Marie joëlle brassard avec la collaboration de marie-paule robichaud
Memoire_M2R_SMO_Saleh
1. Université des sciences et Technologie de Lille 1 Institut d’Administration des Entreprises
Mémoire de recherche
Master 2 Recherche en Sciences de Gestion
Sous la direction de Mr le Pr. Xavier LECOCQ
« Le recours à une communauté de pratique inter-
organisationnelle dans le cadre de la mise en place de
synergies dans un groupe d’entreprises »
Saleh Abdelhalim, 2008
2. 2
REMERCIEMENTS
Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de recherche, le professeur Xavier Lecocq, qui
a fait preuve de patience, en particulier dans les premiers temps de cette recherche, qui a su
me donner envie de continuer et m’a laissé creuser certaines pistes tout en veillant au bon
déroulement de cette recherche. Son dynamisme et sa connaissance m’ont stimulé, sa
disponibilité aura permis des échanges fructueux.
Merci également aux professeurs qui nous ont suivi cette année, pour la qualité de leurs
enseignements et plus particulièrement aux professeurs Didier Cazal, Olivier Brandouy et
Alain Desreumaux pour leur disponibilité et leur culture qui ont rendu les échanges que nous
avons eu très enrichissants pour cette recherche, ainsi qu’aux professeurs Bernard Forgues,
Isabelle Royer, Benoit Demil, Vanessa Warnier. Je garde le souvenir d’une riche année.
Merci également à Mme Carlier, indispensable à ce master recherche, pour son accueil et sa
bonne humeur, à mes camarades de promotion Alexandre, Walid, Eric (les 3 autres
‘fantastiques’), Zhen, Morad et tous les autres avec qui j’ai partagé une année chargée dans la
bonne humeur ! ainsi qu’à Philippe pour ses cafés qui m’ont permis de rester éveillé,
Mes remerciements vont à tous mes collègues du groupe 3si qui m’ont soutenu, « coaché » à
mes responsables qui ont accepté de libérer un peu de mon temps pour que cette année
d’étude soit possible et enfin à tous mes interlocuteurs dans le groupe pour m’avoir accueilli,
répondu à mes questions et pour leur patience.
Enfin, je remercie mon père, qui m’a donné envie de faire ce travail, je remercie du fond du
cœur mon fils Adam et surtout ma femme Sonia sans qui rien de tout cela n’aurait été
possible, qui m’a soutenu, encadré, écouté et a supporté une année chargée de travail et
d’études en même temps. Je leur dois beaucoup.
3. 3
RESUME
La finalité de ce travail est de comprendre l’articulation entre la recherche de synergies, dans
un contexte inter-organisationnel et le recours à une forme d’action collective émergente : la
communauté de pratique inter-organisationnelle. Notre questionnement porte, dans un premier
temps, sur les raisons du recours à une communauté de pratique inter-organisationnelle, dans
le contexte particulier de mise en place de synergies, puis en un second temps sur les
modalités et les effets qu’a le recours à cette forme particulière d’action collective. L’intérêt
est ici double : compléter la littérature par l’étude de la mise en place de synergies inter-
organisationnelles et étudier plus particulièrement une des réponses organisationnelles
possibles.
La synthèse de la littérature sur les synergies révèle d’une part le lien étroit entre synergie et
structure, mais aussi la diversité des conceptions liées aux synergies, selon que les approches
retenues s’intéressent à l’étude de leurs contenus ou de leurs processus. Dans les deux cas, il
semble que l’étude du caractère émergent de ces synergies soit peu traitée à ce jour. Les
communautés de pratiques inter-organisationnelles font, elles, l’objet d’un intérêt grandissant,
et posent notamment les questions de leur émergence, du caractère ‘opérationnel’ de leurs
actions, ainsi que de leurs dynamiques internes.
Notre approche se fonde sur l’étude de la création d’une communauté de pratique inter-
organisationnelle dans le groupe 3S, dans un contexte de recours à des synergies de transfert
de connaissance. Notre étude de cas unique, est caractérisée par un recours à diverses sources
de données (entretiens, documents internes, observation participante) dont le recueil s’est
étalé sur 3 mois.
Nos résultats se concentrent sur les modalités d’apparition de la communauté de pratique
inter-organisationnelle, l’étude des mécanismes internes et des risques liés aux recours à ces
formes d’actions collectives, ainsi qu’aux types de synergies appropriés dans le cadre du
recours à ces communautés de pratiques inter-organisationnelles. En premier lieu, nous
confirmons l’existence de ‘générateurs de communautés de pratique inter-organisationnelles’
préalables à l’apparition de la communauté de pratique. En un deuxième lieu, notre étude
empirique nous permet de comprendre l’importance des mécanismes de sélection et de
communication de la communauté de pratique inter-organisationnelle. En un troisième temps,
nous indiquons la complémentarité du recours, dans le cadre d’une communauté de pratique
inter-organisationnelle, à des formes d’actions collectives complémentaires comme le groupe
de projet, l’atelier thématique ou encore le club. Enfin notre apport est d’indiquer que les
synergies de gouvernance interne semblent indiquées, dans le cas d’un recours à une
communauté de pratique inter-organisationnelle, même si les modalités de ce recours sont à
nuancer. Puis nous concluons sur les perspectives pour une recherche future.
MOTS CLEFS :
Synergies, Complémentarités, Communauté de pratique inter-organisationnelle, Club,
4. 4
SOMMAIRE
INTRODUCTION __________________________________________________________ 6
REVUE DE LITTERATURE _________________________________________________ 8
I) Le concept de synergie : définitions________________________________________ 8
A) Origine(s) du concept de synergie : une place importante dans la stratégie dès le
départ________________________________________________________________ 10
B) Diversification et Proximité stratégiques : des concepts voisins permettant d’adresser
la synergie ____________________________________________________________ 15
II) La notion de synergie dans la littérature : développements récents ____________ 20
A) Les formes de synergies : le passage du contenu au processus_________________ 20
B) Les synergies et… les acteurs __________________________________________ 26
III) Les communautés de pratique inter-organisationnelles et les synergies : ______ 32
A) Origine des communautés de pratique : L’importance du transfert de connaissance 32
B) Le recours aux communautés de pratique inter-organisationnelles : quel(s) enjeux(s)
? ___________________________________________________________________ 38
METHODOLOGIE ________________________________________________________ 45
I) Démarche et positionnement épistémologique : ____________________________ 45
A) L’origine de la question de recherche :___________________________________ 45
B) La co-construction de la question de recherche : ___________________________ 45
C) La question de l’accès au réel : _________________________________________ 46
D) Le choix d’un positionnement constructiviste : _____________________________ 48
E) L’étude « clinique » et le choix du recours à une méthodologie qualitative : ______ 50
F) Présence sur le terrain et exercice de réflexivité : ___________________________ 51
II) Méthodologie retenue : l’étude de cas____________________________________ 54
A) Choix de l’étude de cas : ______________________________________________ 54
B) L’étude de cas unique :________________________________________________ 56
C) La collecte des données : ______________________________________________ 58
D) L’analyse de données :________________________________________________ 61
PRESENTATION DU TERRAIN ET RESULTATS ______________________________ 63
I) Présentation du terrain :________________________________________________ 63
A) Présentation du groupe 3S : ____________________________________________ 63
B) Historique du groupe : ________________________________________________ 63
C) Contexte de la Création d’e3S :_________________________________________ 65
D) Création et Présentation de la société e3S : ________________________________ 65
E) Présentation des acteurs d’e3S : ________________________________________ 66
II) Résultats : ___________________________________________________________ 68
A) « Pourquoi le recours à une CoPI dans le cadre de la mise en place de synergies ? » 68
B) « Comment et selon quelles modalités s’opère le recours à une CoPI dans le cadre de
la mise en place de synergies ? »___________________________________________ 75
C) Avec quels effets et quelles réalisations ? : ________________________________ 85
DISCUSSION_____________________________________________________________ 93
I) Conditions de recours à une CoPI :_______________________________________ 93
A) Mécanismes internes et « piège identitaire » _______________________________ 93
B) Les objectifs, les moyens et le mode de pilotage : __________________________ 96
C) Le succès de la CoPI : _______________________________________________ 100
5. 5
II) Quelles synergies considérer dans le recours à une CoPI ___________________ 102
A) Les synergies de partage de connaissance et de pouvoir de marché ____________ 102
B) La mobilité interne des membres de la CoPI ______________________________ 104
III) Perspectives de la recherche __________________________________________ 106
A) Le recours aux métaphores : __________________________________________ 106
B) L’étude des groupes opérationnels :_____________________________________ 107
C) La question des synergies :____________________________________________ 110
CONCLUSION___________________________________________________________ 111
BIBLIOGRAPHIE ________________________________________________________ 112
ANNEXES ______________________________________________________________ 116
6. 6
INTRODUCTION
Le concept de synergie est présenté par beaucoup d’auteurs comme un concept essentiel pour
les entreprises multi-divisionnelles, multi-activités, (Ansoff, 1965 ; Rumelt, 1974 ; Porter,
1985 ). Toutefois, et de façon étonnante, il est rarement évoqué seul ou de façon directe dans
la littérature.
Les recherches concernant et concernées par la mise en place de synergies inter-divisionnelles
ou interentreprises tendent plutôt à associer ce concept avec ceux, voisins et plus connus dans
la littérature (en particulier dans la recherche en management stratégique), de « diversification
stratégique » et surtout de « proximité stratégique ».
La synergie est alors évoquée comme une résultante ou un effet recherché dans la
diversification stratégique et découlant plutôt d’une certaine proximité (stratégique), dans une
littérature somme toute assez peu fournie et portant le plus souvent sur des questions
concernant principalement les fusions-acquisitions.
Ceci contraste singulièrement avec l’importance voire la popularité du concept dans les
entreprises ou dans les sociétés de conseil en stratégie et organisation. Le phénomène actuel
des regroupements géographiques d’entreprises en clusters ou celui plus récent concernant la
création de pôles de compétitivité en France, contribue sans doute à cette popularité.
Ce décalage entre le peu de cas que fait la littérature du concept et l’importance accordée par
le terrain, indique que la définition même du concept semble poser problème, même s’il est
identifié très tôt, comme une composante importante de la stratégie (Ansoff, 1965).
Mais peut être que cela provient aussi de l’échec des tentatives de mesure des effets de
synergie (que certains auteurs ont été jusqu’à considérer comme étant l’échec des synergies et
du concept lui même… (Porter, 1987)).
D’ou peut être ce recours aux concepts voisins de ‘diversification’ et de ‘proximité’
stratégiques, ceux ci étant plus « facilement » opérationnalisables et s’appuyant sur des
classifications d’industries ayant le mérite d’exister et d’avoir fait leurs preuves (même si
d’aucuns en soulignent ici ou là les limites).
Une autre difficulté du concept de synergie est inhérente au lien complexe et abondamment
traité dans la littérature entre stratégie et structure (Ansoff, 1965 ; Chandler, 1962 ). En effet,
si la synergie est une composante principale de la stratégie d’entreprise, alors elle aussi
entretient un rapport privilégié avec la structure de l’entreprise. La définition du concept ou
tout au moins la clarification de ses contours, nécessite donc une étude des liens entre mise en
place de synergies et structures des organisations.
Ce point est d’autant plus important que la composante humaine et notamment la résistance
au changement ont été évaluées comme critiques pour la réussite de synergies dans un
contexte de fusion-acquisition (Larsson et Finkelstein, 1999).
Malgré toutes ces difficultés, nous notons cependant, un regain d’intérêt pour cette question,
notamment à la faveur de travaux récents concernant l’étude des capacités dynamiques des
entreprises, courant émergent de l’approche ressource (Eisenhardt et Martin, 2000) ou encore
ceux « re »-mettant en valeur le rôle important d’acteurs individuels (jusque là ignorés) dans
la définition et la mise en œuvre de la stratégie, à travers l’étude du rôle des managers
intermédiaires ou encore des pratiques de micro-strategizing (Jancsak, 2006).
7. 7
Ceci est la preuve que le concept de synergie conserve encore toute son importance depuis
qu’il a été mentionné dans les années 60 et ce, malgré le peu de cas qu’en fait la littérature et
la diminution de l’intérêt pour l’étude des groupes multi-activités, multi-divisions.
Ce regain d’intérêt prend une forme particulière qu’il sera intéressant d’interroger. En effet,
les nouvelles approches du concept tendent à mettre en avant le côté émergent des synergies
abordant celles-ci sous l’angle de théories des organisations plutôt que de décisions
stratégiques. La question qui se pose alors est de savoir à quel point cette conception est
« opportune », notamment en étudiant le recours lors de la mise en place de ces synergies, à
des structures organisationnelles, elles-mêmes émergentes, comme les communautés de
pratique inter-organisationnelles.
Ce recours à des formes comme les communautés de pratique inter-organisationnelles, n’est
pas sans avoir d’incidences sur les modes d’organisation, de coordination et de contrôle. Il
s’apparente aussi, à une expérimentation d’entreprises, conscientes de l’échec, jusqu’à présent
de nombreuses tentatives de rendre réels les bénéfices de synergies potentielles prometteuses.
Cette forme organisationnelle elle même émergente nous semble intéressante à interroger tant
au niveau des actions des individus participant à ces communautés de pratique, qu’au niveau
collectif de ces actions et à la façon dont cela contribue à véhiculer notamment certaines
représentations.
Mais revenons tout d’abord à la définition du concept de synergie et à ses premières citations
dans la littérature.
8. 8
REVUE DE LITTERATURE
I) Le concept de synergie : définitions
Commençons tout d’abord par présenter de façon générale ce que signifie le terme synergie.
Pour cela un bon point de départ nous paraît être sa définition étymologique :
« Synergie : nom féminin, du grec sunergia qui signifie coopération. En physiologie désigne
l’association de plusieurs organes pour l’accomplissement d’une fonction. On parle aussi de
synergie médicamenteuse ou synergie (tout court) : il s’agit là de l’addition, la potentialisation
des effets de deux médicaments. Désigne aussi la mise en commun de plusieurs actions
concourant à un effet unique avec une économie de moyens » (Larousse, 2007).
Cette définition nous amène à formuler d’ores et déjà un certain nombre de remarques :
La première est que nous percevons d’emblée l’une des difficultés liées au concept de
synergie, à savoir : la synergie désigne tout autant l’action conjointe de plusieurs éléments
distincts (i.e. le processus) que les effets résultants de cette action conjointe. Cette confusion
entre le processus et ses effets nous paraît importante à souligner en premier lieu. En effet,
chercheurs et acteurs du terrain courent le risque de désigner comme synergie quelque chose
qui pour d’autres n’en est pas, ou pas vraiment.
Parmi les questions qui se posent suite à cette remarque, certaines nous paraissent
d’importance : une synergie produit elle forcément (et toujours ?) des effets tangibles
mesurables et observables ? peut on parler de synergie en cas d’action conjointe si l’on ne
peut identifier les effets produits par cette action conjointe ? enfin et non des moindres : les
effets d’une synergie doivent ils être identifiables rapidement (si oui comment est défini ce
rapidement ?) pour que l’on puisse désigner le processus d’action conjointe en cours comme
étant une synergie ?
On voit ici que l’articulation entre synergie au sens de processus et synergie au sens d’effet du
processus est riche et nous fait pressentir certaines des difficultés liées au concept que nous
allons rencontrer.
La deuxième remarque est que l’on voit que la synergie désigne une action conjointe ou
collective (ce qui suppose deux acteurs ou plus) sans préjuger ni de la nature ni de la diversité
des éléments interagissant de façon commune. D’ou sans doute la pluralité des formes que
peut prendre cette synergie et le recours au pluriel « les synergies ».
Ceci nous laisse déjà entrevoir la pléthore de classifications possibles de synergies en fonction
des éléments communs entre leurs composants (et du même coup la multiplicité des effets
synergétiques qui en découlent). Avec à notre avis une question intéressante :
Les composants d’un type donné de synergie sont ils forcément homogènes ? autrement dit
doit on retrouver dans les composants d’une synergie donnée des composants plutôt proches ?
ou est il envisageable qu’une synergie soit liée à l’action conjointe d’éléments hétérogènes ?
pour reprendre ici l’exemple des médicaments de la définition du Larousse, pourrait on parler
de synergie si l’on avait remplacé l’un des médicaments aux effets connus par un placebo
(dont les effets peuvent être tout aussi avérés que le médicament remplacé ?).
9. 9
La troisième remarque est que ces synergies concernent une opération d’addition ou de
potentialisation d’effets individuels des éléments concourant à l’action conjointe. Autrement
dit pour obtenir cet effet synergétique, il faut bien que les différents effets individuels puissent
s’additionner (même si le résultat de cette addition doit lui être différent de la valeur exacte de
cette addition). Ceci pose un certain nombre de questions.
Et notamment : que faut il pour que les effets individuels s’additionnent ? qu’est ce que cela
indique sur les composants des synergies ? Il nous faut en effet évoquer ici la question de la
valeur ou plus exactement de la grandeur relative de l’effet synergétique (nous parlons de
grandeur relative dans la mesure ou l’effet synergétique est ici rapporté aux effets individuels
des composants de la synergie).
A partir d’effets individuels connus, une synergie aura comme effet un peu plus que la simple
somme des effets individuels. Ceci est souvent traduit par le recours à la métaphore ‘1+1=3’.
On retrouve ici une proximité avec certaines des questions (philosophiques notamment)
résumées dans la formulation ‘le tout est plus que la somme des parties’. Encore faut il donc
que les effets individuels puissent s’additionner…
La quatrième remarque est que l’effet résultant de la combinaison des effets individuels est
« potentiellement » intéressant, ce qui nous amène à une difficulté supplémentaire liée à
l’étude des synergies à savoir : la confrontation entre synergies attendues ou potentielles et
synergies réelles ou constatées. Ceci nous fait percevoir toute la difficulté de
l’opérationnalisation et de la mesure du concept de synergie.
Néanmoins et au delà de cette nouvelle difficulté, cela nous permet aussi de dire qu’une
synergie peut ne pas s’accompagner d’effets ou en tout cas ne produire d’effets que différés
dans le temps (synergie potentielle). Cela nous amène aussi à penser que l’on ne pourra parler
de synergie réelle ou avérée que dans l’après-coup de la mise en œuvre de cette synergie et
qu’il est difficile de savoir à l’avance quel(s) effet(s) synergétique(s) sera(seront) produit(s).
Et enfin, dernière remarque, l’un des effets d’une synergie, outre celui de permettre un effet
commun autrement impossible à atteindre pour les composants individuels, est celui de
permettre notamment de réaliser une économie de moyens. Nous pressentons ici la
cristallisation possible, dans la question épineuse de mesure de l’effet synergétique, autour du
calcul d’économie réalisée.
Nous pressentons également le caractère incomplet de cette considération, puisqu’il faudrait
pour vérifier l’économie de moyens attendue pouvoir comparer les coûts liés à la mise en
place d’une synergie avec les coûts encourus en cas de recours individuel aux composants de
cette synergie. Si la conception la plus répandue concernant la synergie est qu’il s’agit de faire
« plus » avec « moins » de moyens, ceci reste relatif et variable.
En effet, la mise en place d’une synergie implique des coûts supplémentaires, par exemple, de
coordination. Ceux-ci sont quasi-inexistants dans le cas d’actions individuelles des différents
composants de la synergie. Nous voyons que selon l’importance accordée au raisonnement
économique, la question d’économie de moyens occupera une place plus ou moins importante
dans l’acceptation du concept de synergie.
10. 10
Pour résumer : action et effet résultant de la coordination, d’éléments individuels
identifiables, à travers une opération additive ou de potentialisation et permettant de réaliser
une économie de moyens, tels sont les premiers éléments de la définition du terme synergie
dont nous venons de voir qu’ils donnent lieu à une définition polysémique du concept et
laissent présager certaines des discussions et points de vue que nous allons essayer de
« suivre » tout au long de cette revue de littérature.
Affinons maintenant notre propos et resserrons le sur le concept de synergie tel qu’il est
apparu puis s’est développé dans la littérature en management stratégique.
A) Origine(s) du concept de synergie : une place importante dans la
stratégie dès le départ
C’est auprès des tenants de l’école de planification stratégique que nous trouvons en premier
lieu un intérêt pour le concept de synergie.
En effet, les travaux d’Ansoff et en particulier son ouvrage de 1965 intitulé “Corporate
Strategy : an analytical approach to Business Policy for Growth and Expansion”, consacre un
chapitre entier (intitulé ‘Synergy and Capability Profiles’) au concept de synergie. Mais au
delà de ce chapitre, l’ouvrage traite plus généralement du concept de synergie tout au long de
l’explication que fait Ansoff de sa méthode pour la mise en œuvre de la stratégie d’entreprise
par les managers.
Dans ce 5ème
chapitre de son ouvrage, il entame l’exploration de la synergie, l’une des
principales composantes de la stratégie produit-marché d’une entreprise et qui concerne
l’adaptation entre l’entreprise et ses nouveaux couples produit-marché.
Ansoff y précise que la littérature fait fréquemment référence au concept de synergie en
utilisant la formule de « l’effet 2+2=5 » pour indiquer que l’entreprise est à la recherche d’un
positionnement produit-marché avec une performance combinée supérieure à la somme de ses
parties.
Nous notons que d’emblée le concept de synergie est inscrit dans une perspective dynamique
de l’entreprise avec un aspect à la fois interne à celle-ci (définition du produit, mise en œuvre
de la stratégie par les managers) mais aussi externe (identification de secteurs d’activité,
attention au marché).
Voyons comment l’auteur présente dans un premier temps le principe de l’évolution de
l’entreprise et comment il inscrit le concept de synergie dans cette évolution :
Il indique mettre à disposition des managers une technique à buts multiples pour évaluer
toutes forces ou faiblesses internes de l’entreprise et déduire des caractéristiques
synergétiques que l’entreprise pourra utiliser dans sa recherche de nouvelles opportunités et
ensuite de mesurer le potentiel de synergie entre l’entreprise et une acquisition possible.
Pour cela les managers doivent, selon lui, dans un premier temps (nommé temps de
l’évaluation interne) procéder à la création d’un profil de compétitivité (à partir de la
structure, en terme de capacités, des meilleurs compétiteurs sur un secteur d’activité) puis de
comparer ce profil avec le profil de compétence de l’entreprise de façon à identifier les forces
et faiblesses relatives au positionnement produit-marché.
11. 11
Dans un second temps (évaluation externe) ils doivent évaluer la croissance et la profitabilité
de différents secteurs d’activités, mesurer le potentiel de synergie entre la firme et les autres
acteurs des secteurs d’activité (puisque la synergie détermine la capacité de l’entreprise à
effectuer une entrée réussie et profitable sur un secteur d’activité). Il s’agit ici de mesurer
l’adéquation entre le profil de compétences de l’entreprise et le profil de compétitivité des
secteurs pour envisager une entrée réussie.
Mais auparavant Ansoff précise qu’une étape très importante après la définition des objectifs
(la stratégie) est pour lui l’audit des forces et faiblesses soit « l’audit des ressources
matérielles et immatérielles permettant la diversification ».
Pour lui, cet audit doit viser à identifier et corriger des déficiences dans les compétences et
ressources de la firme auxquelles on peut remédier sans avoir à diversifier pour autant
l’activité, et identifier les forces sur lesquelles la firme doit s’appuyer pour se diversifier ou
les déficiences qu’elle peut être amenée à corriger à travers la diversification. Ces forces sont
la composante synergétique de la stratégie de l’entreprise.
En recherchant les opportunités qui correspondent à ses forces l’entreprise peut optimiser les
effets de synergie. Ainsi les questions des forces et faiblesses et de la synergie sont reliées.
Nous voyons ici que le concept de synergie prend tout son sens dans une démarche de
diversification et de croissance de l’entreprise. Si cette démarche prend en compte des
paramètres extérieurs à l’entreprise (profil de compétitivité construit à partir des
caractéristiques des principaux compétiteurs d’un secteur d’activité), on note également
qu’elle procède d’une démarche interne à l’entreprise, issue de l’association étroite de
l’identification de caractéristiques synergétiques avec un inventaire de ses forces et faiblesses.
Par ailleurs, nous observons qu’Ansoff évoque déjà en 1965 la question de la dimension
potentielle de la synergie en évoquant le rapprochement avec une autre entreprise d’un secteur
d’activité donné.
Mais comment s’opère pour lui dans le détail cette synergie ?
L’acquisition d’un nouveau couple produit-marché passe, pour Ansoff, par 2 phases
successives : une phase dite de démarrage et une phase opérationnelle.
Durant la phase de démarrage, les coûts supportés par l’entreprise concernent à la fois des
coûts identifiables (coûts d’installations, d’inventaire, stocks) et des coûts immatériels liés à
l’apprentissage d’une nouvelle activité, (établissement de nouvelles règles et procédures, le
recrutement de nouvelles compétences, prix d’erreurs dans le développement de relations
organisationnelles et celles liées à de mauvaises décisions prises dans des environnements
inconnus) ainsi que des coûts associés à l’acquisition de la confiance du client.
Tous ces coûts ne sont pas capitalisés mais sont des coûts opérationnels. Ils sont difficiles à
évaluer. Par ailleurs, à cette étape l’entreprise est en situation désavantageuse par rapport à ses
concurrents déjà établis sur le secteur.
Durant cette phase la synergie peut se produire de 2 façons (ou sous 2 formes) soit sous la
forme d’économies d’argent grâce à l’existence et la mise en commun de compétences
appropriées ou alors sous la forme de gain de temps pour devenir pleinement compétitif.
12. 12
Durant la phase opérationnelle, l’effet synergie se manifeste en terme d’économie d’échelle
(achat en grande quantités, production en grandes quantités). Un effet plus subtil est celui de
la distribution de la charge des frais de personnels sur plusieurs produits (meilleur recours à la
main d’œuvre disponible).
Si le talent de top management n’est pas complètement utilisé dans la gestion de l’entreprise
courante et s’il a une expérience et un entrainement reconnus, il peut offrir des éléments
indispensables à la bonne réussite de la nouvelle activité. Malheureusement, cet effet,
potentiellement le composant le plus important de la synergie, est aussi le plus difficile à
mesurer.
En général, les effets de synergie lors de la phase de démarrage s’accompagnent avec des
effets de synergie opérationnelle. Toutefois, l’importance des effets respectifs sera différente.
Ansoff précise, par ailleurs, que les effets de synergie sont dits symétriques si l’entreprise
diversifiée offre des éléments bénéfiques à la nouvelle ligne de produits et qu’elle peut
recevoir des bénéfices substantiels en retour. Il indique enfin, qu’un autre effet très recherché
mais plus rare est celui se produisant quand en combinant des ressources, la firme conjointe
gagne accès à des couples produit-marché qu’aucune n’aurait pu accéder sans un
investissement conséquent.
Nous voyons ici que les effets de synergie décrits sont des effets liés aux coûts engagés par
l’entreprise dans sa démarche de croissance et d’évolution. Il s’agît soit d’économies
d’échelles (partage de compétences déjà existantes) ou de diminution de coûts relatifs, par une
meilleure distribution des charges de main d’œuvres. D’autres effets importants sont cités
comme ceux liés au recours à l’expérience de top managers moyennant un meilleur recours à
leur temps de disponibilité ainsi que l’effet facilitateur et innovant de synergies qui à travers
une combinaison de ressource permettrait à l’entreprise d’accéder à de nouveaux couples
produit-marché.
Mais qu’il s’agisse d’effets de synergie relatifs aux coûts ou au partage de compétences ou
encore de ressources, Ansoff, est confronté à la difficulté de mesure de ces effets. Et malgré le
détail méthodique de sa démarche et la description précise du mode opératoire, il ne peut que
donner des éléments d’importances assez vagues des différents effets de synergie se
contentant d’identifier ici ou là un effet « important ».
On retrouvera cette limite dans d’autres parties de son ouvrage et en particulier dans son 2ème
chapitre concernant la méthode de décision stratégique où il décrit la synergie comme « un
élément de mesure d’effets conjoints »...
La mesure de la synergie y est décrite comme étant similaire en bien des points à la démarche
d’évaluation des forces et faiblesses. Ansoff indique qu’en principe tous les effets de synergie
dépendent de 3 variables : augmentation en valeur des revenus de l’entreprise à partir des
ventes, coûts opérationnels diminués ou coûts d’investissement diminués. Tous les 3 sont vus
dans une perspective temporelle. Un quatrième effet synergétique est donc pour lui, celui de
l’accélération des changements dans les 3 variables précédentes.
13. 13
Mais, il précise aussitôt qu’en pratique l’identification des variables est difficile (surtout dans
le cadre d’un environnement inconnu) et que leur effet combiné est difficile à mesurer.
Enfin, un dernier point mérite notre attention. En effet, Ansoff, a recours pour définir les
éléments de mesure de synergie aux composants de la formule de calcul du ROI (retour sur
investissement) et fait donc le présupposé que les managers essaient de maximiser le profit
des entreprises.
Or de son propre aveu l’une principales raisons pour la recherche de synergies est l’effet
accélérateur de celle-ci en matière de changement et de croissance de l’entreprise sans que des
investissements majeurs supplémentaires soient nécessaires. Quand au comportement
maximisateur de profit des managers, celui-ci sera remis en cause par certaines études. Ceci
constitue de notre point de vue la principale limite de l’approche de planification stratégique.
Passons donc sur « l’élément de mesure d’effets conjoints » dont…la mesure est difficile,
pour nous intéresser plus particulièrement à ce qu’Ansoff à pu mentionner de la relation entre
recherche de synergie et structure. En effet, il insiste assez rapidement sur le fait que les
synergies ne sont que potentielles avant d’être réelles, et que même avec un niveau de
synergie élevé les éléments de structure peuvent appauvrir une valeur de synergie potentielle
et aboutir à une faible synergie réelle (distance géographique par exemple qui vient rendre la
coordination difficile et laisse prévoir une synergie actuelle plus faible que le niveau de
synergie potentielle lié à la proximité d’activité).
Pour lui, synergie et structure organisationnelle de l’entreprise sont dépendantes l’une de
l’autre. Cette relation d’interdépendance peut être fluidifiée ou assouplie en faisant en sorte
que la structure s’adapte ou suive la synergie. Dans ce cas de figure, l’organisation post
diversification doit être « ajustée » de façon à maximiser la synergie.
Selon Ansoff, si un niveau élevé de synergie existe à tous les niveaux de l’entreprise, une
organisation regroupée (centralisée) peut être mise en place. Le top management peut alors
être non seulement responsable de la stratégie mais aussi de prendre les décisions
opérationnelles clés concernant les politiques de prix, la production et les niveaux
d’inventaires requis. La responsabilité pour les pertes et profits de l’entreprise est centralisée.
Si par contre, la synergie est forte en ce qui concerne le management général mais ne l’est pas
dans les domaines fonctionnels, alors une organisation décentralisée est conseillée.
L’acquisition peut être divisionnalisée, les divisions ayant la responsabilité des pertes et
profits.
Enfin, quand le potentiel de synergie est faible à tous les niveaux de l’entreprise la mise en
place d’une holding est indiquée. Ceci apparaît en cas de forte diversification. Afin d’éviter
des effets de synergie négative le management délèguera les responsabilités et pouvoir de
décision opérationnelles et ne se chargera que de la partie concernant la finance du groupe.
Si la structure doit suivre la synergie, le management de l’entreprise acquise doit avoir le désir
et la flexibilité de changer à l’occasion de cette acquisition. Fréquemment, cela n’est pas le
cas. Les top managers issus de compétences internes à l’entreprise (ingénieurs et responsables
de production) se sentent souvent perdus dans les structures lâches de type holding alors que
les managers issus du marketing et surtout de la finance les préfèrent.
14. 14
En dehors des préférences des managers, les entreprises n’ont pas la flexibilité de structure
permettant de suivre les aléas de la synergie. De même, les avantages issus de synergies ne
compensent pas toujours les coûts et inefficacités issues des changements de structure.
Pour Ansoff, la décision qui consiste à définir si c’est la synergie qui doit suivre la structure
ou l’inverse est une décision stratégique du top management. Celle-ci doit être effectuée en
amont plutôt que retardée jusqu'à ce qu’une acquisition se présente. Car cette décision a un
effet sur la stratégie et donc sur la recherche et l’évaluation d’opportunités.
Dans le circuit de l’information à l’intérieur de la décision synergie-structure, la première
étape est, selon lui, la réponse du management à la question : est ce que la synergie suit la
structure ? Si oui, une réévaluation de la synergie (de sa valeur) est effectuée. Celle-ci
entraîne une révision des synergies liées à la prise en compte des inadéquations
organisationnelles.
Nous voyons donc que l’articulation entre synergie et structure est prise en compte des les
premiers travaux en management stratégique, traitant du concept de façon significative. A
partir de « niveaux » de synergie et de la distribution de cette synergie dans les fonctions et
niveaux de l’entreprise, une forme d’organisation sera recommandée (plus ou moins
centralisée). Ceci aura aussi un impact sur la répartition des responsabilités à l’intérieur de
l’organisation (notamment en ce qui concerne les performances de ses composantes).
Mais Ansoff indique aussi qu’en matière de croissance et de diversification stratégique, la
synergie est un élément primordial. Toutefois, si l’on comprend que la question de
l’interaction entre synergie et structure doit être considérée assez tôt, on n’a en revanche que
très peu d’élément sur le niveau de diversification et l’impact que peut avoir une forte ou
faible diversification sur la synergie. Ni sur l’impact du concept de proximité stratégique sur
la structure ou les avantages compétitifs que peut en retirer l’entreprise.
L’évolution des grands groupes multi-activités, multi-divisions à partir des années 70 et les
travaux qui leur seront consacrés, vont nous permettre de mieux saisir la relation qu’entretient
dans la littérature le concept de synergie avec ceux voisins de diversification et proximité
stratégiques.
L’étude de la synergie à travers les travaux en management stratégique se fera , à partir de ces
années, autour de ces 2 concepts importants. A défaut de permettre de mieux mesurer ou de
comprendre les raisons d’un « écart » trop important entre des synergies potentielles et des
synergies réelles.
15. 15
B) Diversification et Proximité stratégiques : des concepts voisins
permettant d’adresser la synergie
Nous avons vu que le concept de diversification stratégique était étroitement lié dès le départ
au concept de synergie. En effet, l’entreprise se doit (toujours selon l’école de planification
stratégique) d’étudier les synergies entre elle et une future acquisition (la synergie s’entend
alors à la faveur d’une diversification stratégique) ou entre des éléments internes lui
permettant de dégager un effet synergétique (et c’est alors la question de la proximité
stratégique qui semble la plus importante).
Nous avons, dès le départ, centré notre propos autour des entreprises multi-divisions, multi-
activités. De nombreuses études ont consacré l’importance qu’ont pris ces entreprises durant
les années 80, certaines indiquant que jusque 80% des entreprises du classement U.S. Fortune
500, sont des entreprises multi-activités (ayant des activités dans au moins 2 domaines
d’activités différents) (Rumelt, 1974). D’autres encore, indiquent qu’une proportion plus
importante encore de ces entreprises est diversifiée (Pitts, 1977).
Dans la mesure ou le classement Fortune 500 regroupe dans ces années là les ¾ des
entreprises industrielles américaines, c’est dire l’importance de cette forme diversifiée.
Ce phénomène n’est pas isolé et concerne aussi d’autres zones géographiques ou l’importance
de cette diversification émerge : En Angleterre, Italie, France et Allemagne (Chandler, 1991).
Le développement de cette forme d’entreprise résulte pour partie de la notoriété du concept
mais aussi de la vague d’opérations de fusions-acquisition durant les années 80 (Golbe et
White,1988 ). Dans le domaine du management stratégique, les opérations de fusions-
acquisitions ont été très tôt considérées comme l’une des principales méthodes de
diversification stratégique (Ansoff et al, 1971).
Mais d’autres courants se sont intéressés aux opérations de fusion-acquisition et notamment
les recherches dans les domaines de l’économie et de la finance. Si ces derniers se sont surtout
concentrés sur la question de la performance des entreprises liées aux opérations de fusion-
acquisition elles se sont assez peu intéressées aux problématiques plus stratégiques par
exemple de proximité stratégique.
Or celles-ci sont considérées par d’autres auteurs comme étant cruciales pour la
compréhension du succès d’une opération de fusion-acquisition (Lubatkin, 1987, Singh et
Montgomery, 1987).
D’ailleurs, certains auteurs comme Datta et al (1992) étudiant 41 cas de fusion-acquisition
recommandent alors aux chercheurs de modéliser les éléments de combinaison et de
proximité stratégique pour une meilleure compréhension du succès de certaines opérations de
fusion-acquisition et l’échec d’autres.
Certains auteurs considèrent, eux, que les entreprises se diversifient pour mieux utiliser
certaines de leurs ressources (sous-employées) comme un excès de capacité de production,
des ouvriers inactifs, des ingénieurs insuffisamment stimulés, un excès de capital ou encore
des systèmes et infrastructures sous-utilisées (Penrose, 1959 ; Mahoney et Pandian, 1992).
16. 16
Plus les ressources de l’entreprise sont spécialisées, plus le besoin de diversification devient
grand pour soutenir la croissance au fil du temps et permettre une utilisation complète de ces
ressources (Penrose, 1959). De plus, la croissance aidant, des groupes (pools) de ressources et
de connaissances spécialisées sont créées dans l’entreprise à travers la création de routines
d’activités (Penrose, 1959).
Ces ressources et connaissances ont souvent beaucoup plus de valeur à l’intérieur de
l’entreprise qu’à l’extérieur (en particulier si l’entreprise choisissait de les revendre sur le
marché) et doivent être maintenues si l’entreprise veut conserver sa position concurrentielle.
De ce fait, l’entreprise aura tendance à se diversifier trouvant en cela un moyen d’utiliser ses
ressources les plus valorisables du mieux et de la façon la plus complète qu’elle pourra
(Penrose, 1959).
Qu’il s’agisse d’opérations de fusion-acquisition ou d’utilisation de ressources internes,
plusieurs modalités de diversification sont évoquées assez tôt par littérature : diversification
horizontale, diversification verticale, concentrique ou encore de forme conglomérale (Ansoff,
1965 ; Rumelt, 1974).
Le recours au concept et la confusion qui règne dans le recours aux différents cadres
théoriques sont tels que certains auteurs comme Reed et Luffman intitulent en 1986 un article
consacré au concept de diversification stratégique : « Diversification : la confusion
grandissante », (R. Reed et G. A. Luffman, 1986).
Ceux-ci expliquent que le grand succès rencontré par les travaux d’Ansoff et Rumelt à la fois
auprès des étudiants mais aussi des praticiens a contribué à créer une grande confusion dans le
recours aux cadres théoriques liés à la diversification stratégique.
A tel point que certains managers d’entreprise finissent, dans les années 80, par vanter le
mérite de leur entreprise diversifiée …au(x) seul(s) motif(s) qu’elle s’est …diversifiée.
Et de souligner que le concept de diversification stratégique finissait en quelque sorte de se
suffire à lui même, sans que les bénéfices attendus de cette diversification soient réellement
considérés (R. Reed et G. A. Luffman, 1986).
Or s’il est un bénéfice attendu de la stratégie de diversification c’est justement celui de la
synergie entre les différentes activités de l’entreprise, tout autant que l’accès à un nouveau
couple produit-marché. Mais si les bénéfices liés à la synergie sont « légendaires » Reed et
Luffman notent que dans les histoires de succès relatées, il est rarement fait mention des
efforts importants demandés par la mise en place de ces synergies.
Reed et Luffman précisent que de leur point de vue, chercheurs, étudiants et praticiens
tombent dans le travers consistant à oublier, à la fois les efforts et les échecs liés à la mise en
place de synergie « post-diversification », indiquant que ceux-ci sont souvent liés à un
manque de préparation en amont des questions d’analyse de marché, d’accès aux matières
premières, aux fournisseurs, du développement technologique et des processus de production
(R. Reed et G. A. Luffman, 1986).
17. 17
Nous observons alors, à la fin des années 1980, un retour sur la notion de diversification
stratégique, sans doute lié à l’échec de bon nombres d’opérations de fusion-acquisition et à la
fin d’une période d’ « euphorie » entourant le concept de diversification stratégique à tout va.
Cette évolution s’accompagne d’une plus grande recherche de cohérence dans la stratégie de
diversification des entreprises et notamment la recherche d’une plus grande « proximité
stratégique » entre les différentes composantes de l’entreprise multi-divisionnelle, multi-
activités.
Comme en définitive l’acquisition d’une entreprise aboutit à internaliser les éléments de
l’entreprise acquise avec la problématique de dégager des effets synergétiques entre des
éléments internes, nous allons donc maintenant examiner la question de la proximité
stratégique.
Ce concept a été en effet très souvent utilisé dans la littérature comme variable opérationnelle
pour mesurer les effets de synergie (proxy) (Rumelt, 1974, Davis et Thomas, 1993).
De quoi retourne t il ici ? tout simplement de maximisation des éléments de synergies.
Si les effets synergétiques sont considérés comme créant de la valeur à travers l’action
conjointe et complémentaire de divisions de l’entreprise (Porter, 1980), le concept de
proximité stratégique, lui, concerne le degré de support ou de complémentarité entre les unités
(P.S. Davis et al, 1992) et plus spécifiquement dans les domaines du marketing et de la
production.
Certains auteurs précisent que cette proximité est le mécanisme à travers lequel les entreprises
‘capturent’ la synergie et permet d’améliorer leur avantage compétitif par rapport à leurs
concurrents (P.S. Davis et al, 1992).
D’autres font de la proximité stratégique entre unités un élément déterminant dans la
concurrence entre entreprises (Porter, 1985).
En matière de stratégie d’entreprises multi-activités, multi-divisions, la notion de création
d’un avantage compétitif pour des activités séparées à travers les synergies dégagées par le
biais d’une action conjointe avec une unité sœur, est un enjeu stratégique central à l’origine
même du concept de proximité stratégique. (Mahajan et Wind, 1988).
Comme l’indique Porter “Au lieu de coopérer les unes avec les autres les différentes unités
stratégiques sont de plus en plus souvent en concurrence…Mais le besoin de récolter les fruits
de relations entre activités n’a jamais été aussi important. Les développements technologiques
et le développement de la concurrence créent déjà un lien entre plusieurs activités et créent de
nouvelles possibilités pour l’émergence d’avantage compétitif…les relations entre unités
précédemment différentes sont peut être le principal objet concerné par la stratégie (Porter,
1987).
Porter indique que selon lui, la proximité stratégique entre unités stratégiques provient de 2
sources principales : le transfert de compétence ou d’expertise d’une part et le partage
d’activité d’autre part.
18. 18
Pour lui, le transfert de compétence ou d’expertise crée de la synergie en permettant la
distribution (dissémination) des connaissances propres à chaque unité ou des connaissances
spécialisées à travers les différentes unités.
Le partage d’activité, selon lui, permet le plus souvent d’améliorer les ventes en permettant à
une unité de capitaliser sur les compétences fonctionnelles (ou d’expertise) d’une autre unité
dans le domaine du marketing, des techniques promotionnelles ou encore de permettre
d’accroitre sa marge en partageant une expertise de conception propre.
A titre d’exemple, il indique que le partage d’une force de vente ou d’activités
promotionnelles permet à des unités d’avoir accès à de nouveaux clients et de vendre plus de
produits à des clients existants. D’un autre côté, le partage d’activités, comme celles
impliquées dans la conception de produits permet de réduire sensiblement les coûts et
d’améliorer les profits en permettant des économies d’échelles, des effets d’apprentissages
accélérés ou encore en augmentant l’utilisation des unités de production (qui ont souvent
besoin d’une quantité minimale à produire pour être rentables voire ne pas coûter « trop »
cher à l’entreprise).
Enfin, pour Porter, les relations de natures synergétiques entre unités permettent de réduire les
coûts ou d’améliorer la différenciation des unités sur toutes les activités de la chaîne de
valeur. Selon la logique Portérienne, tout type de proximité devrait permettre d’améliorer
l’efficacité interne à travers la coopération synergétique (Porter, 1985).
Certains auteurs nuancent toutefois ce point en précisant que selon leurs études, si la
proximité stratégique liée au marché peut avoir plus d’effets (en permettant une meilleure
différentiation des unités stratégiques) en améliorant les ventes, la proximité de production en
revanche, elle, semble améliorer les profits et rentabilités des différentes unités (P.S. Davis et
al, 1992).
Il n’en reste pas moins que l’enchainement : diversification « reliée » (ou proximité
stratégique)-synergies-avantage compétitif est dès lors présenté comme l’enchainement
vertueux recherché et à rechercher par les entreprises. Une certaine proximité permettant aux
entreprises de dégager des effets synergétiques qui serviront de base au développement d’un
avantage compétitif.
S’il est généralement admis qu’une grande proximité stratégique entre unité est de nature à
favoriser l’apparition d’avantage compétitif, certains auteurs indiquent cependant qu’il peut y
avoir des effets négatifs à une trop grande proximité. En précisant notamment que cette
proximité, lorsqu’il s’agît de partage de ressources nécessite des efforts de coordination
importants (Porter, 1985) ou encore qu’elle est de nature à créer une forme de rigidité (les
auteurs parlent plutôt d’inflexibilité) qui diminuerait les capacités de réponses aux demandes
du marché par les entreprises. Ceci peut avoir un effet négatif sur la performance de
l’entreprise (Hill et Hoskisson, 1987).
Le partage de ressources comme des unités de production peut devenir, par ailleurs, assez
complexe à gérer, certains auteurs parlant même de « systèmes » de production complexes
(dans la mesure ou la production d’un produit pour un marché donné dépend forcément de la
production d’autres produits pour d’autres marchés) (Heany et Weiss, 1983).
19. 19
Enfin, en matière de partage de ressources concernant la force de vente, Porter souligne qu’un
vendeur en charge de la vente de 2 produits issus de 2 unités stratégiques différentes
fonctionnera d’une façon qui en temps normal ne correspondrait pas au mode opératoire de
ces 2 unités si elles devaient vendre de façon indépendante leurs produits (Porter, 1987).
On voit dès lors que, tout autant que le concept de synergie, celui de proximité stratégique
donne lieu à discussion (en tout cas en ce qui concerne sa mise en œuvre). Et tout autant que
la discussion autour de la mesure de synergies, les éléments de mesure de proximité
stratégique donneront lieu à un débat nourri.
Dans la littérature anglo-saxonne et plus particulièrement nord américaine bon nombres
d’études sur cette proximité stratégique font appel à des classifications sectorielles et
notamment la classification SIC (strategic industrial classification qui définit des catégories
d’entreprise en fonction de proximité de leurs produits, des matières premières consommées
et des processus de production i.e. hors proximité marketing par exemple).
A partir de ce système de classification certains auteurs développeront des éléments de
mesure de proximité (comme l’indicateur d’entropie ou encore l’indicateur concentrique (Hill
et Hoskisson, 1987).
Ce recours à des classifications qui évoluent peu dans le temps et aux catégories définies d
façon arbitraire sera assez critiqué, notamment par certains auteurs qui feront valoir le peu de
validité interne des indicateurs créés à partir de ces classifications et le fait que ces éléments
ne sauraient être considérés comme des variables pertinentes pour mesurer le concept de
proximité stratégique (Robins et Wiersema, 1995).
Malgré ces difficultés communes aux deux concepts de synergie et de proximité stratégique,
le recours à ce dernier nous a permis permet d’éclairer un peu plus la façon dont les différents
auteurs considèrent le concept de synergie.
Il ressort, en effet, que le transfert de compétence ou d’expertise d’une part et le partage
d’activité et de ressources d’autre part sont les 2 sources de synergie dans les entreprises
diversifiées.
Ces sources donneront lieu à des effets synergétiques si une certaine proximité existe entre les
unités stratégiques. Même si, là encore il convient de rappeler qu’une synergie ‘potentielle’
liée à une certaine proximité entre ces éléments ne se transforme pas automatiquement en
synergie réelle. Ainsi, dans une étude de l’industrie pharmaceutique US de 1960 à 1980,
Davis et Thomas s’intéressant au lien synergie-proximité aboutissent à la conclusion qu’une
proximité de production n’implique pas nécessairement un effet de synergie et que le lien
entre proximité et synergie évolue de façon inégale, en particulier en matière de proximité
marketing, suivant en cela le cycle des produits commercialisés (Davis et Thomas, 1993).
Mais qu’elle soit basée sur des éléments matériels (comme des unités de production) ou
immatériels (compétences spécifiques, expertises particulières) les auteurs s’accordent
généralement à retenir principalement 2 types de proximité stratégique : une proximité dite de
marché (marketing) et une proximité dite de production (Ansoff, 1965 ; Rumelt, 1974 ; Porter,
1985).
20. 20
Ceci coïncide avec ce que nous avions déjà évoqué au sujet des synergies et notamment le fait
que le transfert de compétence ou d’expertise, d’une part, et le partage d’activité et de
ressources, d’autre part, étaient les 2 sources de synergie dans les entreprises diversifiées.
Nous sommes ainsi, amenés à nous interroger sur les différents formes des synergies, repérées
dans la littérature, qui s’organisent autour de ces 2 types de sources et l’incidence de ces
formes sur la structure des entreprises (notamment en terme d’organisation).
II) La notion de synergie dans la littérature : développements récents
A) Les formes de synergies : le passage du contenu au processus
L’étude de la littérature consacrée aux synergies et concepts proches de diversification et de
proximité stratégique nous a permis de distinguer 3 temps différents consacrés à la définition
des formes que peuvent prendre ces synergies :
Un 1er
temps consacré à la proposition de formes basées sur les effets recherchés
(notamment en terme de profits), que l’on pourrait désigner comme l’origine des
travaux portant sur les synergies,
Un 2ème
temps consacré à la revue des différents travaux réalisés par les chercheurs,
tout au long du développement du concept (différentes revues de littérature), avec
comme perspective l’organisation des synergies autour de différentes sources tangibles
ou intangibles.
Un 3ème
temps plus récent lié à la proposition de nouvelles formes de synergies en les
considèrant non plus en terme de contenu mais plutôt en terme de processus.
Détaillons, à travers quelques illustrations clés, ces 3 temps.
Dès les premiers travaux consacrés à la synergie, différents types sont identifiés. Ainsi,
Ansoff, distingue notamment 4 types de synergies différentes : Les synergies de ventes, les
synergies opérationnelles, les synergies d’investissement et les synergies de management
(Ansoff, 1965).
Il classe ces différents types de synergie en fonction des constituants de la formule du ROI
définie comme « ROI = S-O/I (each product annual Sales- Operating costs (labor, material,
overhead, admin and depreciation)/(Investment in product development, tooling, buildings,
machinery, inventories etc.) ».
21. 21
Tableau 1
Les Formes de Synergies selon les composants de la formule du ROI, (Ansoff, 1965)
Type(s) de Synergies Source(s) Effet(s) attendu(s)
Liées à la vente de produits Partage par plusieurs produits des canaux
de distribution, administration des ventes
ou entrepôts de stockage communs.
Opportunités de vente couplées (bundles)
Publicité commune, promotion des ventes,
réputation antérieure
Augmentent la productivité des
forces de vente.
Effet démultiplicateur sur un dollar
investit
Opérationnelles Plus grande utilisation des moyens de
production, main d’œuvre
Avantages d’apprentissages
communs
Effet volume d’achat
Managériales
[même si celle-ci n’apparaît pas de façon
explicite dans la formule du ROI, est un
contributeur important à l’effet synergétique
total]
Ré utilisation, par les managers, des
solutions élaborées antérieurement pour
offrir avis et conseils pertinents à une
nouvelle unité créée
Compétence en matière de top
management (rare)
Effet significatif sur la performance
D’investissement Usage conjoint d’une unité de production,
Matières premières communes,
Recherche et développements partagés,
Outillage et machines communes
Economies d’échelles,
Nous constatons que dès le départ, les formes de synergies retenues s’articulent effectivement
autour des 2 sources citées à savoir le transfert de compétence, que l’on retrouve ici dans les
synergies managériales et le partage d’activité ou de ressources que l’on retrouve dans les
autres formes de synergies évoquées par Ansoff.
Cette typologie est composée de 2 groupes distincts. Un premier groupe qui intègre les
composants à proprement parler de la formule de calcul du ROI : les synergies de ventes,
opérationnelles et d’investissement et un deuxième groupe intégrant un composant extérieur à
cette formule : les synergies managériales. Le rajout de ce composant indique qu’Ansoff
essaie de palier, d’une certaine façon, à une des limites de l’approche ROI, en intégrant dans
sa typologie, une forme (transversale) qui n’apparaît pas dans la formule.
Cette approche nous semble aujourd’hui fortement contextualisée et orientée vers une
approche quasi-industrielle, dans la mesure, notamment, ou bon nombre des sources de
synergies citées concernent des « unités de production, de stockage, des canaux de
distribution partagés) et correspond donc plutôt à un type d’entreprise industrielle diversifiée.
Par ailleurs, certains des effets indiqués dans la typologie, souffrent d’une certaine ambiguïté :
les « effets d’apprentissage » ou encore « les effets significatifs sur la performance » ne
correspondent pas, de notre point de vue, aux impératifs de mesure liés à l’adoption d’une
approche des synergies en terme de composants de formule de ROI.
La typologie présentée à l’origine, ne s’appuie donc pas que sur des éléments d’approche
« économique » mais intègre dès le départ des éléments « intangibles » dont les effets produits
seront plus difficiles à cerner. Néanmoins nous allons voir que les grands types de synergies
évoquées dans la littérature évolueront assez peu dans le temps :
22. 22
Tableau 2
Les Formes de Synergies selon les différentes sources utilisées, (Larsson et Finkelstein, 1999)
Type(s) de Synergies Source(s) Effet(s) attendu(s)
De Collusion Regroupements
Effets de marché
Capacités d’achats renforcées
Opérationnelles
[dans les domaines de la production, du
marketing, de la R&D et de l’administration]
Diversité de l’offre produit
Partage des circuits de distribution
Economies d’échelles,
Economies verticales,
Economies de gamme
Managériales Mise en œuvre de compétences
complémentaires
Remplacement des managers incompétents
Gains d’efficacité
Financières Diversification du Risque
Co-assurance
Gains d’efficacité
Plus récemment encore, à la faveur d’une revue de la littérature sur les synergies inter-
divisionnelles, Eisenhardt et Martin revoient les différents types de synergies et en identifient
3 organisées autour de 3 sources différentes (Eisenhardt et Martin, 2001) :
Tableau 3
Les Formes de Synergies selon les différentes sources utilisées, (Eisenhardt et Martin, 2001)
Type(s) de Synergies Source(s) Effet(s) attendu(s)
Pouvoir de marché Concentration pouvoir congloméral (de
négociation)
Effets de marché
capacités d’achats renforcées
conserver des prix de vente élevés
Economies de gamme Partage de ressources entre unités Réduction des couts de production
par unité
Gouvernance interne Capacité d’accès au marché des capitaux
interne et externe
Capacité à allouer à déplacer rapidement
ce capital d’une activité à l’autre
Environnement de transactions plus
efficace
Ces 2 typologies illustrent assez bien de notre point de vue les évolutions que connaît le
concept de synergies :
Soit il s’agît là d’une meilleure utilisation de ressources internes de l’entreprise, certes dans
une perspective de croissance, et alors la typologie d’Ansoff est légèrement amandée mais
conservée dans ses grands principes (y compris dans son rapport ambigu aux synergies
managériales dont on voit mal la différence avec les synergies opérationnelles…) (Larsson et
Finkelstein, 1999),
Ou alors dans une perspective d’introduction d’éléments du marché, plus orienté vers
l’activité, l’offre de l’entreprise et ses rapports avec, les clients, les fournisseurs etc. et dans ce
cas la perspective est peu détaillée en matière de recours aux différentes ressources mais se
concentre sur l’allocation de celles-ci dans une perspective d’adaptation au marché
(Eisenhardt et Martin, 2001).
23. 23
Cette identification des différentes formes de synergies s’appuie assez largement sur des
éléments de contenu (dont nous avons vu que tous n’étaient pas si clairement définis), les
sources de synergies étant considérées comme stables, les environnements des entreprises
comme statiques (Eisenhardt et Martin, 2001).
Or une étude dans le temps de la façon dont évolue, par exemple, la proximité stratégique ou
encore la réalisation et l’évolution d’un potentiel de synergie fait apparaître que ce contenu et
les effets qu’il induit, varient au cours du temps (Davis et Thomas, 1993).
Certains auteurs n’hésitent pas, alors, à faire valoir une vision plus dynamique des formes de
synergies en privilégiant davantage les formes processuelles plutôt que de contenu. Ainsi,
s’intéressant aux entreprises évoluant dans des environnement dynamiques (voire turbulents),
Eisenhardt et Martin retiennent 3 formes de synergies basées sur une approche processuelle :
Tableau 4
Les Formes de Synergies selon les différents processus, (Eisenhardt et Martin, 2001)
Type(s) de Processus Concerne Synergie créée
Transfert de connaissance Le déploiement d’expériences, de
compétences, d’informations, de routines
La synergie peut être réalisée, dès
lors que le temps et les couts requis
pour transférer et intégrer une
connaissance au sein des différentes
unités d’activité sont inférieurs à
ceux nécessaires aux compétiteurs
pour développer cette connaissance
Co-évolution (re-connexion) La création continue de nouveaux liens
entre les différentes activités afin
d’exploiter de nouvelles opportunités et
l’abandon des liens qui se détériorent.
Economies de gamme
Gouvernance interne
Pouvoir de marché
Patching ou collage L’addition, la segmentation, le transfert, la
sortie, l’abandon de pans d’activités, à
travers lesquels les entreprises diversifiées
redessinent leurs contours et reconfigurent
leurs activités, en fonction des
opportunités de marché
Economies de gamme
Pouvoir de marché
A partir de l’identification de 3 sources de synergies ( et après avoir insisté sur le chemin qui
reste à parcourir concernant la définition du concept et la limite d’approches traditionnelles) :
à savoir, les économies de gammes (répartition des coûts), le pouvoir de marché (conserver
des prix élevés) et les avantages liés à la gouvernance interne (efficacités de coordination
interne), Eisenhardt et Martin précisent que les synergies dépendent de facteurs contextuels
(rapidité de changement du marché, proximité de bases technologiques, pratiques en terme de
ressources humaines, modalités de contrôle administratif et culture d’entreprise) qui
déterminent à la fois les sources mais aussi les processus à travers lesquels ces éléments
dégagent une valeur.
Les processus identifiés de transfert de connaissance (transfert des ressources basées sur la
connaissance entre les divisions), de co-évolution (recomposition des liens de collaboration
entre divisions) et de collage (reconfiguration des activités des divisions en réponse au
changement du marché) ont pour effet, selon les auteurs, d’ « internaliser » certains éléments
du marché dans le contexte de l’entreprise diversifiée.
24. 24
Ceci favoriserait la coexistence d’attitudes de collaboration et de compétition entre les
divisions. Ces processus permettraient ainsi, aux divisions de créer de la valeur en permettant
aux managers de ces divisions de rester concentrés sur les opportunités changeantes du
marché tout en leur permettant de tirer avantage de façon sélective des opportunités du
partage et de la coordination des ressources internes.
Selon ces auteurs, les représentations traditionnellement ‘statiques’ des synergies, attribuées
aux études économiques, financières, stratégiques et organisationnelles, auraient le tort de se
concentrer sur la création d’avantages plutôt défensifs, à travers la recherche d’efficacités
(économies de gamme, pouvoir de marché, recours aux marchés de capitaux internes,
diminution des couts d’agence et de transactions) et bien que théoriquement « mûres », ces
études demeureraient équivoques au niveau empirique, donnant lieu à des résultats contrastés
et sujets à discussion.
Ils opposent à ces approches une représentation processuelle plus dynamique, insistant
notamment sur l’importance de la connaissance comme ressource cruciale. De même, ils
notent que les bases des synergies évoluent constamment. Celles qui ont trait à l’adaptation et
à la croissance prennent plus d’importance que celles concentrées sur une recherche
d’efficacité ou de réduction de coût voire de recherche de profit.
Cette perspective présentée comme émergente, identifie les synergies comme résultant de
processus de recomposition à travers le temps des ressources. Elle se concentre sur la façon
dont ces synergies peuvent être utilisées pour créer des séries d’avantages temporaires dans
des marchés dynamiques.
Enfin, les auteurs mentionnent que dans leur démarche, il serait indiqué de porter une plus
grande attention aux équipes multi-divisionnelles et à la contribution de celles-ci dans la
réalisation de ces synergies.
L’approche processuelle des formes de synergies proposée par les tenants d’une théorie des
capacités dynamiques, a pour mérite d’essayer de ‘sortir’ de la problématique de la définition,
de l’évaluation des synergies ou encore de la ‘restriction’ dans le recours à un nombre limité
de sources de synergies et de prendre en compte la dimension temporelle et interactionnelle
des synergies (entre individus, entre divisions).
Outre le fait de recentrer le propos autour des questions de dynamique des synergies, des
processus de recombinaison des ressources et du rôle important des managers dans la
réalisation du potentiel de ces synergies, l’approche processuelle évoquée par les tenants des
capacités dynamiques a pour effet d’introduire des éléments extérieurs aux organisations
comme le marché et de souligner l’importance du contexte commun entre les divisions.
Néanmoins, l’apport de cette perspective plus ‘dynamique’ selon ces auteurs a pour
inconvénient de s’appuyer quasi exclusivement sur le caractère turbulent des marchés étudiés.
Or, le caractère turbulent de ces marchés reste particulier à certains secteurs d’activités. S’il
est vrai que les industries de hautes technologies peuvent présenter ce type de propriété de
marché, toutes les entreprises ayant fait l’objet d’étude de synergies n’évoluent cependant pas
que dans ce type de secteurs. De ce fait, nombre de propos des perspectives traditionnelles,
estimés par les auteurs comme étant plus statiques, restent selon nous, valables.
25. 25
D’autant que certaines de ces approches soulignaient déjà la nécessité de considérer la
dynamique de marché, non pas en tant qu’environnement turbulent et induisant une hyper-
compétitivité, mais dans la mesure ou certaines synergies semblaient suivre l’évolution du
cycle de vie des secteurs d’activité (Davis et Thomas, 1993). Les premières approches des
synergies considéraient déjà que celles-ci concernaient un couple marché…produit (Ansoff,
1965).
Nous observons, ensuite, que tous les processus étudiés ne se prêtent pas à l’exercice de style
des auteurs. Et notamment des 3 processus étudiés, celui de transfert de connaissance nous
semble avoir été traité de façon plus légère et moins approfondie, ne renvoyant à aucune des
synergies (en terme de sources) évoquées par les auteurs : Si l’approche processuelle de ces
auteurs semble indiquée pour étudier les phénomènes donnant lieu à des partages de
ressources matérielles ou tangibles et à la recomposition des frontières de l’organisation, en
revanche, elle ne permet pas d’appréhender des processus mettant en jeu des éléments
intangibles tels que le transfert de la connaissance, qui est pourtant l’une des 2 sources
principales de synergies dans la littérature.
Autrement dit, le recours aux processus n’affranchit pas du fait de considérer les contenus (et
inversement). Il convient donc d’essayer de dépasser cette opposition entre les synergies vues
soit exclusivement en terme de contenu ou alors en terme de processus.
A ce titre il nous paraît opportun de rappeler l’une des définitions du processus rapportée par
Philippe Lorino à l’occasion d’une « […] réflexion sur les échos de la pensée de Jacques
Girin dans la recherche sur les processus en gestion » (Lorino, 2006) : « […] les processus
apparaissent comme des systèmes coordonnés d’activités locales permettant de concrétiser un
élément de valeur […] ou un élément de fonctionnement interne important […] : développer
un nouveau concept de produit ou de service, produire un produit, livrer une commande,
émettre une facture, préparer un plan ou un budget, payer le personnel, sont ainsi souvent
cités comme des processus importants… Ce sont des ensembles d’activités reliées par des
liens de coordination forts, donc caractérisés par une circulation intense de l’information ».
Mais surtout, l’auteur précise ensuite qu’ « Au-delà de cette définition générale et floue, les
modalités de mise en œuvre peuvent varier considérablement : le processus apparaît plus ou
moins macrosCoPIque en termes de maillage, normatif (modèle de processus) ou réel (analyse
des processus), destiné à des applications temporaires ou permanentes, axé sur les contenus
des activités ou sur les seules transactions informationnelles… ».
Enfin, il indique que « Le processus apparaît […] comme figure privilégiée de l’activité
collective : ce n’est pas une activité collective caractérisée par la communauté de pratique des
acteurs, puisqu’en son sein coopèrent des acteurs qui réalisent des activités différentes, mais
une activité collective caractérisée par la complémentarité des activités individuelles qui s’y
jouent, une activité conjointe et non une activité commune, selon la terminologie adoptée par
Denis Vernant (Vernant, 1997) ».
La considération d’une démarche processuelle telle qu’évoquée par Eisenhardt et Martin
demande donc à être approfondie. Cet approfondissement semble être possible en considérant
non plus le caractère uniquement processuel des synergies réalisées à travers les 3 processus
cités (de transfert de connaissance, de coévolution et de collage), mais le fait que celui-ci nous
permet de les considérer au sens d’actions collectives.
26. 26
Ce qui se retrouve, notamment dans la définition que Jacques Girin faisait des « situations de
gestion » : « Une situation de gestion se présente lorsque des participants sont réunis et
doivent accomplir, dans un temps déterminé, une action collective conduisant à un résultat
soumis à un jugement externe […] étudier les situations de gestion, non pas en elles-mêmes,
dans toutes leurs dimensions, mais en relation avec la manière dont les participants agissent,
devient alors une tâche plus raisonnable (…). Il nous faut alors nous tourner vers la question
de l’action » (Girin, 1990).
Ceci ne nous paraît, d’ailleurs, pas incompatible avec le caractère primordial accordé par
toutes les recherches portant sur les synergies au rôle des managers dans la création, la mise
en œuvre et la concrétisation de celles-ci (Ansoff, 1965 ; Porter, 1985 ; Eisenhardt et Martin,
2001) et le rôle crucial de l’adhésion des employés.
Car il s’agît avant tout ici d’acteurs et des actions qu’ils entreprennent dans le contexte d’une
‘situation de gestion’ inter-organisationnelle.
B) Les synergies et… les acteurs
Ainsi, si les synergies ont plutôt été envisagées, dans la littérature étudiée, sous l’angle
privilégié des domaines d’activités concernés par ces synergies (en s’intéressant notamment
aux modalités de diversification prenant en compte ces domaines, aux effets de la proximité
de ces domaines, etc.), force est pourtant de constater que les efforts pour rendre compte et
expliquer les modalités d’avènement et de réussite de ces synergies ont donné peu de résultats
probants.
Nous avons, notamment, identifié très peu de recherches consacrées aux synergies qui
mettaient en avant le rôle et la contribution des différents acteurs de ces synergies, notamment
pour en expliquer les succès et échecs, ou encore les dynamiques inhérentes à certains
processus de synergie.
Or non seulement l’importance du rôle de certains acteurs a été clairement soulignée et
évoquée dès le départ des travaux concernant les synergies, mais de plus les limites de
l’approche des synergies par activité sont rapidement apparues (difficultés de mesures, peu
d’apport du rapprochement avec les concepts de proximité stratégique, peu d’explications sur
les facteurs d’échecs des synergies voire de réussite, ou encore peu d’apport sur leur caractère
éphémère et parfois surprenant).
Si, à notre sens l’approche des synergies en terme de domaine d’activité aura permis
d’éclaircir les contours de certaines synergies et notamment celles, liées au partage de
ressources tangibles, en revanche, elle n’aura pas permis de rendre compte du détail de la
dynamique de ces synergies en considérant les acteurs et leurs actions, ni de comprendre les
mises en place de synergies dans le cadre de recours à des ressources intangibles.
Notre contribution à la littérature concernant le concept de synergie s’inscrit ainsi sous la
forme d’une proposition de mettre au devant de la scène les rôles des différents acteurs de ces
synergies (décideurs-dirigeants, managers (opérationnels ou intermédiaires)), l’importance
des logiques d’action, dans le cadre de la mise en place de synergies concernées ici plutôt par
le partage de ressources intangibles.
27. 27
Nous nous proposons, notamment dans un premier temps, d’élargir le spectre de considération
que l’approche traditionnelle des synergies avait de ces acteurs lors des premiers travaux sur
les synergies.
Nous avons, ainsi, déjà abordé en première partie la façon dont Ansoff considérait
l’importance des liens entre stratégie et synergie, d’une part, et entre synergie et structure,
d’autre part, en détaillant notamment comment les managers peuvent moduler la forme
centralisée de l’entreprise selon l’étendue de la diffusion des effets de synergie à travers les
domaines fonctionnels et les activités (Ansoff, 1965).
Il indiquait, par ailleurs, dans son ouvrage de 1965 l’importance des synergies managériales,
une des 4 formes de synergies à laquelle il a accordé de longs développements et qui conserve
toute son actualité.
Ce point était pour lui d’autant plus crucial, que le contrôle managérial constitue ce qui
assurera la transformation d’une synergie potentielle en synergie réelle, ou encore qui assurera
que la structure mise en place à la faveur de la diversification correspondra à l’étendue de
diffusion des synergies dans l’organisation.
Enfin, il précisait déjà que l’éloignement des secteurs d’activité de départ et d’arrivée
entraînait un risque grand de synergie potentielle négative. Il indiquait alors que la
manifestation de l’effet conjoint, dépendait de la façon dont la nouvelle acquisition était
intégrée et que ceci relevait avant tout d’un problème de contrôle du management.
Si ses considérations étaient détaillées et précises, elles ne concernaient en revanche qu’une
certaine catégorie de managers, à savoir, les cadres dirigeants. Ceux ci étant considérés, en
tant que décideurs, comme les principaux acteurs de la mise en place de synergies, au titre de
leur choix de stratégie.
Ce point de vue concernant la décision stratégique est exclusif, restreignant celle-ci au seul
groupe autrement désigné comme ‘sommet stratégique’ (groupe des principaux décideurs de
l’organisation, dont la fonction est de faire en sorte que celle-ci accomplisse sa mission de
façon efficace et qu’elle serve les besoins et intérêts de ceux qui la contrôlent ou ont du
pouvoir) pour reprendre l’expression de Mintzberg telle que rapporté par Alain Desreumaux
(Desreumaux, 2005).
Or si dans la littérature (en particulier anglo-saxonne) la distinction est faite assez tôt entre
différents types de managers (les top-managers (décideurs), les middle managers (managers
intermédiaires) et les operational managers (managers opérationnels)) la participation,
notamment, des managers intermédiaires à toutes les parties du processus stratégique y est
pourtant soulignée dès les années 70 (Bower, 1970).
Ainsi, selon certaines études, ces managers en « influençant les critères de groupe (corporate)
concernant la meilleure façon d’exploiter les compétences des sous-unités » créent, pour une
grande partie, le contexte à des questions stratégiques, plus que ne le font les dirigeants
(Bower, 1970).
Certains auteurs font valoir par la suite, que le rôle des managers intermédiaires ne saurait être
restreint à la seule et « simple » implémentation des décisions stratégiques prises par les
dirigeants décideurs (S. W. Floyd et B. Wooldridge, 1992).
28. 28
Ainsi menant une étude auprès de 259 managers intermédiaires issus de 25 entreprises
différentes, Floyd et Wooldridge approfondissent la façon dont ces managers ont un effet sur
les décisions stratégiques des entreprises. Ils définissent ces managers comme ceux
construisant le lien entre l’activité quotidienne des unités et les activités de groupes
verticalement liés. En tant que lien, ils coordonnent les activités entre les décideurs d’une part
et les unités opérationnelles, d’autre part.
Selon que l’on considère l’influence de ces managers, soit sur les décideurs ou sur les
managers opérationnels, ou que l’on considère la stratégie, soit comme un processus de
changement nécessitant la création d’idées nouvelles et divergentes, ou au contraire comme
un effort de cohérence d’idées divergentes, les auteurs mettent en valeurs 4 rôles à travers
lesquels ces managers intermédiaires ont une influence sur le processus de décision
stratégique :
Le sponsoring d’alternatives (influence des décideurs afin que ceux ci ajustent leur conception
actuelle de la stratégie), la synthèse d’informations (interprétation et évaluation de
l’information à destination des décideurs), la facilitation d’adaptation (permettant une
flexibilité d’arrangements organisationnels) et l’implémentation d’une stratégie délibérée
(intervention managériale qui aligne l’action organisationnelle avec les intentions
stratégiques) (S. W. Floyd et B. Wooldridge, 1992).
Chacun de ces rôles a potentiellement un d’effet sur la mise en place de synergies, en tant que
composante essentielle de la stratégie. Il nous paraît donc nécessaire de considérer dans le
cadre de l’étude des synergies une population de managers beaucoup plus large que ne le
laissent à penser les premières considérations sur les synergies.
Il s’agit là, à notre sens d’un effet du passage, dans la littérature, d’une conception de la
stratégie comme liée à l’exercice de la décision de certains acteurs à une conception de la
stratégie comme liée à un processus et à une action qui implique beaucoup plus d’acteurs que
les seuls décideurs et des effets de ce passage sur l’évolution du concept de synergie à travers
la littérature.
Ainsi, si le rôle des managers décideurs est primordial, l’étude des synergies ne saurait se
résumer à cette seule population. De fait, les études plus récentes portant sur les synergies en
terme de processus considèrent à la fois le rôle des décideurs mais aussi ceux de managers
intermédiaires (Eisenhardt et Martin, 2001).
Par ailleurs, nous avons vu que certaines études ont fait apparaître dans les années 80, à la
faveur des vagues de fusions acquisitions, que d’autres acteurs étaient important en matière de
synergies et que la réalisation de celles-ci (la création de valeur) dépendait, par exemple, de
l’absence de résistance des employés pendant la phase d’intégration suite à une acquisition
(Larsson et Finkelstein, 1999).
Ainsi, à la faveur de l’étude du phénomène de résistance des employés lors d’une fusion-
acquisition, les auteurs fait apparaître qu’une certaine similitude des styles de management
entre les entreprises ou le partage d’une perception de cette acquisition comme étant
stratégiquement proche, est de nature à diminuer cette résistance (Larsson et Finkelstein,
1999).
29. 29
Certains auteurs n’hésitent pas, d’ailleurs, à distinguer les entreprises diversifiées réussissant
la mise en œuvre de synergies, des autres entreprises, en indiquant qu’il s’agit le plus souvent
d’entreprises exprimant un fort attachement à la création de synergies, faisant preuve de
partage de ressources ou d’activités et employant les mécanismes (modes de contrôles) de
coordination nécessaires à la réalisation des synergies (C. H. St. John et J.S. Harrison, 1999).
Nous voyons ici que la création d’un contexte favorable à la mise en place des synergies est
une deuxième raison de considérer le rôle importants d’acteurs comme les managers
intermédiaires, en plus du fait qu’ils participent au processus de décision stratégique.
Qu’il s’agisse ici de rôle de management, de style de management ou de perception du
caractère proche de l’entreprise acquise, les éléments communiqués par les managers qui
participent à la création d’un contexte favorable et commun sont importants. Or ceux-ci, bien
que procédant de décideurs doivent être interprétés et relayés à travers l’organisation par des
managers considérés comme intermédiaires, au risque de ne pas avoir d’effets.
A contrario, le lien entre ces managers intermédiaires et les décideurs, permettra en retour à
ceux-ci de bénéficier de la compréhension du contexte de façon à leur permettre d’adapter
leur discours et de revoir leurs décisions stratégiques (Dutton et al, 1997).
Enfin, une étude plus récente des logiques d’actions de ces managers fait ressortir, d’une part
la diversité de cet ensemble de managers intermédiaires traditionnellement présenté comme
homogène et, d’autre part, 3 types de logiques : une logique autoritaire, une logique
émotionnelle et une logique de conciliation (Janczak, 2006).
Le recours à cette dernière forme de logique d’action dans un mode d’interaction politique est,
selon l’auteur, un bon exemple de la façon dont certains de ces managers intermédiaires
influencent les décisions des décideurs notamment en choisissant le moment idéal pour leur
présenter les options stratégiques qu’ils ont identifiés (Janczak, 2006).
Nous voyons donc qu’à partir des travaux considérant les synergies, composante de la
stratégie, comme relevant quasi-exclusivement des décisions des cadres dirigeants et ayant un
impact sur la structure des entreprises diversifiées, nous passons par le biais des travaux
portant sur les processus de décision et des logiques d’action, à une plus grande population de
managers, acteurs de ces synergies, au titre de leur participation aux décisions stratégiques et
au contexte de la mise en place de ces synergies.
Les conceptions et représentations véhiculées dans la littérature concernant l’attitude que
doivent avoir les dirigeants pour la mise en place des synergies évoluent ‘conjointement’,
d’une certaine façon, avec les travaux portant sur le processus de décision stratégique.
On retrouve d’ailleurs, l’écho de cette coévolution dans la littérature managériale, à partir des
années 2000.
Ainsi, détaillant dans un article publié dans la Harvard Business Review en 2000, le processus
de co-évolution, Eisenhardt et Galunic en tirent un certain nombre d’implications
managériales. L’intitulé de l’article « Coévolution, enfin une façon de faire fonctionner les
synergies » est d’ailleurs en soi assez explicite.
30. 30
Les auteurs y indiquent que les décideurs des entreprises réussissant à réaliser des synergies
ont en commun une maitrise du processus de coévolution, qui consiste à changer de façon
routinière la toile des liens de collaboration à l’intérieur des activités (tout type de lien, en
commençant par ceux concernant l’échange d’information au partage d’actifs voire ceux
concernant des synergies multi-activités ).
Le résultat étant une toile changeante de liens relationnels qui exploitent les nouvelles
opportunités de synergies et abandonnent celles se détériorant (Einsenhardt et Galunic, 2000).
Pour ces auteurs, ces décideurs font l’hypothèse que les liens entre activités sont temporaires
et que leur nombre est important. Ils différencient un style de management co-évolutif qui
consiste à devoir gérer la tension notamment entre le fait de minimiser le nombre de liens
entre unités pour conserver une certaine adaptabilité et le fait de les augmenter pour une
meilleure efficacité.
Mais surtout, les auteurs indiquent que ce style de management se caractérise par l’absence de
recherche d’une collaboration systématique. Celle-ci doit se produire de façon indirecte et
émergente (Einsenhardt et Galunic, 2000).
Par ailleurs, ils soulignent le caractère primordial d’équipes multi-activités dans la réussite des
synergies inter-activités et en font un mode d’organisation essentiel pour mener à bien ces
projets inter-organisationnels. Sans le recours à ces équipes, les managers des unités auraient
des difficultés à identifier les liens de collaboration, développer des relations sociales avec
d’autres responsables d’activités qui facilitent cette collaboration voire, même, du mal à
conceptualiser une stratégie collective.
Si l’apport de ces approches est indéniable et si elles présentent des modalités de conduite
détaillées, en matière d’entretien de liens relationnels par les décideurs, on peut cependant
leur reprocher le caractère généraliste des propositions et la simplicité d’une dichotomie qui
consisterait à opposer les mauvais élèves qui décident de la mise en place de synergies aux
bons élèves, adeptes de co-évolution et qui feraient attention à recourir à une forme d’action
collective et collaborative, émergente.
Nous retiendrons surtout des implications managériales de cette approche processuelle des
synergies tout d’abord l’accent mis sur les liens et relations entre managers, le caractère
émergent de la collaboration et des synergies ainsi que la nécessité pour mener à bien la
réalisation de ces synergies de recourir à une forme d’action collective organisée, ici, des
groupes multi-activités.
Ironiquement, ce fait nous renvoie aux échanges « nourris » entre Mitzberg et Ansoff par
articles interposés (publiés dans les colonnes du Strategic Management Journal) à propos de la
notion de management stratégique. Mintzberg fait notamment valoir que la stratégie doit aussi
être considérée comme émergente et informelle, au même titre que le fruit d’une réflexion
rationnelle planifiée et surtout que la planification d’entreprise ne saurait aller sans son
pendant à savoir l’apprentissage qui précède cette planification (Mintzberg, 1991).
Or c’est à notre vis précisément ce dont il retourne en matière de synergies, à savoir,
l’apprentissage de façon émergente par les acteurs des modalités d’action collective,
d’utilisation de ressources, de partage de connaissance, de transfert de celles-ci dans le cadre
d’une dynamique de changement de l’organisation.
31. 31
L’approche de processus voisins, comme les processus d’évolution par certains auteurs,
abonde d’ailleurs en ce sens. Ainsi, selon Desreumaux : « la question des processus
d’évolution devrait s’étudier sous de nombreux aspects : nombre et position hiérarchique des
acteurs jouant un rôle moteur, modes de gestion, rationalités en cause, etc » (Desreumaux,
2005).
Rapportant le commentaire de Mintzberg à propos des processus de changement
organisationnels, Desreumaux précise ainsi, que ceux-ci peuvent se ramener à 3 formulations
principales :
« La première décrit le processus par référence à un mode planifié. Le changement est
considéré comme guidé délibérément, de façon déductive, par les niveaux hiérarchiques
supérieurs de l’organisation, pour être mis en œuvre par les niveaux inférieurs. Le processus
est rationnel, hautement ordonné et intégré, conduit à la formulation de stratégies et de
programmes explicites.
Une deuxième conception insiste sur le rôle central d’un leader, souvent charismatique, qui
formule une nouvelle vision de l’organisation et de son avenir et obtient l’adhésion de
l’ensemble des acteurs à son projet. Cette fois, l’approche est largement informelle, au sens ou
si la nouvelle vision peut être délibérée, les détails de sa mise en œuvre résultent d’un
processus d’émergence. En raison du charisme du leader, le processus tend d’ordinaire à être
de nature coopérative, mais les résistances au changement ne sont évidemment pas exclues.
Enfin, une troisième approche assimile le processus de changement à un apprentissage
inductif, nécessairement informel. Le phénomène est émergent plutôt que délibéré, peut naître
à n’importe quel endroit de l’organisation, rester très localisé ou se propager dans des strates
successives de l’organisation ».
Il commente enfin que « les observations de R.A. Burgelman de l’activité stratégique dans les
grandes entreprises complexes, activité faite d’un mélange de comportements stratégiques
induits et autonomes, fournissent de bonnes illustrations de tels phénomènes de propagation.
Dans cette dernière vision, le développement du changement peut enfin se réaliser dans un
climat de coopération ou rencontrer diverses résistances. Ces trois versions sont en fait plus
complémentaires que véritablement opposées […] » (Desreumaux, 2005).
Ceci contribue à éclairer un peu plus, la diversité des points de vue concernant les processus
de synergies, tout en contribuant à remettre l’accent sur les acteurs, leurs rôles, les modes de
gestions ainsi que les rationalités mises en avant.
Nous voyons ainsi, que l’extension de la population d’acteurs concernés par la mise en place
de synergie était nécessaire. Cette extension est due à la mise en évidence de la participation
d’acteurs intermédiaires au processus stratégiques des organisations ainsi qu’à la contribution
de ceux-ci à créer un contexte nécessaire à la réussite de la mise en place de ces synergies (par
l’interprétation de l’environnement à destination des décideurs, et l’ajustement de
l’organisation aux intentions stratégiques).
La considération des synergies en terme d’approche processuelle nous fait percevoir l’action
de ces intervenants de façon émergente et non pas selon une recherche systématique de
collaboration.
32. 32
Par ailleurs, cette approche mettant en avant des processus de recomposition de liens et de
contours organisationnels (à travers les processus de coévolution et de collage par exemple)
nous permet, en établissant un parallèle avec les processus de changement organisationnels,
de saisir 3 formulations possibles pour ces processus : une formulation planifiée, une
formulation centralisée autour du rôle prépondérant d’un leader, une formulation informelle
assimilé à un apprentissage inductif.
Nous avons souligné, tout au long de notre propos concerné par les synergies, les limites de la
formulation planifiée et indiqué qu’une approche centrée sur les seuls dirigeants était
réductrice et ne permettait pas de comprendre les dynamiques de ces synergies. Nous nous
intéresserons donc, maintenant, à une formulation informelle des synergies assimilées
notamment à un apprentissage inductif.
Pour ce faire et pour aller plus avant, nous devons passer aux formes d’actions collectives
concernées par ces processus de synergies. Or, parmi les formes d’organisation en groupes
multi-activité ayant un caractère émergent de collaboration et avec une mise en avant des
liens et relations entre ses différents membres, il en est une qui est identifiée dès les années
90, dans la littérature comme une forme d’action collective émergente : les communautés de
pratiques (Wenger et Snyder, 2000 ; Lorino, 2006).
Nous allons donc voir en quoi consistent ces communautés et comment l’étude de
communautés de pratique dites inter-organisationnelle peut nous intéresser pour notre propos.
III) Les communautés de pratique inter-organisationnelles et les synergies :
A) Origine des communautés de pratique : L’importance du
transfert de connaissance
Conceptualisée au départ, à travers les travaux de Lave et Wenger, une communauté de
pratique est le plus souvent définie comme un groupe d’individus qui partagent leurs intérêts
et leurs problèmes sur un thème particulier, et qui approfondissent leur degré de savoir et
d’expertise sur ledit thème en interagissant sur une base régulière (Wenger et al., 2002).
Selon Wenger, ces personnes ne travaillent pas ensemble mais elles ont une histoire commune
liée à une pratique professionnelle. Qu’elle soit formelle ou pas, une communauté de pratique
est auto-organisée et ses membres sont recrutés par cooptation (Wenger et Synder, 2000).
On note dans cette définition, l’importance du fait qu’il s’agisse de plusieurs individus, du
processus et de l’action de partage de quelque chose entre ces individus et de l’articulation
autour d’une pratique professionnelle. Ceci identifie, bien souvent, l’objet du partage à de la
connaissance, des compétences ou expertises professionnelles (Wenger, 1998).
Les communautés de pratique sont identifiées très tôt comme situées au carrefour entre les
théories d’apprentissage organisationnel et les travaux sur la gestion de connaissance
(Wenger, 1998). L’émergence des travaux sur ces communautés se fait à la faveur de travaux
sur l’apprentissage organisationnel s’intéressant à la façon dont les individus, les groupes et
les organisations doivent considérer la question de la production et de la diffusion des
connaissances en mettant l’accent notamment sur la dimension sociale de celles-ci.