Les outils mis en place par la PPL Lagleize pour réduire les coûts du foncier

Les outils mis en place par la PPL Lagleize pour réduire les coûts du foncier. Bail réel solidaire

Mémoire de recherche
Master professionnel Management et Promotion du Patrimoine Immobilier
Discipline : Droit de l’urbanisme et Droit de la construction
Par
Thibault LOUARD
Sous la direction de M. Lyn FRANCOIS
2019-2021
_____________________
Les outils mis en place par la proposition de loi Lagleize pour réduire les
coûts du foncier
_____________________
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 2
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier les professeurs de l’université de Limoges ainsi que les
différents intervenants avec qui j’ai pu échanger pendant ces trois années dans le
cadre de ma formation et qui m’ont permis d’acquérir et de développer mes
connaissances dans l’immobilier. Je remercie également mes camarades de
classes avec qui j’ai pu monter des projets intéressants et passer de bons
moments.
Je tiens particulièrement à remercier Monsieur Sébastien Peylet et Monsieur Lyn
François, pour leur soutien, leur engagement ainsi que leur accompagnement
pendant ces trois années. Merci à vous de m’avoir permis d’intégrer ce Master
en alternance, d’avoir cru en mes connaissances, compétences et en ma
motivation.
Je remercie également Madame Pascaline Giraud-Vidault, directrice montage
d’opérations ventes en lots chez CDC Habitat de m’avoir donné ma chance en
intégrant cette entreprise et cette équipe de monteurs avec qui j’apprends
beaucoup et de pouvoir mettre en application mes connaissances dans une
entreprise d’intérêt général.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 3
SOMMAIRE
SECTION I : CASSER LA HAUSSE DES PRIX DU FONCIER EN DISSOCIANT LE
FONCIER DU BÂTI................................................................................................................9
SOUS-SECTION I – LA SITUATION ACTUELLE ...........................................................................9
SOUS-SECTION II – VERS UNE REDEFINITION DE LA NOTION DU DROIT DE PROPRIETE ...........24
SECTION II : OPTIMISER ET BAISSER LE COUT DU FONCIER EN
ENVISAGEANT D’AUTRES MESURES...........................................................................29
SOUS-SECTION I- LES AUTRES MESURES PREVUES PAR LA PROPOSITION DE LOI LAGLEIZE....29
SOUS-SECTION II- LES PISTES A EXPLORER............................................................................34
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 4
LISTE DES ABREVIATIONS
ALUR Accès au logement et un urbanisme rénové
BRI Bail réel immobilier
BRILO Bail réel immobilier de longue durée
BRS Bail réel solidaire
BTP Bâtiment Travaux publics
CCH Code de la construction et de l’habitation
CDC Caisse des dépôts et consignations
CESDH Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme
CGCT Code général des collectivités territoriales
CLT Community Land Trust
C. urba. Code de l’urbanisme
DDHC Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
DIE Direction immobilière de l’Etat
ELAN Evolution du logement de l’aménagement et du numérique
ENL Engagement national pour le logement
EPF Etablissement public foncier
FPI Fédération des promoteurs immobiliers
HCSF Haut Conseil de stabilité financière
ICC Indice du coût de la construction
IDF Ile-de-France
IRL Indice de référence des loyers
OFL Organismes fonciers libres
OFS Organismes fonciers solidaire
OHF Organisme de l’habitat et du foncier
ORF Observatoire régional du foncier
PADD Projet d’aménagement et de développement durable
PLAI Prêt locatif aidé d’intégration
PLH Plan local de l’habitat
PLS Prêt locatif social
PLU Plan local d’urbanisme
PLUi Plan local d’urbanisme intercommunal
PSLA Prêt social location-accession
RNU Règlement national d’urbanisme
SCOT Schéma de cohérence territoriale
SEM Société d’économie mixte
SRU Solidarité et renouvellement urbain
TVA Taxe sur la valeur ajoutée
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 5
La situation économique en France est préoccupante, si bien pour l’Etat, titulaire d’une
dette qui ne cesse de croître et qui tente de combler le déficit en faisant peser l’impôt qu’il soit
direct, ou indirect sur les différentes catégories de ménages et ceux à qui le remboursement de
cette dette pèse le plus, c’est-à-dire, les ménages les plus modestes. Même si, nombre de
ménages de ces catégories sont souvent exonérés d’impôt sur le revenu, ces derniers se voient
infliger des dépenses qui les enfoncent de plus en plus dans des difficultés économiques. On
pourrait citer la hausse des prix du carburant, des produits de première nécessité, du gaz, de
l’électricité et enfin la hausse du coût du logement notamment dans les zones tendues, voire
très tendues.
Cette hausse du coût de la vie due à l’inflation et à l’augmentation des taxes a eu pour
conséquence la « crise des gilets jaunes » que nous avons connue en 2018. Mais plus que de
témoigner d’une exaspération du coût de la vie, cette dernière témoigne de l’exaspération des
citoyens les plus modestes quant à la détérioration de leurs conditions de vie, due en partie à la
problématique du logement. En effet, la hausse du coût du logement a conduit les classes les
moins aisées à se loger dans les zones périphériques aux grandes villes, souvent lieu de leur
emploi, pour continuer à vivre dans un logement décent. De fait ces ménages augmentent leur
temps de trajet quotidien pour aller au travail avec les difficultés que nous connaissons
(problèmes de transports et circulation automobile difficile) et ce phénomène se généralise.
Alors les régions prennent des mesures pour rendre les villes de banlieues et les zones
périurbaines plus attractives, on peut prendre l’exemple du chantier du Grand Paris qui vise en
partie à augmenter l’offre de transports dans la région, mais le problème n’est pas traité à la
racine, car les prix de l’immobilier eux ne baissent pas, ils augmentent car l’offre de transports
et d’infrastructures nouvelles rend ces villes de banlieues, anciennement délaissées, attractives
pour les investisseurs et les classes moyennes qui ne peuvent plus se loger dans la capitale ou
dans la proche banlieue. Ainsi les prix de l’immobilier augmentent inéluctablement dans ces
zones et les classes les moins aisées qui y vivent se voient inéluctablement contraintes de
s’éloigner encore et encore.
L’immobilier est un secteur qui connaît régulièrement des réformes, qu’elles portent sur
la défiscalisation pour favoriser l’investissement avec les lois Giradin, Malraux, Borloo, Pinel
et la dernière en la matière la loi Denormandie, ou sur des domaines relatifs à la construction et
à l’urbanisme. Citons la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), ou encore
celle pour l’accès au logement en urbanisme rénové (ALUR), ENL ou dernièrement la loi
portant évolution du logement et du numérique (ELAN). C’est dans ce contexte lourd en
reformes que le Gouvernement souhaite réformer une nouvelle fois le secteur du logement, et
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 6
ce moins de deux ans après la promulgation de la loi ELAN. Cette dernière visait d’un point de
vue large à faciliter l’acte de construire, l’objet était : construire mieux, plus et moins cher.
Cette fois-ci, le Gouvernement va encore plus loin puisque l’objet de la loi est « la maîtrise des
coûts du foncier dans les opérations de construction ». Alors, semble-t-il, devons- nous placer
cette loi dans la continuité de sa prédécesseur en admettant que les coûts liés à la construction
sont toujours aussi élevés, mais cette fois-ci le Gouvernement souhaite légiférer sur un élément
précis : le coût du foncier.
En effet, le prix foncier ne cesse de croître sur tout le territoire et il représente en France
en moyenne un tiers du coût d’une opération de construction et peut représenter jusqu’à la
moitié de ce coût dans l’agglomération parisienne.1
Part du terrain dans le coût total d’une opération de construction de maison individuelle (en %)
Année 2007 2008 2009 2010 2011 2012
France 33 34 33 33 34 33,9
Agglomération
parisienne
51 52 51 49 50 50
Année 2013 2014 2015 2016 2017 2018
En France 33,5 33,5 33,1 33,2 32,8 32,7
Agglomération
parisienne
50 48 46 46 46 46
Source : www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr
1
L’agglomération parisienne désignant la commune de Paris et la petite couronne.
51 54 56 59 63 67 73 79 79 82 85 87
191 190 194
167
179
210 215 218
201
232
216
228
0
50
100
150
200
250
300
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Evolution du prix moyen du foncier
Prix m2 moyen
France
Prix m2 moyen
en ile de France
Linéaire (Prix m2
moyen France)
Linéaire (Prix m2
moyen en ile de
France)
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 7
Alors on pourrait penser que ce sont les prix du foncier de la région Ile-de-France, zone
tendue où le foncier se raréfie, qui font augmenter la moyenne nationale mais depuis une
dizaine d’années l’écart des prix du foncier constructible entre l’Ile-de-France et la province
tend à diminuer. Ainsi les prix de l’Ile-de-France étaient presque 4 fois supérieurs à ceux du
pays en 2007, ils n’étaient plus que 2,5 fois supérieurs en 2018.2
Mais la situation est malgré tout préoccupante puisque le coût du foncier représente une part
importante dans le coût total d’une opération de construction et que son prix a augmenté de
71% en 10 ans, alors que le prix global d’une maison a augmenté de 24%.3
En conséquence, la
production de logements est fortement impactée ce qui complique la production de logements
abordables.
C’est le 4 Avril 2019 que le Premier Ministre, Monsieur Edouard Philippe, nomine par
décret, Monsieur Jean-Luc Lagleize, député La République En Marche de la 2nde
circonscription
de Haute-Garonne pour mener une mission temporaire dont l’objet est « La maitrise du coût du
foncier dans les opérations de construction ». En Novembre 2019, est remis au premier ministre
le rapport4
, réalisé en consultant les professionnels de l’immobilier et les parties prenantes du
secteur, comportant cinquante propositions visant à :
 Casser l’engrenage infernal de la hausse des coûts du foncier ;
 Libérer le foncier et améliorer la constructibilité ;
2
https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr
3
Assemblée nationale, rapport n°2434 de M. Jean-Luc Lagleize fait le 20 novembre 2019, p.5
4
Rapport au premier ministre, « La Maîtrise des coût du foncier dans les opérations de construction », Jean-Luc
Lagleize
0%
50%
100%
150%
200%
250%
300%
350%
400%
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Ecart des prix du foncier entre l'IDF et la
France
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 8
 Optimiser le foncier disponible ;
 Attirer les investisseurs dans le logement locatif ;
 Stopper définitivement la spéculation foncière ;
Parmi les 50 propositions du rapport, seules certaines ont été retenues afin de rédiger une
proposition de loi, laquelle a été adoptée le 28 Novembre 2019 en première lecture par
l’assemblée nationale. La proposition de loi vise donc à « réduire le coût du foncier et à
augmenter l’offre de logements accessibles aux Français ». Suivant la procédure classique
d’élaboration des lois, la proposition a été présenté à la commission des affaires économiques
du Sénat, le 2 mars 2020 et elle s’est vue, sans surprise modifiée par cette dernière. Certains
articles ont été supprimés, d’autres ont été modifiés, et aujourd’hui sur fond de crise sanitaire,
le Sénat ne s’est toujours pas réuni en séance publique pour discuter de la proposition. Malgré
tout, les grandes lignes de cette loi se dessinent et une mesure parmi celles proposées fait parler
d’elle, celle de créer un « nouveau droit de propriété » fondé sur la dissociation du foncier et
du bâti, au motif de l’urgence de baisser les prix de l’immobilier. Cette mesure n’est pas perçue
d’un très bon œil dans un pays où plus de la moitié des ménages est propriétaire et où l’accès à
la propriété immobilière est souvent un objectif de vie. Ce démembrement est une norme dans
certains pays, mais les prix de l’immobilier y sont-ils réellement moins élevés pour
autant ? D’autres mesures moins contraignantes en droit ne seraient-elles pas envisageables ?
Dans la première section sera étudié la mesure phare de la proposition de loi : la
dissociation du foncier et du bâti, il conviendra d’étudier la situation juridique actuelle en
soulignant les instruments existants qui permettent déjà de dissocier le foncier du bâti et
également de mesurer les effets de cette dissociation sur les prix de l’immobilier, en prenant le
cas de pays où ce régime est la norme. De plus, il sera nécessaire d’étudier comment dans notre
droit national, cette règle d’exception pourrait-elle devenir la norme sans se heurter à la
Constitution et au droit communautaire.
Dans la seconde section, nous verrons que d’autre mesures non proposées par la loi Lagleize
pourraient permettre d’optimiser le foncier et de baisser son coût sans toucher au caractère
« sacré » du droit de propriété.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 9
SECTION I : CASSER LA HAUSSE DES PRIX DU FONCIER EN
DISSOCIANT LE FONCIER DU BÂTI
Sous-section I – La situation actuelle
Des instruments juridiques permettant la dissociation du foncier et du bâti existent déjà dans
notre système juridique national. Même si la règle de principe qui dispose que lorsqu’on est
propriétaire du sol on est propriétaire de tout ce qui est érigé sur ce sol prévaut aujourd’hui
largement il existe des moyens légaux et conventionnels permettant de véritablement dissocier
cette propriété du sol et du dessus. Ainsi cette règle de dissociation du foncier et du bâti peut
effrayer notamment en France et surtout quand on sait que l’objectif de nombreux Français est
d’accéder à la propriété et si c’est en acquérant un terrain sur lequel faire construire sa maison
individuelle c’est encore mieux. Mais hélas, la vérité est qu’accéder à la propriété est compliqué
surtout dans les zones tendues et ce, même pour les classes moyennes. Il est urgent de créer des
systèmes d’accès à la propriété pour le plus grand nombre. Pour ce faire, le moyen le plus
simple et le plus économique ne serait-il pas finalement de ne pas être propriétaire du sol mais
seulement des murs ?
I- L’emphytéose : instrument juridique majeur permettant la dissociation du
foncier du bâti
L’instrument le plus ancien est l’emphytéose, système qui permet sous la forme d’un bail
de longue durée, d’octroyer des droits réels à un preneur mais qui ne lui confère pas le statut de
nu-propriétaire même si certains caractères du droit de propriété lui sont transférés. Le bail
emphytéotique tel qu’il existait à l’origine est moins utilisé en matière de droit de la
construction et on lui préfère aujourd’hui d’autres formes de baux faisant peser de réelles
obligations sur le preneur, telle que l’obligation de construire ou de réhabiliter.
A) Le bail à construction et le bail à réhabilitation
Le régime du bail à construction et du bail à réhabilitation sont similaires sur de nombreux
points mais la distinction se fait sur le caractère différent des obligations qui incombent au
preneur. En effet, l’obligation de construire peut prêter à confusion et il conviendra de
déterminer la limite entre construction et réhabilitation.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 10
1) Le bail à construction
Créé par la loi n°64-1247 du 16 décembre 1964, le bail à construction est défini et régi par
les articles L.251-1 à L251-9 du Code de la construction et de l’habitation. Il a largement été
inspiré par le bail emphytéotique notamment par sa durée mais il fait peser sur le preneur une
réelle obligation, ce qui le différencie : celle de construire sur le sol du bailleur.
A l’origine la volonté du législateur, en instituant ce nouveau bail, était de lutter contre la
rétention de terrain à bâtir de la part de certains propriétaires et de répondre à une demande de
logements à laquelle l’offre ne pouvait déjà pas répondre à l’époque. En effet en faisant peser
sur le preneur une obligation de construire le propriétaire du foncier s’assurait au terme du bail
de pouvoir récupérer la pleine propriété de son bien c’est-à-dire celle du sol et des constructions
érigées. Mais les résultats escomptés par la mise en place du bail à construction n’ont pas
répondu aux attentes du législateur qui souhaitait augmenter l’offre de logement et le bail à
construction à surtout eu du succès dans l’immobilier d’entreprise, en effet le preneur n’avait
pas à financer l’acquisition du terrain mais seulement celui de la construction des murs de son
entreprise.
Le bail à construction est donc un contrat par lequel le preneur s’engage à édifier des
constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute
la durée du bail. Sa durée doit être comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans. Le bail
à construction fait peser sur le preneur une obligation de construire sur le terrain du bailleur. La
Cour de cassation, dans un arrêt du 24 février 20055
avait requalifié un bail emphytéotique,
faisant peser sur le preneur une obligation de construire, en bail à construire. Le bail à construire
confère au preneur un droit réel immobilier, le preneur est donc locataire du terrain mais se voit
conférer une obligation de construire et en ce sens il se voit transférer en matière de construction
la maîtrise d’ouvrage pendant toute la durée du bail, c’est un élément important car le bailleur
ne pourra agir contre les constructeurs sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code
civil. Le preneur détient la pleine propriété des constructions pendant toute la durée du bail
mais au terme du bail les immeubles édifiés deviennent propriété du bailleur sauf convention
contraire. Le bail à construction ne peut faire l’objet d’un renouvellement tacite6
. Hormis, son
obligation principale de construire, le preneur doit également maintenir en bon état d’entretien
les constructions et procéder aux réparations de toute nature pendant toute la durée du bail. En
5
Pourvoi n° 2005/267065
6
CCH, art. L.251-1 al. 3: “Il est conclu pour une durée comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans. Il
ne peut se prolonger par tacite reconduction”.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 11
vertu des droits réels qu’il confère, il peut être hypothéqué par le preneur, de même que les
constructions qu’il a érigées7
. Le bail à construction, acte de disposition, doit être rédigé sous
la forme authentique et publié au fichier immobilier.
L’article L. 251-5 du CCH fixe le prix du bail en laissant une liberté contractuelle aux
parties. En effet il dispose que « le prix du bail peut consister en toute ou partie, dans la remise
au bailleur à des dates et dans des conditions convenues, d’immeubles ou de fractions
d’immeubles ou de titres donnant vocation à la propriété ou à la jouissance de tels immeubles ».
Un loyer payable en espèce n’est donc pas exigé et la cession de droits réels au bailleur peut
être une contrepartie admise.
Ce même article poursuit dans ses dispositions que : « s’il est stipulé un loyer périodique
payable en espèces, ce loyer est affecté d’un coefficient révisable par période triennales
comptées à partir de l’achèvement des travaux. Toutefois la première révision a lieu au plus
tard dès l’expiration des six premières années du bail. »
Cependant, la Cour de cassation8
est venue nuancer cette règle de révision du loyer en précisant
que les textes relatifs à la révision triennale ne sont pas d’ordre public et les parties peuvent
tout à fait prévoir une révision annuelle basée sur l’indice du coût de la construction (ICC).
2) Le bail à réhabilitation
Vingt-cinq ans après la création du bail à construction, la loi n°90-449 du 31 mai 1990
visant à la mise en œuvre du droit au logement, crée en son article 11 le bail à réhabilitation.
Partant du double constat qu’il devient nécessaire de restaurer l’habitat et d’augmenter l’offre
de logements sociaux le législateur créé une nouvelle forme de bail emphytéotique. Régi par
les articles L.252-1 à L.252-6 du CCH, le bail à réhabilitation confère également au preneur des
droits réels mais qui sont assortis d’une obligation de réaliser des travaux d’amélioration sur le
bien immobilier du bailleur. Contrairement au bail à construction, lequel peut être contracté par
7
CCH, L.251-3 : « Le bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier.
Ce droit peut être hypothéqué, de même que les constructions édifiées sur le terrain loué ; il peut être saisi dans
les formes prescrites pour la saisie immobilière.
Le preneur peut céder tout ou partie de ses droits ou les apporter en société. Les cessionnaires ou la société sont
tenus des mêmes obligations que le cédant qui en reste garant jusqu'à l'achèvement de l'ensemble des constructions
que le preneur s'est engagé à édifier en application de l'article L. 251-1.
Le preneur peut consentir les servitudes passives indispensables à la réalisation des constructions prévues au
bail. »
8
Civ. 3e, 4 mars 1981
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 12
n’importe quelle personne en capacité de contracter, le preneur au bail à réhabilitation doit
impérativement être une des personnes morales suivantes9
:
 Un organisme d’habitations à loyer modéré ;
 Une société d’économie mixte (SEM) dont l’objet est de construire ou de donner à
bail des logements ;
 Une collectivité territoriale ;
En plus de définir la qualité du preneur à bail, l’article L.251-1 impose une double
obligation de résultat au preneur : « réaliser dans un délai déterminé des travaux
d’amélioration sur l’immeuble du bailleur » et « à le conserver en bon état d’entretien et de
réparations de toute nature en vue de louer cet immeuble à usage d’habitation pendant toute
la durée du bail »
L’article 251-1 vient repréciser une règle importante, le bail doit stipuler la nature des travaux,
leurs caractéristiques techniques et le délai de leur exécution. Comme pour le bail à
construction, en fin de bail les améliorations réalisées bénéficient au bailleur sans
indemnisation.
Sa durée diffère cependant du bail à construction puisqu’elle est de douze ans minimums et ce
bail ne peut également pas se prolonger par tacite reconduction.
Ce bail délivrant des droits réels peut être assorti de certaines sûretés et peut donc être
hypothéqué. Sa cession est règlementée puisqu’elle ne peut être consentie « qu’à l’un des
organismes mentionnés au premier alinéa de l’article L.252-110
» et nécessite l’accord du
9
CCH, L.252-1: Est qualifié de bail à réhabilitation et soumis aux dispositions du présent chapitre le contrat
par lequel soit un organisme d'habitations à loyer modéré, soit une société d'économie mixte dont l'objet est de
construire ou de donner à bail des logements, soit une collectivité territoriale, soit un organisme bénéficiant de
l'agrément relatif à la maîtrise d'ouvrage prévu à l'article L. 365-2 s'engage à réaliser dans un délai déterminé
des travaux d'amélioration sur l'immeuble du bailleur et à le conserver en bon état d'entretien et de réparations
de toute nature en vue de louer cet immeuble à usage d'habitation pendant la durée du bail.
Le contrat indique la nature des travaux, leurs caractéristiques techniques et le délai de leur exécution.
En fin de bail, les améliorations réalisées bénéficient au bailleur sans indemnisation.
Le bail à réhabilitation est consenti par ceux qui ont le droit d'aliéner et dans les mêmes conditions et formes
que l'aliénation. Il est conclu pour une durée minimale de douze ans. Il ne peut se prolonger par tacite
reconduction.
Le présent article s'applique aux immeubles soumis ou non au statut de la copropriété prévu par la loi n° 65-557
du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Dans le cas d'un immeuble soumis au
statut de la copropriété, il peut s'appliquer à un ou plusieurs lots.
10
CCH, L.252-2 : Le preneur est titulaire d'un droit réel immobilier. Ce droit peut être hypothéqué ; il peut être
saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 13
bailleur. Faut-il préciser que la clause interdisant la cession du bail serait réputée non écrite. Le
droit réel peut donc être cédé dans certaines conditions et doit obligatoirement porter sur
l’ensemble de l’immeuble loué. De plus, « le cédant demeure garant de l’exécution du bail par
le cessionnaire », vu le caractère intuitu-personae du contrat de bail.
L’emphytéose évolue, il a fallu attendre vingt-cinq ans entre le bail à construction et le bail
à réhabilitation, et c’est à nouveau vingt-cinq après la parution du bail à réhabilitation que le
législateur est venu créer un nouveau régime à l’emphytéose : le bail réel solidaire et le bail réel
immobilier.
B) Le bail réel solidaire (BRS) et le bail réel immobilier (BRI)
1) Le bail réel solidaire (BRS)
Il a été créé par la loi n°2015-990 du 6 août 2015 dite loi « pour la croissance et l’égalité
des chances économiques » et a été introduit par l’ordonnance n°2016-985 du 20 juillet 2016.
Il est aujourd’hui défini et encadré par les articles L.255-1 à L. 255-19 du Code de la
construction et de l’habitation. Le bail réel solidaire illustre parfaitement la dissociation de la
propriété du foncier et du bâti.
a) Les organismes de foncier solidaire (OFS)
 Définition
Ce nouvel acteur foncier, l’organisme de foncier solidaire (OFS), a été créé par l’article
164 de la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové
(ALUR). Ainsi, l’article 329-1 du Code de l’urbanisme régit le fonctionnement des OFS.
« Les organismes de foncier solidaire sont des organismes sans but lucratif agréés par le
représentant de l'Etat dans la région, qui, pour tout ou partie de leur activité, ont pour objet
d'acquérir et de gérer des terrains, bâtis ou non, en vue de réaliser des logements et des
équipements collectifs conformément aux objectifs de l'article L. 301-1 du code de la
construction et de l'habitation.
Ce droit est cessible nonobstant toute convention contraire. La cession ne peut être consentie qu'à l'un des
organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 252-1, avec l'accord du bailleur. Le droit ne peut être
cédé que s'il porte sur la totalité de l'immeuble loué. Le cédant demeure garant de l'exécution du bail par le
cessionnaire.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 14
L'organisme de foncier solidaire reste propriétaire des terrains et consent au preneur, dans le
cadre d'un bail de longue durée, s'il y a lieu avec obligation de construire ou de réhabiliter des
constructions existantes, des droits réels en vue de la location ou de l'accession à la propriété
des logements, à usage d'habitation principale ou à usage mixte professionnel et d'habitation
principale, sous des conditions de plafond de ressources, de loyers et, le cas échéant, de prix
de cession.
L'organisme de foncier solidaire peut bénéficier de la décote prévue à l'article L. 3211-7 du
code général de la propriété des personnes publiques.
Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. »
La loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 (ELAN) en son article 88 est venue modifier
la rédaction de l’article originel et il est désormais ainsi rédigé :
« Les organismes de foncier solidaire ont pour objet, pour tout ou partie de leur activité,
d'acquérir et de gérer des terrains, bâtis ou non, en vue de réaliser des logements et des
équipements collectifs conformément aux objectifs de l'article L. 301-1 du code de la
construction et de l'habitation.
Les organismes de foncier solidaire sont agréés par le représentant de l'Etat dans la région.
Peuvent être agréés à exercer l'activité d'organisme de foncier solidaire, à titre principal ou
accessoire, les organismes sans but lucratif et les organismes mentionnés aux articles L. 411-
2 et L. 481-1 du même code.
L'organisme de foncier solidaire reste propriétaire des terrains et consent au preneur, dans le
cadre d'un bail de longue durée, s'il y a lieu avec obligation de construire ou de réhabiliter des
constructions existantes, des droits réels en vue de la location ou de l'accession à la propriété
des logements, à usage d'habitation principale ou à usage mixte professionnel et d'habitation
principale, sous des conditions de plafond de ressources, de loyers et, le cas échéant, de prix
de cession.
L'organisme de foncier solidaire peut bénéficier de la décote prévue à l'article L. 3211-7 du
code général de la propriété des personnes publiques.
Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. »
Cette nouvelle rédaction vient préciser les organismes pouvant être agréées OFS, ainsi les OFS
peuvent être les collectivités, les organismes et coopératives d’habitations à loyer modéré, les
établissements publics fonciers (EPF) (CCH L.411-2). L’article 481-1 du même code ajoute
les sociétés d’économie mixte de construction et de gestion de logements, lesquelles possèdent
environ 11% du parc social en France.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 15
Nombre d’OFS et de BRS prévus, Rapport Lagleize, p. 128
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 16
 Fonctionnement
L’objet principal de l’OFS est d’acquérir des terrains bâtis ou non et de les mettre à
disposition d’acquéreurs au moyen de baux de longue durée, en l’espèce le bail réel solidaire
est privilégié. L’OFS reste propriétaire du foncier, mais le preneur fait l’acquisition des
constructions, conséquence de quoi il devient propriétaire des murs mais pas du foncier, et doit
verser une redevance à l’OFS correspondant à l’occupation du foncier. Le fonctionnement de
ce système de dissociation de la propriété doit être encadré et la mise en place du bail réel
solidaire doit sécuriser ce nouveau système d’accession à la propriété.
Schéma du fonctionnement de l’OFS, Rapport Lagleize, p. 127
b) Le bail réel solidaire (BRS)
Le BRS est issu de l’ordonnance n°2016-985 du 20 juillet 2016 en application de l’article
94 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances
économiques. Le BRS est codifié aux articles L.255-1 à L.255-19 du CCH, différents
règlements sont venus par la suite compléter les textes législatifs (R. 255-1 à R. 255-9).
L’acquéreur achète un droit réel au logement, mais pas le foncier, en vue de l’occuper ou de le
louer. Il verse une redevance périodique à l’organisme propriétaire du terrain, aux termes d’un
bail rechargeable de 18 à 99 ans correspondant à la location du foncier.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 17
Il peut revendre ce droit réel et récupérer l’épargne constituée par son emprunt ainsi que la plus-
value, qui est encadrée. Les acquéreurs successifs sont soumis aux mêmes conditions de
ressources que le primo-acquéreur et le prix de revente du bien, qui correspond en l’espèce à
une cession de droits réels, est encadrée par un calcul indexé sur l’IRL ou l’ICC.
Ces conditions de ressources sont fixées par décret en Conseil d’Etat et correspondent
aujourd’hui aux conditions de ressources du prêt social location-accession (PSLA). Les
ménages éligibles bénéficient de la TVA à taux réduit et du prêt à taux zéro.
Les plafonds de ressources sont les suivants11
:
La loi Lagleize viendra peut-être modifier les plafonds de ressource du BRS, la commission
des affaires économiques du Sénat s’est dit favorable à l’augmentation des plafonds de
ressource pour accéder au BRS. Elle souhaiterait l’ouverture de cet outil aux classes moyennes.
Elle propose donc que les personnes qui puissent bénéficier du dispositif soient celles respectant
« le plafond du prêt locatif social (PLS) majoré de 11 % et dans la limite de 25 % de logements
vendus, à des personnes à revenu intermédiaire ».
11
https://www.anil.org/documentation-experte/analyses-juridiques-jurisprudence/analyses-juridiques/analyses-
juridiques-2016/accession-sociale-psla-zones-anru-plafonds-2020/
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 18
L’objectif du BRS étant de permettre à des ménages de classe intermédiaire voire, de classe
intermédiaire-inférieure d’accéder à la propriété notamment dans les zones tendues, le BRS est
pourvu de certains mécanismes visant à contrer la spéculation.
La durée du bail est de 99 ans maximum et il ne peut être renouvelé par tacite reconduction,
c’est un bail dit rechargeable, c’est-à-dire qu’en cas de mutation, le nouvel occupant bénéficiera
d’un bail renouvelé à la durée initiale.
Le prix de revente du logement est également encadré et ne peut dépasser les plafonds de prix
du PSLA qui sont les suivants12
:
Plafonds du PSLA pour l’année 2020
De plus le vendeur d’un logement sous BRS en contrepartie d’un prix d’acquisition plus faible
que dans un cadre classique ne pourra pas espérer faire de plus-value sur la revente de ses droits
réels, le mécanisme anti-spéculation semble dès lors plutôt efficace.
Le logement doit être occupé à titre de résidence principale pendant toute la durée du bail, des
conditions de location peuvent être prévues, mais la clause interdisant au preneur de louer son
logement serait tout à fait légale13
.
12
https://www.anil.org/documentation-experte/analyses-juridiques-jurisprudence/analyses-juridiques/analyses-
juridiques-2016/accession-sociale-psla-zones-anru-plafonds-2020/
13
CCH, L.255-2 : « Le bail réel solidaire peut être consenti à un preneur qui occupe le logement. Les plafonds
de prix de cession des droits réels et de ressources du preneur sont fixés par décret en Conseil d'Etat.
L'organisme de foncier solidaire peut, en fonction de ses objectifs et des caractéristiques de chaque opération,
appliquer des seuils inférieurs.
Le contrat de bail peut, en fonction de ses objectifs et des caractéristiques de chaque opération, prévoir que le
preneur doit occuper le logement objet des droits réels sans pouvoir le louer. »
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 19
2) Le Bail réel immobilier (BRILO)
Institué dans le CCH aux articles L.254-1 à l.254-9 par l’article 4 de l’ordonnance n°2014-
159 du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire, le bail réel immobilier ou bail réel
immobilier de longue durée (BRILO) revêt des similitudes avec les différents baux consécutifs
de droits réels présentés jusqu’à présent. Si l’objectif du BRS est de permettre l’accès à la
propriété pour les classes moyennes, l’objectif du BRILO est sensiblement similaire puisque
son objectif est de favoriser l’accès au logement et à la propriété temporaire pour les classes
dites « intermédiaires » d’où les termes abordés prochainement de logements intermédiaires.
Comme pour le BRS, les prix du bail, les conditions d’affectation du bien et les modalités de
sa cession sont encadrés.
Dans sa version initiale l’article L.254-1 rendait possible l’utilisation de ce bail seulement
dans les zones dites tendues mais la loi n°2015-990 du 6 août 2015 est venue supprimer cette
condition géographique et a rendu possible le recours à cette forme de bail sur tout le territoire
national. Si le bailleur du BRS doit obligatoirement être un OFS, le législateur n’a pas imposé
de statut particulier au bailleur du BRILO, il peut être conclu par une personne physique ou
morale de droit privé ou par une personne publique telle que les collectivités territoriales ou les
établissements publics fonciers de l’Etat. Il peut être conclu pour une durée allant de dix-huit à
quatre-vingt-dix-neuf ans, il ne peut pas faire l’objet d’une tacite reconduction et ne peut être
résilier unilatéralement. Le BRILO doit obligatoirement porter sur une résidence principale,
l’article R. 254-4 précise que les locaux accessoires permettant une activité professionnelle est
possible dès lors que la surface de ces locaux ne dépasse pas 25% de la superficie de l’immeuble
objet du bail réel immobilier.
Si la qualité du bailleur est suffisamment large pour pouvoir y recourir celle du preneur
supporte davantage de conditions, de la même que pour le BRS, le preneur doit obéir à des
plafonds de ressource et s’obliger à construire ou à réhabiliter les constructions existantes. On
pourrait penser que le BRILO se rapprocherait plus d’une forme de BRS mais en réalité il est
un mélange de BRS, bail à construction ou bail à réhabilitation.
Le preneur devant obligatoirement effectuer des travaux de construction ou de réhabilitation
dans le logement et respecter des conditions de ressources, qui sont les plafonds d’attribution
des aides au logement. Le bail réel immobilier, dans la pratique, s’adresse généralement en
première partie à des professionnels (preneur-acquéreur) faisant des travaux dans un logement
qui louent ensuite le bien à des personnes obéissant aux plafonds de ressources du logement
intermédiaire et pour lesquels les loyers sont également plafonnés.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 20
Source : Agence Nationale de l’Habitat données valables pour la France métropolitaine
Source : Agence Nationale de l’Habitat, données valables pour la France métropolitaine
Ces régimes spécifiques de dissociation du foncier et du bâti existent en France, ils sont
aujourd’hui peu connus et cette dissociation de la propriété reste largement exceptionnelle dans
notre pays même si le législateur l’encadre beaucoup grâce à différents baux spécifiques.
L’emphytéose existe depuis de nombreuses années, et de nombreuses déclinaisons de ce
système existent aujourd’hui dans notre pays. Dans d’autres pays, géographiquement proches
tel qu’au Royaume-Uni ce système de dissociation du droit de propriété y est la norme, pour
autant les prix de l’immobilier y sont-ils inférieurs aux nôtres ? Les britanniques accèdent-ils
facilement à la propriété ? Les logements y sont-ils plus abordables ?
II- Le cas de nos voisins
Deux systèmes très différents l’un de l’autre seront étudiés dans cette partie, le Royaume-
Uni pays voisin qui pourtant à un système juridique et de propriété diamétralement opposé à
notre système latin et l’Allemagne.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 21
A) Le Royaume-Uni
Le Royaume-Uni à un système juridique de Common Law, se fondant sur un droit plus
coutumier que le nôtre. La dissociation du foncier et du bâti y est davantage la norme. En effet,
si bien dans le secteur du logement libre que celui du logement social. Dans le logement social,
les Community Land Trust (CLT) sont les organismes se rapprochant le plus des organismes
fonciers solidaires (OFS) en France. Ils ont un fonctionnement relativement similaire dans le
sens où ces organismes sont à but non lucratif et ont comme point commun de détenir du foncier
sur lesquels des logements sont bâtis, puis loués à des coûts abordables évoluant très peu
puisque le foncier n’a pas vocation à être céder. Cette dissociation à vocation sociale du foncier
est généralisée au Royaume-Uni à l’accession à la propriété classique. Ce système remonte à
l’époque féodale, ainsi la moitié de l’Angleterre est détenue par 1% de la population. Ainsi
l’acquéreur britannique achète de façon quasi-systématique sous forme de bail emphytéotique
(leasehold), qui lui confère un droit de pleine propriété sur le bâti pour une durée de 21à 99 ans.
Ce système généralisé au Royaume-Uni (sauf en Ecosse) surtout dans les métropoles, zones
tendues, laisse l’occasion au leaseholder de céder son droit, d’hypothéquer son bien ou de le
louer. En contrepartie, le leaseholder verse une rente au propriétaire du foncier (le freeholder),
correspondant au droit d’occupation du sol14
.
Il est possible d’acquérir un bien en pleine propriété au Royaume-Uni, sol et construction,
mais cela reste compliqué, car nombre de biens anglo-saxons sont placés sous ce statut et il
reste peu de foncier disponible. La propriété foncière est ultra concentrée, en Grande-Bretagne,
ainsi 25.000 propriétaires fonciers détiennent la moitié de l’Angleterre15
. Ces derniers sont des
aristocrates, des membres de la noblesse, des entreprises, des banquiers, le service public ou
encore la famille royale qui détiendrait 1,4% du foncier.
Il n’y a pas eu de réformes en la matière visant à lutter contre ce phénomène de concentration
de la propriété, les seules mesures en matière de logements consistent à contenir l’envolée des
prix de l’immobilier et à lutter contre la pénurie de logements.
Alors ce système généralisé de dissociation du foncier permet-il de lutter contre la rareté du
foncier et de contenir la hausse des prix ?
14
https://www.lesechos.fr/patrimoine/immobilier/logement-au-royaume-uni-la-dissociation-du-foncier-et-du-
bati-remonte-a-lepoque-feodale-1152134
15
https://www.theguardian.com/money/2019/apr/17/who-owns-england-thousand-secret-landowners-author
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 22
Répondre de manière affirmative n’est pas évident, en effet se loger à Londres dans un deux
pièces coûterait plus de 1.300 £/mois selon la mairie de Londres16
, alors qu’à Paris les prix des
loyers seraient de 35 €/mois par mètre carré, ce qui reviendrait à 1.400 €/mois pour un deux
pièces de 40m2
.
B) L’Allemagne
Le droit allemand est basé sur un système fédéral, comparable au Droit Français dans le sens
où l’ordre juridictionnel comprend également trois instances (première instance, appel et la
révision), il s’en différencie en ayant également des tribunaux régionaux et a un système
juridique plus décentralisé que le nôtre, dans le sens où les länder disposent de pouvoir locaux
dans certains domaines et notamment en droit de l’urbanisme. Il n’existe pas dans le système
germanique de moyens de dissociation du foncier et du bâti, ce qui n’empêche pas l’Allemagne
de proposer des logements à des prix plus abordables que beaucoup de pays européens. Si à
Paris les prix de l’immobilier dépassent les 10.000 €/m², à Berlin le prix moyen au mètre carré
tourne autour de 3.700 € et montent jusqu’à 6.000 € dans l’hyper centre17
. Si l’objectif de
nombreux français est de devenir propriétaire de leur logement, la logique allemande est bien
différente, il n’est pas problématique pour les allemands de demeurer éternellement locataire,
les prix des loyers y sont relativement bas (en moyenne 12 €/m² à Berlin, contre 26 € à Paris).
Cependant les prix d’acquisition étant largement inférieurs à la moyenne des autres capitales
européennes attractives, l’Allemagne attire de plus en plus d’investisseurs étrangers et s’expose
ainsi davantage à un risque de spéculation immobilière et à une hausse des prix de l’immobilier,
et c’est ce qu’il se passe depuis 2018. Pour essayer de contrer ce phénomène, de pénuries de
logements et de hausse des loyers l’Etat fédéral souhaite réformer le droit de la construction au
niveau national afin d’harmoniser les normes qui aujourd’hui dépendent de chaque Länder.
Malgré tout, les enjeux en matière de stratégie immobilière sont semblables à ce qu’il se passe
en France, il s’agit de construire davantage, de rendre disponible du foncier et de juguler la
hausse des prix.
En matière de fiscalité immobilière, il existe une taxe sur les mutations immobilières
(Grunderwerbsteuer) qui se rapproche de notre système d’imposition sur les plus-values, c’est
16
https://www.london.gov.uk/what-we-do/housing-and-land/improving-private-rented-sector/london-rents-
map#acc-i-48690
17
https://www.lesechos.fr/patrimoine/immobilier/immobilier-a-letranger-lallemagne-un-marche-abordable-mais-
sous-tension-1128266
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 23
un impôt que les allemands appellent souvent « impôt sur la spéculation », il concerne tous les
biens vendus, même ceux qui constituaient la résidence principale des vendeurs, et détenus
depuis moins de dix ans. En matière de TVA les ventes de logements neufs et de terrains à bâtir
en sont exonérés.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 24
Sous-section II – Vers une redéfinition de la notion du droit de propriété
La propriété est un élément fondamental du droit et un des droits les plus ancien qu’il puisse
exister, où le roi n’a cessé de la protéger à travers les âges en sanctionnant sévèrement les
atteintes qui pouvaient lui être portées, et le législateur aujourd’hui ne cesse de la protéger et
de la redéfinir notamment en matière immobilière.
I- L’état du Droit
La notion de droit de propriété et sa définition n’a cessé d’évoluer à travers l’histoire. Dans
les sociétés « dites primitives » la notion de propriété existait seulement pour les biens
mobiliers, les objets qui étaient à usage de chaque personne de la société. Le sol, lui,
n’appartenait à personne.
Il a fallu attendre l’émergence du droit romain, pour voir apparaître le tout premier partage des
terres et le règne de l’Empereur Justinien vers 530 pour voir émerger aussi les trois caractères
du droit de propriété que nous connaissons aujourd’hui :
- Le Jus utendi : l’usus, le droit d’usage de la chose ;
- Le Jus fruendi : le fructus, le droit de percevoir les fruits de la chose ;
- Le Jus abutendi : l’abusus, le droit de disposer de la chose ;
Au Moyen-Age le droit de propriété se complexifia quelque peu, notamment en ce qui
concerne le régime de propriété immobilière. La propriété mobilière quant à elle était assez
simple puisque les biens corporels avaient peu de valeur et chacun avait sur ses biens mobiliers
un droit de propriété absolu. Les seigneurs étaient propriétaires des terres mais confiaient la
jouissance à des tenanciers. Ces derniers devaient payer une redevance au souverain et s’ils
souhaitaient vendre leur droit sur leur terre ils devaient s’acquitter de frais de mutation
importants. Il existait également une forme de propriété collective où une partie du foncier
appartenait pour majorité au clergé.
Il a fallu ensuite attendre la révolution de 1789 et la Déclaration des droits de l’Homme et
du citoyen pour voir se dessiner le caractère sacré du droit de propriété que nous connaissons
aujourd’hui. « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce
n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité18
». La DDHC faisant partie du bloc de
constitutionnalité, le droit de propriété est un droit fondamental, sacré, reconnu par la
Constitution, dont le garant est le Conseil constitutionnel.
18
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, article 17
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 25
A) Le Droit national
L’article 544, en application de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen définit
la propriété comme « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue
pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». La propriété
est un droit réel, absolu, individuel et perpétuel.
La propriété peut être démembrée, certains démembrements sont prévus par le Code civil, tels
que les servitude, l’usufruit, ou encore le droit d’usage et d’habitation. Cependant, certains
démembrements n’ont pas été prévus par le Code civil, c’est notamment le cas des baux de
longue durée, qui sont en réalité des droits réels démembrés, l’emphytéose par exemple est
définie par le Code rural, ou encore ses déclinaisons, lesquelles ont été abordées précédemment
tels que, le bail réel solidaire, le bail réel immobilier, le bail à construction et le bail à
réhabilitation.
Alors, une question se pose, une dissociation du foncier et du bâti plus généralisée serait-
elle en accord avec la Constitution ? La Constitution protège-t-elle les droits réels immobiliers ?
Le droit français prévoit déjà des baux longue durée dissociant de fait le foncier du bâti, il
s’agit des baux étudiés précédemment. Du point de vue constitutionnel ces baux, modifiant le
régime général du droit de propriété ne sont pas anticonstitutionnel car « ils se fondent sur un
motif suffisant d’intérêt général, à savoir l’accession sociale à la propriété ». Même si le Conseil
constitutionnel ne s’est jamais prononcé directement sur le caractère constitutionnel des droits
réels sur les biens d’autrui par rapport à la DDHC qu’en est-il de la généralisation souhaitée via
la mise en place d’un bail réel libre octroyant un droit de propriété temporaire ?
Il n’y a pas aujourd’hui de réponse du Conseil des sages sur ce sujet et la protection des droits
réels immobiliers mais le droit français permet la séparation du foncier et du bâti dans les
transactions immobilières. La limite que l’on pourrait trouver à ce système aujourd’hui ne paraît
pas tant relever du droit mais davantage de la philosophie ou de la psychologie.
Le droit européen quant à lui a une position plus limpide sur la protection des droits réels
immobiliers.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 26
B) Le Droit communautaire
L’article 1 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’Homme (CESDH) dispose que « Toute personne physique ou morale a droit au
respect de ses biens ». Il est important de noter que pour la Cour, le terme de biens ne désigne
pas seulement des biens mobiliers ou immobiliers mais désigne également les baux. Par
extension elle avait également défini les droits réels comme des biens, puisque les biens sont «
des droits dotés d’une valeur économique ».
A propos du droit au respect, il s’apprécie selon deux critères : le droit d’accès au bien, c’est-
à-dire la liberté de pouvoir l’acquérir, et sa protection. Si la liberté d’acquérir un bien ou un
droit est facilement compréhensible la protection des biens ou des droits que l’on possède est
parfois limitée puisqu’il existe certains cas où l’on peut être privé de sa propriété. Des directives
européennes ont à plusieurs reprises énumérées ces cas et les transpositions dans les différents
droits nationaux des Etats membres sont plutôt bien respectés. L’atteinte au caractère sacré du
droit de propriété est donc parfois possible, par l’intermédiaire de l’expropriation mais cette
dernière doit toujours avoir une cause d’utilité publique.
II- L’application de ce « nouveau droit » dans le Droit positif
Suivant un modèle semblable au système des OFS organisant le BRS, la proposition de loi
Lagleize prévoit la mise en place d’organisme fonciers libres organisant le bail réel libre afin
de simplifier le régime des baux temporaires de longue durée qui peuvent déjà exister. En effet,
le principal obstacle du dispositif BRS, selon M. Lagleize, est qu’il est limité à l’accession
sociale à la propriété et qu’il est « trop restreint pour avoir un véritable impact sur le prix du
foncier ».
A) Les Organismes fonciers libres (OFL)
C’est l’article 2, de cette proposition de loi qui fait polémique et qui laisse beaucoup de
personnes dans l’incompréhension.
L’article 2 prévoit donc de modifier le Chapitre IX du Titre II du Livre III du Code de
l’urbanisme en « Organismes fonciers et solidaires ».
Cet article vise à modifier l’article L.329-1 du Code de l’urbanisme en supprimant à chaque
alinéa le terme « solidaire ».
De fait, il existerait un régime général d’organismes fonciers dans lequel serait inclus les OFS
et les OFL, reste à voir quel régime particulier sera appliqué pour différencier ces deux
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 27
organismes qui comportent malgré tout certaines différences au vu des différents enjeux. La
proposition de loi adoptée par l’Assemblée Nationale et désormais devant le Sénat qui doit se
prononcer sur l’autorisation donnée au Gouvernement, aux termes de l’article 38 de la
Constitution, de prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi afin
de créer un régime d’organismes fonciers qui seraient détenus majoritairement par une ou
plusieurs personnes publiques afin d’éviter la spéculation foncière19
. Cette généralisation du
régime souhaitée par cette proposition de loi voudrait qu’en plus d’être majoritairement détenus
par des personnes publiques, ces organismes aient pour objet « pour tout ou partie de leur
activité, d’acquérir et de gérer des terrains, bâtis ou non, en vue de réaliser des logements, des
locaux à usage commercial, des locaux à usage de bureaux et des équipements collectifs, au
moyen de baux de longue durée, en tenant compte des caractéristiques des marchés et de la
nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements ».
Si les OFS avaient pour objet principal la réalisation de logements sociaux, cette proposition de
loi vient étendre aux organismes fonciers libres la possibilité de réaliser des logements libres,
des locaux commerciaux, des bureaux et des équipements collectifs aux moyens d’un bail
temporaire de longue durée lequel serait semblable au BRS.
B) Le bail réel libre
Le bail réel libre serait l’outil de développement de la séparation du foncier et du bâti dans
le secteur non social. Dans la continuité de création des OFL, cet article 2 prévoit clairement
d’autoriser le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance afin de :
- « Créer un bail prorogeable garantissant la dissociation de la propriété du bâti du
preneur et de la propriété du foncier des organismes » mentionnées précédemment.
- « Prévoir les conditions par lesquels ce bail réel accorde au preneur des droits réels en
vue de la location ou de l’accession à la propriété, sous des conditions, dans les zones
tendues, de loyers ou de prix de cession »
- « Définir les conditions de mutations et surtout la valeur des droits réels »
- « Définir les règles applicables en cas de résiliation ou de méconnaissance des
obligations propres à ce contrat »
- « Adapter ou fusionner, si nécessaire, le régime du bail réel immobilier et du bail réel
solidaire avec ce nouveau régime, tout en en conservant leurs champs respectifs
d’utilisation et leurs caractéristiques »
19
Proposition de Loi n°163 – Sénat – 28 Novembre 2019
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 28
La commission des affaires économiques du Sénat, le 4 mars 2020 a rendu un rapport qui
vient critiquer cette proposition de loin en particulier cet article 2 qui vise finalement à autoriser
le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance et donc à dessaisir le Parlement d’un sujet
qui ne fait pas consensus et qui n’est pas juridiquement incontestable. En effet, la commission
économique s’interroge sur la constitutionnalité du dispositif, estimant que « M. Lagleize
affirme dans son rapport que le foncier est un bien public qui doit être retiré du marché pour
permettre une forte régulation des transactions immobilières ». Pour l’instant la mesure phare
de la proposition de loi Lagleize est donc devant le Sénat.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 29
SECTION II : OPTIMISER ET BAISSER LE COUT DU FONCIER EN
ENVISAGEANT D’AUTRES MESURES
D’autres mesures non prévues par la proposition de loi Lagleize auraient pu être envisagées
pour optimiser et baisser le coût du foncier, certaines avaient été pensées par le rapport initial
mais peut-être existerait-il d’autres leviers pour y parvenir.
Sous-section I- Les autres mesures prévues par la proposition de loi Lagleize
I- Les observatoires fonciers
A) L’état embryonnaire de l’observation foncière
Le rapport Lagleize par d’un constat assez simple, le régime des transactions portant sur
des terrains constructibles repose sur la spéculation foncière. L’Etat, les collectivités
territoriales, les professionnels de la construction, les promoteurs s’en plaignent allègrement
mais n’hésitent pourtant pas parfois à acquérir des terrains à des valeurs largement supérieures
au prix du bien immobilier construit sur ces derniers. La raison est, elle aussi assez simple à
comprendre, le manque de logements, la concurrence, et la demande sont tel, notamment dans
les zones tendues, que les acteurs de la promotion et de l’aménagement se livrent à des batailles
d’offres pour être sûr d’obtenir la promesse de vente. Aucun acteur de la promotion ne connaît
la valeur d’un terrain, puisque la valeur de ce dernier dépend de son potentiel constructible et
du prix auquel le vendeur est prêt à céder son terrain. Cependant des vendeurs font également
de la rétention de foncier auprès des promoteurs. Il s’exerce ainsi une forme de chantage au
prix et un jeu d’enchères se met en place entre les différents promoteurs. C’est donc dans ce
contexte que le Gouvernement souhaite instaurer davantage de transparence dans le domaine
de l’observations des prix du foncier comme il l’a fait récemment dans plusieurs domaines. En
promotion immobilière on pourrait citer la loi ELAN qui oblige les requérants à enregistrer les
transactions financières en échange du retrait d’un recours contre une autorisation d’occupation
du sol. Les prix des transactions immobilières ont été ouvert au public et le site etalab20
référencie les dernières transactions immobilières enregistrées. En matière de construction le
site sit@del221
rend public les statistiques en matière de construction de logements ou de locaux
non résidentiels. Depuis quelques temps, le site Géoportail de l’urbanisme22
est également
20
https://app.dvf.etalab.gouv.fr
21
http://developpementdurable.bsocom.fr/statistiques/ReportFolders/ReportFolders.aspx?sRF_ActivePath=P,134
04,13504,13522&sRF_Mode=0&sRF_Expanded=,,P,13404,13504,13522,,
22
https://www.geoportail-urbanisme.gouv.fr
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 30
disponible pour obtenir des renseignements sur du foncier (numéro de parcelle cadastrale, zone
du PLU, etc.) de manière assez simple. On remarque bien que les Gouvernement successifs
souhaitent davantage de transparence dans de nombreux secteurs et l’immobilier n’est pas en
reste, cependant les données foncières sont encore assez obscures et la tension est telle que le
rapport Lagleize préconise « de renforcer la transparence et la mise en commun des données
d’observations locales en la matière ».
B) La création obligatoire d’observatoires fonciers
La proposition n°6 du rapport suggérait de « créer des observatoires du foncier à titre
obligatoire dans les zones tendues et à titre optionnel en zones détendues » en justifiant cette
proposition par le fait que les ménages n’ont pas accès à des données sérieuses et pertinentes
quant au coût réel du foncier, mais seulement « à des informations partielles issues
d’organismes ou d’entreprises ayant un intérêt à l’inflation foncière ».23
Il existe peu aujourd’hui d’observatoires fonciers, il en existe seulement deux : l’observatoire
régional du foncier en Ile-de-France (ORF) et l’observatoire foncier de Normandie.
Par exemple, le site de l’ORF est en accès libre sur internet et recense les valeurs foncières par
commune en Ile-de-France, observe l’évolution des marchés fonciers ou propose des actions
visant à améliorer l’utilisation et l’offre du foncier en Ile-de-France, notamment autour des
nouvelles gares du « Grand Paris ».
Le rôle des observatoires fonciers, au-delà de leurs simples études portant sur l’évolution des
coûts du foncier serait de véritablement accompagner les collectivités territoriales et locales
dans leur gestion de l’urbanisme, en les assistant notamment sur la réalisation des schémas de
cohérence territoriale (SCOT), des plans locaux de l’habitat (PLH) ou des plans locaux
d’urbanisme intercommunaux (PLUi) afin que ces derniers répondent à une véritable stratégie
foncière permettant de structurer davantage les territoires. Ces organismes pourraient
également recenser les friches urbaines, ou encore les terrains disponibles à octroyer à des OFS
ou OFL, et tout cela en lien avec les agences d’urbanisme existantes.
Ainsi, cette proposition du rapport Lagleize a été porté en l’article 3 de la proposition
de loi, dans sa version d’origine adopté par l’Assemblée Nationale, il prévoyait de mettre en
place avant le 1er
janvier 2021, dans les zones tendues, et de manière obligatoire un observatoire
foncier local.
23
Rapport Lagleize : Proposition n°6, p.39
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 31
Un article L.132-6-1 aurait été ainsi inséré au code de l’urbanisme :
« Les observatoires fonciers locaux ont notamment pour missions :
D’étudier les évolutions en matière de foncier sur leurs territoires de compétence en présentant
notamment l’évolution des prix des logements, du foncier et des charges foncières. Chaque
commune est informée de ces observations sur leur territoire ;
De présenter un état des lieux des surfaces potentiellement réalisables par surélévation des
immeubles jusqu’en limite de constructibilité́ fixée au plan local d’urbanisme ;
De recenser les friches urbaines et publier, le cas échéant, un rapport précis de pollution du
site ;
De proposer aux autorités compétentes pour délivrer le permis de construire un prix de vente
maximum des logements sociaux, intermédiaires et en accession sociale, neufs à construire sur
une zone géographiquement délimitée, conjointement avec la collectivité concernée ou son
groupement ;
De déterminer les périmètres territoriaux susceptibles en termes d’urbanisme et de marché du
logement de donner lieu à un portage public ou semi-public du foncier à travers des offices
fonciers libres ou solidaires. »
La commission des affaires économiques du sénat ne s’oppose pas aujourd’hui à cette mesure
mais propose de fusionner ces organismes d’observation foncier avec les observatoires des
loyers.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 32
II- La gestion du foncier public
Toujours dans une logique de transparence et d’exemplarité, cette proposition de loi vient
également toucher les biens de l’Etat ainsi que les biens des collectivités territoriales. Alors, en
visant les biens publics ces mesures auront-elles un réel effet sur les coûts du foncier ou ne
serait-ce pas plutôt une mesure d’exemplarité ?
A) Les biens de l’Etat
Aujourd’hui la cession des biens de l’État, des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics est règlementée par le Code de la propriété des personnes publiques.
Elle doit pour se faire obéir à deux conditions : faire l’objet d’une publicité avec mise en
concurrence et se faire soit à l’amiable, soit par adjudication publique24
.
L’article 1er
de la proposition de loi en sa version initiale visait à modifier l’article L. 3211-
1 du même code ainsi rédigé :
« Lorsqu'ils ne sont plus utilisés par un service civil ou militaire de l'Etat ou un établissement
public de l'Etat, les immeubles du domaine privé de l'Etat peuvent être vendus dans les
conditions fixées par décret en Conseil d'Etat » ; en insérant après « peuvent être vendus »,
« soit à l’amiable, soit par concours à prix fixe portant sur le programme, l’architecture, les
qualités innovantes et la réponse aux enjeux locaux durables du porteur de projet.»
La modification de l’article L.3211-1 est assez claire, elle vise à supprimer la vente par
adjudication publique. Il est vrai que le mécanisme d’adjudication est un mécanisme de hausse
des prix, qui fait que des biens immobiliers peuvent être vendus à un prix supérieur à leur valeur
intrinsèque et ce mécanisme peut être un facteur de hausse des prix. C’est d’autant plus un
phénomène qui n’est pas la norme. En 2018, les ventes avec mise en concurrence auraient
représenté « 26,7 % du nombre de cessions de biens de l’Etat contre 9 % pour les ventes par
24
Code de la propriété des personnes publiques, art. R. 3211-2 : « L'aliénation d'un immeuble du domaine privé
de l'Etat est consentie avec publicité et mise en concurrence, soit par adjudication publique, soit à l'amiable.
Ces procédures ne sont pas applicables aux cessions d'immeubles mentionnées à l'article R. 3211-7.
Le ministre chargé du domaine établit le cahier des charges type fixant les conditions générales des aliénations
et détermine les modalités générales de la publicité préalable aux adjudications. Ces prescriptions ne sont pas
applicables aux aliénations dont l'Etat confie la réalisation à des professionnels habilités. »
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 33
adjudication 25
». Ce projet d’interdiction semble donc davantage être une mesure symbolique
d’exemplarité qu’une mesure ayant un réel effet sur les coûts du foncier.
La commission des affaires économiques du Sénat va également dans ce sens, puisque selon la
Direction de l’Immobilier de l’Etat (DIE), la vente de biens de l’Etat représenterait aujourd’hui
moins de 1 % du volume national de transactions. Aujourd’hui pour éviter cette spéculation
foncière qui s’exerce surtout dans les zones tendues, la rédaction actuelle de la loi interdit la
vente par adjudication des biens de l’Etat dans les zones tendues.
Aujourd’hui il existe une hypothèse selon laquelle l’Etat peut procéder à une vente à un
prix inférieure à la valeur vénale du bien et c’est l’article L3211-7 du même code qui la prévoit.
Dans le cas où la cession d’un bien de l’Etat a pour vocation la construction de logements
sociaux une décote allant jusqu’à 100 % peut avoir lieu. Vu le manque de logements sociaux
en zone tendue peut-être aurait-il été judicieux de développer l’application de cet article
L.3211-7 dans les zones tendues en imaginant la fixation de quota de vente de biens de l’Etat
pour construire des logements sociaux.
Dans une logique différente de modification des conditions de cession de vente des biens de
l’Etat, le législateur souhaite toujours dans une mesure d’exemplarité et de transparence
modifier les méthodes d’évaluation des biens des collectivités locales.
B) Les biens des collectivités locales
Actuellement en matière de cession des biens des collectivités locales, la consultation du
Service du Domaine est obligatoire26
, ce dernier doit donner son avis dans un délai d’un mois
et est valable un an à compter de la date du rendu. L’article 5 de la proposition de loi vient
justement modifier cet article L. 1311-9 du Code général des collectivités territoriales en le
rédigeant ainsi : « Les projets d'opérations immobilières mentionnés à l'article L. 1311-
10 doivent être précédés, avant toute entente amiable, d'une demande d'avis de l'autorité
compétente de l'Etat ou d’un expert agréé selon des modalités définies par décret en Conseil
d’État lorsqu'ils sont poursuivis par les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs
établissements publics »
25
Rapport n°366 fait au nom de la commisiion des affaires économiques – Sénat – p.11
26
Code général des collectivités territoriales, art. L. 1311-9
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 34
L’autorité compétente de l’Etat désignant le service du Domaine, cette proposition de loi
autorise les maires et les représentants des collectivités locales à demander l’avis d’un expert
agréé par l’Etat se substituant au service du Domaine.
A l’origine, cette proposition de loi devait permettre aux collectivités de choisir entre l’avis du
Domaine et les experts privés, lesquels doivent être agréés, il s’agissait de faire intervenir les
experts judiciaires. Il est compréhensible que dans une logique de transparence et de simplicité
les représentants locaux préfèrent se tourner vers le service du Domaine ayant aucun intérêt
dans l’évaluation, contrairement à des experts privés. Cependant, le recours à des experts
judiciaires, semble répondre à cette problématique puisque ces derniers sont déjà agréés auprès
de cours d’appel ou de la Cour de cassation. Mais une autre problématique se pose, ces derniers
ne sont que peu nombreux sur le territoire et il risque d’être compliqué pour ces derniers de
présenter leurs expertises dans des délais raisonnables. La commission du Sénat propose donc
une mesure visant à élargir la liste des experts. Les experts retenus seraient les experts fonciers
et agricoles et les experts forestiers, qui contrairement aux « experts immobiliers », sont des
professions règlementées et offrent donc les garanties nécessaires. Cette proposition est
intéressante mais vient se heurter à une problématique, le recours systématique à un expert peut
coûter cher aux communes et il y a donc de grandes chances que ces dernières continuent de se
tourner vers le service du Domaine.
Ces autres mesures proposées par cette proposition de loi ne touchant pas directement
au droit de propriété des personnes privées et visant directement l’Etat sont intéressantes, mais
elles ne seront certainement pas suffisantes pour endiguer la spéculation foncière et libérer du
foncier. La création d’observatoire de foncier paraît être la première étape d’une prise de
conscience du Gouvernement mais elle ne sera certainement pas suffisante et il existe d’autres
pistes qui n’ont pas été soumises à l’approbation du Parlement.
Sous-section II- Les pistes à explorer
D’autres pistes sont à explorer pour freiner l’envolée des prix du foncier, certaines ont été
envisagé par le rapport de M. Lagleize, d’autres non mais qui pourtant, pourraient avoir un effet
efficace : des mesures économiques et des mesures qui affectant le droit de l’urbanisme et les
pouvoirs des promoteurs. En termes de rétention du foncier, le pouvoir des propriétaires n’est
pas à négliger. Lorsque la vente d’un bien immobilier se fait entre deux particuliers, la question
de la valeur du bien ne se pose pas particulièrement, la valeur du bien est sa valeur d’usage. En
revanche, lorsqu’un promoteur ou un professionnel souhaite acquérir un bien pour le
transformer ou pour le démolir et construire un immeuble sur son terrain la question est toute
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 35
autre, puisque la valeur du bien pour l’acquéreur est une valeur projetée, une valeur déterminée
par le potentiel de constructibilité offerte par les règles d’urbanisme. Ainsi une maison
individuelle pourra satisfaire un acquéreur car le cadre de vie est plaisant mais ne satisfera pas
un promoteur car le potentiel de constructibilité offert par le terrain ne lui sera pas satisfaisant
et ne lui permettra pas d’engendrer de la plus-value. En zone tendue, la question est toute autre
puisque les promoteurs « s’arrachent » des parcelles de terrain, et des pavillons leur sont donc
vendus à des prix largement supérieurs au prix du marché car le potentiel offert par le terrain
leur permet de dégager des marges suffisantes, en revendant des logements parfois à plus de
10.000 €/m2
.
I- Les pistes économiques
En matière d’économie, deux leviers seraient aujourd’hui disponibles pour libérer du
foncier, un outil économique pour l’Etat mais qui peut également être vu comme un outil de
politique publique et un outil purement économique, ou du moins un instrument de régulation
de l’économie : les taux d’intérêts.
A) La fiscalité : outil de politique publique
La fiscalité a toujours représenté un outil formidable pour inciter les contribuables et les
citoyens à faire des choix. Aujourd’hui le système de plus-value n’incite pas à vendre son
patrimoine et n’incite pas non plus à libérer du foncier, surtout lorsque le bien ne constitue pas
la résidence principale des vendeurs. Le système d’impôt sur les plus-values peut être un frein
à la cession de biens qui constitueraient une résidence secondaire. En y regardant de plus près,
lorsqu’on sait que des propriétaires possèdent des biens en résidence secondaire offrant un
potentiel de constructibilité intéressant pour une opération de construction de logements
collectifs, il est compréhensible que les vendeurs ne soient pas disposés à céder leur bien. Vu
les sommes que peuvent parfois payer les promoteurs, l’impôt sur les plus-values y est
proportionnellement important.
Des promoteurs dans leurs négociations prennent parfois le montant de cette plus-value à
leur charge lorsqu’ils souhaitent acquérir un terrain, et ce de manière plus ou moins déguisée.
Faute de quoi les terrains achetés sont souvent cédés à des valeurs largement supérieures au
prix du marché, et le coût d’acquisition élevé par le promoteur se répercute sur le prix de vente
à l’acquéreur. Ce système actuel a donc un triple impact, il contribue à la rétention du foncier,
à la hausse des coûts du foncier et à la hausse des prix de l’immobilier dans le logement neuf.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 36
Alors certes, tous les biens immobiliers acquis par des promoteurs ne concernent pas des
résidences secondaires mais les biens détenus par des sociétés sont également concernés. Alors
pourrait-on se poser la question de la suppression de l’impôt sur les plus-values immobilières
lorsque l’objectif de la vente est la construction d’un immeuble collectif destiné à l’accession
sociale ou non à la propriété ou encore lorsqu’il concerne la construction de logements sociaux
ou intermédiaires dans les zones tendues ?
Une réforme de l’imposition sur les plus-values lors d’une cession de terrain à bâtir avait
été mise en place en 201427
, elle prévoyait un allégement de la fiscalité et des abattements
exceptionnels jusqu’au 31 décembre 2015, ainsi les vendeurs de terrains à bâtir bénéficiaient
d’un abattement de 30 % en plus de l’abattement sur l’assiette fiscale et sociale afin d’inciter
les propriétaires de terrain à bâtir à vendre leur bien et lutter contre la rétention de terrains.
Le régime de l’impôt sur les plus-values immobilières évolue régulièrement alors pourquoi ne
pas le réformer à nouveau surtout lorsqu’on connaît le pouvoir des réformes fiscales sur les
prises de décision ?
B) Les taux d’intérêts : outils de régulation de l’économie
Le mécanisme des taux d’intérêts n’est pas toujours facile à comprendre, de manière un peu
simpliste, on affirme que lorsque les taux d’intérêts sont bas les prix sont élevés et a contrario
lorsqu’ils sont haut les prix sont bas. Alors pourquoi ne pas augmenter les taux d’intérêt ?
La réponse n’est pas simple, et les conséquences de taux d’intérêt hauts sont loin d’être quelque
chose de positif pour l’économie et pour l’immobilier.
Aujourd’hui les professionnels de la construction financent la construction par plusieurs
moyens : les fonds propres, l’emprunt, et l’investissement de personnes dans la construction
(sociétés d’attribution par exemple).
Les conditions actuelles du marché permettent aux promoteurs d’emprunter à des taux
intéressants, alors même si ces derniers empruntent à des taux supérieurs aux ménages, ces taux
restent largement favorables. Ainsi, la répercussion des taux d’intérêt sur le coût de la
construction ne se fait que très peu sentir pour l’acquéreur. Mais le mécanisme fait que les prix
de l’immobilier ont beaucoup augmentés, en effet, le fait que les ménages puissent emprunter
à des taux très favorables a pour conséquence d’augmenter la part du capital dans le crédit et
donc de baisser la part des intérêts. A contrario, lorsque les taux sont hauts, la part du capital
27
http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/17941.pdf
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 37
empruntée baisse et la part des intérêts augmente. Faute de quoi lorsque les taux sont bas les
prix de l’immobilier sont hauts car les capacités d’emprunt augmentent.
Mais aujourd’hui les taux sont très bas, et la situation financière se tend. Les taux d’intérêt sont
historiquement bas et peuvent conduire les organismes prêteurs qui empruntent déjà à des taux
négatifs, à prêter davantage car les intérêts ne leur rapportent pas suffisamment, et d’autant plus
sur de longues périodes à des ménages à risque ayant peu de capacité d’emprunt, ce mécanisme
avait conduit en 2008 à la crise des subprimes et il est a surveillé, si bien que le Haut Conseil
de stabilité financière (HCSF) est venu durcir depuis 2019 les conditions de prêt. Les prêts pour
une durée supérieure à 25 ans sont désormais proscrits et le taux d’endettement ne doit pas
dépasser 33 %.
Les taux d’intérêt trop sont également favorables à la spéculation immobilière et
peuvent avoir des conséquences sur les qualités des constructions.
Le marché immobilier est aujourd’hui favorable aux investisseurs qui peuvent emprunter à des
taux historiquement bas et espérer trouver un produit ayant une rentabilité plutôt intéressante
par rapport aux autres produits de placements financiers et offrir en même temps les garanties
nécessaires aux organismes financiers. Les primo-accédant viennent en conséquence se heurter
aux investisseurs qui cherchent à peu près les mêmes surfaces de logements tout en offrant
généralement, aux organismes prêteurs des garanties inférieures, faute de quoi les petites
surfaces se raréfient, le marché s’assèche dans les zones tendues et les primo-accédants peinent
à accéder à la propriété.
Les taux d’intérêt bas ont pour conséquence d’accélérer la construction de logements neufs,
surtout le montage de projets de construction. Il y a aujourd’hui dans le secteur du bâtiment une
pénurie de main d’œuvre, notamment de main d’œuvre qualifiée et de matériaux, la croissance
de l’activité du fait des conditions largement favorables a eu pour conséquence d’allonger les
délais de construction, alors certes il y a eu la crise sanitaire, mais cette pénurie s’explique
davantage par la forte croissance de l’activité dans le BTP que la crise du COVID.
Il est très difficile de jongler avec les taux d’intérêt lesquels dépendent des conditions
d’emprunt de l’Etat, mais c’est un mécanisme qu’il est important de comprendre afin d’éviter
les catastrophes du passé.
Si des pistes économiques existent pour lutter contre la hausse des prix et la spéculation,
des pistes en matière de droit de l’urbanisme et de la construction sont également à explorer.
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 38
II- Les pistes en urbanisme
A) Les chartes promoteurs
Une charte est un « document définissant solennellement des droits et des devoirs28
» Des
chartes existent déjà en matière d’urbanisme et de droit de la construction, on pourrait citer les
chartes intercommunales de développement et d’aménagement. Elles avaient été instituées par
la loi du 7 janvier 1983 et sont codifiées aux article L.5223-1 du Code général des collectivités
territoriales et définissent « les perspectives à moyen terme du développement économique,
social, et culturel (des communes concernées), déterminent les programmes d’action
correspondants, précisent les conditions d’organisation et de fonctionnement des équipements
et des services publics ». L’élaboration de ces chartes n’a rien d’obligatoire pour les communes
et le principe de ces chartes est de laisser aux communes la souveraineté de pouvoir élaborer
des règles qui ne sont pas déjà prévues par les documents d’urbanisme existant, et ce dans un
objectif de décentralisation et de donner davantage de pouvoir aux communes ou aux
intercommunalités en la matière.
Ainsi les maires de certaines communes situées dans les zones tendues ont décidé de
mettre en place des chartes pour tenter de réduire les coûts du foncier et de garder du pouvoir
sur la gestion foncière de leur commune.
C’est la proposition n°9 du rapport sur la maîtrise des coûts du foncier qui aborde le sujet.
Cette proposition n’a pas été retenu mais visait à « Autoriser l’inscription en annexe du PLU
d’un prix de vente maximum des logements neufs à construire par quartiers géographiquement
délimités et par typologie de logements, sous condition de l’existence d’un observatoire du
foncier ».
Certains maires constructeurs ont décidé de prendre les devants et de ne plus laisser
s’installer dans leur commune une forme d’anarchie sur les constructions. Il ne s’agit pas de
projets qui ne respecteraient pas les prescriptions d’urbanisme notamment sur les tailles de
construction ou sur les caractères architecturaux mais plutôt sur les prix de ventes pratiqués.
Certains maires lassés de voir les prix de vente des logements neufs s’envoler dans leur
commune ont donc décidé de mettre en place des chartes visant à encadrer les prix de vente des
logements dans certains quartiers. La commune de Saint-Quentin-en-Yvelines (78) en est le
parfait exemple et a publié une charte en Avril 2019, laquelle fixe des prix de référence moyens
par quartier sur lesquels les promoteurs doivent s’aligner. Cette proposition visait en fin de
28
CORNU (G) – Vocabulaire juridique – ed. Puf
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 39
compte à codifier une pratique déjà existante. Les maires notamment dans les zones tendues
seraient demandeurs de pouvoir appliquer ces chartes mais c’est un système qui peut être
dangereux du point de vue de la sécurité juridique notamment en ce qui concerne le droit de
propriété et la liberté d’entreprendre. Il y a quelques années ce système faisait polémique et le
Préfet de la région Ile-de-France s’indignait, dans une interview donnée au journal Le Monde
le 9 juin 201629
, contre la multiplication des chartes municipales dans la région qui freinait la
construction de logements neufs. Effectivement, pour accélérer les constructions et les
délivrances de permis de construire, l’Etat avait fait des efforts de simplification de certaines
lois et règlements, on pourrait citer par exemple en ce qui concerne le délai de recours des tiers
contre une autorisation d’occupation du sol : la réduction du délai ou la restriction de l’intérêt
à agir, et en même temps le fait que certains maires augmentent leurs exigences avant de
délivrer un permis de construire semblait assez antagoniste. Le président de la FPI de l’époque
incitait ses adhérents à ne pas signer ces chartes. Elle s’indignait en ajoutant que certaines
dispositions de ces chartes étaient illégales et que les promoteurs étaient victimes de chantage
de la part de certains maires, qui pourtant déposant des demandes de permis de construire en
accord avec les prescriptions d’urbanisme se voyaient rajouter des obligations de construction
pourtant non prescrites par les règles d’urbanismes mais seulement par des chartes auxquels ils
devaient adhérer pour obtenir leur autorisation.
Les maires et promoteurs sont pourtant des acteurs qui peuvent avoir effectivement des
intérêts différents mais il est plus que jamais nécessaire qu’ils s’entendent afin de répondre aux
besoins en matière de constructions neuves. Alors qu’en est-il aujourd’hui cinq ans après ?
Le discours des promoteurs aujourd’hui est plus nuancé, il semblerait que les mentalités
évoluent au vu de l’envolée des prix et des enjeux se rapportant au droit au logement et Frédéric
Cartier, directeur immobilier chez Eiffage immobilier Ile-de-France affirmait le 12 juin 2018
dans une interview donnée à l’agence d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France
que ces chartes en plafonnant les prix de vente permettaient véritablement « de fluidifier les
ventes et d’acquérir du foncier à coût plus bas ». De plus, ce dernier reconnaissait que les
exigences des maires les obligeaient à construire des logements plus vertueux et de meilleure
qualité » il ajoute même qu’aujourd’hui les promoteurs postulent dès lors qu’un maire impose
une charte. Alors que contiennent ces chartes, il faut admettre que ces chartes ne portent
généralement pas atteinte aux prescriptions d’urbanisme et ne doivent surtout pas être contraire
au PLU. Généralement, elles contiennent des plafonds sur les prix de vente des logements neufs,
29
https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/06/10/immobilier-le-prefet-de-l-ille-de-france-denonce-le-
chantage-des-maires_4947539_3234.html
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 40
des exigences supérieurs aux normes actuelles en matière environnementale, des contraintes
sur la taille des surfaces habitables ou sur les typologies de logements (un maximum de T2 ou
un minimum de T3) et parfois même prescrivent des exigences supérieures à la règlementation
officielle sur le nombre de logements sociaux à construire dans la commune.
Ainsi, il est peut-être regrettable qu’une proposition comme celle-là qui visait finalement à
encadrer ces chartes promoteurs, n’est pas été retenue dans la proposition de loi finale.
Alors au-delà du fait que ces chartes qui n’ont pas de caractère légal, règlementaire ou
opposable mais seulement un caractère conventionnel, et qu’il est plus simple de créer une
charte que de modifier un PLU ne serait-il pas temps de s’atteler aux PLU afin d’imposer
certaines règles se trouvant dans les chartes promoteurs ?
B) L’efficience des plans locaux d’urbanisme (PLU)
Chaque territoire a des enjeux spécifiques et les modalités d’occupation des sols ne peuvent
donc pas être les mêmes sur le territoire national, c’est pourquoi les règles en matière
d’urbanisme doivent être décentralisées. Aujourd’hui le PLU est le document règlementant les
conditions d’occupation à la plus petite échelle.
Le contenu des PLU est règlementé par les articles L.101-2 et L.101-3 du Code de l’urbanisme,
ainsi ce dernier doit obéir aux règlements supérieurs tels que le règlement national d’urbanisme
(RNU), le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) ou le schéma de
cohérence territoriale (SCOT). Alors un PLU, qui est aujourd’hui, le document de
règlementation d’urbanisme le plus local ne pourrait-il pas imposer des règles contenues dans
les chartes promoteurs ?
Le rôle du PLU est de réglementé les conditions d’occupation des sols, ainsi il peut interdire
certains types de constructions dans certaines zones, prévoir des hauteurs de constructions
maximums, des obligations de création de stationnement, ou encore l’utilisation de certains
matériaux dans une logique d’harmonie architecturale. En revanche, le PLU ne peut absolument
pas règlementer les prix de vente de terrains à bâtir ou de logements neufs, cette hypothèse
demeure hors du domaine du PLU et de toute règle d’urbanisme et demeure une conséquence
du libre-échange et du droit de propriété.
Cependant, les PLU ou PLUi pourraient prévoir une hauteur minimale de construction
dans les zones tendues afin de les densifier davantage. M. Jean-Luc Lagleize aborde le sujet
dans son rapport et ouvre le débat en proposant de permettre aux élus locaux de favoriser les
projets de promoteurs utilisant les capacités maximales offertes par les PLU, notamment en
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 41
termes de hauteur de construction ou d’emprise au sol, en leur versant une prime, en
contrepartie d’une « modération du prix de vente ». Le débat est effectivement ouvert et il parait
effectivement opportun de relever qu’une densification urbaine est nécessaire pour lutter contre
la pénurie de logements dans les zones tendues et l’artificialisation des sols par la même
occasion mais le fait de baisser le prix de vente des logements en contrepartie d’une prime
reversée au promoteur ne reviendrait-il pas à un système d’aide à l’accession au logement
octroyé par les communes ? D’autant plus que dans les zones tendues, les promoteurs font
généralement tous leurs efforts pour exploiter au maximum les possibilités offertes par les PLU
pas pour répondre immédiatement au manque de logements mais parce que plus la surface de
planchers construite est importante plus le programme immobilier est rentable.
Ainsi, une autre question se pose, celle de déroger aux règles d’urbanisme pour dépasser
les limites de construction prescrites.
Les règles d’urbanisme peuvent effectivement « faire l’objet d’adaptations mineures rendues
nécessaires par la nature du sol, la configuration des parcelles ou le caractère des
constructions avoisinantes 30
».
L’article L. 152-6 du Code de l’urbanisme, issu de la loi ELAN du 23 novembre 2018, précise
en son premier alinéa précise que dans les communes de plus de 50.000 habitants, ou dans les
communes de plus de 15.000 habitants en forte croissance, l’autorité peut en motivant sa
décision « dans le respect d’un objectif de mixité sociale » déroger aux règles relatives au
gabarit et à la densité pour autoriser une construction destinée principalement à l’habitation
à dépasser la hauteur maximale prévue par le règlement, sans pouvoir dépasser la hauteur de
la construction contigüe existante calculée à son faîtage et sous réserve que le projet s’intègre
harmonieusement dans le milieu urbain environnant ».
La loi ELAN a élargi les possibilités de dérogations aux PLU en considérant que chaque projet
immobilier à des caractéristiques spécifiques, alors même s’il existe des règles générales pour
maitriser l’urbanisme localement, des dérogations sont possibles dans des conditions bien
particulières, le droit n’est pas une science figée mais une science en mouvement qui doit
s’adapter à la conjoncture et aux comportements des différents acteurs, ainsi l’équilibre entre
protection des droits des personnes, des droits de l’environnement et préservation des libertés
contractuelle et d’entreprendre est difficile à atteindre.
30
C. urba. L.152-3
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 42
Conclusion
Cette proposition de loi visant à réduire le coût du foncier en étendant la notion et les possibilités
de dissociation du foncier et du bâti à l’accession classique à la propriété est actuellement
étudiée par le Sénat. Il n’est pas simple aujourd’hui de déceler les articles de la proposition de
loi qui vont être adoptés. Si le rapport originel proposait une cinquantaine d’idées à mettre en
place pour maitriser les coûts du foncier il est regrettable que la proposition de loi n’aille pas
plus loin dans l’idée de rendre davantage de foncier disponible notamment en mettant fin au
régime d’imposition sur les plus-values immobilières lorsque la vente du bien vise la
construction d’un immeuble collectif. De plus les projets de chartes promoteurs permettant de
faire travailler ensemble élus locaux et promoteurs et non plus en défiance systématique aurait
mérité d’être approfondi et éclairer, en effet s’il est admis que les professionnels de la
construction ont un rôle à jouer dans la régulation des prix de l’immobilier les collectivités ont
aussi tout à y gagner.
La proposition souhaitait à l’origine réinventer le droit de propriété en créant une nouvelle
forme de bail semblable au bail réel solidaire mais elle ne le réinvente finalement pas reprenant
quelque chose qui existe déjà en matière d’accession sociale à la propriété. Finalement cette
proposition aura davantage créé la polémique, en tentant de modifier le caractère absolu du
droit de propriété de façon pas suffisamment claire, que révolutionner le droit de propriété en
espérant un effet rapide sur le coût et la libération du foncier.
On peut légitimement se poser la question de la complexité de cette loi, n’y avait-il pas d’autres
pratiques à mettre en place que de décider de toucher directement au droit de propriété ?
Peut-être aurait-il fallu légiférer sur le régime des locations temporaires meublées dans les
grandes villes, parfait exemple de spéculation immobilière qui empêche les primo-accédants de
se loger.
Nul ne sait si cette proposition de loi sera adoptée, ni si elle l’est si les prix du foncier et de
l’immobilier vont baisser. Une chose est en revanche certaine, le problème du logement n’est
pas une question franco-française mais un enjeu international et européen, la population
mondiale est en croissance exponentielle et la question une question à laquelle il faudra apporter
des réponses pour permettre aux populations de se loger dans des conditions satisfaisantes.
Finalement la crise sanitaire démontre que de nombreuses personnes peuvent travailler en
dehors de leurs entreprises et des grandes villes grâce au télétravail et de plus en plus de français
souhaitent vivre dans de plus petites villes pour avoir de meilleures conditions de vie, assistera-
t-on a un exode qui déplacera également la problématique du logement vers les campagnes ?
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 43
TABLE DES MATIERES
SECTION I : CASSER LA HAUSSE DES PRIX DU FONCIER EN DISSOCIANT LE
FONCIER DU BÂTI................................................................................................................9
SOUS-SECTION I – LA SITUATION ACTUELLE ...........................................................................9
I- L’emphytéose : instrument juridique majeur permettant la dissociation du foncier
du bâti.................................................................................................................................9
A) Le bail à construction et le bail à réhabilitation .....................................................9
1) Le bail à construction .......................................................................................10
2) Le bail à réhabilitation......................................................................................11
B) Le bail réel solidaire (BRS) et le bail réel immobilier (BRI)...............................13
1) Le bail réel solidaire (BRS)..............................................................................13
2) Le Bail réel immobilier (BRILO).....................................................................19
II- Le cas de nos voisins ................................................................................................20
A) Le Royaume-Uni..................................................................................................21
B) L’Allemagne.........................................................................................................22
SOUS-SECTION II – VERS UNE REDEFINITION DE LA NOTION DU DROIT DE PROPRIETE ...........24
I- L’état du Droit..........................................................................................................24
A) Le Droit national ..................................................................................................25
B) Le Droit communautaire ......................................................................................26
II- L’application de ce « nouveau droit » dans le Droit positif ....................................26
A) Les Organismes fonciers libres (OFL) .................................................................26
B) Le bail réel libre ...................................................................................................27
SECTION II : OPTIMISER ET BAISSER LE COUT DU FONCIER EN
ENVISAGEANT D’AUTRES MESURES...........................................................................29
SOUS-SECTION I- LES AUTRES MESURES PREVUES PAR LA PROPOSITION DE LOI LAGLEIZE....29
I- Les observatoires fonciers........................................................................................29
A) L’état embryonnaire de l’observation foncière ....................................................29
B) La création obligatoire d’observatoires fonciers..................................................30
II- La gestion du foncier public.....................................................................................32
A) Les biens de l’Etat................................................................................................32
B) Les biens des collectivités locales........................................................................33
SOUS-SECTION II- LES PISTES A EXPLORER............................................................................34
Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 44
I- Les pistes économiques ............................................................................................35
A) La fiscalité : outil de politique publique...............................................................35
B) Les taux d’intérêts : outils de régulation de l’économie ......................................36
II- Les pistes en urbanisme............................................................................................38
A) Les chartes promoteurs.........................................................................................38
B) L’efficience des plans locaux d’urbanisme (PLU)...............................................40
CONCLUSION.......................................................................................................................42
Les outils mis en place par la PPL Lagleize pour réduire les coûts du foncier
Les outils mis en place par la PPL Lagleize pour réduire les coûts du foncier
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Les outils mis en place par la PPL Lagleize pour réduire les coûts du foncier

  • 1. Mémoire de recherche Master professionnel Management et Promotion du Patrimoine Immobilier Discipline : Droit de l’urbanisme et Droit de la construction Par Thibault LOUARD Sous la direction de M. Lyn FRANCOIS 2019-2021 _____________________ Les outils mis en place par la proposition de loi Lagleize pour réduire les coûts du foncier _____________________
  • 2. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 2 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier les professeurs de l’université de Limoges ainsi que les différents intervenants avec qui j’ai pu échanger pendant ces trois années dans le cadre de ma formation et qui m’ont permis d’acquérir et de développer mes connaissances dans l’immobilier. Je remercie également mes camarades de classes avec qui j’ai pu monter des projets intéressants et passer de bons moments. Je tiens particulièrement à remercier Monsieur Sébastien Peylet et Monsieur Lyn François, pour leur soutien, leur engagement ainsi que leur accompagnement pendant ces trois années. Merci à vous de m’avoir permis d’intégrer ce Master en alternance, d’avoir cru en mes connaissances, compétences et en ma motivation. Je remercie également Madame Pascaline Giraud-Vidault, directrice montage d’opérations ventes en lots chez CDC Habitat de m’avoir donné ma chance en intégrant cette entreprise et cette équipe de monteurs avec qui j’apprends beaucoup et de pouvoir mettre en application mes connaissances dans une entreprise d’intérêt général.
  • 3. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 3 SOMMAIRE SECTION I : CASSER LA HAUSSE DES PRIX DU FONCIER EN DISSOCIANT LE FONCIER DU BÂTI................................................................................................................9 SOUS-SECTION I – LA SITUATION ACTUELLE ...........................................................................9 SOUS-SECTION II – VERS UNE REDEFINITION DE LA NOTION DU DROIT DE PROPRIETE ...........24 SECTION II : OPTIMISER ET BAISSER LE COUT DU FONCIER EN ENVISAGEANT D’AUTRES MESURES...........................................................................29 SOUS-SECTION I- LES AUTRES MESURES PREVUES PAR LA PROPOSITION DE LOI LAGLEIZE....29 SOUS-SECTION II- LES PISTES A EXPLORER............................................................................34
  • 4. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 4 LISTE DES ABREVIATIONS ALUR Accès au logement et un urbanisme rénové BRI Bail réel immobilier BRILO Bail réel immobilier de longue durée BRS Bail réel solidaire BTP Bâtiment Travaux publics CCH Code de la construction et de l’habitation CDC Caisse des dépôts et consignations CESDH Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme CGCT Code général des collectivités territoriales CLT Community Land Trust C. urba. Code de l’urbanisme DDHC Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen DIE Direction immobilière de l’Etat ELAN Evolution du logement de l’aménagement et du numérique ENL Engagement national pour le logement EPF Etablissement public foncier FPI Fédération des promoteurs immobiliers HCSF Haut Conseil de stabilité financière ICC Indice du coût de la construction IDF Ile-de-France IRL Indice de référence des loyers OFL Organismes fonciers libres OFS Organismes fonciers solidaire OHF Organisme de l’habitat et du foncier ORF Observatoire régional du foncier PADD Projet d’aménagement et de développement durable PLAI Prêt locatif aidé d’intégration PLH Plan local de l’habitat PLS Prêt locatif social PLU Plan local d’urbanisme PLUi Plan local d’urbanisme intercommunal PSLA Prêt social location-accession RNU Règlement national d’urbanisme SCOT Schéma de cohérence territoriale SEM Société d’économie mixte SRU Solidarité et renouvellement urbain TVA Taxe sur la valeur ajoutée
  • 5. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 5 La situation économique en France est préoccupante, si bien pour l’Etat, titulaire d’une dette qui ne cesse de croître et qui tente de combler le déficit en faisant peser l’impôt qu’il soit direct, ou indirect sur les différentes catégories de ménages et ceux à qui le remboursement de cette dette pèse le plus, c’est-à-dire, les ménages les plus modestes. Même si, nombre de ménages de ces catégories sont souvent exonérés d’impôt sur le revenu, ces derniers se voient infliger des dépenses qui les enfoncent de plus en plus dans des difficultés économiques. On pourrait citer la hausse des prix du carburant, des produits de première nécessité, du gaz, de l’électricité et enfin la hausse du coût du logement notamment dans les zones tendues, voire très tendues. Cette hausse du coût de la vie due à l’inflation et à l’augmentation des taxes a eu pour conséquence la « crise des gilets jaunes » que nous avons connue en 2018. Mais plus que de témoigner d’une exaspération du coût de la vie, cette dernière témoigne de l’exaspération des citoyens les plus modestes quant à la détérioration de leurs conditions de vie, due en partie à la problématique du logement. En effet, la hausse du coût du logement a conduit les classes les moins aisées à se loger dans les zones périphériques aux grandes villes, souvent lieu de leur emploi, pour continuer à vivre dans un logement décent. De fait ces ménages augmentent leur temps de trajet quotidien pour aller au travail avec les difficultés que nous connaissons (problèmes de transports et circulation automobile difficile) et ce phénomène se généralise. Alors les régions prennent des mesures pour rendre les villes de banlieues et les zones périurbaines plus attractives, on peut prendre l’exemple du chantier du Grand Paris qui vise en partie à augmenter l’offre de transports dans la région, mais le problème n’est pas traité à la racine, car les prix de l’immobilier eux ne baissent pas, ils augmentent car l’offre de transports et d’infrastructures nouvelles rend ces villes de banlieues, anciennement délaissées, attractives pour les investisseurs et les classes moyennes qui ne peuvent plus se loger dans la capitale ou dans la proche banlieue. Ainsi les prix de l’immobilier augmentent inéluctablement dans ces zones et les classes les moins aisées qui y vivent se voient inéluctablement contraintes de s’éloigner encore et encore. L’immobilier est un secteur qui connaît régulièrement des réformes, qu’elles portent sur la défiscalisation pour favoriser l’investissement avec les lois Giradin, Malraux, Borloo, Pinel et la dernière en la matière la loi Denormandie, ou sur des domaines relatifs à la construction et à l’urbanisme. Citons la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), ou encore celle pour l’accès au logement en urbanisme rénové (ALUR), ENL ou dernièrement la loi portant évolution du logement et du numérique (ELAN). C’est dans ce contexte lourd en reformes que le Gouvernement souhaite réformer une nouvelle fois le secteur du logement, et
  • 6. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 6 ce moins de deux ans après la promulgation de la loi ELAN. Cette dernière visait d’un point de vue large à faciliter l’acte de construire, l’objet était : construire mieux, plus et moins cher. Cette fois-ci, le Gouvernement va encore plus loin puisque l’objet de la loi est « la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction ». Alors, semble-t-il, devons- nous placer cette loi dans la continuité de sa prédécesseur en admettant que les coûts liés à la construction sont toujours aussi élevés, mais cette fois-ci le Gouvernement souhaite légiférer sur un élément précis : le coût du foncier. En effet, le prix foncier ne cesse de croître sur tout le territoire et il représente en France en moyenne un tiers du coût d’une opération de construction et peut représenter jusqu’à la moitié de ce coût dans l’agglomération parisienne.1 Part du terrain dans le coût total d’une opération de construction de maison individuelle (en %) Année 2007 2008 2009 2010 2011 2012 France 33 34 33 33 34 33,9 Agglomération parisienne 51 52 51 49 50 50 Année 2013 2014 2015 2016 2017 2018 En France 33,5 33,5 33,1 33,2 32,8 32,7 Agglomération parisienne 50 48 46 46 46 46 Source : www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr 1 L’agglomération parisienne désignant la commune de Paris et la petite couronne. 51 54 56 59 63 67 73 79 79 82 85 87 191 190 194 167 179 210 215 218 201 232 216 228 0 50 100 150 200 250 300 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 Evolution du prix moyen du foncier Prix m2 moyen France Prix m2 moyen en ile de France Linéaire (Prix m2 moyen France) Linéaire (Prix m2 moyen en ile de France)
  • 7. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 7 Alors on pourrait penser que ce sont les prix du foncier de la région Ile-de-France, zone tendue où le foncier se raréfie, qui font augmenter la moyenne nationale mais depuis une dizaine d’années l’écart des prix du foncier constructible entre l’Ile-de-France et la province tend à diminuer. Ainsi les prix de l’Ile-de-France étaient presque 4 fois supérieurs à ceux du pays en 2007, ils n’étaient plus que 2,5 fois supérieurs en 2018.2 Mais la situation est malgré tout préoccupante puisque le coût du foncier représente une part importante dans le coût total d’une opération de construction et que son prix a augmenté de 71% en 10 ans, alors que le prix global d’une maison a augmenté de 24%.3 En conséquence, la production de logements est fortement impactée ce qui complique la production de logements abordables. C’est le 4 Avril 2019 que le Premier Ministre, Monsieur Edouard Philippe, nomine par décret, Monsieur Jean-Luc Lagleize, député La République En Marche de la 2nde circonscription de Haute-Garonne pour mener une mission temporaire dont l’objet est « La maitrise du coût du foncier dans les opérations de construction ». En Novembre 2019, est remis au premier ministre le rapport4 , réalisé en consultant les professionnels de l’immobilier et les parties prenantes du secteur, comportant cinquante propositions visant à :  Casser l’engrenage infernal de la hausse des coûts du foncier ;  Libérer le foncier et améliorer la constructibilité ; 2 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr 3 Assemblée nationale, rapport n°2434 de M. Jean-Luc Lagleize fait le 20 novembre 2019, p.5 4 Rapport au premier ministre, « La Maîtrise des coût du foncier dans les opérations de construction », Jean-Luc Lagleize 0% 50% 100% 150% 200% 250% 300% 350% 400% 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 Ecart des prix du foncier entre l'IDF et la France
  • 8. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 8  Optimiser le foncier disponible ;  Attirer les investisseurs dans le logement locatif ;  Stopper définitivement la spéculation foncière ; Parmi les 50 propositions du rapport, seules certaines ont été retenues afin de rédiger une proposition de loi, laquelle a été adoptée le 28 Novembre 2019 en première lecture par l’assemblée nationale. La proposition de loi vise donc à « réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français ». Suivant la procédure classique d’élaboration des lois, la proposition a été présenté à la commission des affaires économiques du Sénat, le 2 mars 2020 et elle s’est vue, sans surprise modifiée par cette dernière. Certains articles ont été supprimés, d’autres ont été modifiés, et aujourd’hui sur fond de crise sanitaire, le Sénat ne s’est toujours pas réuni en séance publique pour discuter de la proposition. Malgré tout, les grandes lignes de cette loi se dessinent et une mesure parmi celles proposées fait parler d’elle, celle de créer un « nouveau droit de propriété » fondé sur la dissociation du foncier et du bâti, au motif de l’urgence de baisser les prix de l’immobilier. Cette mesure n’est pas perçue d’un très bon œil dans un pays où plus de la moitié des ménages est propriétaire et où l’accès à la propriété immobilière est souvent un objectif de vie. Ce démembrement est une norme dans certains pays, mais les prix de l’immobilier y sont-ils réellement moins élevés pour autant ? D’autres mesures moins contraignantes en droit ne seraient-elles pas envisageables ? Dans la première section sera étudié la mesure phare de la proposition de loi : la dissociation du foncier et du bâti, il conviendra d’étudier la situation juridique actuelle en soulignant les instruments existants qui permettent déjà de dissocier le foncier du bâti et également de mesurer les effets de cette dissociation sur les prix de l’immobilier, en prenant le cas de pays où ce régime est la norme. De plus, il sera nécessaire d’étudier comment dans notre droit national, cette règle d’exception pourrait-elle devenir la norme sans se heurter à la Constitution et au droit communautaire. Dans la seconde section, nous verrons que d’autre mesures non proposées par la loi Lagleize pourraient permettre d’optimiser le foncier et de baisser son coût sans toucher au caractère « sacré » du droit de propriété.
  • 9. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 9 SECTION I : CASSER LA HAUSSE DES PRIX DU FONCIER EN DISSOCIANT LE FONCIER DU BÂTI Sous-section I – La situation actuelle Des instruments juridiques permettant la dissociation du foncier et du bâti existent déjà dans notre système juridique national. Même si la règle de principe qui dispose que lorsqu’on est propriétaire du sol on est propriétaire de tout ce qui est érigé sur ce sol prévaut aujourd’hui largement il existe des moyens légaux et conventionnels permettant de véritablement dissocier cette propriété du sol et du dessus. Ainsi cette règle de dissociation du foncier et du bâti peut effrayer notamment en France et surtout quand on sait que l’objectif de nombreux Français est d’accéder à la propriété et si c’est en acquérant un terrain sur lequel faire construire sa maison individuelle c’est encore mieux. Mais hélas, la vérité est qu’accéder à la propriété est compliqué surtout dans les zones tendues et ce, même pour les classes moyennes. Il est urgent de créer des systèmes d’accès à la propriété pour le plus grand nombre. Pour ce faire, le moyen le plus simple et le plus économique ne serait-il pas finalement de ne pas être propriétaire du sol mais seulement des murs ? I- L’emphytéose : instrument juridique majeur permettant la dissociation du foncier du bâti L’instrument le plus ancien est l’emphytéose, système qui permet sous la forme d’un bail de longue durée, d’octroyer des droits réels à un preneur mais qui ne lui confère pas le statut de nu-propriétaire même si certains caractères du droit de propriété lui sont transférés. Le bail emphytéotique tel qu’il existait à l’origine est moins utilisé en matière de droit de la construction et on lui préfère aujourd’hui d’autres formes de baux faisant peser de réelles obligations sur le preneur, telle que l’obligation de construire ou de réhabiliter. A) Le bail à construction et le bail à réhabilitation Le régime du bail à construction et du bail à réhabilitation sont similaires sur de nombreux points mais la distinction se fait sur le caractère différent des obligations qui incombent au preneur. En effet, l’obligation de construire peut prêter à confusion et il conviendra de déterminer la limite entre construction et réhabilitation.
  • 10. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 10 1) Le bail à construction Créé par la loi n°64-1247 du 16 décembre 1964, le bail à construction est défini et régi par les articles L.251-1 à L251-9 du Code de la construction et de l’habitation. Il a largement été inspiré par le bail emphytéotique notamment par sa durée mais il fait peser sur le preneur une réelle obligation, ce qui le différencie : celle de construire sur le sol du bailleur. A l’origine la volonté du législateur, en instituant ce nouveau bail, était de lutter contre la rétention de terrain à bâtir de la part de certains propriétaires et de répondre à une demande de logements à laquelle l’offre ne pouvait déjà pas répondre à l’époque. En effet en faisant peser sur le preneur une obligation de construire le propriétaire du foncier s’assurait au terme du bail de pouvoir récupérer la pleine propriété de son bien c’est-à-dire celle du sol et des constructions érigées. Mais les résultats escomptés par la mise en place du bail à construction n’ont pas répondu aux attentes du législateur qui souhaitait augmenter l’offre de logement et le bail à construction à surtout eu du succès dans l’immobilier d’entreprise, en effet le preneur n’avait pas à financer l’acquisition du terrain mais seulement celui de la construction des murs de son entreprise. Le bail à construction est donc un contrat par lequel le preneur s’engage à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée du bail. Sa durée doit être comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans. Le bail à construction fait peser sur le preneur une obligation de construire sur le terrain du bailleur. La Cour de cassation, dans un arrêt du 24 février 20055 avait requalifié un bail emphytéotique, faisant peser sur le preneur une obligation de construire, en bail à construire. Le bail à construire confère au preneur un droit réel immobilier, le preneur est donc locataire du terrain mais se voit conférer une obligation de construire et en ce sens il se voit transférer en matière de construction la maîtrise d’ouvrage pendant toute la durée du bail, c’est un élément important car le bailleur ne pourra agir contre les constructeurs sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code civil. Le preneur détient la pleine propriété des constructions pendant toute la durée du bail mais au terme du bail les immeubles édifiés deviennent propriété du bailleur sauf convention contraire. Le bail à construction ne peut faire l’objet d’un renouvellement tacite6 . Hormis, son obligation principale de construire, le preneur doit également maintenir en bon état d’entretien les constructions et procéder aux réparations de toute nature pendant toute la durée du bail. En 5 Pourvoi n° 2005/267065 6 CCH, art. L.251-1 al. 3: “Il est conclu pour une durée comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans. Il ne peut se prolonger par tacite reconduction”.
  • 11. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 11 vertu des droits réels qu’il confère, il peut être hypothéqué par le preneur, de même que les constructions qu’il a érigées7 . Le bail à construction, acte de disposition, doit être rédigé sous la forme authentique et publié au fichier immobilier. L’article L. 251-5 du CCH fixe le prix du bail en laissant une liberté contractuelle aux parties. En effet il dispose que « le prix du bail peut consister en toute ou partie, dans la remise au bailleur à des dates et dans des conditions convenues, d’immeubles ou de fractions d’immeubles ou de titres donnant vocation à la propriété ou à la jouissance de tels immeubles ». Un loyer payable en espèce n’est donc pas exigé et la cession de droits réels au bailleur peut être une contrepartie admise. Ce même article poursuit dans ses dispositions que : « s’il est stipulé un loyer périodique payable en espèces, ce loyer est affecté d’un coefficient révisable par période triennales comptées à partir de l’achèvement des travaux. Toutefois la première révision a lieu au plus tard dès l’expiration des six premières années du bail. » Cependant, la Cour de cassation8 est venue nuancer cette règle de révision du loyer en précisant que les textes relatifs à la révision triennale ne sont pas d’ordre public et les parties peuvent tout à fait prévoir une révision annuelle basée sur l’indice du coût de la construction (ICC). 2) Le bail à réhabilitation Vingt-cinq ans après la création du bail à construction, la loi n°90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, crée en son article 11 le bail à réhabilitation. Partant du double constat qu’il devient nécessaire de restaurer l’habitat et d’augmenter l’offre de logements sociaux le législateur créé une nouvelle forme de bail emphytéotique. Régi par les articles L.252-1 à L.252-6 du CCH, le bail à réhabilitation confère également au preneur des droits réels mais qui sont assortis d’une obligation de réaliser des travaux d’amélioration sur le bien immobilier du bailleur. Contrairement au bail à construction, lequel peut être contracté par 7 CCH, L.251-3 : « Le bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier. Ce droit peut être hypothéqué, de même que les constructions édifiées sur le terrain loué ; il peut être saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière. Le preneur peut céder tout ou partie de ses droits ou les apporter en société. Les cessionnaires ou la société sont tenus des mêmes obligations que le cédant qui en reste garant jusqu'à l'achèvement de l'ensemble des constructions que le preneur s'est engagé à édifier en application de l'article L. 251-1. Le preneur peut consentir les servitudes passives indispensables à la réalisation des constructions prévues au bail. » 8 Civ. 3e, 4 mars 1981
  • 12. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 12 n’importe quelle personne en capacité de contracter, le preneur au bail à réhabilitation doit impérativement être une des personnes morales suivantes9 :  Un organisme d’habitations à loyer modéré ;  Une société d’économie mixte (SEM) dont l’objet est de construire ou de donner à bail des logements ;  Une collectivité territoriale ; En plus de définir la qualité du preneur à bail, l’article L.251-1 impose une double obligation de résultat au preneur : « réaliser dans un délai déterminé des travaux d’amélioration sur l’immeuble du bailleur » et « à le conserver en bon état d’entretien et de réparations de toute nature en vue de louer cet immeuble à usage d’habitation pendant toute la durée du bail » L’article 251-1 vient repréciser une règle importante, le bail doit stipuler la nature des travaux, leurs caractéristiques techniques et le délai de leur exécution. Comme pour le bail à construction, en fin de bail les améliorations réalisées bénéficient au bailleur sans indemnisation. Sa durée diffère cependant du bail à construction puisqu’elle est de douze ans minimums et ce bail ne peut également pas se prolonger par tacite reconduction. Ce bail délivrant des droits réels peut être assorti de certaines sûretés et peut donc être hypothéqué. Sa cession est règlementée puisqu’elle ne peut être consentie « qu’à l’un des organismes mentionnés au premier alinéa de l’article L.252-110 » et nécessite l’accord du 9 CCH, L.252-1: Est qualifié de bail à réhabilitation et soumis aux dispositions du présent chapitre le contrat par lequel soit un organisme d'habitations à loyer modéré, soit une société d'économie mixte dont l'objet est de construire ou de donner à bail des logements, soit une collectivité territoriale, soit un organisme bénéficiant de l'agrément relatif à la maîtrise d'ouvrage prévu à l'article L. 365-2 s'engage à réaliser dans un délai déterminé des travaux d'amélioration sur l'immeuble du bailleur et à le conserver en bon état d'entretien et de réparations de toute nature en vue de louer cet immeuble à usage d'habitation pendant la durée du bail. Le contrat indique la nature des travaux, leurs caractéristiques techniques et le délai de leur exécution. En fin de bail, les améliorations réalisées bénéficient au bailleur sans indemnisation. Le bail à réhabilitation est consenti par ceux qui ont le droit d'aliéner et dans les mêmes conditions et formes que l'aliénation. Il est conclu pour une durée minimale de douze ans. Il ne peut se prolonger par tacite reconduction. Le présent article s'applique aux immeubles soumis ou non au statut de la copropriété prévu par la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Dans le cas d'un immeuble soumis au statut de la copropriété, il peut s'appliquer à un ou plusieurs lots. 10 CCH, L.252-2 : Le preneur est titulaire d'un droit réel immobilier. Ce droit peut être hypothéqué ; il peut être saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière.
  • 13. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 13 bailleur. Faut-il préciser que la clause interdisant la cession du bail serait réputée non écrite. Le droit réel peut donc être cédé dans certaines conditions et doit obligatoirement porter sur l’ensemble de l’immeuble loué. De plus, « le cédant demeure garant de l’exécution du bail par le cessionnaire », vu le caractère intuitu-personae du contrat de bail. L’emphytéose évolue, il a fallu attendre vingt-cinq ans entre le bail à construction et le bail à réhabilitation, et c’est à nouveau vingt-cinq après la parution du bail à réhabilitation que le législateur est venu créer un nouveau régime à l’emphytéose : le bail réel solidaire et le bail réel immobilier. B) Le bail réel solidaire (BRS) et le bail réel immobilier (BRI) 1) Le bail réel solidaire (BRS) Il a été créé par la loi n°2015-990 du 6 août 2015 dite loi « pour la croissance et l’égalité des chances économiques » et a été introduit par l’ordonnance n°2016-985 du 20 juillet 2016. Il est aujourd’hui défini et encadré par les articles L.255-1 à L. 255-19 du Code de la construction et de l’habitation. Le bail réel solidaire illustre parfaitement la dissociation de la propriété du foncier et du bâti. a) Les organismes de foncier solidaire (OFS)  Définition Ce nouvel acteur foncier, l’organisme de foncier solidaire (OFS), a été créé par l’article 164 de la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR). Ainsi, l’article 329-1 du Code de l’urbanisme régit le fonctionnement des OFS. « Les organismes de foncier solidaire sont des organismes sans but lucratif agréés par le représentant de l'Etat dans la région, qui, pour tout ou partie de leur activité, ont pour objet d'acquérir et de gérer des terrains, bâtis ou non, en vue de réaliser des logements et des équipements collectifs conformément aux objectifs de l'article L. 301-1 du code de la construction et de l'habitation. Ce droit est cessible nonobstant toute convention contraire. La cession ne peut être consentie qu'à l'un des organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 252-1, avec l'accord du bailleur. Le droit ne peut être cédé que s'il porte sur la totalité de l'immeuble loué. Le cédant demeure garant de l'exécution du bail par le cessionnaire.
  • 14. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 14 L'organisme de foncier solidaire reste propriétaire des terrains et consent au preneur, dans le cadre d'un bail de longue durée, s'il y a lieu avec obligation de construire ou de réhabiliter des constructions existantes, des droits réels en vue de la location ou de l'accession à la propriété des logements, à usage d'habitation principale ou à usage mixte professionnel et d'habitation principale, sous des conditions de plafond de ressources, de loyers et, le cas échéant, de prix de cession. L'organisme de foncier solidaire peut bénéficier de la décote prévue à l'article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. » La loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 (ELAN) en son article 88 est venue modifier la rédaction de l’article originel et il est désormais ainsi rédigé : « Les organismes de foncier solidaire ont pour objet, pour tout ou partie de leur activité, d'acquérir et de gérer des terrains, bâtis ou non, en vue de réaliser des logements et des équipements collectifs conformément aux objectifs de l'article L. 301-1 du code de la construction et de l'habitation. Les organismes de foncier solidaire sont agréés par le représentant de l'Etat dans la région. Peuvent être agréés à exercer l'activité d'organisme de foncier solidaire, à titre principal ou accessoire, les organismes sans but lucratif et les organismes mentionnés aux articles L. 411- 2 et L. 481-1 du même code. L'organisme de foncier solidaire reste propriétaire des terrains et consent au preneur, dans le cadre d'un bail de longue durée, s'il y a lieu avec obligation de construire ou de réhabiliter des constructions existantes, des droits réels en vue de la location ou de l'accession à la propriété des logements, à usage d'habitation principale ou à usage mixte professionnel et d'habitation principale, sous des conditions de plafond de ressources, de loyers et, le cas échéant, de prix de cession. L'organisme de foncier solidaire peut bénéficier de la décote prévue à l'article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. » Cette nouvelle rédaction vient préciser les organismes pouvant être agréées OFS, ainsi les OFS peuvent être les collectivités, les organismes et coopératives d’habitations à loyer modéré, les établissements publics fonciers (EPF) (CCH L.411-2). L’article 481-1 du même code ajoute les sociétés d’économie mixte de construction et de gestion de logements, lesquelles possèdent environ 11% du parc social en France.
  • 15. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 15 Nombre d’OFS et de BRS prévus, Rapport Lagleize, p. 128
  • 16. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 16  Fonctionnement L’objet principal de l’OFS est d’acquérir des terrains bâtis ou non et de les mettre à disposition d’acquéreurs au moyen de baux de longue durée, en l’espèce le bail réel solidaire est privilégié. L’OFS reste propriétaire du foncier, mais le preneur fait l’acquisition des constructions, conséquence de quoi il devient propriétaire des murs mais pas du foncier, et doit verser une redevance à l’OFS correspondant à l’occupation du foncier. Le fonctionnement de ce système de dissociation de la propriété doit être encadré et la mise en place du bail réel solidaire doit sécuriser ce nouveau système d’accession à la propriété. Schéma du fonctionnement de l’OFS, Rapport Lagleize, p. 127 b) Le bail réel solidaire (BRS) Le BRS est issu de l’ordonnance n°2016-985 du 20 juillet 2016 en application de l’article 94 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Le BRS est codifié aux articles L.255-1 à L.255-19 du CCH, différents règlements sont venus par la suite compléter les textes législatifs (R. 255-1 à R. 255-9). L’acquéreur achète un droit réel au logement, mais pas le foncier, en vue de l’occuper ou de le louer. Il verse une redevance périodique à l’organisme propriétaire du terrain, aux termes d’un bail rechargeable de 18 à 99 ans correspondant à la location du foncier.
  • 17. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 17 Il peut revendre ce droit réel et récupérer l’épargne constituée par son emprunt ainsi que la plus- value, qui est encadrée. Les acquéreurs successifs sont soumis aux mêmes conditions de ressources que le primo-acquéreur et le prix de revente du bien, qui correspond en l’espèce à une cession de droits réels, est encadrée par un calcul indexé sur l’IRL ou l’ICC. Ces conditions de ressources sont fixées par décret en Conseil d’Etat et correspondent aujourd’hui aux conditions de ressources du prêt social location-accession (PSLA). Les ménages éligibles bénéficient de la TVA à taux réduit et du prêt à taux zéro. Les plafonds de ressources sont les suivants11 : La loi Lagleize viendra peut-être modifier les plafonds de ressource du BRS, la commission des affaires économiques du Sénat s’est dit favorable à l’augmentation des plafonds de ressource pour accéder au BRS. Elle souhaiterait l’ouverture de cet outil aux classes moyennes. Elle propose donc que les personnes qui puissent bénéficier du dispositif soient celles respectant « le plafond du prêt locatif social (PLS) majoré de 11 % et dans la limite de 25 % de logements vendus, à des personnes à revenu intermédiaire ». 11 https://www.anil.org/documentation-experte/analyses-juridiques-jurisprudence/analyses-juridiques/analyses- juridiques-2016/accession-sociale-psla-zones-anru-plafonds-2020/
  • 18. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 18 L’objectif du BRS étant de permettre à des ménages de classe intermédiaire voire, de classe intermédiaire-inférieure d’accéder à la propriété notamment dans les zones tendues, le BRS est pourvu de certains mécanismes visant à contrer la spéculation. La durée du bail est de 99 ans maximum et il ne peut être renouvelé par tacite reconduction, c’est un bail dit rechargeable, c’est-à-dire qu’en cas de mutation, le nouvel occupant bénéficiera d’un bail renouvelé à la durée initiale. Le prix de revente du logement est également encadré et ne peut dépasser les plafonds de prix du PSLA qui sont les suivants12 : Plafonds du PSLA pour l’année 2020 De plus le vendeur d’un logement sous BRS en contrepartie d’un prix d’acquisition plus faible que dans un cadre classique ne pourra pas espérer faire de plus-value sur la revente de ses droits réels, le mécanisme anti-spéculation semble dès lors plutôt efficace. Le logement doit être occupé à titre de résidence principale pendant toute la durée du bail, des conditions de location peuvent être prévues, mais la clause interdisant au preneur de louer son logement serait tout à fait légale13 . 12 https://www.anil.org/documentation-experte/analyses-juridiques-jurisprudence/analyses-juridiques/analyses- juridiques-2016/accession-sociale-psla-zones-anru-plafonds-2020/ 13 CCH, L.255-2 : « Le bail réel solidaire peut être consenti à un preneur qui occupe le logement. Les plafonds de prix de cession des droits réels et de ressources du preneur sont fixés par décret en Conseil d'Etat. L'organisme de foncier solidaire peut, en fonction de ses objectifs et des caractéristiques de chaque opération, appliquer des seuils inférieurs. Le contrat de bail peut, en fonction de ses objectifs et des caractéristiques de chaque opération, prévoir que le preneur doit occuper le logement objet des droits réels sans pouvoir le louer. »
  • 19. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 19 2) Le Bail réel immobilier (BRILO) Institué dans le CCH aux articles L.254-1 à l.254-9 par l’article 4 de l’ordonnance n°2014- 159 du 20 février 2014 relative au logement intermédiaire, le bail réel immobilier ou bail réel immobilier de longue durée (BRILO) revêt des similitudes avec les différents baux consécutifs de droits réels présentés jusqu’à présent. Si l’objectif du BRS est de permettre l’accès à la propriété pour les classes moyennes, l’objectif du BRILO est sensiblement similaire puisque son objectif est de favoriser l’accès au logement et à la propriété temporaire pour les classes dites « intermédiaires » d’où les termes abordés prochainement de logements intermédiaires. Comme pour le BRS, les prix du bail, les conditions d’affectation du bien et les modalités de sa cession sont encadrés. Dans sa version initiale l’article L.254-1 rendait possible l’utilisation de ce bail seulement dans les zones dites tendues mais la loi n°2015-990 du 6 août 2015 est venue supprimer cette condition géographique et a rendu possible le recours à cette forme de bail sur tout le territoire national. Si le bailleur du BRS doit obligatoirement être un OFS, le législateur n’a pas imposé de statut particulier au bailleur du BRILO, il peut être conclu par une personne physique ou morale de droit privé ou par une personne publique telle que les collectivités territoriales ou les établissements publics fonciers de l’Etat. Il peut être conclu pour une durée allant de dix-huit à quatre-vingt-dix-neuf ans, il ne peut pas faire l’objet d’une tacite reconduction et ne peut être résilier unilatéralement. Le BRILO doit obligatoirement porter sur une résidence principale, l’article R. 254-4 précise que les locaux accessoires permettant une activité professionnelle est possible dès lors que la surface de ces locaux ne dépasse pas 25% de la superficie de l’immeuble objet du bail réel immobilier. Si la qualité du bailleur est suffisamment large pour pouvoir y recourir celle du preneur supporte davantage de conditions, de la même que pour le BRS, le preneur doit obéir à des plafonds de ressource et s’obliger à construire ou à réhabiliter les constructions existantes. On pourrait penser que le BRILO se rapprocherait plus d’une forme de BRS mais en réalité il est un mélange de BRS, bail à construction ou bail à réhabilitation. Le preneur devant obligatoirement effectuer des travaux de construction ou de réhabilitation dans le logement et respecter des conditions de ressources, qui sont les plafonds d’attribution des aides au logement. Le bail réel immobilier, dans la pratique, s’adresse généralement en première partie à des professionnels (preneur-acquéreur) faisant des travaux dans un logement qui louent ensuite le bien à des personnes obéissant aux plafonds de ressources du logement intermédiaire et pour lesquels les loyers sont également plafonnés.
  • 20. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 20 Source : Agence Nationale de l’Habitat données valables pour la France métropolitaine Source : Agence Nationale de l’Habitat, données valables pour la France métropolitaine Ces régimes spécifiques de dissociation du foncier et du bâti existent en France, ils sont aujourd’hui peu connus et cette dissociation de la propriété reste largement exceptionnelle dans notre pays même si le législateur l’encadre beaucoup grâce à différents baux spécifiques. L’emphytéose existe depuis de nombreuses années, et de nombreuses déclinaisons de ce système existent aujourd’hui dans notre pays. Dans d’autres pays, géographiquement proches tel qu’au Royaume-Uni ce système de dissociation du droit de propriété y est la norme, pour autant les prix de l’immobilier y sont-ils inférieurs aux nôtres ? Les britanniques accèdent-ils facilement à la propriété ? Les logements y sont-ils plus abordables ? II- Le cas de nos voisins Deux systèmes très différents l’un de l’autre seront étudiés dans cette partie, le Royaume- Uni pays voisin qui pourtant à un système juridique et de propriété diamétralement opposé à notre système latin et l’Allemagne.
  • 21. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 21 A) Le Royaume-Uni Le Royaume-Uni à un système juridique de Common Law, se fondant sur un droit plus coutumier que le nôtre. La dissociation du foncier et du bâti y est davantage la norme. En effet, si bien dans le secteur du logement libre que celui du logement social. Dans le logement social, les Community Land Trust (CLT) sont les organismes se rapprochant le plus des organismes fonciers solidaires (OFS) en France. Ils ont un fonctionnement relativement similaire dans le sens où ces organismes sont à but non lucratif et ont comme point commun de détenir du foncier sur lesquels des logements sont bâtis, puis loués à des coûts abordables évoluant très peu puisque le foncier n’a pas vocation à être céder. Cette dissociation à vocation sociale du foncier est généralisée au Royaume-Uni à l’accession à la propriété classique. Ce système remonte à l’époque féodale, ainsi la moitié de l’Angleterre est détenue par 1% de la population. Ainsi l’acquéreur britannique achète de façon quasi-systématique sous forme de bail emphytéotique (leasehold), qui lui confère un droit de pleine propriété sur le bâti pour une durée de 21à 99 ans. Ce système généralisé au Royaume-Uni (sauf en Ecosse) surtout dans les métropoles, zones tendues, laisse l’occasion au leaseholder de céder son droit, d’hypothéquer son bien ou de le louer. En contrepartie, le leaseholder verse une rente au propriétaire du foncier (le freeholder), correspondant au droit d’occupation du sol14 . Il est possible d’acquérir un bien en pleine propriété au Royaume-Uni, sol et construction, mais cela reste compliqué, car nombre de biens anglo-saxons sont placés sous ce statut et il reste peu de foncier disponible. La propriété foncière est ultra concentrée, en Grande-Bretagne, ainsi 25.000 propriétaires fonciers détiennent la moitié de l’Angleterre15 . Ces derniers sont des aristocrates, des membres de la noblesse, des entreprises, des banquiers, le service public ou encore la famille royale qui détiendrait 1,4% du foncier. Il n’y a pas eu de réformes en la matière visant à lutter contre ce phénomène de concentration de la propriété, les seules mesures en matière de logements consistent à contenir l’envolée des prix de l’immobilier et à lutter contre la pénurie de logements. Alors ce système généralisé de dissociation du foncier permet-il de lutter contre la rareté du foncier et de contenir la hausse des prix ? 14 https://www.lesechos.fr/patrimoine/immobilier/logement-au-royaume-uni-la-dissociation-du-foncier-et-du- bati-remonte-a-lepoque-feodale-1152134 15 https://www.theguardian.com/money/2019/apr/17/who-owns-england-thousand-secret-landowners-author
  • 22. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 22 Répondre de manière affirmative n’est pas évident, en effet se loger à Londres dans un deux pièces coûterait plus de 1.300 £/mois selon la mairie de Londres16 , alors qu’à Paris les prix des loyers seraient de 35 €/mois par mètre carré, ce qui reviendrait à 1.400 €/mois pour un deux pièces de 40m2 . B) L’Allemagne Le droit allemand est basé sur un système fédéral, comparable au Droit Français dans le sens où l’ordre juridictionnel comprend également trois instances (première instance, appel et la révision), il s’en différencie en ayant également des tribunaux régionaux et a un système juridique plus décentralisé que le nôtre, dans le sens où les länder disposent de pouvoir locaux dans certains domaines et notamment en droit de l’urbanisme. Il n’existe pas dans le système germanique de moyens de dissociation du foncier et du bâti, ce qui n’empêche pas l’Allemagne de proposer des logements à des prix plus abordables que beaucoup de pays européens. Si à Paris les prix de l’immobilier dépassent les 10.000 €/m², à Berlin le prix moyen au mètre carré tourne autour de 3.700 € et montent jusqu’à 6.000 € dans l’hyper centre17 . Si l’objectif de nombreux français est de devenir propriétaire de leur logement, la logique allemande est bien différente, il n’est pas problématique pour les allemands de demeurer éternellement locataire, les prix des loyers y sont relativement bas (en moyenne 12 €/m² à Berlin, contre 26 € à Paris). Cependant les prix d’acquisition étant largement inférieurs à la moyenne des autres capitales européennes attractives, l’Allemagne attire de plus en plus d’investisseurs étrangers et s’expose ainsi davantage à un risque de spéculation immobilière et à une hausse des prix de l’immobilier, et c’est ce qu’il se passe depuis 2018. Pour essayer de contrer ce phénomène, de pénuries de logements et de hausse des loyers l’Etat fédéral souhaite réformer le droit de la construction au niveau national afin d’harmoniser les normes qui aujourd’hui dépendent de chaque Länder. Malgré tout, les enjeux en matière de stratégie immobilière sont semblables à ce qu’il se passe en France, il s’agit de construire davantage, de rendre disponible du foncier et de juguler la hausse des prix. En matière de fiscalité immobilière, il existe une taxe sur les mutations immobilières (Grunderwerbsteuer) qui se rapproche de notre système d’imposition sur les plus-values, c’est 16 https://www.london.gov.uk/what-we-do/housing-and-land/improving-private-rented-sector/london-rents- map#acc-i-48690 17 https://www.lesechos.fr/patrimoine/immobilier/immobilier-a-letranger-lallemagne-un-marche-abordable-mais- sous-tension-1128266
  • 23. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 23 un impôt que les allemands appellent souvent « impôt sur la spéculation », il concerne tous les biens vendus, même ceux qui constituaient la résidence principale des vendeurs, et détenus depuis moins de dix ans. En matière de TVA les ventes de logements neufs et de terrains à bâtir en sont exonérés.
  • 24. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 24 Sous-section II – Vers une redéfinition de la notion du droit de propriété La propriété est un élément fondamental du droit et un des droits les plus ancien qu’il puisse exister, où le roi n’a cessé de la protéger à travers les âges en sanctionnant sévèrement les atteintes qui pouvaient lui être portées, et le législateur aujourd’hui ne cesse de la protéger et de la redéfinir notamment en matière immobilière. I- L’état du Droit La notion de droit de propriété et sa définition n’a cessé d’évoluer à travers l’histoire. Dans les sociétés « dites primitives » la notion de propriété existait seulement pour les biens mobiliers, les objets qui étaient à usage de chaque personne de la société. Le sol, lui, n’appartenait à personne. Il a fallu attendre l’émergence du droit romain, pour voir apparaître le tout premier partage des terres et le règne de l’Empereur Justinien vers 530 pour voir émerger aussi les trois caractères du droit de propriété que nous connaissons aujourd’hui : - Le Jus utendi : l’usus, le droit d’usage de la chose ; - Le Jus fruendi : le fructus, le droit de percevoir les fruits de la chose ; - Le Jus abutendi : l’abusus, le droit de disposer de la chose ; Au Moyen-Age le droit de propriété se complexifia quelque peu, notamment en ce qui concerne le régime de propriété immobilière. La propriété mobilière quant à elle était assez simple puisque les biens corporels avaient peu de valeur et chacun avait sur ses biens mobiliers un droit de propriété absolu. Les seigneurs étaient propriétaires des terres mais confiaient la jouissance à des tenanciers. Ces derniers devaient payer une redevance au souverain et s’ils souhaitaient vendre leur droit sur leur terre ils devaient s’acquitter de frais de mutation importants. Il existait également une forme de propriété collective où une partie du foncier appartenait pour majorité au clergé. Il a fallu ensuite attendre la révolution de 1789 et la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen pour voir se dessiner le caractère sacré du droit de propriété que nous connaissons aujourd’hui. « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité18 ». La DDHC faisant partie du bloc de constitutionnalité, le droit de propriété est un droit fondamental, sacré, reconnu par la Constitution, dont le garant est le Conseil constitutionnel. 18 Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, article 17
  • 25. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 25 A) Le Droit national L’article 544, en application de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen définit la propriété comme « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». La propriété est un droit réel, absolu, individuel et perpétuel. La propriété peut être démembrée, certains démembrements sont prévus par le Code civil, tels que les servitude, l’usufruit, ou encore le droit d’usage et d’habitation. Cependant, certains démembrements n’ont pas été prévus par le Code civil, c’est notamment le cas des baux de longue durée, qui sont en réalité des droits réels démembrés, l’emphytéose par exemple est définie par le Code rural, ou encore ses déclinaisons, lesquelles ont été abordées précédemment tels que, le bail réel solidaire, le bail réel immobilier, le bail à construction et le bail à réhabilitation. Alors, une question se pose, une dissociation du foncier et du bâti plus généralisée serait- elle en accord avec la Constitution ? La Constitution protège-t-elle les droits réels immobiliers ? Le droit français prévoit déjà des baux longue durée dissociant de fait le foncier du bâti, il s’agit des baux étudiés précédemment. Du point de vue constitutionnel ces baux, modifiant le régime général du droit de propriété ne sont pas anticonstitutionnel car « ils se fondent sur un motif suffisant d’intérêt général, à savoir l’accession sociale à la propriété ». Même si le Conseil constitutionnel ne s’est jamais prononcé directement sur le caractère constitutionnel des droits réels sur les biens d’autrui par rapport à la DDHC qu’en est-il de la généralisation souhaitée via la mise en place d’un bail réel libre octroyant un droit de propriété temporaire ? Il n’y a pas aujourd’hui de réponse du Conseil des sages sur ce sujet et la protection des droits réels immobiliers mais le droit français permet la séparation du foncier et du bâti dans les transactions immobilières. La limite que l’on pourrait trouver à ce système aujourd’hui ne paraît pas tant relever du droit mais davantage de la philosophie ou de la psychologie. Le droit européen quant à lui a une position plus limpide sur la protection des droits réels immobiliers.
  • 26. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 26 B) Le Droit communautaire L’article 1 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) dispose que « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens ». Il est important de noter que pour la Cour, le terme de biens ne désigne pas seulement des biens mobiliers ou immobiliers mais désigne également les baux. Par extension elle avait également défini les droits réels comme des biens, puisque les biens sont « des droits dotés d’une valeur économique ». A propos du droit au respect, il s’apprécie selon deux critères : le droit d’accès au bien, c’est- à-dire la liberté de pouvoir l’acquérir, et sa protection. Si la liberté d’acquérir un bien ou un droit est facilement compréhensible la protection des biens ou des droits que l’on possède est parfois limitée puisqu’il existe certains cas où l’on peut être privé de sa propriété. Des directives européennes ont à plusieurs reprises énumérées ces cas et les transpositions dans les différents droits nationaux des Etats membres sont plutôt bien respectés. L’atteinte au caractère sacré du droit de propriété est donc parfois possible, par l’intermédiaire de l’expropriation mais cette dernière doit toujours avoir une cause d’utilité publique. II- L’application de ce « nouveau droit » dans le Droit positif Suivant un modèle semblable au système des OFS organisant le BRS, la proposition de loi Lagleize prévoit la mise en place d’organisme fonciers libres organisant le bail réel libre afin de simplifier le régime des baux temporaires de longue durée qui peuvent déjà exister. En effet, le principal obstacle du dispositif BRS, selon M. Lagleize, est qu’il est limité à l’accession sociale à la propriété et qu’il est « trop restreint pour avoir un véritable impact sur le prix du foncier ». A) Les Organismes fonciers libres (OFL) C’est l’article 2, de cette proposition de loi qui fait polémique et qui laisse beaucoup de personnes dans l’incompréhension. L’article 2 prévoit donc de modifier le Chapitre IX du Titre II du Livre III du Code de l’urbanisme en « Organismes fonciers et solidaires ». Cet article vise à modifier l’article L.329-1 du Code de l’urbanisme en supprimant à chaque alinéa le terme « solidaire ». De fait, il existerait un régime général d’organismes fonciers dans lequel serait inclus les OFS et les OFL, reste à voir quel régime particulier sera appliqué pour différencier ces deux
  • 27. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 27 organismes qui comportent malgré tout certaines différences au vu des différents enjeux. La proposition de loi adoptée par l’Assemblée Nationale et désormais devant le Sénat qui doit se prononcer sur l’autorisation donnée au Gouvernement, aux termes de l’article 38 de la Constitution, de prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi afin de créer un régime d’organismes fonciers qui seraient détenus majoritairement par une ou plusieurs personnes publiques afin d’éviter la spéculation foncière19 . Cette généralisation du régime souhaitée par cette proposition de loi voudrait qu’en plus d’être majoritairement détenus par des personnes publiques, ces organismes aient pour objet « pour tout ou partie de leur activité, d’acquérir et de gérer des terrains, bâtis ou non, en vue de réaliser des logements, des locaux à usage commercial, des locaux à usage de bureaux et des équipements collectifs, au moyen de baux de longue durée, en tenant compte des caractéristiques des marchés et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements ». Si les OFS avaient pour objet principal la réalisation de logements sociaux, cette proposition de loi vient étendre aux organismes fonciers libres la possibilité de réaliser des logements libres, des locaux commerciaux, des bureaux et des équipements collectifs aux moyens d’un bail temporaire de longue durée lequel serait semblable au BRS. B) Le bail réel libre Le bail réel libre serait l’outil de développement de la séparation du foncier et du bâti dans le secteur non social. Dans la continuité de création des OFL, cet article 2 prévoit clairement d’autoriser le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance afin de : - « Créer un bail prorogeable garantissant la dissociation de la propriété du bâti du preneur et de la propriété du foncier des organismes » mentionnées précédemment. - « Prévoir les conditions par lesquels ce bail réel accorde au preneur des droits réels en vue de la location ou de l’accession à la propriété, sous des conditions, dans les zones tendues, de loyers ou de prix de cession » - « Définir les conditions de mutations et surtout la valeur des droits réels » - « Définir les règles applicables en cas de résiliation ou de méconnaissance des obligations propres à ce contrat » - « Adapter ou fusionner, si nécessaire, le régime du bail réel immobilier et du bail réel solidaire avec ce nouveau régime, tout en en conservant leurs champs respectifs d’utilisation et leurs caractéristiques » 19 Proposition de Loi n°163 – Sénat – 28 Novembre 2019
  • 28. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 28 La commission des affaires économiques du Sénat, le 4 mars 2020 a rendu un rapport qui vient critiquer cette proposition de loin en particulier cet article 2 qui vise finalement à autoriser le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance et donc à dessaisir le Parlement d’un sujet qui ne fait pas consensus et qui n’est pas juridiquement incontestable. En effet, la commission économique s’interroge sur la constitutionnalité du dispositif, estimant que « M. Lagleize affirme dans son rapport que le foncier est un bien public qui doit être retiré du marché pour permettre une forte régulation des transactions immobilières ». Pour l’instant la mesure phare de la proposition de loi Lagleize est donc devant le Sénat.
  • 29. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 29 SECTION II : OPTIMISER ET BAISSER LE COUT DU FONCIER EN ENVISAGEANT D’AUTRES MESURES D’autres mesures non prévues par la proposition de loi Lagleize auraient pu être envisagées pour optimiser et baisser le coût du foncier, certaines avaient été pensées par le rapport initial mais peut-être existerait-il d’autres leviers pour y parvenir. Sous-section I- Les autres mesures prévues par la proposition de loi Lagleize I- Les observatoires fonciers A) L’état embryonnaire de l’observation foncière Le rapport Lagleize par d’un constat assez simple, le régime des transactions portant sur des terrains constructibles repose sur la spéculation foncière. L’Etat, les collectivités territoriales, les professionnels de la construction, les promoteurs s’en plaignent allègrement mais n’hésitent pourtant pas parfois à acquérir des terrains à des valeurs largement supérieures au prix du bien immobilier construit sur ces derniers. La raison est, elle aussi assez simple à comprendre, le manque de logements, la concurrence, et la demande sont tel, notamment dans les zones tendues, que les acteurs de la promotion et de l’aménagement se livrent à des batailles d’offres pour être sûr d’obtenir la promesse de vente. Aucun acteur de la promotion ne connaît la valeur d’un terrain, puisque la valeur de ce dernier dépend de son potentiel constructible et du prix auquel le vendeur est prêt à céder son terrain. Cependant des vendeurs font également de la rétention de foncier auprès des promoteurs. Il s’exerce ainsi une forme de chantage au prix et un jeu d’enchères se met en place entre les différents promoteurs. C’est donc dans ce contexte que le Gouvernement souhaite instaurer davantage de transparence dans le domaine de l’observations des prix du foncier comme il l’a fait récemment dans plusieurs domaines. En promotion immobilière on pourrait citer la loi ELAN qui oblige les requérants à enregistrer les transactions financières en échange du retrait d’un recours contre une autorisation d’occupation du sol. Les prix des transactions immobilières ont été ouvert au public et le site etalab20 référencie les dernières transactions immobilières enregistrées. En matière de construction le site sit@del221 rend public les statistiques en matière de construction de logements ou de locaux non résidentiels. Depuis quelques temps, le site Géoportail de l’urbanisme22 est également 20 https://app.dvf.etalab.gouv.fr 21 http://developpementdurable.bsocom.fr/statistiques/ReportFolders/ReportFolders.aspx?sRF_ActivePath=P,134 04,13504,13522&sRF_Mode=0&sRF_Expanded=,,P,13404,13504,13522,, 22 https://www.geoportail-urbanisme.gouv.fr
  • 30. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 30 disponible pour obtenir des renseignements sur du foncier (numéro de parcelle cadastrale, zone du PLU, etc.) de manière assez simple. On remarque bien que les Gouvernement successifs souhaitent davantage de transparence dans de nombreux secteurs et l’immobilier n’est pas en reste, cependant les données foncières sont encore assez obscures et la tension est telle que le rapport Lagleize préconise « de renforcer la transparence et la mise en commun des données d’observations locales en la matière ». B) La création obligatoire d’observatoires fonciers La proposition n°6 du rapport suggérait de « créer des observatoires du foncier à titre obligatoire dans les zones tendues et à titre optionnel en zones détendues » en justifiant cette proposition par le fait que les ménages n’ont pas accès à des données sérieuses et pertinentes quant au coût réel du foncier, mais seulement « à des informations partielles issues d’organismes ou d’entreprises ayant un intérêt à l’inflation foncière ».23 Il existe peu aujourd’hui d’observatoires fonciers, il en existe seulement deux : l’observatoire régional du foncier en Ile-de-France (ORF) et l’observatoire foncier de Normandie. Par exemple, le site de l’ORF est en accès libre sur internet et recense les valeurs foncières par commune en Ile-de-France, observe l’évolution des marchés fonciers ou propose des actions visant à améliorer l’utilisation et l’offre du foncier en Ile-de-France, notamment autour des nouvelles gares du « Grand Paris ». Le rôle des observatoires fonciers, au-delà de leurs simples études portant sur l’évolution des coûts du foncier serait de véritablement accompagner les collectivités territoriales et locales dans leur gestion de l’urbanisme, en les assistant notamment sur la réalisation des schémas de cohérence territoriale (SCOT), des plans locaux de l’habitat (PLH) ou des plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) afin que ces derniers répondent à une véritable stratégie foncière permettant de structurer davantage les territoires. Ces organismes pourraient également recenser les friches urbaines, ou encore les terrains disponibles à octroyer à des OFS ou OFL, et tout cela en lien avec les agences d’urbanisme existantes. Ainsi, cette proposition du rapport Lagleize a été porté en l’article 3 de la proposition de loi, dans sa version d’origine adopté par l’Assemblée Nationale, il prévoyait de mettre en place avant le 1er janvier 2021, dans les zones tendues, et de manière obligatoire un observatoire foncier local. 23 Rapport Lagleize : Proposition n°6, p.39
  • 31. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 31 Un article L.132-6-1 aurait été ainsi inséré au code de l’urbanisme : « Les observatoires fonciers locaux ont notamment pour missions : D’étudier les évolutions en matière de foncier sur leurs territoires de compétence en présentant notamment l’évolution des prix des logements, du foncier et des charges foncières. Chaque commune est informée de ces observations sur leur territoire ; De présenter un état des lieux des surfaces potentiellement réalisables par surélévation des immeubles jusqu’en limite de constructibilité́ fixée au plan local d’urbanisme ; De recenser les friches urbaines et publier, le cas échéant, un rapport précis de pollution du site ; De proposer aux autorités compétentes pour délivrer le permis de construire un prix de vente maximum des logements sociaux, intermédiaires et en accession sociale, neufs à construire sur une zone géographiquement délimitée, conjointement avec la collectivité concernée ou son groupement ; De déterminer les périmètres territoriaux susceptibles en termes d’urbanisme et de marché du logement de donner lieu à un portage public ou semi-public du foncier à travers des offices fonciers libres ou solidaires. » La commission des affaires économiques du sénat ne s’oppose pas aujourd’hui à cette mesure mais propose de fusionner ces organismes d’observation foncier avec les observatoires des loyers.
  • 32. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 32 II- La gestion du foncier public Toujours dans une logique de transparence et d’exemplarité, cette proposition de loi vient également toucher les biens de l’Etat ainsi que les biens des collectivités territoriales. Alors, en visant les biens publics ces mesures auront-elles un réel effet sur les coûts du foncier ou ne serait-ce pas plutôt une mesure d’exemplarité ? A) Les biens de l’Etat Aujourd’hui la cession des biens de l’État, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics est règlementée par le Code de la propriété des personnes publiques. Elle doit pour se faire obéir à deux conditions : faire l’objet d’une publicité avec mise en concurrence et se faire soit à l’amiable, soit par adjudication publique24 . L’article 1er de la proposition de loi en sa version initiale visait à modifier l’article L. 3211- 1 du même code ainsi rédigé : « Lorsqu'ils ne sont plus utilisés par un service civil ou militaire de l'Etat ou un établissement public de l'Etat, les immeubles du domaine privé de l'Etat peuvent être vendus dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat » ; en insérant après « peuvent être vendus », « soit à l’amiable, soit par concours à prix fixe portant sur le programme, l’architecture, les qualités innovantes et la réponse aux enjeux locaux durables du porteur de projet.» La modification de l’article L.3211-1 est assez claire, elle vise à supprimer la vente par adjudication publique. Il est vrai que le mécanisme d’adjudication est un mécanisme de hausse des prix, qui fait que des biens immobiliers peuvent être vendus à un prix supérieur à leur valeur intrinsèque et ce mécanisme peut être un facteur de hausse des prix. C’est d’autant plus un phénomène qui n’est pas la norme. En 2018, les ventes avec mise en concurrence auraient représenté « 26,7 % du nombre de cessions de biens de l’Etat contre 9 % pour les ventes par 24 Code de la propriété des personnes publiques, art. R. 3211-2 : « L'aliénation d'un immeuble du domaine privé de l'Etat est consentie avec publicité et mise en concurrence, soit par adjudication publique, soit à l'amiable. Ces procédures ne sont pas applicables aux cessions d'immeubles mentionnées à l'article R. 3211-7. Le ministre chargé du domaine établit le cahier des charges type fixant les conditions générales des aliénations et détermine les modalités générales de la publicité préalable aux adjudications. Ces prescriptions ne sont pas applicables aux aliénations dont l'Etat confie la réalisation à des professionnels habilités. »
  • 33. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 33 adjudication 25 ». Ce projet d’interdiction semble donc davantage être une mesure symbolique d’exemplarité qu’une mesure ayant un réel effet sur les coûts du foncier. La commission des affaires économiques du Sénat va également dans ce sens, puisque selon la Direction de l’Immobilier de l’Etat (DIE), la vente de biens de l’Etat représenterait aujourd’hui moins de 1 % du volume national de transactions. Aujourd’hui pour éviter cette spéculation foncière qui s’exerce surtout dans les zones tendues, la rédaction actuelle de la loi interdit la vente par adjudication des biens de l’Etat dans les zones tendues. Aujourd’hui il existe une hypothèse selon laquelle l’Etat peut procéder à une vente à un prix inférieure à la valeur vénale du bien et c’est l’article L3211-7 du même code qui la prévoit. Dans le cas où la cession d’un bien de l’Etat a pour vocation la construction de logements sociaux une décote allant jusqu’à 100 % peut avoir lieu. Vu le manque de logements sociaux en zone tendue peut-être aurait-il été judicieux de développer l’application de cet article L.3211-7 dans les zones tendues en imaginant la fixation de quota de vente de biens de l’Etat pour construire des logements sociaux. Dans une logique différente de modification des conditions de cession de vente des biens de l’Etat, le législateur souhaite toujours dans une mesure d’exemplarité et de transparence modifier les méthodes d’évaluation des biens des collectivités locales. B) Les biens des collectivités locales Actuellement en matière de cession des biens des collectivités locales, la consultation du Service du Domaine est obligatoire26 , ce dernier doit donner son avis dans un délai d’un mois et est valable un an à compter de la date du rendu. L’article 5 de la proposition de loi vient justement modifier cet article L. 1311-9 du Code général des collectivités territoriales en le rédigeant ainsi : « Les projets d'opérations immobilières mentionnés à l'article L. 1311- 10 doivent être précédés, avant toute entente amiable, d'une demande d'avis de l'autorité compétente de l'Etat ou d’un expert agréé selon des modalités définies par décret en Conseil d’État lorsqu'ils sont poursuivis par les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics » 25 Rapport n°366 fait au nom de la commisiion des affaires économiques – Sénat – p.11 26 Code général des collectivités territoriales, art. L. 1311-9
  • 34. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 34 L’autorité compétente de l’Etat désignant le service du Domaine, cette proposition de loi autorise les maires et les représentants des collectivités locales à demander l’avis d’un expert agréé par l’Etat se substituant au service du Domaine. A l’origine, cette proposition de loi devait permettre aux collectivités de choisir entre l’avis du Domaine et les experts privés, lesquels doivent être agréés, il s’agissait de faire intervenir les experts judiciaires. Il est compréhensible que dans une logique de transparence et de simplicité les représentants locaux préfèrent se tourner vers le service du Domaine ayant aucun intérêt dans l’évaluation, contrairement à des experts privés. Cependant, le recours à des experts judiciaires, semble répondre à cette problématique puisque ces derniers sont déjà agréés auprès de cours d’appel ou de la Cour de cassation. Mais une autre problématique se pose, ces derniers ne sont que peu nombreux sur le territoire et il risque d’être compliqué pour ces derniers de présenter leurs expertises dans des délais raisonnables. La commission du Sénat propose donc une mesure visant à élargir la liste des experts. Les experts retenus seraient les experts fonciers et agricoles et les experts forestiers, qui contrairement aux « experts immobiliers », sont des professions règlementées et offrent donc les garanties nécessaires. Cette proposition est intéressante mais vient se heurter à une problématique, le recours systématique à un expert peut coûter cher aux communes et il y a donc de grandes chances que ces dernières continuent de se tourner vers le service du Domaine. Ces autres mesures proposées par cette proposition de loi ne touchant pas directement au droit de propriété des personnes privées et visant directement l’Etat sont intéressantes, mais elles ne seront certainement pas suffisantes pour endiguer la spéculation foncière et libérer du foncier. La création d’observatoire de foncier paraît être la première étape d’une prise de conscience du Gouvernement mais elle ne sera certainement pas suffisante et il existe d’autres pistes qui n’ont pas été soumises à l’approbation du Parlement. Sous-section II- Les pistes à explorer D’autres pistes sont à explorer pour freiner l’envolée des prix du foncier, certaines ont été envisagé par le rapport de M. Lagleize, d’autres non mais qui pourtant, pourraient avoir un effet efficace : des mesures économiques et des mesures qui affectant le droit de l’urbanisme et les pouvoirs des promoteurs. En termes de rétention du foncier, le pouvoir des propriétaires n’est pas à négliger. Lorsque la vente d’un bien immobilier se fait entre deux particuliers, la question de la valeur du bien ne se pose pas particulièrement, la valeur du bien est sa valeur d’usage. En revanche, lorsqu’un promoteur ou un professionnel souhaite acquérir un bien pour le transformer ou pour le démolir et construire un immeuble sur son terrain la question est toute
  • 35. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 35 autre, puisque la valeur du bien pour l’acquéreur est une valeur projetée, une valeur déterminée par le potentiel de constructibilité offerte par les règles d’urbanisme. Ainsi une maison individuelle pourra satisfaire un acquéreur car le cadre de vie est plaisant mais ne satisfera pas un promoteur car le potentiel de constructibilité offert par le terrain ne lui sera pas satisfaisant et ne lui permettra pas d’engendrer de la plus-value. En zone tendue, la question est toute autre puisque les promoteurs « s’arrachent » des parcelles de terrain, et des pavillons leur sont donc vendus à des prix largement supérieurs au prix du marché car le potentiel offert par le terrain leur permet de dégager des marges suffisantes, en revendant des logements parfois à plus de 10.000 €/m2 . I- Les pistes économiques En matière d’économie, deux leviers seraient aujourd’hui disponibles pour libérer du foncier, un outil économique pour l’Etat mais qui peut également être vu comme un outil de politique publique et un outil purement économique, ou du moins un instrument de régulation de l’économie : les taux d’intérêts. A) La fiscalité : outil de politique publique La fiscalité a toujours représenté un outil formidable pour inciter les contribuables et les citoyens à faire des choix. Aujourd’hui le système de plus-value n’incite pas à vendre son patrimoine et n’incite pas non plus à libérer du foncier, surtout lorsque le bien ne constitue pas la résidence principale des vendeurs. Le système d’impôt sur les plus-values peut être un frein à la cession de biens qui constitueraient une résidence secondaire. En y regardant de plus près, lorsqu’on sait que des propriétaires possèdent des biens en résidence secondaire offrant un potentiel de constructibilité intéressant pour une opération de construction de logements collectifs, il est compréhensible que les vendeurs ne soient pas disposés à céder leur bien. Vu les sommes que peuvent parfois payer les promoteurs, l’impôt sur les plus-values y est proportionnellement important. Des promoteurs dans leurs négociations prennent parfois le montant de cette plus-value à leur charge lorsqu’ils souhaitent acquérir un terrain, et ce de manière plus ou moins déguisée. Faute de quoi les terrains achetés sont souvent cédés à des valeurs largement supérieures au prix du marché, et le coût d’acquisition élevé par le promoteur se répercute sur le prix de vente à l’acquéreur. Ce système actuel a donc un triple impact, il contribue à la rétention du foncier, à la hausse des coûts du foncier et à la hausse des prix de l’immobilier dans le logement neuf.
  • 36. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 36 Alors certes, tous les biens immobiliers acquis par des promoteurs ne concernent pas des résidences secondaires mais les biens détenus par des sociétés sont également concernés. Alors pourrait-on se poser la question de la suppression de l’impôt sur les plus-values immobilières lorsque l’objectif de la vente est la construction d’un immeuble collectif destiné à l’accession sociale ou non à la propriété ou encore lorsqu’il concerne la construction de logements sociaux ou intermédiaires dans les zones tendues ? Une réforme de l’imposition sur les plus-values lors d’une cession de terrain à bâtir avait été mise en place en 201427 , elle prévoyait un allégement de la fiscalité et des abattements exceptionnels jusqu’au 31 décembre 2015, ainsi les vendeurs de terrains à bâtir bénéficiaient d’un abattement de 30 % en plus de l’abattement sur l’assiette fiscale et sociale afin d’inciter les propriétaires de terrain à bâtir à vendre leur bien et lutter contre la rétention de terrains. Le régime de l’impôt sur les plus-values immobilières évolue régulièrement alors pourquoi ne pas le réformer à nouveau surtout lorsqu’on connaît le pouvoir des réformes fiscales sur les prises de décision ? B) Les taux d’intérêts : outils de régulation de l’économie Le mécanisme des taux d’intérêts n’est pas toujours facile à comprendre, de manière un peu simpliste, on affirme que lorsque les taux d’intérêts sont bas les prix sont élevés et a contrario lorsqu’ils sont haut les prix sont bas. Alors pourquoi ne pas augmenter les taux d’intérêt ? La réponse n’est pas simple, et les conséquences de taux d’intérêt hauts sont loin d’être quelque chose de positif pour l’économie et pour l’immobilier. Aujourd’hui les professionnels de la construction financent la construction par plusieurs moyens : les fonds propres, l’emprunt, et l’investissement de personnes dans la construction (sociétés d’attribution par exemple). Les conditions actuelles du marché permettent aux promoteurs d’emprunter à des taux intéressants, alors même si ces derniers empruntent à des taux supérieurs aux ménages, ces taux restent largement favorables. Ainsi, la répercussion des taux d’intérêt sur le coût de la construction ne se fait que très peu sentir pour l’acquéreur. Mais le mécanisme fait que les prix de l’immobilier ont beaucoup augmentés, en effet, le fait que les ménages puissent emprunter à des taux très favorables a pour conséquence d’augmenter la part du capital dans le crédit et donc de baisser la part des intérêts. A contrario, lorsque les taux sont hauts, la part du capital 27 http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/17941.pdf
  • 37. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 37 empruntée baisse et la part des intérêts augmente. Faute de quoi lorsque les taux sont bas les prix de l’immobilier sont hauts car les capacités d’emprunt augmentent. Mais aujourd’hui les taux sont très bas, et la situation financière se tend. Les taux d’intérêt sont historiquement bas et peuvent conduire les organismes prêteurs qui empruntent déjà à des taux négatifs, à prêter davantage car les intérêts ne leur rapportent pas suffisamment, et d’autant plus sur de longues périodes à des ménages à risque ayant peu de capacité d’emprunt, ce mécanisme avait conduit en 2008 à la crise des subprimes et il est a surveillé, si bien que le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) est venu durcir depuis 2019 les conditions de prêt. Les prêts pour une durée supérieure à 25 ans sont désormais proscrits et le taux d’endettement ne doit pas dépasser 33 %. Les taux d’intérêt trop sont également favorables à la spéculation immobilière et peuvent avoir des conséquences sur les qualités des constructions. Le marché immobilier est aujourd’hui favorable aux investisseurs qui peuvent emprunter à des taux historiquement bas et espérer trouver un produit ayant une rentabilité plutôt intéressante par rapport aux autres produits de placements financiers et offrir en même temps les garanties nécessaires aux organismes financiers. Les primo-accédant viennent en conséquence se heurter aux investisseurs qui cherchent à peu près les mêmes surfaces de logements tout en offrant généralement, aux organismes prêteurs des garanties inférieures, faute de quoi les petites surfaces se raréfient, le marché s’assèche dans les zones tendues et les primo-accédants peinent à accéder à la propriété. Les taux d’intérêt bas ont pour conséquence d’accélérer la construction de logements neufs, surtout le montage de projets de construction. Il y a aujourd’hui dans le secteur du bâtiment une pénurie de main d’œuvre, notamment de main d’œuvre qualifiée et de matériaux, la croissance de l’activité du fait des conditions largement favorables a eu pour conséquence d’allonger les délais de construction, alors certes il y a eu la crise sanitaire, mais cette pénurie s’explique davantage par la forte croissance de l’activité dans le BTP que la crise du COVID. Il est très difficile de jongler avec les taux d’intérêt lesquels dépendent des conditions d’emprunt de l’Etat, mais c’est un mécanisme qu’il est important de comprendre afin d’éviter les catastrophes du passé. Si des pistes économiques existent pour lutter contre la hausse des prix et la spéculation, des pistes en matière de droit de l’urbanisme et de la construction sont également à explorer.
  • 38. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 38 II- Les pistes en urbanisme A) Les chartes promoteurs Une charte est un « document définissant solennellement des droits et des devoirs28 » Des chartes existent déjà en matière d’urbanisme et de droit de la construction, on pourrait citer les chartes intercommunales de développement et d’aménagement. Elles avaient été instituées par la loi du 7 janvier 1983 et sont codifiées aux article L.5223-1 du Code général des collectivités territoriales et définissent « les perspectives à moyen terme du développement économique, social, et culturel (des communes concernées), déterminent les programmes d’action correspondants, précisent les conditions d’organisation et de fonctionnement des équipements et des services publics ». L’élaboration de ces chartes n’a rien d’obligatoire pour les communes et le principe de ces chartes est de laisser aux communes la souveraineté de pouvoir élaborer des règles qui ne sont pas déjà prévues par les documents d’urbanisme existant, et ce dans un objectif de décentralisation et de donner davantage de pouvoir aux communes ou aux intercommunalités en la matière. Ainsi les maires de certaines communes situées dans les zones tendues ont décidé de mettre en place des chartes pour tenter de réduire les coûts du foncier et de garder du pouvoir sur la gestion foncière de leur commune. C’est la proposition n°9 du rapport sur la maîtrise des coûts du foncier qui aborde le sujet. Cette proposition n’a pas été retenu mais visait à « Autoriser l’inscription en annexe du PLU d’un prix de vente maximum des logements neufs à construire par quartiers géographiquement délimités et par typologie de logements, sous condition de l’existence d’un observatoire du foncier ». Certains maires constructeurs ont décidé de prendre les devants et de ne plus laisser s’installer dans leur commune une forme d’anarchie sur les constructions. Il ne s’agit pas de projets qui ne respecteraient pas les prescriptions d’urbanisme notamment sur les tailles de construction ou sur les caractères architecturaux mais plutôt sur les prix de ventes pratiqués. Certains maires lassés de voir les prix de vente des logements neufs s’envoler dans leur commune ont donc décidé de mettre en place des chartes visant à encadrer les prix de vente des logements dans certains quartiers. La commune de Saint-Quentin-en-Yvelines (78) en est le parfait exemple et a publié une charte en Avril 2019, laquelle fixe des prix de référence moyens par quartier sur lesquels les promoteurs doivent s’aligner. Cette proposition visait en fin de 28 CORNU (G) – Vocabulaire juridique – ed. Puf
  • 39. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 39 compte à codifier une pratique déjà existante. Les maires notamment dans les zones tendues seraient demandeurs de pouvoir appliquer ces chartes mais c’est un système qui peut être dangereux du point de vue de la sécurité juridique notamment en ce qui concerne le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Il y a quelques années ce système faisait polémique et le Préfet de la région Ile-de-France s’indignait, dans une interview donnée au journal Le Monde le 9 juin 201629 , contre la multiplication des chartes municipales dans la région qui freinait la construction de logements neufs. Effectivement, pour accélérer les constructions et les délivrances de permis de construire, l’Etat avait fait des efforts de simplification de certaines lois et règlements, on pourrait citer par exemple en ce qui concerne le délai de recours des tiers contre une autorisation d’occupation du sol : la réduction du délai ou la restriction de l’intérêt à agir, et en même temps le fait que certains maires augmentent leurs exigences avant de délivrer un permis de construire semblait assez antagoniste. Le président de la FPI de l’époque incitait ses adhérents à ne pas signer ces chartes. Elle s’indignait en ajoutant que certaines dispositions de ces chartes étaient illégales et que les promoteurs étaient victimes de chantage de la part de certains maires, qui pourtant déposant des demandes de permis de construire en accord avec les prescriptions d’urbanisme se voyaient rajouter des obligations de construction pourtant non prescrites par les règles d’urbanismes mais seulement par des chartes auxquels ils devaient adhérer pour obtenir leur autorisation. Les maires et promoteurs sont pourtant des acteurs qui peuvent avoir effectivement des intérêts différents mais il est plus que jamais nécessaire qu’ils s’entendent afin de répondre aux besoins en matière de constructions neuves. Alors qu’en est-il aujourd’hui cinq ans après ? Le discours des promoteurs aujourd’hui est plus nuancé, il semblerait que les mentalités évoluent au vu de l’envolée des prix et des enjeux se rapportant au droit au logement et Frédéric Cartier, directeur immobilier chez Eiffage immobilier Ile-de-France affirmait le 12 juin 2018 dans une interview donnée à l’agence d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France que ces chartes en plafonnant les prix de vente permettaient véritablement « de fluidifier les ventes et d’acquérir du foncier à coût plus bas ». De plus, ce dernier reconnaissait que les exigences des maires les obligeaient à construire des logements plus vertueux et de meilleure qualité » il ajoute même qu’aujourd’hui les promoteurs postulent dès lors qu’un maire impose une charte. Alors que contiennent ces chartes, il faut admettre que ces chartes ne portent généralement pas atteinte aux prescriptions d’urbanisme et ne doivent surtout pas être contraire au PLU. Généralement, elles contiennent des plafonds sur les prix de vente des logements neufs, 29 https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/06/10/immobilier-le-prefet-de-l-ille-de-france-denonce-le- chantage-des-maires_4947539_3234.html
  • 40. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 40 des exigences supérieurs aux normes actuelles en matière environnementale, des contraintes sur la taille des surfaces habitables ou sur les typologies de logements (un maximum de T2 ou un minimum de T3) et parfois même prescrivent des exigences supérieures à la règlementation officielle sur le nombre de logements sociaux à construire dans la commune. Ainsi, il est peut-être regrettable qu’une proposition comme celle-là qui visait finalement à encadrer ces chartes promoteurs, n’est pas été retenue dans la proposition de loi finale. Alors au-delà du fait que ces chartes qui n’ont pas de caractère légal, règlementaire ou opposable mais seulement un caractère conventionnel, et qu’il est plus simple de créer une charte que de modifier un PLU ne serait-il pas temps de s’atteler aux PLU afin d’imposer certaines règles se trouvant dans les chartes promoteurs ? B) L’efficience des plans locaux d’urbanisme (PLU) Chaque territoire a des enjeux spécifiques et les modalités d’occupation des sols ne peuvent donc pas être les mêmes sur le territoire national, c’est pourquoi les règles en matière d’urbanisme doivent être décentralisées. Aujourd’hui le PLU est le document règlementant les conditions d’occupation à la plus petite échelle. Le contenu des PLU est règlementé par les articles L.101-2 et L.101-3 du Code de l’urbanisme, ainsi ce dernier doit obéir aux règlements supérieurs tels que le règlement national d’urbanisme (RNU), le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) ou le schéma de cohérence territoriale (SCOT). Alors un PLU, qui est aujourd’hui, le document de règlementation d’urbanisme le plus local ne pourrait-il pas imposer des règles contenues dans les chartes promoteurs ? Le rôle du PLU est de réglementé les conditions d’occupation des sols, ainsi il peut interdire certains types de constructions dans certaines zones, prévoir des hauteurs de constructions maximums, des obligations de création de stationnement, ou encore l’utilisation de certains matériaux dans une logique d’harmonie architecturale. En revanche, le PLU ne peut absolument pas règlementer les prix de vente de terrains à bâtir ou de logements neufs, cette hypothèse demeure hors du domaine du PLU et de toute règle d’urbanisme et demeure une conséquence du libre-échange et du droit de propriété. Cependant, les PLU ou PLUi pourraient prévoir une hauteur minimale de construction dans les zones tendues afin de les densifier davantage. M. Jean-Luc Lagleize aborde le sujet dans son rapport et ouvre le débat en proposant de permettre aux élus locaux de favoriser les projets de promoteurs utilisant les capacités maximales offertes par les PLU, notamment en
  • 41. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 41 termes de hauteur de construction ou d’emprise au sol, en leur versant une prime, en contrepartie d’une « modération du prix de vente ». Le débat est effectivement ouvert et il parait effectivement opportun de relever qu’une densification urbaine est nécessaire pour lutter contre la pénurie de logements dans les zones tendues et l’artificialisation des sols par la même occasion mais le fait de baisser le prix de vente des logements en contrepartie d’une prime reversée au promoteur ne reviendrait-il pas à un système d’aide à l’accession au logement octroyé par les communes ? D’autant plus que dans les zones tendues, les promoteurs font généralement tous leurs efforts pour exploiter au maximum les possibilités offertes par les PLU pas pour répondre immédiatement au manque de logements mais parce que plus la surface de planchers construite est importante plus le programme immobilier est rentable. Ainsi, une autre question se pose, celle de déroger aux règles d’urbanisme pour dépasser les limites de construction prescrites. Les règles d’urbanisme peuvent effectivement « faire l’objet d’adaptations mineures rendues nécessaires par la nature du sol, la configuration des parcelles ou le caractère des constructions avoisinantes 30 ». L’article L. 152-6 du Code de l’urbanisme, issu de la loi ELAN du 23 novembre 2018, précise en son premier alinéa précise que dans les communes de plus de 50.000 habitants, ou dans les communes de plus de 15.000 habitants en forte croissance, l’autorité peut en motivant sa décision « dans le respect d’un objectif de mixité sociale » déroger aux règles relatives au gabarit et à la densité pour autoriser une construction destinée principalement à l’habitation à dépasser la hauteur maximale prévue par le règlement, sans pouvoir dépasser la hauteur de la construction contigüe existante calculée à son faîtage et sous réserve que le projet s’intègre harmonieusement dans le milieu urbain environnant ». La loi ELAN a élargi les possibilités de dérogations aux PLU en considérant que chaque projet immobilier à des caractéristiques spécifiques, alors même s’il existe des règles générales pour maitriser l’urbanisme localement, des dérogations sont possibles dans des conditions bien particulières, le droit n’est pas une science figée mais une science en mouvement qui doit s’adapter à la conjoncture et aux comportements des différents acteurs, ainsi l’équilibre entre protection des droits des personnes, des droits de l’environnement et préservation des libertés contractuelle et d’entreprendre est difficile à atteindre. 30 C. urba. L.152-3
  • 42. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 42 Conclusion Cette proposition de loi visant à réduire le coût du foncier en étendant la notion et les possibilités de dissociation du foncier et du bâti à l’accession classique à la propriété est actuellement étudiée par le Sénat. Il n’est pas simple aujourd’hui de déceler les articles de la proposition de loi qui vont être adoptés. Si le rapport originel proposait une cinquantaine d’idées à mettre en place pour maitriser les coûts du foncier il est regrettable que la proposition de loi n’aille pas plus loin dans l’idée de rendre davantage de foncier disponible notamment en mettant fin au régime d’imposition sur les plus-values immobilières lorsque la vente du bien vise la construction d’un immeuble collectif. De plus les projets de chartes promoteurs permettant de faire travailler ensemble élus locaux et promoteurs et non plus en défiance systématique aurait mérité d’être approfondi et éclairer, en effet s’il est admis que les professionnels de la construction ont un rôle à jouer dans la régulation des prix de l’immobilier les collectivités ont aussi tout à y gagner. La proposition souhaitait à l’origine réinventer le droit de propriété en créant une nouvelle forme de bail semblable au bail réel solidaire mais elle ne le réinvente finalement pas reprenant quelque chose qui existe déjà en matière d’accession sociale à la propriété. Finalement cette proposition aura davantage créé la polémique, en tentant de modifier le caractère absolu du droit de propriété de façon pas suffisamment claire, que révolutionner le droit de propriété en espérant un effet rapide sur le coût et la libération du foncier. On peut légitimement se poser la question de la complexité de cette loi, n’y avait-il pas d’autres pratiques à mettre en place que de décider de toucher directement au droit de propriété ? Peut-être aurait-il fallu légiférer sur le régime des locations temporaires meublées dans les grandes villes, parfait exemple de spéculation immobilière qui empêche les primo-accédants de se loger. Nul ne sait si cette proposition de loi sera adoptée, ni si elle l’est si les prix du foncier et de l’immobilier vont baisser. Une chose est en revanche certaine, le problème du logement n’est pas une question franco-française mais un enjeu international et européen, la population mondiale est en croissance exponentielle et la question une question à laquelle il faudra apporter des réponses pour permettre aux populations de se loger dans des conditions satisfaisantes. Finalement la crise sanitaire démontre que de nombreuses personnes peuvent travailler en dehors de leurs entreprises et des grandes villes grâce au télétravail et de plus en plus de français souhaitent vivre dans de plus petites villes pour avoir de meilleures conditions de vie, assistera- t-on a un exode qui déplacera également la problématique du logement vers les campagnes ?
  • 43. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 43 TABLE DES MATIERES SECTION I : CASSER LA HAUSSE DES PRIX DU FONCIER EN DISSOCIANT LE FONCIER DU BÂTI................................................................................................................9 SOUS-SECTION I – LA SITUATION ACTUELLE ...........................................................................9 I- L’emphytéose : instrument juridique majeur permettant la dissociation du foncier du bâti.................................................................................................................................9 A) Le bail à construction et le bail à réhabilitation .....................................................9 1) Le bail à construction .......................................................................................10 2) Le bail à réhabilitation......................................................................................11 B) Le bail réel solidaire (BRS) et le bail réel immobilier (BRI)...............................13 1) Le bail réel solidaire (BRS)..............................................................................13 2) Le Bail réel immobilier (BRILO).....................................................................19 II- Le cas de nos voisins ................................................................................................20 A) Le Royaume-Uni..................................................................................................21 B) L’Allemagne.........................................................................................................22 SOUS-SECTION II – VERS UNE REDEFINITION DE LA NOTION DU DROIT DE PROPRIETE ...........24 I- L’état du Droit..........................................................................................................24 A) Le Droit national ..................................................................................................25 B) Le Droit communautaire ......................................................................................26 II- L’application de ce « nouveau droit » dans le Droit positif ....................................26 A) Les Organismes fonciers libres (OFL) .................................................................26 B) Le bail réel libre ...................................................................................................27 SECTION II : OPTIMISER ET BAISSER LE COUT DU FONCIER EN ENVISAGEANT D’AUTRES MESURES...........................................................................29 SOUS-SECTION I- LES AUTRES MESURES PREVUES PAR LA PROPOSITION DE LOI LAGLEIZE....29 I- Les observatoires fonciers........................................................................................29 A) L’état embryonnaire de l’observation foncière ....................................................29 B) La création obligatoire d’observatoires fonciers..................................................30 II- La gestion du foncier public.....................................................................................32 A) Les biens de l’Etat................................................................................................32 B) Les biens des collectivités locales........................................................................33 SOUS-SECTION II- LES PISTES A EXPLORER............................................................................34
  • 44. Thibault Louard - Mémoire M2 - Université de Limoges – 2019/2021 44 I- Les pistes économiques ............................................................................................35 A) La fiscalité : outil de politique publique...............................................................35 B) Les taux d’intérêts : outils de régulation de l’économie ......................................36 II- Les pistes en urbanisme............................................................................................38 A) Les chartes promoteurs.........................................................................................38 B) L’efficience des plans locaux d’urbanisme (PLU)...............................................40 CONCLUSION.......................................................................................................................42