Chapitre V- Vers une réalisation de l'art- 2- Un art au service de l'industrie
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Art & Photos
Suite de la partie 1: Le malaise de la société industrielle
- Un art décoratif pour les "Années folles"
-Les Années folles
- Un style artificiel
Deuxième partie : Un art au service de l'industrie
-Pour une définition du design
Chapitre V- Vers une réalisation de l'art- 2- Un art au service de l'industrie
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“ CHAPITRE V
Vers une réalisation de l’art
1- Le malaise de la société
industrielle
- Un art décoratif pour les « Années folles »
- Les Années folles
- Un style artificiel
2- Un art au service de l’industrie
- Pour une définition du design
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Un art décoratif pour les « Années folles »
L’Art déco semble toujours garder ce symbole de plaisir, d’élégance et de
goût raffiné, quoiqu’il soit rétro, ayant l’histoire de l’art et de la décoration
pour sujet. Certes, il recourait à l’imitation de l’ornement traditionnel, ayant
un regard de curiosité sur les cultures lointaines. Il combinait, toutefois, ces
anciens modèles avec de nouvelles techniques, appelant à la modernité,
sans pouvoir être convaincu de sa nécessité.
L’Exposition Universelle de Paris, en 1899, fut placée sous le signe des
constructions métalliques : en Angleterre, le pont de Forth par Benjamin
Baker, la Galerie des machines par Dutert et Contamin.
Eiffel, dont la Tour, érigée depuis dix ans, devint l’emblème du progrès
technique et scientifique, affirma que « toute l’esthétique réside dans
la résistance des matériaux établie sur des bases mathématiques qui
permettent de calculer exactement la moindre des pièces, d’étudier les
dispositions les plus avantageuses et d’arriver ainsi à des constructions plus
légères et plus solides ».
Cette forme de pensée nouvelle, propre à la modernité, n’avait pas trouvé
ses échos dans l’Art nouveau qui développa dans toute l’Europe une
ornementation d’inspiration organique et végétale. Après le tournant du
siècle, ces contradictions seront dépassées dans le domaine de la technique,
et surtout au sein des mouvements plastiques, où les novateurs s’orientent
vers l’épuration des concepts.
En Allemagne, toutefois, une esthétique s’élabore, de 1907 à 1914, des
industriels, des architectes et des artistes réunis au sein du Deutcher
Werkbund, tenteront de définir leurs responsabilités respectives dans le
processus de mise en forme des objets produits industriellement. Cette
association permettra aux produits allemands de trouver un style fonctionnel
cohérent. Elle sera la source du Bauhaus.
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Selon cette même conception, et dans le cadre du Salon d’automne à Paris,
en 1910, l’exposition des Vereinigten Werkstatte fur Kunst und Handwerk de
Munich, fut considérée comme une redoutable concurrence allemande, face
à laquelle la volonté d’orienter les arts appliqués français vers la production
mécanique devint urgente. Face à un mobilier allemand simple, élégant
et moderne, issu des techniques de production de masse, qui menaçait
d’envahir le marché, les artistes décorateurs français pensaient tendre, eux
aussi, vers la modernité, sans rompre néanmoins avec les valeurs tradition-
nelles. Réagissant contre l’Art nouveau déjà déclinant et qu’ils qualifiaient
de « style nouille », ils s’adonnaient à l’épuration des lignes et des formes,
puisant leur inspiration dans les mouvements artistiques novateurs.
Déjà en 1907, Eugène Grasset, en publiant une « Méthode de composition
ornementale », mit en valeur les formes géométriques. Dans les revues d’art
décoratif, on vit paraître des articles sur des artistes, où la qualité décorative
de leur œuvre et leur tendance à purifier la forme étaient proposées comme
modèle pour « une génération qui posait une nouvelle fois la question du
classicisme ».
En 1912, dans son article « Le nouveau style », paru dans la revue «L’art
décoratif », André Véra écrit que l’art fondé sur la raison conduisait à
l’époque glorieuse de l’art français, c’est-à-dire le XVII° siècle. Il conseillait,
en outre, les artistes de s’inspirer du « dernier vrai style », celui de Louis-
Philippe, tout en précisant le langage des formes décoratives auxquelles le
nouveau style devait recourir : corbeilles et guirlandes de fleurs et de fruits.
Cet article était illustré de motifs ornementaux et de meubles dessinés
par des artistes travaillant dans l’Atelier français de l’architecte Louis Sue,
un atelier dont le but était de créer un style décoratif moderne basé sur la
tradition française ; le mot d’ordre fut donné, faisant rêver Paris qui, dès les
années 1910, découvrit les ballets russes de Diaghilev, inspirés des « Mille
et une nuits » ; ces ballets fascinants mélaient danse, musique, costumes
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et décors, s’ouvrant sur le luxe et l’exotisme, d’où la mode des éventails, des
plumes, des jets d’eau et des couleurs vives. N’oublions pas que des artistes
novateurs participaient à la montée de ces ballets, ce qui avait accentué le
charme de cet exotisme délirant ; Lev Bakst s’était occupé des costumes,
tandis que Picasso, Derain, Delaunay et d’autres encore réalisaient le rideau
de scène et le décor.
Les Années folles
La Première Guerre mondiale a bouleversé les projets et les espérances.
L’Allemagne, terrassée sous les coups de la défaite, trouva, néanmoins,
dans les années 1920, la possibilité d’engendrer ce qui va devenir un mythe
dans l’esthétique industrielle : le Bauhaus. La France, en se relevant des
décombres, vit son économie repartir. Plusieurs villes détruites demandaient
la reconstruction. Les riches immeubles, style Art déco prenaient alors la
place des anciennes demeures.
Après la guerre, un monde était mort, avec ses malheurs et ses souffrances.
L’Europe surgit de ses cauchemars, épuisée, mais prête à panser ses
blessures, à rebâtir ses villes démolies et à innover. Des fortunes colossales
établies pendant la guerre, attendaient des projets sûrs. Des énergies
ensevelies sous les ruines, voulaient surmonter la torpeur.
Après la « Belle Epoque », où on a vu l’effervescence de cet esprit scientifique
et industriel en confrontation avec les décadentistes de fin du siècle, le
monde bascule dans ses années folles. Les années 1920 et 1930 furent les
années des dépressions, des délires artistiques, des troubles sociaux et
des marches de la faim. Ce furent aussi les années du totalitarisme, où le
communisme se confrontait au fascisme et au nazisme.
Dans les milieux scientifiques et intellectuels, on commença à entendre
parler de la psychanalyse et de la relativité. Dans les milieux artistiques,
le Dada et le surréalisme dominaient la scène, voués à l’art du délire. Ce
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délire s’exprimait aussi en musique, avec le jazz, et dans la danse, avec
le charleston. Mais, c’est dans le cinéma où ce délire trouva ses grandes
dimensions, lançant des messages turbulents, propres à l’époque.
A peine naissant, il nous fait découvrir ses premiers chefs-d’œuvre. En
1926, dans Métropolies, Fritz Lang présenta l’homme dévoré par sa propre
technique, puis en 1931, avec M. le maudit, il présenta un personnage
inquiétant qui erre dans une ville allemande, poursuivi par des hommes
sans scrupules. Le suspens commença avec Alfred Hitchcock, en 1935, avec
les 39 Marches, tandis que Jean Renoir réalisa la Grande illusion en 1937 ;
les Temps modernes que Charlie Chaplin produisit en 1939, nous montrent
déjà l’homme menacé d’être broyé par l’industrie qu’il a lui-même créée.
Dans ces années folles, où les émissions radiophoniques quotidiennes
commencèrent en 1922, puis, quatre ans plus tard, suivies par l’invention
de la télévision, où surtout le traumatisme de la société accablée s’exprimait
dans le délire artistique, l’Art déco voulait forger son identité, dans l’évasion
vers le luxe et l’exotisme, comme sublimation de ce traumatisme. C’est un
art destiné, dès son début, à la clientèle aisée de l’Occident, à un monde
de nouveaux riches, urbain, voué au faste et à l’opulence. On l’a inventé de
toutes pièces dans un amalgame qu’on veut fascinant, comme on a inventé
pour lui une fascinante actrice : la Garçonne.
On ne peut pas parler de l’Art déco sans citer la Garçonne, cette mode
de la femme rehaussée au niveau de l’homme, et même au-dessus de
l’homme. Après la publication du roman « La Garçonne », de Victor
Margueritte, maintenant oublié, un autre aspect de la femme envahit la
scène, représenté par Suganne Lenglen dans le sport, Louise Brooks dans
le cinéma, Tamara de Lempicka en peinture, ou encore Joséphine Baker
qui triomphe à Paris en 1925, en vedette de danse de la Revue Nègre. C’est
l’époque des stars de cinéma, comme Marlène Dietrich qui crève l’écran,
en 1930, dans l’Ange bleu.
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A vrai dire, cette émancipation de la femme ne fut mise en devanture que
pour exploiter à fond la mode de la Garçonne, en tant que femme-objet,
dans la publicité qui faisait fureur dans les mass-médias, et à travers laquelle
on vendait les produits nouveaux, tout en façonnant un art de vivre.
Un style artificiel
Cet art de vivre entre les deux guerres est critiqué dès ses débuts pour
sa superficialité. En cette époque, le monde artistique vit son grand
bouillonnement nihiliste et surréaliste; les troubles sociaux sont aggravés
par les marches de la faim, la crise économique et le chômage, et il semble
que ce style Art déco soit mis en devanture pour camoufler ces troubles et
ces horreurs.
Dans cet Art déco, on a ciblé surtout la classe bourgeoise, sa vie aisée oisive
et conformiste, mais assoiffée de nouveau, ses loisirs légers et futiles mais
chers, dans des décors luxueux et exotiques. Particulièrement employé
pour l’architecture commerciale, et l’architecture des loisirs, comme les
grands magasins, les théâtres, cinémas, restaurants et cafés, mais aussi
pour l’architecture domestique, l’Art déco a voulu valoriser l’image de ses
commanditaires, ainsi que celle de la haute bourgeoisie.
L’Art déco voulait toucher l’émotion passive de cette classe, comme l’aérody-
namisme américain qui le succédera plus tard. Né sans une véritable théorie
ni une conception esthétique, il voulait retourner à un ordre classique et
traditionnel, en même temps, il voulait rompre avec l’Art nouveau et ses
excès décoratifs, qu’il prolongea, mais avec d’autres éléments décoratifs
raffinés, tout en innovant, en créant un art fonctionnel qu’il voulait adapter
aux besoins de la vie aisée moderne.
Tout en projetant l’émancipation de la femme, il voulait rester colonialiste,
rêvant d’une évasion exotique, puisant ses inspirations hétéroclites des
« Mille et une nuits », de l’art précolombien, de l’art pharaonique et de
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l’art africain noir. Il est vrai qu’après les impressionnistes, et surtout après
Gauguin, les artistes de l’avant-garde se sont évadés dans les emprunts,
puisant leur inspiration dans les cultures considérées par les Européens
comme primitives, comme des « curiosités ». Mais, en 1931, en organisant
l’Exposition coloniale, Paris voulait étaler la vision équivoque et impérialiste
de sa politique en Afrique.
Toutes ces inspirations hétéroclites, toute cette vision antagonique qui
voulait mêler la tradition et le « retour à l’ordre » avec l’innovation et le
fonctionnel, qui voulait mêler l’art et l’artisanat dans un amalgame qu’il
voulait glorieux, l’Art déco, en jouant entre le moderne et le classique, ne
fut qu’un art composite, artificiel et sans âme.
Pire que cela, il devint l’art monumental des régimes totalitaires, asservi
au pouvoir, comme le futurisme, avec ses statues géantes et multiples, ses
scènes allégoriques et son décor néo-classique, tout comme le réalisme
socialiste dans les pays soviétiques.
Voyant l’Art nouveau décliner dès la première décennie du XX° siècle,
la France, avec sa vision conservatrice, avait trouvé nécessaire de créer
un style moderne adapté à ses traditions, surtout face à la concurrence
allemande. Les arts décoratifs et les arts mineurs furent son choix, comme
elle avait choisi, dans l’Art nouveau, la mise en valeur de ces arts. L’Exposition
internationale des arts décoratifs et industriels, tant attendue, depuis 1910,
ouvrit ses portes à Paris en 1925. La « tradition et la modernité », furent
son slogan, le « retour à l’ordre « fut son thème prédominant. Entre les
positions réactionnaires et avant-gardistes, il y eut un trouble. Chercher
une légitimité dans le passé, puiser des inspirations fragmentaires dans
l’Orient et le monde précolombien, tout en se penchant vers des innovations
modernes, toutes ces motivations n’aboutirent, en fin de compte, qu’à un
art composite, qu’à une mode passagère, comme celle de la « Garçonne »
: un délire euphorique en plein traumatisme.
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Malgré la célébration de la « modernité » dans cette Exposition
internationale, l’iconographie de la machine et de l’industrie fut étouffée
dans un décor élégant et léger, émouvant par ses couleurs vives,
réconfortant par son aspect nostalgique. Dans cette célébration, l’Art déco
ne sut pas qu’il sera le dernier témoin d’une longue tradition française.
Toutefois, une dialectique fut distinguée, dans cet événement grandiose,
entre le désir de retrouver le passé glorieux et l’impossibilité d’y parvenir…
sauf avec la nostalgie. Même aujourd’hui, l’Art déco continue à inspirer
des architectes et des décorateurs, à exercer son attrait nostalgique, tenu
comme message, camouflant, par son masque stylistique, l’affreuse réalité
sociale du monde industriel, comme dans son amalgame recherché entre
les deux guerres.
2- Un art au service de l’industrie
Au sein du Deutcher Werkbund, un débat a eu lieu entre 1907 et 1914, sur
le rôle de l’artiste dans la vie industrielle, en général, et dans la définition de
la forme produite industriellement, en particulier. « Seule la standardisation
comprise comme le résultat d’une saine concertation peut permettre de
retrouver un goût sûr et partagé pour tous », affirma Herman Muthésius.
Pour une définition du design
Héritier de l’Art nouveau, le Werkbund fut la première tentative d’ordre
pratique pour mettre les artistes au service de l’industrie. Il s’agissait d’une
association d’artisans qui organisaient des expositions et étudiaient, en
même temps, les problèmes de l’esthétique appliquée. Là, nous ne sommes
pas loin des théories de l’Arts and Grafts. Le succés des idées de Werkbund
fut assuré le jour òu le plus grand des nouveaux architectes européens,
Peter Behrens, fut engagé par une firme allemande de matériel électrique,
en qualité d’architecte, et aussi, pour dessiner les produits fabriqués par la
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firme. L’architecte retrouve ainsi son rang, sa responsabilité créatrice, et le
droit de disposer à son gré de la machine.
Fondée par H. Muthesius en 1907, cette association a regroupé des artistes
et des entreprises à caractère artisanal et industriel. A l’instar de l’Art
and Grafts, cette association munichoise a des objectifs d’ordre social et
économique : unir l’art, l’industrie et l’artisanat afin d’ennoblir le travail,
et améliorer la qualité de la production pour favoriser son exportation.
Dans le cadre d’un processus de fabrication et de rationalisation de la
production, Peter Behrens a fondé au sein de Werkbund le concept de
la création industrielle, en développant tout un programme concernant
l’architecture, les produits et la typographie. Jusqu’à l’interruption de
ses activités par les nazis en 1934, le Werkbund continue de défendre le
rationalisme et la standardisation.
Il est normal que l’architecture soit intégrée dans la vie industrielle, comme
un art qui organise l’espace, comme synthèse, aussi, de tous les arts de la
forme. Avec elle, l’esthétique du produit trouve sa nécessité et sa valeur. Ce
qui est difficile à admettre, dans cette ère industrielle c’est que l’architecte se
considère plus scientifique et industriel qu’artiste et artisan. L’architecte est
motivé par le rationalisme, car son domaine lui demande le raisonnement
et la logique, mais sans tendre à éliminer la sensibilité et l’intuition dans sa
recherche, il doit surtout éviter d’abolir dans sa conception le sens social
et le symbolique qui résident dans le bâtiment et les objets, et, à partir
desquels les relations humaines qui peuvent se penser.
En construisant une maison, l’architecte pousse souvent ses recherches
jusqu’à concevoir et réaliser les éléments qui meublent cette maison,
participant ainsi dans la création du design, à l’instar des pionniers, comme
Peter Behrens, Adolf Loos et Le Corbusier.
Grâce au Werkbund et à ses protagonistes, comme Behrens, Riemerschmid
et Van de Velde, le design industriel s’est formulé comme activité créatrice
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unissant l’art et l’industrie, ou plutôt adaptant l’art à l’industrie, selon
une rationalisation de plus en plus rigoureuse. Peu à peu, le design, en se
développant, a pu être saisi, parmi les producteurs et les consommateurs,
comme un art appliqué à l’industrie et à la vie urbaine, dans sa structure,
ses objectifs et ses impératifs.
Ainsi, l’objet produit industriellement, quel qu’il soit, doit obéir au moins à
trois contraintes : une contrainte technique liée à sa fonction, une contrainte
esthétique liée à sa beauté et une contrainte culturelle liée à son symbolique.
Parmi les objectifs de WerKbund, on peut constater la mise en évidence de
la notion d’esthétique industrielle à travers laquelle une « société idéale »
se constitue : « coordonner tous les efforts vers la réalisation de la qualité
dans la production industrielle, créer un centre de ralliement pour tous ceux
qui ont la capacité et la volonté de faire des produits de qualité »…
Dans sa fougue germanique, Muthesius a déjà pensé en 1911, grâce aux
efforts de Werkbund et des promoteurs du design, de créer, non seulement
un art de vivre, mais une société idéale. « Il s’agit plus que de dominer le
monde, plus que le financer, l’éduquer ou l’inonder de produit, annonce-t’il,
il s’agit de lui donner un visage. Le peuple qui réalisera cela sera réellement
à la tête du monde. L’Allemagne doit être ce peuple ».
En s’intégrant dans la vie industrielle, les architectes et les designers
deviennent ses défenseurs; à partir de 1920, en passant d’un fonctionna-
lisme organique à une conception plus mécanique de la forme, ils pensent
qu’il est possible de concevoir une société idéale, à condition de respecter
des impératifs essentiels. Parmi ces impératifs, on trouve la rupture avec
les traditions et la tendance vers les formes abstraites, sans rappel de tout
ornement et tout élément figuratif; ensuite, la conception d’une esthétique
de la machine pour atteindre la beauté fonctionnelle souhaitée, et enfin,
l’éducation du public au sein d’une société adaptée au fonctionnement
déterminé par le progrès scientifique et technique.
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Ces promoteurs du design du début du XX° siècle ont dû retenir, comme
leçon, l’expérience utopique de l’Arts and Grafts mise en échec : le monde se
modernise grâce au progrès scientifique et technique, et il est aberrant de
retourner aux traditions du Moyen-Age et de refuser de vivre son moment.
Ils ont dû aussi méditer sur l’amalgame incohérent de la tradition et de la
modernité, formalisé par l’Art nouveau, puis par l’Art déco.
Ainsi, pour se détacher d’un design artisanal, et tendre vers un design
industriel, ces architectes et ces designers, convaincus de l’essor industriel,
se sont activés à élaborer toute une esthétique propre à l’ère industrielle
: pour dessiner une société idéale, selon la conception industrielle, on
doit rompre tout d’abord avec les traditions, et ensuite, édifier une
architecture et produire un design, selon la conception abstraite, sans
aucune réminiscence figurative ou décorative.
Comme règle générale pour ce design industriel, pour que l’objet soit
produit en série et selon les normes industrielles, quatre conditions au
moins doivent être respectées :
1. Disposer d’une gamme étendue de machines-outils et d’un principe
de motorisation efficace.
2. Concevoir dans les objets produits la standardisation, la préfabrication
et l’interchangeabilité, ce qu’on nomme par (S.P.I).
3. Permettre une rationalisation de la chaîne de production dans
l’organisation scientifique du travail.
4. Maîtriser une géométrie descriptive, pour qu’il soit possible de
dessiner des pièces détachées.
On voit bien que la révolution industrielle veut couper court avec le passé et
son monde traditionnel. Après le bouleversement provoqué par la machine,
c’est l’espace, ce sont les produits quotidiens qui bouleversent la vie sociale.
Maintenant les horizons se sont ouverts sur une esthétique fonctionnelle,
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fondée par le Werkbund, et qui va être développée par le Bauhaus et le
constructivisme russe. Toutefois, on doit voir ses débuts avec l’Ecole de
Chicago, et même ses origines, avant le siècle des lumières, pour saisir ses
tâtonnements, sa conception et sa nécessité dans l’ère industrielle.
Naissance de l’esthétique fonctionnelle
Dans l’Exposition Universelle de 1889, tenue à Paris, à travers la production
étalée au public, on assiste encore à ces rapports tendus entre l’artisanat et
l’industrie. Une production issue du travail manuel dans un renouvellement
conçu par les protagonistes du mouvement Arts and Grafts est exposée à
côté d’une production mécanisée en série conçue par les industriels. Une
tour de fer, fraîchement érigée pour cette exposition par l’ingénieur Gustave
Eiffel, domine la ville de Paris, par son allure gigantesque, proclamant, avec
la grande audace de son auteur, le grand élan de l’esthétique fonctionnelle
et du progrès.
Pour certains, les origines de cette esthétique nouvelle qui s’épanouit avec la
fondation du design, remontent à la révolution industrielle et à la naissance
de la production mécanisée. Le design, en lui-même, comme art, comme
discipline et comme produit, est issu de la tentative des réformateurs, tels
William Morris, d’imaginer à l’artisanat un nouvel élan dans la création des
produits. Ce fut un échec à cause du caractère artisanal de la fabrication
qui l’entravait. Mais avec ces promoteurs, le design artisanal est né.
Néanmoins, les conceptions de Morris et de Ruskin ont eu des conséquences
fondamentales sur le développement de cette vision.
Toutefois, on doit souligner l’étendue de cet art né avec la machine. Le mot
anglais « design » signifie à la fois conception et mise en forme, c’est-à-dire
le dessin d’un objet et sa réalisation.
Dans un sens plus profond, les conceptions artistiques assimilées à ceux
de la science et de l’industrie, se synthétisent dans la réalisation de l’objet