La séquence électorale qui s’achève en décembre montre que la moitié des électeurs ne vont plus voter. Et le phénomène Charlie a mis en lumière certaines fractures dans la société française. Lorsqu’on regarde de plus près, on relève que près du quart de la population française est en situation de précarité. Ce groupe, hétérogène, a un rapport distant avec la politique et s’avère largement « intouché » par la communication publique. Auteure du livre Les inaudibles, sociologie politique des précaires, Céline Braconnier, professeure des universités et directrice de Sciences-Po Saint Germain-en-Laye, vient nous expliquer comment s’adresser à ces populations dont la situation quotidienne incite aux replis individualistes plus qu’à l’engagement collectif. En comprenant mieux leur lien avec la politique institutionnelle, qui pourtant n’est pas rompu, la communication publique pourrait leur faciliter l’accès à l’espace public.
Pour préparer la conférence, un travail collectif a été engagé par le réseau autour de Céline Braconnier. Une centaine de communicants ont croisé leurs réflexions et leur connaissance du terrain pour penser le rôle de la communication publique.
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#capcom15 - Conférence Braconnier : La communication publique dans le quotidien des précaires
1. LA COMMUNICATION PUBLIQUE
DANS LE QUOTIDIEN
DES PRÉCAIRES
Céline Braconnier
professeure des universités en science politique,
directrice de Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye,
politiste, auteure du livre Les inaudibles,
sociologie politique des précaires
CONFÉRENCE
2. « Ce livre va au-devant d'une
population oubliée et hétérogène,
celle des « précaires », et cherche
à comprendre et à mesurer l'impact
de la précarité sur les rapports
des individus à la politique. »
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3. Réunion de travail
le 6 novembre à l’Assemblée
nationale
autour de Céline Braconnier
et Brigitte Bourguignon, députée,
membre du groupe d’étude
« Pauvreté, précarité
et sans abri »
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4. Regard de jeunes sur
les élections régionales
et la citoyenneté
REPORTAGE
5. LES PRÉCAIRES
ET LEURS RAPPORTS
AU POLITIQUE
Céline Braconnier
professeure des universités en science politique,
directrice de Sciences-Po Saint-Germain-en-Laye,
politiste, auteure du livre Les inaudibles,
sociologie politique des précaires
CONFÉRENCE
6. Point de départ : une enquête pour comprendre le rapport au
politique des inaudibles à l’occasion des élections présidentielles
Question à l’origine de l’enquête : conséquences politiques de la précarité
(rapport aux institutions, au vote, aux partis)
Précarité multidimensionnelle :
- pas seulement pauvreté, privation matérielle, chômage, dépendance aux
aides
- mais aussi isolement et insécurité sociale (Castel, 2005)
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7. Comment ?
Méthodologie mixte, 2 volets complémentaires
Qualitatif : une centaine d’entretiens semi-directifs sur le terrain via des
associations caritatives ou des services d’insertion/logement sociaux. Dans tous
les cas, bénéficiaires d’aides à l’issue d’une démarche administrative (angle mort
de l’enquête : les jeunes).
Quantitatif : Indicateur de précarité des centres d'examens de santé, 1998, pour
repérer les populations à risque.
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8. Consigne :
« On est à quelques semaines des élections présidentielles
et on fait une étude pour essayer de comprendre ce qu’en
pensent les gens. Qu’est-ce qui va bien, qu’est-ce qui ne va
pas, qu’est-ce qu’il faudrait changer… ?
On voudrait savoir comment vous, vous voyez les choses »
=> enquêtés sollicités en tant que citoyens
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9. La précarité ainsi définie affecte jusqu’aux segments
les plus intégrés
• 36% de la population inscrite sur listes électorales est affectée par
la précarité (seuil ≥ 30) soit 17 millions
contre 4,9 à 8,5 millions de pauvres avec définition monétaire
(R. mensuels moins 50/60% du R. médian soit 828 / 993 euros )
• Ouvriers les plus touchés. 52% de précaires
• 42% des employés, 47% des petits commerçants et artisans,
37% des agriculteurs, 11,5% des cadres…
• Au total, les ouvriers ne représentent que 34% des précaires,
les employés 37%
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10. La précarité affecte toutes les catégories socio-professionnelles
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11. Les multiples visages de la précarité d’aujourd’hui
• ⅓ des précaires de l’enquête quanti sont des actifs en emploi
(travailleurs pauvres) ; ¼ de l’enquête quali
• ¼ des enquêtés quali ont le baccalauréat
• La majorité a connu une vie de couple
• Diversité des trajectoires de mobilité :
39 % des précaires se disent déclassés par rapport à leurs
parents,
35% dans la même position, 25% en ascension
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12. Les multiples visages de la précarité d’aujourd’hui
Rôle des coups durs accumulés dans le basculement.
« Une femme qui vous quitte et vous sombrez », Eric, 60 ans ;
« J’suis né là, j’ai même pas de studio ! J’ai rien ! J’ai eu un accident.
Une fois, t’as un accident : on te met dans un sac à poubelle ! »
Karim, 43 ans
80% des Français pensent qu’eux ou leurs proches peuvent basculer
41% estiment qu’eux ou leurs proches ont déjà connu une situation de précarité,
85% pensent que lutter contre la précarité devrait être une priorité politique.
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13. Des attitudes très variées à l’égard de la politique
Certes, la précarité éloigne de la politique
• « Quand on a des soucis de ce genre, rien n’importe plus… quand on
n’a pas l’essentiel c’est un peu difficile de penser à la politique »
(Fatima, 42 ans, en CDD, séparée de ses filles)
> Plus le score de précarité augmente, moins les personnes sont
intéressés par la politique, moins elles sont convaincues de l’efficacité du
vote, plus elles refusent un positionnement sur l’échelle G/D
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14. Des attitudes très variées à l’égard de la politique
Certes, le désenchantement se diffuse aussi là où les difficultés
se cumulent :
• Abdel : « Quand c’est les socialistes, ça tombe un peu trop dans le
social mais ça en parle, ça en fait pas ! Quand c’est la droite, ça en
parle pas mais ça le fait pas non plus ! »
• Malika, ancienne militante PC, à propos de Jean-Luc Mélenchon
pour qui elle incite ses enfants à voter :
« Cassez vous pas la tête, ça sera pareil ! »
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15. Mais pas de rupture avec le politique
Rôle de la socialisation politique primaire :
Maher, ouvrier dans le bâtiment qui a fait des études d’ingénieur en
Egypte, Maria qui a été kiné en Equateur, Eric qui a été professeur dans
le privé, restent très politisés
Malgré les difficultés matérielles / morales = ils continuent de
s’intéresser à la politique
Au delà des plus politisés : les mesures annoncées peuvent faire
basculer (sociales, migratoires), elles distinguent les plus fragiles
d’autres fractions des catégories populaires
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16. Mais pas de rupture avec le politique
La politique comme dernière chance malgré tout :
Bilal, 60 ans, au RSA : « On attend le changement, il va venir vite fait…
on a confiance en lui (F. Hollande) »
Nadia, 58 ans : « Marine Le Pen, ce qu’elle nous dit, c’est ce qu’on
aimerait avoir »
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17. Pas non plus de candidat des précaires
• La précarité accentue les clivages : elle fait voter ceux qui vont aux urnes plus
à gauche, moins à droite et augmente la sympathie pour le FN
• La capacité des médias grand public à imposer une hiérarchie des candidats
• Une lecture agonistique et personnifiée de l’enjeu électoral
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18. En revanche, la précarité maintient loin des urnes
• Précarité x 4 la non inscription déclarée (32%)
• Précarité x 3 abstention constante à la présidentielle (19%)
Car cumul d’obstacles institutionnels à la pratique électorale :
• Importance de la non inscription et de la mal inscription
(forte mobilité résidentielle et coût des déplacements + coût de la
procédure administrative + incompréhension )
• Field experiment 2011 : quand on inscrit les gens chez eux, ils votent
dans les mêmes proportions que les autres à la présidentielle et un
peu moins aux législatives (Braconnier, Dormagen, Pons)
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19. L’isolement neutralise les effets d’entraînement
Un précaire sur deux vit seul (de Q1 à Q5, isolement x 2)
La honte et la pauvreté font se tenir à l’écart des amis, des
voisins
« Les amis, vous savez, les amis et tout ... Quand vous sortez, vous
êtes obligée de payer une fois le café, de payer ... c'est pas logique de ...
d'aller tout le temps avec eux et de ne rien payer ! (…) Ah moi j'évite ...
J'ai commencé à éviter tout ça ! Que avant, je payais ... le restaurant à
mes copines, on sort, euh on fait des soirées, on fait ... pas mal de
choses. Mais là, je peux pas, je peux pas ! Euh ... j'arrive plus ! »
Radija, 46 ans,
NOMDEL'ATELIERÀMODIFIERDANS"EN-TÊTEETPIEDDEPAGE"
20. Un monde peu solidaire
Peu de solidarité entre précaires
« Il y a des gens qui sont dans des situations de difficultés, et entre eux, il y
a beaucoup de méchanceté. Il ne faut pas croire que c'est très solidaire. Ce
n'est pas très solidaire. Il y en a qui pense que le café que tu prends c'est
comme si ça venait de sa poche, alors que ça ne vient pas de sa poche. ».
(Moussa, 63 ans, célibataire, Paris)
Ils échappent à l’entraînement vers les urnes ; or la politique se pratique
en groupe.
NOMDEL'ATELIERÀMODIFIERDANS"EN-TÊTEETPIEDDEPAGE"
21. Vrais pauvres et faux pauvres
Il n’y a pas de sentiment d’appartenance lié à des conditions de vie
partagée, mais plutôt une concurrence pour des aides limitées.
Leila, 31 ans, 2 enfants, femme au foyer : « En même temps qu’il a
commencé à travailler (mon mari), voilà qu’il y a l’huissier, voilà qu’il y a eu les
dettes à rembourser... Ce qui fait qu’on y arrive plus financièrement. Vous
voyez ? Et pourtant, il travaille ! Voilà d’où je vous parle. Ces gens qui ont le droit
à des RSA, qui ont des 7 gosses à la maison, à se déclarer femmes seules alors
qu’elles ont un homme à la maison qui travaille, qui assume derrière. Je vois
pas… à ce moment donné… parce que pour moi, les vrais pauvres c’est les
travailleurs, c’est pas ceux qui sont au RSA, je suis désolée. »
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22. En quête de respect :
Les précaires sont objet de discours dévalorisants, sinon stigmatisants,
souvent adressés aux non précaires. Ils sont rarement interpellés en tant
que sujets, que citoyens.
Sentiment généralisé de ne pas compter, d’être transparent
« Les gens précaires, c’est à partir de 900 euros, j’aimerais bien les avoir…avec 417
euros, on fait partie des clochards alors ! » (Corine, 59 ans)
« Donc, ben, vous avez pas de CAF, vous avez rien, et vous allez voir l’assistante
sociale : « oui… oui » Et puis tout compte fait elle vous a zappé. On vous zappe en
continu. » (Femme, 44 ans, Grenoble)
« Moi la télé je la regarde même pas, parce que ça m’énerve… ils se critiquent, ils se
disent du mal les uns des autres, mais après ils vont… se mettre du pognon dans les
poches, alors que nous on est dans la misère ! (…) On est les pions !».(Robert, 54 ans)
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23. En attente d’exemplarité
« Il voit que le pays, il est en crise. Normalement, il ne doit pas
augmenter sa paye comme ça ! Lui, il prend l'argent des pauvres ! Non,
c'est pas bon. Et ce n'est pas normal ! ».
(Homme, 60 ans, Paris)
« Bah ouais ils détournent tous. Lui il est venu, il a augmenté son truc à
180%. Y a jamais un… jamais un président qui réussit à… 180% ! (…)
Eux ils sont tranquilles ! Nous, on n’est pas, nos enfants ils sont pas
tranquilles On va faire des courses, c’est juste ! ».
(Homme, 38 ans, Grenoble)
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24. Rapprocher les élus des plus fragiles : un président pauvre
« Faudrait… je sais pas… Mettre un pauvre en tant que président, voilà
ce qu’il faudrait !, parce que cette personne, elle saura ce que les
personnes ont besoin exactement.
Eux, ils ont leur argent. Eux, ils ont leur nourriture tous les jours. (..) Ils
ont pas le souci du lendemain. Ils sont en costume cravate. Nous, on va
se promener avec le pantalon de 5€ du marché qui se déchire au bout
de quatre à cinq lavages.(…) voilà quoi, il faut rester logique ! ».
(Leïla, Grenoble, 31 ans, mariée, 2 enfants, sans emploi)
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25. Ou un président qui « s’immerge » dans la vie des gens
« Bon, ils font leur meeting, d’accord, ils disent qu’ils vont auprès du peuple, mais ils ne le
font pas assez, ils devraient le faire déjà longtemps, longtemps, longtemps avant de…
d’être candidat (…) Ils devraient déjà s’immerger, venir… venir chez moi, venir s’immerger
dans les familles, pour être vraiment au cœur de la France… et des Français.
Et puis peut-être, en étant dedans le… dans l’immersion, on trouve mieux la solution.
Parce qu’ils ne se rendent pas compte. Ils savent que c’est difficile, le chômage, etc. mais
moi je leur dirais « écoutez, moi j’ai un gros problème, puisque n’ayant pas de voiture,
quand y a un tram ça va, mais quand y a pas de tram comment vous faites pour aller dans
une usine à trente kilomètres, je leur dirais « voilà mon obstacle ».
(Femme, 54 ans, Grenoble).
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26. Construire la cité dans les quartiers
L’exemple des mères seules : la fréquentation des guichets de
proximité familiarise avec le monde institutionnel, permet
l’appropriation, stimule la prise de parole (mères poussées par la
défense de leurs enfants à forcer les portes des institutions, pour
obtenir un logement)
Faire société pour construire la cité : en l’absence d’encadrement
politique de proximité et à l’heure d’internet, le rôle est devenu
primordial des passeurs et intermédiaires de terrain pour
produire de l’intégration citoyenne (associations, acteurs de
l’école, facteurs …
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27. Pour une intégration politique des précaires
L’expérience de la précarité ne conduit pas forcément au ban de
la cité :
dispositions au combat acquises dans la lutte pour la survie
intérêt maintenu pour la politique
obstacles institutionnels à la participation à lever
faire société pour faire la cité ; importance des dispositifs de
terrain et des adresses citoyennes
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