1. Un siècle de méthodologie publicitaire
Comment définiriez-vous la notion de créativité publicitaire ?
Je citerai Martin Pasquier de l’université de Berne : « Il faut bien voir qu’une majorité de
produits est parfaitement interchangeable en terme de valeur d’usage. Il est donc
nécessaire de créer une sorte de théâtralisation du produit, de lui ajouter d’autres
attributs qui vont faire qu’il va être préféré par le consommateur. » L’art de la créativité
publicitaire va être d’inventer cette fusion, cette alchimie qui rendra le produit unique et
désiré par le consommateur. En ce sens rien de changé en un siècle.
Le premier à désigner ce dont nous parlons est le psychologue Ribot dans son livre
fondateur « L’imagination créatrice », publié en 1900, dans lequel il décrit déjà la plupart
des processus que nous utilisons aujourd’hui. L’expression d’« imagination
créatrice » figure bien le parcours créatif comprenant la première phase de la courbe du
détour (l’imaginaire) suivit par la seconde phase de la courbe, (le retour vers la
production créatrice).
Et la notion de méthodologie publicitaire ?
Elle est très ancienne et remonte aux années 1930. Edward Barneys est le premier
théoricien de la méthodologie publicitaire. Surtout connu pour son livre « Propaganda »
qui servit de référence aux théories de manipulation de masse et surtout fut le livre de
chevet de Joseph Goebbels, ministre d’Hitler de « L’éducation du peuple et de la
propagande ». Pourtant on ne pouvait pas reprocher à Barneys d’être nazi. Juif, neveu de
Freud, il a su exploiter les avancées apportées par son oncle, ainsi que le rayonnement
scientifique de ce dernier dans le domaine de la connaissance de l’irrationalité à des fins
économiques idéologiques et politiques.
2. Il pose comme postulat dans ses écrits, le fait que la masse est incapable de parvenir à
un état de paix collective et de bonheur par elle-même, et que donc, cette masse, a
besoin d’une élite qui la contrôle et qui la dirige à son insu en ce qui concerne les
décisions importantes. Il va mettre en pratique des méthodes qui vont à l’encontre
même de ce que le siècle des Lumières avait exigé pour sublimer le bon sens humain.
C’est le thème central de Propaganda. Mais le travail de Barneys ne se limite pas à
Propaganda.
Il est sans aucun doute l’homme qui modélisa la stratégie du désir dans son livre « The
engineering of consent », « créer du besoin, du désir et créer du dégoût pour tout ce qui est
vieux et démodé », « on n’achète pas un produit parce qu’on en a besoin mais parce qu’on le
désire », stratégie du désir sur laquelle repose 80 années de modèle économique
consumériste.
C’est surtout avec son célèbre Public Relations
(http://factmyth.com/factoids/edward-bernays-was-the-father-of-public-relations/)
que Barneys reste aujourd’hui connu. Il inventa les premières méthodes de Relations
Publiques et Relations Evénementielles.
Mais le livre le plus remarquable, le plus révolutionnaire pour l’époque
(les années 1940) pourtant le plus méconnu est sans aucun doute « The biography of an
idea ». Il y décrit pour la première fois le fait que l’on peut vendre un objet ou un
homme politique en y associant une idée extérieure qui créera le désir et non en
expliquant les qualités du produit . Evident pour nous, révolutionnaire pour l’époque.
Barneys dans la complexité de son personnage ambigu, complexe, secret, a sans aucun
douté était la père de la méthodologie publicitaire.
Comment ont évolué les méthodes de recherche créatives ?
Tout démarre vraiment par les théories des années 50 de l’Unique Selling Proposition
(USP) développées par Rosser Reeves, immense publicitaire de l’agence Ted Bates. Que
dit-il ? « You must make the product interesting not just make the ad different ».
3. En soit l’ Unique Selling Proposition est
une plateforme très carrée et simple. Son principe et de proposer une promesse unique
et forte aux yeux des consommateurs. Une fois la promesse identifiée il s’agit alors de
tout simplement la répéter («repetition is persuasion») et cela sur plusieurs années.
Même message, même signature, pour certains parfois la même campagne. Pendant des
années M&M’s s’est contenté de marteler son message « fond dans la bouche, pas sur les
mains ».
Si cette technique est la parfaite représentante du matraquage publicitaire moderne
dénoncé par les publiphobes, selon Reeves, ce n’était pas tant l’idée de la répétition qui
était essentielle mais l’élaboration de LA promesse qui tue tous les autres concurrents et
la promesse de marque reste aujourd’hui le sujet majeur de la marque.
En France l’agence Business, tant décriée par les publicitaires « de l’idée », en a fait son
crédo et l’agence répond depuis plus de 20 ans à de nombreuses demandes de Directeur
Marketing, persuadés que la répétition publicitaire d’un message unique et la présence à
l’esprit suffisent à générer un acte d’achat régulier. Et force est de constater que cela
fonctionne même si certaines campagnes sont perçues comme rébarbatives type la saga
Lidl « on est mal patron, on est mal ».
Au fil des années d’autres méthodes créatives sont apparues et utilisées par la majorité
des groupes de communication à des fins d’enrichir l’ Unique Selling Proposition. En
voici quelques unes :
est un document détaillant ce que l'agence se propose de faire
en faveur du produit et/ ou de l'annonceur. Si elle est réalisée dans toute agence de
communication, elle ne porte généralement pas ce nom et n'est pas toujours présentée
sous cette forme, pour des raisons d'originalité.
On la définit généralement en six éléments principaux :
1) la cible de la communication (sexe, âge, CSP, socio-styles, localisation
géographique...),
2) l'objectif à atteindre à l'aide de la communication (augmenter la notoriété de
l'annonceur, améliorer l'image, accroître les ventes...),
3) la promesse de base faite à la cible (motivation de la cible que la communication va
exploiter),
4) les reasosn –why : les caractéristiques du produit qui vont supporter/justifier cette
promesse de base
5) le ton (explicatif, démonstratif, informatif, imaginaire, humoristique, symbolique...)
de la communication employé,
6) les contraintes d'ordre technique, légal, économique ou professionnel.
Voici en exemple la copy strategy d’Yves Rocher :
http://www.effie.fr/pages/cas.php?ID=184
4. L’insight consommateur très présent au sein du Groupe Havas (mais
pas que) est une opinion ou une attente dominante présente et détectée chez les
consommateurs d’un produit. Il sert à orienter le discours et la création publicitaire.
L’insight permet un nouvel éclairage basé sur une approche pertinente du raisonnement
ou du comportement du consommateur, une identification de motivations inconscientes,
une nouvelle opportunité de rendre la marque plus attachante.
L’Insight n’est pas juste une idée, un fait, une donnée brute. Il doit être inspirant et
profond, il doit être original, Il doit représenter une bonne base de communication.
L’insight est une perception (c’est d’ailleurs sa traduction en français), un constat, d’un
problème, d’un dilemme, d’un manque ou d’un besoin non résolu dans une situation de
consommation ou sur une catégorie de produits où la marque opère (Publicitor dixit).
Selon Nicolas Bordas (L’idée qui tue) l’insight est une
« observation, un fait marquant reconnu comme vrai, issu de la vie quotidienne, dont la
particularité est d’être perçu comme vrai de manière générale, donc générateur
d’adhésion ».
Pour qu’il y ait adhésion du consommateur, l’insight doit partager une vérité fondée sur
un fait imparable (reason why) ou sur une opinion génératrice de consensus (reason to
believe). Ainsi, la reason to believe peut être « si on veut on peut », qui entraine une
réponse des marques comme « Just do it » ou « Impossible is nothing ».
Ce consensus, cette idée, peut être un biais cognitif (les couches filles / garçons de
Pampers). Il n’a pas besoin d’être une vérité, c’est d’ailleurs parfois une croyance
souvent véhiculée par des mythes ou des stéréotypes (le geek forcément boutonneux
achète forcément un PC, le smart guy, un Mac, pour reprendre une campagne connue).
L’histoire est donc racontée au nom d’une idée pour une morale dont la marque scelle le
dénouement : « Heureusement il y a Findus ». Nous pouvons donc passer à table
sainement et rapidement. L’énonciation de l’idée est influencée par les éléments
d’information et de réflexion personnelle de l’individu et de son environnement. Il s’agit
souvent une convention… à laquelle la réponse à l’insight, promesse, single minded
message ou USP, doit s’attaquer après avoir compris de manière approfondie les
attitudes et croyances de la cible.
L’USP, la copy stratégy, l’insight sont les bases des réflexions créatrices des
agences mais que c’est-il passé depuis?
Effectivement toutes les agences, tous les Groupes de communication fonctionnaient
selon cette trilogie. Pour expliquer l’évolution de ces dernières années il est
indispensable de remonter 35 ans en arrière.
Dans les années 1980, un homme a décidé de se révolter contre cette convention
créatrice.
5. Cet homme, décédé en 1993, s’appelle Philippe Michel. Il
n’a pas écrit de livre, pas conçu de méthodologie propre mais et il a formé, inspiré et
influencé de manière indélébile toute une génération de publicitaires et de créatifs
français aujourd’hui managers d’agences ou de Groupes de communication, de Jean-
Marie Dru à Marie Catherine Dupuy, en passant par Pierre Berville, Benoit Devarrieux,
Eric Holden, Bruno Talent, Rémi Noël, Grégoire Delacourt, Pascal Grégoire, Marco de la
Fuente, Nicolas Bordas, Etienne Chatillez, Olivier Altman, Valérie Hénaff, Arthur
Sadoun...
Les pensées de Philippe Michel se trouvent dans un livre de référence paru en 2005 écrit
par Anne Thévenet Abidbol https://vimeo.com/35621287 et qui vient d’être réédité
« C’est quoi l’idée ». Pour Philippe Michel une publicité ne fonctionne que sur une idée
forte, il ne demandait jamais à ses créatifs de faire du beau mais d’avoir une idée.
Comme l’écrit Nicolas Bordas, « il aimait partager avec jubilation ses idées sur l’énergie
créative, les facéties de la mémoire, le désir qui flâne et le message qui s’imprime. Car
pour Philippe, une idée était une « bombe énergétique », une quantité d’instabilité et
d’énergie : « une idée est le point de fusion d’univers qui, auparavant, n’avaient rien à se
dire. Et plus la confluence sera multiple, plus elle sera fertile », en réorganisant le réel.
Pour trouver les idées, il faut penser, et non raisonner : « On n’aboutit à aucune solution
en réfléchissant. On trouve en pensant. L’enseignement, malheureusement, apprend à
raisonner, pas à penser ».
Philippe Michel a marqué les années 80 et après, comment la nouvelle génération a
intégré son message publicitaire ?
Fils publicitaire de Philippe Michel s’il en est, Jean-Marie Dru, actuel Président Monde du
Groupe TBWA a développé un concept dès 1984, le saut créatif, véritable crédo d’une
jeune agence qui va s’imposer comme une pépite créative BDDP. Plutôt que de se
reposer sur des promesses directes, comme on l’a vu avec l’USP, le saut créatif joue
essentiellement avec les émotions de la cible. « Si tu veux faire pleurer quelqu’un, ne lui
montre pas quelqu’un qui pleure, mais la chose qui l’a fait pleurer ». Quelque part, le
saut créatif c’est en réalité une reprise du concept d’évocation de la copy strat créative,
mais poussé à l’extrême et dans sa forme indirecte. En terme d’exemple on peut penser à
des marques comme Gilette et leur utilisation à outrance de la vague (pour évoquer la
fraîcheur).
6. Le saut créatif a permis à Jean-Marie Dru d’associer un concept créatif à son agence
BDDP. En 1996 le groupe BDDP est racheté par l’américain TBWA et dès 1997 Jean
Marie Dru et sa nouvelle agence BDDP/TBWA renouvelle sa tactique du livre concept
avec la sortie du best seller mondial qui en 2017 est encore est enseigné dans toutes les
écoles de créativité, La Disruption, avec sa liturgie en trois temps :
Temps 1: la convention « permet de valider les habitudes figeant les pensées ».
Temps 2: la disruption « brise » ces conventions pour repositionner la marque.
Temps 3: la « vision » dont la marque est porteuse redessine le marché.
Selon ce phasage, la disruption n’est donc ni le point de départ, ni la finalité d’un
processus mais une phase intermédiaire correspondant en 1997 à ce que Dru appelle
dès 1984 le saut créatif. ."Vous ne pouvez démarrer de rien. La créativité ne peut
advenir du néant. Apprendre à connaître les consommateurs, interpréter leurs
habitudes, décoder leurs comportements. Toutes ces actions vous préparent
graduellement à être ouvert à la nouveauté, et à rechercher les accidents, c'est à dire les
nouvelles combinaisons d'idées qui aboutissent à quelque chose"
Mais la disruption va plus loin, qu’une simple méthode créative de recherche de
positionnement de marque. Le président de TBWA s’en explique dans une interview à
l’Express en 2003 : “les méthodologies marketing ont peu évolué. Elles datent d’une
époque consumériste où l’on pensait qu’il fallait ‘répondre aux attentes des
consommateurs’ (…) On sait pourtant que le consommateur ne peut dire que ce qu’il
connaît déjà, mais on n’en tient pas compte, et on continue de mener les mêmes études
de marché, avec les mêmes vieux modèles. Les professionnels du marketing sont très
conservateurs. Souvent, ils n’utilisent cette discipline que pour grimper dans les
directions générales de leurs entreprises, sans jamais avoir créé ou lancé un nouveau
produit ni une nouvelle idée. Ce métier est devenu très fonctionnarisé. Ce conservatisme
est flagrant en France.”
Wahoo ! Pas faux mais la disruption serait-elle une potion magique ? Dru aurait-il trouvé
la pierre philosophale de la création de la valeur de marque ? Il faut savoir raison garder.
Cependant il est évident que le saut créatif et la disruption ont porté la création des 20
dernières années. Le mot TBWA est associé au groupe de communication le plus
pédagogue, le plus innovent, le plus en recherche en termes de méthodologies créatives
et donc de créativité publicitaire.
Parmi ces méthodes, le what if process est un outil conçu pour trouver des
idées, pour nourrir notre imagination sur un sujet et donner des idées capables de
générer de nouvelles approches, stratégiques et exécutionnelles.
7. Une série de 50 questions regroupées en 6 rubriques qui commencent par « Et si… »
avec des questions stratégiques en amont et des questions plus liées à l’exécution en
aval :
1. Univers de concurrence
2. Catégorie de produit
3. Consommateur
4. Marque / Produit
5. Registre publicitaire
6. Exécution
Pour en savoir plus voici la conférence de Nicola s Bordas sur le what if
https://www.youtube.com/watch?v=A1jGz4ZmXFU
Autre exemple le ladder qui est une méthode à double vocation :
- d’analyser les stratégies de ses concurrents sur le marché
- de mettre au point une stratégie de marque compétitive et spécifique.
Le ladder repose sur 6 cases, chacune correspondant à un type de stratégie ou à un
degré d’expression de la stratégie.
Viralité, buzz, social network, co-création… et demain comment va évoluer la
créativité ?
Vaste sujet qui mériterait à lui seul un article. Je répondrai par 4 constats :
- Premier constat, la créativité semble difficilement modélisable et reproductible.
Elle résulte d'une alchimie subtile entre des créatifs inspirés saisissant l'air du
temps et des consommateurs ouverts à la nouveauté et l'originalité.
- Deuxième constat démontré (Georges Saunders, Université de Syracuse New
York), la publicité ne maîtrise pas plus les facteurs qui poussent les
consommateurs à acheter qu'il y a un siècle. Il faut donc rester humble même si la
publicité travaille plus sur la valeur et le désir de marque que sur le pic d’acte
d’achat.
- Troisième constat : les nouvelles technologies invitant les internautes à aimer et
surtout à partager le contenu publicitaire proposé impose une créativité
optimale. Va-t-on voir disparaître petit à petit l’UPS basée sur la répétition de
mass média ? Les techniques de brand content vont-elles faire des
consommateurs des co-créateurs publicitaires ? https://www.marketing-
community.fr/2011/11/co-creation-et-marketing-participatif-mettre-ses-
clients-au-coeur-de-ses-projets/
8. - Quatrième constat : La créativité digitale provient désormais de la technologie.
Pourquoi ? Parce que les internautes n’en peuvent plus des publicités fades,
intrusives. Aujourd’hui, l’ad blocking fait des ravages : les ad blockers sont
utilisés par 200 millions d’individus dans le monde, et le mobile n’y échappe pas
avec 1,3 millions d’utilisateurs en France en mai 2016. Donc, la publicité doit
intégrer le contenu (blog, réseaux sociaux) et susciter l’adhésion de l’internaute
pour émerger. Il n’y aura guère d’alternative.