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Parcours de vie & intervention sociale :
                         l’impensé du genre
                       Journée d’étude du 9 novembre 2010

             Organisée par la MiRe (Mission Recherche) de la DREES
    (Direction de la Recherche, de l’Evaluation, des Etudes et des Statistiques du
                        Ministère de la Santé et des Sports),
        en collaboration avec l’ETSUP (Ecole Supérieure de Travail Social)




                      Communications de la 4e table-ronde

            Pères et mères, partager les responsabilités ?


- La construction sexuée des risques familiaux. La production du genre dans les
dispositifs d’intervention sociale en direction des familles.
                                                                      Coline CARDI

- Isolement ou empowerment ? Le cas des parents solo avec enfants ne bénéficiant
pas des minima sociaux.
                                                                   Liane MOZERE

- Devenir père et intervention sociale : l’exemple du suivi médical de la grossesse.
                                                                     Benoît CEROUX
Journée d’études Mire Ŕ DREES Ŕ ETSUP :"Parcours de vie et intervention sociale : l'impensé du genre".


                            La construction sexuée des risques familiaux.
 La production du genre dans les dispositifs d’intervention sociale en direction des familles
             Coline CARDI, maîtresse de conférences, Université Paris 8, CRESPPA-CSU.


        Depuis quelques années, des recherches ont permis de mettre en évidence la dimension genrée du

système de protection sociale : derrière un objectif affiché de neutralité, l’Etat social français, fondé sur le

modèle de « Monsieur Gagne-pain », repose en fait sur une conception familialiste et andro-centré, qui tend

à reproduire une conception traditionnelle des rôles de sexe. On peut alors se demander ce qu’il en est sur

le terrain des interventions sociales, notamment quand elles visent les familles. A ce propos, les recherches

sur le travail social, qui ont pourtant largement nourri la sociologie critique, ont rarement articulé les

catégories de sexe et de genre à celle de classe, qui prévaut le plus souvent dans ces études.

        Si l’on se place du côté des professionnel-le-s, la sexuation des interventions sociales s’impose

pourtant comme une évidence statistique, tant le secteur est féminisé, comme elle s’impose du côté des

publics ou des “usagers” du travail social : le plus souvent de façon implicite et derrière un vocabulaire de

plus en plus neutre, la découpe et la définition des problèmes sociaux institutionnalisent des catégories

sexuées de problèmes ou de risques et, au-delà, d’intervention (Bessin et al., 2009). Sur le terrain de la

politique familiale et de l’intervention sociale en direction des familles, les faits établissent une certaine

clarté dans cet enjeu. Si la définition et la « gestion des risques sociaux », est marquée par une différence

de classe, elle est aussi marquée par une différence de sexe, comme on le verra à partir d'enquêtes réalisées

dans des dispositifs anciens et nouveaux de l'action sociale en direction des familles, qui agissent dans une

visée de protection de l’enfance et/ou d’aide à la parentalité : la justice des mineurs (à partir de l’analyse de

dossiers ayant fait l’objet d’une mesure de placement), un centre maternel et une association de thérapie

familiale (appréhendés par entretiens, analyses documentaires et par observations directes).

        Dans ces trois institutions, le vocable de « famille », et plus encore aujourd’hui celui de



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« parentalité », tend à masquer et à neutraliser non seulement les rôles effectivement dévolus aux hommes

et aux femmes, mais aussi la façon dont les interventions sociales visent très différemment pères et mères,

contribuant ainsi à (re)produire de la différence de sexe. D'une part, les mères, surreprésentées d'un point

de vue statistique, se présentent comme la cible et le levier des interventions, qu'il s'agisse de repérer, de

prévenir ou de sanctionner des situations familiales jugées dangereuses ou à risque - situations dont les

mères sont bien souvent rendues responsables. D'autre part, l'analyse des discours et des pratiques fait

apparaître combien, sous une forme renouvelée et parfois contradictoire, l'ordre familial et, au-delà, l’ordre

social, reste aujourd'hui pensé en lien avec l' « ordre des genres » (Clair, 2008). In fine, c’est le caractère

genré de la régulation (Cardi, 2008, 2007) qu’on voit à l’œuvre dans ces liens étroits qui unissent encore

aujourd’hui la question sociale à la question familiale.




1. La mère : figure disciplinaire et figure à discipliner


        Dans les trois dispositifs étudiés, la sexuation des publics : les mères sont nettement

surreprésentées. Si cette surreprésentation s’explique, dans certains cars, par l’absence réelle des pères, elle

révèle également la place qui est faite aux femmes dans les dispositifs d’encadrement des familles. Les

mères se présentent en effet sous un jour paradoxal : d’un côté elles sont repérées comme les interlocutrices

principales des services sociaux Ŕ véritables partenaires dans l’entreprise éducative, ce sont elles qui sont

au contact des institutions ; de l’autre, les pratiques et les discours conduisent à les désigner comme les

principales responsables des désordres familiaux. Cible et levier de l’intervention, la mère est ainsi tour à

tour désignée comme une figure disciplinaire (on lui demande de faire les mœurs) et une figure à

discipliner (en vue de prévenir les risques ou de traiter une situation jugée pathogène).

Les interlocutrices principales

        Dans la justice des mineurs, le sexe des publics ne se donne pas à voir d’emblée tant l’origine

sociale semble déterminante : on note une surreprésentation des familles précarisées. Le sexe des



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justiciables apparaît lorsqu’on s’intéresse aux caractéristiques familiales des familles : les placements

répertoriées s’effectuent en effet dans plus de la moitié des situations dans des familles monoparentales

(féminines). Cette disproportion statistique, qui désigne les foyers monoparentaux des milieux populaires

comme une population à risque en matière d’éducation, est redoublée par la dissymétrie qui traverse les

rapports d’assistance éducative. Certes, il est quelque fois fait mention des pères dans les rapports, mais

l’essentiel des propos concerne en fait les mères. Ainsi, dans le cas où le père est connu, voire présent au

domicile, le nombre de pages réservé à la mère est beaucoup plus important que celui consacré aux pères,

qu'il s'agisse d'expertises ou de rapports transmis au juge. C'est aussi sur les mères qu'on s'appuie pour

obtenir des renseignements sur la biographie de l'enfant ; une large place est alors faite à leurs propos,

rapportés au discours indirect. Cette dissymétrie fait des mères le levier de l'intervention. Interlocutrices

principales, tant des dispositifs de protection de l'enfance, que des institutions en lien plus ou moins direct

avec la justice, c'est sur elles que repose la normalisation des conduites.

        En centre maternel, le public est spécifiquement féminin : dans une logique de protection, le foyer

accueille des mères jeunes, en situation de monoparentalité et de précarité, signalées ou orientées par des

assistantes sociales de secteur ou par la justice des mineurs. Ici, la place faite aux pères reste aussi très

marginale Ŕ même si le projet de service mentionne en creux leur fonction. Cela tient à leur absence réelle,

mais aussi à la « matrifocalité » sur laquelle repose ce dispositif. Pour exemple, les fiches de renseignement

remplies au moment du premier entretien réalisé avant admission n’ont longtemps pas comporté de case

pour indiquer le nom du père de l’enfant. Il aura fallu une mobilisation interne des éducatrices de la

structure pour que cette catégorie informative finisse par apparaître, non pas formellement, mais ajoutée au

stylo par certain-e-s des travailleurs sociaux. Dans ce contexte, les mères apparaissent de fait comme les

cibles principales de l’intervention éducative et le sort des enfants leur est toujours associé. C'est en les

prenant en charge, en menant avec elles un travail d'ordre éducatif et psychologique qu'on entend œuvrer

pour le bien-être de l'enfant et prévenir les désordres familiaux, et au-delà les désordres sociaux.

        Dans les nouveaux dispositifs d’ « aide à la parentalité », enfin, la mixité du public reçu est



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constamment mise en avant. Dans l’association de thérapie familiale par exemple, pour se démarquer de

l’intervention sociale « classique », on insiste sur la nécessité d’associer les pères aux interventions. « A la

base on est parti du constat du discrédit de la fonction paternelle » explique la présidente. « Redonner sa

place au pères », l’argument est avancé pour les demandes de financements. Mais la réalité est tout autre :

parmi les personnes suivies, on note là encore une prédominance des foyers monoparentaux. Les séances

de thérapie familiales s’adressent dans plus de la moitié des situations, à des mères élevant seule leur(s)

enfant(s). Et la disproportion est encore plus frappante si l’on considère les groupes de parole animés par

les thérapeutes. En outre, les mères (et parfois les grands-mères) apparaissent là aussi comme les

interlocutrices principales : ce sont elles qui appellent pour prendre rendez-vous, qui écrivent, et qui font un

travail préalable pour convaincre le reste de la famille d’entamer (ou de poursuivre) une thérapie.

La sexuation du lien cause-responsabilité : le procès des mères

        L’omniprésence des mères se traduit par une mise en procès : interlocutrices principales, ce sont

aussi elles qui sont désignées comme les principales responsables de la situation de (risque de) danger. On

l’observe notamment là où la comparaison entre les sexes est possible : dans la justice des mineurs comme

en association de thérapie familiale, le comportement des mères est présenté comme la cause principale ou

originelle de situations jugées problématiques. A ce propos, se dégagent deux types de situation.

        La première conduit à désigner directement la mère comme responsable des désordres familiaux :

c’est son comportement qui est jugé déviant. Dans le domaine judiciaire, la mise en accusation apparaît

d’autant plus forte que l’archive et les documents qui la composent sont le résultat d’une sélection de faits

qui vise à convaincre le juge, d’où le caractère caricatural du discours. Quand la mère est visée, chaque

élément devient symbole à charge. L’élément prédisposant est d’ailleurs souvent celui d’avoir eu soi-même

une « mauvaise mère ». La déviance désigne un héritage féminin, notamment dans les écrits des

psychiatres et psychologues, qu’il s’agisse des défaillances paternelles ou maternelles et c’est alors à la

grand-mère paternelle et/ou maternelle qu’il faut remonter.

        Dans la seconde situation, la déviance maternelle est pointée en creux, et souvent sous le mode du


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soupçon, notamment en cas d’infractions commises par son enfant, voire par son (ex)conjoint. Dans ces

situations, la définition du « danger » ne vise pas explicitement la mère : c’est l’infraction, les violences

paternelles ou les troubles du comportement du mineur qui alertent et peuvent légitimer l’intervention

éducative, thérapeutique, voire le placement. Mais une analyse plus poussée laisse entrevoir que derrière

l’incrimination des fils ou des pères, on trouve souvent celle de la mère. Prenons l’exemple de la famille

Vasseur, suivie régulièrement en association de thérapie familiale et adressée à la structure par une

assistante sociale scolaire suite au renvoi de Daniel, 13 ans. En réunion de supervision, les thérapeutes

expriment leur désarroi devant cet adolescent quasi-mutique et qui répète en séance vouloir devenir Bill

Gates. On peut voir dans ce désir une façon de désigner ses origines populaires et son désir d’ascension

sociale, mais le superviseur préfère quant à lui interroger les rapports conjugaux des parents. On apprend

notamment qu’ils se disputent régulièrement en séance et que Daniel s’amuse souvent à prendre parti pour

sa mère. Les thérapeutes rappellent également que Mme Vasseur a un premier fils plus âgé, fruit d’une

première union. Cette rapide présentation donne lieu à l’interprétation suivante livrée par le superviseur :

« Il faut prendre cette référence à Bill Gates au sérieux. C’est une provocation. Daniel interroge ici la

fonction paternelle. Or, la place de l’homme dans ce système est délicate. Le père a du mal à prendre sa

place. Il faut, pour cela, qu’il devienne le chef de famille, l’homme de la famille. Mais Madame ne le lui

permet pas, elle ne l’intègre pas. Elle met l’enfant au centre des disputes et, par là même, elle disqualifie le

père ». C’est donc à la mère de faire le père, qui, lui-même doit, dans une perspective psychologique,

permettre de rompre avec l’aliénation maternelle en imposant l’autorité, la Loi. Malgré un modèle

d’explication qui se veut circulaire parce que systémique, les mères sont ainsi mises en procès, rendues

coupables dans tous les cas.

        En cas de violences physiques et/ou sexuelles du père, il arrive aussi qu’on reproche aux mères leur

incapacité à protéger leur(s) enfant(s). La responsabilisation ou la mise en accusation se fait alors le plus

souvent au détour d’une phrase, sous le mode du soupçon. On pointe leur participation passive, on suppose

qu’elles ont pu provoquer la violence. Au sein de l’assistance éducative, la déviance se décline donc au




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féminin et le lien cause-responsabilité apparaît très fortement sexué. En un mot, la mère, telle qu’elle est

présentée joue le rôle d’« acteur social négatif ». Cause vivante de la déviance, elle est elle-même déviante.

En creux se dessine la figure de la « mauvaise » mère, qu’il s’agit à présent d’analyser.




2. La figure de la mauvaise mère

        Quelles sont les normes et les catégories qui contribuent à construire la déviance maternelle ? A ce

propos, le médical est entrelacé au psychologique pour reproduire une conception relativement

traditionnelle des rôles et identités de genre. On voit ainsi renouvelées, via des injonctions nouvelles et

contradictoires, les formes anciennes du familialisme (Lenoir, 2003), qui associe ordre familial, ordre

social et ordre des genres.

Le poids des catégories psychiatriques : mère ou folle

        Ce sont d’abord les catégories médicales qui contribuent à définir la déviance maternelle, et

plus particulièrement les catégories psychiatriques. Très usitées dans la justice des mineurs, elles le

sont beaucoup moins dans les deux autres dispositif, comme si la prise en charge et la désignation par

le secteur psychiatrique jouait un puissant rôle de filtre, dissociant maternité et troubles psychiques.

        Les mères déclarées atteintes de troubles psychiatriques ou dépressives sont en effet

nombreuses dans les dossiers de mineurs placés : il s’agit de la deuxième cause explicite de placement.

A propos des placements en urgence, les professionnels de l’enfance en danger mettent d’ailleurs

systématiquement le doigt sur les problèmes psychiatriques des mères. A titre d’exemple, dans une

enquête informelle menée par un service d’Action Educative en Milieu Ouvert on soulignait la

centralité de cette question dans les procédures d’urgence : « pour 8 mineurs en AEMO, les

placements ont été réalisés dans l’urgence. Toutes ces situations concernent des enfants dont la mère

présente une pathologie mentale grave et avérée ». C’est aussi ce que percevait l’une des femmes

rencontrées et prises en charge en centre maternel. Lors de son séjour en hôpital psychiatrique, elle a


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remarqué le « défilé des Kangoo » (les voitures de fonction réservées aux travailleurs sociaux du

département) et en a conclu justement qu’il s’agissait d’éducateurs accompagnant des enfants voir leur

mère. Elle évoquait les nombreux cas de femmes internées aux enfants placés.

        Ce recours relativement systématique au placement de l’enfant en cas de troubles

psychiatriques avérés de la mère conduit donc à une sélection en amont : femmes hospitalisées et

enfants placés ou mères accueillies en institution. On comprend alors qu’en centre maternel, rares sont

les femmes présentant des troubles psychiatriques. Lors de l’enquête, une seule au passé psychiatrique

lourd mais aux caractéristiques sociales particulières était accueillie. Déclarée anorexique, cette

femme de 32 ans et mère d’une petite fille de 2 ans bénéficie, dans le cadre d’un contrat administratif,

d’un hébergement en foyer, en parallèle d’un suivi psychiatrique avec des hospitalisations régulières.

A son propos, les travailleurs sociaux répètent qu’elle « déborde du cadre », l’expression renvoyant à

la fois à la maladie mentale de cette femme, mais aussi à ses origines sociales, qui en font une figure

atypique comparée à la clientèle habituelle du centre. Car la psychiatrisation de la déviance féminine

semble avoir des effets socialement différenciés. Si les mères prises en charge sont le plus souvent

issues des milieux populaires, sans diplôme et sans qualifications, celle-ci est issue de la classe

supérieure (père directeur général d’une grande entreprise, mère secrétaire de direction) et est licenciée

en psychologie Ŕ ce qui réduit, voire inverse, l’écart habituel entre travailleurs sociaux et usagers. De

ce fait, cette femme a pu, selon ses dires, obtenir que sa fille ne soit pas placée, et même éviter

l’intervention d’un juge, comme si l’origine sociale élevée et son capital scolaire l’avaient mise à

l’abri de l’intervention de la justice, tout en jetant le trouble dans l’esprit des éducateurs/trices.

Les usages de la psychologie : une responsabilité différentielle selon le sexe

        Les discours empruntent aussi très largement aux catégories psychologiques : elles imprègnent

les discours, tant des professionnels du psychisme, que des travailleurs sociaux. A ce propos, il faut

noter un écart important entre les évolutions actuelles des savoirs psychologiques et psychanalytiques

et l’usage qui est fait de ces catégories dans les interventions sociales. En effet, si on note aujourd’hui



                                                                                                         7
une évolution des savoirs sur la petite enfance et sur les rôles attribués aux pères et aux mères

(Neyrand, 2000), si même se développe une archéologie du savoir psychanalytique qui réinterroge la

différence des sexes et les identités de genre (Tord, 1995, Schneider, 2006), sur le terrain de

l’intervention sociale en direction des familles, on constate le caractère relativement monolithique et

traditionnel du discours et de l’usage des catégories psychologiques. Et ceci s’observe aussi bien dans

les nouveaux dispositifs d’aide à la parentalité comme cette association de thérapie familiale : si on

affiche le souci d’accompagner les transformations de la famille en soutenant les « compétences

parentales », les thérapeutes ont du mal à réinterroger leurs savoirs à propos des rôles maternels et

paternels. Certes, on demande aux pères de s’impliquer dans la vie de leur enfant, mais pour autant la

fonction paternelle ne se confond aucunement avec la fonction maternelle et la construction du danger

reste très marquée par une conception traditionnelle du masculin et du féminin, qui se traduit par une

forme de responsabilisation sexuellement différentielle.

        Au regard des besoins psychologiques de l’enfant, ce qui est le plus souvent reproché aux

mères, c’est d’abord leur négligence, qui jette un trouble dans le genre : elles paraissent incapables de

répondre aux besoins de leurs enfants. Or, les « besoins » de l’enfant, quand c’est à la mère d’y

répondre, se limitent aux soins. L’accent est mis de façon systématique sur l’hygiène, l’alimentation et

les soins corporels. Ce manque de maternage peut même venir expliquer les illégalismes des mineurs,

comme c’est le cas dans le dossier de François, mineur de 15 ans, auteur d’infractions et objet d’une

ordonnance de placement provisoire, en raison de « troubles du comportement » et d’une « scolarité

perturbée ». Pour expliquer cette situation jugée « inextricable », le psychologue en charge de

l’expertise psychologique du jeune pointe directement les défaillances maternelles dans les soins

apportés au mineur quand il était bébé, selon lui à l’origine des troubles du comportement constatés à

l’adolescence. L’exemple, caricatural, résume assez bien la façon dont l’incompétence maternante des

mères à l’égard de leur enfant sert l’interprétation psychologique des désordres familiaux, ici des

troubles du comportement du mineur. Le discours sur les pères est tout autre : quand ils sont appelés à




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comparaître (en dehors des cas d’atteintes sexuelles sur mineur-e-s), c’est pour mettre en avant leur

défaillance dans l’éducation morale et sociale des enfants, dont ils auraient la responsabilité.

        L’interprétation psychologique conduit également à faire surgir le pendant de la « mère

indifférente », celle de la « mère fusionnelle », tout aussi récurrente. Dans ce cas, un des objectifs

affichés du placement, du travail éducatif ou thérapeutique est de rompre un lien jugé pathogène, du

fait d’une trop grande proximité. Derrière ce motif, il s’agit en fait de recréer des effets de

triangulation ou encore un Œdipe inachevé ou rendu impossible par ces mères jugées toutes

puissantes. C’est aussi en empruntant à ce registre que la monoparentalité, quand elle est associée à

une certaine précarité, reste encore largement stigmatisée. La référence à l’institution famille n’est pas

explicite : c’est à travers la psychologie qu’elle est en fait renouvelée. La « mauvaise mère » n’est pas

directement celle qui est en situation de monoparentalité, mais c’est celle qui ne laisse pas de place

aux hommes et vit une relation jugée fusionnelle avec son enfant. Dès lors, on observe un processus de

mise entre parenthèses des conditions sociales d’existence de ces femmes et du contexte dans lequel

elles exercent leur rôle parental et on individualise le risque familial.

Autonomie et injonctions contradictoires

    Si, comme on l’a vu, les mères de milieux populaires constituent un risque pour l’ordre familial,

et au-delà pour l’ordre social, il convient alors de les discipliner. Sur ce point, les injonctions sont

toujours contradictoires. Le référentiel d’ « institution » entre en effet en tension et en contradiction

avec celui d’autonomie qui sous-tend également aujourd’hui l’action sociale en direction des familles

et des enfants. « On est là pour leur permettre d’accéder à l’autonomie » ; « On est loin des discours

normatifs, notre objectif, c’est de soutenir les compétences parentales ». Ces deux assertions, l’une

d’une éducatrice spécialisée en centre maternel, l’autre d’un thérapeute familiale, résument assez bien

les transformations qui affectent les politiques familiales et la façon dont le référentiel d’émancipation

traverse les formes anciennes et renouvelées de l’action sociale en direction des familles : une place

importance est donnée à l’autonomie des individus, qu’elle soit postulée ou visée. L’histoire et le



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fonctionnement actuel des différents dispositifs étudiés le démontrent nettement. Les évolutions quant

aux prérogatives des centres maternels (Donati, Mollo, Calvez, 1999) sont par exemple significatives :

l’autonomie professionnelle et psychique des femmes est aujourd’hui mise en avant comme un

objectif, là où la protection des « filles mères » était pensée dans un souci populationniste, qui faisait

coïncider ordre familial (et sexué) et ordre social. Sur un mode quelque peu différent, l’association de

thérapie familiale s’inscrit également dans cette logique d’autonomisation : on note un souci affiché de

proposer des formes renouvelées de la régulation sociale, au plus près des populations. Alliant registre

sociologique et psychologique, l’accent est mis sur la « co-construction »: le travail avec les « familles

en souffrance » viserait, en dehors de tout schème normatif, à soutenir les « compétences parentales ».

Il s’agit de rejeter un schéma assistanciel pour lui préférer un modèle de l’ « activation douce »

(Astier, 2007), visant moins à soigner qu’à révéler le potentiel parental des individus, pensés comme

des acteurs capables de compter sur leurs propres ressources, notamment biographiques et familiales.

   Dans les pratiques, ce registre de l’autonomie prend là encore une dimension sexuée, qui oblige à

en mesurer les limites et les contradictions. Si l’autonomie des femmes est visée, cette autonomie est

toujours pensée et mesurée à l’aune de l’autonomie des enfants. En centre maternel comme en thérapie

familiale, si l’on demande aux mères de faire preuve d’autonomie, c’est avant tout parce que cette

autonomie est pensée en lien avec le bien être psychologique de l’enfant : il s’agit de se dégager d’une

relation jugée fusionnelle et dangereuse pour le mineur. Car, aujourd’hui, la bonne mère est également

celle qui trouve la « bonne distance », à qui l’on demande d’accéder à une certaine « autonomie

psychique », d’élaborer une « position de femme ». Mais cette autonomie non seulement est pensée en

vue de celle des enfants, mais elle est aussi limitée par celle des enfants. Dans cette perspective, les

injonctions apparaissent contradictoires et renouvellent une conception traditionnelle des rapports

sociaux de sexe. En association de thérapie familiale comme dans la justice des mineurs, le

surinvestissement professionnel des femmes est toujours suspecté, interprété comme le signe d’un

désengagement maternel (et parfois conjugal). En centre maternel, la question de l’insertion




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professionnelle des mères est, dans les faits, plus que secondaire. Avant d’accéder à l’autonomie, les

femmes doivent donner la preuve de leurs compétences maternelles et domestiques. L’attention est

ainsi bien davantage portée sur l’apprentissage du maternage et de la tenue d’un foyer et le travail

éducatif ou « pédagogique » consiste en l’apprentissage du ménage, et de la gestion du budget. Ainsi,

si l’investissement massif des femmes sur le marché de l’emploi a participé à dévaloriser l’image de la

« bonne ménagère » (le travail étant aujourd’hui perçu comme un élément de réalisation pour les

femmes (Tahon, 1995)), c’est pourtant bien à cette figure que sont assignées les femmes pauvres.




Conclusion `

   Les transformations en matière de comportements familiaux et les évolutions conjointes du droit social

et du droit civil en matière familiale sont analysées par certains comme les signes d’une « privatisation de

la vie familiale » : la « postmodernité », serait marquée par une autonomisation des individus par rapport

aux rôles familiaux traditionnels et, dans le même temps, l’intervention étatique dans la sphère privée et

familiale serait remise en cause. Les changements intervenus ces dernières années dans le domaine de

l’action sociale en direction des familles semblent aller dans ce sens. L’usage de plus en plus récurrent du

terme de « parentalité », et les nouveaux dispositifs qui y sont associés, témoignent de cette nouvelle

approche de la famille : on insiste sur la nécessité de se départir d’une vision traditionnelle pour offrir un

« accompagnement » non contraint et respectueux des choix individuels en matière conjugale et sexuelle.

L’adéquation entre ordre social et ordre familial serait alors dépassée, et on serait entré dans un nouvel âge

de la prise en charge des familles, où hommes et femmes choisiraient librement les modalités du vivre

ensemble.


   Mais le détour par le terrain de l’intervention sociale amène à mesurer les contradictions ou

« tensions normatives » (de Singly, 2003) qui accompagnent ce processus d’individualisation. Dans

ces espaces, le référentiel d’autonomie entre en tension avec d’autres (Commaille, Strobel, Villac,



                                                                                                     11
2007), celui d' « institution » mais aussi celui de « gestion des risques sociaux », aujourd’hui souvent

perçus comme des « risques familiaux » et l’on voit poindre l’ « éventualité d’une politique duale où

l’autonomisation des uns s’accompagnerait d’un retour à un "gouvernement des populations" pour les

autres » (Commaille, 2006). Or cette définition des risques familiaux, si elle est marquée par une

différence de classe, est aussi marquée par une différence de sexe : on voit nettement comment les

mères précarisées sont à la fois les partenaires et les cibles dans l’entreprise de responsabilisation des

familles et de prévention des situations de danger pour les enfants. En ce sens, les interventions

actuelles semblent répéter celles d’hier. Les terrains étudiés ont cependant permis de faire jouer la

variable du genre dans des espaces institutionnels où se produisent et se répercutent de nouvelles

normes, notamment celles de l’autonomie et de l’émancipation, qui n’assignent plus les femmes

exactement aux mêmes places que par le passé. Mais, on l’a vu, il s’agit moins d’un renversement que

d’un réaménagement, d’une nouvelle économie des rapports de sexe. « Rôles et identités sexuels

d’autrefois ont peut-être disparu ; mais certains aspects de ceux qui ont cours aujourd’hui leur

ressemblent à s’y méprendre. Ou, pour être plus précis : certains attributs de la féminité traditionnelle

ont été remodelés récemment pour être en accord avec l’image valorisée de la "femme nouvelle". »

(Löwy, 2005, 35). Dans les institutions où s’accumulent les négatifs de ces images nouvelles, on voit

particulièrement bien que les femmes les moins dotées socialement paient le plus lourd tribut à cette

fausse émancipation. Car le processus d’individualisation, en même temps qu’il est porteur d’un

ensemble normatif valorisant l’égalité, contribue à produire des inégalités entre les hommes et les

femmes, mais également entre les femmes elles-mêmes. Ce processus a donc un coût et ce coût mérite

d’être mesuré à la fois en termes de classes et en termes de sexe.




                                                                                                      12
1




          ISOLEMENT OU EMPOWERMENT ?
   LE CAS DE PARENTS SOLO AVEC ENFANTS NE
    BENEFICIANT PAS DES MINIMA SOCIAUX


                  (NOTE DE SYNTHESE)




                Direction scientifique Liane Mozère
                      Virginie Vinel, Irène Jonas
               avec la collaboration de François Oudin
              et la participation de Marie-Isabel Freiria




               CONVENTION DE RECHERCHE

                               07/982

                           Février 2009
               Université de Metz Paul Verlaine de Metz
DIRECTION DE LA RECHERCHE, DES ÉTUDES, DE L’ÉVALUATION ET DES
                          STATISTIQUES
                   MISSION RECHERCHE (MiRe)
2



                                       NOTE DE SYNTHESE

La proposition que nous avons soumise vise à accroître les connaissances permettant de
mieux accompagner les politiques publiques s’adressant à des publics auxquels elles ne sont
pas spécifiquement destinées. L’étude porte ainsi sur les pratiques et les difficultés des
femmes et d'hommes vivant seul-e-s avec leurs enfants, actifs, ne bénéficiant pas des minima
sociaux, n’étant pas en congé parental.
Nous faisions l’hypothèse que ceux-ci rencontrent des difficultés spécifiques que les
décideurs pourraient, par une action appropriée, les aider à surmonter. En demandant à ces
personnes de restituer par un récit la manière dont les périodes de monoparentalité sont
vécues au niveau le plus concret et matériel, nous cherchons à explorer les interstices, les
entre-deux, les « creux » ou, mieux, les zones d’ombre méconnues par les politiques
publiques et notamment en termes de genre.

Eléments de problématique
Entre le recensement de 1990 et 1999 le nombre de familles monoparentales est passé de
1 602 000 à 1 982 000 (Cristofari et Labarthe, 2001). Elles représentent 16,7% des familles
comprenant un enfant de moins de 25 ans (Alvaga, 2002). Entre 2,4 millions et 2,7 millions
d’enfants (selon les chiffres) vivent en familles monoparentales. Tous les auteurs travaillant
sur la catégorie famille monoparentale depuis les années 1980 (Lefaucheur 1988 ; Alvaga
2002 ; Eydoux, Letablier, Georges, 2007) soulignent l’hétérogénéité des situations des
familles monoparentales. Ces disparités tiennent d’une part, au mode d’entrée dans la
monoparentalité – séparation (74%) (Alvaga 2003), veuvage (en proportion supérieure pour
les hommes que pour les femmes 17% contre 10%) et naissance hors couple (15%) – d’autre
part, à l’âge du parent, à la qualification, à la catégorie socio-professionnelle, au réseau de
relation et à la relation avec le parent non gardien (quand il y en a).

Les politiques publiques, par le biais de l’Allocation Parent Isolé (API), se sont attachées
avant tout à répondre à la paupérisation d’une catégorie de femmes, peu qualifiées et
éloignées de l’emploi. Cette optique envers les familles monoparentales s’ancre dans la
tendance européenne, et plus tardivement française, d’orienter les politiques familiales vers
une « option sociale » plutôt que « familialiste » (Commaille, Martin 1998).
La population que notre étude vise se trouve, en effet, au centre de ces tensions : appartenant
aux classes moyennes et étant en majorité parent d’un seul enfant 1 , ces familles bénéficient
peu des prestations familiales. Résidant rarement dans les quartiers défavorisés, elles ne sont
pas non plus les populations cibles des politiques éducatives (ZEP, contrat éducatif local…).
Pourtant, d’une part, elles rencontrent des difficultés spécifiques que nous mettrons au jour,
elles aspirent aussi à des modes de soutien adéquat à leur situation. D’autre part, bien que
n’en bénéficiant pas, elles souffrent de la stigmatisation associée à la l’image de la femme
seule, isolée, défavorisée bénéficiant de l’API, tout en souhaitant s’en distinguer.
Les recherches ainsi que l’Union Européenne mettent l’accent sur la nécessité d’une politique
sociale ambitieuse (à l’aune de la Suède par exemple) pour obtenir l’égalité homme/femme,
favoriser la conciliation travail/famille, tout en maintenant/favorisant une natalité élevée.
Or, la situation des parents solo pose avec acuité la question des inégalités hommes/femmes et
de la conciliation travail/famille, car ce sont à 86% des femmes qui se trouvent confrontées à
1
 57% des familles monoparentales ne comptent qu’un enfant contre 39% des familles en couple (Le
Tablier 2007 : 21). Dans notre population, 17 sur 29 n’ont eu qu’un enfant, 21 ont un seul enfant à
charge au moment de l'entretien.
3

la situation monoparentale. Elles doivent faire face à une multitude de contraintes. Ces
charges sont financières, mais aussi temporelles, mentales, physiques, professionnelles et
affectives. Susan Moller Okin (2008), insiste sur le fait que la situation des hommes est très
différente de celle des femmes après divorce, principalement parce que les tribunaux traitent
les hommes et les femmes divorcés comme s’ils étaient plus ou moins égaux.
L’étude interroge donc :
- La façon dont les femmes solos s’y prennent pour assumer leurs multiples tâches,
- Les ressources (parenté, amicales, réseau, financières) qu’elles mobilisent pour trouver des
solutions à leurs problèmes quotidiens.
- Les conséquences sur leur activité et leur carrière professionnelle, leur situation financière,
de logement, leur vie personnelle, mais aussi leur bien-être et leurs liens avec leurs enfants.
- Les aspirations et les attentes qu’elles expriment
Le contre-point des quelques interviews avec des hommes permet d’apporter des données
qualitatives sur les différences et les convergences relatives aux hommes et aux femmes solos
sur les points énoncés ci-dessus. Enfin, à partir du point de vue de ces parents solos, abordé
dans sa complexité et contextualisé, nous réfléchirons aux aides publiques qui pourraient être
envisagées pour les soutenir dans leur trajectoire.

Eléments de méthodologie
La recherche a débuté par une phase de recherche bibliographique. Sans prétendre à
l’exhaustivité, nous avons recensé la majorité des travaux français sur la question, ouvrages et
articles. Quelques travaux québécois ont aussi été consultés. Nous avons aussi tenu à situer
notre recherche de façon plus globale en nous intéressant à des écrits anglophones.
Nous avons procédé à un recensement des prestations familiales et des dispositifs de soutien à
la fonction parentale.
L'enquête de type qualitative se base sur les principes de sociologie inductive, née de
l’anthropologie et appliqués par les sociologues de l’Ecole de Chicago à l’étude des sociétés
urbaines et industrialisées. Nous avons procédé par entretie ns de types récits de vie – en
orientant comme le préconise Danièle Bertaux (2006) – le récit sur l'objet de notre recherche.

Nous avons réalisé 29 entretiens, 26 femmes et 3 hommes, résidant seuls avec leur enfant et
ayant la garde à temps plein, dans la région parisienne, l’agglomération Metz-Nancy,
l’agglomération strasbourgeoise et à Aix-en-Provence. Au moment de l’entretien, ces parents
sont actifs, 27 sont en emploi, l’une est au chômage et l’une est au chômage partiel avec une
activité réduite d’enseignante vacataire. Ils sont de PCS diversifiées avec une proportion égale
d’employés, de professions intermédiaires et de cadres et professions intellectuelles. Les
interviewés ont entre 29 et 59 ans. Une majorité (17) n’ont eu qu’un enfant. 6 ont des enfants
étudiants. 5 femmes sont veuves, 4 femmes n’ont pas vécu de cohabitation avec les pères des
enfants (nous les avons nommées « célibataires »), 20 interviewés sont séparés ou divorcés.

RESULTATS
Il est difficile de synthétiser les résultats tant les entretiens étaient riches d’enseignements,
mais aussi de complexité relatives aux trajectoires singulières. Ainsi, nous n’avons pas extrait
de typologie des parents solos, car les convergences et les divergences se corrèlent moins à
des variables simples (PCS, âge, âge des enfants…) qu’à un faisceau de facteurs arrangés
différemment selon l’histoire de vie solo de chacun : type d’emploi, niveau de salaire, relation
avec l’ex-conjoint, réseau de soutien (parenté, amis), offre de service périscolaire sur le
quartier d’habitation, trajectoire de logement, difficultés ou non avec les enfants, pour
l’essentiel.
4

Nous dégagerons donc les lignes force de notre étude, tout en soulignant que cette synthèse
pourrait simplifier, ce que nous souhaitons être une approche de la complexité et du micro-
social.

Le premier constat est que les parents solos subissent un choc lorsque la séparation, le décès
brise leur famille conjugale 2 . Malgré le poids de la « déprime » qui s’en suit, ils-elles doivent
rebondir rapidement pour trouver les solutions pour faire face aux questions premières :
changer ou non de logement, adapter son emploi, trouver les modes de garde adaptés.
Trouver immédiatement des solutions et du soutien conduit ces femmes à mobiliser les
ressources institutionnelles : les institutions dans lesquelles les enfants sont accueillis
(périscolaire, crèche, assistantes maternelle) servent de premier relais et sont dans
pratiquement tous les cas mobilisés à bon escient.
Toutefois, ces parents solo hésitent voire refusent de faire appel aux services sociaux (CCAS,
Assistante sociale de secteur). Cette réticence relève d’une part, de l’idée que ces services ne
sont pas adaptés à leur cas, car jugés ciblés sur des populations défavorisées desquelles ces
parents solos souha itent se distinguer, d’autre part, les institutions sont mal connues et les
personnes se sentent mal orientées, enfin, la crainte de se faire enlever l’enfant sourd encore
dans certaines de ces familles. Lorsqu’ils ont affaire aux institutions on peut discriminer des
interventions que l’on pourrait qualifier de contre-productives et d’autres qui parviennent à se
soucier de ces femmes, non seulement de manière appropriée, mais de façon bienveillante.
Ainsi, quand à l’école, plusieurs doivent faire face aux incompréhensions répétées voire d’une
stigmatisation de la part des enseignants en raison de l’absence de père ou lorsqu’une
assistante sociale propose à une femme en CDI en attente de logement social, un hébergement
en hôtel d’urgence, on se trouve face à des procédures préformées, non adéquats et contre-
productives. Au contraire, lorsque le personnel institutionnel manifeste une attention active,
une écoute qui débouche sur des propositions concrètes : un directeur de collège d’un
médecin de PMI, déculpabilisant et à l’écoute et aidant, une assistantes sociale confortant les
pistes, une banquière qui a confiance et offre un prêt à une personne en libéral, c’est le
« petit » plus qui soutient, accompagne ces personnes dans leurs actions et accroît leur
puissance d’agir.
Ainsi, si les entretiens montrent que ces parents solo préfèrent «se débrouiller seul » et
hésitent à «demander de l’aide », soucieux de leur autonomie et de leur indépendance, un
accompagnement adapté, des institutions s’avère porteur pour ces parents solos. Nous
insistons ainsi non sur la mise en place de dispositifs mais sur une attitude favorisant
l’empowerment de ces parents, dotés de ressources et de compétences.

L’emploi
Les parents rencontrés sont insérés professionnellement, hormis une au chômage, en
recherche active d’emploi. A signaler que contrairement à d’autres situations, les femmes de
notre population étaient toutes en emploi lors de la séparation, le décès ou la naissance de
l’enfant. Plusieurs cas de figure apparaissent quant à la question de l’emploi mais toutes ont
dû adapter leur emploi à leur nouvelle situation. Une part des femmes a travaillé davantage
afin de compenser la perte du salaire de leur conjoint, ce qui conduit des personnes en libéral
à dépasser les 40 heures de travail hebdomadaire, ou une autre à se convertir en routier
international pour accumuler les heures supplémentaires pendant la semaine, son fils étant en
internat, une autre à augmenter son temps de travail de femme de ménage. Plusieurs ont ainsi
changé d’emploi (l’une devenu restauratrice, l’autre dans la synchronisation, l’une mutée dans

2
 Aucune des femmes rencontrées n’a fait son enfant « toute » seule, mais plusie urs n’ont pas connu de
cohabitation prolongée avec le père des enfants.
5

une autre région…) afin de concilier leur travail et leur charge de famille solo. Certaines ont
baissé leur temps de travail, suite au calcul entre le salaire/prestations sociales/temps consacré
à l’enfant. Les hommes, tous trois cadres ou professions intermédiaires, n’ont pas changé leur
carrière, l’un se trouvant même libéré dans son aspiration à monter son entreprise. Quelques
femmes ont stoppé leur avancée de carrière (pas le temps de faire les stages, de la recherche),
mais d’autres ne se sont pas senties freinées par la situation solo.
Ces variations de stratégies et de ressentis sont liées, notamment, à l’âge des enfants et aux
modes de garde et au réseau de soutien pour accueillir les enfants.

Soutiens et modes de garde
Ainsi, se dégagent manifestement deux groupes de parents solos, l’un (environ un tiers des
interviewés) qui reçoit un soutien de leurs parents, qui gardent leur enfant régulièrement ou
occasio nnellement, l’autre groupe ne reçoit que très occasionnellement voire pas du tout
d’aide de leurs parents. Toutefois, la famille élargie apparaît dans une majorité d’entretiens
pour des séjours en vacances, un soutien transitoire, une aide financière et morale. Le réseau
de relations amicales et de l’entourage joue un rôle aussi considérable dans l’accueil des
enfants, mais aussi dans le support moral et éducatif. 4 femmes parmi les 23 ont ainsi créé un
véritable « binôme d’entraide » apportant à la fois coup de main pour la garde mais aussi
soutien affectif et moral au point que le vocabulaire de la parenté remplace celui de l’amitié
(les enfants étant quasi frères et sœurs). Plus fréquemment, ce sont des échanges de services –
réciproques – qui se mettent en place, certains intensifs (tours de cantine chez l’un et l’autre),
d’autres plus sporadiques. Quelques uns organisent avec l’ex-conjoint des modalités, toujours
à renégocier, de garde régulière ou occasionnelle des enfants, en dehors des « droits de
visite ».
La mobilisation de l’entourage familial et amical s’avère une ressource essentielle pour, d’une
part, le maintien dans l’emploi de ces parents solos, d’autre part, servir d’assurance en cas de
coups durs : retard pour chercher les enfants, maladie ou hospitalisation. Reste que ce réseau
varie amplement d’un parent à un autre, qu’il n’est pas stable, et certains parents n’en
bénéficient pas et se sentent très seul pour faire face à toutes leurs tâches de parents solos.
L’offre de service de garde et de service périscolaires s’avère également cruciale pour ces
parents solos. Ils apprécient particulièrement les services périscolaires tant en terme d’aide
aux devoirs, que de temps encadré, pour les enfants (en primaire), et regrettent pour autant, la
limite des horaires d’accueil (notamment absence de garderie le matin en primaire) et la rareté
des services périscolaires pour les collégiens. A signaler la forte disparité de l’offre et des
coûts, constatée qualitativement, des modes d’accueil des enfants pendant les vacances
scolaires, selon les communes.

Réseau d’échanges, garde des enfants, soutiens aux devoirs, ce sont bien des secteurs dans
lesquels les politiques publiques pourraient inciter en les aidant les collectivités territoriales,
pour soutenir les initiatives des parents solos en matière d’échanges de services (garde, temps,
conseils, discussions) et renforcer les modes d’accueil des enfants de tous âges.
Un autre secteur crucial dans lequel les pouvoirs publics ont un potentiel est le logement.

Le logement
En dehors de «contre exemples » (3 personnes) pour lesquelles le logement n’a pas osé de
problème, le logement constitue donc une difficulté pour la majorité des interviewés.
Déménager après une séparation s’avère difficile, tant psycholo giquement que
financièrement. Beaucoup se retrouvent dans un espace plus petit. Et trouver un logement
correspondant aux attentes tant financières, qu’en terme d’espace n’a pas été chose facile pour
toutes. « Avoir un toit », donner un cadre de vie agréable aux enfants, ne pas les perturber
6

davantage par un changement dans leurs habitudes scolaires et autres, semblent être un souci
récurent chez les parents rencontrés. La priorité, on le voit bien ici, est ce que l’on pense être
les conditions du bien-être et de la stabilité de l’enfant.
Une interviewée met un an à trouver un logement adapté, et plusieurs femmes – dans des
logements trop petits – n’ont pas de chambre personnelle. La situation en région parisienne
conduit d’ailleurs à un cas extrême de re-cohabitation avec l’ancien conjoint. Les allocations
logement sont une aide précieuse et indispensable pour les salaires les plus faibles, mais
inexistantes pour les salaires moyens qui ne permettent pourtant pas de se loger décemment
dans les grandes agglomérations. Le recours au soutien familial est donc la solution qui
permet de se poser dans un logement pendant un temps ou de pallier les problèmes financiers.
Les hommes et les femmes qui restent dans un logement dont ils avaient la charge avant la
séparation/décès, ou qui s’engagent seuls dans un achat, ne rencontrent pas de difficulté.
On voit bien que les problèmes rencontrés par ces parents solos au niveau du logement touche
tout d’abord à une question structurelle d’insuffisance de logements sociaux, ma is ils
découlent aussi des seuils des allocations logement qui ne bénéficient qu’aux revenus les plus
bas (en dessous de 1500€). La simplification et la centralisation des démarches auprès des
bailleurs sociaux s’avère une mesure plus aisément réalisable à court terme.

La question du logement se pose avec acuité lorsque les enfants grandissent et deviennent de
jeunes adultes. Le recours aux chambres universitaires est le bien venu pour les familles aux
revenus les plus faibles. Les autres aménagent un espace « à soi » dans l’appartement parental
ou financent une chambre indépendante. Le coût des études supérieures est dans tous les cas
un problème que chacun tente de résoudre en cumulant ses ressources (ou en faisant appel à
une aide de l’entourage) et les dispositifs existants (bourses). Le choix d’études moins
coûteuses (Université plutôt que les Grandes écoles 3 ) s’avère général pour ces familles.
Lorsque les enfants grandissent, ces parents commencent aussi à repenser à leur vie
personnelle, qui se pose souvent en terme de temps pour soi et de « refaire sa vie ».

Une socialité adulte
La triple journée assumée par ces femmes et hommes ne leur laisse que peu de loisirs pour
penser à eux- mêmes. Toutefois, ces parents énoncent le besoin de sortir de la triade enfant-
boulot-dodo et d’une présence d’adultes.
Cette question se pose à différents niveaux, tout d’abord celle de revenir à une forme
classique, celle du couple. Mais les échecs ont laissé des traces et plusieurs – femmes et
hommes – préfèrent des relations peu engageantes « chacun chez soi », plutôt que la
construction d’une nouvelle famille. D’autant que cette remise en couple semble grandement
conditionnée par l’acceptation du nouveau compagnon par les enfants, jugés « prioritaires ».
Les avantages de la situation solo – qui sont aussi ressentis comme des inconvénients –
décider seul, ne pas avoir la charge d’un compagnon parfois peu aidant, freinent les tentatives
de remise en couple. Car il y a plusieurs facettes à l’état de solo : le fait de décider seul-e,
mais aussi l’absence de relais ; et les deux versants de la réalité vécue coexistent, ils n’entrent
pas en opposition, ils ne forment pas une contradiction qu’il faudrait subsumer. Les
interviewées ont aussi conscience des inégalités hommes/femmes – lorsque les femmes
atteignent 40-50 ans – pour retrouver une relation.
Les discussions entre adultes autour de l’éducation des enfants ou du temps partagé avec
d’autres adultes se posent aussi en terme de relations conviviales et sociales. Si certains se
sentent bien entourés, d’autres souffrent à certains moments, ou régulièrement, de solitude.

3
 Ce choix n’est pas que financier étant donné la difficulté d’accès aux grandes écoles, il convient de le
souligner. A ce niveau aussi des politiques publiques pourraient impulser des chantiers et des projets.
7

D’autant que s’ils sont dans un premier temps entourés par un réseau amical formé de
couples, ceux-i se font plus rares au fil du temps. Des lieux conviviaux « à bas seuils » où les
parents pourraient se rencontrer, sans être attendus sur la relation parent/enfant – comme elle
l’est dans les LAPE ou les maisons de la parentalité – apparaissent comme des opportunités
de sortir du face à face parent-enfant. Des configurations peu coûteuses, où les enfants
suivraient une activité pendant que les parents se détendraient aussi (café, sport, pique-nique,
repas) semblent des pistes pour alléger la vie solo et soutenir une vie sociale adulte à ces
parents, tout en garantissant l’épanouissement des enfants.


Des leviers de l’empowerment
L’ensemble des entretiens des femmes est jalonné par la honte, la culpabilité intégrée de ne
pas être une famille conjugale. Cette culpabilité s’exprime particulièrement à travers les
discours incorporés et formulés d’une psychologie-psychanalyse vulgarisée articulée autour
des dommages liés à l’absence de père pour le bon développement de l’enfant.
Cette forte imprégnation de la vulgate psychologique dans les discours de nos interviewés,
provient- il de leur niveau de qualification relativement élevé ? Il est en tout cas porteur d’un
norme intégrée de la famille conjugale patriarcale où le père joue le rôle d’autorité. Or, ces
femmes prouvent par leur trajectoire solo qu’elles font preuve no n seulement de ressources,
de compétences, mais aussi d’autorité.
En conséquence, l’enjeu primordial qui ressort de notre étude – sur lequel les pouvoirs publics
ont force d’incitation – est celui de prendre acte que la monoparentalité – être maman solo–
est aujourd’hui une situation banale. L’accroissement prévisible des situations de parent solo
– étant donné le nombre de divorces (46% en 2006), le nombre d’enfants nés hors mariage
(53% en 2004), la facilité des séparations (en particulier dans le cas des unions libres) – fait
que la monoparentalité peut toucher, à un moment de leur trajectoire de vie, tous les parents,
particulièrement les femmes – puisque 9 enfants sur 10 enfants de moins de 25 ans vivent
avec leur mère. Il est nécessaire que la société la considère comme un statut légitime. La
banalisation de la famille monoparentale, l’affirmation de sa « normalité » est un levier
essentiel pour se départir de l’imaginaire que seule la famille conjugale (papa, maman,
enfants) est facteur d’équilibre fa milial. Cette légitimation apportera à la fois une meilleure
qualité de vie affective de ces parents, mais surtout favorisera une conversion du regard des
personnels des institutions et détachera les familles monoparentales d’une politique publique
« catégorisante ».
Notre étude insiste ainsi sur la notion de co-production, au sens où les politiques publiques
produiraient avec et non pour ces parents. Car c’est que ce que redoutent ou, pour certains
rejettent, c’est d’être prises pour des êtres « à part », des « cas », des « victimes ». En ce sens
également, une co-production identique s’adressant à des parents solos de milieux beaucoup
plus défavorisées amoindrirait, de manière encore plus significative la stigmatisation, mais
surtout les réinscrirait également de manière légitime dans la cité.
Une politique qui partirait des interactions et les relations que ces « catégories » entretiennent
avec le reste de la société transformerait non seulement le regard que les acteurs sociaux dans
leur ensemble aurait sur ces « cibles », mais surtout mettraient au jour les compétences et les
ressources que ces groupes et ensembles mobilisent et qui peuvent informer sur la manière de
co-produire avec ceux-ci des agencements au plus près de leur vie. C’est à cette condition que
ces parents – particulièrement ces femmes solos de catégories sociales moyennes – mais aussi
les plus défavorisées – peuvent tout en étant soutenues, restés acteurs-trices de leur existence.
Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup



                         Devenir père et intervention sociale.
                          L’exemple du suivi médical de la grossesse

                                           Benoît CEROUX




Méthodologie

L’enquête portant sur « Les projets d’implication paternelle », réalisée en 2002 et 2003 avec Guido

De Ridder et Sylvie Bigot, se compose de deux vagues d’entretiens. Pour la première, nous avons

rencontré vingt pères en devenir au cours de la grossesse pour aborder la décision d’avoir un

enfant, la grossesse, leurs attentes et leurs craintes (projets d’implication et d’aménagements

domestiques et professionnels, relations conjugale et familiales, place de l’enfant…). Ces

entretiens s’inscrivent très variablement quant au terme, allant d’un mois de grossesse à quelques

semaines avant la naissance (six mois de grossesse en moyenne). Les entretiens de la seconde

vague ont eu lieu, en moyenne, à quatre mois et demi de la naissance de l’enfant. Il s’agit alors

d’actualiser les projets d’implication en prenant la mesure des concordances et des décalages entre

les aspirations et les pratiques avérées une fois confronté à la réalité du nourrisson, à la manière

dont réorganisation familiale et interactions avec la mère, compromis et compétences jouent sur

ces évolutions.


Le terrain a eu lieu dans deux régions morphologiquement contrastées, la Basse-Normandie et

l’Île-de-France. La première est constituée de petites villes et villages, les équipements d’accueil de

la petite enfance sont peu nombreux, les trajets domicile-lieu de travail (souvent courts) amputent

peu les rythmes familiaux. La seconde région est, pour ainsi dire, l’opposée : l’espace est presque

partout urbanisé, le taux d’équipement de la petite enfance y est nettement plus fort, le temps

quotidien consacré aux déplacements domicile-travail important.

                                                                                                     1
Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup




Les primo-pères sont deux fois plus nombreux que les pluri-pères (respectivement quatorze et

sept). Que leur situation soit connue par le bouche à oreille ou qu’ils se soient manifestés d’eux-

mêmes, les hommes attendant un premier enfant semblent les plus motivés pour en parler. Nous

avons par ailleurs veillé à la diversité des situations socioprofessionnelles et économiques, ainsi

qu’à celles des situations matrimoniales.




Faire de l’enfant son enfant

Quelle que soit la proximité du terme de la grossesse et quelle que soit la force et l’ancienneté du

désir d’enfant, les « pères en devenir » ont du mal à concevoir concrètement l’enfant, à passer de

l’idée de l’enfant à l’enfant lui-même, à se sentir dès à présent père. En somme, l’enfant appartient

au futur, non encore au présent. C’est également vrai pour les hommes ayant déjà un enfant. S’ils

se sentent bel et bien père de cet enfant, ils ne sont pas dans les mêmes dispositions à l’égard de

l’enfant à naître. En somme, ils sont à la fois pères (de l’aîné) et pères en devenir (du puîné). On

peut dire que la paternité se construit dans la relation à un enfant en particulier et non à l’enfant en

général.


La grossesse apparaît alors comme un moment clef de la construction de l’identité paternelle. La

mise à distance contemporaine des identités statutaires dans la définition de soi intervient sans

doute dans ce constat. Différentes pratiques d’implication émaillent cette période, et leurs

conséquences ont été envisagées comme autant d’éléments matérialisant l’enfant et modifiant

l’identité de l’homme. Ils savent qu’ils vont avoir un enfant, mais il ne s’agit pas encore de leur

enfant.

Les pères en devenir évoquent les préparatifs matériels, les transformations du corps de la femme

et le suivi médical de la grossesse, sans qu’aucune de ces « étapes » ne soit suffisante. Après la

naissance, on perçoit la fin du processus de matérialisation à travers le discours sur


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Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup


l’accouchement, les premiers jours (avec l’annonce faite aux proches et les déclarations

administratives) et le congé de paternité.


Les motivations évoquées par les pères en devenir pour leur présence (ou non) lors des rendez-

vous médicaux et de l’accouchement, ou dans la prise du congé de paternité (ainsi que dans la

durée de ce congé) permettent de reconstruire des rapports à l’enfant et à la paternité différents.

On pourrait les schématiser en deux pôles, avec d’un côté une relation directe à l’enfant et de

l’autre une relation médiatisée par la mère.

Dans le cadre de cette intervention, j’aborderai le suivi médical de la grossesse et l’accouchement

sous l’angle d’une forme d’intervention sociale, celle du personnel médical. En se détournant de

l’objet de recherche initial, cette présentation empêche les citations filées – l’attitude des

intervenants médicaux n’étant pas liées à la conception que les pères en devenir se font de leur

place auprès de l’enfant.




Échographie

La présence paternelle aux échographies est moins perçue par les pères en devenir comme

imposé par la mère ou, plus largement, comme une injonction sociale, mais plutôt comme

l’expression de leur volonté d’accompagner leur conjointe et de lui montrer qu’ils sont prêts à

s’investir dans leur rôle de père. Leur présence à ces rendez-vous médicaux anténataux constitue

par ailleurs un élément important de la matérialisation de l’enfant et une manière de participer

activement à la grossesse afin de rompre le sentiment d’inutilité qui les taraude.

Certains pères expriment tout à la fois leur envie d’être actif et l’impossibilité de le faire. C’est le

cas par exemple de David (primo-père), qui regrette l’absence de sollicitation de la part du

médecin : « Bon c’est vrai que moi j’étais présent à chaque fois, et j’étais un peu déçu du fait qu’il me, c’est pas

qu’il me parle pas mais qu’il ne me fasse pas plus participer, et puis bon c’est difficile de lui dire. Mais dès le



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Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup


départ je pense qu’il aurait pu m’impliquer un peu plus, ne serait-ce que, je sais pas, demander mon groupe

sanguin ou… Je veux dire tout ce qu’il a demandé c’était à Laurence, à la mère. À la limite le père on s’en fout.

Donc ça je trouve ça un peu dommage, d’autant plus que j’étais là. »

D’autres pères hésitent moins à prendre les devants, comme Loïc (pluri-père) dont les propos

sont à cet égard exemplaires : « J’ai assisté à tout, je crois que j’ai raté un seul rendez-vous gynéco. J’ai assisté

à toutes les échographies, j’ai énormément discuté avec le gynécologue parce que comme j’ai pas ma langue dans ma

poche je participais à chaque fois. … Là aussi au point que ça énerve quelques fois mon épouse parce que le gynéco

à un moment il parlait plus à moi qu’à elle, ce qui est assez insupportable. » Si ce père devient acteur et ne

reste pas simple spectateur ce n’est pas sur une sollicitation par le médecin, mais celui-ci répond

positivement, par le dialogue, à l’intérêt exprimé par le père.




Préparation à l’accouchement

Les séances de préparation à l’accouchement rencontrent un enthousiasme contenu chez les

pères en devenir rencontrés, même lorsqu’ils souhaitaient être présents à la naissance de leur

enfant. Les pères souhaitant y assister à invoquent l’envie de savoir comment cela se passera le

jour J, de connaître le vocabulaire, de repérer les locaux, d’apprendre les bons réflexes… c’est-à-

dire qu’ils se placent dans une logique d’accompagnement de la mère.

Si certains pères ne souhaitent pas aller à ces séances ou renoncent à le faire, c’est qu’elles

s’adressent davantage à la mère – ce qui leur renvoie le sentiment d’inutilité qu’ils essaient

d’apprivoiser par le suivi médical. Ne se sentant pas directement concernés par ces séances, voire

mis à l’écart, et ils ne font pas d’efforts pour régler des problèmes d’organisation, alors qu’ils

savent le faire pour assister aux échographies. Julien (primo-père), par exemple, explique

pourquoi il n’a pas renouvelé l’expérience après une séance : « J’ai eu l’impression que ça s’adressait

qu’à la maman ou quasiment uniquement à la maman, c’est vrai que je suis resté une heure et demi passif à rien




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Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup


dire et à juste écouter. Bon, je me suis dis ma présence n’est peut-être pas requise pendant ce moment là, donc j’ai

préféré ne pas y retourner. »

Des séances réservées aux pères en devenir auraient sans aucun doute plus de succès, et certains

pédiatres en proposent. Au-delà du public visé (père versus mère), c’est la nature même de ce qui

est abordé qui diffère. Les cours de préparation « classiques » visent surtout le déroulement de

l’accouchement – avec la respiration comme cours emblématique. Les cours pour hommes

s’apparentent plus au groupe de parole tel qu’il peut exister ailleurs. L’opposition entre les deux

types de séances est plutôt celle entre l’action des cours pour les femmes et la paroles des cours

pour les hommes. Voilà qui est finalement paradoxal puisque les hommes réduisent leur

sentiment d’inutilité et d’inactivité par… de la parole. En fait, en partageant leurs interrogations et

leurs angoisses avec d’autres pères en devenir, ils se sentent davantage à leur place.




Accouchement

L’implication des pères lors de l’accouchement dépend en partie de la motivation de leur

présence (pour soutenir la mère ou pour être présent dès la naissance) [de même que la

scénographie], mais son action est aussi en partie liée à l’attitude du personnel médical. Certaines

équipes incitent le père à participer dès le début du travail, comme par exemple pour Rodolphe

(primo-père) : « J’ai même participé à l’exploration avec la sage-femme. Elles mettent les doigts et puis elle me

proposait de faire pareil donc je pouvais sentir la tête à travers le col, toucher la tête du bébé dans le ventre de sa

mère. Des choses comme ça. C’était génial ». Cela peut être au moment de l’expulsion, à laquelle Laurent

(primo-père) a pris part : « J’ai même sorti le bébé du ventre, c’est-à-dire qu’en fait ils l’ont… Au moment où

il est sorti, ils m’ont dit “vous voulez le sortir complètement ?” Donc je l’ai sorti ». Puis il faut couper le

cordon ombilical et donner les premiers soins. Ce moment vécu à la naissance de son premier

enfant est resté gravé dans la mémoire de Frédéric, et son émotion est encore palpable lorsqu’il

en parle sept ans après : « C’est moi qui ait coupé le cordon et donné les premiers soins. Vous avez un moment


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Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup


un peu privilégié où c’est vrai que quand le bébé naît, la maman peut plus se lever, et c’est vous qui allez au bain,

êtes derrière la puéricultrice. (…) C’est vrai que c’est des moments que vous vous rappelez toujours. Je sais pas,

c’est des moments… En plus je sais pas c’est quelque chose qui vous appartient, que vous pouvez pas donner, que

vous pouvez pas partager, c’est à vous finalement, vous le gardez pour vous c’est… La maman elle a le bébé

pendant neuf mois pour elle, finalement vous l’avez quoi, peut-être cinq minutes, mais bon c’est cinq minutes que

vous gardez. Oui, c’est magique, vous êtes content, vous voyez votre bébé. Oui, c’est… c’est vos moments à vous

quoi, c’est des trucs que j’oublierai jamais. » Une attitude inverse du personnel médical apparaît dans les

propos d’Éric (primo-père) : « Ils ne m’ont pas proposé, ils ne m’ont pas posé de question. Ils l’ont pris, clac,

ils l’ont mis derrière. Après, ils ont faits les soins. Bon, moi j’y suis allé après. »

Même en cas de complication, obligeant le père à sortir de la salle d’accouchement, le mode

d’intervention du personnel médical contribue à placer le père en acteur ou en spectateur, dans

une posture proche ou distante. C’est ce qu’illustre David (primo-père) dont la conjointe a

accouché par césarienne. La sage-femme lui a présenté son enfant tout habillé en lui proposant de

le réchauffer peau contre peau : « En fait je suis resté dans le fauteuil dans la chambre avec mon bébé sur

moi, avec une couverture, et c’était jusqu’à temps que Laurence revienne, donc jusqu’à dix heures. Donc ça a fait

une bonne heure et demie avec lui, et c’était marrant parce que il essayait de me téter. C’était un moment super. »

Si la sage-femme avait opté pour la couveuse, il n’aurait pas vécu ce moment d’intimité.




Conclusion

Le sentiment d’être père se construit par touches successives qui viennent, tout au long de la

grossesse, tant bien que mal, résorber, amenuiser, l’importante difficulté des pères en devenir à

matérialiser leur enfant, à l’imaginer concrètement. Échographies, monitoring, ventre

s’arrondissant, coups du bébé, achats sont autant d’étapes qui rapprochent l’homme du père. Si

l’accouchement entame la fin du processus de matérialisation, celui-ci ne s’achève véritablement,

pour beaucoup, qu’à l’inscription physique du nourrisson dans son nouvel environnement.


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Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup




L’organisation formelle des rendez-vous médicaux pourrait s’apparenter à des mini-rites de

transition, accompagnant le passage du père en devenir au père. Ils conforteraient alors la

dimension statutaire de l’identité. C’est pourtant l’aspect sensoriel et émotif des rendez-vous que

retiennent les enquêtés. Les récits soulignent à quel point l’attitude du personnel médical est

importante pour faciliter ou ralentir l’établissement de contacts forts et sensoriels entre le père et

l’enfant. Ceci est tout particulièrement marquant lors de l’accouchement. En effet, tous les actes

auxquels les pères en devenir participent se font sur la proposition de l’équipe médicale. Intimidés

par la scène – c’est aussi une salle d’opération – ils ne prennent pas les devants en demandant aux

sages-femmes de faire telle ou telle chose. Leurs récits font autant ressortir le plaisir d’avoir pu

agir que celui de l’attention qu’on leur portait.




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Impensé du genre nov2010

  • 1. Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre Journée d’étude du 9 novembre 2010 Organisée par la MiRe (Mission Recherche) de la DREES (Direction de la Recherche, de l’Evaluation, des Etudes et des Statistiques du Ministère de la Santé et des Sports), en collaboration avec l’ETSUP (Ecole Supérieure de Travail Social) Communications de la 4e table-ronde Pères et mères, partager les responsabilités ? - La construction sexuée des risques familiaux. La production du genre dans les dispositifs d’intervention sociale en direction des familles. Coline CARDI - Isolement ou empowerment ? Le cas des parents solo avec enfants ne bénéficiant pas des minima sociaux. Liane MOZERE - Devenir père et intervention sociale : l’exemple du suivi médical de la grossesse. Benoît CEROUX
  • 2. Journée d’études Mire Ŕ DREES Ŕ ETSUP :"Parcours de vie et intervention sociale : l'impensé du genre". La construction sexuée des risques familiaux. La production du genre dans les dispositifs d’intervention sociale en direction des familles Coline CARDI, maîtresse de conférences, Université Paris 8, CRESPPA-CSU. Depuis quelques années, des recherches ont permis de mettre en évidence la dimension genrée du système de protection sociale : derrière un objectif affiché de neutralité, l’Etat social français, fondé sur le modèle de « Monsieur Gagne-pain », repose en fait sur une conception familialiste et andro-centré, qui tend à reproduire une conception traditionnelle des rôles de sexe. On peut alors se demander ce qu’il en est sur le terrain des interventions sociales, notamment quand elles visent les familles. A ce propos, les recherches sur le travail social, qui ont pourtant largement nourri la sociologie critique, ont rarement articulé les catégories de sexe et de genre à celle de classe, qui prévaut le plus souvent dans ces études. Si l’on se place du côté des professionnel-le-s, la sexuation des interventions sociales s’impose pourtant comme une évidence statistique, tant le secteur est féminisé, comme elle s’impose du côté des publics ou des “usagers” du travail social : le plus souvent de façon implicite et derrière un vocabulaire de plus en plus neutre, la découpe et la définition des problèmes sociaux institutionnalisent des catégories sexuées de problèmes ou de risques et, au-delà, d’intervention (Bessin et al., 2009). Sur le terrain de la politique familiale et de l’intervention sociale en direction des familles, les faits établissent une certaine clarté dans cet enjeu. Si la définition et la « gestion des risques sociaux », est marquée par une différence de classe, elle est aussi marquée par une différence de sexe, comme on le verra à partir d'enquêtes réalisées dans des dispositifs anciens et nouveaux de l'action sociale en direction des familles, qui agissent dans une visée de protection de l’enfance et/ou d’aide à la parentalité : la justice des mineurs (à partir de l’analyse de dossiers ayant fait l’objet d’une mesure de placement), un centre maternel et une association de thérapie familiale (appréhendés par entretiens, analyses documentaires et par observations directes). Dans ces trois institutions, le vocable de « famille », et plus encore aujourd’hui celui de 1
  • 3. « parentalité », tend à masquer et à neutraliser non seulement les rôles effectivement dévolus aux hommes et aux femmes, mais aussi la façon dont les interventions sociales visent très différemment pères et mères, contribuant ainsi à (re)produire de la différence de sexe. D'une part, les mères, surreprésentées d'un point de vue statistique, se présentent comme la cible et le levier des interventions, qu'il s'agisse de repérer, de prévenir ou de sanctionner des situations familiales jugées dangereuses ou à risque - situations dont les mères sont bien souvent rendues responsables. D'autre part, l'analyse des discours et des pratiques fait apparaître combien, sous une forme renouvelée et parfois contradictoire, l'ordre familial et, au-delà, l’ordre social, reste aujourd'hui pensé en lien avec l' « ordre des genres » (Clair, 2008). In fine, c’est le caractère genré de la régulation (Cardi, 2008, 2007) qu’on voit à l’œuvre dans ces liens étroits qui unissent encore aujourd’hui la question sociale à la question familiale. 1. La mère : figure disciplinaire et figure à discipliner Dans les trois dispositifs étudiés, la sexuation des publics : les mères sont nettement surreprésentées. Si cette surreprésentation s’explique, dans certains cars, par l’absence réelle des pères, elle révèle également la place qui est faite aux femmes dans les dispositifs d’encadrement des familles. Les mères se présentent en effet sous un jour paradoxal : d’un côté elles sont repérées comme les interlocutrices principales des services sociaux Ŕ véritables partenaires dans l’entreprise éducative, ce sont elles qui sont au contact des institutions ; de l’autre, les pratiques et les discours conduisent à les désigner comme les principales responsables des désordres familiaux. Cible et levier de l’intervention, la mère est ainsi tour à tour désignée comme une figure disciplinaire (on lui demande de faire les mœurs) et une figure à discipliner (en vue de prévenir les risques ou de traiter une situation jugée pathogène). Les interlocutrices principales Dans la justice des mineurs, le sexe des publics ne se donne pas à voir d’emblée tant l’origine sociale semble déterminante : on note une surreprésentation des familles précarisées. Le sexe des 2
  • 4. justiciables apparaît lorsqu’on s’intéresse aux caractéristiques familiales des familles : les placements répertoriées s’effectuent en effet dans plus de la moitié des situations dans des familles monoparentales (féminines). Cette disproportion statistique, qui désigne les foyers monoparentaux des milieux populaires comme une population à risque en matière d’éducation, est redoublée par la dissymétrie qui traverse les rapports d’assistance éducative. Certes, il est quelque fois fait mention des pères dans les rapports, mais l’essentiel des propos concerne en fait les mères. Ainsi, dans le cas où le père est connu, voire présent au domicile, le nombre de pages réservé à la mère est beaucoup plus important que celui consacré aux pères, qu'il s'agisse d'expertises ou de rapports transmis au juge. C'est aussi sur les mères qu'on s'appuie pour obtenir des renseignements sur la biographie de l'enfant ; une large place est alors faite à leurs propos, rapportés au discours indirect. Cette dissymétrie fait des mères le levier de l'intervention. Interlocutrices principales, tant des dispositifs de protection de l'enfance, que des institutions en lien plus ou moins direct avec la justice, c'est sur elles que repose la normalisation des conduites. En centre maternel, le public est spécifiquement féminin : dans une logique de protection, le foyer accueille des mères jeunes, en situation de monoparentalité et de précarité, signalées ou orientées par des assistantes sociales de secteur ou par la justice des mineurs. Ici, la place faite aux pères reste aussi très marginale Ŕ même si le projet de service mentionne en creux leur fonction. Cela tient à leur absence réelle, mais aussi à la « matrifocalité » sur laquelle repose ce dispositif. Pour exemple, les fiches de renseignement remplies au moment du premier entretien réalisé avant admission n’ont longtemps pas comporté de case pour indiquer le nom du père de l’enfant. Il aura fallu une mobilisation interne des éducatrices de la structure pour que cette catégorie informative finisse par apparaître, non pas formellement, mais ajoutée au stylo par certain-e-s des travailleurs sociaux. Dans ce contexte, les mères apparaissent de fait comme les cibles principales de l’intervention éducative et le sort des enfants leur est toujours associé. C'est en les prenant en charge, en menant avec elles un travail d'ordre éducatif et psychologique qu'on entend œuvrer pour le bien-être de l'enfant et prévenir les désordres familiaux, et au-delà les désordres sociaux. Dans les nouveaux dispositifs d’ « aide à la parentalité », enfin, la mixité du public reçu est 3
  • 5. constamment mise en avant. Dans l’association de thérapie familiale par exemple, pour se démarquer de l’intervention sociale « classique », on insiste sur la nécessité d’associer les pères aux interventions. « A la base on est parti du constat du discrédit de la fonction paternelle » explique la présidente. « Redonner sa place au pères », l’argument est avancé pour les demandes de financements. Mais la réalité est tout autre : parmi les personnes suivies, on note là encore une prédominance des foyers monoparentaux. Les séances de thérapie familiales s’adressent dans plus de la moitié des situations, à des mères élevant seule leur(s) enfant(s). Et la disproportion est encore plus frappante si l’on considère les groupes de parole animés par les thérapeutes. En outre, les mères (et parfois les grands-mères) apparaissent là aussi comme les interlocutrices principales : ce sont elles qui appellent pour prendre rendez-vous, qui écrivent, et qui font un travail préalable pour convaincre le reste de la famille d’entamer (ou de poursuivre) une thérapie. La sexuation du lien cause-responsabilité : le procès des mères L’omniprésence des mères se traduit par une mise en procès : interlocutrices principales, ce sont aussi elles qui sont désignées comme les principales responsables de la situation de (risque de) danger. On l’observe notamment là où la comparaison entre les sexes est possible : dans la justice des mineurs comme en association de thérapie familiale, le comportement des mères est présenté comme la cause principale ou originelle de situations jugées problématiques. A ce propos, se dégagent deux types de situation. La première conduit à désigner directement la mère comme responsable des désordres familiaux : c’est son comportement qui est jugé déviant. Dans le domaine judiciaire, la mise en accusation apparaît d’autant plus forte que l’archive et les documents qui la composent sont le résultat d’une sélection de faits qui vise à convaincre le juge, d’où le caractère caricatural du discours. Quand la mère est visée, chaque élément devient symbole à charge. L’élément prédisposant est d’ailleurs souvent celui d’avoir eu soi-même une « mauvaise mère ». La déviance désigne un héritage féminin, notamment dans les écrits des psychiatres et psychologues, qu’il s’agisse des défaillances paternelles ou maternelles et c’est alors à la grand-mère paternelle et/ou maternelle qu’il faut remonter. Dans la seconde situation, la déviance maternelle est pointée en creux, et souvent sous le mode du 4
  • 6. soupçon, notamment en cas d’infractions commises par son enfant, voire par son (ex)conjoint. Dans ces situations, la définition du « danger » ne vise pas explicitement la mère : c’est l’infraction, les violences paternelles ou les troubles du comportement du mineur qui alertent et peuvent légitimer l’intervention éducative, thérapeutique, voire le placement. Mais une analyse plus poussée laisse entrevoir que derrière l’incrimination des fils ou des pères, on trouve souvent celle de la mère. Prenons l’exemple de la famille Vasseur, suivie régulièrement en association de thérapie familiale et adressée à la structure par une assistante sociale scolaire suite au renvoi de Daniel, 13 ans. En réunion de supervision, les thérapeutes expriment leur désarroi devant cet adolescent quasi-mutique et qui répète en séance vouloir devenir Bill Gates. On peut voir dans ce désir une façon de désigner ses origines populaires et son désir d’ascension sociale, mais le superviseur préfère quant à lui interroger les rapports conjugaux des parents. On apprend notamment qu’ils se disputent régulièrement en séance et que Daniel s’amuse souvent à prendre parti pour sa mère. Les thérapeutes rappellent également que Mme Vasseur a un premier fils plus âgé, fruit d’une première union. Cette rapide présentation donne lieu à l’interprétation suivante livrée par le superviseur : « Il faut prendre cette référence à Bill Gates au sérieux. C’est une provocation. Daniel interroge ici la fonction paternelle. Or, la place de l’homme dans ce système est délicate. Le père a du mal à prendre sa place. Il faut, pour cela, qu’il devienne le chef de famille, l’homme de la famille. Mais Madame ne le lui permet pas, elle ne l’intègre pas. Elle met l’enfant au centre des disputes et, par là même, elle disqualifie le père ». C’est donc à la mère de faire le père, qui, lui-même doit, dans une perspective psychologique, permettre de rompre avec l’aliénation maternelle en imposant l’autorité, la Loi. Malgré un modèle d’explication qui se veut circulaire parce que systémique, les mères sont ainsi mises en procès, rendues coupables dans tous les cas. En cas de violences physiques et/ou sexuelles du père, il arrive aussi qu’on reproche aux mères leur incapacité à protéger leur(s) enfant(s). La responsabilisation ou la mise en accusation se fait alors le plus souvent au détour d’une phrase, sous le mode du soupçon. On pointe leur participation passive, on suppose qu’elles ont pu provoquer la violence. Au sein de l’assistance éducative, la déviance se décline donc au 5
  • 7. féminin et le lien cause-responsabilité apparaît très fortement sexué. En un mot, la mère, telle qu’elle est présentée joue le rôle d’« acteur social négatif ». Cause vivante de la déviance, elle est elle-même déviante. En creux se dessine la figure de la « mauvaise » mère, qu’il s’agit à présent d’analyser. 2. La figure de la mauvaise mère Quelles sont les normes et les catégories qui contribuent à construire la déviance maternelle ? A ce propos, le médical est entrelacé au psychologique pour reproduire une conception relativement traditionnelle des rôles et identités de genre. On voit ainsi renouvelées, via des injonctions nouvelles et contradictoires, les formes anciennes du familialisme (Lenoir, 2003), qui associe ordre familial, ordre social et ordre des genres. Le poids des catégories psychiatriques : mère ou folle Ce sont d’abord les catégories médicales qui contribuent à définir la déviance maternelle, et plus particulièrement les catégories psychiatriques. Très usitées dans la justice des mineurs, elles le sont beaucoup moins dans les deux autres dispositif, comme si la prise en charge et la désignation par le secteur psychiatrique jouait un puissant rôle de filtre, dissociant maternité et troubles psychiques. Les mères déclarées atteintes de troubles psychiatriques ou dépressives sont en effet nombreuses dans les dossiers de mineurs placés : il s’agit de la deuxième cause explicite de placement. A propos des placements en urgence, les professionnels de l’enfance en danger mettent d’ailleurs systématiquement le doigt sur les problèmes psychiatriques des mères. A titre d’exemple, dans une enquête informelle menée par un service d’Action Educative en Milieu Ouvert on soulignait la centralité de cette question dans les procédures d’urgence : « pour 8 mineurs en AEMO, les placements ont été réalisés dans l’urgence. Toutes ces situations concernent des enfants dont la mère présente une pathologie mentale grave et avérée ». C’est aussi ce que percevait l’une des femmes rencontrées et prises en charge en centre maternel. Lors de son séjour en hôpital psychiatrique, elle a 6
  • 8. remarqué le « défilé des Kangoo » (les voitures de fonction réservées aux travailleurs sociaux du département) et en a conclu justement qu’il s’agissait d’éducateurs accompagnant des enfants voir leur mère. Elle évoquait les nombreux cas de femmes internées aux enfants placés. Ce recours relativement systématique au placement de l’enfant en cas de troubles psychiatriques avérés de la mère conduit donc à une sélection en amont : femmes hospitalisées et enfants placés ou mères accueillies en institution. On comprend alors qu’en centre maternel, rares sont les femmes présentant des troubles psychiatriques. Lors de l’enquête, une seule au passé psychiatrique lourd mais aux caractéristiques sociales particulières était accueillie. Déclarée anorexique, cette femme de 32 ans et mère d’une petite fille de 2 ans bénéficie, dans le cadre d’un contrat administratif, d’un hébergement en foyer, en parallèle d’un suivi psychiatrique avec des hospitalisations régulières. A son propos, les travailleurs sociaux répètent qu’elle « déborde du cadre », l’expression renvoyant à la fois à la maladie mentale de cette femme, mais aussi à ses origines sociales, qui en font une figure atypique comparée à la clientèle habituelle du centre. Car la psychiatrisation de la déviance féminine semble avoir des effets socialement différenciés. Si les mères prises en charge sont le plus souvent issues des milieux populaires, sans diplôme et sans qualifications, celle-ci est issue de la classe supérieure (père directeur général d’une grande entreprise, mère secrétaire de direction) et est licenciée en psychologie Ŕ ce qui réduit, voire inverse, l’écart habituel entre travailleurs sociaux et usagers. De ce fait, cette femme a pu, selon ses dires, obtenir que sa fille ne soit pas placée, et même éviter l’intervention d’un juge, comme si l’origine sociale élevée et son capital scolaire l’avaient mise à l’abri de l’intervention de la justice, tout en jetant le trouble dans l’esprit des éducateurs/trices. Les usages de la psychologie : une responsabilité différentielle selon le sexe Les discours empruntent aussi très largement aux catégories psychologiques : elles imprègnent les discours, tant des professionnels du psychisme, que des travailleurs sociaux. A ce propos, il faut noter un écart important entre les évolutions actuelles des savoirs psychologiques et psychanalytiques et l’usage qui est fait de ces catégories dans les interventions sociales. En effet, si on note aujourd’hui 7
  • 9. une évolution des savoirs sur la petite enfance et sur les rôles attribués aux pères et aux mères (Neyrand, 2000), si même se développe une archéologie du savoir psychanalytique qui réinterroge la différence des sexes et les identités de genre (Tord, 1995, Schneider, 2006), sur le terrain de l’intervention sociale en direction des familles, on constate le caractère relativement monolithique et traditionnel du discours et de l’usage des catégories psychologiques. Et ceci s’observe aussi bien dans les nouveaux dispositifs d’aide à la parentalité comme cette association de thérapie familiale : si on affiche le souci d’accompagner les transformations de la famille en soutenant les « compétences parentales », les thérapeutes ont du mal à réinterroger leurs savoirs à propos des rôles maternels et paternels. Certes, on demande aux pères de s’impliquer dans la vie de leur enfant, mais pour autant la fonction paternelle ne se confond aucunement avec la fonction maternelle et la construction du danger reste très marquée par une conception traditionnelle du masculin et du féminin, qui se traduit par une forme de responsabilisation sexuellement différentielle. Au regard des besoins psychologiques de l’enfant, ce qui est le plus souvent reproché aux mères, c’est d’abord leur négligence, qui jette un trouble dans le genre : elles paraissent incapables de répondre aux besoins de leurs enfants. Or, les « besoins » de l’enfant, quand c’est à la mère d’y répondre, se limitent aux soins. L’accent est mis de façon systématique sur l’hygiène, l’alimentation et les soins corporels. Ce manque de maternage peut même venir expliquer les illégalismes des mineurs, comme c’est le cas dans le dossier de François, mineur de 15 ans, auteur d’infractions et objet d’une ordonnance de placement provisoire, en raison de « troubles du comportement » et d’une « scolarité perturbée ». Pour expliquer cette situation jugée « inextricable », le psychologue en charge de l’expertise psychologique du jeune pointe directement les défaillances maternelles dans les soins apportés au mineur quand il était bébé, selon lui à l’origine des troubles du comportement constatés à l’adolescence. L’exemple, caricatural, résume assez bien la façon dont l’incompétence maternante des mères à l’égard de leur enfant sert l’interprétation psychologique des désordres familiaux, ici des troubles du comportement du mineur. Le discours sur les pères est tout autre : quand ils sont appelés à 8
  • 10. comparaître (en dehors des cas d’atteintes sexuelles sur mineur-e-s), c’est pour mettre en avant leur défaillance dans l’éducation morale et sociale des enfants, dont ils auraient la responsabilité. L’interprétation psychologique conduit également à faire surgir le pendant de la « mère indifférente », celle de la « mère fusionnelle », tout aussi récurrente. Dans ce cas, un des objectifs affichés du placement, du travail éducatif ou thérapeutique est de rompre un lien jugé pathogène, du fait d’une trop grande proximité. Derrière ce motif, il s’agit en fait de recréer des effets de triangulation ou encore un Œdipe inachevé ou rendu impossible par ces mères jugées toutes puissantes. C’est aussi en empruntant à ce registre que la monoparentalité, quand elle est associée à une certaine précarité, reste encore largement stigmatisée. La référence à l’institution famille n’est pas explicite : c’est à travers la psychologie qu’elle est en fait renouvelée. La « mauvaise mère » n’est pas directement celle qui est en situation de monoparentalité, mais c’est celle qui ne laisse pas de place aux hommes et vit une relation jugée fusionnelle avec son enfant. Dès lors, on observe un processus de mise entre parenthèses des conditions sociales d’existence de ces femmes et du contexte dans lequel elles exercent leur rôle parental et on individualise le risque familial. Autonomie et injonctions contradictoires Si, comme on l’a vu, les mères de milieux populaires constituent un risque pour l’ordre familial, et au-delà pour l’ordre social, il convient alors de les discipliner. Sur ce point, les injonctions sont toujours contradictoires. Le référentiel d’ « institution » entre en effet en tension et en contradiction avec celui d’autonomie qui sous-tend également aujourd’hui l’action sociale en direction des familles et des enfants. « On est là pour leur permettre d’accéder à l’autonomie » ; « On est loin des discours normatifs, notre objectif, c’est de soutenir les compétences parentales ». Ces deux assertions, l’une d’une éducatrice spécialisée en centre maternel, l’autre d’un thérapeute familiale, résument assez bien les transformations qui affectent les politiques familiales et la façon dont le référentiel d’émancipation traverse les formes anciennes et renouvelées de l’action sociale en direction des familles : une place importance est donnée à l’autonomie des individus, qu’elle soit postulée ou visée. L’histoire et le 9
  • 11. fonctionnement actuel des différents dispositifs étudiés le démontrent nettement. Les évolutions quant aux prérogatives des centres maternels (Donati, Mollo, Calvez, 1999) sont par exemple significatives : l’autonomie professionnelle et psychique des femmes est aujourd’hui mise en avant comme un objectif, là où la protection des « filles mères » était pensée dans un souci populationniste, qui faisait coïncider ordre familial (et sexué) et ordre social. Sur un mode quelque peu différent, l’association de thérapie familiale s’inscrit également dans cette logique d’autonomisation : on note un souci affiché de proposer des formes renouvelées de la régulation sociale, au plus près des populations. Alliant registre sociologique et psychologique, l’accent est mis sur la « co-construction »: le travail avec les « familles en souffrance » viserait, en dehors de tout schème normatif, à soutenir les « compétences parentales ». Il s’agit de rejeter un schéma assistanciel pour lui préférer un modèle de l’ « activation douce » (Astier, 2007), visant moins à soigner qu’à révéler le potentiel parental des individus, pensés comme des acteurs capables de compter sur leurs propres ressources, notamment biographiques et familiales. Dans les pratiques, ce registre de l’autonomie prend là encore une dimension sexuée, qui oblige à en mesurer les limites et les contradictions. Si l’autonomie des femmes est visée, cette autonomie est toujours pensée et mesurée à l’aune de l’autonomie des enfants. En centre maternel comme en thérapie familiale, si l’on demande aux mères de faire preuve d’autonomie, c’est avant tout parce que cette autonomie est pensée en lien avec le bien être psychologique de l’enfant : il s’agit de se dégager d’une relation jugée fusionnelle et dangereuse pour le mineur. Car, aujourd’hui, la bonne mère est également celle qui trouve la « bonne distance », à qui l’on demande d’accéder à une certaine « autonomie psychique », d’élaborer une « position de femme ». Mais cette autonomie non seulement est pensée en vue de celle des enfants, mais elle est aussi limitée par celle des enfants. Dans cette perspective, les injonctions apparaissent contradictoires et renouvellent une conception traditionnelle des rapports sociaux de sexe. En association de thérapie familiale comme dans la justice des mineurs, le surinvestissement professionnel des femmes est toujours suspecté, interprété comme le signe d’un désengagement maternel (et parfois conjugal). En centre maternel, la question de l’insertion 10
  • 12. professionnelle des mères est, dans les faits, plus que secondaire. Avant d’accéder à l’autonomie, les femmes doivent donner la preuve de leurs compétences maternelles et domestiques. L’attention est ainsi bien davantage portée sur l’apprentissage du maternage et de la tenue d’un foyer et le travail éducatif ou « pédagogique » consiste en l’apprentissage du ménage, et de la gestion du budget. Ainsi, si l’investissement massif des femmes sur le marché de l’emploi a participé à dévaloriser l’image de la « bonne ménagère » (le travail étant aujourd’hui perçu comme un élément de réalisation pour les femmes (Tahon, 1995)), c’est pourtant bien à cette figure que sont assignées les femmes pauvres. Conclusion ` Les transformations en matière de comportements familiaux et les évolutions conjointes du droit social et du droit civil en matière familiale sont analysées par certains comme les signes d’une « privatisation de la vie familiale » : la « postmodernité », serait marquée par une autonomisation des individus par rapport aux rôles familiaux traditionnels et, dans le même temps, l’intervention étatique dans la sphère privée et familiale serait remise en cause. Les changements intervenus ces dernières années dans le domaine de l’action sociale en direction des familles semblent aller dans ce sens. L’usage de plus en plus récurrent du terme de « parentalité », et les nouveaux dispositifs qui y sont associés, témoignent de cette nouvelle approche de la famille : on insiste sur la nécessité de se départir d’une vision traditionnelle pour offrir un « accompagnement » non contraint et respectueux des choix individuels en matière conjugale et sexuelle. L’adéquation entre ordre social et ordre familial serait alors dépassée, et on serait entré dans un nouvel âge de la prise en charge des familles, où hommes et femmes choisiraient librement les modalités du vivre ensemble. Mais le détour par le terrain de l’intervention sociale amène à mesurer les contradictions ou « tensions normatives » (de Singly, 2003) qui accompagnent ce processus d’individualisation. Dans ces espaces, le référentiel d’autonomie entre en tension avec d’autres (Commaille, Strobel, Villac, 11
  • 13. 2007), celui d' « institution » mais aussi celui de « gestion des risques sociaux », aujourd’hui souvent perçus comme des « risques familiaux » et l’on voit poindre l’ « éventualité d’une politique duale où l’autonomisation des uns s’accompagnerait d’un retour à un "gouvernement des populations" pour les autres » (Commaille, 2006). Or cette définition des risques familiaux, si elle est marquée par une différence de classe, est aussi marquée par une différence de sexe : on voit nettement comment les mères précarisées sont à la fois les partenaires et les cibles dans l’entreprise de responsabilisation des familles et de prévention des situations de danger pour les enfants. En ce sens, les interventions actuelles semblent répéter celles d’hier. Les terrains étudiés ont cependant permis de faire jouer la variable du genre dans des espaces institutionnels où se produisent et se répercutent de nouvelles normes, notamment celles de l’autonomie et de l’émancipation, qui n’assignent plus les femmes exactement aux mêmes places que par le passé. Mais, on l’a vu, il s’agit moins d’un renversement que d’un réaménagement, d’une nouvelle économie des rapports de sexe. « Rôles et identités sexuels d’autrefois ont peut-être disparu ; mais certains aspects de ceux qui ont cours aujourd’hui leur ressemblent à s’y méprendre. Ou, pour être plus précis : certains attributs de la féminité traditionnelle ont été remodelés récemment pour être en accord avec l’image valorisée de la "femme nouvelle". » (Löwy, 2005, 35). Dans les institutions où s’accumulent les négatifs de ces images nouvelles, on voit particulièrement bien que les femmes les moins dotées socialement paient le plus lourd tribut à cette fausse émancipation. Car le processus d’individualisation, en même temps qu’il est porteur d’un ensemble normatif valorisant l’égalité, contribue à produire des inégalités entre les hommes et les femmes, mais également entre les femmes elles-mêmes. Ce processus a donc un coût et ce coût mérite d’être mesuré à la fois en termes de classes et en termes de sexe. 12
  • 14. 1 ISOLEMENT OU EMPOWERMENT ? LE CAS DE PARENTS SOLO AVEC ENFANTS NE BENEFICIANT PAS DES MINIMA SOCIAUX (NOTE DE SYNTHESE) Direction scientifique Liane Mozère Virginie Vinel, Irène Jonas avec la collaboration de François Oudin et la participation de Marie-Isabel Freiria CONVENTION DE RECHERCHE 07/982 Février 2009 Université de Metz Paul Verlaine de Metz DIRECTION DE LA RECHERCHE, DES ÉTUDES, DE L’ÉVALUATION ET DES STATISTIQUES MISSION RECHERCHE (MiRe)
  • 15. 2 NOTE DE SYNTHESE La proposition que nous avons soumise vise à accroître les connaissances permettant de mieux accompagner les politiques publiques s’adressant à des publics auxquels elles ne sont pas spécifiquement destinées. L’étude porte ainsi sur les pratiques et les difficultés des femmes et d'hommes vivant seul-e-s avec leurs enfants, actifs, ne bénéficiant pas des minima sociaux, n’étant pas en congé parental. Nous faisions l’hypothèse que ceux-ci rencontrent des difficultés spécifiques que les décideurs pourraient, par une action appropriée, les aider à surmonter. En demandant à ces personnes de restituer par un récit la manière dont les périodes de monoparentalité sont vécues au niveau le plus concret et matériel, nous cherchons à explorer les interstices, les entre-deux, les « creux » ou, mieux, les zones d’ombre méconnues par les politiques publiques et notamment en termes de genre. Eléments de problématique Entre le recensement de 1990 et 1999 le nombre de familles monoparentales est passé de 1 602 000 à 1 982 000 (Cristofari et Labarthe, 2001). Elles représentent 16,7% des familles comprenant un enfant de moins de 25 ans (Alvaga, 2002). Entre 2,4 millions et 2,7 millions d’enfants (selon les chiffres) vivent en familles monoparentales. Tous les auteurs travaillant sur la catégorie famille monoparentale depuis les années 1980 (Lefaucheur 1988 ; Alvaga 2002 ; Eydoux, Letablier, Georges, 2007) soulignent l’hétérogénéité des situations des familles monoparentales. Ces disparités tiennent d’une part, au mode d’entrée dans la monoparentalité – séparation (74%) (Alvaga 2003), veuvage (en proportion supérieure pour les hommes que pour les femmes 17% contre 10%) et naissance hors couple (15%) – d’autre part, à l’âge du parent, à la qualification, à la catégorie socio-professionnelle, au réseau de relation et à la relation avec le parent non gardien (quand il y en a). Les politiques publiques, par le biais de l’Allocation Parent Isolé (API), se sont attachées avant tout à répondre à la paupérisation d’une catégorie de femmes, peu qualifiées et éloignées de l’emploi. Cette optique envers les familles monoparentales s’ancre dans la tendance européenne, et plus tardivement française, d’orienter les politiques familiales vers une « option sociale » plutôt que « familialiste » (Commaille, Martin 1998). La population que notre étude vise se trouve, en effet, au centre de ces tensions : appartenant aux classes moyennes et étant en majorité parent d’un seul enfant 1 , ces familles bénéficient peu des prestations familiales. Résidant rarement dans les quartiers défavorisés, elles ne sont pas non plus les populations cibles des politiques éducatives (ZEP, contrat éducatif local…). Pourtant, d’une part, elles rencontrent des difficultés spécifiques que nous mettrons au jour, elles aspirent aussi à des modes de soutien adéquat à leur situation. D’autre part, bien que n’en bénéficiant pas, elles souffrent de la stigmatisation associée à la l’image de la femme seule, isolée, défavorisée bénéficiant de l’API, tout en souhaitant s’en distinguer. Les recherches ainsi que l’Union Européenne mettent l’accent sur la nécessité d’une politique sociale ambitieuse (à l’aune de la Suède par exemple) pour obtenir l’égalité homme/femme, favoriser la conciliation travail/famille, tout en maintenant/favorisant une natalité élevée. Or, la situation des parents solo pose avec acuité la question des inégalités hommes/femmes et de la conciliation travail/famille, car ce sont à 86% des femmes qui se trouvent confrontées à 1 57% des familles monoparentales ne comptent qu’un enfant contre 39% des familles en couple (Le Tablier 2007 : 21). Dans notre population, 17 sur 29 n’ont eu qu’un enfant, 21 ont un seul enfant à charge au moment de l'entretien.
  • 16. 3 la situation monoparentale. Elles doivent faire face à une multitude de contraintes. Ces charges sont financières, mais aussi temporelles, mentales, physiques, professionnelles et affectives. Susan Moller Okin (2008), insiste sur le fait que la situation des hommes est très différente de celle des femmes après divorce, principalement parce que les tribunaux traitent les hommes et les femmes divorcés comme s’ils étaient plus ou moins égaux. L’étude interroge donc : - La façon dont les femmes solos s’y prennent pour assumer leurs multiples tâches, - Les ressources (parenté, amicales, réseau, financières) qu’elles mobilisent pour trouver des solutions à leurs problèmes quotidiens. - Les conséquences sur leur activité et leur carrière professionnelle, leur situation financière, de logement, leur vie personnelle, mais aussi leur bien-être et leurs liens avec leurs enfants. - Les aspirations et les attentes qu’elles expriment Le contre-point des quelques interviews avec des hommes permet d’apporter des données qualitatives sur les différences et les convergences relatives aux hommes et aux femmes solos sur les points énoncés ci-dessus. Enfin, à partir du point de vue de ces parents solos, abordé dans sa complexité et contextualisé, nous réfléchirons aux aides publiques qui pourraient être envisagées pour les soutenir dans leur trajectoire. Eléments de méthodologie La recherche a débuté par une phase de recherche bibliographique. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons recensé la majorité des travaux français sur la question, ouvrages et articles. Quelques travaux québécois ont aussi été consultés. Nous avons aussi tenu à situer notre recherche de façon plus globale en nous intéressant à des écrits anglophones. Nous avons procédé à un recensement des prestations familiales et des dispositifs de soutien à la fonction parentale. L'enquête de type qualitative se base sur les principes de sociologie inductive, née de l’anthropologie et appliqués par les sociologues de l’Ecole de Chicago à l’étude des sociétés urbaines et industrialisées. Nous avons procédé par entretie ns de types récits de vie – en orientant comme le préconise Danièle Bertaux (2006) – le récit sur l'objet de notre recherche. Nous avons réalisé 29 entretiens, 26 femmes et 3 hommes, résidant seuls avec leur enfant et ayant la garde à temps plein, dans la région parisienne, l’agglomération Metz-Nancy, l’agglomération strasbourgeoise et à Aix-en-Provence. Au moment de l’entretien, ces parents sont actifs, 27 sont en emploi, l’une est au chômage et l’une est au chômage partiel avec une activité réduite d’enseignante vacataire. Ils sont de PCS diversifiées avec une proportion égale d’employés, de professions intermédiaires et de cadres et professions intellectuelles. Les interviewés ont entre 29 et 59 ans. Une majorité (17) n’ont eu qu’un enfant. 6 ont des enfants étudiants. 5 femmes sont veuves, 4 femmes n’ont pas vécu de cohabitation avec les pères des enfants (nous les avons nommées « célibataires »), 20 interviewés sont séparés ou divorcés. RESULTATS Il est difficile de synthétiser les résultats tant les entretiens étaient riches d’enseignements, mais aussi de complexité relatives aux trajectoires singulières. Ainsi, nous n’avons pas extrait de typologie des parents solos, car les convergences et les divergences se corrèlent moins à des variables simples (PCS, âge, âge des enfants…) qu’à un faisceau de facteurs arrangés différemment selon l’histoire de vie solo de chacun : type d’emploi, niveau de salaire, relation avec l’ex-conjoint, réseau de soutien (parenté, amis), offre de service périscolaire sur le quartier d’habitation, trajectoire de logement, difficultés ou non avec les enfants, pour l’essentiel.
  • 17. 4 Nous dégagerons donc les lignes force de notre étude, tout en soulignant que cette synthèse pourrait simplifier, ce que nous souhaitons être une approche de la complexité et du micro- social. Le premier constat est que les parents solos subissent un choc lorsque la séparation, le décès brise leur famille conjugale 2 . Malgré le poids de la « déprime » qui s’en suit, ils-elles doivent rebondir rapidement pour trouver les solutions pour faire face aux questions premières : changer ou non de logement, adapter son emploi, trouver les modes de garde adaptés. Trouver immédiatement des solutions et du soutien conduit ces femmes à mobiliser les ressources institutionnelles : les institutions dans lesquelles les enfants sont accueillis (périscolaire, crèche, assistantes maternelle) servent de premier relais et sont dans pratiquement tous les cas mobilisés à bon escient. Toutefois, ces parents solo hésitent voire refusent de faire appel aux services sociaux (CCAS, Assistante sociale de secteur). Cette réticence relève d’une part, de l’idée que ces services ne sont pas adaptés à leur cas, car jugés ciblés sur des populations défavorisées desquelles ces parents solos souha itent se distinguer, d’autre part, les institutions sont mal connues et les personnes se sentent mal orientées, enfin, la crainte de se faire enlever l’enfant sourd encore dans certaines de ces familles. Lorsqu’ils ont affaire aux institutions on peut discriminer des interventions que l’on pourrait qualifier de contre-productives et d’autres qui parviennent à se soucier de ces femmes, non seulement de manière appropriée, mais de façon bienveillante. Ainsi, quand à l’école, plusieurs doivent faire face aux incompréhensions répétées voire d’une stigmatisation de la part des enseignants en raison de l’absence de père ou lorsqu’une assistante sociale propose à une femme en CDI en attente de logement social, un hébergement en hôtel d’urgence, on se trouve face à des procédures préformées, non adéquats et contre- productives. Au contraire, lorsque le personnel institutionnel manifeste une attention active, une écoute qui débouche sur des propositions concrètes : un directeur de collège d’un médecin de PMI, déculpabilisant et à l’écoute et aidant, une assistantes sociale confortant les pistes, une banquière qui a confiance et offre un prêt à une personne en libéral, c’est le « petit » plus qui soutient, accompagne ces personnes dans leurs actions et accroît leur puissance d’agir. Ainsi, si les entretiens montrent que ces parents solo préfèrent «se débrouiller seul » et hésitent à «demander de l’aide », soucieux de leur autonomie et de leur indépendance, un accompagnement adapté, des institutions s’avère porteur pour ces parents solos. Nous insistons ainsi non sur la mise en place de dispositifs mais sur une attitude favorisant l’empowerment de ces parents, dotés de ressources et de compétences. L’emploi Les parents rencontrés sont insérés professionnellement, hormis une au chômage, en recherche active d’emploi. A signaler que contrairement à d’autres situations, les femmes de notre population étaient toutes en emploi lors de la séparation, le décès ou la naissance de l’enfant. Plusieurs cas de figure apparaissent quant à la question de l’emploi mais toutes ont dû adapter leur emploi à leur nouvelle situation. Une part des femmes a travaillé davantage afin de compenser la perte du salaire de leur conjoint, ce qui conduit des personnes en libéral à dépasser les 40 heures de travail hebdomadaire, ou une autre à se convertir en routier international pour accumuler les heures supplémentaires pendant la semaine, son fils étant en internat, une autre à augmenter son temps de travail de femme de ménage. Plusieurs ont ainsi changé d’emploi (l’une devenu restauratrice, l’autre dans la synchronisation, l’une mutée dans 2 Aucune des femmes rencontrées n’a fait son enfant « toute » seule, mais plusie urs n’ont pas connu de cohabitation prolongée avec le père des enfants.
  • 18. 5 une autre région…) afin de concilier leur travail et leur charge de famille solo. Certaines ont baissé leur temps de travail, suite au calcul entre le salaire/prestations sociales/temps consacré à l’enfant. Les hommes, tous trois cadres ou professions intermédiaires, n’ont pas changé leur carrière, l’un se trouvant même libéré dans son aspiration à monter son entreprise. Quelques femmes ont stoppé leur avancée de carrière (pas le temps de faire les stages, de la recherche), mais d’autres ne se sont pas senties freinées par la situation solo. Ces variations de stratégies et de ressentis sont liées, notamment, à l’âge des enfants et aux modes de garde et au réseau de soutien pour accueillir les enfants. Soutiens et modes de garde Ainsi, se dégagent manifestement deux groupes de parents solos, l’un (environ un tiers des interviewés) qui reçoit un soutien de leurs parents, qui gardent leur enfant régulièrement ou occasio nnellement, l’autre groupe ne reçoit que très occasionnellement voire pas du tout d’aide de leurs parents. Toutefois, la famille élargie apparaît dans une majorité d’entretiens pour des séjours en vacances, un soutien transitoire, une aide financière et morale. Le réseau de relations amicales et de l’entourage joue un rôle aussi considérable dans l’accueil des enfants, mais aussi dans le support moral et éducatif. 4 femmes parmi les 23 ont ainsi créé un véritable « binôme d’entraide » apportant à la fois coup de main pour la garde mais aussi soutien affectif et moral au point que le vocabulaire de la parenté remplace celui de l’amitié (les enfants étant quasi frères et sœurs). Plus fréquemment, ce sont des échanges de services – réciproques – qui se mettent en place, certains intensifs (tours de cantine chez l’un et l’autre), d’autres plus sporadiques. Quelques uns organisent avec l’ex-conjoint des modalités, toujours à renégocier, de garde régulière ou occasionnelle des enfants, en dehors des « droits de visite ». La mobilisation de l’entourage familial et amical s’avère une ressource essentielle pour, d’une part, le maintien dans l’emploi de ces parents solos, d’autre part, servir d’assurance en cas de coups durs : retard pour chercher les enfants, maladie ou hospitalisation. Reste que ce réseau varie amplement d’un parent à un autre, qu’il n’est pas stable, et certains parents n’en bénéficient pas et se sentent très seul pour faire face à toutes leurs tâches de parents solos. L’offre de service de garde et de service périscolaires s’avère également cruciale pour ces parents solos. Ils apprécient particulièrement les services périscolaires tant en terme d’aide aux devoirs, que de temps encadré, pour les enfants (en primaire), et regrettent pour autant, la limite des horaires d’accueil (notamment absence de garderie le matin en primaire) et la rareté des services périscolaires pour les collégiens. A signaler la forte disparité de l’offre et des coûts, constatée qualitativement, des modes d’accueil des enfants pendant les vacances scolaires, selon les communes. Réseau d’échanges, garde des enfants, soutiens aux devoirs, ce sont bien des secteurs dans lesquels les politiques publiques pourraient inciter en les aidant les collectivités territoriales, pour soutenir les initiatives des parents solos en matière d’échanges de services (garde, temps, conseils, discussions) et renforcer les modes d’accueil des enfants de tous âges. Un autre secteur crucial dans lequel les pouvoirs publics ont un potentiel est le logement. Le logement En dehors de «contre exemples » (3 personnes) pour lesquelles le logement n’a pas osé de problème, le logement constitue donc une difficulté pour la majorité des interviewés. Déménager après une séparation s’avère difficile, tant psycholo giquement que financièrement. Beaucoup se retrouvent dans un espace plus petit. Et trouver un logement correspondant aux attentes tant financières, qu’en terme d’espace n’a pas été chose facile pour toutes. « Avoir un toit », donner un cadre de vie agréable aux enfants, ne pas les perturber
  • 19. 6 davantage par un changement dans leurs habitudes scolaires et autres, semblent être un souci récurent chez les parents rencontrés. La priorité, on le voit bien ici, est ce que l’on pense être les conditions du bien-être et de la stabilité de l’enfant. Une interviewée met un an à trouver un logement adapté, et plusieurs femmes – dans des logements trop petits – n’ont pas de chambre personnelle. La situation en région parisienne conduit d’ailleurs à un cas extrême de re-cohabitation avec l’ancien conjoint. Les allocations logement sont une aide précieuse et indispensable pour les salaires les plus faibles, mais inexistantes pour les salaires moyens qui ne permettent pourtant pas de se loger décemment dans les grandes agglomérations. Le recours au soutien familial est donc la solution qui permet de se poser dans un logement pendant un temps ou de pallier les problèmes financiers. Les hommes et les femmes qui restent dans un logement dont ils avaient la charge avant la séparation/décès, ou qui s’engagent seuls dans un achat, ne rencontrent pas de difficulté. On voit bien que les problèmes rencontrés par ces parents solos au niveau du logement touche tout d’abord à une question structurelle d’insuffisance de logements sociaux, ma is ils découlent aussi des seuils des allocations logement qui ne bénéficient qu’aux revenus les plus bas (en dessous de 1500€). La simplification et la centralisation des démarches auprès des bailleurs sociaux s’avère une mesure plus aisément réalisable à court terme. La question du logement se pose avec acuité lorsque les enfants grandissent et deviennent de jeunes adultes. Le recours aux chambres universitaires est le bien venu pour les familles aux revenus les plus faibles. Les autres aménagent un espace « à soi » dans l’appartement parental ou financent une chambre indépendante. Le coût des études supérieures est dans tous les cas un problème que chacun tente de résoudre en cumulant ses ressources (ou en faisant appel à une aide de l’entourage) et les dispositifs existants (bourses). Le choix d’études moins coûteuses (Université plutôt que les Grandes écoles 3 ) s’avère général pour ces familles. Lorsque les enfants grandissent, ces parents commencent aussi à repenser à leur vie personnelle, qui se pose souvent en terme de temps pour soi et de « refaire sa vie ». Une socialité adulte La triple journée assumée par ces femmes et hommes ne leur laisse que peu de loisirs pour penser à eux- mêmes. Toutefois, ces parents énoncent le besoin de sortir de la triade enfant- boulot-dodo et d’une présence d’adultes. Cette question se pose à différents niveaux, tout d’abord celle de revenir à une forme classique, celle du couple. Mais les échecs ont laissé des traces et plusieurs – femmes et hommes – préfèrent des relations peu engageantes « chacun chez soi », plutôt que la construction d’une nouvelle famille. D’autant que cette remise en couple semble grandement conditionnée par l’acceptation du nouveau compagnon par les enfants, jugés « prioritaires ». Les avantages de la situation solo – qui sont aussi ressentis comme des inconvénients – décider seul, ne pas avoir la charge d’un compagnon parfois peu aidant, freinent les tentatives de remise en couple. Car il y a plusieurs facettes à l’état de solo : le fait de décider seul-e, mais aussi l’absence de relais ; et les deux versants de la réalité vécue coexistent, ils n’entrent pas en opposition, ils ne forment pas une contradiction qu’il faudrait subsumer. Les interviewées ont aussi conscience des inégalités hommes/femmes – lorsque les femmes atteignent 40-50 ans – pour retrouver une relation. Les discussions entre adultes autour de l’éducation des enfants ou du temps partagé avec d’autres adultes se posent aussi en terme de relations conviviales et sociales. Si certains se sentent bien entourés, d’autres souffrent à certains moments, ou régulièrement, de solitude. 3 Ce choix n’est pas que financier étant donné la difficulté d’accès aux grandes écoles, il convient de le souligner. A ce niveau aussi des politiques publiques pourraient impulser des chantiers et des projets.
  • 20. 7 D’autant que s’ils sont dans un premier temps entourés par un réseau amical formé de couples, ceux-i se font plus rares au fil du temps. Des lieux conviviaux « à bas seuils » où les parents pourraient se rencontrer, sans être attendus sur la relation parent/enfant – comme elle l’est dans les LAPE ou les maisons de la parentalité – apparaissent comme des opportunités de sortir du face à face parent-enfant. Des configurations peu coûteuses, où les enfants suivraient une activité pendant que les parents se détendraient aussi (café, sport, pique-nique, repas) semblent des pistes pour alléger la vie solo et soutenir une vie sociale adulte à ces parents, tout en garantissant l’épanouissement des enfants. Des leviers de l’empowerment L’ensemble des entretiens des femmes est jalonné par la honte, la culpabilité intégrée de ne pas être une famille conjugale. Cette culpabilité s’exprime particulièrement à travers les discours incorporés et formulés d’une psychologie-psychanalyse vulgarisée articulée autour des dommages liés à l’absence de père pour le bon développement de l’enfant. Cette forte imprégnation de la vulgate psychologique dans les discours de nos interviewés, provient- il de leur niveau de qualification relativement élevé ? Il est en tout cas porteur d’un norme intégrée de la famille conjugale patriarcale où le père joue le rôle d’autorité. Or, ces femmes prouvent par leur trajectoire solo qu’elles font preuve no n seulement de ressources, de compétences, mais aussi d’autorité. En conséquence, l’enjeu primordial qui ressort de notre étude – sur lequel les pouvoirs publics ont force d’incitation – est celui de prendre acte que la monoparentalité – être maman solo– est aujourd’hui une situation banale. L’accroissement prévisible des situations de parent solo – étant donné le nombre de divorces (46% en 2006), le nombre d’enfants nés hors mariage (53% en 2004), la facilité des séparations (en particulier dans le cas des unions libres) – fait que la monoparentalité peut toucher, à un moment de leur trajectoire de vie, tous les parents, particulièrement les femmes – puisque 9 enfants sur 10 enfants de moins de 25 ans vivent avec leur mère. Il est nécessaire que la société la considère comme un statut légitime. La banalisation de la famille monoparentale, l’affirmation de sa « normalité » est un levier essentiel pour se départir de l’imaginaire que seule la famille conjugale (papa, maman, enfants) est facteur d’équilibre fa milial. Cette légitimation apportera à la fois une meilleure qualité de vie affective de ces parents, mais surtout favorisera une conversion du regard des personnels des institutions et détachera les familles monoparentales d’une politique publique « catégorisante ». Notre étude insiste ainsi sur la notion de co-production, au sens où les politiques publiques produiraient avec et non pour ces parents. Car c’est que ce que redoutent ou, pour certains rejettent, c’est d’être prises pour des êtres « à part », des « cas », des « victimes ». En ce sens également, une co-production identique s’adressant à des parents solos de milieux beaucoup plus défavorisées amoindrirait, de manière encore plus significative la stigmatisation, mais surtout les réinscrirait également de manière légitime dans la cité. Une politique qui partirait des interactions et les relations que ces « catégories » entretiennent avec le reste de la société transformerait non seulement le regard que les acteurs sociaux dans leur ensemble aurait sur ces « cibles », mais surtout mettraient au jour les compétences et les ressources que ces groupes et ensembles mobilisent et qui peuvent informer sur la manière de co-produire avec ceux-ci des agencements au plus près de leur vie. C’est à cette condition que ces parents – particulièrement ces femmes solos de catégories sociales moyennes – mais aussi les plus défavorisées – peuvent tout en étant soutenues, restés acteurs-trices de leur existence.
  • 21. Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup Devenir père et intervention sociale. L’exemple du suivi médical de la grossesse Benoît CEROUX Méthodologie L’enquête portant sur « Les projets d’implication paternelle », réalisée en 2002 et 2003 avec Guido De Ridder et Sylvie Bigot, se compose de deux vagues d’entretiens. Pour la première, nous avons rencontré vingt pères en devenir au cours de la grossesse pour aborder la décision d’avoir un enfant, la grossesse, leurs attentes et leurs craintes (projets d’implication et d’aménagements domestiques et professionnels, relations conjugale et familiales, place de l’enfant…). Ces entretiens s’inscrivent très variablement quant au terme, allant d’un mois de grossesse à quelques semaines avant la naissance (six mois de grossesse en moyenne). Les entretiens de la seconde vague ont eu lieu, en moyenne, à quatre mois et demi de la naissance de l’enfant. Il s’agit alors d’actualiser les projets d’implication en prenant la mesure des concordances et des décalages entre les aspirations et les pratiques avérées une fois confronté à la réalité du nourrisson, à la manière dont réorganisation familiale et interactions avec la mère, compromis et compétences jouent sur ces évolutions. Le terrain a eu lieu dans deux régions morphologiquement contrastées, la Basse-Normandie et l’Île-de-France. La première est constituée de petites villes et villages, les équipements d’accueil de la petite enfance sont peu nombreux, les trajets domicile-lieu de travail (souvent courts) amputent peu les rythmes familiaux. La seconde région est, pour ainsi dire, l’opposée : l’espace est presque partout urbanisé, le taux d’équipement de la petite enfance y est nettement plus fort, le temps quotidien consacré aux déplacements domicile-travail important. 1
  • 22. Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup Les primo-pères sont deux fois plus nombreux que les pluri-pères (respectivement quatorze et sept). Que leur situation soit connue par le bouche à oreille ou qu’ils se soient manifestés d’eux- mêmes, les hommes attendant un premier enfant semblent les plus motivés pour en parler. Nous avons par ailleurs veillé à la diversité des situations socioprofessionnelles et économiques, ainsi qu’à celles des situations matrimoniales. Faire de l’enfant son enfant Quelle que soit la proximité du terme de la grossesse et quelle que soit la force et l’ancienneté du désir d’enfant, les « pères en devenir » ont du mal à concevoir concrètement l’enfant, à passer de l’idée de l’enfant à l’enfant lui-même, à se sentir dès à présent père. En somme, l’enfant appartient au futur, non encore au présent. C’est également vrai pour les hommes ayant déjà un enfant. S’ils se sentent bel et bien père de cet enfant, ils ne sont pas dans les mêmes dispositions à l’égard de l’enfant à naître. En somme, ils sont à la fois pères (de l’aîné) et pères en devenir (du puîné). On peut dire que la paternité se construit dans la relation à un enfant en particulier et non à l’enfant en général. La grossesse apparaît alors comme un moment clef de la construction de l’identité paternelle. La mise à distance contemporaine des identités statutaires dans la définition de soi intervient sans doute dans ce constat. Différentes pratiques d’implication émaillent cette période, et leurs conséquences ont été envisagées comme autant d’éléments matérialisant l’enfant et modifiant l’identité de l’homme. Ils savent qu’ils vont avoir un enfant, mais il ne s’agit pas encore de leur enfant. Les pères en devenir évoquent les préparatifs matériels, les transformations du corps de la femme et le suivi médical de la grossesse, sans qu’aucune de ces « étapes » ne soit suffisante. Après la naissance, on perçoit la fin du processus de matérialisation à travers le discours sur 2
  • 23. Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup l’accouchement, les premiers jours (avec l’annonce faite aux proches et les déclarations administratives) et le congé de paternité. Les motivations évoquées par les pères en devenir pour leur présence (ou non) lors des rendez- vous médicaux et de l’accouchement, ou dans la prise du congé de paternité (ainsi que dans la durée de ce congé) permettent de reconstruire des rapports à l’enfant et à la paternité différents. On pourrait les schématiser en deux pôles, avec d’un côté une relation directe à l’enfant et de l’autre une relation médiatisée par la mère. Dans le cadre de cette intervention, j’aborderai le suivi médical de la grossesse et l’accouchement sous l’angle d’une forme d’intervention sociale, celle du personnel médical. En se détournant de l’objet de recherche initial, cette présentation empêche les citations filées – l’attitude des intervenants médicaux n’étant pas liées à la conception que les pères en devenir se font de leur place auprès de l’enfant. Échographie La présence paternelle aux échographies est moins perçue par les pères en devenir comme imposé par la mère ou, plus largement, comme une injonction sociale, mais plutôt comme l’expression de leur volonté d’accompagner leur conjointe et de lui montrer qu’ils sont prêts à s’investir dans leur rôle de père. Leur présence à ces rendez-vous médicaux anténataux constitue par ailleurs un élément important de la matérialisation de l’enfant et une manière de participer activement à la grossesse afin de rompre le sentiment d’inutilité qui les taraude. Certains pères expriment tout à la fois leur envie d’être actif et l’impossibilité de le faire. C’est le cas par exemple de David (primo-père), qui regrette l’absence de sollicitation de la part du médecin : « Bon c’est vrai que moi j’étais présent à chaque fois, et j’étais un peu déçu du fait qu’il me, c’est pas qu’il me parle pas mais qu’il ne me fasse pas plus participer, et puis bon c’est difficile de lui dire. Mais dès le 3
  • 24. Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup départ je pense qu’il aurait pu m’impliquer un peu plus, ne serait-ce que, je sais pas, demander mon groupe sanguin ou… Je veux dire tout ce qu’il a demandé c’était à Laurence, à la mère. À la limite le père on s’en fout. Donc ça je trouve ça un peu dommage, d’autant plus que j’étais là. » D’autres pères hésitent moins à prendre les devants, comme Loïc (pluri-père) dont les propos sont à cet égard exemplaires : « J’ai assisté à tout, je crois que j’ai raté un seul rendez-vous gynéco. J’ai assisté à toutes les échographies, j’ai énormément discuté avec le gynécologue parce que comme j’ai pas ma langue dans ma poche je participais à chaque fois. … Là aussi au point que ça énerve quelques fois mon épouse parce que le gynéco à un moment il parlait plus à moi qu’à elle, ce qui est assez insupportable. » Si ce père devient acteur et ne reste pas simple spectateur ce n’est pas sur une sollicitation par le médecin, mais celui-ci répond positivement, par le dialogue, à l’intérêt exprimé par le père. Préparation à l’accouchement Les séances de préparation à l’accouchement rencontrent un enthousiasme contenu chez les pères en devenir rencontrés, même lorsqu’ils souhaitaient être présents à la naissance de leur enfant. Les pères souhaitant y assister à invoquent l’envie de savoir comment cela se passera le jour J, de connaître le vocabulaire, de repérer les locaux, d’apprendre les bons réflexes… c’est-à- dire qu’ils se placent dans une logique d’accompagnement de la mère. Si certains pères ne souhaitent pas aller à ces séances ou renoncent à le faire, c’est qu’elles s’adressent davantage à la mère – ce qui leur renvoie le sentiment d’inutilité qu’ils essaient d’apprivoiser par le suivi médical. Ne se sentant pas directement concernés par ces séances, voire mis à l’écart, et ils ne font pas d’efforts pour régler des problèmes d’organisation, alors qu’ils savent le faire pour assister aux échographies. Julien (primo-père), par exemple, explique pourquoi il n’a pas renouvelé l’expérience après une séance : « J’ai eu l’impression que ça s’adressait qu’à la maman ou quasiment uniquement à la maman, c’est vrai que je suis resté une heure et demi passif à rien 4
  • 25. Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup dire et à juste écouter. Bon, je me suis dis ma présence n’est peut-être pas requise pendant ce moment là, donc j’ai préféré ne pas y retourner. » Des séances réservées aux pères en devenir auraient sans aucun doute plus de succès, et certains pédiatres en proposent. Au-delà du public visé (père versus mère), c’est la nature même de ce qui est abordé qui diffère. Les cours de préparation « classiques » visent surtout le déroulement de l’accouchement – avec la respiration comme cours emblématique. Les cours pour hommes s’apparentent plus au groupe de parole tel qu’il peut exister ailleurs. L’opposition entre les deux types de séances est plutôt celle entre l’action des cours pour les femmes et la paroles des cours pour les hommes. Voilà qui est finalement paradoxal puisque les hommes réduisent leur sentiment d’inutilité et d’inactivité par… de la parole. En fait, en partageant leurs interrogations et leurs angoisses avec d’autres pères en devenir, ils se sentent davantage à leur place. Accouchement L’implication des pères lors de l’accouchement dépend en partie de la motivation de leur présence (pour soutenir la mère ou pour être présent dès la naissance) [de même que la scénographie], mais son action est aussi en partie liée à l’attitude du personnel médical. Certaines équipes incitent le père à participer dès le début du travail, comme par exemple pour Rodolphe (primo-père) : « J’ai même participé à l’exploration avec la sage-femme. Elles mettent les doigts et puis elle me proposait de faire pareil donc je pouvais sentir la tête à travers le col, toucher la tête du bébé dans le ventre de sa mère. Des choses comme ça. C’était génial ». Cela peut être au moment de l’expulsion, à laquelle Laurent (primo-père) a pris part : « J’ai même sorti le bébé du ventre, c’est-à-dire qu’en fait ils l’ont… Au moment où il est sorti, ils m’ont dit “vous voulez le sortir complètement ?” Donc je l’ai sorti ». Puis il faut couper le cordon ombilical et donner les premiers soins. Ce moment vécu à la naissance de son premier enfant est resté gravé dans la mémoire de Frédéric, et son émotion est encore palpable lorsqu’il en parle sept ans après : « C’est moi qui ait coupé le cordon et donné les premiers soins. Vous avez un moment 5
  • 26. Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup un peu privilégié où c’est vrai que quand le bébé naît, la maman peut plus se lever, et c’est vous qui allez au bain, êtes derrière la puéricultrice. (…) C’est vrai que c’est des moments que vous vous rappelez toujours. Je sais pas, c’est des moments… En plus je sais pas c’est quelque chose qui vous appartient, que vous pouvez pas donner, que vous pouvez pas partager, c’est à vous finalement, vous le gardez pour vous c’est… La maman elle a le bébé pendant neuf mois pour elle, finalement vous l’avez quoi, peut-être cinq minutes, mais bon c’est cinq minutes que vous gardez. Oui, c’est magique, vous êtes content, vous voyez votre bébé. Oui, c’est… c’est vos moments à vous quoi, c’est des trucs que j’oublierai jamais. » Une attitude inverse du personnel médical apparaît dans les propos d’Éric (primo-père) : « Ils ne m’ont pas proposé, ils ne m’ont pas posé de question. Ils l’ont pris, clac, ils l’ont mis derrière. Après, ils ont faits les soins. Bon, moi j’y suis allé après. » Même en cas de complication, obligeant le père à sortir de la salle d’accouchement, le mode d’intervention du personnel médical contribue à placer le père en acteur ou en spectateur, dans une posture proche ou distante. C’est ce qu’illustre David (primo-père) dont la conjointe a accouché par césarienne. La sage-femme lui a présenté son enfant tout habillé en lui proposant de le réchauffer peau contre peau : « En fait je suis resté dans le fauteuil dans la chambre avec mon bébé sur moi, avec une couverture, et c’était jusqu’à temps que Laurence revienne, donc jusqu’à dix heures. Donc ça a fait une bonne heure et demie avec lui, et c’était marrant parce que il essayait de me téter. C’était un moment super. » Si la sage-femme avait opté pour la couveuse, il n’aurait pas vécu ce moment d’intimité. Conclusion Le sentiment d’être père se construit par touches successives qui viennent, tout au long de la grossesse, tant bien que mal, résorber, amenuiser, l’importante difficulté des pères en devenir à matérialiser leur enfant, à l’imaginer concrètement. Échographies, monitoring, ventre s’arrondissant, coups du bébé, achats sont autant d’étapes qui rapprochent l’homme du père. Si l’accouchement entame la fin du processus de matérialisation, celui-ci ne s’achève véritablement, pour beaucoup, qu’à l’inscription physique du nourrisson dans son nouvel environnement. 6
  • 27. Parcours de vie & intervention sociale : l’impensé du genre – 9 novembre 2010 – Drees / Etsup L’organisation formelle des rendez-vous médicaux pourrait s’apparenter à des mini-rites de transition, accompagnant le passage du père en devenir au père. Ils conforteraient alors la dimension statutaire de l’identité. C’est pourtant l’aspect sensoriel et émotif des rendez-vous que retiennent les enquêtés. Les récits soulignent à quel point l’attitude du personnel médical est importante pour faciliter ou ralentir l’établissement de contacts forts et sensoriels entre le père et l’enfant. Ceci est tout particulièrement marquant lors de l’accouchement. En effet, tous les actes auxquels les pères en devenir participent se font sur la proposition de l’équipe médicale. Intimidés par la scène – c’est aussi une salle d’opération – ils ne prennent pas les devants en demandant aux sages-femmes de faire telle ou telle chose. Leurs récits font autant ressortir le plaisir d’avoir pu agir que celui de l’attention qu’on leur portait. 7