1. +
Université Paris Diderot Paris 7
DoSciLa 2013 – Journée d’étude doctorale CLILLAC-ARP
La langue en contexte
« Du contexte à l'environnement :
une approche écologique du discours »
Marie-Anne Paveau, Université de Paris 13 Sorbonne Paris Cité, Pléiade (Cenel)
2. +
Introduction. Le contexte
introuvable
Achard-Bayle 2006
objet linguistique paradoxal ; à la fois partout et mal identifié : 3
colonnes (15 définitions et/ou références) dans Glossaire
bibliographique des sciences du langage (Gobert 2001)
représente plus de 60 occurrences dans l’index du Dictionnaire
encyclopédique de pragmatique (Moeschler & Reboul 1994) =>
record
apparaît 1 seule fois dans les « domaines de recherche » de
l’annuaire des membres de l’ASL (en 2006)
Dictionnaire d’analyse du discours (Charaudeau & Maingueneau
2002) : 2 pages, équivalent volume de cooccurrence et
contradiction
3. donc : « incontournable » depuis linguistiques TDI (France
années 1960-70) MAIS en même temps contourné
« absence de délimitation » (Gary-Prieur 1999, Les termes clés
de la linguistique)
« polysémie », « qui le rend faiblement opératoire bien qu’il soit
omniprésent dans le discours linguistique » (Neveu 2000,
Lexique des notions linguistiques)
DAD : article contexte 3 ouvrages cités : 1992 et 1996
donc : notion de contexte a investi recherches linguistiques
(énonciatives, discursives, textuelles, cognitives, socio-,
psycho-, ethno-, anthropo-linguistiques, pragmatiques,
interactionnelles…) MAIS semble condamné à place
d’« arrière-plan » (au sens scientifique et terminologique du
terme)
4. +
Plan de la conférence
1. Le
contexte, une tradition linguistique
parallèle
2. Définitions
du contexte dans les
linguistiques TDI (linguistique française)
3. Problèmes concrets d’analyse liés au
contexte. L’exemple des discours numériques
4.
L’écologie du discours : l’environnement
dans une linguistique symétrique
5. +
1. Le contexte, une tradition
linguistique parallèle
début des années 1920, possibilités théoriques & disciplinaires
pour l’élaboration d’une science des mots en contexte : Sapir
1921, Malinovski 1922 (AP), Bakhtine en 1924 (ETR)
Sapir, Malinovski & Bakhtine analystes du discours ou
sociolinguistes de la première génération ?
à quelques années près, linguistique de la langue (CLG 1916) et
linguistique de la parole contemporaines
spécialistes TDI (Paveau 2013a) : peuvent s’autoriser de la
solidité d’une tradition ancienne vs assumer fragilité de
positions dites récentes ou marginales dans les sciences du
langage
6. + 1.1. L’aspect culturel du contexte, Sapir,
Linguistique, 1921, trad. fr. 1968
Langage et expérience : « Autre trait psychologique caractéristique
du langage, ce système symbolique n’est, en pratique, nullement
isolé ou indépendant de l’expérience directe à laquelle il se réfère
ou se substitue, mais, au contraire, langage et expérience
s’interpénètrent mutuellement » (p. 35).
Langage et interaction : « L’emploi de certains mots dans un contexte
particulier peut en modifier complètement la signification apparente.
Un “même” message sera interprété de façon différente selon la
place psychologique occupée par l’auteur du message vis-à-vis de
ses interlocuteurs, ou bien encore selon que des manifestations
expressives primaires comme l’affection, la colère ou la peur
viennent charger les mots d’une signification qui transcende
complètement leur valeur normale. » (p. 36)
Expression & référence : « Le fait que presque n’importe quel mot ou
groupement de mots peut être doté d’une variété infinie de
significations semble indiquer que toute activité linguistique
suppose l’imbrication étonnamment complexe de deux systèmes
isolables que l’on désignera de façon un peu schématique comme un
système référentiel et un système expressif. » (p. 37)
7. + 1.2. L’approche anthropologique de Malinovski :
Argonautes 1922, Mœurs et coutumes des
Mélanésiens, 1933
1922 trad. fr. 1963 : « Les mots isolés sont des fictions linguistiques
[…]. La phrase constitue parfois une unité linguistique autonome, mais
elle n’est pas pour autant une unité linguistique à part entière. À nos
yeux, le fait linguistique véritable est l’énoncé complet en
situation » (p. 246 )
1933 trad. fr. 1975 : « L'anthropologue se trouve dans une situation telle
que les résultats de ses recherches ne dépendent pas de quelques
maigres restes culturels, de tablettes brisées, de textes effacés ou
d'inscriptions fragmentaires. Il n'a pas besoin, pour combler
d'immenses lacunes, de recourir à des commentaires volumineux, mais
conjecturaux. Le faiseur de mythes est là, à sa portée […]. Il a devant ses
yeux, dans toute sa plénitude, la vie même d'où le mythe est né. Et, ainsi
que nous le verrons plus loin, ce contexte fourni par la vie nous
apprend autant sur le mythe que le récit lui-même » (p. 8)
1933 : « Certes, le texte est extrêmement important, mais, isolé du
contexte, il est sans vie. » (p. 12)
8. + 1.3. La linguistique située de Bakhtine
Esthétique…1924, Volochinov Marxisme… 1929
Bakhtine 1924 trad. fr. 1978 : « Un énoncé isolé et concret est toujours
donné dans un contexte culturel, sémantique et axiologique : contexte
scientifique, artistique, politique et autre […]. C’est dans de tels
contextes que tel énoncé est vivant et intelligent […]. Il n’existe point, il
ne peut exister d’énoncés neutres. Or, la linguistique ne voit en eux
qu’un phénomène de langage et ne les relate qu’à l’unité du
langage » (p. 58)
Volochinov 1929 trad. fr. 1977 : « Toute énonciation, quelque signifiante
et complète qu’elle soit par elle-même, ne constitue qu’une fraction
d’un courant de communication verbale ininterrompue (touchant à la
vie quotidienne, la littérature, la connaissance, la politique, etc.). Mais
cette communication verbale ininterrompue ne constitue à son tour
qu’un élément de l’évolution tous azimuts et ininterrompue d’un groupe
social donné »
Volochinov : « La langue vit et évolue historiquement dans la
communication verbale concrète, non dans le système linguistique
abstrait des formes de la langue, non plus que dans le psychisme
individuel des locuteurs » (p. 137).
9. + 1.4. Années 1960-70, le discours
1.4.1. Côté énonciation : Benveniste 1966 [1962]
« La phrase, création indéfinie, variété sans limite, est la vie
même du langage en action. Nous en concluons qu’avec la
phrase on quitte le domaine de la langue comme système de
signes, et l’on entre dans un autre univers, celui de la langue
comme instrument de communication, dont l’expression est
le discours. Ce sont là vraiment deux univers différents, bien
qu’ils embrassent la même réalité, et ils donnent lieu à deux
linguistiques différentes, bien que leurs chemins se croisent
à tout moment. Il y a d’un côté la langue, ensemble de signes
formels, dégagés par des procédures rigoureuses, étagés en
classes, combinés en structures et en systèmes, de l’autre, la
manifestation de la langue dans la communication vivante.
La phrase appartient bien au discours. C’est même par là
qu’on peut la définir : la phrase est l’unité du discours. » (p.
130)
10. 1.4.2. Côté sémantique discursive : Pêcheux, Haroche &
Henry 1971
« Le cas est tout différent pour la sémantique. En effet, le lien
qui relie les « significations » d’un texte aux conditions
socio-historiques de ce texte n’est nullement secondaire,
mais constitutif des significations elles-mêmes : comme
on l’a remarqué à juste titre, parler est autre chose que
produire un exemple de grammaire. » (p. 141)
« […] le sujet parlant prend position par rapport aux
représentations dont il est le support, ces représentations
se trouvant réalisées par du « pré-construit »
linguistiquement analysable. » (p. 153)
11. + 2. Définitions du contexte dans les
linguistiques TDI (linguistique française)
2.1. Moirand 2006 : une conception dynamique
« […] une conception dynamique du contexte, ce qui, pour le chercheur en
analyse du discours qui travaille sur les données empiriques, repose sur le
repérage et la prise en compte d’indices de contextualisation de niveaux
divers au fur et à mesure de l’avancée du recueil des données et des
analyses effectuées (mais pas forcément dans l’ordre de l’énumération qui
suit :
– le cotexte linguistique, le cotexte linéaire du « fil » intratextuel (le fil
horizontal du discours ou le fil déroulant de l’interaction et les reprises de
formes diverses qui s’y manifestent) ;
– le contexte sémiotique et situationnel (le « hic » et « nunc » de la situation de
communication) ;
– le contexte des séries génériques dans lesquelles s’inscrivent les unités
discursives empiriques recueillies à l’intérieur d’un domaine, dans une
situation de communication ou sur un type de support ;
– et enfin le contexte socio-historique qui entre de manière exhibée ou cachée
dans les configuration discursives, donc tout ce qui relève de l’intertexte et
de l’interdiscours (voire de l’histoire conversationnelle), ainsi que des
mémoires collectives et des savoirs partagés, c’est-à-dire de l’histoire… » (p.
43)
12. 2.2. Kerbrat-Orecchioni 2012. Notion
d’« influence » et interne vs externe : position
dualiste
« 2. Contexte défini comme “ensemble d’éléments qui
influencent l’interprétation” vs contexte comme “pur
environnement” » (en ligne)
« On voit mal comment les entours d’une unité X pourraient
être sans influence sur X, aussi bien du point de vue de la
production de X par A (c’est-à-dire de l’ensemble de ses choix
discursifs) que de l’interprétation de X par B.
Cette définition distingue deux types de contextes qui sont en
réalité tous deux susceptibles d’avoir de l’influence sur l’unité
envisagée […]
Mais pour l’heure, intéressons-nous à la diversité des influences
qu’ils peuvent exercer sur un segment discursif quelconque, et
en particulier sur les effets possibles du contexte sur
l’interprétation. » (en ligne)
13. « Quels que soient le cadre théorique et la terminologie
adoptés, on admet très généralement qu’il convient de
distinguer deux grands types de contextes, le contexte interne
(contexte « linguistique », « discursif », « endogène » ou
« séquentiel », parfois appelé également « cotexte », ce qui
rend ambigu le terme de « contexte » qui tantôt s’oppose à
« cotexte » et tantôt l’englobe) vs externe (« extralinguistique »
ou « exogène »). »
« Si donc la distinction entre données « internes » et
« externes » n’est pas une vue de l’esprit (il y a bien des
énoncés, et des choses autour), d’un point de vue descriptif la
question pertinente se pose en ces termes : quels sont les
types de savoirs nécessaires à l’interprétation du segment
discursif soumis à l’analyse (savoirs linguistiques,
pragmalinguistiques et socio-pragmatiques, génériques,
cotextuels et intertextuels, situationnels, encyclopédiques…) ?
S’agit-il de savoirs préalables ou construits au cours de
l’événement communicatif lui-même, et sont-ils ou non
partagés par les différents participants à l’interaction ? »
14. + 3. Problèmes concrets d’analyse liés au contexte.
L’exemple des discours numériques
3.1. Les blogs
19. + Ce qui est écarté par l’analyse logocentrée des
blogs
Le design du blog et en particulier sémiotique des couleurs
(rouge couleur lutte anti-sida)
L’image et son interaction avec le texte (Romero & Sheila)
Les métadonnées (billets précédents haut, catégories et mots
clés bas)
Les commentaires
L’environnement colonne droite du blog (ADMD)
Le lien hypertexte sur Elus locaux contre le sida :
intertextualité hypertextuelle
23. + Ce qui est écarté par l’analyse logocentrée du
réseau Facebook
Design des comptes (couleurs, dispositions, colonnage,
etc.) : guide de la l’interprétation et de la production
Indices d’identité (technomots ou segments) : nom, photo de
profil, photo de couverture, guides de production du sens et
éventuellement d’usage des langues en situation de
diglossie
Métadonnées (techno): « à propos », amis, pages « j’aime »,
fenêtre photos, etc.
Technomots-consignes (j’aime, commenter, partager) et
boutons fonctionnels (ajouter) : indices de construction du
« fil » du discours
24. 3.3. Le tweet
Présentation logocentrée :
12 ans que la Hollande a légalisé l’#euthanasie ! On y meurt
mieux accompagné, plus humainement et chez soi !
(Économist Intelligence unit)
Présentation contextuelle :
26. + Ce qui est écarté par l’analyse logocentrée du
tweet
L’avatar, le pseudo, le nom (métadonnées)
La date (en haut), l’heure (en bas)
Les technomots fonctionnels
La contextualisation de l’énoncé par le hashtag
La fonction « détail »
Les retweets et les favoris
Les avatars des twittos qui ont retweeté et favorisé
La fenêtre de réponse
Timeline : la conversation
27. + 4. L’écologie du discours : l’environnement dans
une linguistique symétrique
4.1. Inspirations épistémiques : la cognition externe dans
un cadre postdualiste
The Theory of Affordances : Gibson 1979, The Ecological
Approach to Visual Perception & Norman 1988, Design of
Everyday Things => activités cognitives du non-humain
Distributed Cognition : Hutchins 1994, « How a Cockpit
Remembers its Speed » => notion d’environnement cognitif
Active externalism, Clark & Chalmers 1998, « The extended
Mind » => extension de la conscience hors de l’esprit
Postdualisme : Schaeffer, 2007, La fin de l’exception humaine =>
réintégration de l’homme dans l’ordre de la nature
(+ travaux éthologie homme-animal, couplage homme-machine,
posthumanisme, etc.)
28. + 4.2. Choix théoriques (Paveau 2012)
dépasser l’approche logocentrée (focus sur les seuls
observables langagiers) et « égocéphalocentrée » (sortir du
subjectivisme énonciativiste)
penser le rapport linguistique / extralinguistique comme un
continuum et non une distinction voire opposition : approche
écologique (active externalism)
prendre comme observables l’ensemble des éléments de
l’environnement humain et non-humain (affordances)
(Paveau 2013b)
penser le contexte comme un écosystème où s’élabore le
discours et non comme un arrière-plan ou un lieu
d’inscription et d’influence du discours (cognition
distribuée) => technologie discursive pour les DN
29. + 4.3. Une conception composite du discours. La
linguistique symétrique (Paveau 2009)
Symétrique < Latour 1991, anthropologie symétrique, objets
hybrides
« Le discours n’est pas un monde en soi, mais une population
d’actants qui se mêlent aux choses comme aux sociétés, qui
font tenir les unes et les autres et qui les tiennent. s’intéresser
aux textes ne nous éloigne pas de la réalité car les choses
ont droit, elles aussi, à la dignité d’être des récits » (p. 123).
« Toutes les natures-cultures sont semblables en ceci qu’elles
construisent à la fois les êtres humains, divins et non
humains » (p. 143).
Penser le langagier comme un composite hétérogène fait de
langagier, social, culturel, historique, matériel,
technologique, émotionnel, etc.
35. +
Les boutons de partage, exemple de carnet à réseau (FB)
1. Billet à partager
2. Clic sur le bouton : fenêtre du TDR (± verbe locutoire)
3. Rédaction du TDR
4. Partage effectué
40. + Références
Achard-bayle G., 2006 (coord.), Pratiques 129-130, « Textes contextes ».
Bakhtine M., 1978 [1924)] Esthétique et théorie du roman, trad. D. Olivier,
Paris, Gallimard.
Benveniste É., 1966 [1962], Problèmes de linguistique générale, tome I,
Paris, Gallimard [Chapitre X : « Les niveaux de l’analyse linguistique »],
119-131.
Charaudeau P., Maingueneau D. (dir.), 2002, Dictionnaire d’analyse du
discours, Paris, Seuil.
Clark A., Chalmers D., 1998, « The Extended Mind », Analysis 58 (1), p.
10-23.
Gary-Prieur M.-N., 1999, Les termes clés de la linguistique, Paris, Seuil.
Gibson J.J., 1979, The Ecological Approach to Visual Perception, Hillsdale,
Lawrence Erlbaum.
Gobert F., 2001, Glossaire bibliographique des sciences du langage, Paris,
Panormitis.
Hutchins E., 1994 [1991], « Comment le cockpit se souvient de ses
vitesses » (trad. de « How a Cockpit Remembers its Speed »), Sociologie
du travail 4 : 461-473.
Kerbrat-Orecchioni C., 2012, « Le contexte revisité », CORELA - RJC
Cotexte, contexte, situation :
http://corela.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=2627
Latour B., 1991, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie
symétrique, Paris, La découverte.
41. Malinovski B., 1963 puis 1989 [1922], Les Argonautes du Pacifique, Paris,
Gallimard.
Malinovski B., 1933, « Le mythe dans la psychologie primitive », in Mœurs
et coutumes des Mélanésiens, Paris, Payot, http://www.uqac.uquebec.ca
Moeschler J., Reboul A., 1994, Dictionnaire encyclopédique de
pragmatique, Paris, Éditions du Seuil.
Moirand S., 2006, « Textes, discours et contextes », Pratiques 129-130,
43-49.
Neveu F., 2004, Dictionnaire des sciences du langage, Paris, A. Colin.
Norman, D. A., 1988, The Design of Everyday Things. New York, Doubleday.
Paveau M.-A.
– 2009, « Mais où est donc le sens ? Pour une linguistique symétrique »,
conférence invitée au deuxième colloque international Res per nomen,
Reims, 30-31 mai, in Actes prépubliés, p. 21-31.
– 2012, « Réalité et discursivité. D’autres dimensions pour la théorie du
discours », Semen 34, 95-115.
– 2013a (à par. juin), « Genre de discours et technologie discursive.
Tweet, twittécriture et twittérature », Pratiques 156-157.
– 2013b, « Environnement », Technologies discursives [carnet de
recherche], http://technodiscours.hypotheses.org/311, consulté le 4
avril 2013.
Pêcheux M., Haroche C. & Henry P., 1971, « La sémantique et la coupure
saussurienne », Langages 24, repris in Maldidier, 1990, p. 133-153.
Sapir E., 1968 [1921], Linguistique, trad. J.-É. Boltanski & N. Soulé-
Susbielles, Paris, Gallimard.
Schaeffer J.-M., 2007, La fin de l’exception humaine, Paris, Gallimard.
Volochinov V.N., 1977 [1929], Le marxisme et la philosophie du langage,
trad. M. Yaguello, Paris, Éditions de minuit.