurs conditions de vie sont dures, précaires. Leur
courage, leur force et leur dignité m’ont convaincue
que j’avais tort d’avoir peur. Et plusieurs fois, en
leur présence sincère et chaleureuse, je pensais au vers de Rimbaud :
“Et le regard qu’il me jeta me fit baisser les yeux de honte”.
LAURENCE CÔTE
.18. .19.
11. C’est autour d’un poème que j’ai rencontré Anouk
Grinberg. Elle voulait savoir comment j’avais connu le
Mouvement ATD Quart-Monde. “En écrivant des poèmes”
lui ai-je répondu… Elle a voulu les lire.
Voici un extrait de mon poème :
Le marcheur aux semelles de vent
Le marcheur aux semelles de vent
C’est le cri de désespoir
Que tous veulent ignorer
Ou ignorent d’ignorer
C’est le Poulbot dans les mauvais souvenirs
Et toutes les déceptions
Qui pleuvent en grêlons
Sur son cœur meurtri,
Son cœur en agonie.
Le marcheur aux semelles de vent
C’est l’enfant aux illusions perdues,
Aux rêves ensevelis
Dans les décombres de nos vieux passés,
Au Noël interdit.
Le marcheur aux semelles de vent
C’est ce petit prince
Qui, passant devant une boulangerie,
Touche avec les yeux,
Regarde avec les mains.
Comment peut-on le laisser souffrir ainsi ?
Mais l’être est sourd à la douleur.
MARIE-FRANCE TAHAR
.20.
12.
13. Nous nous sommes apprivoisés si rapidement. Aujourd’hui, je
ne sais plus si j’ai travaillé avec vous, ceux qu’on appelle les
figurants, ou si c’est vous qui avez travaillé avec moi. Une chose
est sûre : grâce à nos échanges, j’ai retrouvé une
sensibilité perdue et vous avez très certainement réussi à
me montrer “le vrai sens de la vie”. Du premier au dernier jour,
le courage, l’opiniâtreté et le sérieux dans le travail étaient là.
JULIE LECŒUR
C’est là où c’était magique parce qu’on n’avait pas peur
d’être jugés. Moi, j’ai pas eu peur d’être jugée
devant la caméra ! Quand Anouk Grinberg me
parlait, je fermais les yeux et puis j’entendais sa voix. Je me
suis fait bercer par la voix d’Anouk.
RAPHAËLLE CHAPOULARD
.24. .25.
14. On était tellement complice de ce film. La complicité s’est mise
à l’intérieur de chacun. On s’est retrouvé comme une famille.
ALEX DEVILLERS
.27.
15. Dans le film, je jouais le rôle d’une
personne très âgée parce que je n’ai pas
de dents devant et que j’ai les cheveux
blancs. On me donne 70 ans alors que
je vais bientôt avoir 56 ans. Un jour
qu’il pleuvait, je me suis retrouvée
abritée sous une baraque avec Jacques
Weber et Anouk. On n’était que tous
les trois. Lui, il me regardait, alors je
lui ai expliqué pour les dents, je lui ai
dit combien on était remboursé et
combien ça coûtait et il a compris. Je
suis comme je suis. Celui qui
va me voir pour la première fois, il va
peut-être partir en courant mais s’il
accepte de parler avec moi, on va peut-
être devenir amis, comme si on se
connaissait depuis toujours.
GENEVIÈVE AVRIL
.28. .29.
16. J’étais loin de penser que ce tournage serait aussi émouvant.
Il y avait une harmonie chaleureuse avec les techniciens du
film. La jeune fille blonde de l’équipe déco, par exemple, elle
offrait souvent des cigarettes, elle était toujours attrayante,
généreuse. Quand on a vécu dans la solitude, qu’on a jamais
été entouré d’affection, ces attentions rendent vraiment
heureux. Moi, j’ai passé mon enfance entre 5 ans et 12 ans à
l’orphelinat.
JAMES AVRIL
.30. .31.
17.
18. Les costumières nous aidaient à choisir notre costume, elles nous
aidaient dans le tournage du film, elles nous pomponnaient…
parfois, elles nous mettaient de la terre dans les cheveux pour qu’on
soit plus sale pour le film. Moi j’ai appris avec elles, j’ai bien
compris leur métier.
MARIE-SOL POYATOS
Il n’y avait pas de clans, on s’est tous mélangé, et c’était bien parce
qu’on a passé des heures et des heures d’attente… avant de tourner.
PRISCILLA BENMESROUK
.34.
19. Appelons-la Claudine, mais ce pourrait être Jocelyne ou
Maryline. Elle est figurante, l’un de ces visages qui vous sourit
sur les photos. Cette femme est un vrai puits de science…
une conteuse hors-pair. Elle m’a raconté pendant des heures
ses passions, ses combats. Un jour, j’ai dû l’accompagner chez
elle chercher une chemise de jeu. A ma grande surprise, je l’ai
sentie honteuse de me montrer ne serait-ce que la façade de sa
maison. Pourtant, cette femme possédait bien plus de
richesses que si elle avait possédé une
maison cossue ou un appartement moderne.
MARIE SAINT-JOURS
.36.
20. II
LA RÉALITÉ RENCONTRE LA FICTION
noitcif al ertnocner étilaér aL
Je n’ai jamais pu accepter que des hommes soient inutiles.
C’est un drame et un scandale.
JOSEPH WRESINSKI
21. Ce qui est cruel doit nous ébranler.
MANU DE CHAUVIGNY
22. Lorsqu’on est arrivé sur le décor du film, on
se serait cru dans la vraie vie. Je ne
sais pas mieux exprimer ce que j’ai ressenti, on se serait cru
dans la réalité. Cette vie-là, je l’ai vécue, je n’avais pas la
lumière, il fallait chauffer des morceaux de bois dans une
brouette, ramener la cendre rouge, la braise, dans la caravane,
pour se chauffer. Pour se baigner, il fallait couper des bidons
d’essence Total pour se faire un genre de baignoire pour se
laver, puis il fallait chauffer de l’eau. Tout ça a duré
longtemps.
JOSIANE DUBOURDIEU
.42.
23. Au début du tournage j’étais paniquée, j’avais peur qu’on
n’y arrive pas. Dès qu’on a commencé à travailler, je pensais
aux années de mon enfance, à ce que mes parents avaient
vécu, eux aussi, dans des baraquements. Mes parents n’avaient
pas de lumière, ils s’éclairaient avec des bougies, ils allaient
chercher l’eau dans une citerne dehors, comme dans le film.
Nous vivions dans le bidonville de Beaudésert et, comme
dans le film aussi, il y a une maison qui a pris feu. Il n’y a pas
eu de blessé. Ce n’est pas le seul évènement qui me rappelle
mon enfance. Lorsque la police vient pour chercher les
enfants qui se cachent derrière les arbres, elle vient pour les
placer. Ce moment m’a beaucoup impressionnée.
Aujourd’hui, je connais des gens qui vont chercher du
travail et, comme le personnage d’Alicia dans le film
lorsqu’elle frappe à la porte d’une dame, ils entendent la
même réponse : “J’ai rien pour vous, pas de travail !”
MARIE-SOL POYATOS
.44. .45.
24.
25. Sur le tournage, il y avait une figurante à qui j’avais demandé
comment elle faisait pour être aussi vraie, elle a répondu :
“Mais c’est mon quotidien !” Cette jeune
maman de trois jeunes enfants ne pouvait pas quitter son
domicile. Pour elle, ce film, au-delà de l’argent qu’elle gagnait
pour ce travail de figurante, était une bouffée d’oxygène. Afin
de pouvoir participer au tournage, elle s’est organisée ; sa
grand-mère de 80 ans a gardé ses trois gamines et elle a vu
autre chose que sa maison. Voilà pourquoi tous les gens étaient
vrais. Pourtant on a travaillé, on a répété et la plupart d’entre
nous a pris conscience que c’est un sacré métier d’être acteur,
c’est un sacré boulot. Même le plus petit rôle n’est pas si
naturel que ça à jouer. Anouk Grinberg disait que ce qu’elle
souhaitait, c’est qu’on oublie qu’elle était une actrice… C’était
réussi parce qu’elle a été plongée directement dans le bain…
GHISLAINE GÉRARD
.48. .49.
26.
27. Le tournage a fait remonter tous mes souvenirs d’enfance.
Quand j’ai commencé à travailler, je n’avais pas de diplôme.
J’ai vécu dans les baraquements américains du Chût. Les rats
nous rendaient visite sur les lits pour nous tenir compagnie !
Les baraques étaient aménagées avec du papier goudron qui
parfois était percé.
Ce film raconte le Père Joseph, un homme qui a pu bâtir le
Mouvement avec des familles parce qu’il avait été en difficulté
lui-même, avec son père émigré polonais et sa maman
espagnole. Il vivait avec sa mère séparée du père. Il s’est battu
en se servant de son expérience. Il reste une idole pour les plus
pauvres. Il a notre soutien pour que cette misère
qui nous harcèle puisse prendre fin.
LUIS DE MELO
.52. .53.
29. Moi, je me voyais comme un curé de pub pour fromage
crémeux. Mon ventre sentait l’opulence satisfaite qui plaide
pour la gourmandise et tait son ennui, cette sorte de
malveillance de l’esprit. Et puis, devant moi, ce grand abbé,
Joseph, qui du seul regard me foutait une grande paire de
taloches.
J’avais beau détester la soutane depuis tout petit, lui était
plus près de Jean Valjean que du surplis sacerdotal. Son cœur
battait tambour et sonnait la révolte. Les orgues et la grand-
messe, les pater noster et les deo gracias aussi fastueux et
hypocrites que les ors et les discours de la république étaient
La scène où les femmes parlent de l’abus sexuel m’a si loin de l’église du père Joseph, celle des pauvres gens, celle
beaucoup marquée parce que ça nous concerne, c’est à laquelle j’aurais tant voulu croire.
toujours d’actualité. Seul, j’étais seul devant cet homme seul et devant les
millions de solitudes de la misère dont on fait une
AURÉLIE JOLIVIÈRES
.56. .57.
30. communauté générique inéluctable et fatale dans notre
monde. Un ghetto dit-on, un truc dégueulasse qu’on parque
autour des villes comme les juifs au Moyen-Age. Ça chlingue,
c’est sale, alors on tourne le dos, moi le premier, et on espère
d’autres lois, genre kleenex pour s’essuyer les larmes d’une
girafe.
Je suis acteur, alors j’ai continué à faire mon travail dans ce
décor de bidonville reconstitué adossé à un couvent de
bonnes sœurs, si près des vignobles fastueux du bordelais,
tout fut pourtant différent.
Certes le Pessac-Leognan excitait mes papilles au-delà du
péché de gourmandise, mais nom de dieu, je buvais à
l’homme comme aurait dit Gorki et laissait mon nombril
avec mes chaussettes et mon pantalon dans ma loge. Un petit
crucifix de bois pendait au-dessus d’un gros lit court, de
campagne. Et puis j’allais là-bas chez les gens, les autres, ces
gens-là, ceux du quart-monde, j’allais jouer avec eux.
Contrairement au discours qui simplifie les choses de la vie
comme un coup de peinture rafraîchit les latrines, je n’allais
pas vivre avec eux, mais jouer avec eux
et en prendre plein la gueule…
oui, plein le ventre et la gueule. De beaux visages fatigués à
20 ans, un sourire qui garde tout dans les yeux parce que les
dents sont mal soignées et des seins tombés, alourdis, affaissés
.58. .59.
31. qui essayent de faire bonne figure dans les petits gilets
tricotés. On était loin des nibards qui ne bougent plus, qui
font la roue comme des
paons empaillés.
Il y avait à chaque
seconde, à chaque éternité
des secondes, dans ce
grand naufrage de la
misère, un sourire
inatteignable, une
décision inaccessible et
transcendante de jouer
son propre rôle, de mettre
en jeu, de mettre en joie
la difficulté d’être. Chez
eux c’est simple la
difficulté d’être : avoir
chaud en hiver, être au
frais en été, manger et
dormir ce qu’il faut et
tenter de pouvoir faire
respecter son corps et ses
enfants. Je ne le savais
plus, ou si mal. Alors j’ai
oublié ma détestation des curés, j’ai sali avec joie ma soutane
dans la poussière du camp, au fond j’ai rien foutu !
.60.
32. Le sourire énergique de ma copine qui jouait au rugby, et
puis de Caroline, et puis le chef op qui se taisait mais qui
voyait tout comme Tabarly dans le grand large, la trop maigre
et la si forte, et puis les hommes, les courts et les massifs,
résignés dans l’honneur. Tous reconstituaient une sorte de
grand Dieu mort auquel ils m’ont fait croire. J’ai rien foutu…
touché n’est pas joué dit-on, je suis touché et c’est vrai.
Après une projection, une enfant en famille d’accueil
réputée difficile, très difficile, une jeune fille si belle, coquette
et provocante, en grosses chaussures et tablier de toile sur le
tournage vint me voir. Elle me sourit fort, très fort. Belle, très
belle, elle s’était mis un peu de rouge à lèvres, elle me dit :
“T’es bien, t’as l’air gentil.” J’étais très ému, elle aussi. Alors
brutale, elle change de ton et me dit : “On m’a beaucoup
coupé dans le film mais je suis jolie non ?”
La vie avait fait coucou et le cinéma
retrouvait sa place.
JACQUES WEBER
.63.
33. C’était difficile de
rendre à l’extérieur ce
que je portais à
l’intérieur. Un exploit
pour moi a été de
danser, je souffrais
énormément.
SANDY GAUTHIER
34. C’est vrai qu’on est
figurant, mais après on l’est
plus ! Au mot “Action”,
j’oubliais parfois que j’étais
figurant, je faisais une
action, traîner une charrette
par exemple, et subitement
ça me rappelait quand
j’étais gamin et que je
récupérais les métaux et que
je les transportais dans une
charrette. Cette impression
ne durait pas longtemps.
Les gens du film, ils
appellent ça “mettre en
scène” ; eh bien, j’oubliais
parfois que j’étais figurant,
je ne me posais pas de
question, je faisais l’action.
Notre vie à chacun est
attachée à des souvenirs qui
remontent du passé.
THIERRY SARRAYA
.66.
36. Il y a dans le film cette scène cruelle où la police
débarque dans le camp. Cette scène, je l’ai vécue.
Lorsqu’on subit une violence pareille, on est démuni.
Enfant, j’ai été placé et je n’ai jamais revu personne de ma
famille ! J’ai toujours été suivi par les services sociaux.
J’ai commencé à travailler à 15 ans.
JAMES AVRIL
Ce film, c’est la réalité. Par exemple, le fait qu’une
famille de dix enfants se retrouve dans la situation où les
enfants sont pris à leurs parents… J’ai vécu la même chose.
Mes frères et sœurs ont été placés par la DDASS, c’est la
vérité, c’est le vécu. Nous étions dix enfants et je ne les ai pas
connus, mes frères et sœurs, jusqu’à l’âge de 20 ans et quelques
années. Ma sœur, je l’ai connue il y a vingt-deux ans… J’en ai
44 aujourd’hui. Jusqu’à 22 ans, je ne connaissais aucun de mes
frères et sœurs.
DOMINIQUE DHONT
.71.
37. III
DES EXPÉRIENCES QUI SE PARTAGENT
tnegatrap es iuq secneirépxe seD
Tout est né d’une vie partagée, jamais d’une théorie.
JOSEPH WRESINSKI
38. Je me souviens du premier jour au camp comme d’un choc
thermique. Les gens ici étaient si vrais, si massifs. J’étais
indéniablement avec des guépards, des ours, des mystères.
Je ne voyais partout que de la noblesse, de la tenue, de la
beauté. Et surtout, de la solidité. C’était incompréhensible et
sidérant, quand on sait l’injustice qu’ils doivent bouffer à tous
les vents, quand on sait la roue comme elle écrase, et quand
on sait le mépris dont on entoure ceux qui n’ont pas de
chance et qui sont dans le malheur. Mais ici, dans ce camp,
pour le tournage et surtout pour une fois, sous l’œil
réellement affectueux et respectueux de Caroline Glorion,
la roue avait tourné : ils étaient les héros de l’histoire, et c’est
indéniable, ce sont des héros de l’histoire. Quiconque a été
jeté par dessus bord du monde et ne finit pas noyé dans la
haine ou la paralysie du cœur est un héros. Personne parmi
les riches ou les chanceux ne pourrait supporter une heure
pleine de cette vie noire sans devenir méchant ; mais eux
sourient, ils sourient de cette vie, sourient au mal, et sourient
à ce qui est bien.
En arrivant donc, j’ai eu très nettement le sentiment d’avoir
tout à réapprendre d’eux, question présence, et qu’ici, c’était
moi la pauvre, un peu comme un caniche avec des loups.
Mais comme il arrive parfois dans les histoires, les loups
m’ont adoptée dès la première heure où je me suis trouvée
Grâce à eux et avec eux, nous avons fait mentir dans leur monde, et ils m’ont donné des clés, en me parlant,
ce qui fait honte à la vie. ou sans parler.
ANOUK GRINBERG
.75.
39. Parmi tout ces vrais gens
qui ont joué avec nous,
je me souviens de F. me
racontant sa vie, riant de
tout, mais pas de haut,
comme si elle était ailleurs,
pas là pour vivre la
saloperie, plutôt tournée
vers la joie, les autres.
Le premier jour, elle m’a
appris à tricoter en éclatant
de rire et c’est comme si
elle m’avait fait la courte
échelle pour devenir Alicia.
D’où lui venait sa bonne
humeur, elle qui n’avait
reçu que la vie ? Aussi
impressionnante que les
oiseaux qui ne s’arrêteront
jamais de chanter.
Et J., femme à la bouille
déchirante, petite fille
trouvée dans une poubelle,
dont le visage s’éclairait
parfois comme un soleil,
et qui tendait les bras parce
.76.
40. qu’enfin la vie passait dans son jardin sans tout écrabouiller.
Jamais je n’oublierai comme elle me prenait dans ses bras et
me faisait tourner, comme on était heureuses et partageuses.
Et je n’oublierai jamais non plus ses pleurs le dernier jour.
Si je pouvais parler au nom des hommes, je voudrais lui
demander pardon.
Et sa fille au visage si doux, déjà enfui comme un nuage,
enfui d’une vie trop âpre sans doute, mais elle ne le dira pas.
Et G., femme délicate et cultivée, qui m’a offert son livre de
peinture parce qu’elle a su que j’aimais ça, bonté secrète au
jour le jour.
M-F, silencieuse comme un arbre. Un jour, elle m’a tendu
son livre de poèmes, merveilleux, atroces.
M., qui me disait qu’il faut se tenir très droit dans le
malheur, comme un i, et regarder ceux qui offensent comme
si c’étaient des enfants.
Et je me demandais où est la pauvreté. Et l’indignité.
De quel côté ? Chez eux qui vivent de rien, sourient pour de
vrai et se tiennent debout dans la vie, qui réfléchissent et qui
pardonnent, ou chez les autres, qui du haut de leur richesse et
de leur inconscience, les ont mis dehors, de leurs maisons et
de leurs villes ?
Je ne peux pas citer tous ceux qui étaient sur le film et qui
ont contribué à faire sa force mais je voudrais leur dire merci
pour la leçon de vie, de pardon, et d’oiseaux immémoriaux.
ANOUK GRINBERG
.78.
41. Il y a des choses difficiles à raconter mais pourtant je souhaite
montrer que les ennuis ne détruisent pas l’individu. J’ai reçu des
mauvais coups. Je couchais dans la rue, je couchais sous les ponts, alors
je sais ce que c’est la vie dure. Aujourd’hui, je suis contente d’avoir un
toit, je suis arrivée au bout de ma carrière, tant bien que mal, mais j’y
suis arrivée, et maintenant, j’ai mon fils avec moi. Je ne “tragique” pas.
Moi, je dis que la vie n’est faite que de combats.
CLAUDE MARÉCHAL
Caroline et Pierre, le chef opérateur, ils ont regardé à
l’intérieur de nous. Ils n’ont pas seulement filmé notre image.
Pour les photos c’est pareil. Ils ont tous réussi à nous faire
ressentir le film intérieurement. C’était vraiment ce qu’on
avait dans les tripes qui ressortait. Mon rôle, par moments,
était celui d’une rebelle, surtout quand je parle à Monsieur le
Maire. Toutes les personnes âgées que je connais me disaient :
“Ah ! de toute manière, ça te va bien, tu es vraiment comme
ça, une rebelle.”
FRANÇOISE HAMEL
.80. .81.
42.
43. Avant, je marchais toujours la tête baissée. Depuis, j’ai eu
l’occasion de parler, j’ai relevé la tête.
J’attendais cette occasion depuis longtemps. Le bien qu’on
m’a fait en me permettant de parler, j’essaie de le faire aux
autres : quand je vois quelqu’un dans la même situation que
moi, je lui fais comprendre qu’il faut oser parler, j’explique
qu’on est comme les autres. Avant j’étais timide, maintenant
j’ose. Quand vous commencez à parler, vous voyez comment
vous êtes estimé. On se sent un peu utile sur la Terre.
JAMES AVRIL
.84.
44. J’ai fait une dizaine de jours de tournage… je n’ai manqué
la classe que deux ou trois fois… sinon en sortant du collège
j’allais directement au tournage. Mes copains le savaient et
ils m’ont dit : “Qu’est-ce que tu joues ? Avec qui ?”
Au collège je vais au CDI, je prends des livres… souvent.
Ça, j’ai mis juste deux minutes à l’écrire c’est tout ! Avant,
j’avais réfléchi et après, j’ai écrit, j’ai essayé de l’inventer…
“Sous le soleil brûlant sont réunis deux amants
Quand le vent soufflera
Leur amour triomphera.”
CINDEL DUBOURDIEU
.86.
45. IV
LA FIERTÉ D’AVOIR LUTTÉ ENSEMBLE
elbmesne éttul riova’d étreif aL
LA FIERTÉ D’AVOIR JOUÉ ENSEMBLE
elbmesne éuoj riova’d étreif aL
Je suis jaloux, comme Dieu se dit jaloux dans la Bible, de
ceux qui, dès leur enfance, apprirent à aimer la musique
et la danse, l’art et la poésie. Je n’eus pas cette chance et
toute ma vie j’en ai souffert. Pouvoir l’offrir aux plus
pauvres a été mon combat.
JOSEPH WRESINSKI
46. Quand j’ai vu le film, j’ai pleuré pendant presque
toute la séance car je voyais ce que
j’avais vécu ! Je suis fière de ce que j’ai joué, la
fierté non pas d’avoir vécu dans la misère mais d’être
capable de le montrer, d’être capable de le dire. C’était
important pour que mon fils voit ce que j’avais vécu et
puis surtout pour lui montrer qu’on peut être pauvre,
vivre dans la misère, et, après, bien tourner.
DOMINIQUE DHONT
Moi qui suis isolé, qui ai du mal à me voir en photo,
accepter d’être filmé, c’était un défi.
SANDY GAUTHIER
.91.
47. Pour tous ceux qui vivent dans la misère, ce film est une
reconnaissance, on n’a plus peur de se montrer. J’espère
qu’il va permettre à beaucoup d’ouvrir les yeux.
ALEX DEVILLERS
Tourner ce film m’a apporté la reconnaissance, on va
Tourner dans ce film m’a donné du courage pour ma vie.
toucher le public avec quelque chose de vrai qui existe encore
aujourd’hui sous d’autres formes.
SALOMÉ STEVENIN
AURÉLIE JOLIVIÈRES
.92. .93.
48.
49. La scène qu’on a tournée avec toutes les femmes m’a beaucoup
touchée, j’en pleure encore. C’était notre vie à beaucoup.
Jacques Weber lui aussi avait les larmes aux yeux. Je revois
encore cette scène tous les soirs.
MARIE-SOL POYATOS
Sur le tournage, j’y suis allé en tant que personne individuelle,
humaine, et après j’ai pu rencontrer tout le monde sans fossé.
ALEX DEVILLERS
.96. .97.
50.
51. Ça nous a rapproché les uns des autres ; entre nous, les gens
d’ATD, ça a recréé des liens. Ça nous a donné envie de faire
d’autres choses ensemble.
AURÉLIE JOLIVIÈRES
Pendant le tournage, j’ai retrouvé papa et maman… Je ne
les avais pas vu depuis presque 40 ans car j’ai été placée toute
petite. C’est une de mes sœurs qui m’a reconnue sur Internet
car j’étais en photo dans le journal Sud Ouest qui est venu
faire un reportage sur le tournage du film. Mes parents m’ont
retrouvée et ils m’ont téléphoné. On s’est vu juste une fois et
puis on se téléphone. Mes parents sont maintenant des
personnes âgées, ils ne sortent pas beaucoup. Ma maman a un
cancer. Je ne les avais pas vus depuis toute petite, ils ne m’ont
presque pas élevée.
JOSIANE DUBOURDIEU
.100. .101.
52. Je me suis sentie respectée comme les autres. Les acteurs et les
techniciens nous prenaient comme on était et nous
encourageaient à faire comme on
le sentait, et non comme c’était
parfois écrit dans le texte.
Certaines répliques, on avait du
mal à les dire. “Tu le dis comme
tu veux”, répétait Caroline. “Tu
peux le dire avec tes mots, mais
pas des mots “modernes”.
Il y a une scène pendant
laquelle on racontait notre vie,
nos souffrances de femmes, et
cette scène nous a toutes prises
aux tripes. Raphaëlle, Priscilla,
Anouk, nous étions bouleversées.
Cette scène avait été beaucoup
travaillée en préparation, mais
lorsqu’on l’a jouée, lorsqu’on a
entendu ces mots qui racontaient
la condition de la femme sous-
prolétaire, il y avait une
atmosphère incroyable, pleine de gravité et d’émotion.
Je me disais que ces femmes qui à l’époque avaient pu parler
ainsi devant un homme, un prêtre, avaient eu un courage énorme.
Cette scène est un hommage à leur courage, on ne pouvait pas
mieux leur rendre hommage.
FRANÇOISE HAMEL
.102.
53. Martine est une amie, militante Quart-Monde, qui est venue
assister au tournage. A son retour, elle a écrit une lettre à
l’attention des techniciens et des acteurs.
Deux jours et une nuit à rôder sur le tournage…
(…) J’ai été témoin de votre simplicité à tous, vous, les techniciens
et acteurs du film. Je vous ai vus les uns et les autres vous poser sur
une simple chaise en attendant une prise. Il n’y avait pas de différence
entre ceux du cinéma et les autres… Vous étiez là, tout proche, sans
“privilèges”, et tout votre “savoir être” m’a rassurée.
C’est une vraie force et du coup, vous tous, réunis, vous avez
contribué à ce que les “miens”, et pas les “pauvres”, se sentent
respectés.
Ce que vous “avez joué” aujourd’hui, ce que vous “avez tourné”
aujourd’hui, c’est la vie, le combat d’hier qui reste de pleine
actualité.
Les spectateurs doivent le savoir mais grâce à ce film, ils sauront
aussi que les “pauvres” ne sont pas “que des pauvres”. Ce n’est pas
une identité. Nous sommes des combattants de la vie et comme
tout un chacun, parfois, on n’en peut plus…
Une dernière chose que je voulais vous dire.
Quand j’étais enfant j’avais trois rêves, je voulais devenir avocate
(depuis toujours j’ai trouvé normal de défendre ceux qui souffraient
comme moi ou plus encore). Actrice aussi. J’adorais tout
particulièrement le théâtre, puis mon troisième rêve d’enfant c’était
de savoir lire l’heure. Cela venait du fait qu’un jour la police est
venue chez moi pour cherchez ma maman qui ne s’était pas rendue
à une convocation. Du coup, c’est devenue pour moi un rêve ou
peut-être une angoisse. Apprendre à lire l’heure pour ne pas me
laisser surprendre par le temps. Je ne suis jamais, jamais en retard a
un rendez-vous quel qu’il soit ! Donc je sais lire l’heure.
.105.
54. Je ne suis pas devenue avocate car très tôt, on a considéré
que je n’avais rien à faire à l’école et pourtant j’étais une très
bonne élève, j’adorais l’école mais j’avais un gros désavantage,
la pauvreté de ma famille. Mais un jour, dans mon parcours
de vie après une petite incarcération pour vol, j’ai du passer au
tribunal, je n’ai pas pris d’avocat et me suis défendue avec
“fougue” seule… ainsi j’ai été un peu avocate !
Je ne suis pas devenue comédienne mais je suis devenue
actrice, actrice de ma vie… Cela je le dois au Père Joseph, aux
miens, à tous ceux qui croisent ma vie aujourd’hui donc à
vous aussi maintenant car vous rencontrer me pousse à dire, à
faire, à apprendre et au fond tout cela n’est-il pas le plus beau
des rôles à jouer que celui d’être acteur de sa vie ? Cela je crois
que je le suis aujourd’hui…
MARTINE LE CORRE
J’ai été
Dans ce théâtre d’une humanité contrariée
Dans ce camp naufragé d’une rare beauté
Emu d’y être bouleversé et fier d’y avoir été.
Improviser avec tous les acteurs sur des “histoires” qui n’en
étaient pas…
Des paroles qui résonnaient tellement fort sur le plateau que
le temps d’une séquence devenait irréel
Et l’improvisation n’était plus un jeu, mais l’espace
d’une troublante révélation…
VINCENT DEBOST
.106.
55. Ma question reste : qu’est-ce qu’on fait avec ce film ?
On a changé de tenue, mais la
misère est toujours là.
Qu’est-ce qu’on en fait ?
Ma présence sur ce tournage ne pouvait pas être seulement
de la figuration… Pour moi, c’était un coup de gueule… il JOSIANE SAN CLEMENTE
serait temps que les politiques se décident à bouger, qu’ils
regardent au-dessus de leur épaule pour voir ce qu’on vit.
ALEX DEVILLERS
.108. .109.
56. QUELQUES DATES REPÈRES DANS LA VIE DE JOSEPH WRESINSKI.
12 février 1917 : Joseph Wresinski né à Angers d’une mère réfugiée
espagnole et d’un père polonais.
29 juin 1946 : Ordonné prêtre à Soissons, pendant dix ans il sera curé
de campagne dans l’Aisne.
14 juillet 1956 : Arrivée au camps de Noisy-le-Grand, bidonville en
région parisienne.
1957 : Il fonde avec les familles du bidonville la première association
le “vrai”
qui donnera naissance quelques années plus tard à Aide à Toutes
Détresses puis, plus tard encore, ce mouvement prendra le nom d’ATD
Quart-Monde. Les premières bibliothèques de rue voient le jour, les
Joseph Wresinski. universités populaires pour les adultes et les pré-écoles pour les tout
petits et leurs familles.
∂ 1960 : Il crée le Bureau de recherches sociales qui deviendra en 1967,
l’Institut de recherche et de formation aux relations humaines. Dès cette
époque, il commence à voyager à la rencontre des plus pauvres d’abord
en Angleterre puis en Inde et aux Etats-Unis. Cette ouverture au monde
ne s’arrêtera jamais.
1967 : Il crée le mouvement Tapori, la branche enfant d’ATD Quart-
Monde.
1968 : Il invente le terme quart-monde qui est repris dans le langage
courant. Il fait ainsi une référence explicite aux cahiers du Quart-Etat
(par analogie au Tiers-Etat) établis au moment de la révolution française
.111.
57. et qui rassemblèrent les revendications des plus pauvres pour les 1982 : Jean-Paul II reçoit Joseph Wresinski et une délégation de jeunes
apporter à la nouvelle assemblée constituante. Pour le père Joseph, le du quart-monde.
quart-monde est le peuple des sous-prolétaires qui se met debout et
revendique ses droits et son égale dignité dans la société. 1984 : Joseph Wresinski remet au secrétaire général de l’ONU, Perez
de Cuellar, une pétition de 235 000 signatures demandant que la misère
1973 : Il crée Alternatives soit reconnue comme une violation des droits de l’homme.
114, le mouvement des jeunes
du quart-monde. 1984 : Le président François Mitterrand reçoit Joseph Wresinski
accompagné d’une délégation de familles du quart-monde et de la
1977 : A l’occasion des 20 ans présidente du mouvement Geneviève Anthonioz-De Gaulle.
de la création de la première
association de familles, il lance 1985 : Joseph accueille au Bureau International du Travail, à Genève,
un défi à la Mutualité à Paris des délégations de jeunes du quart-monde venues des quatre continents.
“Dans dix ans plus un seul
illettré dans notre pays, celui 11 février 1987 : le père Joseph remet au gouvernement français un
qui sait doit apprendre à celui rapport du Conseil économique et social qu’il a coordonné, “Grande
qui ne sait pas.” pauvreté et précarité économique”. Il préconise la mise en place d’un
Revenu Minimum d’Insertion (le volet insertion sera vite oublié…) et
1978 : Le président français Valéry Giscard d’Estaing reçoit Joseph la création d’une couverture médicale universelle ainsi qu’un droit au
Wresinski et une délégation de familles pauvres à l’Elysée. logement réellement respecté.
1979 : Joseph Wresinski est nommé par Giscard d’Estaing au Conseil 17 octobre 1987 : 100 000 défenseurs des Droits de l’homme venus
économique et social au titre de personnalité qualifiée. Les premières des quatre coins du monde et des différentes associations et
équipes permanentes de volontaires d’ATD Quart-Monde s’implantent mouvements politiques se rassemblent au Trocadéro autour de Joseph
dans les pays du sud. Wresinski et de son mouvement ATD Quart-Monde. Cette journée est
déclarée par l’ONU : Journée Mondiale du Refus de la Misère.
15 mai 1982 : “Pleins droits pour tous les hommes”. Pour les 25 ans
du Mouvement ATD Quart-Monde, Joseph Wresinski lance cet appel 14 février 1988 : Joseph meurt à l’hôpital de Suresnes des suites d’une
devant des milliers de familles et d’amis à Bruxelles. Il place le combat opération du cœur.
de la lutte contre la misère sur le terrain des Droits de l’homme.
∂
.112.
58. L’appel qui suit, prononcé par le fondateur du Mouvement ATD
Quart-Monde, est un texte de style oral adressé aux membres de son
mouvement : les “alliés” comme il les surnomme, sont des citoyens
bénévoles ; les volontaires permanents, des hommes et des femmes qui
engagent leur vie et leur activité et sont rémunérés ; et enfin les familles
du quart-monde. A travers ces lignes, on découvre la radicalité de
l’engagement qu’il demande, la grande confiance en chaque homme,
chaque femme à qui il s’adresse et enfin la solennité de son combat
puisqu’il commence par une interpellation véhémente à l’état français *.
D’autres appels ont été par la suite lancés à Bruxelles, à Genève, à New
York et partout dans le monde où le Père Joseph comptait des amis, des
équipes et des familles qu’il avait rejoints dans leur combat.
C’est vers l’Etat que je me tourne tout d’abord, vers l’Etat dont la
mission première est de promouvoir une volonté politique de
destruction radicale de la misère, vers l’Etat sur lequel les citoyens se sont
de plus en plus déchargés, depuis les années d’après-guerre, du souci des
plus défavorisés.
UN ÉTAT GARANT DE LA DÉFENSE DES INTÉRÊTS DES EXCLUS.
Nous demandons d’abord que son Chef, le Président de la République
se reconnaisse publiquement garant de la défense des intérêts des
Appel à la solidarité lancé par le Père Joseph minorités exclues, qu’il veille à ce que le quart-monde obtienne au plus
vite les moyens de ses libertés économiques, culturelles et politiques,
Wresinski à la fête de la solidarité organisée le qu’il veille notamment à ce que le quart-monde soit représenté dans
17 novembre 1977 au Palais de la mutualité à toutes les instances où les autres citoyens peuvent se faire entendre.
Nous demandons que pour assumer cette responsabilité dans les
Paris, à l’occasion du 20ème anniversaire du
mouvement ATD Quart-monde.
* Ce texte a été coupé pour les besoins de l’édition de ce livre. Le texte original est dis-
ponible sur le site internet du Mouvement ATD Quart-Monde.
.115.
59. meilleures conditions, le Chef de l’Etat désigne auprès de la Présidence situation d’infériorité et fait qu’il soit rejeté. Cette contestation nous la
de la République un délégué chargé de suivre et d’évaluer en perma- mènerons dans notre propre famille, dans notre propre milieu et cela au
nence l’élaboration et l’exécution d’un plan quinquennal pour éliminer risque de renoncer à des idées rassurantes ou à des privilèges acquis.
la misère et l’exclusion dans la démocratie française. (… ) Ce sur quoi Cette contestation, nous la poursuivrons dans l’école, le lycée que
nous insisterons ce soir c’est la concertation pour laquelle le Mouvement fréquentent les nôtres ; par elle nous refuserons que soit délaissé l’enfant
ATD Quart-Monde s’est toujours montré prêt à partager son expérience le moins doué, l’enfant écrasé par le poids de la misère de sa famille.
et ses connaissances. Par cette concertation sera cassé le cercle vicieux de Notre contestation sera présente dans les entreprises où nous exigerons
la misère. Nous demandons enfin à l’Etat d’accueillir et de faciliter que soient admis ceux qui n’ont reçu aucune formation professionnelle.
largement la libre initiative des citoyens dans le combat contre En cette période de crise nous agirons pour qu’ils ne soient pas les
l’exclusion et de fournir au besoin, les moyens financiers d’initiatives premiers privés de leur travail, pour que la solidarité ouvrière joue
non-gouvernementales. Soutenir la liberté d’innover des citoyens c’est pleinement en leur faveur. En un mot, nous n’accepterons plus qu’en
stimuler les administrations et garantir l’aptitude à la réforme des aucun lieu les plus défavorisés soient oubliés ou négligés. Notre adhésion
structures publiques ; c’est assurer à l’Etat la capacité de se forger un dans les partis politiques de notre choix orientera les programmes vers
nouveau mode de démocratie qui ne tolèrera plus que des minorités sans une société sans exclusion. Nous imposerons à l’Etat un projet de société
poids politique puissent être réduites au silence et au paupérisme. dont la charte sera la défense des plus démunis et le respect de leur droit.
Quant à ceux qui croient, qu’ils fassent en sorte que grâce à leur
UNE ALLIANCE NOUVELLE QUI TRANSFORME. dynamisme et à leur foi, nos Eglises accueillent en premier les plus
démunis. Que grâce à ces croyants elles redeviennent les Eglises des sans-
A côté de l’Etat, c’est à tous les citoyens que je m’adresse car ce sont défense, des ignorants et des victimes, le lieu de leur espérance, celui du
eux qui, en fin de compte, déterminent les choix et les grandes partage et du dépouillement des forts, mais aussi, du refus de Dieu
orientations de toute société. Face à l’exclusion, le quart-monde nous d’accepter l’oppression, l’injustice et la haine. Notre combat dans les
rappelle donc à nous qui sommes des citoyens reconnus, qu’une mouvements de lutte contre la guerre, la faim, pour les droits de
nouvelle alliance s’impose : Alliance entre exclus et non-exclus. Une l’homme rejoindra ce refus de l’exclusion car en réalité celle-ci n’est autre
alliance qui doit transformer les données de la vie politique, la pensée de que l’ultime étape de la persécution contre la dignité de l’homme et le
notre temps, l’esprit des institutions et des lois, et la vie des Eglises. Il respect qui lui est dû. Plus encore, si nous le pouvons, nous donnerons
nous faut donc conclure une alliance nouvelle avec le quart-monde pour de notre temps pour lutter contre l’ignorance au sein même du quart-
que partout soit défendue la cause des laissés-pour-compte. Mais pour monde, pour éveiller la population sous-prolétarienne à la lecture, à
être fidèle à cette alliance nous irons jusqu’au bout de notre contestation l’écriture, au savoir, à l’art, à la poésie, à la musique. C’est pourquoi nous
contre tout projet de société qui exclut les plus faibles et nous qui sommes éducateurs, instituteurs, nous rejoindrons ceux qui, dans le
imposerons la participation en tout domaine des plus défavorisés. En Mouvement, ouvrent des “Bibliothèques de rue”, animent des “Pivots
effet, aller jusqu’au bout c’est dénoncer tout ce qui met un homme en Culturels”. Sociologues, économistes, psychologues, nous participerons
.116. .117.
60. aux recherches que l’Institut du Mouvement mène depuis quinze ans, à la recherche d’autres
afin de fonder une connaissance scientifique du groupe quart-monde. oubliés. C’est vous, les
Juristes, nous renforcerons les comités de défense de ses intérêts et de ses permanents du Mouvement
droits. Représentants du pays, responsables à quelque titre que ce soit de qui continuerez à être cette
la solidarité des citoyens, nous travaillerons de tout notre pouvoir à brèche dans le mur de
rendre aux organes représentatifs du sous-prolétariat leur juste place l’exclusion. Vous avez opté
dans les institutions de la nation en tant que partenaires sociaux. pour une communauté de
Infirmières, médecins, nous prendrons la défense du malade sous- destin avec la population
prolétaire dans les hôpitaux, les centres de planning familial. Gens de sous-prolétarienne. Vous
lettres, journalistes, nous œuvrerons à la création d’un langage accessible êtes et vous serez les témoins
aux moins instruits, nous nous ferons dénonciateurs de l’exclusion. dans la population même
Enfin tous, sans exception, nous pouvons et devons notre soutien que ses espoirs ne sont pas
financier. Ainsi notre contestation deviendra la volonté de la Nation de vains, qu’elle n’est pas
faire disparaître la condition sous-prolétarienne. coupable, que son expé-
rience au contraire a valeur
UNE BRÈCHE DANS LE MUR DE L’EXCLUSION. pour tous les hommes. Vous
êtes et vous serez les plus
Le combat de libération du quart-monde c’est sur vous, volontaires proches du scandale. Vous vous compromettrez comme avant avec ses
ATD Quart-Monde, sur vous les permanents du Mouvement qu’il victimes et vous dénoncerez tout malheur, affrontant s’il le faut, l’Etat
repose, car c’est vous les premiers qui l’avez entrepris. Sans vous, le et l’opinion. Vous êtes ceux qui découvrez les nouveaux terrains où il
sous-prolétariat ne serait jamais entré dans l’histoire contemporaine, faut porter l’action, les nouvelles formes de lutte pour la mener à
les familles sous-prolétaires n’auraient été que des “familles-cas”, des bien. Vous êtes les garants que les exclus seront les premiers
“familles-problèmes”. Contre vents et marées, contre l’inertie de bénéficiaires des changements, que ceux-ci seront assez radicaux pour
l’Etat, contre l’incompréhension des institutions, contre l’indif- ne plus laisser personne de côté. Vous devez garantir que la
férence de l’opinion, contre le mépris de beaucoup, et pendant de contestation ira jusqu’au bout, que les plus défavorisés ne seront pas
nombreuses années contre le propre refus du quart-monde lui-même, abandonnés en chemin. C’est un contrat de vie que nous avons
vous avez créé ce Mouvement. Aujourd’hui, la population sous- conclu, nous en avons accepté le poids, les risques et aussi tous les
prolétarienne commence à se mettre debout, elle forge des militants dénuements car le succès de notre cause est dans la montée de ce
issus de ses rangs. Vis-à-vis d’elle, votre rôle devra désormais être de peuple, dans notre propre disparition pour laisser place à ses leaders.
plus en plus un rôle politique. Mais vous devez aussi vous replonger
toujours plus profondément au milieu des nouveaux exclus, toujours
.118. .119.
61. responsables. Et être responsables, pour
vous, ce sera d’abord continuer à vous
former, à vous instruire, à vous regrouper,
pour réfléchir sur votre condition, pour
exiger une école adaptée à vos enfants, un
travail qui vous rende indépendants et qui
garantisse aux vôtres une vie décente,
pour exiger aussi une formation
professionnelle accessible à votre milieu,
ainsi que les moyens de la culture et de la
spiritualité. Pour le respect de vos
familles, pour que vos enfants aient droit
à votre amour, aient droit à la garantie
d’être élevés par vous, notre objectif doit
être, pour les dix ans à venir, qu’il n’y ait
plus d’illettrés parmi nous, qu’aucun
enfant non seulement ne manque l’école
UN CRI DE RÉVOLTE, UN APPEL À LA LIBÉRATION DES PLUS PAUVRES. mais qu’aucun n’y échoue. Que ceux qui savent lire et écrire apprennent
à lire et à écrire à leurs voisins. Etre responsables c’est aussi rejoindre les
Militants et délégués du quart-monde, c’est à vous que je m’adresse associations familiales, les associations de parents d’élèves, les comités de
maintenant. Plus que tous vous êtes concernés par les engagements qui locataires, les syndicats, les partis politiques. Vous avez droit aussi à lutter
seront pris ce soir autour de vous et de vos enfants. C’est votre refus pour la justice, la paix, les droits de l’homme. Etre responsables, c’est
d’une vie sans espoir, votre refus d’être considérés responsables de votre participer aux luttes essentielles de l’humanité. Dans ces luttes, vous
souffrance, votre refus d’être considérés comme inexistants et inutiles, serez des égaux et vous y imposerez la lutte contre la misère. Nous ne
que le Mouvement a repris. En effet, qu’est-ce donc que le Mouvement pouvons apporter de grand savoir, nous ne pouvons apporter ni or, ni
sinon le cri de votre révolte, mais aussi celui de votre appel. argent mais nous avons ce que les autres n’ont pas et qu’ils doivent
Cependant vous savez que personne ne vous libérera sans vous. Vous connaître, c’est notre expérience, notre expérience de l’exclusion. Mieux
avez l’expérience de trop de lâchages, de trop d’abandons. Vous savez que tout autre, nous savons réellement ce qu’est la liberté, nous qui
que l’autre société n’a ni les mêmes intérêts, ni les mêmes idées ni les avons toujours vécu sous la tutelle et la dépendance d’autrui. L’égalité,
mêmes projets que vous. C’est pourquoi de votre libération vous êtes les nous en connaissons le manque, nous qui sommes traités en inférieurs,
premiers garants du changement de vos vies, vous serez les premiers en parasites inutiles. L’honneur d’être homme, nous en connaissons le
.120. .121.
62. prix, nous qui supportons le poids du mépris. Nous avons expérimenté ATD QUART-MONDE, UN PROJET DE SOCIÉTÉ.
tout ce qui humilie et fait souffrir un homme, une famille, un milieu et
si nous rejoignons d’autres combats, ce sera pour les rendre attentifs à ATD Quart-Monde est un Mouvement humanitaire qui s’est
ceux qui sont au dernier degré de la souffrance, de l’écrasement, du donné comme objectif prioritaire l’éradication de la misère. Ce
malheur, de la désespérance. Mouvement veut contribuer à bâtir une société où chacun de ses
C’est donc une alliance entre les sous-prolétaires et la société que je membres sera respecté dans son égale dignité et y aura sa place pleine
vous invite à conclure ce soir, une alliance entre exclus et non-exclus, et entière.
une alliance qui doit transformer les relations entre les hommes, la vie Depuis ses origines, ce mouvement, qui croit fermement en la
politique, la pensée de notre temps. C’est un véritable contrat que je capacité de chaque homme, de chaque famille à participer activement
vous demande de passer entre vous ce soir, un contrat entre la aux politiques de lutte contre la misère, tourne le dos à toutes actions
population sous-prolétaire, l’état et les citoyens. L’enjeu de ce contrat d’assistance et met l’accent sur le combat pour que chaque personne
c’est de créer une démocratie qui tire les leçons de son injustice vis-à-vis ait accès aux droits fondamentaux et notamment aux droits à
des plus défavorisés et leur restitue leurs responsabilités de citoyens. l’instruction et à la culture.
∂ ATD Quart-Monde rassemble donc des familles issues du milieu
sous-prolétaire qui s’engagent dans leurs quartiers, dans leurs villages.
A leurs côtés, des volontaires permanents, dont certains vivent au
côté de ces familles dans des quartiers de misère, ont choisi un
engagement radical.
Actuellement, ils sont quelque 350 femmes et hommes de différentes
nationalités, origines, professions, religions ou philosophies, présents
dans vingt-trois pays. Ils établissent entre eux un partage des salaires et
reçoivent une indemnité identique, équivalente au SMIC en France.
Cette caisse du volontariat est alimentée par des subventions publiques
mais aussi par des dons privés.
Enfin un peu partout dans le monde, des milliers de personnes se sont
“alliées” avec les familles les plus exclues et les plus fragiles de leur pays
dont ils retransmettent le courage et les aspirations dans leurs propres
milieux (familial, professionnel, associatif, culturel…). Ils tentent ainsi
de faire changer le regard que la société porte sur les plus pauvres tout
en soutenant des actions avec les équipes de volontaires et les familles
dans leur combat pour le logement, le travail, la santé mais aussi à l’école
.123.
63. ou à l’université. Parmi les actions les plus régulières, ATD Quart- REMERCIEMENTS
Monde anime dans les quartiers des bibliothèques de rue avec les
Contribution pour les textes :
enfants, des universités populaires où les adultes échangent et
rencontrent des gens venus d’autres milieux pour “s’apprendre” Figurants : Ghislaine Gérard, Françoise Hamel, Dominique Dhont,
mutuellement et partager savoirs et expériences. Des clubs dit “du Marie-France Tahar, Raphaëlle Chapoulard, Alex Devillers, Geneviève
savoir” permettent aux jeunes de se retrouver et des pré-écoles pour les Avril, James Avril, Marie-Sol Poyatos, Priscilla Benmesrouk, Josiane
petits offrent des lieux inédits qui préparent les enfants à l’entrée à Dubourdieu, Cindel Dubourdieu, Luis de Melo, Aurélie Jolivières, Thierry
Sarraya, Claude Maréchal, Martine Lecorre, Josiane San Clemente.
l’école. Enfin, les membres du Mouvement mènent inlassablement des
actions de formation dans tous les milieux. Ils vont à la rencontre des Acteurs : Jacques Weber, Anouk Grinberg, Laurence Côte, Salomé
citoyens à l’école, dans les universités, les entreprises pour témoigner de Stevenin, Vincent Debost.
leurs combats et faire entendre la voix des plus pauvres. Enfin, ils
entretiennent des échanges réguliers avec les partenaires sociaux ou les Equipe technique et artistique : Julie Lecoeur et Marie Saint-Jours
(casting figuration), Isabelle Gies (secrétaire de production), Manu de
responsables politiques, participant souvent au débat public que ce soit Chauvigny (Chef décorateur).
sur le terrain des lois ou sur celui de l’élaboration de nouvelles politiques
sociales. C’est ainsi qu’en France comme dans de nombreux pays, les Merci aussi aux acteurs et aux techniciens qui figurent sur ces photos et
équipes du Mouvement ont su gagner à leur cause des responsables notamment : Patrick Descamps, Nicolas Louis, Anne Coesens, Isabelle de
politiques de haut rang, des intellectuels ou des artistes qui sont des Hertogh, Jeanne Lepers, Valérie Habermann. Ainsi que : Philippe Dussau
et Colo Tavernier pour le scénario, Pierre Milon et Vincent Buron pour
relais ou des portes-voix indispensables. l’image, Jérôme Ayasse pour le son, Véronique Heuchenne, Christophe
Le Mouvement compte des équipes permanentes ou des amis sur Marilier, Colomba et Laura pour la mise en scène, Nathalie Raoul et
les cinq continents. Ces équipes qui ont rejoint les familles les plus Isabelle Blanc pour les costumes, Jacqueline Mariani pour le montage,
exclues respectent dans chaque pays les singularités culturelles Frédéric Vercheval pour la musique Fred Lary, François Drouot et Sophie
sociales et politiques. Au niveau international, le Mouvement Couecou pour la production.
travaille auprès des grands organismes tels l’ONU ou L’Unesco afin Merci à Sœur Paule et aux sœurs de la Charité, à Véronique Fayet, Alain
que la voix des plus pauvres de la planète y soit entendue et que les Juppé et Noël Mamère pour leur accueil en Aquitaine.
politiques s’inspirent des combats quotidiens et du courage de ceux
qui subissent et souffrent de la misère partout dans le monde. Merci à Hélène Sireyjol qui a réalisé les entretiens qui ont permis de
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mettre des mots sur les émotions et les expériences de chacun.
Merci à Emmanuel de Lestrade, première cheville ouvrière, à Laurence
Goudeau et l’équipe des alliés ainsi qu’aux témoignages de tous ceux qui ont
parlé ou écrit et dont les textes ne figurent pas dans ce livre faute de place…
Vous avez largement contribué à nourrir et concevoir cet ouvrage :
.125.
64. Adeline Castellon, Adrien Guillot, Amélie Huyot, Angeline Portes,
Annette Rivalland, Aurélie, André Torres, Angeline Portes, Antoine
Maccabiani, Aurélie Brun, Bernard, Cécile, Cédric Lavergne, Céline,
Céline Dablade, Charlotte, Christine Maillard de la Morandais, Christophe
Almy, Christophe Besson, Christophe Portes, Coralie Lavergne, Daniel
Balège, Danielle Milleri, Dominique Padovani, Elizabeth Guillemasy,
Emmanuel Gauthier, Emmanuel Grandon, Fabien Mairey, Fabienne Borda,
Fabienne Cabrera, Fabrice Kaid, Fabrice Tanzella, Falone Guilleminot,
Fatima, Florian Seyer, Franck Rouffle, Frédéric Gascon, Frédéric Jeantet,
Guillaume Delteil, Hayat Bouachau, Hervé Hirondelle, Hervé Portes,
Isabelle Mamère, Isaura Da Conceiçao, Jean-François Paillot, Jeanine
Roger, Jean-Louis Leneez, Jean Luc Delval, Jean-Marc Noirot Cosson
(Fredo), Jean-Marc Sotille, Jean-Marie Noirot, Jean-Pierre Lepage, Jérôme
Dugachard, Johana Filatran, Johana Maintenat Jomathan Padovani, Joss
Lanche, Julien Pecheux, Juliette Gentil Cousin, Kamel Benamar, Kheira
Boumédienne, Laetitia Padovani, Lena Pilard, Loïck Jean, M. Hincu, Marie
José Besson, Marie-Christine Derive, Mathias Kaid, Melodie Peruzzeto,
Michael Maintenat, Michel Blanchard, Michel Lachaise, Michel Miramon,
Michel Viaud, Mimi Duha, Monique Moulineau, Nadia El Mrini, Nathalie
Foltz, Nathalie Huyot, Nathalie Sarailla, Nathalie Saube, Olivier Huyot,
Patricia Broyer, Patrick Emars, Pauline Eyrabide, Père André Castaing,
Philippe Bouchin, Philippe Maréchal, Reine Barreau, Robert Lagière,
Robert Mateo, Romain louvet, Sabrina Pecheux, Samia El Mrini, Sandra,
Sandy Guillot, Sébastien Lavergne, Severine Vigot, Sophie Bois, Stavi
Beyer, Stéphane Durieux, Stéphane Vaudrecreme, Sylvaine Panabière,
Sylvie Maccabiani, Tania Cerqueira, Théo delestrade, Valentin Hirondelle,
Xavier Chapoulard, Yannick Maintenat, Yannick Texier, Yohan Bastiancig,
Yull Brunet, Yves-Michel Fougère.
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65. Joseph l’Insoumis est un film produit par Emmanuel Giraud (Les Films de
la Croisade, Paris) et Isabelle Truc (Iota Production, Bruxelles). Avec la
participation de France télévision (Jean Bigot et Vincent Meslet) et diffusé
sur France 3 (Anne Holmes et Marie Dupuy d’Angeac).
Crédits photos additionnelles :
Pages 14-29-32 : Marie Baget
Pages 24-57 : Anouk Grinberg
Pages 80-97 : François Philiponeau
Photos d’archives p.112-114-119-120-122, ATD Quart-Monde
Texte p.115, reproduit avec l’autorisation d’ATD Quart-Monde
Pour visionner le documentaire de Delphine Duquesne retraçant la
préparation et le tournage du film, se rendre sur le site :
www.dailymotion.com
Contact ATD Quart-Monde : www.atd-quartmonde.org
Mouvement International ATD Quart-Monde
114, avenue du Général Leclerc 95480 PIERRELAYE
Téléphone : 01 34 30 46 10
Cet ouvrage a bénéficié du soutien du Conseil Régional d’Aquitaine.
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Achevé d’imprimer en septembre 2011, par l’imprimerie
Présence Graphique, pour le compte des éditions
ELYTIS.
Dépôt légal : septembre 2011.