1. REPORTAGE M6 novembre 2012
Une entreprise française de 250 salariés relève le défi d'améliorer sa productivité en
distrayant ses employés. Sur le lieu de travail, un baby-foot, des salles de relaxation et
des coins maquillage sont à la disposition du personnel. L'initiative renforce
l'épanouissement des employés et réduit la dépression et l'absentéisme.
La ludification, technique de management qui consiste à réunir le travail et le jeu pour
encourager les employés à se divertir, tente de franchir les portes des entreprises
françaises.
Si le terme peut volontiers paraître barbare, la ludification est une tendance qui
s'immisce dans le management. Le principe est simple: transformer - partiellement - les
locaux de son entreprise en un espace de détente et de divertissement, afin que les
employés puissent souffler, quand ils en ressentent le besoin. «Tout employé, quel que
soit son secteur et son travail, ressent ce besoin de faire un break. Certaines entreprises
proposent donc des espaces dédiés, afin qu'ils se ressourcent», explique Patrick
Dumoulin, directeur de l'Institut Great Place to Work.
Cet espace de jeu et de détente peut prendre plusieurs formes. Un simple baby-foot au
milieu d'une pièce, une table de ping-pong, des jeux vidéo, un canapé où l'on peut se
reposer… La salle de sieste, elle, reste assez minoritaire en France, où le divertissement
a encore peu de place dans la culture du travail française. Et si certaines entreprises
tolèrent la présence d'objets et de lieux de divertissement, les encourager à les utiliser
est encore un autre pas à franchir ;
Si les entreprises qui jouent la carte du divertissement en interne se sont multipliées ces
dix dernières années, très peu la considèrent comme une priorité», observe Patrick
Dumoulin. C'est pourtant le pari que s'est fixé la société informatique Linkbynet, qui a
été jusqu'à installer un toboggan dans ses locaux. Si c'est la première fois qu'une telle
installation apparaît dans des locaux en France, ce n'est pas une première à l'échelle
mondiale.
«Nous avons des espaces de détente et de jeu à tous les étages», explique Patrick
Aisenberg, cofondateur de la société avec son frère Stéphane. «Nous avons une salle de
jeux vidéo, une salle de musique, un terrain multisport où nous organisons des tournois
avec nos collaborateurs… Il y a même des cours de pâtisserie qui sont dispensés deux
fois par mois.
Le divertissement, un allié pour bien manager
Avec de telles installations, on pourrait être tenté de penser que l'amusement devient
une priorité au travail. En vérité, il n'en est rien. «Ce genre d'initiative permet de souffler
tout en se divertissant entre collègues. Mais en aucun cas de prendre le dessus sur le
travail. Ce n'est pas parce qu'une entreprise multiplie les installations que le temps de
décontraction va s'accroître, les salariés gardent en tête leurs priorités!» prévient Patrick
Dumoulin. Car savoir se décontracter est bénéfique au travail et à la productivité.
«Arrêter de penser et faire une pause en pratiquant une activité qui ne nécessite aucune
réflexion est bénéfique au travail», souligne Sylvaine Pascual, spécialiste en relations
humaines.
Philippe Laurent, coach spécialisé en bien-être au travail, confirme l'importance de ces
moments de détente. «Plus ils sont intenses, plus ils favorisent un travail intense. Et la
relation des employés par le jeu et l'amusement permet aussi de changer de rôle: on est
partenaires dans le jeu comme on est partenaires au travail! Le jeu est donc un excellent
moyen de favoriser les relations au travail, le sentiment d'appartenance à un groupe et la
coordination.»
Le management «ludiste» pour booster la performance
2. Le jeu en entreprise n'est pas toujours pensé pour le bien-être des salariés. Dans un
article paru dans la Nouvelle revue du travail en 2013, le sociologue du travail Stéphane
Le Lay explique une autre forme de jeu au travail, in fine beaucoup moins conviviale:
l'insertion de dispositifs ludistes dans le management, qui consiste à intégrer des
challenges et des défis entre les salariés, comportant de vrais objectifs.
Stéphane Le Lay prend comme exemple un centre d'appels où des activités sont
organisées pour accompagner les vendeurs dans leur course à la productivité. Un
challenge «gaufres» a ainsi été organisé, durant lequel tout conseiller arrivant à placer
un produit avait le droit de manger une gaufre. Pire, pendant le mondial de handball, un
challenge «Coupe du monde» a été mis en place. Le principe? Des équipes de salariés
sont formées et doivent s'affronter, les ventes réalisées étant comparées à des buts.
Dans certains plateaux, des vrais buts ont même été installés afin que les employés
puissent y tirer avec un vrai ballon, dès qu'une vente a été réalisée.
3. Bureauphobie»: les raisons du mal-être au travail
Aujourd'hui, de nombreuses raisons font que la vie au bureau peut très vite transformer
le quotidien en cauchemar… Surmenage, environnement inadapté, manque de
reconnaissance sont les causes les plus récurrentes.
La vie au bureau est loin d'être toujours bien vécue par les employés. Que ce soit dans
les grands groupes ou les petites structures, pour les salariés lambdas ou dans les hautes
sphères du management, le mal-être au travail et la «bureauphobie» guettent tous les
employés. Amélie Oudry, psychologue du travail et spécialiste du stress, analyse
pour nous les principales raisons qui gangrènent la vie de bureau.
• Pression psychologique, harcèlement moral sont des problèmes managériaux qui
sont très souvent liés à une surcharge de travail. Il est de plus en plus fréquent qu'on
demande trop à un employé, qui peut être contraint de réaliser plusieurs tâches en
même temps, des choses qu'il n'a pas l'habitude de faire habituellement et qu'on lui
impose. Aujourd'hui, qu'un employé fasse le remplacement - et donc le travail - d'un
autre employé en plus de son travail initial est considéré comme banal. Du coup,
l'employé se retrouve plus facilement dans l'instabilité, il ne sait pas - ou peu - ce qui
l'attend. Cette situation accentue considérablement le risque de burn-out.
• La latitude de décision (ou l'infantilisation) est une sensation très mal vécue au
quotidien par un employé. Plus le degré de leadership est haut, plus la frustration
s'accroît. Par exemple, un cadre supérieur dont le poste lui donne une légitimité en tant
que décisionnaire mais qui, en vérité, n'est qu'un exécutant, au service d'un supérieur
hiérarchique. La norme managériale en France est encore à l'infantilisation des employés,
auxquels on fait peu confiance et à qui on ne laisse que peu d'autonomie dans ses
décisions. Dans ces conditions, il est évidemment difficile pour les employés de
s'épanouir professionnellement…
• La condition environnementale est également une principale cause du mal-être au
bureau, qui s'accroît en même temps que les grands espaces de travail ouverts (les open
space) deviennent la norme. En même temps que cela tue l'intimité (*) de l'employé,
cette condition environnementale implique également une multitude d'éléments
quotidiens qui peuvent vite devenir insupportables: pollution sonore qui nuit à la
concentration ; sonneries de téléphone, bribes de conversations… Même si - dans le
meilleur des cas - l'ambiance entre les salariés est excellente, cela ne peut empêcher des
tensions. Les métiers où la concurrence règne associés à l'open space ne font par
exemple pas bon ménage…
• Le manque de reconnaissance au travail est largement mal vécu par les employés.
Dans nos entreprises, la norme n'est pas à féliciter tel ou tel travailleur pour un oui ou
pour un non. Dans cette même optique, les employés se sentent souvent peu écoutés,
délaissés par leur(s) supérieur(s) qui ne leur accorde que trop peu d'attention. Cette
tendance est la parfaite représentation d'une mauvaise pente du management: un
manager qui n'écoute pas, hermétique aux remarques des membres de son équipe, qui
se posent sans cesse des questions sur leur utilité, sur leur place réelle dans
l'entreprise… Sans reconnaissance, l'employé est en quête constante de sens.
• Les problèmes de communication peuvent prendre différentes formes et devenir
des problèmes d'ampleur. Il y a d'une part la communication verbale entre les employés,
qui peut être tendue par les conditions environnementales… La violence verbale peut
devenir un élément très perturbateur. Ensuite, il y a aussi la communication interne, et la
circulation des informations. Dès lors que tel employé n'a pas eu l'information pour des
raisons qu'il ignore, cela crée un climat de suspicion, qui entrave la paix sociale dans
l'entreprise. Rien de pire en effet, quand tout le monde - sauf soi-même - est au courant.
Un simple oubli d'ajout de destinataire dans un e-mail peut alors prendre une tournure
catastrophique
(*) L'Intimité au travail de Stefana Broadbent (éditions Fyp)