Cas pratiqueJuridique et fiscal
Ensuite, il conviendra d’attirer l’attention du chef d’en-
treprise sur les trésoreries excédentaires. Ce point est
essentiel et primordial pour de nombreux dirigeants sou-
mis à l’ISF (cf. encadré ci-dessous).
En effet, de nombreux contentieux fiscaux sont actuelle-
ment engagés par l’administration fiscale pour réintégrer
cette trésorerie dans l’actif imposable à l’ISF des chefs
d’entreprises et associés. Encore plus problématique, une
trésorerie majoritaire dans les actifs de la société pour-
rait faire perdre à cette dernière la qualité de biens pro-
fessionnels et remettre ainsi en cause les pactes Dutreil
ou donations effectuées via ce dispositif très avantageux
en termes de transmission à titre gratuit… >>>
L’optimisation
de la trésorerie d’entreprise
41 - Avril-Mai-Juin 2016 - Profession CGP
Agé de 47 ans et titulaire du Dess
Gestion de patrimoine de l’IAE de
Lyon, Philippe Curnillon a fondé le
cabinet BC Finances après une expé-
rience de deux années au sein du CIC
Banque privée, à Paris. Dès l’origine,
sa conviction était de développer une
approche de conseil en stratégie
patrimoniale rémunéré sous forme
d’honoraires: «Le service, la dispo-
nibilité, l’écoute sont les maîtres-mots
de la relation avec nos clients». L’in-
novation et sa vision évolutive du
métier de CGPI (lancement de nou-
veaux services: coffre-fort numérique,
family-office, etc.) permettent à sa
société d’être en forte progression et
d’entrevoir sereinement l’avenir.
PHILIPPE CURNILLON, président de BC Finances.
Il est fréquent de rencontrer des
chefs d’entreprises dont les sociétés
possèdent une trésorerie généralement
peu optimisée et peu investie,
par manque de solutions proposées
ou innovantes. Quelles sont les
préconisations financières pour
accompagner le dirigeant, tout
en limitant le risque et tout en
conservant une certaine disponibilité
des fonds, conditions sine qua non
pour une trésorerie d’entreprise…
L
a trésorerie est aujourd’hui assez importante
dans les entreprises pour plusieurs raisons. La
première est avant tout conjoncturelle. En
situation de crise, les sociétés adoptent un prin-
cipe de précaution et freinent les investisse-
ments. La seconde raison est fiscale: les distributions de
dividendes étant actuellement fortement imposées, les
associés préfèrent conserver les liquidités au sein de leurs
structures sociétaires. Lorsque les taux à court terme rap-
portaient plus de 2 ou 3%, le dirigeant ou le DAF ne s’in-
terrogeaient pas pour trouver des solutions d’optimisa-
tion à moyen terme. Aujourd’hui, ces taux sont quasi nuls,
il est donc indispensable d’optimiser cette gestion de tré-
sorerie, tout en respectant de nombreuses conditions.
Société d’exploitation
ou patrimoniale?
Les conditions ne sont pas les mêmes en fonction du type
de société. Prenons, par exemple, une société patrimo-
niale: son besoin en fonds de roulement (BFR) est géné-
ralement faible, à la différence d’une société d’exploita-
tion. Il sera donc beaucoup plus simple d’optimiser la
gestion de trésorerie au sein d’une société holding patri-
moniale dont les durées d’investissements sont généra-
lement plus longues. Avant toutes préconisations finan-
cières, il sera indispensable d’analyser les statuts de la
société, afin de valider que la société puisse bien réaliser
tous types d’investissements, dans le but d’optimiser sa
trésorerie sur le moyen long terme.
Focus sur la trésorerie excédentaire et l’ISF
D’une manière générale, les biens inscrits au bilan doivent être nécessaires à l’exercice
de la profession. Ce lien est une condition essentielle pour considérer certains biens
comme exonérés d’ISF. Les biens professionnels sont donc ceux qui, ayant un lien de
causalité directe suffisant avec l’exploitation, sont utilisés effectivement pour les besoins
de l’activité professionnelle. Ainsi, une trésorerie trop importante au regard de l’acti-
vité pourrait faire perdre partiellement la qualification de biens professionnels, et
donc, l’exonération complète de ce bien. En effet, l’article 885 O ter du CGI stipule
que «Seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments
du patrimoine social nécessaires à l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agri-
cole ou libérale de la société est considérée comme un bien professionnel».
Cas pratiqueJuridique et fiscal
Segmentation de la trésorerie
Enfin, et d’autant plus pour une société d’exploitation, il
est impératif de segmenter la trésorerie de l’entreprise,
en fonction de ses besoins en fonds de roulement, ainsi
que les investissements à court et moyen terme. Les ratios
généralement retenus sont les suivants:
- court terme (six mois): disponibilités bancaires;
- moyen terme (deux ans): valeurs mobilières (essen-
tiellement obligataires);
- long terme (trois à cinq ans): solutions financières de
long terme.
Dans le cas d’une société holding patrimoniale, le schéma
sera différent, étant donné le caractère de ses activités.
C’est pourquoi il est possible d’investir une part plus
importante sur des solutions de placements à long terme,
contrairement à une société d’exploitation.
Il reste maintenant à connaître le support d’investisse-
ment approprié, en fonction du caractère commercial ou
non de la personne morale à l’IS. Il est important de rap-
peler la réglementation en matière de personnes morales
à l’IS. Les membres de la Fédération française des socié-
tés d’assurances (FFSA) ont pris l’engagement, le
21 décembre 2010, «de ne pas accepter la souscription d’un
contrat de capitalisation d’une entreprise commerciale,
industrielle ou artisanale».
Cela veut donc dire qu’il est impossible de souscrire un
contrat de capitalisation pour une société commerciale à
l’IS. En revanche, les holdings patrimoniaux ne sont pas
concernés par cet engagement. Ainsi, à chaque souscrip-
tion, la compagnie d’assurance demandera une copie des
statuts afin d’analyser l’objet social de la société pour
déterminer son caractère commercial ou non.
Quels supports d’investissements
en fonction de la société?
On pourra présenter deux solutions d’investissements,
selon le type de société concernée et les objectifs à
atteindre.
❚ Compte-titres pour une personne
morale à l’IS
La mise en place d’un compte-titres
pour une personne morale à l’IS va
permettre à l’entreprise d’investir
sur différentes classes d’actifs, avec
une grande souplesse et rapidité.
De plus, les droits de garde seront
en général négociés, pour avoir un
faible impact sur le rendement net.
Ensuite, il faut distinguer la fisca-
lité sur les produits et la fiscalité
en cas de cession.
Tout d’abord, les produits sont
principalement des dividendes
ou bien des produits courus des
titres à revenu fixe. Ils sont alors
compris dans le bénéfice impo-
sable à l’IS. Mais, à l’échéance, la
société peut imputer sur le mon-
tant de l’impôt dont elle est redevable le crédit d’impôt
auquel ouvrent droit certains de ces revenus (retenues à
la source).
Quant aux produits de cession, les plus ou moins-values
d’éléments d’actifs réalisées par les entreprises soumises
à l’impôt sur les sociétés sont, sauf exceptions, exclues
du régime long terme, quelle que soit la durée de déten-
tion des biens cédés. Le produit de la cession relève
alors du régime des plus ou moins-values à court terme,
c’est-à-dire:
- les plus-values sont comprises dans le résultat de l’exer-
cice en cours lors de leur réalisation, qui est taxé au taux
de 33 1/3% ou dans les PME, au taux réduit de 15% dans
la limite de bénéfice de 38120€;
- les moins-values s’imputent sur le bénéfice ou contri-
buent à la formation d’un déficit reportable dans les condi-
tions de droit commun.
❚ Contrat de capitalisation uniquement
pour une société non commerciale à l’IS
Pour les sociétés non commerciales, comme les holdings
patrimoniales, le contrat de capitalisation offre, quant à
lui, de nombreux avantages. En effet, sa détention va
rendre la société soumise à l’IS imposable chaque année
de manière forfaitaire sur le gain réalisé, même en l’ab-
sence de rachat.
L’assiette imposable est déterminée forfaitairement en
prenant comme taux actuariel 105% du dernier taux men-
suel des emprunts d’Etat à long terme (TME) connu lors
de l’acquisition ou de la souscription du contrat de capi-
talisation. La base imposable est donc déconnectée de la
valorisation réelle en fin d’exercice du contrat de capita-
lisation. Cette différence peut alors générer un gain fiscal
si le rendement du contrat est supérieur au taux forfai-
taire, ou une perte fiscale s’il est inférieur. Cette base for-
faitaire est ensuite imposée au taux normal de l’IS. Lors
du rachat partiel ou total, elle est alors égale à la diffé-
rence entre la valeur de rachat réelle du contrat et la
42 - Avril-Mai-Juin 2016 - Profession CGP
Depuis septembre 2014, Fabrice Haehl
est consultant associé au sein du cabi-
net BC Finances. De 2006 à 2011, il a
construit son expérience en assurant
successivement les fonctions d’ingénieur
patrimonial, puis de responsable de
l’ingénierie patrimoniale et de la gamme
financière au sein de FIP Patrimoine.
Depuis 2012, il a occupé le même poste
au sein de Patrimmofi (groupe Primo-
nial). Fabrice Haehl est spécialisé dans
les problématiques de transmission
d’entreprises, diplômé du master 2 en
Gestion de patrimoine de l’IAE de
Lyon 3 et du master 2 Evaluation et
transmission d’entreprises de l’univer-
sité Lyon 2. Il est également interve-
nant auprès du master 2 Gestion de
patrimoine et marchés immobiliers
de l’Inseec Lyon.
FABRICE HAEHL, consultant associé au sein de BC Finances.
En interprofessionnalité…
Fondé par Philippe Curnillon et basé
à Lyon et Bourg-en-Bresse, le cabinet
BC Finances a fêté ses vingt ans en 2015.
Aujourd’hui, la société compte huit colla-
borateurs (dont cinq consultants tous
diplômés de 3e
cycle), pour des encours
gérés de l’ordre de 200 millions d’euros.
BC Finances conseille une clientèle de par-
ticuliers et d’entreprises souhaitant opti-
miser leurs situations juridique, financière
et fiscale. Le cabinet travaille en étroite
collaboration avec des professionnels, tels
que les avocats, notaires et experts-comp-
tables, sur Bourg-en-Bresse, Lyon, Mâcon,
Oyonnax…
Pour les sociétés
non commerciales,
comme les
holdings
patrimoniales,
le contrat de
capitalisation
offre de
nombreux
avantages.
de marchéEtudes
Exemple d’un investissement sur un contrat de capitalisation
Prenons un exemple d’un investissement sur un contrat de capitalisation à hauteur de 1000000€.
Le rendement espéré du contrat est de 4% par an, net de frais de gestion.
Ainsi, tous les ans, l’IS aura été payé sur une base forfaitaire théorique de 105 % du TME. On constate un gain fiscal annuel, puisque le rendement réel
du contrat est de 4 % par an. Lors du rachat total, le gain théorique correspond à la somme des intérêts forfaitaires, que l’on déduit du gain réel. Cette
différence est alors la base taxable soumise à l’IS, soit une fiscalité lors du rachat de l’ordre de 136600 €. Les capitaux nets seront alors d’environ
1320000 €, soit une hausse de 32 % sur la période.
Sur la même période, un placement de trésorerie classique (de type OAT 10 ans) aurait rapporté environ 0,50 % brut par an.
Année
Valorisation réelle
(fin d’année)
Intérêts forfaitaires
(105 % TME)
Fiscalité IS
4 % 0, 6825 % 33,330 %
1 1040000 € 6825 € 2275 €
2 1081600 € 6872 € 2290 €
3 1124864 € 6918 € 2306 €
4 1169859 € 6966 € 2322 €
5 1216653 € 7013 € 2338 €
6 1265319 € 7061 € 2353 €
7 1315932 € 7109 € 2370 €
8 1368569 € 7158 € 2386 €
9 1423312 € 7207 € 2402 €
10 1480244 € 7256 € 2418 €
TOTAL 70385 € 23459 €
Rachat total la 10e
année
Gain théorique 70385 €
Gain réel 480244 €
Différence 409860 €
Base taxable à l’IS 409860 €
IS 136606 €
Fiscalité forfaitaire 23459 €
Valeur nette après fiscalité
(forfaitaire et réelle)
1320179 €
Gain net 320179 €
Soit un taux de rendement
annuel net d’impôts
2,82 %
valeur théorique du contrat revalorisé forfaitairement
au taux de 105% du TME. Ainsi, sur la base du dernier
TME connu (février 2016), le taux forfaitaire est alors
de 0,6825% (105% du TME) pour la détermination de
l’assiette fiscale.
Enfin, d’un point de vue purement financier, le contrat de
capitalisation dispose d’un avantage supplémentaire par
rapport au compte-titres. En effet, il sera possible de
bénéficier du fonds en euros du contrat de capitalisation
comme placement d’attente entre deux produits dédiés
à la trésorerie d’entreprise, à la différence d’un compte-
titres, où il faudra nécessairement investir sur un place-
ment monétaire, ayant un rendement quasi nul.
Toutefois, des pénalités en cas de sortie à court terme sur
le fonds euros seront prélevées dans la plupart des com-
pagnies d’assurance (règles de la FFSA) et il conviendra
alors d’apporter une vigilance renforcée sur le mon-
tant des frais de gestion du contrat, qui absorbent une
partie de la performance annuelle, à la différence des
comptes-titres.
❚ Allocation d’actifs
Dernier sujet: l’allocation d’actifs. En effet, il est néces-
saire de tenir compte de deux contraintes inhérentes à la
trésorerie d’entreprise, à savoir:
- la prudence. Il faut donc mettre en place des solutions
disposant de fortes protections du capital en cas de baisse
des marchés financiers;
- et la disponibilité des fonds, pour faire face à un besoin
exceptionnel de l’entreprise (même si la segmentation de
la trésorerie permet en principe de ne pas être soumis à
cette contrainte.
La mise en place de produits structurés dédiés à la tréso-
rerie d’entreprise peut avoir du sens aujourd’hui, dans un
contexte de marchés financiers fortement volatils qui per-
met d’obtenir un couple rendement-risque intéressant.
Les caractéristiques de ces produits dédiés pourraient être
les suivantes: une protection du capital renforcée avec
un risque de perte en capital limité en cas de baisse jus-
qu’à -60% de l’indice de référence; une possibilité de
remboursement anticipé trimestriel ou semestriel, pour
assurer une liquidité potentielle plus importante, néces-
saire pour une trésorerie d’entreprise; un indice de réfé-
rence reconnu, comme le Cac 40 ou l’Eurostoxx 50; une
durée maximale courte: cinq ans au maximum (avec une
sortie anticipée possible tous les trois ou six mois).
Ce type de structuration peut permettre d’obtenir un cou-
pon trimestriel de l’ordre de 1,50% brut dans le contexte
actuel de forte volatilité des marchés. Cet investissement
devra être préconisé dans la mesure où la société n’a pas de
besoin de cette trésorerie, potentiellement sur une période
de cinq ans maximum. En effet, il est déconseillé et peu
opportun de sortir par anticipation d’un fonds structuré.
Conclusion
Il existe aujourd’hui des solutions adaptées à chaque type
de société, en fonction de ses besoins (notamment la durée
d’investissement). Ces supports devront dans tous les cas
respecter deux contraintes inhérentes à la trésorerie d’en-
treprise: la prudence et la disponibilité des fonds.
Enfin, la mise en place de ces solutions devra toujours se
faire en concertation avec les conseils habituels de l’entre-
preneur, comme le DAF, l’expert-comptable et l’avocat. ●
Philippe Curnillon, président du cabinet BC Finances, et
Fabrice Haehl, consultant associé au sein du cabinet BC Finances
Il existe
aujourd’hui
des solutions
adaptées à chaque
type de société,
en fonction de
ses besoins.
43 - Avril-Mai-Juin 2016 - Profession CGP