Les châteaux du Val de Les châteaux du Val de Loire, l’invention de l’architecture de la Renaissance en France
Les châteaux du Val de Loire et l’invention de
l’architecture de la Renaissance en France
Pierre-Gilles GIRAULT, conservateur au Château royal de Blois
Exposé présenté lors du 10e anniversaire de l’inscription du Val de Loire au Patrimoine
mondial de l’humanité par l’UNESCO (Tours, 4 décembre 2010)
Pour le grand public français et même international, l’idée même d’architecture de la
Renaissance en France semble se confondre avec les châteaux de la Loire. On en veut
pour preuve, qu’alors même que l’architecture est très peu présente dans l’exposition
« France 1500, entre Moyen Age et Renaissance », actuellement présentée à Paris au
Grand Palais, les numéros spéciaux de revues consacrés à l’exposition, comme le
Figaro ou Beaux-arts magazine, consacrent plusieurs pages aux châteaux de la Loire,
inséparables de l’idée de Renaissance.
Des châteaux au fil de l’eau
Dans cette appellation de « châteaux de la Loire », il y a… « Loire ». C’est en effet le long du
fleuve, de Gien à Nantes, que s’égrène une guirlande de châteaux. D’un point de vue
touristique, l’appellation désigne plus particulièrement les édifices compris dans le périmètre
situé entre Chambord et Angers.
Les monuments entretiennent d’ailleurs un rapport plus ou moins étroit à la Loire. Certains
sont édifiés sur ses rives, mais d’autres et non des moindres, sont bâtis sur l’un de ses
affluents : Cosson et Beuvron entre Blois et Chaumont, Cher et Indre entre Tours et Ussé, et
plus à l’ouest la Vienne, le Thouet et la Maine, qui reçoit en amont les eaux de la Sarthe et
du Loir.
Il y a les châteaux qui regardent la Loire, comme Amboise et son balcon ; ceux qui en étaient
autrefois isolés par un haut mur d’enceinte qui a justement été détruit pour leur permettre de
s’ouvrir sur le fleuve, comme Chaumont ; et ceux qui tournent le dos au fleuve, comme Blois,
dont la façade des Loges préfère regarder les anciens jardins du château.
Château d’Amboise - J L 57 @Flickr
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Il faut ajouter un autre lien avec le paysage. Les châteaux sont l’émanation de ce « terroir »
par les matériaux mêmes dont ils sont constitués : l’ardoise d’Anjou pour les toitures ; la
pierre et en particulier le tuffeau blanc des coteaux pour les murs ou les sculptures ; la terre
pour les briques des murs ou des cheminées ; enfin les bois issus des forêts environnantes,
matériau peu visible de l’extérieur mais indispensable aux hautes charpentes des
châteaux…
Château de Blois : ardoise, tuffeau et brique sont visibles - dadavidov @Flickr
Pourquoi de si nombreux châteaux ont-ils été bâtis dans le Val de la Loire ? Suivant les
époques, le fleuve est tantôt lien, tantôt frontière. Vers l’an mil, c’est l’axe sur lequel
s’affrontent les comtes de Blois et les comtes d’Anjou pour le contrôle de la Touraine. À la fin
du Moyen Age, la Loire forme la frontière de fait entre la partie du royaume contrôlée par les
Anglais au Nord et les Français au sud.
Les forteresses des princes territoriaux
A partir de l’an mil, de puissants seigneurs édifient de grosses tours maîtresses
quadrangulaires : sur l’Indre à Loches et Montbazon ; sur le Cher à Montrichard, sur le Loir à
Lavardin ; sur la Loire enfin, à Beaugency et Langeais… Au XIIe siècle, leur succèdent de
massives tours rondes à Châtillon-sur-Indre et Châteaudun.
A cette domination des grands seigneurs répond l’extension progressive du domaine royal. Il
comprend l’Orléanais dès 987, le Berry en 1101, l’Anjou et la Touraine sont conquis sur les
Plantagenêt – rois d’Angleterre et comtes d’Anjou – au début du XIIIe siècle. Aussitôt, les
rois de France y construisent de puissantes forteresses : à Chinon par Philippe Auguste et à
Angers par Louis IX, futur saint Louis.
Comtes et rois affirment également leur pouvoir par la construction de grandes salles de
justice : elle est détruite à Montargis, en ruine à Chinon, mais conservée à Blois.
A la fin du XIVe siècle, le roi se sent assez fort pour séparer du domaine royal de vastes
terres attribuées en apanage aux cadets royaux. Les fils du roi non appelés à régner sont
dotés d’apanages ligériens : duchés de Berry et Anjou pour les frères de Charles V ; duchés
de Touraine puis d’Orléans pour le frère de Charles VI.
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Tour carrée de Beaugency. Gill Bland @Flickr
Les anciens châteaux-forts sont conservés, mais leurs murs sont percés de fenêtres,
couronnés de dentelles de pierre et de plomb doré. Les célèbres miniatures des Très riches
heures du duc de Berry nous montrent les féériques silhouettes des châteaux de Saumur ou
de Mehun-sur-Yèvre, qui façonnent pour longtemps l’imaginaire des châteaux.
Mais ce sont là des ornements réservés aux princes du sang ; de 1400 à 1500, les
capitaines restent fidèles au parti militaire, au moins dans l’apparence extérieure de leur
demeure : La Trémoïlle à Sully, Dunois à Châteaudun, Charles d’Amboise à Chaumont…
Vers 1470, le roi Louis XI lui-même fait encore édifier à Langeais une forteresse pour se
protéger des incursions bretonnes.
La vallée des rois
Car au XVe siècle, le Val de Loire est devenu le refuge puis la résidence favorite de la
monarchie. En 1418, le dauphin – futur Charles VII – s’enfuit de Paris tombé aux mains des
Anglo-Bourguignons. Il se réfugie en Berry et Poitou et arpente le Val de Loire pour aller de
l’un à l’autre. Il réside à Tours, Chinon, Loches, et y demeure même après la reconquête du
royaume et la fin de la guerre de Cent Ans.
Son fils Louis XI naît à Bourges, grandit à Loches et réside à Tours. Il commence la
construction d’une résidence de campagne au Plessis-Lès-Tours. Là le souverain
abandonne totalement les apparences militaires. Il fait le choix d’une architecture modeste
en brique, conçue sur le modèle des demeures bourgeoises flamandes. C’est une première
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forme de la Renaissance, inspirée du Nord, alors que ce modèle flamand triomphe à la
même époque dans la peinture.
Cette architecture fait peu de place à l’ornement si ce n’est la polychromie des briques
vernissées ou plombées. Le Plessis est ensuite imité vers 1490 à Gien, par Anne de
Beaujeu, fille de Louis XI, au château du Moulin, ou encore au début du XVIe siècle au
château de Jallanges.
Plessis-Lès-Tours - Notre Dame Architecture Library @Flickr
Son successeur Charles VIII est né à Amboise. Dès 1491, il entreprend la reconstruction du
château dominant la Loire. Amboise est le triomphe du gothique flamboyant, dont
l’esthétique issue de l’art religieux inspire désormais l’architecture civile.
Lucarnes et pinacles du château d’Amboise proclament l’élan vertical du gothique. Il n’y a
pas ou peu de trace d’italianisme, sinon dans les jardins conçus par le Napolitain Paccello da
Mercogliano et le décor d’une porte de la tour Hurtault, sans doute sculptée sous le règne
suivant.
A la mort prématurée de Charles VIII, son cousin Louis XII, né à Blois, lui succède. A peine
monté sur le trône, en 1498, il entreprend de reconstruire le château des comtes de Blois
devenu demeure royale.
L’aile Louis XII du château combine les goûts de ses prédécesseurs : briques du Plessis et
couronnement gothique d’Amboise. L’édifice met en scène le pouvoir royal : statue équestre
dominant l’entrée, balcons d’où le roi et la reine regardent les tournois et sont vus par
l’assistance.
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Côté cour, une distribution nouvelle apparaît : un portique ouvert au rez-de-chaussée et une
galerie fermée à l’étage facilitent la circulation. On remarque une apparition timide des
ornements à l’italienne, comme les candélabres sculptés sur les piliers de la galerie.
Renaissance, mode d’emploi
Son successeur n’est autre que François Ier, né à Cognac mais qui grandit à Amboise puis à
Blois. Dès 1515, François Ier lance le chantier de Blois : il rhabille par de nouvelles façades
l’ancien logis médiéval dont il conserve la structure.
A l’extérieur du mur d’enceinte, il construit la façade des Loges, dont la composition s’inspire
des loges nouvellement édifiées par Bramante au Vatican. Côté cour, il élève un escalier
monumental, en vis et hors œuvre selon l’usage français, mais innovant par ses larges
ouvertures. De part et d’autre, la façade est quadrillée par des pilastres verticaux et des
corniches horizontales d’inspiration italienne.
Façade des Loges du Château de Blois - dadavidov @Flickr
Si l’on compare les lucarnes de l’aile François Ier avec celles de Louis XII, on observe que le
gâble aigu et les moulures anguleuses laissent la place à un nouveau répertoire décoratif
inspiré de l’Antiquité à travers l’Italie du Quattrocento : pilastres, consoles, oves et fers de
lance, coquilles, niches…
Mais il ne faut pas exagérer le contraste : les colonnes remplacent les moulures
prismatiques, des candélabres succèdent aux pinacles gothiques, mais la structure de la
façade et l’élan vertical demeurent.
Ce sont les caractéristiques de la première Renaissance française : accueillir les formes
nouvelles sur une structure fidèle au parti français traditionnel. Flamboyant et Renaissance
sont ainsi deux répertoires décoratifs dans lesquels les artistes de l’époque puisent avec
éclectisme.
Ils n’ont d’ailleurs pas la même conception que nous de la modernité : pour eux le style
« moderne » est ce que nous appelons « gothique » et « à l’antique » ce que nous nommons
Renaissance.
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En 1519 à Chambord, François Ier pousse cette logique à l’extrême. On retrouve sur les
façades le quadrillage de pilastres et moulures, des galeries de circulation sous des arcades.
L’escalier hypertrophié est toujours en vis mais cette fois à double révolution et placé au
centre de l’édifice : c’est que désormais le plan se veut symétrique et régulier.
Château de Chambord - matthewbadger @Fickr
Les châteaux de la finance
Chambord puise son inspiration moins dans les châteaux de la Couronne que dans les
châteaux « expérimentaux » des « robins » de la finance, ces trésoriers du roi nouvellement
anoblis. Ce sont eux, en contact depuis longtemps avec les banquiers italiens, plutôt que les
rois durant les guerres d’Italie, qui ont innové.
Déjà le Plessis-Bourré, construit en Anjou pour Jean Bourré, trésorier de Louis XI, vers 1470,
adopte un plan régulier, des ailes abaissées pour laisser entrer la lumière, et des logis reliés
par une galerie ouverte…
Deux maillons essentiels sont aujourd’hui détruits : le château du Verger en Anjou : on y voit
la statue équestre et les balcons que l’on retrouve à Blois ; et surtout le château de Bury, bâti
pour Florimond Robertet, trésorier de Louis XII puis de François Ier. Dès 1511, on y observe
un plan régulier, une galerie rythmée de pilastres, une façade symétrique avec quadrillage
de pilastres encadrant les emblèmes royaux comme plus tard à Blois et à Chambord.
Cette esthétique de la première Renaissance française s’affirme dès 1513 à Chenonceau,
petit château construit par Thomas Bohier, sur le Cher : le trésorier (encore un !) adopte un
plan ramassé (contraint par la réutilisation des fondations d’un moulin) et une composition
symétrique de la façade d’entrée.
A partir de 1518, Azay-le-Rideau, bâti par Gilles Berthelot sur l’Indre, conserve au dehors un
simulacre de fortification, mais sur la cour un quadrillage de pilastres désormais régulier. Il
se distingue par un escalier rampe sur rampe, à volées droites, à l’italienne, et non en vis,
mais traduit de façon monumentale en façade, à la française.
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Azay-le-Rideau - Richard Parmiter @Flickr
Le commencement de la fin
Un coup d’arrêt est donné à ces chantiers dès la fin des années 1520. François Ier, fait
prisonnier à Pavie (1525), reste captif plus d’un an. Une fois libéré, il annonce en 1527
vouloir désormais résider à Paris. Il lance la construction de nouveaux châteaux en Ile-de-
France : Madrid au bois de Boulogne, La Muette et surtout Fontainebleau.
La même année, des trésoriers – Jacques de Beaune, Thomas Bohier – sont arrêtés pour
malversations. Moins fréquentés par la cour, les châteaux de Blois et d’Amboise servent
surtout de pouponnières royales.
Sans êtres abandonnés les chantiers royaux n’avancent plus que lentement. Les
responsables de ces chantiers se font également construire des demeures sur le modèle
royal, comme Jean Le Breton à Villandry et Villesavin.
Les années 1530 voient quelques ajouts dans le goût Renaissance à Fougères-sur-Bièvre,
Montsoreau, le Boumois, Talcy, Ussé… Dans le même temps, s’élèvent quelques châteaux
plus ambitieux inspirés de Bury ou Chambord, tels que Le Lude, Villegongis, Valençay, ou
Le Gué-Péan.
Le milieu du siècle et les années 1560 connaissent le remaniement du château de
Beauregard. Catherine de Médicis fait ajouter un portique à Blois et un pont galerie à
Chenonceau. Mais le beau XVIe siècle est bien fini et les guerres de Religion ne sont pas
propices aux constructions.
Oubli et renouveau
Le XVIIe siècle connaît quelques nouveaux chantiers comme Cheverny ou Ménars. De
nouveaux bâtiments classiques restés inachevés sont comme encastrés dans les édifices
antérieurs à Brissac et à Blois.
Mais vient l’âge de Versailles et de Paris : la noblesse ne réside plus aux champs et préfère
les hôtels parisiens et les châteaux d’Ile-de-France.
Il faudra attendre le XIXe siècle pour que s’affirment deux tendances parallèles : la
construction de nouveaux châteaux, néo-gothiques ou inspirés de la Renaissance, en Anjou,
comme Challans-la-Potherie, puis en Sologne, comme Vouzeron ou Bon-Hôtel.
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Parallèlement, on redécouvre les édifices anciens : en 1820, l’administration projette encore
de raser les parties antérieures au XVIIe siècle du château de Blois ; vingt ans plus tard, elle
l’inscrit sur la première liste des monuments historiques.
A partir de 1843, Duban à Blois donne le départ des grands chantiers de restaurations de
châteaux, parfois très transformés. Ces architectes : Félix Duban et Anatole de Baudot à
Blois, les frères Ruprich-Robert à Amboise, Dussilion à Azay, Félix Roguet à Chenonceau,
Jules de la Morandière dans de nombreux châteaux du Loir-et-Cher, ont parfois joué un rôle
décisif pour façonner l’image que nous avons aujourd’hui de ces monuments.
C’est l’époque où Viollet-le-Duc énonce sa célèbre doctrine : « Restaurer un édifice, ce n'est
pas l'entretenir, le réparer ou le refaire, c'est le rétablir dans un état complet qui peut n'avoir
jamais existé à un moment donné. »
Il est à noter que cette doctrine connaît ces dernières années un curieux regain d’actualité :
l’apparence actuelle du château de Chamerolles, du couronnement de l’escalier de
Châteaudun ou du logis du château de Chinon doivent plus aux architectes en chef des
monuments historiques actifs depuis vingt ans qu’à tous les bâtisseurs qui les ont
précédés…
Château de Chinon rénové - photos-chinon.cite-creative @Flickr
Où l’on voit que la vie des châteaux de la Loire n’est pas un long fleuve tranquille ; et que les
châteaux de la Loire sont des chantiers permanents qui connaissent une renaissance
perpétuelle.
NB : Cet exposé doit beaucoup à l’enseignement de Jean Guillaume et à l’article de Monique Chatenet, « Les
châteaux de la Loire », dans 303, Arts, recherches et créations, janvier 2003, n° 75, La Loire, p. 127-135. Je leur
exprime toute ma gratitude.
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