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Ledent Julien
3 ème Assistant Social
Travail de Fin d'Études :
Comment la méritocratie anime-t-elle la
société et quelles en sont les conséquences ?
Le 22 mai 2014
Année académique 2013 - 2014
Promoteur : Monsieur Alain Dubois
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Table des matières
1 Introduction......................................................................................................................................6
2 Le mérite, une notion "épaisse"........................................................................................................8
2.1 Qu'est-ce que le mérite ?...........................................................................................................8
2.1.1 Ce qui est digne de mérite, ce "quelque chose"................................................................9
2.1.2 "Qui" mérite pour avoir fait ce "quelque chose" ?..........................................................11
2.2 Le mérite, la chance, l'égalité, la liberté et la justice..............................................................11
2.2.1 La liberté.........................................................................................................................11
2.2.2 La chance........................................................................................................................12
2.2.3 L'égalité...........................................................................................................................12
2.2.3.1 L'égalité numérique.................................................................................................13
2.2.3.2 L'égalité proportionnelle.........................................................................................13
2.2.4 La justice.........................................................................................................................14
2.3 Quand le mérite perd de son sens...........................................................................................16
2.3.1 Le fatalisme.....................................................................................................................16
2.3.2 Le déterminisme causal...................................................................................................16
2.3.3 Le compatibilisme...........................................................................................................17
2.4 Le mérite.................................................................................................................................17
3 La méritocratie, l'idéologie dominante d'un monde juste pour nos sociétés occidentales..............19
3.1 L'Erreur fondamentale d'attribution........................................................................................20
3.1.1 3 raisons psychosociales à l'Erreur fondamentale d'attribution......................................20
3.1.1.1 L'interprétation d'ordre cognitif. .............................................................................20
3.1.1.2 L'interprétation d'ordre motivationnelle..................................................................21
3.1.1.3 L'interprétation d'ordre social..................................................................................22
3.2 L'école comme institution sociale promotrice du mérite........................................................25
3.2.1 Pas de dérégulation travail / résultat...............................................................................26
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3.2.2 Dérégulation travail / résultat..........................................................................................26
4 La méritocratie et l'assistance.........................................................................................................29
4.1.1 L'effet de seuil au sein d' un continuum..........................................................................30
4.1.2 Une image négative des personnes en situation d'assistance..........................................30
4.1.3 Risque de dualisation de la société.................................................................................32
5 Conclusion......................................................................................................................................34
6 Remerciements...............................................................................................................................35
7 Bibliographie..................................................................................................................................36
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« Tous ceux qui s'étaient assurés des privilèges en ne s'appuyant que sur un seul de ces
principes, pouvaient être attaqués au nom de l'autre. [...] L'homme de haute naissance se voyait
critiqué parce qu'à d'autres égards il ne méritait pas sa fortune; et il était loisible de taxer de demi-
imposture celui qui parvenait à la grandeur malgré sa basse extraction. [...] les travailleurs
pouvaient dissocier tout à fait l'idée qu'ils se faisaient d'eux-mêmes des jugements que la société
portait sur eux. Statuts objectifs et subjectifs étaient souvent à l'opposé. Le travailleur se
disait :"Me voilà qui suis ouvrier. Pourquoi suis-je ouvrier ? Ne suis-je bon à rien d'autre ? Bien
sûr que non. Le monde l'aurait bien vu, si on m'avait donné ma chance. Médecin, brasseur,
ministre, j'aurais pu tout être. Cette chance je ne l'ai jamais eue; et ainsi je suis ouvrier. Mais ne
pensez pas que, dans le fond, je vaille moins qu'un autre : non, je vaux mieux." L'injustice qui
présidait à l'éducation permettait aux gens de garder leurs illusions, et l'inégalité des chances au
départ favorisait le mythe de l'égalité des hommes. Nous savons qu'il s'agit là d'un mythe : nos
ancêtres ne le savaient pas. » 1
1 Young M., The rise of the Meritocracy, 1958
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1 Introduction.
Cela fait longtemps maintenant, bien avant que je ne commence mes études supérieures, que
je me pose la question de la légitimité des actions que nous menons, que ce soit par rapport à nous-
même ou par rapport aux autres. Comment peut-on dire que l'action que l'on mène est juste, dans un
contexte précis ? Et comment, pour aller plus loin, pouvons-nous incriminer ou discriminer l'action
d'autrui ? Sur son aspect illégitime, mais illégitime pourquoi, illégitime pour quoi, illégitime pour
qui ?
De plus, la légitimité des actions que nous menons questionne également la liberté de choix
que nous avons, et qui délimite notre potentiel d'action. Si je suis au chômage, est-ce une action
légitimée par une liberté de choix ou cette action n'était-elle pas légitime pour moi ?
La question du libre choix est à mettre en opposition avec le déterminisme2
qui le biaise pour
lui donner une légitimité autre que individuelle. Comment parler de légitimité lorsqu'il existe un
biais déterministe qui vient limiter la liberté de choix des acteurs ? De plus, critiquer la légitimité du
système en place, hiérarchisé en classes sociales déterminées à la naissance comme le dit Bourdieu,
est chose aisée si celui-ci ne laisse pas aux acteurs une liberté de choix total. Tous ces aspects
viennent questionner les notions de justice et d'égalité.
Pour légitimer le système en place, il est nécessaire de le faire exister dans l'esprit de chacun,
et que chacun puisse le légitimer pour soi comme pour autrui. Il est donc nécessaire de venir
contrecarrer l'effet déterministe, limitatif de la liberté de choix, qu'est l'héritage d'avantages ou de
désavantages sociaux, culturels et économiques en tenant compte que les "élites sociales" veulent
rester la classe sociale dominante.
C'est le concept de mérite qui va être mit en avant pour tenter d'équilibrer les choses, donner
une légitimité à l'inégalité sociale et réinvestir la notion de libre choix en apportant aux personnes
désavantagées de par leur héritage une égalité des chances qui sera représentée par l'école3
, du
moins qui se veut promouvoir cette égalité des chances. La démocratisation de l'enseignement a
comme but de permettre à chacun de partir à égalité par rapport aux autres, et d'avoir les mêmes
chances4
de départ. Seul le mérite sera déterminant de la hiérarchisation de la société et de la
2 MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009
3 TENRET E., Les étudiants et le mérite : A quoi bon être diplomé ?, Etudes & recherche, La documentation
Française, 2011
4 MERLE P., La démocratisation de l'enseignement, La Découverte, Collection repères, 2009
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position sociale des acteurs. C'est le moment où le mérite rencontre l'idéologie, et se transforme en
méritocratie.
Cette méritocratie est au cœur même des valeurs de nos sociétés occidentales, et vient justifier
l'organisation sociétale, et légitimer nos actions dans un contexte d'égalité des chances.
Mon Travail de Fin d'Études abordera l'idéologie de la méritocratie pour éclairer, sous un
angle philosophique et sociologique, les phénomènes de stigmatisation des classes sociales, la
gestion de l'assistanat et l'aspect individualiste des esprits dans nos sociétés occidentales.
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2 Le mérite, une notion "épaisse".
Le mérite est une notion "épaisse", comme le dit Yves Michaud dans son livre "Qu'est-ce que
le mérite". Aussi, il est déterminant de s'entendre sur la signification du terme.
Tout au long de ce travail, la notion de mérite sera transversale pour comprendre le propos.
Cette notion, conceptualisée depuis le 19
ème
siècle5
, n'a cessé d'évoluer pour devenir cette notion
"épaisse". Avant, comme le dit Léon Bourgeois : "Chaque individu contribuait, à la hauteur de ses
possibilités, au capital de la société humaine, accru par chaque génération. Le devoir de solidarité
ne concernait pas l'individu en soi mais les individus en tant que co-responsables de l'œuvre
sociale. Dans ce contexte, la société tout entière devait tendre vers une finalité commune et
partagée, la dette collective6
" La notion de mérite, dans ce qu'elle a d'individuelle, n'avait donc pas
lieu d'être car c'était l'intérêt de la société tout entière qui primait, qui cherchait mérites, et non
l'intérêt privé de l'individu et son mérite propre d'individu. Nous pourrions parler de mérite collectif
quand Léon Bourgeois nous parle de ce "remboursement" de cette dette collective, bien que ce pan
de la notion de mérite ne soit pas le sujet traité ici. En effet, je m'attarderais plus sur le mérite tel
qu'il est entendu et débattu à partir du 19
ème
siècle, c'est à dire un mérite teinté d'individualisme.
Je tiens d'emblée à préciser que la notion de mérite est sûrement plus étendue que la définition
que je vais en faire durant ce travail, car c'est un concept très complexe qui en englobe toute une
série d'autres. Le livre de Yves Michaud7
m'a permit de comprendre et de développer ce concept
d'un point de vue philosophique, et ce d'une façon complète par rapport à la matière que je vais
traiter.
2.1 Qu'est-ce que le mérite ?
Le mérite, c'est ce qui rend quelque chose digne de récompense ou de punition.8
Il est donc à
concevoir que définir le mérite "positif", c'est à dire la récompense, revient à définir le mérite
5 MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009
6 Ici, la notion de dette collective correspond à la nécessité pour les individus de participer à la croissance du capital
de la société humaine, c'est à dire qu'il pré-existe une dette envers la société qui doit être "remboursée" par la société
tout entière.
7 Le sujet étant relativement peu traité philosophiquement (car le concept de méritocratie est assez récent) et
relativement difficile à intégrer, j'ai partiellement suivit la structure du livre de Yves Michaud pour être sure d'être le
plus complet et le plus claire possible.
8 http://www.littre.org/, site consulté le jeudi 17 avril 2014
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"négatif", à savoir la punition. Il faut de plus ne pas confondre le mérite "négatif", amenant
punition, et le démérite. Le mérite "négatif" est plus à interpréter comme une action reconnue
comme amenant à punition, alors que le démérite est le fait d'une action qui diminue le mérite de
l'acteur lui-même, et non de l'action de cet individu. Par exemple, commettre un crime mérite une
punition, donc un mérite négatif. C'est bien l'acte ici qui est réprimandé, alors que l'auteur du crime
a du démérite à l'avoir fait, c'est donc une conséquence de l'action sur l'auteur de l'action.
Récompense et punition sont alors les deux faces d'une même pièce, d'un même concept, mais
récompense et punition par rapport à quoi et pour qui ?
2.1.1 Ce qui est digne de mérite, ce "quelque chose".
Il est question ici de ce "quelque chose" . Il peut s'agir d'une personne (mérite ou démérite),
d'une action (récompense ou punition), mais aussi d'un collectif, d'une institution, d'un paysage.
Tout ces exemples ont en commun le fait qu'ils peuvent avoir un mérite sous sa forme rétributive,
formelle. C'est un mérite qui est la contrepartie d'une action ou d'un fait, contrepartie objectivable,
appréciable, et pouvant être comparé. Par exemple, un contrat d'embauche fait mériter à une
personne sa place, le don à le mérite d'être bon, une institution à le mérite d'être reconnue, ou
encore, un paysage mérite le détour. Il existe également un mérite à l'aspect plus moral que
rétributif.
Ce mérite moral est à comprendre non pas comme la résultante d'une action, mais comme un
mérite purement moral étant lui-même sa propre récompense et un démérite comme une honte se
suffisant à elle même.9
La récompense ou la punition serait alors purement morale, et non
rétributive. Cela nécessite bien évidemment qu'il existe des "choses" qui méritent d'être méritées, ce
sont ces sortes de "choses" méta-méritées que l'auteur appelle vertus. A propos de ces vertus, il dit
également :"Qu'est ce que le mérite si on ne sait plus quelles sont les vertus ?" Citons encore La
Rochefoucauld qui nous conforte dans la définition de la notion de mérite morale en disant : "Le
monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même". Il parle bien ici du
mérite moral d'une action. Ce mérite moral est donc la réflexivité d'une action d'un individu sur lui-
même en tant que méritante de par sa mise en application. Par exemple, nous pouvons dire que être
généreux est méritant moralement (si on considère la générosité comme une vertu). L'individu
généreux est méritant moralement car il met en application sa générosité, et c'est cette mise en
action de la vertu qui mérite, non pas sa conséquence. Pour simplifier encore le propos, tout
individu mettant en application une vertu est méritant de par cette mise en application.
9 MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009
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De l'autre côté, le mérite rétributif apparait plus comme relevant de la pure proportionnalité
entre ce qui est méritoire et mérité. C'est donc l'action déployée par l'individu qui fait le lien entre
ce qui est méritoire et mérité. Par exemple, un individu mérite une prime car il a fait son travail
dans des circonstances qui méritent cette prime. C'est donc l'action de travailler (l'action déployée
par l'individu) dans ces circonstances (ce qui est méritoire) qui apporte à l'individu la récompense
méritée de la prime (ce qui est mérité).
Il est important de bien différentier le mérite rétributif du mérite moral, car si l'amalgame
parait séduisant10
, il serait inconvenu, voir une erreur de logique, de dire qu'un individu a la vertu
de respecter les termes d'un contrat. Tout du moins, nous pouvons dire que la vertu du respect est
méritante, mais l'action de respecter les termes d'un contrat n'octroie aucun mérite à l'individu, mais
bien à son action.
La langue française n'est pas avare de mots spécifiques, quadrillant assez bien l'ensemble des
concepts, nuancés et colorés du bestiaire sémantique. Néanmoins, elle est assez pauvre en ce qui
concerne les nuances à apporter au mot "mérite". Par exemple, les racines latines du mot mérite sont
"mereo" et "mereor", ce qui signifie "recevoir comme part ou comme prix" ou encore "se faire
payer". A l'instar de la racine latine, la racine du grec ancien, "meiromaï", veut dire "obtenir en
partage". En anglais, par contre, la notion de "mérite" a plus évolué que son homologue français, et
se décline sous deux formes, à savoir "merit" et "desert". "Merit" désigne des qualités permettant
d'attribuer une récompense. Ce mérite désigne un mérite moral, mais pas uniquement. C'est à dire
que cette notion peut exprimer un mérite qu'une personne ne mérite moralement pas , mais pour
lequel elle a droit d'être récompensé, ce sont les mérites dus par principe. Par exemple une personne
qui a un haut niveau d'étude mérite un haut salaire de par son rang de diplôme. Ce mérite peut aussi
être associé au mérite rétributif vu ci-dessus. "Desert" quant à lui, désigne une action volontaire, de
l'ordre de l'effort consenti. On mérite ce qu'on a fait volontairement . Il y a ici une notion de but,
proche de la mise en application de la vertu, dont le processus est récompensé non de par sa valeur
potentiellement rétributrice car reconnue comme telle, mais de par sa valeur ajoutée, supplémentaire
par rapport au but initial. Prenons comme exemple un individu qui écrit une thèse (processus) dans
un but désintéressé. Celui-ci méritera ("desert") parce que cette thèse a de la valeur ajoutée par
rapport à son but initial, comme le fait de servir de source pour une autre thèse par exemple.
10 Il pourrait être avantageux de dire qu'une prime ou un bonus exceptionnel est moralement mérité, alors qu'il ne s'agit
souvent que de la conséquence d'un contrat rempli, que d'un mérite rétributif. Cela tient plus du jeu des finances où
il y a motivation des dirigeants exceptionnels par des salaires exceptionnels.
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2.1.2 "Qui" mérite pour avoir fait ce "quelque chose" ?
Nous avons défini jusqu'ici ce "quelque chose" qui apporte du mérite. Que ce soit pour le
mérite rétributif, le mérite moral, ou encore les deux traductions en anglais du mérite, "desert" et
"merit", il y a un "qui" qui est méritant, à qui est rétribué le mérite. Nous l'appellerons ici l'agent.
Cet agent doit, pour être méritant, faire ou être de par son action ce "quelque chose", et doit
donc déployer, mettre en œuvre des capacités (physiques, morales, vertu, ...) dans un contexte défini
(travail, relations humaines, musique, ...). L'agent qui ne met pas en action ses capacités n'a pas de
mérite, de même que si il met ses capacités en action dans un contexte inapproprié. Prenons
l'exemple d'un élève pour qui tout réussit. Si celui-ci a des capacités qui lui permettent d'être
premier de classe, son mérite est proportionnel à la mise en action de celles-ci. Si cet élève à de
grandes capacités, mais qu'il en fait un usage restreint, il aura moins de mérite qu'un autre élève aux
capacités restreintes qui en fait plein usage. Cet exemple de la proportionnalité de la mise en action
des capacités est directement lié au mérite, et il est important de considérer le fait qu'il n'y a aucun
lien entre le mérite et le résultat de ces deux élèves. Cet exemple soulève une problématique car les
plus récompensés dans le milieu scolaire sont souvent les élèves qui ont les meilleurs résultats. En
découle alors une sorte de frustration de l'élève aux capacités plus restreintes, mais nous y
reviendrons plus tard.
Pour décrire cette mise en action de l'agent qui le rend méritant, nous parlons de
l'"agentivité"11
, cet effort que l'agent met dans son action. Il est important de préciser que
l'"agentivité" , soit les capacités que l'agent se doit de mobiliser, doit être autonome, sous-tendue
d'une certaine liberté.
2.2 Le mérite, la chance, l'égalité, la liberté et la justice.
2.2.1 La liberté.
Pour qu'il y ait mérite, l'agent doit être libre de son action, il doit "y être pour quelque chose".
Le facteur "chance" et le facteur "détermination" viennent biaiser le mérite qui revient à l'agent
(rappelons-nous l'exemple des deux élèves au point précédent). De même, un agent forcé à mettre
en action son agentivité, à agir parce qu'il n'y a pas le choix ou parce qu'il le faut, n'a pas de mérite à
avoir déployé son action. L'exemple du travailleur social est ici intéressant. En effet, on ne peut pas
dire qu'un travailleur social a du mérite à sortir une personne du besoin dans le cadre de sa
profession, car cela fait partie de ses fonctions, de ce qu'il doit faire. Au contraire, une personne qui
11 "Agency" en anglais, concept souvent utilisé par Amartya Sen, en lien avec le concept de "capability" (capabilité)
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déploie la même action aura du mérite, car il avait le choix, le liberté de poser l'action ou non. En
effet, le travailleur social a reçu une formation qui lui permet de domestiquer ces capacités
humaines pour les mettre en action d'une façon proche de l'objectivité face à une situation de
demande d'un bénéficiaire, tandis qu'un individu non-travailleur social n'aura pas ce
professionnalisme, ce qui en fait un individu à l'agentivité, dans ce contexte d'aide, plus méritante
de par l'importance de l'effort fourni. Prenons encore l'exemple d'une personne sauvant un enfant de
la noyade. Avait-il le choix de faire son action ? Et si il ne l'avait pas fait, aurait-il démérité ? Ces
questions amènent la notion de justice dans l'acte de l'agent, mais nous y reviendrons plus tard.
Comme on l'a vu, la notion de volonté est prégnante à l'agentivité apportant du mérite à l'agent.
Cette notion de volonté sera plus travaillée et éprouvée dans le point 2.3 concernant les approches
philosophiques de la liberté, de la volonté libre, et des incompatibilités entre mérite et liberté
restreinte.
2.2.2 La chance.
Un agent ayant réalisé une action par chance, par hasard, n'est pas méritant. Il aurait très bien
pu se trouver au bon endroit, au bon moment, et le fait qu'il y soit ne lui apporte pas de mérite. Le
slogan de l'Euromillion, "Devenez scandaleusement riche" est un exemple tout particulièrement
bien choisi pour exprimer cela. La chance que l'individu aura si il gagne à l'Euromillion sera
scandaleusement différente du mérite qu'il aura d'avoir gagné. Que dire alors des personnes qui
gagnent un salaire annuel proche des gains de l'Euromillion... En fait, être chanceux n'apporte pas
d'autre mérite que le fait même d'être chanceux.
2.2.3 L'égalité.
Comme le dit Hegel : " En ce qui concerne l'égalité d'abords, la proposition familière que tout
les hommes sont par nature égaux est erronée en ce qu'elle confond le naturel avec le concept. Elle
devrait plutôt se formuler : "par nature les hommes sont seulement inégaux". Mais le concept de la
liberté, en tant que tel, sans autre spécification ni développement, est celui de la subjectivité
abstraite comme personne capable de propriété. Ce seul trait abstrait de la personnalité constitue
l'égalité réelle des êtres humains."12
Pour Hegel, l'égalité se traduit par la capacité qu'a l'agent en
tant qu'individu de posséder des caractéristiques propres, et constitue le concept de liberté en tant
que tel. Dit autrement, la liberté pour chaque individu de posséder des caractéristiques propres fait
égalité entre les hommes. A part cela, l'égalité ou l'inégalité ne peut être abordée que par un aspect
12 HEGEL G. W. F., Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, 1830, §539
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égal ou inégal de celle-ci. Par exemple, je suis inégal à un autre car je suis plus fort (inégalité). Je
n'aborde donc que l'inégalité que j'ai par rapport à un autre d'être inégal en force. Nous sommes
donc inégaux car il y a un aspect de force qui n'est pas égal entre nous. Il parait compliqué et fort
complexe de comparer deux personnes sur l'ensemble de leur aspects individuels (les
caractéristiques propres désignées par Hegel), et de déterminer par la suite si elles sont égales ou
non. Il faudra préférer l'aspect, économique, l'aspect physique, l'aspect moral, ... et la liste est
longue.
Nous distinguerons, grâce à la définition d'égalité d'Hegel, 2 méthodologies de la mise en
pratique de l'égalité, à savoir l'égalité numérique et l'égalité proportionnelle, déjà identifiées par
Aristote en son temps.13
2.2.3.1 L'égalité numérique.
L'égalité numérique n'opère que d'une division mathématique de l'aspect entre le nombre total
d'individus. Elle considère tous les hommes comme égaux entre eux de par un critère unique. Cette
égalité ne prend pas en compte les fluctuations des différents mérites individuels, et les nie. La
commune humanité est un des aspects qui peut être primé, mais nous pouvons imaginer d'autres
aspects référents du partage égalitaire numérique tel que "tout les enfants", "tout les fumeurs",
"toutes les femmes", ...
Il est tout de même possible de mettre en lien l'égalité numérique et le mérite. En effet, si on
part du principe que les hommes sont égaux selon le principe d'Hegel et que le seul aspect de la
commune humanité des agents est prise en compte , alors on peut également inter-changer leur
mérite d'être êtres humains, ce qui amènerait à retirer au mérite sa caractéristique individuelle
propre à chaque individu, et à le conceptualiser en terme de mérite d'être être humain, mérite, en
soi, collectif. Cependant, ce n'est pas, comme dit plus haut, le propos pour ce travail.
2.2.3.2 L'égalité proportionnelle.
L'égalité proportionnelle donne une part plus importante au mérite des agents. Elle prend en
compte plusieurs facteurs à la redistribution proportionnelle des mérites. En fait, on peut dire que
l'égalité proportionnelle est l'addition de plusieurs égalités numériques telles que "tout les hommes,
de moins de 65 ans, fumeurs, mariés, ...
Cette égalité proportionnelle, multifactorielle, permet la différence entre les agents, l'inégalité.
13 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, V-3, 1130b sq.
Page 13 sur 37
Le mérite est alors attribué sous la condition de caractéristiques individuelles, par rapport à une
norme de référence instituant la proportionnalité du mérite, entre méritant et mérité. L'égalité
proportionnelle doit donc se comprendre comme étant un concept d'égalité prenant en compte la
différence des agents, et tend, par des mécanismes inégaux proportionnels aux différences par
rapport à la norme, à rétablir une égalité proportionnellement au mérite de l'action déployée par
l'individu, au bénéfice de celui-ci. Pour parler simplement, l'égalité proportionnelle promeut le
mérite proportionnellement aux différences à la norme de référence par rapport aux différents
aspects pris en comptes. Néanmoins, comme le rappel Vlastos : "Il est essentiel de ne pas prendre
l'être humain comme un simple réceptacle à qualité, besoins, etc... Mais il est important de le
considérer en tant que tel, et non en tant que porteur de telle ou telle particularité méritante."
L'égalité proportionnelle est également un paradoxe dans un sens car elle est créatrice
d'inégalités pour une égalité de principe. L'égalité n'est plus là pour redistribuer les mérites de la
façon la plus égalitaire possible, mais pour apporter une nuance de justice entre les individus.
2.2.4 La justice.
J'ai choisi de décrire la notion de justice au travers de la définition qu'en fait John Rawls. En
effet, malgré quelques failles, je trouve que sa définition permet bien de se rendre compte des
enjeux que présuppose la mise en application d'une justice.
John Rawls nous dit que le principe de toute société se partage entre le conflit et la
communauté d'intérêts. Conflit car il faut répartir les bénéfices de la communauté, et communauté
d'intérêts car une société est la mise en commun d'intérêts individuels communs. Ces deux éléments
forment ce qu'on appelle le vivre ensemble. Ce conflit est un accord sur les principes et les aspects
de la répartition des bénéfices de la communauté. Selon le principe de l'égalité proportionnelle et de
l'égalité numérique, Rawls nous dit : "[Ces principes] doivent identifier les ressemblances et les
différences entre les personnes permettant la détermination des droits et des devoirs, et ils précisent
la répartition adéquate des avantages."14
Il faut donc identifier les ressemblances et les différences
entre les individus pour pouvoir déterminer les droits, les devoirs et la répartition adéquate des
avantages. Nous voyons ici que c'est d'égalité proportionnelle dont il est question.
Pour que la justice sociale fonctionne, Rawls nous dit qu'il faut que les agents soient
désintéressés, qu'ils ne connaissent pas les intérêts des autres, et qu'ils ne puissent pas connaitre à
l'avance leur rang social, leur qualité, leur statut, ... Bref, tout ce qui pourrait amener à faire une
distinction avec l'autre. C'est ce qu'il appel le "voile d'ignorance", l'impossibilité de connaitre les
14 RAWLS J., A theory of justice, Oxford, OUP, 1971
Page 14 sur 37
aspirations des autres, et "position originelle" le fait de ne pouvoir connaitre à l'avance ses propres
caractéristiques. De cette façon, il n'est pas possible pour les agents de biaiser leurs caractéristiques
propres pour être plus avantagés que les autres et pour ne pas peser un poids trop conséquent sur le
conflit devant répondre de la justice sociale.
Rawls présente deux principes de justice :
1. "En premier lieu, chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de
libertés de bases égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres.
2. En second lieu, les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce
que, à la fois
◦ l'on puisse raisonnablement s'attendre à ce qu'elles soient à l'avantage de chacun et
◦ qu'elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous."
Il est important d'avoir en tête que l'ordre (du premier au second principe) a de l'importance.
C'est bien le système de libertés de bases (compatible avec le même système pour les autres)
qui est mit en avant (sous-entendu les libertés politiques telles que le droit de vote, occuper un poste
public, mais aussi la liberté d'expression, de réunion, de pensée, de conscience, et le droit à la
propriété)15
Le second principe vient après et seulement après le premier principe, et nous dit que la
répartition des bénéfices de la communauté doit être à l'avantage de chacun, et que chacun puisse
être bénéficiaire de ces bénéfices.
Le fait qu'il y ait un ordre entre ces deux principes nous dit qu'il n'est pas possible de
concevoir la redistribution si il n'y a pas un droit égal aux libertés de base, "des atteintes aux
libertés de bases égales pour tous qui sont protégées par le premier principe ne peuvent être
justifiées ou compensées par des avantages sociaux ou économiques plus grands."16
Il est surtout
important de préciser que ces libertés de bases égales pour tous ne peuvent en aucun cas être
achetées.
Les 2 principes de Rawls se basent sur le fait que chaque agent ne s'intéresse qu'a sa situation
sans tenir compte de la situation des autres, hors tout le monde n'est pas raisonnable et n'est pas
désintéressé, tout le monde n'est pas sous un voile d'ignorance. Il y a toujours des comparaisons, des
15 MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009
16 RAWLS J., A theory of justice, Oxford, OUP, 1971
Page 15 sur 37
envies qui font qu'une justice sociale à la Rawls dans son principe, bien que attractive, ne peut être
mise en place. C'est là la faille de son système, faille qui n'est possible que de par l'aspect intéressé
de l'être humain.
Plusieurs économistes, sociologues et autres17
se sont penchés sur la question de la justice, il
existe donc une multitude de théories sur la façon la plus juste de redistribuer les ressources, et
l'explication de Rawls en est une.
La justice se base en grande partie sur le mérite pour être opérante et avoir un sens. La
définition du mérite est alors au cœur de la justice et ne pas considérer le mérite de la façon la plus
juste viendrait rendre bancale toute idée de justice sociale.
2.3 Quand le mérite perd de son sens.
2.3.1 Le fatalisme.
La question du fatalisme vient contrer la notion de mérite pour lui enlever toute substance. En
effet, liberté de choix et volonté ne font pas le poids contre la fatalité. Le destin, que se soit par
l'intermédiaire de Dieu ou de la nature, rend toute délibération vide de volonté propre à l'agent, vide
de sa liberté à déployer son agentivité. Vient alors le temps de la chance et du hasard qui viendrait
rééquilibrer ce fatalisme prégnant. Cette notion de fatalisme peut paraitre obsolète, liée à des
philosophies stoïciennes oubliées, mais Bourdieu et Passeron nous parlent de déterminisme social,
qui pousserait à croire que les agents sont à l'origine classés socialement et ne peuvent sortir de
cette fatalité. Les loteries, et jeux de hasard en tout genre font écho à ce fatalisme, et on peut
observer nombre de personnes investissant dans ce facteur chance, sensé palier à l'aspect fataliste de
leur situation. Les horoscopes sont également un bon moyen de palier à ce fatalisme. En effet,
combien d'entre nous lisent ces horoscopes en souhaitant qu'ils se réalisent ou pas en fonction de
"l'avenir qu'ils nous réservent".
La fatalité retire tout mérite à l'action de l'agent car il n'y a pas de notion d'agentivité, de
volonté et de liberté.
2.3.2 Le déterminisme causal.
Cette approche du déterminisme, de la fatalité, laisse plus de place à l'agentivité sans pour
autant la permettre totalement. Le déterminisme causal propose une lecture de la liberté à l'agent
17 Citons par exemple Saint Thomas d'Aquin, Smith A. ou encore BenthamJ. .
Page 16 sur 37
comme étant la possibilité de peser sur une action qui intervient dans un contexte causal déterminé.
Yves Michaud nous dit : "Il y a un déterminisme causal complexe au sein duquel nous sommes en
partie des causes"18
. Un exemple : A a faim, donc A mange donc une pomme. Le déterminisme
causal a poussé A à manger une pomme pour cause de faim. Mais le fait que A ait eu faim est
prédéterminé par le fait que A a besoin de se nourrir. Nous pouvons donc dire que A a faim, donc A
mange une pomme parce que A a besoin de manger. Le fait que A ait eu faim n'eut été possible que
par le fait que A a besoin de se nourrir, d'où le fait qu'il ait manger une pomme. Il y a donc un
déterminisme causal complexe (A a faim pour des raisons causales complexes donc il mange une
pomme) au sein duquel nous sommes en partie des causes (Tout ça parce qu'il a besoin de se
nourrir). Tout ça pour dire qu'il faut savoir si l'agent est responsable ou pas, si il est libre ou pas, de
son agentivité, de son action pour être méritant. Est-il acteur de ce déterminisme causal ou est-il
passif ?
2.3.3 Le compatibilisme.
Ici, c'est une approche de la liberté qui rend compatibles la volonté / liberté et le déterminisme
causal. Ce ne sont que les circonstances, le contexte qui est déterminé, et l'action est libre d'être
faite ou non. C'est la notion de choix par excellence, de la volonté pure pour l'agent où celui-ci fait
le choix de son agentivité de par son propre chef. Je renverrais le lecteur à l'ouvrage19
de Kant
traitant de la liberté absolue qu'il renvoi, lui, au domaine nouménal (domaine où la cause n'existe
pas), domaine que je n'aborderais pas dans ce T.F.E. pour la simple et bonne raison qu'il ne permet
pas l'explication du mérite comme je l'ai défini, notion faisant partie du domaine phénoménal. Quoi
qu'il en soit, une liberté absolue dans le domaine phénoménal rend l'action sans causes et annihile
donc tout mérite. C'est l'exemple d'une personne désintéressée. L'action qu'elle posera n'appellera
aucun mérite car cette action et le mérite sont sur des champs sémantiques de valeurs différents.
2.4 Le mérite.
Nous avons donc vu que le mérite est une notion "épaisse", qui met en lien un individu, un
agent, avec "quelque chose".
Ce "quelque chose", dans le cas du mérite rétributif, apporte une récompense directement
proportionnelle au mérite qu'a eu l'individu à faire ce "quelque chose". Dans le cas du mérite moral,
ce n'est pas la récompense qui est méritée, c'est l'acte en lui-même, voir la vertu mise en action par
18 MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009
19 KANT E., Critique de la raison pure, 1781
Page 17 sur 37
l'individu, qui est méritée. Faute d'un vocabulaire assez riche, ces deux notions se confondent dans
le discours, d'où certaines fautes de logique. L'anglais propose, lui, deux sens au mot mérite sous les
mots "merit" et "desert". "Merit" est utilisé pour désigner des qualités mises en action et amenant
récompense. C'est plus une notion basée le droit à la récompense. "Desert", lui, désigne l'action
volontaire déployant de l'effort.
L'agent, lui, est cet individu qui doit déployer des capacités dans un contexte défini. Son
mérite doit être agencé autour des notions d'égalité, de liberté, de justice et de chance. La notion de
liberté est nécessaire pour qu'il y ait mérite. Bien que la liberté absolue ne soit envisageable, le
déterminisme causal permet à l'agent d'exercer son agentivité dans un contexte de liberté restreinte
qui permet néanmoins la volonté de l'acte, le rendant méritant pour l'agent. La notion de chance fait
en sorte qu'il n'est pas possible pour l'agent de retirer du mérite de son action car celle-ci n'a pas été
déployée dans le but d'obtenir le résultat atteint. On peut juste dire alors que l'agent a le mérite
d'être chanceux. La notion d'égalité entre les individus est la liberté de posséder des caractéristiques
propres. Là où une égalité numérique ne laisse pas de place au mérite individualisé, l'égalité
proportionnelle vient récompenser le mérite d'une façon équitable puisque proportionnelle aux
différences par rapport à la norme. Enfin, la notion de justice tente de justifier le mérite et de le
rendre juste pour tous.
Page 18 sur 37
3 La méritocratie, l'idéologie dominante d'un monde juste pour nos
sociétés occidentales.
Nous avons vu dans le chapitre précédent la notion de mérite ainsi que les différentes notions
qu'il est préférable de lier avec le mérite pour en percevoir l'aspect "épais" et ainsi le définir plus en
profondeur. Maintenant que cela est fait, je vais à présent déployer la notion de mérite hors du
concept pour la mettre en application et l'éprouver dans nos sociétés occidentales.
La méritocratie est un terme inventé par Michaël Young en 1958 et mis en lumière dans une
sociologie-fiction intitulée The rise of the Meritocracy20
. Ce livre nous présente une société où le
mérite est poussé à son terme, c'est à dire que les positions sociales sont uniquement légitimées par
le talent et l'effort de chacun. Cette société est donc très favorable aux "méritants", mais est un vrai
enfer pour les "non-méritants", se voyant reclus au plus basses strates sociales. Dans le passé, avant
que la hiérarchisation par le mérite de cette société ne soit proclamée, celle-ci fonctionnait sous
deux principes, le mérite et la naissance. Paradoxalement à l'évolution de l'idéologie dominante de
cette société, la société antérieure était plus facile à vivre pour tous, car elle permettait une
consolation pour les personnes qui échouaient et une affirmation de position pour les personnes qui
réussissaient. En effet, il est plus soutenable de rejeter la responsabilité des origines sociales à la
naissance vis-à-vis du rang social que l'on occupe, et de se dire qu'on aurait pu, de par ses capacités,
arriver à un rang social supérieur. De même, une personne qui se situe dans les rangs sociaux
supérieurs peut légitimer sa réussite de par ses talent plutôt que de par son origine sociale.
Il est un fait indéniable que le mérite est l'idéologie dominante de nos sociétés occidentales, et
ce pour plusieurs raisons. Je vais dans ce chapitre en expliquer deux. La première est l'Erreur
fondamentale d'attribution, qui stipule que les populations occidentales sont dans un modèle de
pensée principalement individualiste, et la deuxième concerne l'école et son caractère de promotion
du mérite et d'intégration des normes de la société.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que la notion de justice et la notion de mérite sont
très fortement liées, et cela est d'autant plus vrai pour le concept de méritocratie. Si la justice est
basée sur le mérite, et que celui-ci est juste, la méritocratie est une base de justesse et de justice, et
est donc juste. Ce simple petit raisonnement va être transversal à tout ce chapitre en ce sens que
l'idéologie méritocratique se veut légitime de par le fait même que la justice par le mérite parait
20 YOUNG M., The rise of the Meritocracy, 1958
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juste. Cependant, il est ici un paradoxe qu'il faut soulever21
, à savoir que la fiction de Young parle
d'une société méritocratique poussée à terme, et donc régie par cette justice basée sur le mérite juste
et que cette société est caractérisée par l'auteur comme ayant une cohésion sociale menacée. A ce
point, il faut rajouter que la méritocratie semble être la norme souhaitable pour nos sociétés
occidentales, et donc celle qui propose une cohésion sociale stable. Paradoxe ! Encore faut-il
démontrer que cette norme est bien celle en action dans nos sociétés, ce à quoi je vais m'atteler
maintenant.
3.1 L'Erreur fondamentale d'attribution.
Pour Heider22
, l'Erreur fondamentale d'attribution est considérée comme le fait qu'un individu
ait recours plus systématiquement aux explications internes qu'aux explications externes pour
expliquer ce qu'il observe. C'est autour de cette définition que le raisonnement va se construire.
Cet énoncé exprime déjà le fait qu'il y a des individus qui interprètent plus les évènements
qu'ils observent comme étant la résultante des effets du contexte sur l'objet (externe), et qu'il y a des
individus qui interprètent plus les évènements comme étant la résultante des effets propres à l'objet
(interne). Pour parler plus clairement, Heider fait ici une différence entre les individus qui accordent
la responsabilité d'une conséquence d'un acte aux éléments de contexte comme l'entourage, la
famille, le temps, l'espace, la météo, etc... (externes) et les individus qui accordent la responsabilité
d'une même conséquence à la personne sur qui s'applique les conséquences de l'acte. Nous avons ici
un comportement plus stigmatisant du point de vue interne que du point de vue externe, et l'étude de
Heider prouve que les personnes au comportement interne sont plus orientées vers le libéralisme
économique et la promotion des valeurs comme l'individualité, la liberté, etc...
3.1.1 3 raisons psychosociales à l'Erreur fondamentale d'attribution.23
3.1.1.1 L'interprétation d'ordre cognitif.
Lorsqu'un individu doit juger d'une situation qu'il observe, il se passe un mécanisme
complexe au niveau de son système cérébral qui lui indique toute une série d'informations sur la
situation. Suite à cela, l'individu dispose d'informations brutes qu'il va filtrer au travers de différents
21 TENRET E., Les étudiants et le mérite : A quoi bon être diplomé ?, Etudes & recherche, La documentation
Française, 2011
22 HEIDER F., The Psychology of Interpersonal Relations, 1958
23 Heider F., The Psychology of Interpersonal Relations, 1958
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filtres que sont les représentations sociales. Seulement après ce procédé, l'individu va pouvoir
émettre un avis, un jugement. Ce jugement sera fait, non pas (en tout cas en pas en premier temps)
sur l'identité même de la personne dans la situation observée par notre individu, mais bien sur les
causes qui permettent à une telle situation d'exister.
Voici donc les différentes étapes avant le jugement des causes. La façon dont la personne
jugera les causes indiquera si elle adopte plus un comportement externe ou un comportement
interne.
Heider nous dit qu'il est plus facile pour les individus d'adopter un comportement interne ( les
causes de la situation proviennent de la personne) car cela nécessite moins de ressources cérébrales.
Adopter un comportement externe (les causes de la situation proviennent de l'extérieur de la
personne) demande donc de mobiliser plus de ressources cérébrales. Nous pouvons donc d'ors et
déjà avancer que le comportement stigmatisant, désigner une personne comme unique cause d'une
situation, est un raisonnement qui ne mobilise pas autant de ressources qu'une explication causale
contextuelle.24
3.1.1.2 L'interprétation d'ordre motivationnelle.
L'interprétation d'ordre motivationnelle donne l'impression à l'individu de contrôler son
environnement. Si les individus pensent contrôler leur environnement, ils pensent donc avoir un
impact direct sur celui-ci, ce qui implique que le résultat des actions qu'ils posent sur leur
environnement est forcément juste, d'une justesse frôlant la vérité scientifique tel que la fameuse
troisième loi de Newton "action-réaction" puisqu'ils pensent contrôler tout les éléments de leur
environnement. Nous pouvons résumer cela en disant que l'interprétation d'ordre motivationnelle
donne l'impression à l'individu qu'il obtient ce qu'il mérite de par son action, vu qu'il contrôle son
environnement.
Ce mérite qui est la conséquence de l'impression de contrôle de l'environnement des individus
apporte une cohérence aux actions qu'entreprennent ces individus et aux efforts qu'ils font, qui
seront justement récompensés. Tout cela participe à alimenter la croyance en un monde juste.
Cette croyance est confortée quotidiennement par les différents médias qui apportent toujours
le même message, celui d'une cohérence bien ficelée où les valeurs justes et méritantes sont
toujours les mêmes. Prenons comme exemples les contes qui nous disent qu'il faut être beau et riche
24 Sauf si, bien sure, la stigmatisation s'avère justifiée parce que la personne est effectivement l'unique cause de la
situation dans laquelle elle se trouve.
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pour trouver et mériter l'amour, les paraboles qui font l'apologie des vertus du sacrifice expiatoire
pour mériter sa place au paradis ou encore les films traditionnels américains avec leur "happy
ending" qui nous rappellent que si on a une bonne cause, une cause méritante, qu'importe les
moyens utilisés, ce qui compte c'est le résultat. Tout ces exemples contribuent à renforcer la
croyance des individus en un monde juste.
De cette façon, les individus peuvent se dire que chacun obtient ce qu'il mérite, ce qui est bien
sur une erreur, car la démonstration ne marche que si, et seulement si, l'individu contrôle son
environnement. Or, notre environnement est composé de tellement de variables sur lesquels nous
n'avons pas de contrôle que le raisonnement est erroné. La preuve en est les inégalités par rapport
au mérite dûs aux éléments de notre environnement dont nous n'avons pas le contrôle total, comme
par exemple le chômage de masse auquel nous somme confrontés maintenant, les inégalités Nord-
Sud, les accidents naturels, etc... Elise Tenret utilise le terme de "Fiction nécessaire" pour
caractériser ce principe. Fiction car l'on obtient pas toujours ce qu'on mérite, et nécessaire car les
inégalités sont là, et qui voudrait d'une vie sans aucun contrôle, où le mérite ou la récompense du
mérite n'est pas proportionnel à l'effort fait, et où il faut vivre avec le poids des inégalités sur la
conscience.
Le principe d'interprétation d'ordre motivationnel parait une alternative positive à la réalité,
mais si elle promeut la récompense proportionnellement au mérite, cela marche aussi pour le
démérite. La personne qui est en échec scolaire, qui est au chômage, qui se retrouve célibataire
pourra avoir des difficultés à se dire qu'il est possible que ce ne soit pas de sa faute, qu'elle ne l'a pas
vraiment mérité. Et que dire également des personnes qui travaillent de façon importante et qui
continuent d'échouer...
Dans un système caractérisé par une dichotomie des positions sociales, à savoir dominant et
dominé25
, l'interprétation d'ordre motivationnelle est une bonne façon de maintenir la stabilité du
système. En effet, chaque individu estime mériter la position sociale dans laquelle il se trouve,
puisque le monde est juste et le mérite est proportionnel aux résultats, et les perdants du système
s'attribuent la faute de leur échec, les inégalités sociales peuvent alors perdurer à l'avantage des plus
nantis.
3.1.1.3 L'interprétation d'ordre social.
Cette interprétation, la troisième de l'Erreur fondamentale d'attribution, pousse l'individu à
s'appuyer sur la norme d'internalité, résultante directe de l'importance de l'individualisme dans nos
25 BOURDIEU et PASSERON
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sociétés occidentales26
. Cette interprétation d'ordre sociale peut se définir comme étant " la
valorisation socialement apprise des explications des évènements psychologiques qui accentuent le
poids de l'acteur comme facteur causal "27
. Le poids des raisons propres à la personne prime donc
dans l'interprétation des causes d'une situation dans nos sociétés occidentales, et est même valorisée
par l'individualisme ambiant et assumé.
De plus, les travaux de Bressoux et Pansu en 200328
viennent apporter des nuances quant au
type de personnes, au type de situation et de contexte où la norme d'internalité est le plus souvent
préférée.
Le premier travail prouve que les explications causales internes sont préférentiellement
choisies par les individus des groupes sociaux favorisés, ce qui veut dire aussi que les explications
causales externes sont préférentiellement choisies par les individus des groupes sociaux défavorisés.
Si on veut faire le lien avec la stigmatisation des personnes au chômage par exemple, on pourrait
donc dire que les personnes de groupes sociaux favorisés voient la situation d'une personne au
chômage comme résultant principalement du facteurs causal de l'acteur, et que cette même personne
au chômage choisisse plutôt de faire peser la responsabilité de sa situation sur des facteurs externes
à elle-même.
Le second travail prouve que les explications causales internes sont plus souvent choisies
lorsqu'il est demandé aux individus de donner une bonne image d'eux-mêmes, alors qu'à l'opposé,
les explications causales externes sont plus souvent choisies lorsqu'il faut se défendre d'une attaque
à la bonne image de soi auprès des autres. Lorsqu'un individu déploie un effort et que la résultante
de cet effort lui apporte du mérite, celui-ci va plutôt choisir d'expliquer cette résultante comme
conséquence de son propre fait, alors que si la résultante de l'effort déployé apporte à l'individu un
démérite, celui-ci va plutôt choisir d'expliquer cette résultante comme conséquence du fait d'autrui,
ou en tout cas va essayer de se décharger de la responsabilité personnelle. En soi, ce comportement
est logique car les conséquences du mérite (récompenses morales ou rétributives) n'ont rien a envier
aux conséquences du démérite (perte de reconnaissance vertueuse ou punition).
Enfin, le troisième travail prouve qu'il y a un apprentissage social de la norme d'internalité. En
effet, Bressoux et Pansu nous disent que plus les individus fréquentent des institutions de
26 Les travaux de MILER, en 1984, nous montrent que les américains, tout au long de leur vie, vont mobiliser de plus
en plus les explications internes alors que les Indiens vont mobiliser de plus en plus les explications externes.
27 DUBOIS N., La norme d’internalité et le libéralisme, Presses universitaires de Grenoble, 2009
28 BRESSOUX P. Et PANSU P., Quand les enseignants jugent leurs élèves, Presses universitaires française, 2003
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socialisation et plus ils ont tendance à utiliser les explications causales internes, ce qui ne vient pas
en contradiction avec le fait que nos sociétés occidentales sont de plus en plus individualistes. Si
l'individualisme est une valeur ancrée dans la représentation que nous avons du lien social, il est
logique que les institutions de socialisation poussent les gens à se rencontrer et à intégrer
l'individualisme comme idéologie du rapport à l'autre, lors du rapport à l'autre, et ce de même pour
les comportements d'explications causales internes. Prenons par exemple l'école, institution de
socialisation par excellence. Celle-ci a comme rôle de faire intégrer les normes sociales de la société
dans laquelle elle fait institution29
. L'individualisme est une valeur de notre société, il est donc
normal que l'école soit le reflet de celle-ci et inculque aux enfant cette valeur.30
L'interprétation d'ordre sociale, l'interprétation d'ordre motivationnelle et l'interprétation
d'ordre cognitive identifiée comme explications de l'Erreur fondamentale d'attribution dégagée par
Heider, complétée par les trois travaux de Bressoux et Pansu, nous permet de dire que le recours
aux explications internes est bien une norme des sociétés libérales. Le mérite serait donc la norme
d'un monde juste qui explique le mérite des situations d'échec ou de réussite de soi, et d'échec ou de
réussite des autres (interprétation d'ordre motivationnelle), ce qui est valorisé socialement par
l'individualisme ambiant (interprétation d'ordre sociale et troisème travail de Bressouc et Pansu).
Tout ces éléments encouragent les individus à penser que chacun mérite sa place, et qu'il faut
adopter une posture méritocratique pour être juste.
La méritocratie se justifie donc en se disant juste, mais n'oublions pas que ce qui la justifie se
base sur une erreur de jugement, sur des comportements instinctifs erronés dû à l'Erreur
fondamentale d'attribution. Cette légitimation du système en place, inégal, et confrontant une classe
sociale dominante à une classe sociale dominée, trouve alors son sens et justifie même les
inégalités, comme dans l'ouvrage de fiction-sociologie de Young, sauf que celui-ci voit ce genre de
société tellement inconvenue pour une cohésion sociale saine et juste qu'il la tourne en boutade.
Plus que de la légitimer, il est important pour une société inégale de faire intérioriser aux
individus la constituant cette légitimité, pour ne pas perturber l'ordre social établit. Weber résume
très bien ce point de vue en disant :"Coutume et intérêts ne peuvent, pas plus que des motifs
d'alliance strictement rationnels en valeur, établir les fondements sûrs d'une domination. Un
facteur décisif plus large s'y ajoute normalement : la croyance à la légitimité. [...] Toutes
29 DURKHEIM
30 Dans le point suivant, nous verront que l'école inculque également la notion du mérite, en lien directe avec
l'individualisme ambiant.
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dominations cherchent à éveiller et à entretenir la croyance en leur légitimité."31
La démonstration faite ici pourra, bien entendu, être discréditée en raison de son caractère
orienté vers une critique de la méritocratie, et il sera facile pour les garants de l'idéologie
méritocratique de réfuter ces critiques en faisant appel à l'épaisseur du concept de mérite.32
3.2 L'école comme institution sociale promotrice du mérite.
Nous avons vu au point précédant que l'école est une institution sociale où les enfants
intègrent les normes et les valeurs de la société. En effet, nous pouvons dire que l'école est le reflet
de la société dans laquelle elle fait institution. Dans ce point, je vais démontrer que l'école permet
de faire intégrer le concept de mérite aux élèves, et de cette façon fait perdurer la croyance en la
légitimité de l'ordre social établit. Je décrirais également certaines conséquences à cette intégration
du mérite à l'école.
Anne Barrère nous dit que l'école base son fonctionnement sur la norme d'équivalent travail33
,
c'est à dire que tout travail doit s'accompagner de récompense en terme de résultat. Nous retrouvons
ici la fameuse croyance du mérite citée plus haut, qui pousse à croire que tout travail mérite une
récompense proportionnelle au résultat atteint. Pourtant, le manque de travail est la raison qui
ressort le plus souvent lorsque des lycéens sont interrogés sur les différentes raisons de l'échec ou de
la réussite scolaire34
.
Anne Barrère développe ce qu'elle appelle " la dérégulation entre le travail et l'évaluation "35
en décrivant 4 typologies d'étudiants en fonction du lien travail / résultat. Ce développement a pour
but de démontrer que l'école promeut le mérite dans son fonctionnement pour faire intégrer et ainsi
légitimer le système méritocratique en place dans la société, et également de montrer les dérives
d'un tel fonctionnement, pour qu'il soit possible de faire le lien entre le fonctionnement
méritocratique de l'école et le fonctionnement méritocratique de la société.
Les 4 typologies d'étudiants se divise en deux sous-groupes, le sous-groupe où il n'y a pas de
rupture dans la relation travail / résultat, c'est à dire que la dérégulation n'opère pas et que la
récompense en terme de résultat est bien la résultante du travail, et le sous-groupe inverse où il y a
31 WEBER M., Economie et société/1, Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, Pocket, 1995
32 SAVIDAN P., Repenser l'égalité des chances, Paris, Grasset, 2007
33 BARRERE A., Les lycéens au travail, Presses universitaires françaises, paris, 1997
34 Ibidem
35 BARRERE A., Les enseignants au travail, L’Harmattan, Paris, 2002
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rupture dans la relation travail/résultat, et que la dérégulation opère en venant casser cet élément de
justice que nous promettait le mérite, de façon erronée (de par l'interprétation d'ordre
motivationnelle).
3.2.1 Pas de dérégulation travail / résultat.
Le premier type d'étudiant est surnommé "le bosseur". C'est le type d'étudiant pour lequel la
méritocratie prend tout son sens de justice. "Le bosseur" fournit un travail qui lui demande des
efforts qui lui permettent de réussir. Ce type d'étudiant est reconnu par l'école comme méritant selon
la norme d'équivalent travail.
Le second type d'étudiant est surnommé "Le fumiste". C'est le type d'étudiant pour lequel la
méritocratie prend tout son intérêt. "Le fumiste" fournit peu de travail, ce qui ne lui demande pas
beaucoup d'efforts, et il ne réussit pas. Le lien entre travail et résultat est maintenu proportionnel,
régulé. "Le fumiste" est le réel garant idéologique du système méritocratique car, en plus de mériter
son résultat, il reste persuadé qu'il peut réussir si il se met à travailler. Anne Barrère précise
également que ce genre d'étudiant agirait de la sorte pour garder son amour propre. En effet, si "le
fumiste" se met à travailler, c'est à dire fournir un effort, déployer de l'énergie, et qu'il ne parvient
pas au résultat escompté, il tombera dans une impasse de la méritocratie, quand la notion épaisse du
mérite lui donne un sens auquel on adhère pas, le mérite en fonction du résultat ! Ses efforts ne
seront alors pas récompensés malgré leur pénibilité. L'élève ne pourra que s'en prendre à lui-même
car il l'aura mérité.
3.2.2 Dérégulation travail / résultat.
Le troisième type d'étudiant présenté par Anne Barrère est surnommé "Le touriste". C'est le
type d'étudiant pour lequel peu de travail et peu d'efforts sont nécessaire pour réussir.
Pour ce type d'étudiant, on peut encore voir deux sous-types de "touriste".
"Le touriste première classe" est l'héritier à la Bourdieu et Passeron. C'est le type d'étudiant
qui peut se permettre une attitude désinvolte, ne pas trop travailler et réussir en classe grâce à son
capital culturel et social.
"Le touriste seconde classe" est l'élève moyen qui vit sur ses acquis, c'est à dire qu'il n'a pas
un fort capital culturel ni un fort capital social, mais qu'il a des compétences et des savoirs suffisants
pour réussir sans devoir déployer trop d'efforts.
Le type "Toutiste" vient contrecarrer l'idéologie méritocratique car il ne mérite tout
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simplement pas sa réussite, vu qu'il n'y a pas de déploiement d'effort proportionnel au résultat de
celui-ci, et que l'agentivité est réduite, voir quasi-inexistante (si ce n'est pour compléter de réponses
les questions des évaluations). Il rend même la norme d'équivalent travail obsolète parce que ce
n'est pas le travail qui lui permet de réussir, mais son origine sociale. L'école, pour ce type d'élève,
est créatrice d'inégalité sociale, car elle permet la réussite, et donc le mérite en terme de résultat
pour un agent non-méritant.
Enfin, il y a le quatrième type d'étudiant qui est, lui, surnommé "Le forçat". C'est le type
d'étudiant qui vient également mettre à mal la méritocratie. Malgré le travail, l'effort qu'il mobilise
dans son action, "le forçat" ne parvient pas à réussir. Ici, pour ce type d'étudiant, l'école vient
transformer une action méritante en démérite, elle donne au "forçat" le message qu'il ne travaille pas
assez car il n'a pas réussi, qu'importe le travail et les efforts fournis, le résultat étant plus important.
La norme d'équivalent travail est, ici aussi, obsolète car il y a travail, mais pas de résultat positif en
découlant.
Ce qu'il est important de préciser, c'est que plus de 50 % des élèves interrogés par Anne
Barrière dans son étude se disent "forçat". Il y a donc une réflexion à construire sur ce chiffre
alarmant car si l'école est bien le reflet de la société en tant qu'institution sociale, cette
proportionnalité se traduit dans nos sociétés occidentales et créé une inégalité flagrante et
importante en terme de régulation action / résultat.
Il y a ici deux choix possible pour ce type d'étudiant. Se référer à la norme d'équivalent
travail, mérite en terme de résultat, qui n'est qu'une transposition de la norme de la société
méritocratique à l'école (interprétée comme juste), ou se référer au mérite en terme d'effort déployé.
Dans le premier cas, l'élève intégrera le fait qu'il n'est pas méritant de nature, car il ne parviendra
pas à la réussite, alors que d'autres oui. Ce choix fait violence à l'individu, et la résignation qui en
découle permet aux inégalités de perdurer sans risque d'ébranler la stabilité du système
méritocratique. Dans le second cas, l'élève rejettera la norme d'équivalent travail et le démérite de
ne pas avoir réussit, et perdra foi en la croyance que les efforts sont justement récompensés et
remettra en cause les titres délivrés par l'école. Néanmoins, le système prévoit ce genre de situation
et a mit en place une division des lieux d'éducation permettant aux "Forçats" d'être récupérés dans
des types d'enseignement où les efforts de travail demandés sont moindres. Cette hiérarchisation de
l'enseignement est aussi créatrice d'inégalités sociales, car elle permet la formation d'une élite
reprenant les "Touristes" et les "Bosseurs", et tend à maintenir une certaine reproduction sociale à la
Bourdieu, mais cette fois par l'intermédiaire de la notion de mérite en terme de résultat. Nous
assistons ici, en plus d'une certaine reproduction sociale due à la naissance une certaine
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reproduction sociale due au mérite.
Le système de valeurs de la société méritocratique est tellement présent dans la pensée
collective que les étudiants sont prêts à adapter leur attitude à leur résultats pour ne pas altérer leur
croyance en l'équivalent travail, alors qu'il paraitrait logique qu'une certaine désillusion de la
méritocratie opère auprès des étudiants. Anna Barrière remarque néanmoins qu'il y a plutôt un
d'effet de protection sans questionnement du sens du système. Elle explique cela en disant qu'il
existerait alors , ici encore de par l'épaisseur du concept de mérite, des représentations différentes de
la méritocratie en fonction de la position scolaire et sociale en faisant le parallèle avec la société
méritocratique, contrairement à l'idée d'une représentation uniforme suggérée par la théorie de la
norme d'internalité.
Nous avons donc pu voir que l'école tente de mettre le mérite au centre de son
fonctionnement, par la norme d'équivalent travail. Cette norme d'équivalent travail donne du mérite
au résultat plutôt qu'au déploiement d'un effort au travail. Ce mérite lié au résultat est la cause d'une
stigmatisation des élèves de type "Forçat" qui voient leur situation de démérite comme résultante de
leur manque de travail, alors que l'effort déployé pour le travail fournit est le même, voir plus
important que pour d'autres types d'élèves. L'école favorise donc des privilégiés de par leur origine
sociale ou de par leurs capacités supérieures (intelligence, capacité de compréhension, capacité de
synthèse, etc...), ce qui crée une inégalité sociale, une élite. La société méritocratique vient contrer
cet effet en subdivisant l'enseignement en plusieurs types pour regrouper les types d'élèves et les
enfermer un peu plus dans une position sociale déterminée.
Il est bien entendu à prendre en compte ici un autre rôle de l'école qui est son rôle de
formation. Nonobstant le fait qu'il faut tenir compte de l'intégrité psycho-sociale des élèves, l'école
dispense également un savoir qu'il est nécessaire d'intégrer, et il est nécessaire de définir une norme
d'intégration minimale qui définit elle-même les résultats à atteindre. Ceux-ci sont d'une certaine
façon catégorisant quant aux 4 typologies d'élèves, leur réussite et leur mérite.
Maintenant que j'ai conceptualisé et problématisé la notion épaisse de mérite, et que j'ai
déployé ce concept d'un point de vue sociétal en expliquant ce qu'est la méritocratie, pourquoi elle
est choisie comme idéologie dominante pour nos sociétés occidentales, et pourquoi elle perdure
grâce à l'école comme institution de socialisation, je vais à présent mettre en lumière le lien entre la
méritocratie et l'assistanat. Cette partie me permettra de faire un lien avec le travail social.
Page 28 sur 37
4 La méritocratie et l'assistance.
Les sociétés occidentales sont donc dans une idéologie sociétale méritocratique, mais pas au
point d'être comparable à la fiction sociologique de Young. En effet, ces sociétés prévoient une série
de mécanismes qui permettent aux personnes dans une situation socio-économique et/ou culturelle
désavantagée de combler le manque causé par la situation et ainsi de rééquilibrer les choses pour
améliorer l'égalité des chances des individus. Je ne vais pas parler dans ce chapitre de la façon dont
les ressources sont redistribuées spécifiquement en fonction des différents mécanismes d'aide, mais
bien de l'image du mérite que renvoie la société méritocratique sur les individus en procédure
d'assistance et les autres. Il aurait été très laborieux de dresser l'état des lieux de la redistribution des
richesses dans nos sociétés car chaque pays a son propre fonctionnement dans ce genre de matière.
De plus, l'aspect du mérite de l'assistance est un aspect qui peut être transposé à la lecture de
beaucoup de sociétés méritocratiques occidentales, ce qui le rend plus pertinent à définir.
La méritocratie légitime donc la place dans la hiérarchie sociale qu'ont les individus sous
couvert d'une assurance, l'égalité des chances, que l'on retrouve sous la forme, entre autres, de la
démocratisation de l'enseignement. Néanmoins, fort est de constater que cette égalité des chances
n'est pas sans failles, et que les phénomènes de reproduction sociale sont toujours d'actualité.
Pour combler ces lacunes, il existe l'aide sociale qui permet de servir de filet de récupération
pour les individus les moins favorisés. Cette aide sociale est à la base une assurance, une protection
sociale valable pour tous, mais avec le temps elle s'est transformée en assistance pour des cas
individuels.36
Cette modification de l'aide sociale est due à la montée de l'individualisme. Dans un
contexte d'aide sociale, ce n'est plus le collectif qui est redevable envers l'individu (compréhension
externe de la situation), mais l'individu qui est redevable envers le collectif (compréhension interne
de la situation). Ce changement a eu plusieurs conséquences néfastes pour les personnes bénéficiant
de l'aide sociale, et une de ces conséquences est qu'elles sont plus stigmatisées qu'avant.
Cette aide sociale ayant été créée avant la période de crise que nous connaissons (à partir de
1970), si il s'agit bien d'une période, n'avait pas prévu l'arrivée importante de chômeurs en son sein
dû à cette crise et à ces conséquences comme la politique d'austérité que nous subissons, les
fermetures d'usines, la saturation du marché de l'emploi pour certaines professions, ... Il y a donc
dans un premier temps reconnaissance de la responsabilité collective de la hausse du chômage, et
donc dichotomie du public bénéficiant de l'aide sociale entre les pauvres et les chômeurs. Le
36 BORGETTO M. Et LAFORE R., L'état providence, le droit social et la responsabilité, Lien social et politique, 46,
2001, p 31-42
Page 29 sur 37
chômeurs est alors perçu comme une conséquence accidentelle de la crise, alors que les pauvres
sont perçus comme responsables de leur situation, vu qu'ils étaient là avant la crise. Chômeurs et
pauvres se voient alors dirigés vers des aides différentes, le l'O.N.E.M. et le C.P.A.S.
L'aide sociale étant de plus en plus sollicitée, les politiques ont dû s'adapter en augmentant le
budget alloué à l'aide sociale et également mettre en marche une politique sociale ciblée pour avoir
réellement une gestion de la pauvreté et du chômage. De plus, si chacun mérite sa place, il est
important que l'État considère cela et mette en œuvre une politique sociale idéologiquement teintée
de mérite. Ces politiques sociales ciblées ont trois effets néfastes.
4.1.1 L'effet de seuil au sein d' un continuum.37
Cet effet est important à considérer car il est un des effets qui stimule la stigmatisation des
personnes en situation d'assistance. En effet, les politiques sociales ciblées vont déterminer un
certain nombre de caractéristiques socio-économiques qui vont permettre ou non de recevoir l'aide
sociale. Seulement, en déterminant des caractéristiques socio-économiques comme le revenu, cela
pose le problème du seuil au sein du continuum des salaires en ce qu'une personne gagnant 1 euro
de plus n'aura pas droit à l'aide sociale alors que sa situation est peut-être plus nécessitante, voir
plus méritante qu'une autre personne. Nous voyons ici apparaitre un comportement de délation
infondée des classes populaires défavorisées38
envers les personnes bénéficiant de l'aide sociale, et
cela est facilement compréhensible du fait que ces individus des classes populaires défavorisées
finissent par être dans une situation d'urgence plus importante que certains individus en situation
d'assistance. Nivolas Duvoux nous dit même que ce sentiment est d'autant plus fort que la proximité
est directe. Robert Castel nous dit également que : " C'est un mélange d'envie et de mépris qui joue
sur un différentiel de situation sociale et fixe la responsabilité du malheur que l'on subit sur les
catégories placées juste au-dessus ou juste au-dessous sur l'échelle sociale."39
4.1.2 Une image négative des personnes en situation d'assistance.
Le mérite au sein de l'aide sociale est difficile à définir. En effet, qu'est-ce que "mériter" une
37 DUVOUX N., Le nouvel age de la solidarité : Pauvreté, précarité et politiques publiques, Seuil, La république des
idées, 2012.
38 La notion de classe populaire défavorisée désigne l'ensemble des individus se trouvant entre la classe moyenne et la
pauvreté. (SCHWARTZ O., La Notion de "classes populaires", mémoire d'HDR, université de Versailles-Saint-
Quentin-en-Yvelines, 1997)
39 CASTEL R., L'insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ?, Paris, La république des idées / seuil, 2007, p51
Page 30 sur 37
aide sociale ? Et je dirais même, qu'est-ce que "mériter" une aide ? Rappelons encore une fois que la
notion de mérite est "épaisse" et peut être utilisée de diverses façons en fonction de son contexte.
L'État interprète ce mérite de différentes façons, que ce soit par les démarches d'insertion,
d'activation et de responsabilité de la personne en situation d'assistance. Cette personne se doit donc
de mettre tout en œuvre pour s'intégrer, s'activer et se responsabiliser pour mériter l'aide collective.
Seulement, il est important de rappeler que l'insertion est un objectif de l'aide sociale, et non un
préalable, une condition à l'obtention d'une aide sociale.40
L'idée de mérite renvoie donc, en fait, à
l'activation et la responsabilisation individuelle de la personne par rapport à sa situation. Seulement,
pour une multitude de causes diverses et variées internes et externes (perte d'un membre,
accoutumances diverses, maladies, ...), toutes les personnes en situation d'assistance n'ont pas les
mêmes ressources internes ou externes pour mettre en place, et de façon optimale, cette activation et
cette responsabilisation. En vient alors une stigmatisation des personnes ayant le moins de
ressources, et vues de l'extérieur comme des "profiteurs", comme des personnes bénéficiant d'une
aide comme d'un "privilège". Quelques mesures sont prises pour permettre aux personnes avec
moins de ressources de s'en sortir, mais certains mécanismes leur rendent la tâche encore plus ardue
que pour d'autres. 3 mécanismes41
sont ici à prendre en compte, et qui encouragent cette vision du
bon pauvre méritant et du mauvais pauvre non-méritant.
• Faire l'amalgame entre catégorie sociale et catégorie humaine, et lier l'infériorité de pouvoir
avec l'infériorité humaine42
• Justifier individuellement si un recour à l'aide collective est nécessaire ou pas.
• Qu'il n'y ait pas de conditions pour ceux qui ne peuvent "authentiquement" pas travailler, et
des conditions pour ceux que l'on soupçonne de pouvoir le faire.
De plus, la précarité engendre une certaine frustration des individus dans la société due au fait
que le système méritocratique est faillible et que cette faiblesse rend l'interprétation d'ordre
motivationnelle falsifiable et met en exergue le fait que le monde n'est pas juste, et que certaines
personnes n'ont, en effet, pas les mêmes ressources au départ, et que donc cette égalité des chances
nécessaire à une justice sociale au sein d'une méritocratie n'est pas opérationnelle. Il faut donc
40 DUVOUX N., Le nouvel age de la solidarité : Pauvreté, précarité et politiques publiques, Seuil, La république des
idées, 2012.
41 ELIAS N. Et SCOTSON J. L., logiques de l'exclusion. Enquête sociologique au coeur des problèmes d'une
communauté, Paris, Fayard, 1997 (1965), p 50
42 Il sera toujours important de rappeler qu'il n'y a pas de pauvres, il n'y a que de la pauvreté.
Page 31 sur 37
chercher l'erreur, car elle ne peut être structurelle (l'interprétation d'ordre social pousse à une
réflexion d'internalité). Définir un bouc émissaire calque parfaitement avec l'erreur fondamentale
d'attribution (et est donc littéralement une erreur) et la proportion minime de personnes "profitant"
du système d'aide collective renforce encore plus ce procédé de stigmatisation. Cette frustration est
perceptible et est perçue par les politiques qui renforcent encore plus ce processus de stigmatisation
pour trouver des responsables aux problèmes structurels. Malheureusement, ce genre de processus
généralise le sentiment que les personnes bénéficiant d'une aide en profitent comme d'un privilège,
alors que ce n'est le cas que pour une minorité d'entre elles. Il serait, selon moi, intéressant de
comparer la responsabilité des réels fraudeurs bénéficiant de l'aide sociale par rapport à la crise et la
responsabilité des fraudeurs auteurs d'actes comme l'évasion fiscale par rapport à cette même crise.
Les résultats obtenus mériteraient de se retrouver dans ce Travail de Fin d'Études, mais un tel
ouvrage n'existe pas (selon mes recherches). Il est, en théorie, possible de calquer l'erreur
fondamentale d'attribution sur des classes sociales favorisées au lieu des classes sociales les plus
pauvres, mais la méritocratie vient ici jouer un rôle régulateur, en ce qu'elle va confondre le mérite
rétributif et le mérite moral, et inciter la population à penser que la fraude fiscale est moins à
stigmatiser car elle découle d'actes méritant moralement (puisque bien payés, rétributifs), et que ces
actes s'inscrivent plus dans la pensée collective comme à valoriser. Rappelons que le mérite
rétributif est à dissocier du mérite moral, et que toute association des deux termes en un seul ne
serait qu'une erreur de logique. Rappelons également qu'il est moins fatigant d'imputer la faute à
l'unique responsabilité de l'agent, et que les individus faisant partie des classes sociales favorisées
sont plus enclin à penser les causes des situations comme internes.
Enfin, le vrai fraudeurs de l'aide sociale (et par extension, donc, une majorité de personnes en
situation d'assistance) sont également mal vu car ils vont à l'encontre d'une solidarité collective, et
dénigrent de cette façon l'effort collectif, et donc tout le pan d'aide sociale mis en place par le
système.43
4.1.3 Risque de dualisation de la société.
Un des risques des politiques sociales ciblées est le fait qu'il y a un risque que la société se
voit dualisée entre les bénéficiaires des aides sociales et les financeurs de l'aide sociale44
. Il est très
43 CHELLE E., Gouverner les pauvres : Politiques sociales et administration du mérite, Presses universitaires de
Rennes, 2012
44 DUVOUX N., Le nouvel age de la solidarité : Pauvreté, précarité et politiques publiques, Seuil, La république des
idées, 2012.
Page 32 sur 37
important de garder en tête que la question sociale n'est pas une addition de problématiques
personnelles, que le tout est plus que la somme des parties, et que c'est la question du vivre
ensemble dans un monde réellement juste qui doit être au centre de nos préoccupations. Une
politique sociale ciblée ne fait que pointer du doigt un aspect disfonctionnant du système, et cherche
à apporter une réponse à un aspect de la question sociale. Je pense que c'est en privilégiant une
protection sociale pour tous que les politiques sociales auront un impacte positif sur l'ensemble des
individus de la société et sur la question sociale
Il y a donc une faille dans l'idéologie méritocratique qui est que l'assistance mise en place
pour les personnes ayant droit est stigmatisante de par le fait qu'elle est ciblée. Ces personnes ont
une place méritée (et à mériter) que le système justifie et utilise à des fins symboliques de légitimité
de la méritocratie comme idéologie d'un monde juste. Hors, il ne l'est pas car il découle d'une
illusion, de croyances erronées.
Page 33 sur 37
5 Conclusion.
Nous avons donc analysé la stigmatisation des personnes en situation d'assistance qui ressort de la
faille de la société méritocratique, à savoir le fait de passer à côté de la question sociale en pensant
permettre aux individus d'être libre de leur destin par le biais de l'égalité des chances, alors que
celle-ci n'est pas opérante de par la mauvaise interprétation du concept de mérite par la société et les
politiques sociales. Cela a été possible grâce aux apports théoriques de la définition de mérite ainsi
que de ces composantes que sont la chance, l'égalité, la justice et la liberté en lien avec celui-ci, et
également grâce aux explications démontrant que le mérite est l'idéologie dominante de nos sociétés
occidentales, à cause du phénomène d'erreur fondamentale d'attribution et grâce au rôle important
qu'a l'école dans le processus d'intériorisation des normes de la méritocratie à savoir la norme
d'équivalent travail et le mérite en terme de résultat atteint.
Ce travail résulte en une lecture de la méritocratie que je trouve utile d'avoir en tête en tant que futur
assistant social. Je trouve qu'il faut pouvoir avoir une grille de lecture philosophique et sociale qui
propose une explication parmi d'autres des différentes interactions entre les individus en fonction du
contexte, et que le mérite est une notion centrale pour le moment. Avoir la notion de mérite en tête
devient dès lors un outil intéressant pour décrypter différentes situations auquel un assistant social
pourrait être confronté, tel qu'un sentiment de rejet profond de la part d'un bénéficiaire qui subirait
une stigmatisation de la part d'autrui, ou encore pouvoir être un agent de prévention auprès d'un
public qui ne serait pas forcément outillé correctement pour comprendre les enjeux d'un public plus
défavorisé et les conséquences qu'un jugement hâtif découlant sur une stigmatisation pourrait avoir
sur des individus, et sur le système lui-même.
D'un point de vue plus macroscopique, je trouve qu'il est de la responsabilité de chacun de
concevoir le monde dans lequel nous vivons, et de ne pas se laisser piéger par des mécanismes
simplistes qui détournent le bon sens pour asservir nos idéaux, par principe de facilité ou de profit
personnel. L'être humain est un être social, la question du vivre ensemble ne doit donc pas être
prise à la légère et doit être pensée et réfléchie jusqu'à terme, et ne pas se complaire dans un
semblant de justice facétieux, il en va de notre responsabilité à tous.
Page 34 sur 37
6 Remerciements.
Je tiens à remercier tout particulièrement mes grands parents pour m'avoir soutenu tout au
long de mes études à l'I.S.F.S.C., Valérie qui a supporté mes crises de nerfs quand le stress était trop
présent, Mr Dubois pour la liberté au niveau de l'avancement du processus d'écriture laissé à mes
soins, mes amis qui ont été conciliants par rapport au peu de temps que je leur ai consacré ces
derniers temps, ainsi qu'aux professeurs de l'I.S.F.S.C. sans qui je n'aurais pu prendre conscience de
tant de choses, et aux autres personnes que je n'aurais pas citées. (Ma famille, Jack, Garou,
Eloha, ...)
Page 35 sur 37
7 Bibliographie
• ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, V-3, 1130b sq.
• BARRERE A., Les enseignants au travail, L’Harmattan, Paris, 2002
• BARRERE A., Les lycéens au travail, Presses universitaires françaises, Paris, 1997
• BORGETTO M. Et LAFORE R., L'état providence, le droit social et la responsabilité, Lien
social et politique, 46, 2001, p 31-42
• BRESSOUS P. Et PANSU P., Quand les enseignants jugent leurs élèves, Presses
universitaires française, 2003
• CASTEL R., L'insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ?, Paris, La république des idées
/ seuil, 2007, p51
• DUBOIS N., La norme d’internalité et le libéralisme, Presses universitaires de Grenoble,
2009
• DUVOUX N., Le nouvel age de la solidarité : Pauvreté, précarité et politiques publiques,
Seuil, La république des idées, 2012.
• ELIAS N. Et SCOTSON J. L., logiques de l'exclusion. Enquête sociologique au cœur des
problèmes d'une communauté, Paris, Fayard, 1997 (1965), p 50
• GAUCHET M., La démocratie contre elle-même, Gallimard, 2002
• HEGEL, G. W. F., Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, 1830, §539
• HEIDER F., The Psychology of Interpersonal Relations, 1958
• http://www.littre.org/, site consulté le jeudi 17 avril 2014
• KANT E., Critique de la raison pure, 1781
• MERLE P., La démocratisation de l'enseignement, La Découverte, Collection repères, 2009
• MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009
• RAWLS J., A theory of justice, Oxford, OUP, 1971
• SAVIDAN P., Repenser l'égalité des chances, Paris, Grasset, 2007
• TENRET E., Les étudiants et le mérite : A quoi bon être diplomé ?, Études & recherche, La
Page 36 sur 37
documentation Française, 2011
• WEBER M., Economie et société/1, Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, Pocket,
1995
• YOUNG M., The rise of the Meritocracy, 1958
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Travail de Fin d'Etudes

  • 1. Ledent Julien 3 ème Assistant Social Travail de Fin d'Études : Comment la méritocratie anime-t-elle la société et quelles en sont les conséquences ? Le 22 mai 2014 Année académique 2013 - 2014 Promoteur : Monsieur Alain Dubois
  • 3. Table des matières 1 Introduction......................................................................................................................................6 2 Le mérite, une notion "épaisse"........................................................................................................8 2.1 Qu'est-ce que le mérite ?...........................................................................................................8 2.1.1 Ce qui est digne de mérite, ce "quelque chose"................................................................9 2.1.2 "Qui" mérite pour avoir fait ce "quelque chose" ?..........................................................11 2.2 Le mérite, la chance, l'égalité, la liberté et la justice..............................................................11 2.2.1 La liberté.........................................................................................................................11 2.2.2 La chance........................................................................................................................12 2.2.3 L'égalité...........................................................................................................................12 2.2.3.1 L'égalité numérique.................................................................................................13 2.2.3.2 L'égalité proportionnelle.........................................................................................13 2.2.4 La justice.........................................................................................................................14 2.3 Quand le mérite perd de son sens...........................................................................................16 2.3.1 Le fatalisme.....................................................................................................................16 2.3.2 Le déterminisme causal...................................................................................................16 2.3.3 Le compatibilisme...........................................................................................................17 2.4 Le mérite.................................................................................................................................17 3 La méritocratie, l'idéologie dominante d'un monde juste pour nos sociétés occidentales..............19 3.1 L'Erreur fondamentale d'attribution........................................................................................20 3.1.1 3 raisons psychosociales à l'Erreur fondamentale d'attribution......................................20 3.1.1.1 L'interprétation d'ordre cognitif. .............................................................................20 3.1.1.2 L'interprétation d'ordre motivationnelle..................................................................21 3.1.1.3 L'interprétation d'ordre social..................................................................................22 3.2 L'école comme institution sociale promotrice du mérite........................................................25 3.2.1 Pas de dérégulation travail / résultat...............................................................................26 Page 3 sur 37
  • 4. 3.2.2 Dérégulation travail / résultat..........................................................................................26 4 La méritocratie et l'assistance.........................................................................................................29 4.1.1 L'effet de seuil au sein d' un continuum..........................................................................30 4.1.2 Une image négative des personnes en situation d'assistance..........................................30 4.1.3 Risque de dualisation de la société.................................................................................32 5 Conclusion......................................................................................................................................34 6 Remerciements...............................................................................................................................35 7 Bibliographie..................................................................................................................................36 Page 4 sur 37
  • 5. « Tous ceux qui s'étaient assurés des privilèges en ne s'appuyant que sur un seul de ces principes, pouvaient être attaqués au nom de l'autre. [...] L'homme de haute naissance se voyait critiqué parce qu'à d'autres égards il ne méritait pas sa fortune; et il était loisible de taxer de demi- imposture celui qui parvenait à la grandeur malgré sa basse extraction. [...] les travailleurs pouvaient dissocier tout à fait l'idée qu'ils se faisaient d'eux-mêmes des jugements que la société portait sur eux. Statuts objectifs et subjectifs étaient souvent à l'opposé. Le travailleur se disait :"Me voilà qui suis ouvrier. Pourquoi suis-je ouvrier ? Ne suis-je bon à rien d'autre ? Bien sûr que non. Le monde l'aurait bien vu, si on m'avait donné ma chance. Médecin, brasseur, ministre, j'aurais pu tout être. Cette chance je ne l'ai jamais eue; et ainsi je suis ouvrier. Mais ne pensez pas que, dans le fond, je vaille moins qu'un autre : non, je vaux mieux." L'injustice qui présidait à l'éducation permettait aux gens de garder leurs illusions, et l'inégalité des chances au départ favorisait le mythe de l'égalité des hommes. Nous savons qu'il s'agit là d'un mythe : nos ancêtres ne le savaient pas. » 1 1 Young M., The rise of the Meritocracy, 1958 Page 5 sur 37
  • 6. 1 Introduction. Cela fait longtemps maintenant, bien avant que je ne commence mes études supérieures, que je me pose la question de la légitimité des actions que nous menons, que ce soit par rapport à nous- même ou par rapport aux autres. Comment peut-on dire que l'action que l'on mène est juste, dans un contexte précis ? Et comment, pour aller plus loin, pouvons-nous incriminer ou discriminer l'action d'autrui ? Sur son aspect illégitime, mais illégitime pourquoi, illégitime pour quoi, illégitime pour qui ? De plus, la légitimité des actions que nous menons questionne également la liberté de choix que nous avons, et qui délimite notre potentiel d'action. Si je suis au chômage, est-ce une action légitimée par une liberté de choix ou cette action n'était-elle pas légitime pour moi ? La question du libre choix est à mettre en opposition avec le déterminisme2 qui le biaise pour lui donner une légitimité autre que individuelle. Comment parler de légitimité lorsqu'il existe un biais déterministe qui vient limiter la liberté de choix des acteurs ? De plus, critiquer la légitimité du système en place, hiérarchisé en classes sociales déterminées à la naissance comme le dit Bourdieu, est chose aisée si celui-ci ne laisse pas aux acteurs une liberté de choix total. Tous ces aspects viennent questionner les notions de justice et d'égalité. Pour légitimer le système en place, il est nécessaire de le faire exister dans l'esprit de chacun, et que chacun puisse le légitimer pour soi comme pour autrui. Il est donc nécessaire de venir contrecarrer l'effet déterministe, limitatif de la liberté de choix, qu'est l'héritage d'avantages ou de désavantages sociaux, culturels et économiques en tenant compte que les "élites sociales" veulent rester la classe sociale dominante. C'est le concept de mérite qui va être mit en avant pour tenter d'équilibrer les choses, donner une légitimité à l'inégalité sociale et réinvestir la notion de libre choix en apportant aux personnes désavantagées de par leur héritage une égalité des chances qui sera représentée par l'école3 , du moins qui se veut promouvoir cette égalité des chances. La démocratisation de l'enseignement a comme but de permettre à chacun de partir à égalité par rapport aux autres, et d'avoir les mêmes chances4 de départ. Seul le mérite sera déterminant de la hiérarchisation de la société et de la 2 MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009 3 TENRET E., Les étudiants et le mérite : A quoi bon être diplomé ?, Etudes & recherche, La documentation Française, 2011 4 MERLE P., La démocratisation de l'enseignement, La Découverte, Collection repères, 2009 Page 6 sur 37
  • 7. position sociale des acteurs. C'est le moment où le mérite rencontre l'idéologie, et se transforme en méritocratie. Cette méritocratie est au cœur même des valeurs de nos sociétés occidentales, et vient justifier l'organisation sociétale, et légitimer nos actions dans un contexte d'égalité des chances. Mon Travail de Fin d'Études abordera l'idéologie de la méritocratie pour éclairer, sous un angle philosophique et sociologique, les phénomènes de stigmatisation des classes sociales, la gestion de l'assistanat et l'aspect individualiste des esprits dans nos sociétés occidentales. Page 7 sur 37
  • 8. 2 Le mérite, une notion "épaisse". Le mérite est une notion "épaisse", comme le dit Yves Michaud dans son livre "Qu'est-ce que le mérite". Aussi, il est déterminant de s'entendre sur la signification du terme. Tout au long de ce travail, la notion de mérite sera transversale pour comprendre le propos. Cette notion, conceptualisée depuis le 19 ème siècle5 , n'a cessé d'évoluer pour devenir cette notion "épaisse". Avant, comme le dit Léon Bourgeois : "Chaque individu contribuait, à la hauteur de ses possibilités, au capital de la société humaine, accru par chaque génération. Le devoir de solidarité ne concernait pas l'individu en soi mais les individus en tant que co-responsables de l'œuvre sociale. Dans ce contexte, la société tout entière devait tendre vers une finalité commune et partagée, la dette collective6 " La notion de mérite, dans ce qu'elle a d'individuelle, n'avait donc pas lieu d'être car c'était l'intérêt de la société tout entière qui primait, qui cherchait mérites, et non l'intérêt privé de l'individu et son mérite propre d'individu. Nous pourrions parler de mérite collectif quand Léon Bourgeois nous parle de ce "remboursement" de cette dette collective, bien que ce pan de la notion de mérite ne soit pas le sujet traité ici. En effet, je m'attarderais plus sur le mérite tel qu'il est entendu et débattu à partir du 19 ème siècle, c'est à dire un mérite teinté d'individualisme. Je tiens d'emblée à préciser que la notion de mérite est sûrement plus étendue que la définition que je vais en faire durant ce travail, car c'est un concept très complexe qui en englobe toute une série d'autres. Le livre de Yves Michaud7 m'a permit de comprendre et de développer ce concept d'un point de vue philosophique, et ce d'une façon complète par rapport à la matière que je vais traiter. 2.1 Qu'est-ce que le mérite ? Le mérite, c'est ce qui rend quelque chose digne de récompense ou de punition.8 Il est donc à concevoir que définir le mérite "positif", c'est à dire la récompense, revient à définir le mérite 5 MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009 6 Ici, la notion de dette collective correspond à la nécessité pour les individus de participer à la croissance du capital de la société humaine, c'est à dire qu'il pré-existe une dette envers la société qui doit être "remboursée" par la société tout entière. 7 Le sujet étant relativement peu traité philosophiquement (car le concept de méritocratie est assez récent) et relativement difficile à intégrer, j'ai partiellement suivit la structure du livre de Yves Michaud pour être sure d'être le plus complet et le plus claire possible. 8 http://www.littre.org/, site consulté le jeudi 17 avril 2014 Page 8 sur 37
  • 9. "négatif", à savoir la punition. Il faut de plus ne pas confondre le mérite "négatif", amenant punition, et le démérite. Le mérite "négatif" est plus à interpréter comme une action reconnue comme amenant à punition, alors que le démérite est le fait d'une action qui diminue le mérite de l'acteur lui-même, et non de l'action de cet individu. Par exemple, commettre un crime mérite une punition, donc un mérite négatif. C'est bien l'acte ici qui est réprimandé, alors que l'auteur du crime a du démérite à l'avoir fait, c'est donc une conséquence de l'action sur l'auteur de l'action. Récompense et punition sont alors les deux faces d'une même pièce, d'un même concept, mais récompense et punition par rapport à quoi et pour qui ? 2.1.1 Ce qui est digne de mérite, ce "quelque chose". Il est question ici de ce "quelque chose" . Il peut s'agir d'une personne (mérite ou démérite), d'une action (récompense ou punition), mais aussi d'un collectif, d'une institution, d'un paysage. Tout ces exemples ont en commun le fait qu'ils peuvent avoir un mérite sous sa forme rétributive, formelle. C'est un mérite qui est la contrepartie d'une action ou d'un fait, contrepartie objectivable, appréciable, et pouvant être comparé. Par exemple, un contrat d'embauche fait mériter à une personne sa place, le don à le mérite d'être bon, une institution à le mérite d'être reconnue, ou encore, un paysage mérite le détour. Il existe également un mérite à l'aspect plus moral que rétributif. Ce mérite moral est à comprendre non pas comme la résultante d'une action, mais comme un mérite purement moral étant lui-même sa propre récompense et un démérite comme une honte se suffisant à elle même.9 La récompense ou la punition serait alors purement morale, et non rétributive. Cela nécessite bien évidemment qu'il existe des "choses" qui méritent d'être méritées, ce sont ces sortes de "choses" méta-méritées que l'auteur appelle vertus. A propos de ces vertus, il dit également :"Qu'est ce que le mérite si on ne sait plus quelles sont les vertus ?" Citons encore La Rochefoucauld qui nous conforte dans la définition de la notion de mérite morale en disant : "Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même". Il parle bien ici du mérite moral d'une action. Ce mérite moral est donc la réflexivité d'une action d'un individu sur lui- même en tant que méritante de par sa mise en application. Par exemple, nous pouvons dire que être généreux est méritant moralement (si on considère la générosité comme une vertu). L'individu généreux est méritant moralement car il met en application sa générosité, et c'est cette mise en action de la vertu qui mérite, non pas sa conséquence. Pour simplifier encore le propos, tout individu mettant en application une vertu est méritant de par cette mise en application. 9 MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009 Page 9 sur 37
  • 10. De l'autre côté, le mérite rétributif apparait plus comme relevant de la pure proportionnalité entre ce qui est méritoire et mérité. C'est donc l'action déployée par l'individu qui fait le lien entre ce qui est méritoire et mérité. Par exemple, un individu mérite une prime car il a fait son travail dans des circonstances qui méritent cette prime. C'est donc l'action de travailler (l'action déployée par l'individu) dans ces circonstances (ce qui est méritoire) qui apporte à l'individu la récompense méritée de la prime (ce qui est mérité). Il est important de bien différentier le mérite rétributif du mérite moral, car si l'amalgame parait séduisant10 , il serait inconvenu, voir une erreur de logique, de dire qu'un individu a la vertu de respecter les termes d'un contrat. Tout du moins, nous pouvons dire que la vertu du respect est méritante, mais l'action de respecter les termes d'un contrat n'octroie aucun mérite à l'individu, mais bien à son action. La langue française n'est pas avare de mots spécifiques, quadrillant assez bien l'ensemble des concepts, nuancés et colorés du bestiaire sémantique. Néanmoins, elle est assez pauvre en ce qui concerne les nuances à apporter au mot "mérite". Par exemple, les racines latines du mot mérite sont "mereo" et "mereor", ce qui signifie "recevoir comme part ou comme prix" ou encore "se faire payer". A l'instar de la racine latine, la racine du grec ancien, "meiromaï", veut dire "obtenir en partage". En anglais, par contre, la notion de "mérite" a plus évolué que son homologue français, et se décline sous deux formes, à savoir "merit" et "desert". "Merit" désigne des qualités permettant d'attribuer une récompense. Ce mérite désigne un mérite moral, mais pas uniquement. C'est à dire que cette notion peut exprimer un mérite qu'une personne ne mérite moralement pas , mais pour lequel elle a droit d'être récompensé, ce sont les mérites dus par principe. Par exemple une personne qui a un haut niveau d'étude mérite un haut salaire de par son rang de diplôme. Ce mérite peut aussi être associé au mérite rétributif vu ci-dessus. "Desert" quant à lui, désigne une action volontaire, de l'ordre de l'effort consenti. On mérite ce qu'on a fait volontairement . Il y a ici une notion de but, proche de la mise en application de la vertu, dont le processus est récompensé non de par sa valeur potentiellement rétributrice car reconnue comme telle, mais de par sa valeur ajoutée, supplémentaire par rapport au but initial. Prenons comme exemple un individu qui écrit une thèse (processus) dans un but désintéressé. Celui-ci méritera ("desert") parce que cette thèse a de la valeur ajoutée par rapport à son but initial, comme le fait de servir de source pour une autre thèse par exemple. 10 Il pourrait être avantageux de dire qu'une prime ou un bonus exceptionnel est moralement mérité, alors qu'il ne s'agit souvent que de la conséquence d'un contrat rempli, que d'un mérite rétributif. Cela tient plus du jeu des finances où il y a motivation des dirigeants exceptionnels par des salaires exceptionnels. Page 10 sur 37
  • 11. 2.1.2 "Qui" mérite pour avoir fait ce "quelque chose" ? Nous avons défini jusqu'ici ce "quelque chose" qui apporte du mérite. Que ce soit pour le mérite rétributif, le mérite moral, ou encore les deux traductions en anglais du mérite, "desert" et "merit", il y a un "qui" qui est méritant, à qui est rétribué le mérite. Nous l'appellerons ici l'agent. Cet agent doit, pour être méritant, faire ou être de par son action ce "quelque chose", et doit donc déployer, mettre en œuvre des capacités (physiques, morales, vertu, ...) dans un contexte défini (travail, relations humaines, musique, ...). L'agent qui ne met pas en action ses capacités n'a pas de mérite, de même que si il met ses capacités en action dans un contexte inapproprié. Prenons l'exemple d'un élève pour qui tout réussit. Si celui-ci a des capacités qui lui permettent d'être premier de classe, son mérite est proportionnel à la mise en action de celles-ci. Si cet élève à de grandes capacités, mais qu'il en fait un usage restreint, il aura moins de mérite qu'un autre élève aux capacités restreintes qui en fait plein usage. Cet exemple de la proportionnalité de la mise en action des capacités est directement lié au mérite, et il est important de considérer le fait qu'il n'y a aucun lien entre le mérite et le résultat de ces deux élèves. Cet exemple soulève une problématique car les plus récompensés dans le milieu scolaire sont souvent les élèves qui ont les meilleurs résultats. En découle alors une sorte de frustration de l'élève aux capacités plus restreintes, mais nous y reviendrons plus tard. Pour décrire cette mise en action de l'agent qui le rend méritant, nous parlons de l'"agentivité"11 , cet effort que l'agent met dans son action. Il est important de préciser que l'"agentivité" , soit les capacités que l'agent se doit de mobiliser, doit être autonome, sous-tendue d'une certaine liberté. 2.2 Le mérite, la chance, l'égalité, la liberté et la justice. 2.2.1 La liberté. Pour qu'il y ait mérite, l'agent doit être libre de son action, il doit "y être pour quelque chose". Le facteur "chance" et le facteur "détermination" viennent biaiser le mérite qui revient à l'agent (rappelons-nous l'exemple des deux élèves au point précédent). De même, un agent forcé à mettre en action son agentivité, à agir parce qu'il n'y a pas le choix ou parce qu'il le faut, n'a pas de mérite à avoir déployé son action. L'exemple du travailleur social est ici intéressant. En effet, on ne peut pas dire qu'un travailleur social a du mérite à sortir une personne du besoin dans le cadre de sa profession, car cela fait partie de ses fonctions, de ce qu'il doit faire. Au contraire, une personne qui 11 "Agency" en anglais, concept souvent utilisé par Amartya Sen, en lien avec le concept de "capability" (capabilité) Page 11 sur 37
  • 12. déploie la même action aura du mérite, car il avait le choix, le liberté de poser l'action ou non. En effet, le travailleur social a reçu une formation qui lui permet de domestiquer ces capacités humaines pour les mettre en action d'une façon proche de l'objectivité face à une situation de demande d'un bénéficiaire, tandis qu'un individu non-travailleur social n'aura pas ce professionnalisme, ce qui en fait un individu à l'agentivité, dans ce contexte d'aide, plus méritante de par l'importance de l'effort fourni. Prenons encore l'exemple d'une personne sauvant un enfant de la noyade. Avait-il le choix de faire son action ? Et si il ne l'avait pas fait, aurait-il démérité ? Ces questions amènent la notion de justice dans l'acte de l'agent, mais nous y reviendrons plus tard. Comme on l'a vu, la notion de volonté est prégnante à l'agentivité apportant du mérite à l'agent. Cette notion de volonté sera plus travaillée et éprouvée dans le point 2.3 concernant les approches philosophiques de la liberté, de la volonté libre, et des incompatibilités entre mérite et liberté restreinte. 2.2.2 La chance. Un agent ayant réalisé une action par chance, par hasard, n'est pas méritant. Il aurait très bien pu se trouver au bon endroit, au bon moment, et le fait qu'il y soit ne lui apporte pas de mérite. Le slogan de l'Euromillion, "Devenez scandaleusement riche" est un exemple tout particulièrement bien choisi pour exprimer cela. La chance que l'individu aura si il gagne à l'Euromillion sera scandaleusement différente du mérite qu'il aura d'avoir gagné. Que dire alors des personnes qui gagnent un salaire annuel proche des gains de l'Euromillion... En fait, être chanceux n'apporte pas d'autre mérite que le fait même d'être chanceux. 2.2.3 L'égalité. Comme le dit Hegel : " En ce qui concerne l'égalité d'abords, la proposition familière que tout les hommes sont par nature égaux est erronée en ce qu'elle confond le naturel avec le concept. Elle devrait plutôt se formuler : "par nature les hommes sont seulement inégaux". Mais le concept de la liberté, en tant que tel, sans autre spécification ni développement, est celui de la subjectivité abstraite comme personne capable de propriété. Ce seul trait abstrait de la personnalité constitue l'égalité réelle des êtres humains."12 Pour Hegel, l'égalité se traduit par la capacité qu'a l'agent en tant qu'individu de posséder des caractéristiques propres, et constitue le concept de liberté en tant que tel. Dit autrement, la liberté pour chaque individu de posséder des caractéristiques propres fait égalité entre les hommes. A part cela, l'égalité ou l'inégalité ne peut être abordée que par un aspect 12 HEGEL G. W. F., Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, 1830, §539 Page 12 sur 37
  • 13. égal ou inégal de celle-ci. Par exemple, je suis inégal à un autre car je suis plus fort (inégalité). Je n'aborde donc que l'inégalité que j'ai par rapport à un autre d'être inégal en force. Nous sommes donc inégaux car il y a un aspect de force qui n'est pas égal entre nous. Il parait compliqué et fort complexe de comparer deux personnes sur l'ensemble de leur aspects individuels (les caractéristiques propres désignées par Hegel), et de déterminer par la suite si elles sont égales ou non. Il faudra préférer l'aspect, économique, l'aspect physique, l'aspect moral, ... et la liste est longue. Nous distinguerons, grâce à la définition d'égalité d'Hegel, 2 méthodologies de la mise en pratique de l'égalité, à savoir l'égalité numérique et l'égalité proportionnelle, déjà identifiées par Aristote en son temps.13 2.2.3.1 L'égalité numérique. L'égalité numérique n'opère que d'une division mathématique de l'aspect entre le nombre total d'individus. Elle considère tous les hommes comme égaux entre eux de par un critère unique. Cette égalité ne prend pas en compte les fluctuations des différents mérites individuels, et les nie. La commune humanité est un des aspects qui peut être primé, mais nous pouvons imaginer d'autres aspects référents du partage égalitaire numérique tel que "tout les enfants", "tout les fumeurs", "toutes les femmes", ... Il est tout de même possible de mettre en lien l'égalité numérique et le mérite. En effet, si on part du principe que les hommes sont égaux selon le principe d'Hegel et que le seul aspect de la commune humanité des agents est prise en compte , alors on peut également inter-changer leur mérite d'être êtres humains, ce qui amènerait à retirer au mérite sa caractéristique individuelle propre à chaque individu, et à le conceptualiser en terme de mérite d'être être humain, mérite, en soi, collectif. Cependant, ce n'est pas, comme dit plus haut, le propos pour ce travail. 2.2.3.2 L'égalité proportionnelle. L'égalité proportionnelle donne une part plus importante au mérite des agents. Elle prend en compte plusieurs facteurs à la redistribution proportionnelle des mérites. En fait, on peut dire que l'égalité proportionnelle est l'addition de plusieurs égalités numériques telles que "tout les hommes, de moins de 65 ans, fumeurs, mariés, ... Cette égalité proportionnelle, multifactorielle, permet la différence entre les agents, l'inégalité. 13 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, V-3, 1130b sq. Page 13 sur 37
  • 14. Le mérite est alors attribué sous la condition de caractéristiques individuelles, par rapport à une norme de référence instituant la proportionnalité du mérite, entre méritant et mérité. L'égalité proportionnelle doit donc se comprendre comme étant un concept d'égalité prenant en compte la différence des agents, et tend, par des mécanismes inégaux proportionnels aux différences par rapport à la norme, à rétablir une égalité proportionnellement au mérite de l'action déployée par l'individu, au bénéfice de celui-ci. Pour parler simplement, l'égalité proportionnelle promeut le mérite proportionnellement aux différences à la norme de référence par rapport aux différents aspects pris en comptes. Néanmoins, comme le rappel Vlastos : "Il est essentiel de ne pas prendre l'être humain comme un simple réceptacle à qualité, besoins, etc... Mais il est important de le considérer en tant que tel, et non en tant que porteur de telle ou telle particularité méritante." L'égalité proportionnelle est également un paradoxe dans un sens car elle est créatrice d'inégalités pour une égalité de principe. L'égalité n'est plus là pour redistribuer les mérites de la façon la plus égalitaire possible, mais pour apporter une nuance de justice entre les individus. 2.2.4 La justice. J'ai choisi de décrire la notion de justice au travers de la définition qu'en fait John Rawls. En effet, malgré quelques failles, je trouve que sa définition permet bien de se rendre compte des enjeux que présuppose la mise en application d'une justice. John Rawls nous dit que le principe de toute société se partage entre le conflit et la communauté d'intérêts. Conflit car il faut répartir les bénéfices de la communauté, et communauté d'intérêts car une société est la mise en commun d'intérêts individuels communs. Ces deux éléments forment ce qu'on appelle le vivre ensemble. Ce conflit est un accord sur les principes et les aspects de la répartition des bénéfices de la communauté. Selon le principe de l'égalité proportionnelle et de l'égalité numérique, Rawls nous dit : "[Ces principes] doivent identifier les ressemblances et les différences entre les personnes permettant la détermination des droits et des devoirs, et ils précisent la répartition adéquate des avantages."14 Il faut donc identifier les ressemblances et les différences entre les individus pour pouvoir déterminer les droits, les devoirs et la répartition adéquate des avantages. Nous voyons ici que c'est d'égalité proportionnelle dont il est question. Pour que la justice sociale fonctionne, Rawls nous dit qu'il faut que les agents soient désintéressés, qu'ils ne connaissent pas les intérêts des autres, et qu'ils ne puissent pas connaitre à l'avance leur rang social, leur qualité, leur statut, ... Bref, tout ce qui pourrait amener à faire une distinction avec l'autre. C'est ce qu'il appel le "voile d'ignorance", l'impossibilité de connaitre les 14 RAWLS J., A theory of justice, Oxford, OUP, 1971 Page 14 sur 37
  • 15. aspirations des autres, et "position originelle" le fait de ne pouvoir connaitre à l'avance ses propres caractéristiques. De cette façon, il n'est pas possible pour les agents de biaiser leurs caractéristiques propres pour être plus avantagés que les autres et pour ne pas peser un poids trop conséquent sur le conflit devant répondre de la justice sociale. Rawls présente deux principes de justice : 1. "En premier lieu, chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de bases égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres. 2. En second lieu, les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois ◦ l'on puisse raisonnablement s'attendre à ce qu'elles soient à l'avantage de chacun et ◦ qu'elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous." Il est important d'avoir en tête que l'ordre (du premier au second principe) a de l'importance. C'est bien le système de libertés de bases (compatible avec le même système pour les autres) qui est mit en avant (sous-entendu les libertés politiques telles que le droit de vote, occuper un poste public, mais aussi la liberté d'expression, de réunion, de pensée, de conscience, et le droit à la propriété)15 Le second principe vient après et seulement après le premier principe, et nous dit que la répartition des bénéfices de la communauté doit être à l'avantage de chacun, et que chacun puisse être bénéficiaire de ces bénéfices. Le fait qu'il y ait un ordre entre ces deux principes nous dit qu'il n'est pas possible de concevoir la redistribution si il n'y a pas un droit égal aux libertés de base, "des atteintes aux libertés de bases égales pour tous qui sont protégées par le premier principe ne peuvent être justifiées ou compensées par des avantages sociaux ou économiques plus grands."16 Il est surtout important de préciser que ces libertés de bases égales pour tous ne peuvent en aucun cas être achetées. Les 2 principes de Rawls se basent sur le fait que chaque agent ne s'intéresse qu'a sa situation sans tenir compte de la situation des autres, hors tout le monde n'est pas raisonnable et n'est pas désintéressé, tout le monde n'est pas sous un voile d'ignorance. Il y a toujours des comparaisons, des 15 MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009 16 RAWLS J., A theory of justice, Oxford, OUP, 1971 Page 15 sur 37
  • 16. envies qui font qu'une justice sociale à la Rawls dans son principe, bien que attractive, ne peut être mise en place. C'est là la faille de son système, faille qui n'est possible que de par l'aspect intéressé de l'être humain. Plusieurs économistes, sociologues et autres17 se sont penchés sur la question de la justice, il existe donc une multitude de théories sur la façon la plus juste de redistribuer les ressources, et l'explication de Rawls en est une. La justice se base en grande partie sur le mérite pour être opérante et avoir un sens. La définition du mérite est alors au cœur de la justice et ne pas considérer le mérite de la façon la plus juste viendrait rendre bancale toute idée de justice sociale. 2.3 Quand le mérite perd de son sens. 2.3.1 Le fatalisme. La question du fatalisme vient contrer la notion de mérite pour lui enlever toute substance. En effet, liberté de choix et volonté ne font pas le poids contre la fatalité. Le destin, que se soit par l'intermédiaire de Dieu ou de la nature, rend toute délibération vide de volonté propre à l'agent, vide de sa liberté à déployer son agentivité. Vient alors le temps de la chance et du hasard qui viendrait rééquilibrer ce fatalisme prégnant. Cette notion de fatalisme peut paraitre obsolète, liée à des philosophies stoïciennes oubliées, mais Bourdieu et Passeron nous parlent de déterminisme social, qui pousserait à croire que les agents sont à l'origine classés socialement et ne peuvent sortir de cette fatalité. Les loteries, et jeux de hasard en tout genre font écho à ce fatalisme, et on peut observer nombre de personnes investissant dans ce facteur chance, sensé palier à l'aspect fataliste de leur situation. Les horoscopes sont également un bon moyen de palier à ce fatalisme. En effet, combien d'entre nous lisent ces horoscopes en souhaitant qu'ils se réalisent ou pas en fonction de "l'avenir qu'ils nous réservent". La fatalité retire tout mérite à l'action de l'agent car il n'y a pas de notion d'agentivité, de volonté et de liberté. 2.3.2 Le déterminisme causal. Cette approche du déterminisme, de la fatalité, laisse plus de place à l'agentivité sans pour autant la permettre totalement. Le déterminisme causal propose une lecture de la liberté à l'agent 17 Citons par exemple Saint Thomas d'Aquin, Smith A. ou encore BenthamJ. . Page 16 sur 37
  • 17. comme étant la possibilité de peser sur une action qui intervient dans un contexte causal déterminé. Yves Michaud nous dit : "Il y a un déterminisme causal complexe au sein duquel nous sommes en partie des causes"18 . Un exemple : A a faim, donc A mange donc une pomme. Le déterminisme causal a poussé A à manger une pomme pour cause de faim. Mais le fait que A ait eu faim est prédéterminé par le fait que A a besoin de se nourrir. Nous pouvons donc dire que A a faim, donc A mange une pomme parce que A a besoin de manger. Le fait que A ait eu faim n'eut été possible que par le fait que A a besoin de se nourrir, d'où le fait qu'il ait manger une pomme. Il y a donc un déterminisme causal complexe (A a faim pour des raisons causales complexes donc il mange une pomme) au sein duquel nous sommes en partie des causes (Tout ça parce qu'il a besoin de se nourrir). Tout ça pour dire qu'il faut savoir si l'agent est responsable ou pas, si il est libre ou pas, de son agentivité, de son action pour être méritant. Est-il acteur de ce déterminisme causal ou est-il passif ? 2.3.3 Le compatibilisme. Ici, c'est une approche de la liberté qui rend compatibles la volonté / liberté et le déterminisme causal. Ce ne sont que les circonstances, le contexte qui est déterminé, et l'action est libre d'être faite ou non. C'est la notion de choix par excellence, de la volonté pure pour l'agent où celui-ci fait le choix de son agentivité de par son propre chef. Je renverrais le lecteur à l'ouvrage19 de Kant traitant de la liberté absolue qu'il renvoi, lui, au domaine nouménal (domaine où la cause n'existe pas), domaine que je n'aborderais pas dans ce T.F.E. pour la simple et bonne raison qu'il ne permet pas l'explication du mérite comme je l'ai défini, notion faisant partie du domaine phénoménal. Quoi qu'il en soit, une liberté absolue dans le domaine phénoménal rend l'action sans causes et annihile donc tout mérite. C'est l'exemple d'une personne désintéressée. L'action qu'elle posera n'appellera aucun mérite car cette action et le mérite sont sur des champs sémantiques de valeurs différents. 2.4 Le mérite. Nous avons donc vu que le mérite est une notion "épaisse", qui met en lien un individu, un agent, avec "quelque chose". Ce "quelque chose", dans le cas du mérite rétributif, apporte une récompense directement proportionnelle au mérite qu'a eu l'individu à faire ce "quelque chose". Dans le cas du mérite moral, ce n'est pas la récompense qui est méritée, c'est l'acte en lui-même, voir la vertu mise en action par 18 MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009 19 KANT E., Critique de la raison pure, 1781 Page 17 sur 37
  • 18. l'individu, qui est méritée. Faute d'un vocabulaire assez riche, ces deux notions se confondent dans le discours, d'où certaines fautes de logique. L'anglais propose, lui, deux sens au mot mérite sous les mots "merit" et "desert". "Merit" est utilisé pour désigner des qualités mises en action et amenant récompense. C'est plus une notion basée le droit à la récompense. "Desert", lui, désigne l'action volontaire déployant de l'effort. L'agent, lui, est cet individu qui doit déployer des capacités dans un contexte défini. Son mérite doit être agencé autour des notions d'égalité, de liberté, de justice et de chance. La notion de liberté est nécessaire pour qu'il y ait mérite. Bien que la liberté absolue ne soit envisageable, le déterminisme causal permet à l'agent d'exercer son agentivité dans un contexte de liberté restreinte qui permet néanmoins la volonté de l'acte, le rendant méritant pour l'agent. La notion de chance fait en sorte qu'il n'est pas possible pour l'agent de retirer du mérite de son action car celle-ci n'a pas été déployée dans le but d'obtenir le résultat atteint. On peut juste dire alors que l'agent a le mérite d'être chanceux. La notion d'égalité entre les individus est la liberté de posséder des caractéristiques propres. Là où une égalité numérique ne laisse pas de place au mérite individualisé, l'égalité proportionnelle vient récompenser le mérite d'une façon équitable puisque proportionnelle aux différences par rapport à la norme. Enfin, la notion de justice tente de justifier le mérite et de le rendre juste pour tous. Page 18 sur 37
  • 19. 3 La méritocratie, l'idéologie dominante d'un monde juste pour nos sociétés occidentales. Nous avons vu dans le chapitre précédent la notion de mérite ainsi que les différentes notions qu'il est préférable de lier avec le mérite pour en percevoir l'aspect "épais" et ainsi le définir plus en profondeur. Maintenant que cela est fait, je vais à présent déployer la notion de mérite hors du concept pour la mettre en application et l'éprouver dans nos sociétés occidentales. La méritocratie est un terme inventé par Michaël Young en 1958 et mis en lumière dans une sociologie-fiction intitulée The rise of the Meritocracy20 . Ce livre nous présente une société où le mérite est poussé à son terme, c'est à dire que les positions sociales sont uniquement légitimées par le talent et l'effort de chacun. Cette société est donc très favorable aux "méritants", mais est un vrai enfer pour les "non-méritants", se voyant reclus au plus basses strates sociales. Dans le passé, avant que la hiérarchisation par le mérite de cette société ne soit proclamée, celle-ci fonctionnait sous deux principes, le mérite et la naissance. Paradoxalement à l'évolution de l'idéologie dominante de cette société, la société antérieure était plus facile à vivre pour tous, car elle permettait une consolation pour les personnes qui échouaient et une affirmation de position pour les personnes qui réussissaient. En effet, il est plus soutenable de rejeter la responsabilité des origines sociales à la naissance vis-à-vis du rang social que l'on occupe, et de se dire qu'on aurait pu, de par ses capacités, arriver à un rang social supérieur. De même, une personne qui se situe dans les rangs sociaux supérieurs peut légitimer sa réussite de par ses talent plutôt que de par son origine sociale. Il est un fait indéniable que le mérite est l'idéologie dominante de nos sociétés occidentales, et ce pour plusieurs raisons. Je vais dans ce chapitre en expliquer deux. La première est l'Erreur fondamentale d'attribution, qui stipule que les populations occidentales sont dans un modèle de pensée principalement individualiste, et la deuxième concerne l'école et son caractère de promotion du mérite et d'intégration des normes de la société. Nous avons vu dans le chapitre précédent que la notion de justice et la notion de mérite sont très fortement liées, et cela est d'autant plus vrai pour le concept de méritocratie. Si la justice est basée sur le mérite, et que celui-ci est juste, la méritocratie est une base de justesse et de justice, et est donc juste. Ce simple petit raisonnement va être transversal à tout ce chapitre en ce sens que l'idéologie méritocratique se veut légitime de par le fait même que la justice par le mérite parait 20 YOUNG M., The rise of the Meritocracy, 1958 Page 19 sur 37
  • 20. juste. Cependant, il est ici un paradoxe qu'il faut soulever21 , à savoir que la fiction de Young parle d'une société méritocratique poussée à terme, et donc régie par cette justice basée sur le mérite juste et que cette société est caractérisée par l'auteur comme ayant une cohésion sociale menacée. A ce point, il faut rajouter que la méritocratie semble être la norme souhaitable pour nos sociétés occidentales, et donc celle qui propose une cohésion sociale stable. Paradoxe ! Encore faut-il démontrer que cette norme est bien celle en action dans nos sociétés, ce à quoi je vais m'atteler maintenant. 3.1 L'Erreur fondamentale d'attribution. Pour Heider22 , l'Erreur fondamentale d'attribution est considérée comme le fait qu'un individu ait recours plus systématiquement aux explications internes qu'aux explications externes pour expliquer ce qu'il observe. C'est autour de cette définition que le raisonnement va se construire. Cet énoncé exprime déjà le fait qu'il y a des individus qui interprètent plus les évènements qu'ils observent comme étant la résultante des effets du contexte sur l'objet (externe), et qu'il y a des individus qui interprètent plus les évènements comme étant la résultante des effets propres à l'objet (interne). Pour parler plus clairement, Heider fait ici une différence entre les individus qui accordent la responsabilité d'une conséquence d'un acte aux éléments de contexte comme l'entourage, la famille, le temps, l'espace, la météo, etc... (externes) et les individus qui accordent la responsabilité d'une même conséquence à la personne sur qui s'applique les conséquences de l'acte. Nous avons ici un comportement plus stigmatisant du point de vue interne que du point de vue externe, et l'étude de Heider prouve que les personnes au comportement interne sont plus orientées vers le libéralisme économique et la promotion des valeurs comme l'individualité, la liberté, etc... 3.1.1 3 raisons psychosociales à l'Erreur fondamentale d'attribution.23 3.1.1.1 L'interprétation d'ordre cognitif. Lorsqu'un individu doit juger d'une situation qu'il observe, il se passe un mécanisme complexe au niveau de son système cérébral qui lui indique toute une série d'informations sur la situation. Suite à cela, l'individu dispose d'informations brutes qu'il va filtrer au travers de différents 21 TENRET E., Les étudiants et le mérite : A quoi bon être diplomé ?, Etudes & recherche, La documentation Française, 2011 22 HEIDER F., The Psychology of Interpersonal Relations, 1958 23 Heider F., The Psychology of Interpersonal Relations, 1958 Page 20 sur 37
  • 21. filtres que sont les représentations sociales. Seulement après ce procédé, l'individu va pouvoir émettre un avis, un jugement. Ce jugement sera fait, non pas (en tout cas en pas en premier temps) sur l'identité même de la personne dans la situation observée par notre individu, mais bien sur les causes qui permettent à une telle situation d'exister. Voici donc les différentes étapes avant le jugement des causes. La façon dont la personne jugera les causes indiquera si elle adopte plus un comportement externe ou un comportement interne. Heider nous dit qu'il est plus facile pour les individus d'adopter un comportement interne ( les causes de la situation proviennent de la personne) car cela nécessite moins de ressources cérébrales. Adopter un comportement externe (les causes de la situation proviennent de l'extérieur de la personne) demande donc de mobiliser plus de ressources cérébrales. Nous pouvons donc d'ors et déjà avancer que le comportement stigmatisant, désigner une personne comme unique cause d'une situation, est un raisonnement qui ne mobilise pas autant de ressources qu'une explication causale contextuelle.24 3.1.1.2 L'interprétation d'ordre motivationnelle. L'interprétation d'ordre motivationnelle donne l'impression à l'individu de contrôler son environnement. Si les individus pensent contrôler leur environnement, ils pensent donc avoir un impact direct sur celui-ci, ce qui implique que le résultat des actions qu'ils posent sur leur environnement est forcément juste, d'une justesse frôlant la vérité scientifique tel que la fameuse troisième loi de Newton "action-réaction" puisqu'ils pensent contrôler tout les éléments de leur environnement. Nous pouvons résumer cela en disant que l'interprétation d'ordre motivationnelle donne l'impression à l'individu qu'il obtient ce qu'il mérite de par son action, vu qu'il contrôle son environnement. Ce mérite qui est la conséquence de l'impression de contrôle de l'environnement des individus apporte une cohérence aux actions qu'entreprennent ces individus et aux efforts qu'ils font, qui seront justement récompensés. Tout cela participe à alimenter la croyance en un monde juste. Cette croyance est confortée quotidiennement par les différents médias qui apportent toujours le même message, celui d'une cohérence bien ficelée où les valeurs justes et méritantes sont toujours les mêmes. Prenons comme exemples les contes qui nous disent qu'il faut être beau et riche 24 Sauf si, bien sure, la stigmatisation s'avère justifiée parce que la personne est effectivement l'unique cause de la situation dans laquelle elle se trouve. Page 21 sur 37
  • 22. pour trouver et mériter l'amour, les paraboles qui font l'apologie des vertus du sacrifice expiatoire pour mériter sa place au paradis ou encore les films traditionnels américains avec leur "happy ending" qui nous rappellent que si on a une bonne cause, une cause méritante, qu'importe les moyens utilisés, ce qui compte c'est le résultat. Tout ces exemples contribuent à renforcer la croyance des individus en un monde juste. De cette façon, les individus peuvent se dire que chacun obtient ce qu'il mérite, ce qui est bien sur une erreur, car la démonstration ne marche que si, et seulement si, l'individu contrôle son environnement. Or, notre environnement est composé de tellement de variables sur lesquels nous n'avons pas de contrôle que le raisonnement est erroné. La preuve en est les inégalités par rapport au mérite dûs aux éléments de notre environnement dont nous n'avons pas le contrôle total, comme par exemple le chômage de masse auquel nous somme confrontés maintenant, les inégalités Nord- Sud, les accidents naturels, etc... Elise Tenret utilise le terme de "Fiction nécessaire" pour caractériser ce principe. Fiction car l'on obtient pas toujours ce qu'on mérite, et nécessaire car les inégalités sont là, et qui voudrait d'une vie sans aucun contrôle, où le mérite ou la récompense du mérite n'est pas proportionnel à l'effort fait, et où il faut vivre avec le poids des inégalités sur la conscience. Le principe d'interprétation d'ordre motivationnel parait une alternative positive à la réalité, mais si elle promeut la récompense proportionnellement au mérite, cela marche aussi pour le démérite. La personne qui est en échec scolaire, qui est au chômage, qui se retrouve célibataire pourra avoir des difficultés à se dire qu'il est possible que ce ne soit pas de sa faute, qu'elle ne l'a pas vraiment mérité. Et que dire également des personnes qui travaillent de façon importante et qui continuent d'échouer... Dans un système caractérisé par une dichotomie des positions sociales, à savoir dominant et dominé25 , l'interprétation d'ordre motivationnelle est une bonne façon de maintenir la stabilité du système. En effet, chaque individu estime mériter la position sociale dans laquelle il se trouve, puisque le monde est juste et le mérite est proportionnel aux résultats, et les perdants du système s'attribuent la faute de leur échec, les inégalités sociales peuvent alors perdurer à l'avantage des plus nantis. 3.1.1.3 L'interprétation d'ordre social. Cette interprétation, la troisième de l'Erreur fondamentale d'attribution, pousse l'individu à s'appuyer sur la norme d'internalité, résultante directe de l'importance de l'individualisme dans nos 25 BOURDIEU et PASSERON Page 22 sur 37
  • 23. sociétés occidentales26 . Cette interprétation d'ordre sociale peut se définir comme étant " la valorisation socialement apprise des explications des évènements psychologiques qui accentuent le poids de l'acteur comme facteur causal "27 . Le poids des raisons propres à la personne prime donc dans l'interprétation des causes d'une situation dans nos sociétés occidentales, et est même valorisée par l'individualisme ambiant et assumé. De plus, les travaux de Bressoux et Pansu en 200328 viennent apporter des nuances quant au type de personnes, au type de situation et de contexte où la norme d'internalité est le plus souvent préférée. Le premier travail prouve que les explications causales internes sont préférentiellement choisies par les individus des groupes sociaux favorisés, ce qui veut dire aussi que les explications causales externes sont préférentiellement choisies par les individus des groupes sociaux défavorisés. Si on veut faire le lien avec la stigmatisation des personnes au chômage par exemple, on pourrait donc dire que les personnes de groupes sociaux favorisés voient la situation d'une personne au chômage comme résultant principalement du facteurs causal de l'acteur, et que cette même personne au chômage choisisse plutôt de faire peser la responsabilité de sa situation sur des facteurs externes à elle-même. Le second travail prouve que les explications causales internes sont plus souvent choisies lorsqu'il est demandé aux individus de donner une bonne image d'eux-mêmes, alors qu'à l'opposé, les explications causales externes sont plus souvent choisies lorsqu'il faut se défendre d'une attaque à la bonne image de soi auprès des autres. Lorsqu'un individu déploie un effort et que la résultante de cet effort lui apporte du mérite, celui-ci va plutôt choisir d'expliquer cette résultante comme conséquence de son propre fait, alors que si la résultante de l'effort déployé apporte à l'individu un démérite, celui-ci va plutôt choisir d'expliquer cette résultante comme conséquence du fait d'autrui, ou en tout cas va essayer de se décharger de la responsabilité personnelle. En soi, ce comportement est logique car les conséquences du mérite (récompenses morales ou rétributives) n'ont rien a envier aux conséquences du démérite (perte de reconnaissance vertueuse ou punition). Enfin, le troisième travail prouve qu'il y a un apprentissage social de la norme d'internalité. En effet, Bressoux et Pansu nous disent que plus les individus fréquentent des institutions de 26 Les travaux de MILER, en 1984, nous montrent que les américains, tout au long de leur vie, vont mobiliser de plus en plus les explications internes alors que les Indiens vont mobiliser de plus en plus les explications externes. 27 DUBOIS N., La norme d’internalité et le libéralisme, Presses universitaires de Grenoble, 2009 28 BRESSOUX P. Et PANSU P., Quand les enseignants jugent leurs élèves, Presses universitaires française, 2003 Page 23 sur 37
  • 24. socialisation et plus ils ont tendance à utiliser les explications causales internes, ce qui ne vient pas en contradiction avec le fait que nos sociétés occidentales sont de plus en plus individualistes. Si l'individualisme est une valeur ancrée dans la représentation que nous avons du lien social, il est logique que les institutions de socialisation poussent les gens à se rencontrer et à intégrer l'individualisme comme idéologie du rapport à l'autre, lors du rapport à l'autre, et ce de même pour les comportements d'explications causales internes. Prenons par exemple l'école, institution de socialisation par excellence. Celle-ci a comme rôle de faire intégrer les normes sociales de la société dans laquelle elle fait institution29 . L'individualisme est une valeur de notre société, il est donc normal que l'école soit le reflet de celle-ci et inculque aux enfant cette valeur.30 L'interprétation d'ordre sociale, l'interprétation d'ordre motivationnelle et l'interprétation d'ordre cognitive identifiée comme explications de l'Erreur fondamentale d'attribution dégagée par Heider, complétée par les trois travaux de Bressoux et Pansu, nous permet de dire que le recours aux explications internes est bien une norme des sociétés libérales. Le mérite serait donc la norme d'un monde juste qui explique le mérite des situations d'échec ou de réussite de soi, et d'échec ou de réussite des autres (interprétation d'ordre motivationnelle), ce qui est valorisé socialement par l'individualisme ambiant (interprétation d'ordre sociale et troisème travail de Bressouc et Pansu). Tout ces éléments encouragent les individus à penser que chacun mérite sa place, et qu'il faut adopter une posture méritocratique pour être juste. La méritocratie se justifie donc en se disant juste, mais n'oublions pas que ce qui la justifie se base sur une erreur de jugement, sur des comportements instinctifs erronés dû à l'Erreur fondamentale d'attribution. Cette légitimation du système en place, inégal, et confrontant une classe sociale dominante à une classe sociale dominée, trouve alors son sens et justifie même les inégalités, comme dans l'ouvrage de fiction-sociologie de Young, sauf que celui-ci voit ce genre de société tellement inconvenue pour une cohésion sociale saine et juste qu'il la tourne en boutade. Plus que de la légitimer, il est important pour une société inégale de faire intérioriser aux individus la constituant cette légitimité, pour ne pas perturber l'ordre social établit. Weber résume très bien ce point de vue en disant :"Coutume et intérêts ne peuvent, pas plus que des motifs d'alliance strictement rationnels en valeur, établir les fondements sûrs d'une domination. Un facteur décisif plus large s'y ajoute normalement : la croyance à la légitimité. [...] Toutes 29 DURKHEIM 30 Dans le point suivant, nous verront que l'école inculque également la notion du mérite, en lien directe avec l'individualisme ambiant. Page 24 sur 37
  • 25. dominations cherchent à éveiller et à entretenir la croyance en leur légitimité."31 La démonstration faite ici pourra, bien entendu, être discréditée en raison de son caractère orienté vers une critique de la méritocratie, et il sera facile pour les garants de l'idéologie méritocratique de réfuter ces critiques en faisant appel à l'épaisseur du concept de mérite.32 3.2 L'école comme institution sociale promotrice du mérite. Nous avons vu au point précédant que l'école est une institution sociale où les enfants intègrent les normes et les valeurs de la société. En effet, nous pouvons dire que l'école est le reflet de la société dans laquelle elle fait institution. Dans ce point, je vais démontrer que l'école permet de faire intégrer le concept de mérite aux élèves, et de cette façon fait perdurer la croyance en la légitimité de l'ordre social établit. Je décrirais également certaines conséquences à cette intégration du mérite à l'école. Anne Barrère nous dit que l'école base son fonctionnement sur la norme d'équivalent travail33 , c'est à dire que tout travail doit s'accompagner de récompense en terme de résultat. Nous retrouvons ici la fameuse croyance du mérite citée plus haut, qui pousse à croire que tout travail mérite une récompense proportionnelle au résultat atteint. Pourtant, le manque de travail est la raison qui ressort le plus souvent lorsque des lycéens sont interrogés sur les différentes raisons de l'échec ou de la réussite scolaire34 . Anne Barrère développe ce qu'elle appelle " la dérégulation entre le travail et l'évaluation "35 en décrivant 4 typologies d'étudiants en fonction du lien travail / résultat. Ce développement a pour but de démontrer que l'école promeut le mérite dans son fonctionnement pour faire intégrer et ainsi légitimer le système méritocratique en place dans la société, et également de montrer les dérives d'un tel fonctionnement, pour qu'il soit possible de faire le lien entre le fonctionnement méritocratique de l'école et le fonctionnement méritocratique de la société. Les 4 typologies d'étudiants se divise en deux sous-groupes, le sous-groupe où il n'y a pas de rupture dans la relation travail / résultat, c'est à dire que la dérégulation n'opère pas et que la récompense en terme de résultat est bien la résultante du travail, et le sous-groupe inverse où il y a 31 WEBER M., Economie et société/1, Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, Pocket, 1995 32 SAVIDAN P., Repenser l'égalité des chances, Paris, Grasset, 2007 33 BARRERE A., Les lycéens au travail, Presses universitaires françaises, paris, 1997 34 Ibidem 35 BARRERE A., Les enseignants au travail, L’Harmattan, Paris, 2002 Page 25 sur 37
  • 26. rupture dans la relation travail/résultat, et que la dérégulation opère en venant casser cet élément de justice que nous promettait le mérite, de façon erronée (de par l'interprétation d'ordre motivationnelle). 3.2.1 Pas de dérégulation travail / résultat. Le premier type d'étudiant est surnommé "le bosseur". C'est le type d'étudiant pour lequel la méritocratie prend tout son sens de justice. "Le bosseur" fournit un travail qui lui demande des efforts qui lui permettent de réussir. Ce type d'étudiant est reconnu par l'école comme méritant selon la norme d'équivalent travail. Le second type d'étudiant est surnommé "Le fumiste". C'est le type d'étudiant pour lequel la méritocratie prend tout son intérêt. "Le fumiste" fournit peu de travail, ce qui ne lui demande pas beaucoup d'efforts, et il ne réussit pas. Le lien entre travail et résultat est maintenu proportionnel, régulé. "Le fumiste" est le réel garant idéologique du système méritocratique car, en plus de mériter son résultat, il reste persuadé qu'il peut réussir si il se met à travailler. Anne Barrère précise également que ce genre d'étudiant agirait de la sorte pour garder son amour propre. En effet, si "le fumiste" se met à travailler, c'est à dire fournir un effort, déployer de l'énergie, et qu'il ne parvient pas au résultat escompté, il tombera dans une impasse de la méritocratie, quand la notion épaisse du mérite lui donne un sens auquel on adhère pas, le mérite en fonction du résultat ! Ses efforts ne seront alors pas récompensés malgré leur pénibilité. L'élève ne pourra que s'en prendre à lui-même car il l'aura mérité. 3.2.2 Dérégulation travail / résultat. Le troisième type d'étudiant présenté par Anne Barrère est surnommé "Le touriste". C'est le type d'étudiant pour lequel peu de travail et peu d'efforts sont nécessaire pour réussir. Pour ce type d'étudiant, on peut encore voir deux sous-types de "touriste". "Le touriste première classe" est l'héritier à la Bourdieu et Passeron. C'est le type d'étudiant qui peut se permettre une attitude désinvolte, ne pas trop travailler et réussir en classe grâce à son capital culturel et social. "Le touriste seconde classe" est l'élève moyen qui vit sur ses acquis, c'est à dire qu'il n'a pas un fort capital culturel ni un fort capital social, mais qu'il a des compétences et des savoirs suffisants pour réussir sans devoir déployer trop d'efforts. Le type "Toutiste" vient contrecarrer l'idéologie méritocratique car il ne mérite tout Page 26 sur 37
  • 27. simplement pas sa réussite, vu qu'il n'y a pas de déploiement d'effort proportionnel au résultat de celui-ci, et que l'agentivité est réduite, voir quasi-inexistante (si ce n'est pour compléter de réponses les questions des évaluations). Il rend même la norme d'équivalent travail obsolète parce que ce n'est pas le travail qui lui permet de réussir, mais son origine sociale. L'école, pour ce type d'élève, est créatrice d'inégalité sociale, car elle permet la réussite, et donc le mérite en terme de résultat pour un agent non-méritant. Enfin, il y a le quatrième type d'étudiant qui est, lui, surnommé "Le forçat". C'est le type d'étudiant qui vient également mettre à mal la méritocratie. Malgré le travail, l'effort qu'il mobilise dans son action, "le forçat" ne parvient pas à réussir. Ici, pour ce type d'étudiant, l'école vient transformer une action méritante en démérite, elle donne au "forçat" le message qu'il ne travaille pas assez car il n'a pas réussi, qu'importe le travail et les efforts fournis, le résultat étant plus important. La norme d'équivalent travail est, ici aussi, obsolète car il y a travail, mais pas de résultat positif en découlant. Ce qu'il est important de préciser, c'est que plus de 50 % des élèves interrogés par Anne Barrière dans son étude se disent "forçat". Il y a donc une réflexion à construire sur ce chiffre alarmant car si l'école est bien le reflet de la société en tant qu'institution sociale, cette proportionnalité se traduit dans nos sociétés occidentales et créé une inégalité flagrante et importante en terme de régulation action / résultat. Il y a ici deux choix possible pour ce type d'étudiant. Se référer à la norme d'équivalent travail, mérite en terme de résultat, qui n'est qu'une transposition de la norme de la société méritocratique à l'école (interprétée comme juste), ou se référer au mérite en terme d'effort déployé. Dans le premier cas, l'élève intégrera le fait qu'il n'est pas méritant de nature, car il ne parviendra pas à la réussite, alors que d'autres oui. Ce choix fait violence à l'individu, et la résignation qui en découle permet aux inégalités de perdurer sans risque d'ébranler la stabilité du système méritocratique. Dans le second cas, l'élève rejettera la norme d'équivalent travail et le démérite de ne pas avoir réussit, et perdra foi en la croyance que les efforts sont justement récompensés et remettra en cause les titres délivrés par l'école. Néanmoins, le système prévoit ce genre de situation et a mit en place une division des lieux d'éducation permettant aux "Forçats" d'être récupérés dans des types d'enseignement où les efforts de travail demandés sont moindres. Cette hiérarchisation de l'enseignement est aussi créatrice d'inégalités sociales, car elle permet la formation d'une élite reprenant les "Touristes" et les "Bosseurs", et tend à maintenir une certaine reproduction sociale à la Bourdieu, mais cette fois par l'intermédiaire de la notion de mérite en terme de résultat. Nous assistons ici, en plus d'une certaine reproduction sociale due à la naissance une certaine Page 27 sur 37
  • 28. reproduction sociale due au mérite. Le système de valeurs de la société méritocratique est tellement présent dans la pensée collective que les étudiants sont prêts à adapter leur attitude à leur résultats pour ne pas altérer leur croyance en l'équivalent travail, alors qu'il paraitrait logique qu'une certaine désillusion de la méritocratie opère auprès des étudiants. Anna Barrière remarque néanmoins qu'il y a plutôt un d'effet de protection sans questionnement du sens du système. Elle explique cela en disant qu'il existerait alors , ici encore de par l'épaisseur du concept de mérite, des représentations différentes de la méritocratie en fonction de la position scolaire et sociale en faisant le parallèle avec la société méritocratique, contrairement à l'idée d'une représentation uniforme suggérée par la théorie de la norme d'internalité. Nous avons donc pu voir que l'école tente de mettre le mérite au centre de son fonctionnement, par la norme d'équivalent travail. Cette norme d'équivalent travail donne du mérite au résultat plutôt qu'au déploiement d'un effort au travail. Ce mérite lié au résultat est la cause d'une stigmatisation des élèves de type "Forçat" qui voient leur situation de démérite comme résultante de leur manque de travail, alors que l'effort déployé pour le travail fournit est le même, voir plus important que pour d'autres types d'élèves. L'école favorise donc des privilégiés de par leur origine sociale ou de par leurs capacités supérieures (intelligence, capacité de compréhension, capacité de synthèse, etc...), ce qui crée une inégalité sociale, une élite. La société méritocratique vient contrer cet effet en subdivisant l'enseignement en plusieurs types pour regrouper les types d'élèves et les enfermer un peu plus dans une position sociale déterminée. Il est bien entendu à prendre en compte ici un autre rôle de l'école qui est son rôle de formation. Nonobstant le fait qu'il faut tenir compte de l'intégrité psycho-sociale des élèves, l'école dispense également un savoir qu'il est nécessaire d'intégrer, et il est nécessaire de définir une norme d'intégration minimale qui définit elle-même les résultats à atteindre. Ceux-ci sont d'une certaine façon catégorisant quant aux 4 typologies d'élèves, leur réussite et leur mérite. Maintenant que j'ai conceptualisé et problématisé la notion épaisse de mérite, et que j'ai déployé ce concept d'un point de vue sociétal en expliquant ce qu'est la méritocratie, pourquoi elle est choisie comme idéologie dominante pour nos sociétés occidentales, et pourquoi elle perdure grâce à l'école comme institution de socialisation, je vais à présent mettre en lumière le lien entre la méritocratie et l'assistanat. Cette partie me permettra de faire un lien avec le travail social. Page 28 sur 37
  • 29. 4 La méritocratie et l'assistance. Les sociétés occidentales sont donc dans une idéologie sociétale méritocratique, mais pas au point d'être comparable à la fiction sociologique de Young. En effet, ces sociétés prévoient une série de mécanismes qui permettent aux personnes dans une situation socio-économique et/ou culturelle désavantagée de combler le manque causé par la situation et ainsi de rééquilibrer les choses pour améliorer l'égalité des chances des individus. Je ne vais pas parler dans ce chapitre de la façon dont les ressources sont redistribuées spécifiquement en fonction des différents mécanismes d'aide, mais bien de l'image du mérite que renvoie la société méritocratique sur les individus en procédure d'assistance et les autres. Il aurait été très laborieux de dresser l'état des lieux de la redistribution des richesses dans nos sociétés car chaque pays a son propre fonctionnement dans ce genre de matière. De plus, l'aspect du mérite de l'assistance est un aspect qui peut être transposé à la lecture de beaucoup de sociétés méritocratiques occidentales, ce qui le rend plus pertinent à définir. La méritocratie légitime donc la place dans la hiérarchie sociale qu'ont les individus sous couvert d'une assurance, l'égalité des chances, que l'on retrouve sous la forme, entre autres, de la démocratisation de l'enseignement. Néanmoins, fort est de constater que cette égalité des chances n'est pas sans failles, et que les phénomènes de reproduction sociale sont toujours d'actualité. Pour combler ces lacunes, il existe l'aide sociale qui permet de servir de filet de récupération pour les individus les moins favorisés. Cette aide sociale est à la base une assurance, une protection sociale valable pour tous, mais avec le temps elle s'est transformée en assistance pour des cas individuels.36 Cette modification de l'aide sociale est due à la montée de l'individualisme. Dans un contexte d'aide sociale, ce n'est plus le collectif qui est redevable envers l'individu (compréhension externe de la situation), mais l'individu qui est redevable envers le collectif (compréhension interne de la situation). Ce changement a eu plusieurs conséquences néfastes pour les personnes bénéficiant de l'aide sociale, et une de ces conséquences est qu'elles sont plus stigmatisées qu'avant. Cette aide sociale ayant été créée avant la période de crise que nous connaissons (à partir de 1970), si il s'agit bien d'une période, n'avait pas prévu l'arrivée importante de chômeurs en son sein dû à cette crise et à ces conséquences comme la politique d'austérité que nous subissons, les fermetures d'usines, la saturation du marché de l'emploi pour certaines professions, ... Il y a donc dans un premier temps reconnaissance de la responsabilité collective de la hausse du chômage, et donc dichotomie du public bénéficiant de l'aide sociale entre les pauvres et les chômeurs. Le 36 BORGETTO M. Et LAFORE R., L'état providence, le droit social et la responsabilité, Lien social et politique, 46, 2001, p 31-42 Page 29 sur 37
  • 30. chômeurs est alors perçu comme une conséquence accidentelle de la crise, alors que les pauvres sont perçus comme responsables de leur situation, vu qu'ils étaient là avant la crise. Chômeurs et pauvres se voient alors dirigés vers des aides différentes, le l'O.N.E.M. et le C.P.A.S. L'aide sociale étant de plus en plus sollicitée, les politiques ont dû s'adapter en augmentant le budget alloué à l'aide sociale et également mettre en marche une politique sociale ciblée pour avoir réellement une gestion de la pauvreté et du chômage. De plus, si chacun mérite sa place, il est important que l'État considère cela et mette en œuvre une politique sociale idéologiquement teintée de mérite. Ces politiques sociales ciblées ont trois effets néfastes. 4.1.1 L'effet de seuil au sein d' un continuum.37 Cet effet est important à considérer car il est un des effets qui stimule la stigmatisation des personnes en situation d'assistance. En effet, les politiques sociales ciblées vont déterminer un certain nombre de caractéristiques socio-économiques qui vont permettre ou non de recevoir l'aide sociale. Seulement, en déterminant des caractéristiques socio-économiques comme le revenu, cela pose le problème du seuil au sein du continuum des salaires en ce qu'une personne gagnant 1 euro de plus n'aura pas droit à l'aide sociale alors que sa situation est peut-être plus nécessitante, voir plus méritante qu'une autre personne. Nous voyons ici apparaitre un comportement de délation infondée des classes populaires défavorisées38 envers les personnes bénéficiant de l'aide sociale, et cela est facilement compréhensible du fait que ces individus des classes populaires défavorisées finissent par être dans une situation d'urgence plus importante que certains individus en situation d'assistance. Nivolas Duvoux nous dit même que ce sentiment est d'autant plus fort que la proximité est directe. Robert Castel nous dit également que : " C'est un mélange d'envie et de mépris qui joue sur un différentiel de situation sociale et fixe la responsabilité du malheur que l'on subit sur les catégories placées juste au-dessus ou juste au-dessous sur l'échelle sociale."39 4.1.2 Une image négative des personnes en situation d'assistance. Le mérite au sein de l'aide sociale est difficile à définir. En effet, qu'est-ce que "mériter" une 37 DUVOUX N., Le nouvel age de la solidarité : Pauvreté, précarité et politiques publiques, Seuil, La république des idées, 2012. 38 La notion de classe populaire défavorisée désigne l'ensemble des individus se trouvant entre la classe moyenne et la pauvreté. (SCHWARTZ O., La Notion de "classes populaires", mémoire d'HDR, université de Versailles-Saint- Quentin-en-Yvelines, 1997) 39 CASTEL R., L'insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ?, Paris, La république des idées / seuil, 2007, p51 Page 30 sur 37
  • 31. aide sociale ? Et je dirais même, qu'est-ce que "mériter" une aide ? Rappelons encore une fois que la notion de mérite est "épaisse" et peut être utilisée de diverses façons en fonction de son contexte. L'État interprète ce mérite de différentes façons, que ce soit par les démarches d'insertion, d'activation et de responsabilité de la personne en situation d'assistance. Cette personne se doit donc de mettre tout en œuvre pour s'intégrer, s'activer et se responsabiliser pour mériter l'aide collective. Seulement, il est important de rappeler que l'insertion est un objectif de l'aide sociale, et non un préalable, une condition à l'obtention d'une aide sociale.40 L'idée de mérite renvoie donc, en fait, à l'activation et la responsabilisation individuelle de la personne par rapport à sa situation. Seulement, pour une multitude de causes diverses et variées internes et externes (perte d'un membre, accoutumances diverses, maladies, ...), toutes les personnes en situation d'assistance n'ont pas les mêmes ressources internes ou externes pour mettre en place, et de façon optimale, cette activation et cette responsabilisation. En vient alors une stigmatisation des personnes ayant le moins de ressources, et vues de l'extérieur comme des "profiteurs", comme des personnes bénéficiant d'une aide comme d'un "privilège". Quelques mesures sont prises pour permettre aux personnes avec moins de ressources de s'en sortir, mais certains mécanismes leur rendent la tâche encore plus ardue que pour d'autres. 3 mécanismes41 sont ici à prendre en compte, et qui encouragent cette vision du bon pauvre méritant et du mauvais pauvre non-méritant. • Faire l'amalgame entre catégorie sociale et catégorie humaine, et lier l'infériorité de pouvoir avec l'infériorité humaine42 • Justifier individuellement si un recour à l'aide collective est nécessaire ou pas. • Qu'il n'y ait pas de conditions pour ceux qui ne peuvent "authentiquement" pas travailler, et des conditions pour ceux que l'on soupçonne de pouvoir le faire. De plus, la précarité engendre une certaine frustration des individus dans la société due au fait que le système méritocratique est faillible et que cette faiblesse rend l'interprétation d'ordre motivationnelle falsifiable et met en exergue le fait que le monde n'est pas juste, et que certaines personnes n'ont, en effet, pas les mêmes ressources au départ, et que donc cette égalité des chances nécessaire à une justice sociale au sein d'une méritocratie n'est pas opérationnelle. Il faut donc 40 DUVOUX N., Le nouvel age de la solidarité : Pauvreté, précarité et politiques publiques, Seuil, La république des idées, 2012. 41 ELIAS N. Et SCOTSON J. L., logiques de l'exclusion. Enquête sociologique au coeur des problèmes d'une communauté, Paris, Fayard, 1997 (1965), p 50 42 Il sera toujours important de rappeler qu'il n'y a pas de pauvres, il n'y a que de la pauvreté. Page 31 sur 37
  • 32. chercher l'erreur, car elle ne peut être structurelle (l'interprétation d'ordre social pousse à une réflexion d'internalité). Définir un bouc émissaire calque parfaitement avec l'erreur fondamentale d'attribution (et est donc littéralement une erreur) et la proportion minime de personnes "profitant" du système d'aide collective renforce encore plus ce procédé de stigmatisation. Cette frustration est perceptible et est perçue par les politiques qui renforcent encore plus ce processus de stigmatisation pour trouver des responsables aux problèmes structurels. Malheureusement, ce genre de processus généralise le sentiment que les personnes bénéficiant d'une aide en profitent comme d'un privilège, alors que ce n'est le cas que pour une minorité d'entre elles. Il serait, selon moi, intéressant de comparer la responsabilité des réels fraudeurs bénéficiant de l'aide sociale par rapport à la crise et la responsabilité des fraudeurs auteurs d'actes comme l'évasion fiscale par rapport à cette même crise. Les résultats obtenus mériteraient de se retrouver dans ce Travail de Fin d'Études, mais un tel ouvrage n'existe pas (selon mes recherches). Il est, en théorie, possible de calquer l'erreur fondamentale d'attribution sur des classes sociales favorisées au lieu des classes sociales les plus pauvres, mais la méritocratie vient ici jouer un rôle régulateur, en ce qu'elle va confondre le mérite rétributif et le mérite moral, et inciter la population à penser que la fraude fiscale est moins à stigmatiser car elle découle d'actes méritant moralement (puisque bien payés, rétributifs), et que ces actes s'inscrivent plus dans la pensée collective comme à valoriser. Rappelons que le mérite rétributif est à dissocier du mérite moral, et que toute association des deux termes en un seul ne serait qu'une erreur de logique. Rappelons également qu'il est moins fatigant d'imputer la faute à l'unique responsabilité de l'agent, et que les individus faisant partie des classes sociales favorisées sont plus enclin à penser les causes des situations comme internes. Enfin, le vrai fraudeurs de l'aide sociale (et par extension, donc, une majorité de personnes en situation d'assistance) sont également mal vu car ils vont à l'encontre d'une solidarité collective, et dénigrent de cette façon l'effort collectif, et donc tout le pan d'aide sociale mis en place par le système.43 4.1.3 Risque de dualisation de la société. Un des risques des politiques sociales ciblées est le fait qu'il y a un risque que la société se voit dualisée entre les bénéficiaires des aides sociales et les financeurs de l'aide sociale44 . Il est très 43 CHELLE E., Gouverner les pauvres : Politiques sociales et administration du mérite, Presses universitaires de Rennes, 2012 44 DUVOUX N., Le nouvel age de la solidarité : Pauvreté, précarité et politiques publiques, Seuil, La république des idées, 2012. Page 32 sur 37
  • 33. important de garder en tête que la question sociale n'est pas une addition de problématiques personnelles, que le tout est plus que la somme des parties, et que c'est la question du vivre ensemble dans un monde réellement juste qui doit être au centre de nos préoccupations. Une politique sociale ciblée ne fait que pointer du doigt un aspect disfonctionnant du système, et cherche à apporter une réponse à un aspect de la question sociale. Je pense que c'est en privilégiant une protection sociale pour tous que les politiques sociales auront un impacte positif sur l'ensemble des individus de la société et sur la question sociale Il y a donc une faille dans l'idéologie méritocratique qui est que l'assistance mise en place pour les personnes ayant droit est stigmatisante de par le fait qu'elle est ciblée. Ces personnes ont une place méritée (et à mériter) que le système justifie et utilise à des fins symboliques de légitimité de la méritocratie comme idéologie d'un monde juste. Hors, il ne l'est pas car il découle d'une illusion, de croyances erronées. Page 33 sur 37
  • 34. 5 Conclusion. Nous avons donc analysé la stigmatisation des personnes en situation d'assistance qui ressort de la faille de la société méritocratique, à savoir le fait de passer à côté de la question sociale en pensant permettre aux individus d'être libre de leur destin par le biais de l'égalité des chances, alors que celle-ci n'est pas opérante de par la mauvaise interprétation du concept de mérite par la société et les politiques sociales. Cela a été possible grâce aux apports théoriques de la définition de mérite ainsi que de ces composantes que sont la chance, l'égalité, la justice et la liberté en lien avec celui-ci, et également grâce aux explications démontrant que le mérite est l'idéologie dominante de nos sociétés occidentales, à cause du phénomène d'erreur fondamentale d'attribution et grâce au rôle important qu'a l'école dans le processus d'intériorisation des normes de la méritocratie à savoir la norme d'équivalent travail et le mérite en terme de résultat atteint. Ce travail résulte en une lecture de la méritocratie que je trouve utile d'avoir en tête en tant que futur assistant social. Je trouve qu'il faut pouvoir avoir une grille de lecture philosophique et sociale qui propose une explication parmi d'autres des différentes interactions entre les individus en fonction du contexte, et que le mérite est une notion centrale pour le moment. Avoir la notion de mérite en tête devient dès lors un outil intéressant pour décrypter différentes situations auquel un assistant social pourrait être confronté, tel qu'un sentiment de rejet profond de la part d'un bénéficiaire qui subirait une stigmatisation de la part d'autrui, ou encore pouvoir être un agent de prévention auprès d'un public qui ne serait pas forcément outillé correctement pour comprendre les enjeux d'un public plus défavorisé et les conséquences qu'un jugement hâtif découlant sur une stigmatisation pourrait avoir sur des individus, et sur le système lui-même. D'un point de vue plus macroscopique, je trouve qu'il est de la responsabilité de chacun de concevoir le monde dans lequel nous vivons, et de ne pas se laisser piéger par des mécanismes simplistes qui détournent le bon sens pour asservir nos idéaux, par principe de facilité ou de profit personnel. L'être humain est un être social, la question du vivre ensemble ne doit donc pas être prise à la légère et doit être pensée et réfléchie jusqu'à terme, et ne pas se complaire dans un semblant de justice facétieux, il en va de notre responsabilité à tous. Page 34 sur 37
  • 35. 6 Remerciements. Je tiens à remercier tout particulièrement mes grands parents pour m'avoir soutenu tout au long de mes études à l'I.S.F.S.C., Valérie qui a supporté mes crises de nerfs quand le stress était trop présent, Mr Dubois pour la liberté au niveau de l'avancement du processus d'écriture laissé à mes soins, mes amis qui ont été conciliants par rapport au peu de temps que je leur ai consacré ces derniers temps, ainsi qu'aux professeurs de l'I.S.F.S.C. sans qui je n'aurais pu prendre conscience de tant de choses, et aux autres personnes que je n'aurais pas citées. (Ma famille, Jack, Garou, Eloha, ...) Page 35 sur 37
  • 36. 7 Bibliographie • ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, V-3, 1130b sq. • BARRERE A., Les enseignants au travail, L’Harmattan, Paris, 2002 • BARRERE A., Les lycéens au travail, Presses universitaires françaises, Paris, 1997 • BORGETTO M. Et LAFORE R., L'état providence, le droit social et la responsabilité, Lien social et politique, 46, 2001, p 31-42 • BRESSOUS P. Et PANSU P., Quand les enseignants jugent leurs élèves, Presses universitaires française, 2003 • CASTEL R., L'insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ?, Paris, La république des idées / seuil, 2007, p51 • DUBOIS N., La norme d’internalité et le libéralisme, Presses universitaires de Grenoble, 2009 • DUVOUX N., Le nouvel age de la solidarité : Pauvreté, précarité et politiques publiques, Seuil, La république des idées, 2012. • ELIAS N. Et SCOTSON J. L., logiques de l'exclusion. Enquête sociologique au cœur des problèmes d'une communauté, Paris, Fayard, 1997 (1965), p 50 • GAUCHET M., La démocratie contre elle-même, Gallimard, 2002 • HEGEL, G. W. F., Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé, 1830, §539 • HEIDER F., The Psychology of Interpersonal Relations, 1958 • http://www.littre.org/, site consulté le jeudi 17 avril 2014 • KANT E., Critique de la raison pure, 1781 • MERLE P., La démocratisation de l'enseignement, La Découverte, Collection repères, 2009 • MICHAUD Y., Qu'est-ce que le mérite ?, Éditions Bourin, 2009 • RAWLS J., A theory of justice, Oxford, OUP, 1971 • SAVIDAN P., Repenser l'égalité des chances, Paris, Grasset, 2007 • TENRET E., Les étudiants et le mérite : A quoi bon être diplomé ?, Études & recherche, La Page 36 sur 37
  • 37. documentation Française, 2011 • WEBER M., Economie et société/1, Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, Pocket, 1995 • YOUNG M., The rise of the Meritocracy, 1958 Page 37 sur 37