Présentation effectuée par Prof. Jean-Bénoit Tsofack, enseignant au Département de Langues Etrangères Appliquées (LEA), le 27 janvier 2016 à la salle des conférences de l'Université de Dschang. C'était dans le cadre des "Grandes conférences" de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH).
Faut-il avoir peur de la technique ? (G. Gay-Para)
Parler (des) jeunes et scripturalité: de quelques scénographies en milieux estudiantins à Dschang
1. PARLER(DES) JEUNES ET
SCRIPTURALITÉ: DE QUELQUES
SCÉNOGRAPHIES EN MILIEUX
ESTUDIANTINS A DSCHANG
Jean-Benoît TSOFACK(Université de
Dschang)
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2. PROBLEMATIQUE
Peut-on étendre le « parler (des) jeunes » à sa
dimension scripturale? Autrement dit l’identité
des jeunes ne peut-elle pas se construire à
travers la façon d’écrire ?
L’écriture apparaît ainsi, comme toutes les
autres activités symboliques par lesquelles on
exprime une identité, une façon de « parler »,
un usage particulier de la langue, une forme
particulière de parole (Lamizet, 2004: 82).
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3. Objectifs
1) Montrer que l’identité jeune peut se construire à
travers les discours sous un double aspect:
- l’aspect créativité par une spectacularisation
des codes graphiques et des langues
- l’aspect contestation par une (re)mise en cause
et en question des normes (sociales, politiques,
linguistiques, institutionnelles, etc.).
2) Montrer aussi que l’écriture constitue un
langage de la trace (qui renseigne sur une
présence absente), mais aussi une forme de
marquage identitaire par laquelle on affirme une
présence dans un espace donné.
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4. Méthodologie et corpus
Cadre d’analyse: Analyse du disco urs (procès
d’appropriation de l’espace et son marquage langagier ou
linguistique).
Corpus: o bse rvatio n indire cte sur corpus non sollicité près
de 300 occurrences de fragments de discours et
expressions inscrits à l’encre du stylo ou au crayon et de
longueurs variables.
Supports: murs des salles de classes et des toilettes,
tables-bancs, portes des amphithéâtres, bref, des espaces
de parole non institués à l’Université de Dschang
Outils: retranscription fidèle des occurrences les plus
lisibles au stylo à bille et photographie numérique.
Spécificités: productions spontanées et désactualisées,
supports précaires, mobiles, évanescents et dégradables
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5. SPECTACULARISATION DESDISCOURS…ETDESCODESGRAPHIQUES
On peut globalement considérer les discours
des étudiants comme une double mise en
scène: celle de la vie à travers les
thématiques abordées et celle de l’écriture à
travers leur mise en mots.
On y observe un foisonnement de nouveaux
usages des langues et la circulation de
nouvelles normes linguistiques et/ou
langagières, identitaires… liées à la
complexité et à l’hétérogénéité des situations.
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6. a) Paradigmes thématiques dominants
Les thèmes abordés sont nombreux: sport,
religion, politique, humour, musique, vêture,
corruption, amitié, rapports filles-garçons,
etc.; liés à la vie étudiante et extra-scolaire
qui correspondent, en grande partie, aux
thématiques classiques de l’argot des jeunes.
Cependant on observe:
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7. Ave c die u pas de hasard tu so uffre s
de puis
Jé sus e st le m aître de ce tte salle
Appre nds e t de m ande à die u tu
co nstate ras de bo ns ré sultats
Do nne ta vie à jé sus christ e t il
t’affranchira
Jé sus says re pe ntantce is a
ne ce ssity fo r yo u!
Je une ho m m e ré jo uis to i pe ndant le s
jo urs de ta je une sse , livre to n cœ ur à
la jo ie , m arche se lo n le s vœ ux de to n
cœ ur, m arche se lo n le s dé sirs de to n
cœ ur, m ais sache q u’1 jo ur die u
t’appe lle ra
La re lig io n n’a pas la vé rité po ur o bje t
La triche rie une m aladie q ui
tue l’inte llig e nce
La triche rie e st un o cé an o ù
se no ie l’inte llig e nce
Fraude r c’e st re no nce r à sa
dig nité hum aine
Enco urag e o ns l’e xce lle nce
acadé m iq ue
Re spe cte r la discipline c’e st
vo us re spe cte r
Carto n ro ug e à la triche rie e t
aux té lé pho ne s po rtable s e n
salle d’e xam e n
Une forte référence à la religion et à la
piété … au service de l’éthique universitaire
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8. Mais aussi,
une
focalisation
maladive sur
le sexe qui
dénote des
tensions
sociale et la
contestation
du rapport
des places
Qu’e st ce q ue la fe m m e ? c’e st la co uche de
chair inutile q ui e nto ure le vag in
Si vo us vo ye z Chanilla dite s-lui de m e re m e ttre
le bo ut de m o n pé nis e lle m e l’a arraché q uand
e lle m e faisait la pipe tte
Po urq uo i ce tte utilisatio n anarchiq ue du se xe
q ui abê tisse davantag e l’e sprit. Ce q ue fe m m e
a do nné e st - (n’e st pas im po rtant) m ais
ag açant. Re sto ns m aître s de no us-m ê m e s. Je
m ’é to nne de vo ir le s ho m m e s co urir po ur
l’uté rus q ue dire po ur ce s pe rso nne s… ils ne
so nt pas de s ho m m e s m ais de s bê te s puisq ue
l’instinct se xue l do m ine le ur instinct de raiso n
q ui fait de vo us de s ê tre s pre sq ue supé rie urs
aux anim aux.
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9. b) Une écriture mosaïque et de la mixité
Les discours estudiantins se présentent comme
un amalgame de lettres, de chiffres, de formules,
voire de catégories scripturales disposés et
organisés avec une certaine fantaisie qui reflète
l’abondante créativité dont cette forme
d’expression est la manifestation.
Cette scripturalité iconoclaste participe du jeu
certes, mais aussi de la (re)mise en question et
en cause, bref, de la contestation des normes
scripturales instituées
Plusieurs scénographies y sont ainsi envisagées:
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10. Discours-poèmes à forte coloration épidictique
To i q ue j’ai lo ng te m ps
dé siré
Qui o ccupe to ute s m e s
pe nsé e s Je ve ux vivre
so us to n so le il
Po ur partag e r to n cie l
(FABIANCHIPPA)
R : si tu m ’aim e s tant
tro uve -m o i au
baiso dro m e
Ce so ir je vais te m e ttre le
fe u (philo )
Catharxism e (purg atio n de s passio ns )
Jo ufflu de ro sé e m ie lle ux, la vo yant so urire ,
Gallo pant ave c une m ag ie à co upe r le so uffle ,
J’avais to ut é lé g am m e nt de s salive s âcre s
De re le nt lim pide , so n de rriè re d’une co nve xe
Translucide aurait jadis rappe lé le so le il
Co nq ué rant la cim e , pure be auté e us-je dit
Qui n’aurait pas laissé ce tte cré ature
Echappe r au nirvana d’un cé libat pro lo ng é ,
Attractio n infaillible , se ig ne ur po tie r che vro nné
Ô e lle po ur m o i, tu e s e nraciné dans le s flancs
de m o n
Misé rable ê tre , d’e nve lo ppe ave ug le .
Po ur m o i tu e s la m o ntag ne bo ndissante
De m e s vaisse aux g ro ndant d’e xtase
Po ur m o i tu n’e s rie n d’autre q u’un cô té ,
Dise nt le s re lig ie ux, ô té de de puis le chao s
pre m ie r
Po ur m o i tu n’e s rie n de sig nifiant
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11. Pratique épistolaire au service de l’amour
Salut !je ve ux crie r à q ue l
po int je t’aim e m ais je ne
pe ux pas à cause de ce tte
am itié q ui no us lie dé jà.
Chaq ue fo is q ue no us
so m m e s e nse m ble , je prie
po ur q ue le s se co nde s
de vie nne nt de s he ure s.
J’e spè re q u’un jo ur tu te
dé clare ras ce la. Je sais q ue
c’e st ré cipro q ue .
20 0 4/20 0 5
Dschang le 20 m ai 20 0 7
Ma chè re prince s se
Une fo is de plus m o n cœ ur e t m o n âm e se fo rg e nt à
l’inté rie ur po ur e ssaye r de diss im ule r le s s e ntim e nts
trè s fo rts q ue j’é pro uve po ur to i chaq ue fo is q ue tu e s
auprè s de m o i.
Et chaq ue fo is, m e s s e ntim e nts re m o nte nt e n surface
aprè s q ue tu so is partie e t dè s lo rs je m e dé chire e t
m e to rture e n m e pro m e ttant de te faire part la
pro chaine fo is.
Mais q ue ls s e ntim e nts ?
Ce ux q ui vo nt dé truire no tre am itié passive o u ce ux
q ui vo nt no us faire vivre de s instants m e rve ille ux e t
ino ubliable s ?
Mais je ne sais pas dans q ue lcam p tu e s, alo rs j’ai
pe ur… je n’o s e pas te le dire
Je pe nse à to i chaq ue fo is q ue j’é tudie e t chaq ue fo is
q ue je fe rm e le s ye ux.
Mais ce n’e st pas une o bse ssio n, ce n’e st q u’un
chag rin q ui va pe ut-ê tre passe r q ui sait… ?
Je t’aim e
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12. Enoncés dialogués
Que faire si l’o n
aim e vé ritable m e nt
une fe m m e ?
R : O n se suicide
R : O n lui dé clare
so n am o ur
R : Mais no n o n la
fait rê ve r
Po urq uo i le s fille s
n’aim e nt q ue le m até rie l
de no s jo urs ?
R : Tu as dé jà vu
co m bie n de fille s ? idio t
R : Parce q ue le s
g arço ns n’o nt rie n
d’autre à le ur do nne r
R : C’e st faux m o i je
n’aim e pas le s do
Dialogues simulés parun seul
sujet
Dialogue effectif avec plusieurs
sujets supposés
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13. Langage-SMS et mise en scène graphique
Je s8 ho m o se xue l Je s8 pé dé
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14. bushing surmenage
+∞
−∞
=∫
24
24
h
h∫
24
24
h
h∫ succèstotal
∫
18
6
h
h∫ [ ]
normal
normal
Valider C+
bushing =
tricherie d’uv = torticolis + frais
médicaux
(Tricherie d’uv = torticolis et non validation)
Admis =
busher tt =
Avec C = bien manger le tapioca + l’or jaune et bien dormir sur un matelas en paille
Admis =
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15. Formulations argumentatives
Qu’e st ce q ue la
fe m m e ? C’e st la
co uche de chair
inutile q ui e nto ure le
vag in
L’am o ur c’e st ce q ue
j’ai à fo urnir co m m e
m atiè re pre m iè re à
ce ux q ui e n o nt
be so in
Je suis la vie , la vé rité
e t le che m in J= v v c
Un ho m m e sur sa
fe m m e e st co m m e
un m o urant
care ssant so n
to m be au
Mie ux vaut rate r un
baise r q ue d’ê tre
baisé par un taré
de type définitoire (a est b)
De type comparatif (a est comme
b) ou rhétorique (jeu surles
signifiants)
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16. Formulations condensées
L’unive rsité e st le
m o nde du fax
Fro nt = surm e nag e
Cle anline ss is ne xt
to g o o dline ss
Ce n’e st pas parce
q ue l’e scarg o t n’a pas
de de nts q ue tu vas le
m e ttre dans to n
cale ço n
Nulne pe ut chie r
sans pisse r
La vie e st co m m e la
fe sse de la po ule .
Aujo urd’hui ça chie
de m ain ça po nd
De type slogans De type proverbial
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17. c) Pratiques linguistiques majoritairement plurilingues
La tendance globale des discours est à la
mixité et à la fluidité des codes graphiques ou
de ce qu’on peut considérer comme des
langues.
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18. Forte tendance à la camfranglicisation
Tu ya ta part de m ig no n au te l, c’e st triste
Ma ché rie si tu m e ya dis m o i, drag ue m o i-
m ê m e no n ?
To n bao te fait e nco re rê ve r. Mo n am ie sache
q ue sans do iln’y a pas « ndo lo ».
Quand o n m ang e la banane ave c la pe au o n
ne ya pas le m ig no n
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19. mais aux pratiques dites plurilingues en alternance
Je t’aim e je ve ux
co uche r ave c to i
R : Tu re ste ras
vie rg e lo ng te m ps
R : so so waka so so
sufe r
Dro it fo re ve r
Yo u dak bang a yo u
lo st se ns if yo u lo st
se ns yo u lo st all
thing
verticale Ou horizontale
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20. LOGIQUES ALTERITAIRES ET PRATIQUES
CONTESTATAIRES
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L’une des formes de manifestation de l’identité dans
les discours des jeunes étudiants est la tendance
globale à la contestation et à la remise en cause des
normes.
La réforme universitaire de 1993 au Cameroun s’est
faite sous forme de crises multidimensionnelles: la
crise économique avec pour corollaire la montée du
chômage des jeunes diplômé, le gel des recrutements
à la fonction publique, la corruption, la suppression
des avantages liées aux œuvres universitaires
(bourses, logements, droits universitaires, restaurant
gratuit…); la crise politique avec les revendications
liées au multipartisme… qui ont provoqué chez les
étudiants un discours victimaire visant à remettre en
cause l’ordre social institué:
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Mo n fils, q uand j’avais to n âg e , j’é tais le plus
discipliné e t le plus bushe ur de m o n Lycé e e t
parfo is aussi le plus brave , j’ai to ut fait po ur
ê tre q ue lq u’un q ui aura dans so n ave nir un
g ro s bo ulo t.
Mais re g arde ce q ue je suis aujo urd’hui, un
co m m e rçant de to m ate s alo rs q ue Tag ne le
plus m auvais e xe m ple de m a g é né ratio n e st
do uanie r to ut sim ple m e nt parce q ue so n pè re
é tait m inistre .
Do nc je te co nse ille de triche r, de drible r le s
co urs e t so is le plus dé linq uant de s é co le s de
l’Afriq ue Ce ntrale e t de m ain tu ne re g re tte ras
rie n.
22. Tendance majoritaire au blasphème et à la profanation
Un riche paupaul
se ntant sa m o rt
pro chaine , fit ve nir se s
é tudiants e t le ur parla
ave c té m o ins. Il le ur
dit : bushe z, triche z,
pre ne z la pe ine , c’e st le
pays q ui m anq ue
l’e m plo i. Ag ré e z-vo us
de ve ndre vo s bo rds.
Un tré so r y e st caché
car plus tard si vo us
de vie z ê tre de s
balaye urs de rue s, au
m o ins vo us se rie z de s
balaye urs diplô m é s
vo us dis-je .
Un riche paupaul
se ntant sa m o rt
pro chaine , fit ve nir se s
é tudiants e t le ur parla
ave c té m o ins :
« g arde z-vo us de ne
pas laisse r une fille
sans pe rce r so n vag in.
Chirac m ’a fait la
co nfide nce q ue le sida
n’e xiste pas, q ue c’e st
une farce po ur no us
e m pê che r de pe nse r.
Alo rs, e n ro ute q ue vo s
bang alas ne laisse nt
rie n passe r ».
Sig né I. bm an@ yaho o . fr
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23. Mais aussi au « hélage » et à l’inve ctive comme manifestations
des « paroles infâmes »
Recteur, tie ns to i
tranq uille , tu vas pre ndre
te s co uille s dans ta
g ue ule
Mifoundi, no us allo ns
pre ndre te s no yaux dans
ta bo uche
Linda tu e s laide idiote
Viviane tu e s une
putaine
Connedis plutô t q ue tu
aim e s
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24. Pour (ne pas) conclure
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Les discours estudiantins sur les campus
universitaires au Cameroun participent d’une
écriture-spectacle qui laisse largement place à
la fluidité et à la mixité des langues et codes
graphiques visant essentiellement le
positionnement identitaire, social ou
générationnel par la contestation des normes
instituées