Désenclavement et mode de gouvernance
Ben Gayess.A
Durant la période coloniale jusqu’à nos jours, le pouvoir décisionnel est entre les mains
d’une seule partie : un consulat colonial et un parti unique. Même au sein de ces instances, le
pouvoir exécutif était accaparé par seule personne. La consultation de la population
(référendums, élections) n’était que de la poudre aux yeux pour légitimer des... choix
stratégiques ou circonstanciels. Une gouvernance partisane à références idéologiques
macabres (expropriation des droits et devoirs d’un peuple ou d’une(s) catégorie(s)
sociale(s)).Quelles sont les facteurs favorables à l’émergence et l’endurance d’un tel type de
gouvernance ?
1/ Enclavement et gouvernance partisane :
Cette expropriation du pouvoir était facilitée par une situation caractérisée par
essentiellement l’enclavement des populations, un enclavement à plusieurs niveaux :
• Géographique : l’absence d’une infrastructure routière, des moyens de déplacement
rapides et des moyens de communications nécessaires ;
• Mode de production : le caractère familial et de survivance du mode de production
était dominant, l’échange intra et inter-régions était plutôt en nature et d’un flux
limité entre les tributs;
• Système éducationnel : Le système de l’enseignement était basé sur une carence
d’infrastructure et de potentialités humaines, d’une part, et sur un contenu orienté
vers les besoins du marché de l’emploi et de l’administration, d’autre part. Seuls les
fils des familles aisées avaient la possibilité d’accès à l’enseignement.
L’analphabétisme était une monnaie courante au sein même des milieux urbains ;
• Moyens d’Information : Les moyens d’information faisaient défauts, la technologie de
communication n’était qu’à ces premiers pas. La lettre postale et le télégramme
étaient les seules sources de messagerie populaire, la radio propageait les idéaux du
pouvoir en place ;
• Structures organisationnelles: La population vivait scindée en tributs qui géraient les
potentialités naturelles, les ressources humaines à travers le « Conseil tribal », lequel
est, généralement, sous l’influence du plus âgé des hommes considéré comme le plus
sage. Ce conseil gérait aussi les relations de complémentarité ou conflictuelles intra
et/ou intertribales.
Les structures administratives, politiques et syndicales sont retranchées dans les grandes
villes ou les lieux de production (industrie d’extraction minière, grandes unités de production
agricole coloniales ou autochtones).Ces structures étaient en conflits permanent et faisaient
impliquer les tributs dans ce processus pour assoir leur place sur l’échiquier politique du
pays. Le pouvoir central (colonial ou national) orientant l’économie du pays vers le mode de
production marchande, veillait à la destruction des relations tribales dans toutes leur
dimension.
Dans un contexte pareil, la quasi totalité de la population était épargnée de participer aux
choix stratégiques. Un vide a été créé, ce qui a permis aux structures partisanes et syndicales
d’être les seuls animateurs-décideurs, portes parole de la population. Or, ces derniers ne sont
en fait, dans leur quasi majorité, que les individus ayant bénéficié d’un certain nombre
d’années scolaires, donc une majorité de citadins.
Il est rappelé que cet enclavement constituait, aussi, une murette entre les structures
organisées et la population. Leur contact avec la population était discontinu et sporadique.
Ce n’est que lors des grandes échéances politiques ou durant les moments tragiques que ce
contact aie eu lieu. Plus on s’éloigne de la capitale, en suivant les côtés d’un losange dont la
grande base est toute la frontière tuniso-algérienne, plus la fréquence de ce contact est
moindre et plus ces régions sont délaissées politiquement et économiquement. L'enclavement
de certaines populations avait des avantages: auto-organisation (conseils tribaux, entraide)
et auto-gestion du terroir (emblavures, gestion des prairies, gestion des stocks,
commercialisation des surplus et des besoins).
Le désenclavement, par le biais de l’amélioration des facteurs sus cités, peut-il mener à
reconsidérer le rôle des structures et des citoyens dans la vie active ?
Le dicton : « pierre qui bouge n’amasse pas de mousse » se vérifie t-il quand il y a un
désenclavement territorial ?
2/ Désenclavement et gouvernance participative :
Nulle personne ne peut contredire le fait que le paysage décrit ci-dessus s’est complètement
métamorphosé. Le désenclavement, dans ces différents niveaux, est une réalité avec quelques
exceptions qui touche l’un ou l’autre des facteurs. La circulation aussi bien des êtres, des
biens que l’information est plus rapide, disponible et diversifiée. Le taux de
l’analphabétisme, qui par ailleurs, n’est pas déterminant, est réduit, à part quelques contrées
rurales enclavées et dans les cités urbaines démunies.
L’unique caractéristique qui reste dans son état d’invariabilité, malgré le changement des
régimes et des personnes, est celle des structures décisionnelles ! La main mise intégrale du
parti unique sur tous les rouages socio-économiques et culturels et les querelles politiques
engagées par les autres structures opposantes (syndicats, partis et partie civile) sont encore
vivaces.
Les syndicats, les chambres (des députés et des conseillers) et certaines associations
corporatives sont les terrains de jeux politiques entre les différents partis, d’une part, et entre
les partis opposants et le parti au pouvoir, d’autre part.
La révolution populaire de décembre-janvier 2011 est venue pour mettre fin au despotisme
d’un régime politique. L’étêtement du pouvoir, l’ensemble des objectifs et les mécanismes
misent en jeu (conseils et commissions) vont-ils achever le parcours de la révolution ?
L’unique référence à laquelle on peut recourir pour répondre à cette question est la
révolution elle-même, et ce, en se référant aux forces sociales ayant déclenchés le processus
de la révolution, aux slogans (objectifs) des manifestants et aux structures populaires
émergentes.
Par son caractère populaire et social, la révolution n’est que l’effet d’une politique
dégradante socialement, dépressive économiquement et répressive politiquement. En toute
évidence, nombreux sont les victimes de cette politique et ils appartiennent à toutes les
couches sociales. En dépit de la fausse prévision du temps de déclenchement du processus
révolutionnaire, la chronologie des événements est venue confirmée les prévisions émises
quand à sa popularité. La principale force motrice est constituée par les marginaux
(chômeurs, commerçants ambulants, petits entrepreneurs..) auxquels sont venus s’associer
d’autres catégories professionnels (ouvriers, libres fonctionnaires, fonctionnaires de l’état).Il
n’est pas à négliger le rôle « d’encadrement » de l’UGTT au niveau régional, de certains
partis politiques et des associations de la partie civile. Quant aux revendications, elles sont
plutôt sociales que politiques. En effet, le slogan axial était : « TRAVAIL ; LIBERTE et
DIGNITE ».
Le droit au travail est le droit fondamental et vital auquel se réfèrent les protestants et ils
continuent à le réclamer. Les impacts de la mondialisation, la main mise des mafiosi et
l’inéquitable investissement régional ont mis au trépas l’économie du pays engendrant, par
voie de conséquence, des effets sociaux indésirables (chômage, délinquance, corruption
administrative).
La dignité humaine est étroitement liée à ce droit élémentaire, qu’est le travail.
La liberté, au sens large du terme, n’est qu’un vain mot pour ceux qui ne disposent pas des
droits élémentaires: le travail, l’initiative privée et la participation active à la vie civile. Or,
ce tri-pied de la liberté semble renvoyé aux annales d’un calendrier grec par le gouvernement
provisoire et les partis politiques, ou du moins, il n’est pas classé une priorité. La scène
politique est submergée par les transactions politiques (commissions, légalisation des partis,
initiatives politiques, forums…).Cette liberté touche aussi au droit à l’organisation de la
population et à l’autogestion par la population, un droit garant la participation à
l’édification de la Tunisie Libre. Peut-on se vanter du nombre de partis politiques légiférés !
Un labyrinthe politique hallucinant, qui ne peut être qu’éphémère (l’histoire l’a démontré),
alors pourquoi ne pas entamer une nouvelle restructuration de la société civile, qui va de
paire avec le processus de la révolution, en étoffant les structures populaires émergentes aux
niveaux local, régional et national. Des structures organisationnelles d’un montage
ascendant et non descendant, qui respectent la volonté de la population à participer à la
conception d’un développement régional équitable (bien sûr selon les potentialités
disponible) sous la houlette d’un état social et d’un gouvernement multicolore et
représentatif. Un état-social donnant la liberté aux forces productives et la libre initiative au
capital, tout en s’engageant à assurer son rôle social à travers la gestion des secteurs de
service : enseignement, santé, infrastructures de base.
Tout le monde est fier des potentialités humaines dont dispose la Tunisie (capital majeur) !
Mais, quand il s’agit de les impliquer à l’édification de leur pays, on ne les regarde qu’à
travers la persienne d’une fenêtre entre-ouverte du parti auquel on appartient ! La
supercherie politique et l’infantilisme idéologique sont à l’origine de cette étroitesse de
l’angle de vision partisane ! Certains adeptes de cette vision largue la gouvernance
participative de mille et une étiquettes : populisme, utopie, anarchisme, lassitude
politique…Alors, que peut-on dire de ceux qui pratiquent les techniques partisanes basées sur
le recrutement idéologique, l’entrisme et le jeu des coalitions politiciennes fugaces ? Ces
méthodes ne sont pas celles des théocrates (matraquage idéologique), des boîtes de
renseignements (entrisme) et des concessionnaires multinationales (marchandage politique) !
Les subterfuges et dérobades politiques actuelles sont-ils en rapport avec les deux références
de la révolution : son SLOGAN central « travail ; liberté ; dignité » et ses STRUCTURES
ascendantes émergentes ?