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Précédemment dans la fan-fiction de Mr. Jack :
Le corps de Rosenberg devait disparaitre avant que les autres membres de la Coalition ne s’alarment.
Alan Bauer emmena Jack à l’institut Carnegie pour procéder aux derniers réglages afin d’activer
Sombres Soleils et lui révéler les idéaux d’Old Fates. L’ancien Delta profita d’un moment de panique
pour s’échapper et s’allier à Amaya, le second de Yanaka, dans l’objectif de retrouver l’espion de la
CIA chez les chinois, et alors en terminer à jamais avec l’Agence. Il devait donc retrouver Karamazov,
en accordant cependant une faveur au yakuza : lui livrer James Matters, en passe de rejoindre
l’ambassade pour fuir le pays, une fois l’état d’alerte baissé.
Peu convaincue du témoignage de Cassandra, la CIA avait fait venir deux ex-délégués de l’OTAN liés
à Crépuscule pour confirmer la thèse du mensonge de Radford. Pour éviter d’être inculpée pour une
rétention d’information fictive, elle spécula sur les troubles de mémoire qui avaient touché Jack par le
passé, et chercha une issue de secours. Elle révéla que Radford se terrait au Musée International de
l’Espionnage, mais que l’Agence devait emmener Drakov et Karamazov pour espérer le retrouver.
Alors que l’intervention se préparait, Jack allait se jeter sans le savoir dans la gueule du loup pour
mettre la main sur Karamazov.
Caïn s’échappait du refuge des dissidents en piégeant les Forces Spéciales pour se rendre dans une
zone fantôme à quelques kilomètres, où se levait un large dôme dans une infrastructure grillagée. Reçu
par Hendersen, le soldat réalisa qu’il se trouvait près d’une rampe de lancement nucléaire qui n’était,
d’après son créateur, que la face visible de Sombres Soleils.
Les efforts de Slattery pour retrouver Brainer et Sorensen contrebalançaient avec la découverte de
Caïn. Certain de pouvoir retrouver Serpico dans l’heure, qui s’avérait pourtant n’être qu’une fausse
piste vers AE/Dune, le contre-espion menaça Valajdopov et la Russie de représailles collatérales s’il
était arrivé quelque chose au Président de la Chambre. L’émissaire du FSB clamait son innocence,
mais malgré tout, le corps de Brainer fut retrouvé dans un terrain abandonné. En promettant
réparation, et donc une entrée en guerre, Slattery était-il au courant des installations en Afghanistan,
qui pouvaient toucher Moscou dans les plus brefs délais ? La confirmation officielle de la mort ne
Brainer n’allait pas entrer dans l’oreille d’un sourd, pourtant déjà préoccupé par le commando devant
le Musée et la traque d’AE/Dune.
Episode 18, épisode 19 et épisode 20 : (05h00 - 08h00)
Ces événements se déroulent le jour de l'opération Sombres Soleils, entre 5h et 8h du
matin, heure de Washington DC.
« Est-ce qu’il a été retourné ? Comme devant le plus lisse des miroirs ? », en percevant ces
mots comme de la vapeur sonore, les yeux bandés.
[05:05:11]
− Toutes les raisons de ne pas croire une belle femme −
Le panneau publicitaire à l’effigie d’une Eve irrésistible qui respirait l’innocence, et pourtant,
mordait secrètement le fruit défendu, était en train de chauffer sous les néons en suspension
qui ne s’éteignaient jamais. L’espion piégé par la femme séduisante, et le touriste piégé par le
rôle romancé que proposait le Musée International de l’Espionnage avec cette accroche qui
soulevait la curiosité des passants. On aurait pu écrire « n’ouvrez pas cette porte » que tout le
monde allait se ruer dessus.
Le paradoxe était étrange, releva Ned Martins, arrivé avec la première équipe d’intervention
au sol : pourquoi une publicité pour inciter les gens à se rendre au Musée alors qu’ils étaient
précisément déjà là pour ça ? Le tour était déjà joué, cette femme sur l’affiche n’avait qu’à
tendre la pomme écarlate pour rendre sa cible léthargique puis délirante. Mais celle-ci, ces
visiteurs, s’étaient aventurés dans ses bras de leur propre gré. Et ainsi, le délire, était-il même
possible de se rappeler de son commencement ? Slattery aurait été catégorique, songea-t-il :
c’était l’effort de mémoire qui faisait le délire.
- « J’ai un visuel sur le toit, le ciel est dégagé », ventila une voix dans la radio sous la nuit
unanime. « Le commando tactique est en approche ! »
L’adjoint au directeur se situait à l’angle du Warder Building et son Spy City Café, qui
voisinait l’antre du Muséum, l’Adams Building. Comme si le ciel allait lui tomber dessus, il
inclina sa nuque à la renverse sous l’escalier métallique de secours qui se hissait jusqu’au
cinquième et dernier étage du Warder, dans la rue perpendiculaire à l’entrée principale. Le
directeur de l’attraction avait été réveillé à l’eau froide, considérant qu’en raison des travaux,
les fenêtres sud-est du troisième au cinquième étage pouvaient avoir été cloisonnées au gaffer,
et que cela pouvait expliquer le repli stratégique des suspects à ces niveaux.
Le bâtiment blanc de verre qui surplombait les deux Buildings par l’arrière était mobilisé par
deux tireurs d’élite qui désespéraient un visuel sur l’édifice couleur ocre. Le reste de l’unité
était en attente, ou avait investi une partie de rez-de-chaussée par répartition individuelle. Au
seuil de la pierre angulaire, où paradait l’inscription espionnage à la verticale, Cassandra
Evans dénombrait les agents pour connaître les issues verrouillées.
- « Le Congrès évincerait Braxton pour un chat de gouttière trop bruyant », contracta Martins,
entre la devanture du café et les barrières de sécurité au bord du trottoir.
- « Nos deux fauves vont peut-être faire des vagues. Tout le monde est si tendu. »
- « Si l’opération fait le moindre bruit, le niveau d’alerte maximum est déclaré officiellement,
après ce qui s’est passé sur la Baie et l’attentat devant les bureaux du Département. »
- « Vous ne pouvez pas piéger Radford sans vous attendre à un tour de magie. Ils sont isolés
et connaissent le périmètre, un coup de feu est vite parti. »
- « Sauf si vous établissez le contact avec lui », en traversant le carrefour pour rejoindre le van
de surveillance qui précédait une Mercedes noire teintée.
Le directeur des opérations claqua silencieusement la portière du véhicule, accompagné par
son chauffeur, puis se dégagea du champ lumineux qui dévorait une partie du bitume.
- « Le Conseil de Sécurité ne veut pas d’une négociation à l’amiable, l’affaire doit être traitée
dans l’heure au risque de faire grimper le seuil d’alerte », imposa Braxton autoritairement en
se déplaçant vers son adjoint et Cassandra. « Radford doit savoir que vous êtes là, que nous
sommes prêts à répondre à sa demande et que nous encerclons les lieux. Comme il suppose
que nous allons le doubler, vous êtes notre meilleure carte, Cassandra. »
- « Je dois aller là haut et lui laisser croire que je suis de son côté ? », entrant dans le van pour
être équipée d’un micro.
- « Allez au point de rencontre, et dites à Radford que la CIA lui tend un piège dehors pour
repartir avec Drakov et Masri, qui ne vont plus tarder. Que, comme l’intervention doit être
discrète, aucun commando ne se situera sur le toit. Les termes de l’échange, du moins ce que
vous lui ferez croire : on accepte de lui envoyer une belle paire de saints…mais il doit nous
donner Linda Radford comme assurance. »
Elle pressa l’adhésif sur sa peau pour faire tenir le fil sous la chemise et enfila sa veste en cuir
brun par-dessus. Le technicien harponna alors son casque pour entendre le retour audio.
- « Il n’y aura pas de terrain neutre pour l’échange », fit-elle remarquer.
- « Après avoir transmis le message, vous revenez chercher Drakov. L’échange se fera au
premier niveau du Warder. »
- « Jamais il ne livrera sa propre fille… »
- « Il l’a déjà fait une fois. Vous savez être persuasive, trouvez quelque chose. »
- « Je peux ? », demanda nerveusement Martins afin de s’isoler un instant avec elle.
Le DD-O acquiesça et les observa à distance, avant de s’entretenir avec le chef de la police
qui s’était déplacé dans la confidence, avec quelques hommes en stand-by.
- « Braxton vous accorde sa confiance parce qu’il sait que si vous violez notre deal, les
charges retomberont sur vous », prévint Martins en gesticulant autour d’elle.
- « Il n’est pas seulement question de moi. Jack a aussi droit à sa propre paix. Avant de
chercher à s’évader à l’Agence, Radford m’avait murmuré son plan à l’oreille. L’extraction
devant le Département, le lieu de rencontre, m’arranger pour faire sortir Drakov et Masri,
enfin Karamazov, ou appelez-le comme vous voulez. »
- « Quelle promesse a-t-il fait pour effacer sa dette envers vous ? »
- « Jack est ici d’après lui. Je n’ai aucune raison de m’écarter de notre accord, mais si je suis
là c’est pour lui, peu importe ce qu’il adviendra de Radford ensuite. »
- « Bon sang… », figé sur place, le regard dans le vide. « Radford laisse pendre l’hameçon, et
dès le départ, vous envisagiez de le duper en partant avec Jack… »
- « Ned, le marché sera respecté. Je suis l’appât…Avec une telle prise, la CIA refoulera la
commission d’enquête et… »
- « Cassandra », la cernant à nouveau, subitement glacé par son regard en approchant la
bouche de son oreille pour échapper à la perspicacité de son supérieur. « Je ne sais pas
comment vous l’annoncer. L’Agence ne le sait pas depuis longtemps. Jack…cette histoire a
mal tournée. »
Elle recula machinalement, comme si elle désirait secrètement que les mots qu’elle redoutait
ne viennent jamais à elle, et plissa l’entre-sourcil par un semblant de déni.
- « Qu’est-ce qui a mal tourné ? »
- « Son appartement a pris feu pendant qu’il était dedans. Quand on est arrivé sur les lieux,
tout a commencé à s’effondrer. On a rien pu… »
- « Vous l’avez vu, de vos propres yeux ? Et personne n’a rien pu faire ? Qui était là bas ?
Pourquoi personne ne l’a couvert ?? »
- « Personne n’a rien vu venir. Et Radford sait comment prendre par les sentiments. De longs
cheveux blonds, un soutien-gorge et il aurait fait la parfaite espionne du KGB », se risquant à
détendre l’atmosphère d’un calme pesant.
Elle respira de plus en plus péniblement, par des vibrations effrénées qui la firent fuir
impulsivement jusqu’au coin de rue pour s’isoler contre une vitrine d’agence de location
immobilière. Martins pointait au-delà de son épaule, à quelques dizaines de mètres derrière
elle quand la rapidité du souffle s’accentua jusqu’à la crise de panique. Cassandra se laissa
glisser du dos pour s’asseoir en vacillant, les mains qui enserraient les genoux pour reprendre
le contrôle, et lança un aperçu subreptice dans l’allée, où Braxton et Martins se consultaient
avant d’envoyer Drakov dans la ruche à l’honneur des traitres et espions.
- « Les charges ont été posées près des transformateurs avant l’arrivée des fédéraux », signala
le responsable de l’extraction de Gabriel et Linda Radford, à la lueur d’une lampe à piles.
« On doit les activer avant l’aube ou les unités aériennes pourront les repérer. »
Radford enclava un œil dans l’espace millimétré découpé dans le gaffer pour apercevoir le
panorama restreint, qui ouvrait sur la rue principale face à l’entrée. Il y distinguait du
mouvement, quelques ombres opaques qui s’agitaient dans un silence de cathédrale.
Alors que la CIA l’avait tout juste accueilli à bras ouverts il y a quelques heures, sa
conversation avec Mikhael Drakov sur le toit de Langley l’avait convaincu de se tourner vers
Old Fates. Puisque le président ne lui avait pas accordé sa grâce et qu’il était dans le
collimateur de tueurs à gages, Radford estimait que les ressources de cette compagnie
permettaient de retrouver Karamazov et faire chanter Charles Logan. Le programme de
protection des témoins, être contraint de s’accrocher à la barre des accusés au procès, révéler
avoir menti sur Crépuscule, laisser sa fille à découvert…le compromis ne lui laissait pas
d’avantage sur la situation, à moins de disparaitre, et en tout honneur, sous le nez des
fédéraux. L’austérité sur son visage s’effaça pour y substituer une anxiété paternaliste quand
il posa son attention sur elle. Il ressentait pour la première fois un sentiment de responsabilité
envers sa fille. Se tirer d’ici au prix de quelques blessures de guerre, c’était à envisager, mais
la prendre sur ses épaules en traversant les tranchées…Une odeur forte − semblable à du
soufre, mais ce n’en était pas − lui montait au nez, mais bien décidé à ne pas renifler une
mauvaise intuition, Radford se pinça le nez et poursuivit sa retraite.
[05:09:43]
La sueur perlait sur le front de Jack, comme si sa peau menaçait de s’embraser aux premiers
rayons du soleil, impatients d’envahir le bleu céleste. Il changea de fil sur la bretelle
d’autoroute aux portes de la ville, en repoussant du visage les phares éblouissants qui le
persécutaient de chaque côté, puis décolla ses mains du volant pour essuyer la transpiration.
Son téléphone sonnait depuis une quinzaine de secondes déjà sans même qu’il ne s’en
aperçoive, prenant ensuite conscience du vibreur qui faisait trembler l’allume-cigare.
- « Bauer. »
- « L’avocat de M. Yanaka vient de me contacter. D’après les clauses de sa détention
conditionnelle, il a été informé d’un transfert provisoire de Masri il y a quelques minutes. »
- « Vos hommes ont pu le pister ? », incertain de reconnaitre la voix du bras droit de Yanaka.
- « Des ouvriers en probatoire qui pavent l’autoroute à la sortie de Langley, ils m’ont signalé
le passage d’un convoi minimal vers la 295. On a attendu de voir où ils nous menaient : au
quartier Penn, au nord de Pennsylvania. »
- « Le Q.G. du FBI ? », alors que la batterie du téléphone faiblissait.
- « Pas si on s’en réfère à l’intervention de la police. C’est le Musée de l’espionnage qu’ils
visent. L’information n’est pas confirmée, mais je vous conseille de prendre cette direction. »
- « Dès que… », subitement essoufflé. « Dès que Masri me donne mes renseignements, je
m’occupe de Matters… »
- « Le Bureau et la CIA ne se disputent plus les lauriers. Le contre-espionnage n’est pas prêt
d’acquitter son effectif pour le retrouver, et la mafia ne veut pas se compromettre en
s’impliquant dans l’opération. Prenez Matters comme une dette envers nous. »
L’interlocuteur avait raccroché, et alors que Jack paraissait se dissoudre sous l’effet de la
canicule malgré la climatisation, le pick-up dévia de sa direction, pour s’expatrier sur la voie
de gauche en manquant de peu la collision avec le terre-plein central. Soit je négocie ma
liberté en mettant la main sur Masri et je laisse le champ libre à James. Soit je pars le
retrouver avant les fédéraux, et Masri sera à tout jamais hors de p…La voiture se fit lacérer
par le séparateur en ferraille quand Bauer commença à réagir pour reprendre de la stabilité,
effaré de son inconscience qui semblait se propager. Quand Slattery lui avait injecté ce sérum
de vérité dans la journée, il avait dû, par mégarde, le contaminer de ce fléau égyptien. En un
sens, toute la poussière du sol s’était changée en moustique, et désormais, il se sentait
perpétuellement piqué par un germe de folie à propos de l’existence et l’obsession envers cet
agent dormant. À un tel point que cette obsession était devenue plus importante que la raison
qui l’avait guidé toutes ces années : l’aspiration à sa propre liberté, tout cela pour cesser de
n’être, à son tour, qu’un fléau pour les autres.
Penché sur la passerelle du second niveau qui surplombait les installations balistiques, Caïn
restait stoïque, pareil à une statue de Pygmalion en mémorisant les étapes logistiques qui
servaient à lancer le compte à rebours. L’histoire se répétait ? Rien n’était plus faux se
persuadait-il depuis des années, ce n’étaient souvent que des impressions de déjà-vu, mais
celle-ci lui fit aussitôt songer à l’issue de l’opération Crépuscule, que Caïn connaissait
jusqu’au bout de ses ongles, embrumés de sable humidifié par la sueur.
Il avait précisément été engagé au FBI pour monter un dossier sur Bauer cette année-là, sans
jamais en connaitre les aboutissements. Il savait juste que Hendersen s’était chargé de le
recruter pour remplir cette paperasse, et se servir des informations tout en restant à couvert.
Maintenant qu’il savait pour Old Fates, le soldat en inférait que son ancien mentor au Bureau
Fédéral collectait les renseignements dans l’ombre de la Maison Blanche et de la Coalition.
- « Même pour un grain de beauté au milieu des couilles, il doit le savoir… », à haute voix, en
ricanant du nez, sans être entendu.
- « En trois films Hannibal Lecter n’a pas cligné des yeux une seule fois. Je commence à
croire qu’il y a un lien de parenté » releva Hendersen en le prenant par l’épaule, la cigarette
vissée entre les phalanges.
- « Tu hérite plus de ses talents par ton don de disparition et de réapparition. »
- « Relâche tes épaules petit, ce n’est pas comme si j’allais te pousser dans le vide… »
Caïn réalisa qu’après tout, il n’était peut-être pas celui qui avait le plus de ressentiment dans
l’affaire. Lorsqu’il avait découvert qu’il était manipulé pour enquêter secrètement sur Bauer,
il avait menacé Hendersen, alors directeur de la DIA, d’envoyer un rapport à la Commission
Sénatoriale. Ce dernier n’avait eu aucun mal à renverser la vapeur et continua à le graisser
pour obtenir ce qu’il désirait. Après avoir chuté du haut du siège du FBI, Hendersen avait
passé un long séjour dans le coma, avant de s’éclipser ensuite aux yeux du monde entier.
Quand il était entre la vie et la mort, Caïn était incapable de dire s’il avait provoqué l’accident
intentionnellement ou non, et pourtant, il n’ignorait pas combien son décès l’aurait arrangé
pour ne pas plonger au cœur d’une investigation fédérale. Pour se blanchir, il avait plaidé la
cause du suicide pour Hendersen, malgré les doutes de l’expertise psychologique. Quelques
mois plus tard, Hendersen disparaissait, et Caïn était persuadé, jusqu’à ce jour, qu’on avait
débranché la prise parce qu’il avait eu accès à des informations confidentielles. Sur toute la
ligne, il s’était planté : non seulement Hendersen était vivant et avait échafaudé sa fuite, mais
en plus, son pouvoir allait au-delà de tous les degrés de commandement.
Caïn aurait-il seulement pu supporter l’idée qu’un œil continuait à l’observer dans le ciel en
lui remémorant son crime ? Après tout, il n’avait jamais été aussi heureux d’avoir été dupé sur
cette fausse mort. Ce fut en toute ironie, sans doute le sentiment antagoniste que Jack avait pu
éprouver en apprenant que Drazen était bien vivant…
- « J’aurais pu avoir de l’opium à la place du sang que tu m’aurais quand même fait venir ici.
Bergman, un leurre pour me faire traverser le continent et me servir le thé chez toi. Tout ce
temps, Brainer et moi on pensait traquer la Coalition, mais en fait, c’est toi qui secouait les
branches…Alors tu ne me renverras pas l’ascenseur n’est-ce pas ? »
- « Si tu avais eu la décence de venir me voir à l’hôpital », inhalant la fumée de sa cigarette
avant de prendre le monte-charge. « Tu aurais su dès le départ que c’était pour moi une
chance unique de m’extraire du Renseignement. On t’aurait évité un poids sur la conscience.
Les membres de la Coalition, il y a dix ans, ils savaient que j’allais m’effacer. C’est pour ça
qu’ils ont fait état de ma disparition à la presse, pour retrouver ma trace. »
Les étincelles de chalumeaux crépitaient en arrière-plan lorsqu’on vérifiait une dernière fois
l’attache du silo sur le LGM-30, après la première utilisation de la rampe par Frank Bergman
la veille. Le Minuteman III, l’homme qui tombait à pique, avait compris Caïn, qui connaissait
bien le mécanisme de ce missile intercontinental puisqu’il était le seul encore en service sur le
sol américain. Étant donné le passif d’Hendersen à la Défense, un adolescent aurait eu plus de
mal à acheter une bière dans une épicerie que se procurer ce type de balistique.
- « Les milices de la Guerre d’Indépendance, toujours prêtes pour la guérilla à la seconde
près, c’est de là que vient le nom de ces missiles. Mais tu le sais déjà », déclama le vétéran.
- « Ils peuvent atteindre Washington en moins de deux heures… »
- « Un tir qui résonna tout autour du monde. C’est ce que dit la statue du minute man de
Chester French. »
La chaleur claqua brutalement Donovan Hendersen quand il remonta à la surface pour
rejoindre la structure qui abritait une partie des dortoirs, pour les chercheurs à temps plein.
- « Il traverse les continents et il est pourtant seul au monde. Avant, on avait le Peacekeeper,
le gardien de paix…mais on a fini par le retirer du marché », poursuivit-il.
- « Le traité START…La Coalition tenait à la dissuasion », interpréta logiquement Caïn en
passant le corridor qui lui laissait cette impression d’asile psychiatrique.
- « La dissuasion, ils font ça pour garder bonne conscience eux aussi, se laver les mains avec
des traités de réductions d’armes, de non-prolifération. Mais depuis qu’on a crée Old Fates, on
a toujours été capables de regarder les choses en face, de voir dignement la mort arriver. »
- « De qui tu parles, celui qui voit la lumière au bout du tunnel ou celui qui presse
l’oreiller ? »
- « C’est un paradis perdu sans retour pour nous. L’histoire n’avance pas à reculons », glissant
sa carte magnétique dans la fente à l’entrée une fois la cigarette éteinte. « Il faut aller au
devant, et vivre avec cette idée. »
- « Avec des milliers de victimes innocentes ? C’est ça ta version du jardin d’Eden ? Tu
croques le fruit défendu et les autres paient le crime à ta place ?? »
- « Payer pour ses crimes ? Ce n’est pas comme si ça avait un air de déjà-vu pour toi. »
Une table d’opération, qui semblait archaïque au premier coup d’œil mais qui se prêtait
pourtant bien au décor orange et sablé du complexe se présentait devant eux. Caïn inspecta la
pièce et caressa du bout des doigts l’écran de commandes qui codait une série de données
indéchiffrables :
- « Ta cigarette. La manière dont tu la tenais est révélatrice de certaines personnes colériques.
Une agressivité ponctuelle », suranalysa Caïn quand Hendersen évinça les cendres au bout de
son mégot, sans perdre l’idée qu’une puissance nucléaire se trouvait à quelques mètres d’eux
à peine. « N’oublie pas de cligner des yeux. »
[05:15:18]
La CIA délivrait à Capra les papiers concernant l’extradition de Yanaka en Russie.
Inquiet de ce que Karamazov pouvait révéler à Radford suite à la tentative d’assassinat
avortée, le président cherchait désespérément à joindre le Secrétaire d’Etat Rosenberg.
Un homme ressemblant au profil de Serpico était repéré par des garde-côtes sur la baie
de Chesapeake, procédant à son arrestation avant qu’il ne vise les eaux internationales.
La Lexus postée en bas de la chambre d’hôtel de Matters faisait ses appels de phare.
[05:20:57]
Le quartier était si calme qu’une mouche aux ailes amputées aurait réanimé la nuit morte. En
contrebas de l’allée privée où plusieurs phares de police tournaient en mutisme, Newell était
chapeauté par un lampadaire puissant qui grillait les parasites volants comme Icare au soleil.
« Mike le maudit », maugréa-t-il en remarquant la forme expressionniste tirée par son ombre.
Quand une figure indistincte s’approcha de lui, le directeur préretraité de la Cellule sursauta :
- « Bon Dieu…vous me faites le coup de Blanche-Neige perdue dans sa forêt ? »
- « Où sont passés le chapeau melon et l’imper’ ? »
- « Ne vous laissez pas duper par Hollywood et ces bouquins d’espionnage Tony. Mon
prédécesseur à la CAT bouclait ses fins de mois par des coloscopies. Des problèmes
d’incontinence au beau milieu de briefings inter-agences. Il a fini ses jours en buvant du petit
lait, à chasser le moindre petit poil qui flottait dans son verre. Je crois que j’ai plutôt bien
fini », faisant le signe de croix sans s’appliquer, d’un coup de poignet désarticulé.
- « C’était donc ça l’opération Crépuscule ? », ricana l’ancien analyste au bouc aiguisé.
- « Une belle merde oui… »
Newell changea gravement de faciès et plomba ses sourcils déchus sur ses chaussures.
- « Ces salauds ont eu Brainer… », poursuivit-il sans transition.
- « Quoi ?? Il…On sait qui ? », taciturne en marchant dans la pénombre.
- « Des fondamentalistes pour la police, mais je n’y crois pas. J’ai un autre nom derrière la
tête. Le fameux justicier milliardaire qui a disparu avec lui. »
- « Vous avez fait beaucoup pour moi, je vous en suis reconnaissant. Kurtwood Brainer
connaissait mon analyse de terrain au Moyen-Orient pour D. B. Cooper au Washington Post.
Quelles que soient vos hypothèses… »
- « Cooper monte une colonne bien fournie sur la situation là-bas dans le journal. Je l’ai vu
avant mon intervention au Conseil de Sécurité Nationale. »
- « Vous voulez rendre publiques les extorsions et détournements de fonds au Moyen-
Orient ? J’ai appris le plan de votre ami, refinancer un programme de santé global pour le tiers
monde et rétablir les prix après la crise. », récapitula sommairement l’ancien analyste.
- « La crise de Minsk prend fin et révéler la vérité sur les extorsions commanditées par Nate
Sorensen fera oublier l’atteinte du pic pétrolier. »
- « Les blattes arrivent à vivre près de dix jours sans leur tête… »
- « Sorensen ? On lui a déjà coupé ses tentacules. Il s’est occupé lui-même de retirer son
consortium. Avec une telle perte d’influence de nos lobbyings, les émirats ont déjà acceptés
de rétablir les prix. »
[05:23:22]
- « Je veux que la lumière lui brûle les ailes », décréta l’homme au trois-pièces gris à l’agent
derrière la glace avant d’entrer dans la pièce. « Et détachez-le. »
La rampe d’éclairage au-dessus du miroir sans tain s’embrasa presque quand l’ombre du
contre-espion s’immobilisa devant le russe, aveuglé à défaut d’avoir des ailes calcinées une
fois qu’il avait identifié le portrait de Nils Samochkina, sous l’alias de Serpico.
- « Savez-vous qui est à la gauche de Dieu ? Ou du Père, pour être exact. »
- « Non », quand on lui retira ses menottes.
- « Le diable », suggéra Slattery en toute simplicité. « La chute, l'armée monstrueuse, des
diversions politiques pour gouverner deux royaumes plutôt qu’un. Comment apprécier l'idée
du paradis sinon ? Il faut un antagonisme, aussi artificiel soit-il pour maintenir un règne,
l’absolu, mais surtout l’idée de péché. Tout le reste, c’est une question de temps, de
distractions et d’oublis. »
- « Vous avoir eu votre homme ? »
- « Serpico. Des gardes-côtes l’ont repêché avec les anguilles. À l’heure où l’Agence le
passera à la casserole, nous serons tous les deux en vacances pour savourer notre promotion.
Dans le New-Hampshire, mon père m’a légué un chalet au bord d’un lac. Pour vous, ce sera à
Guantanamo, même si… », il dépêcha un rictus simulé, « Entre nous, nous savons qu’il n’y a
plus rien à vous soutirer. »
Valajdopov agita ses mains en pare-soleil, et pourtant il fut contraint de fermer les yeux à
cause de l’éclat réfléchissant sur la table métallique.
- « Le Président de la Chambre a été retrouvé. Je ne sais pas quels vautours l’ont eu, mais
personne ici ne voit aux travers d’un kaléidoscope. Le Congrès se prononcera immédiatement
en faveur d’une entrée en guerre », continuant la démonstration verbale.
Slattery glissa un cliché confidentiel sous la voute de bras du russe, qui plissa pour apercevoir
le visage méconnaissable de Brainer. Une fois pour toutes, il savait que le contre-espion
n’avait plus de carte dans la manche, un jeu épuré sans bluff. Et pourtant, à la seule occasion
où, d’après ce qu’il savait, – ou ce qu’il ne savait pas – sa patrie était innocente, elle finissait
accusée de ce qu’elle pouvait redouter de pire.
Un animal non identifié décampa des buissons quand la portée lumineuse d’un lustre de salon
traversa les fenêtres pour éclairer le jardin du propriétaire. Newell enveloppa Almeida par le
bras pour fuir la curiosité du voisinage, réveillé par les fanfares de la police.
- « Qu’est-ce que vous attendez de moi ? », doutait l’homme à la barbichette éternelle.
- « Je viens de voir Sofia Brainer. Elle a expliqué à la police qu’elle avait vu son mari pour la
dernière fois peu avant le gala de Sorensen. Et autre coïncidence, il avait juste évoqué le lien
entre la multinationale qui s’occupait des contrats de la Défense et Sorensen. Seulement, la
femme de ménage à la Cellule a surement déjà retiré mes diplômes aux murs…»
- « Vous voulez jouer le kamikaze avant votre départ à la retraite ? »
- « Le Conseil prend les déclarations du Post à la légère, du conspirationnisme d’école. Tout
est terminé et pourtant, un gout amer…J’ai l’impression qu’on me remet une médaille pour
avoir évacué une famille de paysans après la chute de Saigon. En bas, ils étaient encore des
milliers, presque autant pour les sit-in ici, à Washington. Et pourtant on fêtait la fin de
l’enlisement et du Nord communiste. Et aujourd’hui, tous ces efforts que Brainer a poursuivi,
à quelques heures seulement d’en voir l’accomplissement, ça me fait le même effet. »
- « Relancer nos accords internationaux et étouffer les tensions, c’est déjà beaucoup. »
- « En faisant ça, je crois qu’il n’a pas vu arriver le pire. Vous vous souvenez de Danny Caïn,
il s’occupait des opérations de terrain à la Cellule ? … »
De l’autre côté des mers, Caïn perdit toute vitalité dans ses membres inférieurs et s’évanouit
sous les effets de la piqure.
- « … Je m’en souviens, pourquoi ? »
- « Caïn est là bas, en Afghanistan, envoyé par Brainer pour trouver la vérité sur Sorensen et
la Coalition. Maintenant que nous connaissons les clauses de son implication, Caïn s’est
engouffré plus profondément qu’on ne l’imaginait … »
De l’autre côté des mers, Caïn fut hissé jusqu’au strapontin de cabinet médical et attaché par
des sangles.
- « … Je crois qu’on n’aurait jamais dû l’envoyer. Le risque, avec les révélations de Cooper,
c’est que les avocats de Sorensen remontent la piste jusqu’à moi, et avant son incarcération, la
Maison Blanche lui fera crédit. »
- « Logan, il lui accordera la même chose qu’Anthony Lane, le programme de protection… »
- « On ne pourra plus l’approcher. Mais si vous acceptez de faire l’intermédiaire et passer
pour l’auteur des investigations révélées par la presse, Sorensen exigera un entretien avec
vous. Ce sera notre ouverture pour pouvoir extraire Caïn de son bourbier afghan. »
Hendersen examina son patient et depuis la sortie, qui donnait sur la rampe de lancement en
contrebas, il acquiesça à un de ses subordonnées pour lancer la procédure sur son sujet.
- « Comment ? »
- « Le marché, c’est qu’il vous dévoile quel est le rôle de Caïn là bas. En retour, vous
consentez à ne pas corroborer vos allégations à son encontre. »
- « Je ne comprends pas…qu’est-ce qui vous fait penser que Caïn est si important ? »
- « Une décennie plus tôt, on passait au peigne-fin chaque cellule anti-terroriste du pays pour
y chercher des ripoux », heureux de sa prouesse verbale. « Sans arrêté officiel, le contre-
espionnage pensait qu’un ou des agents dormants soviétiques avaient infiltré nos services. »
À l’époque, Slattery lançait sa campagne massive peu avant Crépuscule, et en balayant le
personnel de la Cellule à Washington, s’était arrêté sur l’éventualité d’un coupe-circuit parmi
leurs services. La piste n’avait mené qu’à une impasse, mais si seulement Newell avait osé
concevoir que James Matters était bien l’un de ces agents dormants, il y aurait laissé toutes les
plumes blanches qui garnissait son crane ridé. Son discours s’appliquait à Caïn, mais pourtant,
il touchait bien plus celui qui était son protégé à la CAT lors des années Crépuscule.
Accusant certains problèmes cardiaques au moment où Danny Caïn fut promu en tant que
Directeur des opérations à la Cellule de Washington, Mike Douglas Newell s’était d’abord
empressé de lui signer sa recommandation. Puis, lésé par le doute qu’il désirait peut-être ce
poste pour avoir accès à certaines informations – d’après les soupçons tués dans l’œuf de son
enquête douteuse au FBI −, il avait fini par capituler et n’intervenir qu’épisodiquement à la
CAT, jusqu’à sa remise en forme. Qu’Almeida répondait à un dû envers Newell était une
chose, de la même manière qu’il se sentait désormais poussé à honorer Brainer en terminant
sa tâche. Mais Caïn, il s’était lui aussi investi à retrouver Frank Bergman depuis plus de trois
ans, se remémora Tony, cet homme à la source de tous ses maux. Ce projet en commun était
déjà une bonne raison de venir en aide à un ancien allié de guerre…
- « Quel est le rapport ? Vous croyez que Caïn… », soupçonna Tony Almeida, incrédule.
- « Et quoi encore, il ne manquerait plus que ça ! Mais seulement, imaginez qu’à l’époque,
l’URSS ait arrosé nos jardins pour faire pousser leurs diamants. Que certains de leurs agents
dormaient chez nous, pour grimper les échelons et finir en haut de l’arbre généalogique
politique. Le chariot dans la mine pour eux, et vous croyez qu’ils auraient pris tous ces risques
pour abandonner leurs hommes ? Ce que Moscou craignait le plus, ce n’était pas qu’on leur
cache les renseignements collectés, mais que leurs agents infiltrés soient démasqués, puis
retournés contre les communistes. »
- « C’était la hantise de Brainer ? Que Caïn soit coupé de tout contact avec nous, puis
retourné ? À la CAT j’étais un paria à mes débuts. Et le premier qui souhaitait me faire
tomber, Jack Bauer, c’est le premier à me demander de l’aide aujourd’hui. Ironique hein ? »
- « À vouloir trop s’approcher du soleil, la cire finit par fondre. C’est ce qui a pu arriver à
Brainer, et ce qui risque de m’arriver si je ne coupe pas les ponts avec la presse », en pinçant
ses rides péribuccales. « Il y a un moment où il faut savoir raccrocher. Je préfère encore finir
d’un infarctus que lapidé. Ca fait moins film d’espions, mais croyez-moi, c’est la première
cause de mortalité dans le milieu. »
- « En 63, Oswald nous crachait au visage », se révulsa Slattery avec un nihilisme exacerbé
dans sa posture. « 45 ans après, personne n’a pu l’oublier, à en croire que la salive est plus
épaisse que le sang…Alors ce qui vient de se passer suffira à distraire tout le monde, voir cela
comme le nouvel assassinat de l’archiduc d’Autriche. J’espère que vous tirez un orgueil
suffisant de m’avoir fait perdre du temps avec Serpico pour laisser filer AE/Dune et enterrer
Brainer, car face à ce miroir, tout est renversé. »
- « Faire perdre temps ? Votre prétexte est donc diversion politique ? »
- « Nous n’allons plus nous revoir. Samochkina n’est peut-être pas russe, mais votre
arrangement pour gagner du temps est un échec, l’identité de la taupe n’a jamais été ce que je
devais vous soutirer. Vous ignoriez que Serpico était l’enjeu fondamental pour moi, car il
allait me permettre de corroborer les agissements de ma cible. »
- « Votre cible ? La taupe ? »
- « Je n’ai pas dit cela. Considérez ces paroles comme votre prochaine distraction, peut-être le
temps vous a-t-il aveuglé sur ma clairvoyance ? »
Roger Slattery coupa la courbe de la lumière en se dirigeant vers la sortie, et plomba
funestement le russe pour asseoir sa supériorité. L’émissaire fit aussitôt valser la chaise et
sauta sur son antagoniste, écartant une main frêle autour du cou pour l’étrangler tout en
cherchant à enfoncer un œil de l’autre. Le Successeur chercha à se débattre d’un crochet placé
sous le rein de son adversaire, puis en perdant l’équilibre, fut poussé contre le mur, aveuglé
par le luminaire sous les plaintes supérieures. Les yeux fermés, il tenta d’arracher le peu de
cheveux qui garnissaient le crane de Valajdopov, et d’un coup de coude hasardeux, le
déstabilisa pour l’emmener dans sa chute. À terre, le russe fut saisi sous les aisselles par
l’agent de sécurité qui le plaqua contre le béton mural, avant que Slattery n’efface les plis de
sa veste en reprenant son souffle.
- « Mon imagination est suffisante pour qu’AE/Dune continue d’exister ! Une fois que vous
serez sur Cuba, enfermé dans une cage aussi étroite que vos épaules, vous aurez oublié quelle
était cette vérité que vous aviez préservée tant d’années. Et alors vous n’auriez même plus le
privilège d’être une ombre, mais qu’un corps sans âme ! Dès à présent, vous n’avez plus la
moindre valeur pour personne, et votre seul regret qui subsistera, c’est celui de vivre. Vous
aurez oublié cette vérité, parce que le temps emporte tout, l’esprit comme le reste ! Et là je me
souviendrais toujours de celle que vous cherchiez à enfouir », en s’approchant de son oreille
pour lui murmurer le reste. « Entre vous et moi, vous avez toujours eu la place du fou, et moi
de l’homme qui en rit. »
- « Vous connaitre ce proverbe russe ? Quand diable n’y peut rien, lui délègue une femme. »
- « L’argument du sexe est une facilité. Vous oublierez à quoi ressemble à une femme », en
décollant son paquet de cigarette de l’intérieur de sa veste, puis en calmant sa respiration.
« Cet homme qui a le visage mutilé dont le rire ne s’arrête jamais, il parle plutôt de votre
diable comme de la nuit de Dieu. Alors qu’au fond, la nuit n’a jamais été que la preuve du
jour. Et vous en ferez l’expérience. »
[05:30:02]
Ne négociant aucun rictus, Slattery déporta enfin Valajdopov dans son propre goulag.
Depuis le dernier étage du Warder, un explosif fixé à l’intersection de deux lignes à
haute tension fut enclenché, à une cinquantaine de mètres seulement du Musée.
De l’autre côté du bâtiment, Braxton sursauta malgré la faible portée de la détonation.
Encore sous le choc, Cassandra fut également surprise par la déflagration.
[05:35:19]
Le courant disjoncta dans toute la rue qui prolongeait le Musée International, basculant dans
une nuit d’éclipse totale. Braxton, qui tournait le dos à Martins, se braquait vers lui pour
figurer sa stupéfaction, et déclara qu’on devait contacter sur le champ la compagnie
d’électricité pour connaitre l’origine de l’anomalie. Cassandra rôdait autour de leurs semelles,
anxieuse de ne pas connaitre le déploiement dans tous ses détails, à moins de suivre
l’itinéraire que Radford envisageait pour s’échapper. La seule raison de sa présence, c’était
désormais d’éviter la réouverture de la Commission d’enquête sur Crépuscule pour ne pas se
retrouver, comme Valajdopov, avec de fausses accusations sur sa colonne vertébrale. D’un
autre côté, prendre la fuite était le meilleur moyen de se désigner comme coupable,
maintenant que plus personne ne pouvait surveiller ses arrières. Elle ne pouvait arriver en face
de Radford et hésiter dans son mensonge, ni même d’ailleurs, hésiter dans ses véri…
- « Cassandra on attend plus que vous ! », prévint Martins en la coupant dans sa réflexion.
Elle fut trainée par le bras jusqu’au chef de l’unité tactique, qui lui annonça brièvement qu’il
allait rester un étage derrière elle pour la soutenir en cas d’urgence. Elle réajusta ses talons
épais avant de longer l’Adams Building et se gratta sous la poitrine à cause des
démangeaisons du micro qu’elle portait.
- « Tout est au point ? », répéta le directeur dans sa moustache.
- « La transmission audio est impeccable, mais toujours aucun visuel sur nos cibles Monsieur.
Pourquoi ne pas placer des lentilles filaires avant notre déploiement ? »
- « Elle n’en aura pas besoin, ce micro suffit, n’est-ce pas ? »
Cassandra acquiesça sous la menace, et désarmée, se tenait prête à entrer dans le Musée par la
porte de service que les partenaires de Radford avaient déverrouillé pour elle. Elle inhala la
brise chaude quand Martins déposa sa main sur son épaule.
- « Ne jouez pas sur plusieurs tableaux avec Radford. Vous savez ce qu’on dit sur la mort de
César. Sur tant de blessures, il n’y avait de mortelle que la seconde. »
- « Il avait choisi de ne pas entendre les prédictions. »
- « Moi je vous crois. Mais personne ne peut plus sauver Jack alors écoutez-nous… »,
concéda-t-il ironiquement, alors qu’au vu de la situation, seule la CIA pouvait l’écouter.
« L’échange doit se faire dans dix minutes. Vous aurez votre quart d’heure américain. »
Les deux hommes à la tête de l’Agence s’éclipsèrent. Cassandra posa son front sur le métal de
la porte pour fendre la chaleur, exsangue et fiévreuse depuis quelques minutes. Elle se
trouvait mille prétextes pour renoncer, puis mille autres pour lui rappeler que chaque direction
la menait dans une cellule fédérale. Et pourtant, c’est à elle qu’on demandait de franchir le no
man’s land, sa seule et dernière chance d’atteindre la brèche pour comprendre pourquoi
Radford espérait l’attirer en la leurrant sur la présence de Jack.
- « La sécurité a levé les grilles, le système de caméra est en veille », informa un des hommes
sur le terrain pour laisser infiltrer son équipe.
- « Le suspect avait quelqu’un à l’intérieur, un employé de la maintenance capable de le faire
entrer la nuit. L’opération a été planifiée avec une aide extérieure pour trouver si vite les
ressources. Ça signifie qu’ils ont leur propre système de surveillance alimenté en autonomie.
On est en terrain hostile. »
- « Une opération d’espionnage bien réelle dans un décor d’espionnage fictif, on croirait
rêver », se lamentait Braxton au chef de la police, depuis le van faussement maquillé où il
s’adressait à Cassandra. « C’est à votre tour ! »
Elle enfonça la porte et bien que la perspective lui donna immédiatement la nausée après avoir
passé le cordon de sécurité, elle remarqua, par les vitrines qui abritaient des reliques éclairées
par les néons violets, un agent en poste à demi accroupi. Un spectacle qui assurait de
reproduire l’envers d’un décor qu’elle ne connaissait que trop bien, et qui n’avait plus grand-
chose à voir avec la machine à chiffrer Purple et le poste radio portatif de l’OSS qu’elle
croisa. Dans les corridors tortueux imprimés de la lumière flashy dégagée par d’autres néons,
Cassandra survola un tableau qui recensait les « principes de Moscou » :
Ne jamais partir à contrecœur ; chacun est potentiellement sous contrôle de
l’adversaire ; ne jamais se retourner – on est jamais complètement seul…
Ces dix commandements se reflétaient dans la vitre du mur opposé. Il n’y avait que ça, des
vitres, des miroirs, des écrans, des illusions d’optiques, des ombres chinoises…même sur le
sol étaient projetés des codes. Le plus paradoxal, c’était que le réel se confondait avec la
simulation : les caméras étaient partout, la surveillance était digne d’une forteresse qui lui
rappelait le MI-6 et Langley. Cela faisait-il toujours parti de la simulation ? Le Musée
craignait-il des espions en herbe ? Après avoir traversé la pièce d’un jeu de rôle de
vidéosurveillance (qui filmait réellement les visiteurs, dont certains étaient des acteurs qui se
glissaient dans la peau d’agents à traquer), une salle d’interrogatoire avec miroirs sans teint, et
une pièce qui exposait une vieille Aston Martin, Cassandra gravissait les marches d’un
escalier en spirale, qui la menait dans la contrefaçon d’une ruelle anglaise des années 1950.
- « Je suis à l’étage. »
Durant les visites, un tuyau administrait un jet de fumée en continu pour recréer l’atmosphère
propre au film noir. Cette fois-ci, il y avait quelque chose qui tambourinait au fond de ce
couloir aux hallucinations, royaumes d’ombres qui rodaient jour comme nuit. Les économies
d’énergie ne semblaient pas être la politique prioritaire du Musée…Sans arme au poing,
Cassandra s’aventura jusqu’à l’ascenseur de service, dont la porte buttait au même rythme sur
un obstacle inattendu : le corps raide d’un homme à plat ventre, qui bloquait la fermeture de
l’élévateur. Elle toucha son pouls.
- « L’agent de sécurité est en vie », en dégageant le passage.
Il lui suffisait de tourner la clé que Radford avait laissée pour réactiver l’ascenseur et accéder
au dernier étage. Elle informa la CIA de la situation, gratta par réflexe le micro une dernière
fois et s’engagea jusqu’au cinquième ciel. Quand la porte disparut, plus de lumière tamisée, ni
de miroirs et vitres qui se réfléchissaient à l’infini pour troubler la perspective ; seulement
400m² de conduits éventrés et de dédales bétonnés, si bien que dans une grotte afghane ou ici,
il n’y avait pas de différence. Cassandra se munit de la lampe-torche que lui avait confié
Martins (sans explosifs à l’intérieur, avait-il confié en plaisantant) et longea les murs en
éclairant les fenêtres plaquées de gaffer. Les snipers espéraient ainsi localiser sa position, et
dans l’hypothèse où l’adhésif était trop épais, elle était censée en déchirer quelques
centimètres au couteau pour laisser filtrer les foudroiements de la torche.
Le cran de sécurité d’un .45mm dénonça une présence derrière elle. Cassandra devint
immobile et sans bavure dans ses gestes quand elle déposa sa lampe-torche avant qu’on en
fasse la demande.
- « Retourne-toi lentement », en ramassant la torche pour la pointer sur elle.
- « On devrait réapprendre à vivre d’allumettes… », prononça-t-elle en une phrase codée.
- « K. et Drakov, ils sont où ? »
- « Gabriel. Je m’attendais à une entrée théâtrale. »
- « Les choses qu’on fait par amour…Toi pour Jack, moi pour Linda. On sait autant l’un que
l’autre de quoi on est capable pour eux. Avec Jack, je vous ai déjà réunis une fois à Minsk. »
- « K. et Drakov, la CIA est prête à te les échanger, ils sont en bas. »
Radford cessa de braquer la lampe sur elle. Cassandra aperçut pour la première fois son
regard grisé et jauni par la pénombre.
- « Un échange ? Quelles sont les conditions ? »
- « Opération à effectif réduit, le toit n’est pas quadrillé. Les choses qu’on fait par amour ? Ils
veulent ta fille en échange. »
- « Ma fille ? Et j’imagine qu’ils vont m’offrir gracieusement leurs deux prisonniers de guerre
sans rancunes, avec une piste à l’aéroport Dulles et une tartine de beluga ? »
- « Je ne suis qu’une émissaire, Braxton ne me tient pas dans le secret. C’est ta seule chance
de repartir sans que la CIA ne retrouve ta trace, avec les plumes que tu as laissé derrière toi. »
- « À la première occas’ ils me plumeront ouais », en la conduisant quelques mètres plus loin.
- « Où est-ce qu’il l’emmène ? », s’interrogeait Martins à l’intérieur du van en discernant les
craquelures qui crépitaient sous les pieds des deux acteurs.
- « Tu connais ce dicton arabe, entourez plutôt votre demeure de pierre que de voisins ? »,
versifia Radford en la tenant par le bras pour la guider dans l’obscurité partielle.
- « Linda est une assurance, même s’ils veulent te doubler, tu as l’avantage du terrain. Je sais
que tu as déjà une issue de secours, tu ne vas pas emmener K. et Drakov sur ton parachute. »
- « Et tu veux quitter le navire pour rejoindre le mien ? »
- « Ce n’est pas une option, la CIA me tient pour responsable de certains vices lors de
Crépuscule, puisque toi et Jack vous étiez hors de portée. »
D’un hochement de la tête en visant du regard la chemise cintrée qu’elle portait, Radford
manœuvrait délicatement sa mise sur écoute potentielle. Cassandra souleva la chemise et lui
dévoila le fil de son bassin jusqu’à sa poitrine.
- « J’apprécie ta franchise, mais qu’est-ce qui me dit que l’unité d’intervention n’attend pas le
retour de l’ascenseur ? »
Elle acquiesça pour lui signifier que l’unité était bien prête à le cueillir, puis elle remarqua
fébrilement le chargeur qu’il insérait dans son calibre.
- « Le bâtiment est sous surveillance, tu sais qu’ils sont en bas. C’est pour ça que l’échange
aura lieu dans 5mn en terrain neutre, au premier étage. »
L’ancien directeur des opérations Delta était conscient que dans tous les cas, la CIA allait lui
tendre une embuscade en cherchant à récupérer sa fille, sans laisser filer leurs deux monnaies
d’échange. Il savait aussi que Cassandra allait doubler l’Agence pour retrouver Jack. Du
moins, il pensait savoir. D’un autre côté, émissaire ou non, elle s’était enroulée dans la toile
de l’araignée se félicitait-il, et il était inconcevable de repartir avec la moitié seulement de sa
rançon : Cassandra, Drakov, Karamazov, et Linda, il lui fallait tout avoir, même si cela n’était
que possible – comme il commençait à le réaliser – qu’en leur laissant sa fille pour temporiser
et faire diversion. En réalité, Radford était maintenant à la merci des hommes d’Old Fates, qui
souhaitaient exfiltrer Drakov et qui ne prendraient la fuite qu’une fois cela accompli.
Radford caressa la longueur de son arme puis le canon contre la paume, tendit la crosse vers
elle, en sachant que dans une telle configuration, embuscade contre embuscade, elle allait bien
se retrouver au milieu du no man’s land, et quelque que soit l’équipe qu’elle allait choisir, la
balle n’allait jamais réellement être dans son camp.
Maintenant que Valajdopov devait composter son aller-simple pour un camp de détention
dont nul n’en connaissait la localisation, Roger Slattery insistait pour faire une escale au
Musée, avant d’orchestrer son coup de filet qui devait couronner son départ du contre-
espionnage. Caughley le suivait comme un chien surexcité sur le parking de l’Agence, à
quelques rangées de la voiture que Carrell empruntait de son côté, Yanaka à l’arrière.
- « Yanaka voulait être jeté dans nos cages pour être hors d’atteinte de l’Ours slave », conclut
le Successeur. « C’est pour cette même raison que Karamazov, son revendeur officiel sur le
marché noir était aussi une menace pour les russes. La conjecture est simple : nous aurons un
motif d’extradition en guise de patte blanche et Yanaka fera un bon gibier pour eux, il aura
droit à la justice expéditive. Tous les bureaucrates seront tellement envoutés par notre
proposition qu’ils laisseront entrer le cheval de Troie… »
- « Langley sera désert si on redirige tous nos hommes, et Braxton… »
- « J’ai rassemblé l’équipe, maquillée en civile pour assurer l’offre d’extradition de Yanaka.
L’intervalle de notre intervention est plus que réduite, il nous reste moins de 2h ! », déclara
Slattery d’un ton qui avait rarement été si peu apathique.
On aurait dit un enfant de chœur qui traversait la nef de l’église pour sa première communion.
L’espion qui venait du froid déambula vers le hall de l’hôtel, l’arme replacée dans le bas du
dos, dissimulée derrière sa veste. Tous les regards étaient suspects, et ceux qui ne le
regardaient pas l’étaient encore plus. James Matters parvenait médiocrement à déjouer le
stéréotype de l’agent double pris au piège, après qu’on ait levé le voile sur son identité. Les
yakuza qui l’attendait au tournant, surtout s’ils entendaient parler de cette histoire
d’extradition de leur chef, Jack, la CIA, et son coupe-circuit qui était peu disposé à lui assurer
une porte de sortie convenable, tout cela l’excusait de son désarroi. Maintenant que son rôle
dans l’opération était accompli, son esprit fourmillait d’autant de théories qu’il croisait de
visages troubles : pourquoi sa patrie d’origine ne chercherait-elle pas à l’éliminer de la course,
comme elle s’était assurée que Jack avait été réduit en cendres pour avorter Sombres Soleils ?
On ne voulait pas qu’il décolle de la ville…ce qui signifiait que quelque chose allait se
produire, ou bien n’était-ce que l’effet de la sueur sur la paranoïa, de la paranoïa sur la sueur.
Dans son costume italien, crâne presque entièrement rasé, Matters devança la limousine
blanche au démarrage et simula une conversation au téléphone pour se cacher une partie du
visage. Deux asiatiques repérés à l’angle de la rue et un à l’entrée du square. Il traversa la
route après le passage d’un taxi et se nicha à l’intérieur de la Lexus.
- « La ville a trop de touristes en été », glissa-t-il au chauffeur dans l’urgence.
Le conducteur démarra alors lentement le moteur. Au moment où il s’apprêtait à braquer le
volant pour s’immiscer dans la file, Matters le stabilisa par sa main gauche sur le torse et lui
brisa la nuque avec l’autre main. Il tira le corps sur la banquette arrière pour prendre la place
du mort, et manœuvra la voiture pour s’insérer dans le flux de la circulation afin d’arriver à
l’ambassade dans les temps. L’asiatique posté au square s’éloignait progressivement dans son
rétroviseur quand il fut déjà bloqué à son premier feu rouge. Déviation suite aux
manifestations, pouvait-il lire sur le barrage dressé devant lui.
[05:44:28]
En chauffeur solitaire et paranoïaque, Matters ajusta le rétroviseur central.
Un sniper isolé de l’Agence observait Drakov et K. dans sa lunette de précision.
Le couloir menant à l’issue de secours était suréclairé par un néon orange qui dévoilait la voie
à Cassandra.
Elle fut sur le point de débusquer la porte de la sortie latérale du Warder quand une nouvelle
extinction de courant frappa le quartier. Seule l’ampoule sous le pictogramme de l’issue de
secours l’éclaira alors avant qu’elle n’atterrisse dans l’avenue. Elle fit signe à l’unité
d’intervention d’investir les lieux, puis d’accourir jusqu’au van de l’autre côté de la rue pour
prévenir le DD-O qu’on pouvait procéder à l’échange.
- « On a quatre minutes pour lui envoyer la marchandise. C’était le noir total, je ne sais pas où
sont ses hommes ! »
- « Bon sang qu’est-ce qu’il se passe ici ?! », s’exaspérait Braxton, qui sortait du véhicule en
comprenant pour de bon que la déflagration n’était pas accidentelle. « À toutes les unités,
faites venir Drakov et Masri, unité alpha, postez-vous dans le corridor avant l’étage.
Cassandra, vous les escortez jusqu’au point de rendez-vous, deux de nos hommes vous
couvriront et les tireurs sont embusqués à chaque issue. Dès qu’on aura une confirmation
visuelle de sa fille, partez à couvert. »
- « Pas d’arme ou de lunettes thermiques ? », pour lui cacher que Radford l’avait équipé de
son .45 mm. « Il ne s’agit pas de quitter son gosse devant la maternelle, Radford doit avoir un
plan de secours ! »
- « Il est en infériorité numérique, moins armé, et il ne prendrait pas le risque de blesser sa
fille. La seule possibilité pour lui est de vous prendre en otage, et ça n’arrivera pas. »
- « Tout ira bien », adoucissait Martins, bienveillant. « Cibles en approche de l’unité Delta.
Cassandra, c’est à vous. Attention où vous mettez les pieds », recommanda-t-il à double sens.
Elle lança un signe au tireur d’élite situé sur le toit nord-ouest pour une potentielle
intervention puis réintégra les voies kafkaïennes du Musée. Menottés et protégés par des
gilets pare-balles, Drakov et K. se tenaient derrière une vitrine qui exposait deux mannequins
d’agents secrets britanniques.
- « Faites attention où vous mettez les pieds, la facture risque d’être plus salée que la mer
Rouge », avisa Drakov avant d’être poussé dans le dos pour rejoindre le point de rencontre.
- « Il faudra bien séparer la mer en deux…»
- « Depuis Minsk, vous croyez que vous et Jack, vous pouvez marcher sur l’eau, plus épaisse
que le sang. La CIA a les bras longs, de même que nos employeurs, à moi et à Radford. Vous
ne pourrez pas disparaitre et rester dans votre no man’s land. Vous n’avez pas à séparer la mer
en deux Cassandra…il vous faut choisir un camp ! »
Elle refoula le biélorusse jusqu’à l’extrémité du corridor et emprunta l’escalier en spirale,
surpeuplé d’agents de terrain déployés sur tout l’étage, le genou à terre et l’arme légère en
main. Karamazov suivait derrière.
- « Leader B, nous avons un visuel sur la fille. »
- « Alpha vous confirmez le statut ? »
- « Confirmation, elle se tient devant l’ascenseur. Aucune autre présence hostile. L’ascenseur
remonte, pas d’unité à hauteur de l’escalier de secours. »
- « Envoyez Drakov et Masri ! », commanda Braxton.
- « La voie est dégagée Evans, on vous couvre », assura le responsable de l’équipe Alpha.
Cassandra trainait les deux acteurs du marché noir comme deux boulets à chaque pied, et au
milieu de l’étroit décor londonien insalubre et brumeux, elle s’éloigna dans la perspective.
- « Je ne suis pas armé Linda, je ne fais que la médiatrice alors si tu veux bien, viens vers moi,
lentement, et dirige-toi ensuite vers les agents postés dans l’escalier. »
- « Ce n’est pas pour moi que je m’inquiète. La CIA a graissé la pente où ils ont abandonné
mon père pour le faire plonger jusqu’à l’audience. »
- « La CIA veut juste réentendre sa version des faits. Elle tient à un marché à l’amiable, elle a
essorée l’éponge et ces deux hommes n’ont plus rien à leur vendre », en comprenant dans son
regard qu’elle ne savait pas non plus quel camp choisir, entre son père qui l’avait embarqué
dans son chantage politique et la CIA, qui ne pouvait plus la protéger de l’influence de la
Maison Blanche.
La Compagnie, ainsi qu’Old Fates avaient vite saisis que le président Logan supportait sa
propre stratégie sans en informer les agences fédérales. Il comptait éliminer Radford pour
préserver un deal avec les russes qui lui éviterait un conflit inutile et une mauvaise publicité.
Dès l’exfiltration de Radford réalisée devant le Département de la Justice, ce dernier avait pris
une valeur considérable aux yeux de la CIA, d’autant plus avec les accusations de Cassandra,
qui en faisait le responsable de tous les maux liés au Kosovo. Il fallait le confiner pour de bon
avant que les russes ne règlent son sort, et du côté des fédéraux aussi, il était inconcevable de
repartir avec la moitié seulement de la rançon : Gabriel et Linda Radford, Drakov puis
Karamazov. Alors que les deux parties avaient parcouru la moitié de leur traversée, une
grenade fut dégoupillée puis jetée au sol. Le nuage de fumée éclata aussitôt, embrumant les
lieux pour de bon. Les agents abaissèrent leur visière thermique et se déployèrent au signal du
responsable. Quelques ampoules et néons tamisaient l’étage, allumés en autonome.
- « Sécurisez Drakov et Masri, Leader 2 par l’escalier de secours. »
- « Chef, les portes…de l’ascenseur s’ouvrent ! », discerna dans le brouillard un des agents
sans certitude.
- « Maintenez la posi… »
Une balle éparpilla des fragments de la visière à terre par un tir peu hasardeux qui élimina le
leader tactique. Le feu était ouvert pendant qu’on se chargeait de couvrir les trois cibles
convoitées par la CIA et par Radford.
- « Tremonti au rapport, quelle est la situation à l’intérieur ? », ausculta le DD-O muni d’un
gilet, qui s’approchait de l’entrée des visiteurs.
- « Groupe hostile repéré à 12h, nous avons la fille, Drakov et Masri ! »
- « Et Evans ? », rectifia Martins.
- « Avec eux, l’escorte est mobile mais il faut resécuriser le rez-de-chaussée. »
Le directeur adjoint jugea bon de s’immerger dans l’action et gagnait le champ de bataille
avec son 9mm, alors que l’obscurité avait déclaré résidence dans le quartier quand la ligne
électrique fit étinceler le câble qui traversait la rue. C’est à ce moment que l’alarme du Musée
semonçait le périmètre, faisant écho avec l’état d’alerte psychologique que ressentait Braxton.
- « Putain, putain de merde !! Ils avaient du C4, peut-être quelque chose au graphite,
l’installation devait être prête avant notre arrivée ! Merde !! »
- « Ca va réveiller tout le quartier, il faut intervenir à découvert. La rue sera bondée dans cinq
minutes, les médias, les pompiers… », clarifia Martins.
[05:49:28]
Le voisinage se ruait en masse sur les officiers de police au quatre coins de la rue.
Jack se rinçait le visage depuis les toilettes d’un restaurant encore ouvert puis enfila sa
casquette, ignorant son reflet nauséeux dans le miroir. Une Lexus traversait alors la rue.
Depuis la Lexus GS, James Matters ne remarquait pas l’homme à la casquette.
Au Warder, la CIA bloquait l’accès à l’ascenseur, désormais en panne, puis déplaçaient
leurs otages en lieu sûr.
[05:53:50]
À une centaine de mètres des lieux de l’intervention, planqué en observation dans son pick-
up, Jack s’efforçait ne pas perdre conscience et consulta l’heure sur le cadran qui se liquéfiait
sous les effets du trip. Il régressait. Ses sens se cristallisaient, et il continuait de croire qu’il
n’hallucinait pas le spectacle sous ses yeux. Même lors de ses prises d’héroïne pendant son
infiltration chez les Salazar, il n’avait jamais été sous le joug d’un délire si opulent.
Le discours de la police locale aux résidents s’enrayait comme un disque usé. On avait beau
leur assurer que la coupure était liée à une revendication politique des manifestants, les murs
du Musée de l’espionnage avaient des oreilles et certains n’avaient pas tardé à déceler
quelques coups de feu depuis que l’alarme avait disjoncté.
Les hostilités avaient sinué jusqu’au rez-de-chaussée, où quelques fédéraux s’étaient
retranchés. Des termites qui sortent d’une motte de terre, jurait l’un d’eux à propos de leurs
assaillants, mais la remarque se disait dans un sens comme de l’autre. Cassandra se sentait
moins comme une diva qu’on écartait de la foule hystérique que comme une enfant privée de
ses moyens. Elle empoigna le .45mm jailli de sa botte secrète et élimina l’escorte d’une balle
sous le rein qui assurait à sa victime de survivre de sa blessure.
- « Qu’est-ce que… », mendia Drakov en avançant lentement à cause de ses liens aux jambes.
- « J’improvise ! On doit retrouver la fille, le marché tient toujours ! »
- « Votre arrangement ou celui de l’Agence ? »
Les cloisons transparentes volaient en éclats à chaque impact, la CIA enchainait les tirs alliés
à risque et réduisait le décor décavé en cendres de verre.
- « Moins risqué de traverser un champ de mines les yeux bandés », poursuivit le biélorusse.
Au pied de l’escalier, un agent saisit sa radio pour avertir ses supérieurs que Drakov et Masri
échappaient à toute surveillance, d’après ce qu’il avait distingué dans la brume. Il ploya alors
le genou à sang. Cassandra s’apprêtait à en découdre à mains nues mais le fantôme de Linda
Radford lui était apparu et une entaille au couteau lui arracha un cri aigu.
Le duel se poursuivait à terre, tandis que la politique de l’autruche menée par la police ne
suffisait plus à dissimuler au voisinage le conflit armé à l’intérieur de l’immeuble.
Un autre tireur logé sur un toit effectuait trois tirs de sommation. Braxton ordonnait d’abattre
le suspect pendant que Martins partait se mettre à couvert à l’extrémité de la rue, désertant
ainsi le centre tactique des opérations.
- « La dernière unité reste en place, je répète, la dernière unité reste en place ! », consigna
l’adjoint par radio. « Nos tireurs s’occupent de la cible, aucune victime à compter ! »
Une apparence dans son dos lui enveloppa le bras pour l’empêcher de reprendre son talkie et
de l’autre main, lui obstrua la bouche pour le guider dans une pénombre plus ardente.
- « Écoutez-moi bien attentivement : j’ai besoin de votre aide pour entrer dans le musée et
localiser Karamazov après l’avoir déplacé afin d’éviter de le compromettre. Je sais que le
canal est sur écoute, ce n’est qu’après avoir eu une confirmation visuelle de la présence de
Karamazov que je vous relâcherais, est-ce que c’est bien clair ?? », en libérant Martins.
- « Jack ! », qui reprenait sa respiration et tournait sur lui-même comme une girouette au vent.
« Tout le monde vous croit… »
- « C’était un leurre, les responsables sont de mèche avec Camilla Radford. Gabriel, Gabriel
Radford », rectifia Bauer en paraissant avoir perdu toute sa salive. « Je ne m’intéresse pas à
Drakov mais j’ai besoin… », spasmodiquement, sentant que le chaos émeutier s’affaissant
telle de la neige sous un soleil zénithal. « …de connaître certaines informations que garde
Karamazov. Je peux vous faire confiance ? »
- « Vous tenez à peine debout, qu’est-ce qu’on vous a fait là-bas ? »
- « Tous…mes hommes sont morts. Excepté Saunders, c’était la faute à Drakov. À Drazen
pardon. On a été torturés, ils savaient pour Drazen… »
La mêlée se dispersait dans une nuit aux longs couteaux, le tireur hostile avait rangé son arme
pour prendre l’escapade par la porte de service. Mais l’avenue était tellement étroite pour une
telle affluence que les effectifs n’arrivaient plus à empêcher les journalistes de faire tourner
leurs caméras.
- « Je ne parle pas du Kosovo, je parle de maintenant, vous délirez Jack ! Vous savez quel est
votre problème ? Vous voyez des ficelles tirées partout là où parfois, il n’y a que de la
coïncidence ! »
- « Je sais… », redressa-t-il par mauvaise foi, troublé par l’erreur qu’il était incertain d’avoir
commis en y repensant. « Vous devez m’aider à entrer Ned, vous êtes le seul en qui… »
Le cou étreint par les mains épaisses de l’agent casqué qui percutait sa strangulation,
Cassandra se croyait presque perdue dans ce désert blanc fumeux quand Drakov passait ses
chaines autour de l’homme. La force brute du biélorusse n’avait pas décrépie à mesure que
ses rides s’étaient allongées. Une dernière prose respiratoire et les maillons s’inscrivaient
comme au fer rouge sur la gorge de l’agresseur.
- « Vous êtes plus utile enchainé… », concéda-t-elle en rejoignant la fausse ruelle anglaise.
- « Je vous retourne le compliment. »
- « Evans ! », hurlait un autre agent à leurs trousses. « Les suspects sont au nord-ouest du rez-
de-chaussée », prévint-il à ses effectifs.
Encerclés à l’arrière et devant eux en direction de l’ascenseur, ils s’immiscèrent à mi-chemin
dans une pièce annexe où la fumée manifestait toute son emprise sur les lieux.
- « CIA ou non, vous devez les éli… », recommanda Masri, muet jusque-là.
- « Je sais ce que je dois faire ! », s’effaçant dans le brouillard livide.
La mare de sang qui maculait le faux macadam était moins opaque que la forme inerte de
laquelle elle coulait. Drakov avait compris avant elle, ou du moins, il en avait eu l’intuition.
Cassandra se précipita sur le corps comme les conquistadors sur les plages du nouveau monde
et écarta la fumée de quelques revers.
Martins se laissa distraire par l’émeute qui s’approchait d’eux par groupes hétérogènes et
enclava Bauer au niveau des épaules avec ses mains.
- « La confiance, notion vague avec une arme qui me caresse la nuque… », euphémisa à peine
l’agent fédéral. « Braxton et Loomis avaient prévu votre douche dans la Baie, les russes
devaient être impliqués dans l’extraction de vos documents classés pour qu’on puisse enfin
avoir un signe de vie d’AE/Dune. La baguette de Slattery peut-être. Vous êtes encerclé ici, et
on a perdu la localisation exacte de nos otages. Est-ce lié à Matters ? Il a pourtant réussi à
nous semer, sinon on aurait fait notre grande photo de famille. »
- « Vous nagez sur du bronze ; si vous voulez suivre quelqu’un, vous feriez mieux de
demander conseil aux chinois ! C’est pour eux que je suis ici, je dois déjà retrouver
Karamazov pour connaître l’identité de la taupe chez les Renseignements », débordé par une
répulsion intestine qui lui promettait d’expurger son dernier repas, s’il pouvait encore avoir la
capacité de s’en souvenir.
- « Vous avez l’immunité diplomatique maintenant, Braxton a pu négocier ça avec Cassandra
parce qu’il vous pensait décédé, de l’eau distillée dans de la vinasse. »
- « L’immunité ne change pas, vous ne comprenez pas ! Il ne s’agit pas seulement d’assurer
mes arrières et celles de ma fille si jamais la CIA retrouve ma trace. C’est le seul moyen pour
me faire définitivement disparaitre en mettant un terme à leur surveillance satellite. Autrement
je n’aurais pas les ressources et quoiqu’il arrive, Karamazov va me filer entre les doigts ! »
- « Et si je suis découvert ? Slattery mettra ma tête sur un pique ! »
Après avoir perdu l’équilibre, Martins fut trainé devant la vitrine d’un commerce que Jack
fractura par deux coups de pied, puis effleura le verre brisé avec son visage sur une sentence
de guillotine cristalline.
- « Je m’en chargerais avant lui », prodigua Bauer, affecté par sa démence sibylline.
- « On nage en plein délire… », déplora Cassandra en s’abandonnant sur la bavure
sanguinolente dont elle remarquait alors une longue trainée.
- « Je suis désolé pour la jeune fille. Une balle perdue dans l’allée, et le corps a été déplacé ici.
Quelqu’un sait déjà, c’est pourquoi on doit retrouver son père avant qu’il ne le sache ! »
- « Radford fera avorter l’opération s’il découvre la vérité », augmenta Masri à l’argument de
Drakov. « Dès que la fumée se sera dissipée, il comprendra tout à cause des caméras. »
Un crachat de sang venait soudainement d’éclore de la bouche de Linda Radford et suinta le
long de sa joue, puis un second rejet précéda l’agonie silencieuse.
- « La fille ne peut pas survivre, donnez-moi l’arme ! »
Cassandra se rendait à l’évidence, l’âme était prisonnière d’un corps supplicié et c’était une
faveur que de l’achever comme Jack avait achevé Rosenberg. Était-ce la circonstance de ses
choix ? Elle était une victime des décisions de son père, comme la mort de Rosenberg
découlait de celles d’Alan Bauer. La faveur d’une perte était encore dans ses intérêts, ou
plutôt était-ce à la faveur des risques qu’elle voulait éviter : appuyer sur la détente, c’était
presque renoncer à la négociation d’une évasion avec Radford, et ne pas appuyer, c’était
garantir l’avortement de l’opération et rompre les termes de son contrat avec l’Agence. Linda
Radford était bien exposée aux deux conjonctures de Schrödinger : était-elle vivante ou morte
à l’intérieur de ce lieu allégorique de la fiction et de la manipulation de l’histoire ? Cet espace
des limbes brumeux avait tout d’un purgatoire déjà trop embrasé où ils étaient vivants et
morts en même temps.
[05:59:57]
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[06:00]
Les empeignes de deux mocassins noirs pointaient dans l’interstice entre le carrelage et le bas
de la porte d’une cabine de toilette. Quand l’ampoule foudroya puis cessa d’émettre toute
lumière, l’homme sur le trône gesticulait comme si un clou dans le pied le démangeait. Dans
la pénombre grave, on l’entendait batailler pour les restes du rouleau de papier toilette, taper
contre la cloison en bois et relever son pantalon dans un empressement de dépit plus que
d’urgence. Il déverrouilla le loquet et jugea bon d’ouvrir la porte pour y laisser entrer la
lumière avant de se laver les mains. Le distributeur à eau filtrée fuitait sur la moquette grise
des bureaux aménagés en plateau, si bien qu’une goutte toucha un des mocassins de l’homme
quand il traversa l’allée, en s’arrêtant à mi-chemin d’une halte brusque.
- « Pas un flic, pas un électricien, pas un foutu plombier ici…Avec du pesticide ce poste serait
aussi dépeuplé qu’une station balnéaire au Groenland. »
- « On est les derniers résistants, en bas c’est pire que la grève Pullman », concéda son
collègue assis à une rangée de lui.
- « Ils nous ont sucré les primes, la tirelire doit bien être assez pleine pour que quelqu’un
s’occupe de ce foutu disjoncteur ! »
- « P’t-être lié aux coupures là-bas, le réseau électrique a grillé », alors que l’homme aux
mocassins était déjà parti se réfugier dans son bureau.
L’uniforme de police était exigé par la réglementation de l’établissement, et le cinquantenaire
au mono-sourcil ne dérogea pas à la règle, touillant un café refroidi en espérant secrètement le
réchauffer par quelconque moyen occulte. Il fit pivoter son fauteuil et se tourna enfin vers le
témoin qu’il interrogeait.
- « Désolé de vous avoir fait attendre. »
- « Vous ne seriez pas foutu de trouver des piles pour un magnétophone », dépoussiérant la
terre fine sur ses chaussures, non sans faire grincer le fauteuil à roulettes qui lui donnait plus
de hauteur que son interlocuteur. « Alors les fédéraux ? Qu’est-ce qu’ils disent ? »
L’inspecteur cherchait un prétexte pour couvrir son laxisme, ou peut-être avait-il prévenu le
FBI, qui n’avait pas insisté pour exciter l’haleine parfaite de Sorensen devant les médias. Au
moins, cela aurait prouvé que le roi des levées de fonds n’était pas suspecté de quoi que ce
soit par les fédéraux, et qu’à défaut de rester éveillé sur une chaise d’interrogatoire, il pouvait
choisir ces roulettes pour mener sa danse bien chorégraphiée.
- « Ils couvrent tous la situation au Warder vous savez. Jackie et Marylin pourraient bien
revenir d’entre les morts et s’enrouler leurs langues qu’on s’en fouterait. »
- « Ils pourront se curer les dents avec les coins de page du journal de demain matin aussi ?
Décapiter la reine aurait été plus noble, l’information n’aura pas de marbre pour la presse. »
- « Vous avez donc appris pour le président de la Chambre, ça ne me surprend pas. M.
Sorensen, cet endroit n’a rien d’un Colisée en ruine, je ne suis pas si idiot que vous ne le
pensez. Les rumeurs disent que vous menez la chandelle par les deux bouts mais… »
- « C’est moi qui fait ruminer les rumeurs. »
- « Mais votre rôle à l’OIS n’est plus à prouver pour les conspirationnistes. Vous n’avez pas
besoin de moi pour supplanter les fédéraux si vous tenez à découvrir qui sera le prochain
Représentant et pourquoi. Ni pour écrire vos manchettes afin de couvrir je ne sais quel
complot vous impliquant de près ou de loin. Nous sommes débordés, alors ma question sera à
choix multiple : sauf votre respect, est-ce que vous êtes ici pour vous foutre de ma gueule ou
bien pour vous foutre de ma gueule ? Vous pouvez tailler en deux ce bureau en prenant votre
café le matin. »
La joue et le lobe gauche étaient encore fardés par les couches de sang, de sable et de bleus
sur le visage de Sorensen, réunissant tout le spectre des couleurs. La chemise blanche
s’évadait de la taille sous ceinture, la cravate avait bien vécue et son costume était si taché
qu’il paraissait avoir nagé la brasse dans un bac à sable. Il fit grincer le siège une dernière fois
et se tenant comme un piquet, reboutonna le haut de sa veste en reprenant les accents de
l’éloquence.
- « Merci d’avoir bien voulu me recevoir. J’espérais avoir été assez clair sur les raisons de ma
présence. C’est peut-être parce que je suis resté dans un placard à balai, pendant six heures
pour éviter les russes, que je ne contemplerais pas le lever du soleil avec les charognards.
Mais je vous ai surestimé en effet, les manifestations éveillent en vous une rage prolétarienne.
Pourquoi venir au poste le plus proche quand Langley est à 30mn ? »
- « Parce que vous savez que le FBI aurait déposé des scellés ici par mesure de précaution. En
cas de fuite, les fausses pièces à conviction déposées ici pousseront les médias à changer les
cordes de leurs violons. Et de leurs arcs. Des contes de fées où les russes ne seront même pas
évoqués dans vos torchons. »
Il était plausible que Sorensen soit venu au poste pour estimer les fuites potentielles autour de
l’interrogatoire que Valajdopov avait mené à grandes tasses de sérum de vérité, puisqu’avant
l’émeute du Warder, les gros bras de la police locale avaient participé au raid de la CIA pour
capturer l’émissaire russe et son acolyte. Mais plus probable encore, Sorensen prenait le
commissariat comme un baromètre de l’impatience des fédéraux à le récupérer voire à le
suspecter. Comme on ne souhaitait manifestement pas l’attacher au portique par la laisse, il
était quasiment garanti que la voie était libre, hors de portée du flair de Slattery.
- « Je prends simplement la température. La moindre corruption dans votre département sera
entendue du haut de la pyramide. Je sais que vous avez refilé l’assassinat de David Kleinfeld à
Baltimore sous consigne du FBI. Quelqu’un tente de crédibiliser le lien entre le Sénat, les
russes et moi. J’étais donc curieux de savoir si vous alliez me poser la question. »
- « Mes hommes sont fiables ! Peut-être incompétents, mais fiables ! Tout a été tamponné à la
cire », symbolisa l’inspecteur en maestro offensé. « Personne ne vous attend avec les
menottes, mais je me pose des questions maintenant. Est-ce que vous voulez me blâmer de
vous apprendre une autre vérité que vos journaux ne diffusent pas ? La chandelle par les deux
bouts, et pourtant personne ne vous attend chez vous. J’ignore pourquoi, mais vous baignez
dans l’ombre du président de la Chambre, et vous vouliez l’entendre ma propre bouche.
Maintenant si vous me permettez, j’ai un département et sa plomberie à faire tourner. »
- « Je ne fais pas plus tourner ces journaux que les machines à sous de Vegas. »
Sorensen acquiesça pour quitter dignement la pièce, ne cachant pas la satisfaction d’entendre
quelqu’un du commun des mortels lui apprendre que les projecteurs n’étaient, pour une fois,
pas tournés vers lui. « L’inspecteur Harry », comme on le surnommait, soupira du nez
quelque chose de l’ordre du remord, et la langue enveloppant son plombage dans une de ses
molaires, il s’admettait que sa réaction avait été exagérée.
- « Une minute. Le FBI assure la liaison avec l’ambassade russe, qui consent à éplucher avec
Baltimore les ressources des contacts de Kleinfeld. L’ambassade vous donnera le nom des
enquêteurs bien avant les fédéraux si vous leur dites que je vous envoie, mais vous serez le
premier à apprendre que vous êtes parfaitement relaxé. »
- « J’apprécie votre geste. »
- « Pendant que le loup ouvre sa mâchoire ? Pourquoi ne pas reconduire votre assurance-vie
tout de suite ?! »
- « Si il y a bien un endroit où je serais en sécurité, c’est là-bas. Ils sont sur le fil du rasoir
d’une crise diplomatique s’ils me touchent, alors j’en profiterais pour ouvrir les vannes de
pression et je serais assuré qu’ils ne révèlent aucun de mes intérêts. Ils seront heureux de
m’entendre réciter mon propre Souvenirs de la maison des morts. Enfin, ce n’était pas le
bagne tout à l’heure mais quand même… »
- « J’connais pas », retournant à ses préoccupations.
- « Un condamné politique qui raconte ses années de travaux forcés. Une de mes lectures
collégiales pour bien connaitre les mœurs russes. »
- « Hm, la science du châtiment ou l’art de s’offrir une bonne conscience pour les
tortionnaires, quand les victimes consentaient à subir les pires tourments de leur vie. »
- « C’est comme ça qu’ils gagnaient leur paix de l’esprit, d’un côté comme de l’autre. Je
cherche juste à gagner la mienne. »
- « Ouais, et je devine maintenant que je vais gagner la mienne », maugréa-t-il sans
concession, d’un sarcasme à en faire éclater le néon au-dessus de leurs têtes.
Le regard encore incrédule de Martins écumait le convoi à l’horizon, où son supérieur était en
planque jusqu’à la fin de l’averse de plomb. Jack se dissociait presque à vue d’œil, sans
comprendre comment il avait pu menacer la seule personne – aux côtés de David Palmer –
dont la dignité pouvait encore signifier quelque chose.
- « Il y a une chose que vous devez savoir Jack. Nos deux otages ne sont pas seuls à
l’intérieur, quelqu’un fait l’entremise avec Radford… »
- « Qui ? Vous avez confiance en lui ? »
- « Ce n’est pas lui, c’est elle. Je n’ai aucune raison de ne pas la croire. Elle est revenue pour
vous avant de pleurer sur le marbre. »
- « Cassandra ? Elle…elle vous manipule, je sais qu’elle m’a vendu… »
- « Pourquoi aurait-elle négocié votre immunité dans ce cas ?! »
- « De la fausse monnaie, elle devait savoir dès le début pour Karamazov. Une immunité pour
pouvoir l’approcher, mener cette opération et m’attirer dans sa toile ! »
- « Jack…Et même si c’était vrai, est-ce que ça vous empêcherait d’y aller ? »
- « Non. Vous allez m’aider à entrer là-dedans et à la retrouver…à le retrouver », corrigea-t-il.
L’expression de Martins médusa le temps, endigué pendant quelques secondes, comme si
l’agitation du vulgaire reprenait son souffle.
- « Appel à toutes les unités », trancha finalement l’adjoint. « Négociez un cessez-le-feu
immédiat, nos deux suspects doivent sortir d’ici vivants ! Delta à l’angle, gardez le périmètre
fermé à l’ouest jusqu’à la rotation pour cueillir Radford. Je viens en assistance ! »
- « Ned, mettez de côté votre ego, ce n’est pas le moment ! », avisa son supérieur par talkie.
- « Ne me suivez pas de trop près », préconisa Martins à Jack en ignorant la directive.
Le caméraman d’une chaine locale harmonisait la mise au point sur la chevauchée héroïque
de Martins alors qu’à contrario, Jack perdait le point sur ce dernier quand sa vue devint
trouble. Des particules informes qui coagulaient, autant de naufragés qui se débattaient au gré
du ressac.
[06:08:33]
Renonçant presque à toute lueur, les pupilles de l’homme se rétractaient quand lui apparaissait
sous l’azur l’aridité mordorée du désert afghan. Le sable abjurait sous la fumée cotonneuse
qui s’élevait à plusieurs mètres de hauteur. On ne pouvait dire si la plaine désolée s’effondrait
sur elle-même dans un spasme terrestre ou si c’était le poids du céleste qui écrasa ce qui gisait
au-dessous.
Jack s’enlisait à l’intérieur de la fable d’espionnage, grâce au consentement de Martins qui
avait informé les forces de l’ordre à l’entrée. Ce monde était-il assez fou pour croire en un
ordre quelconque ? Bauer avança avec félinité entre Richard Braxton et Roger Slattery, qui
délogeait sa paire des lunettes dans l’effarement de la comédie divine sous ses yeux myopes.
Dans l’oreillette du DD-O, une série de coups de feu résonnait avec plus d’acuité que les
autres, et rimant avec les clameurs masculines de la révolte armée. Cassandra aurait pu
époumoner des vociférations de sirènes au milieu du naufrage – quand le capitaine quittait son
navire – qu’on l’aurait quand même ignorée.
- « Richard ! »
- « Ah Roger, on aurait bien besoin d’un de vos briquets ! », se permettant un trait d’humour
qu’un sourd n’aurait pas pu lire sur son visage. « Du graphite à faible dose qui est peut-être
passé sous le radar de l’armée, mais on opte pour le C4. C’est un carnage dedans. »
- « Qui mène l’insurrection ? », couvrant son borsalino gris à la levée du vent.
- « Radford a pu engager des mercenaires lorsqu’il était hors de nos écrans avant le procès »,
cimenté par une enceinte humaine d’agents qui barbelaient les médias.
- « C’est à exclure, il n’est séduit par Masri qu’en raison du chantage qu’il pouvait exercer sur
le parti républicain afin d’être amnistié. Vous auriez pu lui tendre la lime dès le début. Masri
était trop accessible ! Quelqu’un d’autre est sur le coup. »
Un journaliste tenta de passer le corail des policiers et fut aussitôt riposté par un matraquage
abdominal, causant une ruée de perches et cravates à proximité de Braxton et Slattery.
- « Virez-moi ces vautours ! », brailla le directeur dans un langage des signes parlé. « Une
intuition ? », retournant à son interlocuteur.
- « Appelez la relativité restreinte une intuition si vous voulez. On ne désirait pas poursuivre
Radford pour les charges usurpées ou non de l’affaire Kleinfeld, nous savions que déserter
l’audience d’hier, c’était enfoncer le dernier clou dans la croix, qu’il témoigne ou non ! », en
s’efforçant de se faire entendre par-delà les crissements à répétition. « Sauf que par
l’intermédiaire d’un certain Cooper, par ses connexions au Washington Post, certaines
extorsions de fonds au Moyen-Orient seront révélées ce matin. Il y a quelques mois, Kleinfeld
épinglait les secteurs de ces détournements comme on épinglait les bars clandestins pendant la
Prohibition ! »
- « Quel est le rapport ? Bon Dieu Roger, pourquoi prendre les escaliers quand on peut… »,
engagea Braxton, excédé par la complexité du phrasé analytique du contre-espion.
- « En chemin, Caughley a décroché le téléphone rouge à Langley. La source d’un paradis
fiscal a afflué à la lumière d’un des secteurs couverts par Kleinfeld. Écoutez bien, nous
n’avions jamais cartographié une partie du désert afghan, un des détournements visait à
effacer ce lieu de la carte. Et nous l’avons repéré il y a quelques minutes seulement parce que
comme dans votre musée, tout part en fumée là-bas ! »
- « Le détournement a été réalisé pour dévier nos satellites ? »
- « Le paradis fiscal que nous avons découvert regorge d’évidences qui dénotent les moyens
dantesques mis en œuvre pour cacher l’existence de ce secteur. Les afghans étaient dans le
coup, le suaire s’est décollé de lui-même : Nate Sorensen y menait sa désinformation là-bas
avec l’OIS depuis des années. La chance assiste parfois la détermination de nos enquêtes, ce
sont les activités « sismiques » de la région qui nous ont permis de recentrer nos drones. »
- « Les activités sismiques ? »
- « Un effondrement plusieurs centaines de mètres sous terre. Et pour Sorensen, réglez les
formalités avec le président au sujet du Post, je ne vois pas d’inconvénient à divulguer ces
données, cela résoudra les inquiétudes de la Cellule antiterroriste. Ce qui accréditera
également les fuites sur les réserves pétrolières en Russie et aux abords. L’organisme de
Sorensen s’est lentement écroulé pour lénifier la géopolitique orientale. Les consortiums se
sont retirés à la seule mention publique de ces extorsions, et le Kremlin s’y reprendra avant de
nous couper les robinets via leur pays satellites et frontaliers. »
- « Je contacterais le président dans la soirée, je suis enchanté de vos recherches fructueuses
Roger mais il y a d’autres chats plus félins que Sorensen. Depuis quand avez-vous changé
l’ordre de vos priorités ? »
- « Je ne l’ai jamais fait. Je vous ai promis l’agent dormant et je m’en vais le cueillir de ce pas.
Mais j’estime que je devais, en guise de prologue, vous avertir sur la nature des transactions
de Sorensen avant que tout ne nous éclate au visage. Avec la presse à Langley dans 4h, je ne
veux pas avoir l’air d’un défiguré qui rit jaune ! »
Slattery tassa son chapeau avant d’entrer dans la voiture par la banquette arrière et se désaxa
un instant vers le directeur des opérations.
- « Une dernière chose », insista le Successeur. « De votre côté, vous feriez mieux d’envoyer
des hommes cueillir les rescapés, s’il y en a, de cette cérémonie tribale afghane qui soulève la
poussière. Je vous confierais mon briquet avant de le confier aux Renseignements pakistanais,
ils ne sont pas fiables alors je vous recommande de dépêcher des unités au sol, peut-être
allons-nous reconnaître de vieilles connaissances sur place. »
- « Comme vous dites, je ne me fie pas à eux. Laissez le Conseil publier son rapport sur
l’Afghanistan, l’intervention n’est pas envisageable actuellement. »
Conquis par le miroir aux espions, pièce à l’architecture de glaces déformantes, comme si la
réalité ne se déformait déjà pas assez depuis quelques minutes – n’était-ce pas depuis
toujours ? – Jack entreprenait de retrouver Martins et comme la brume s’était dissipée, il fut
pris dans le vertige de ses reflets, où il remarqua le cadavre à ses pieds.
- « Jack ! », tonnait Martins pour l’aider à se repérer, bien que le cessez-le-feu semblait
respecté. « Je s…Karamazov…à l’étage…ou quatrième. »
- « Hostile en vue dans la pièce sept ! », égosilla un agent de l’unité d’intervention en pointant
sur Bauer.
L’ancien Delta plongea sur la surface de verre et s’empara du 9mm à la ceinture du cadavre
pour plomber l’agent avant qu’il n’alerte le reste de son équipe. La balle traversa la cuisse,
faute d’avoir réussi à viser près du thorax pour lui laisser une chance de survivre plutôt
qu’une chance de répliquer. L’agent s’effondra latéralement et Jack se précipita en glissant
sur ses genoux pour amortir sa chute, puis, prêt à lui briser la nuque, se laissa plaquer dos au
sol, le souffle coupé. Comme en pleine contemplation du ciel sur une friche d’herbe, Jack
appréhendait à l’envers le visage de son ennemi et le harponna au col pour le faire planer au-
dessus de lui. Il bascula à 180° et sangla ses jambes autour du cou de l’adversaire.
- « Jack… »
CRAC.
En temps normal, Martins aurait une réaction opposée à la contrariété presque indifférente
qu’il affichait, mais ce qu’il venait de voir le dispensa de sermonner un civil officiellement
décédé aux yeux de tous, qui venait d’éliminer de sang-froid un agent fédéral. Sans penser à
reprendre la casquette tombée pendant l’altercation, ni même la lampe-torche prise à Martins,
qui avait glissé de sa poche, Jack se précipita jusqu’au premier étage, traversa la ruelle
anglaise avec l’adjoint et déboucha dans un couloir aussi ensanglanté que celui des aventures
de Jack Torrance. La mer avait bien été séparée en deux, maculant les murs d’un côté comme
de l’autre.
- « Cassandra ? », hoquetait Bauer en avançant entre les corps.
- « L’ascenseur est HS. La porte de service… »
La poignée bloqua avant même que Martins n’eut conclu sa phrase quand Bauer étripa la
porte. Un coup sec avec le plat du pied permit son entrebâillement pour contrer la lourde
résistance, élargi par un second coup puis achevé par un troisième. Au pied de l’escalier, Jack
fut déconcerté par l’amoncellement de cadavres sur le marché.
- « Cassandra », arrima Martins sans l’écho d’un doute.
L’aridité mordorée réapparaissait sous l’azur, décharné de ses nuages quand les pupilles
s’étendaient pour redécouvrir le monde depuis le créneau en verre d’où filtrait la lumière.
Sans l’écho d’un doute, il y avait de la circulation à perte de vue et des bruits à perte d’ouïe,
mais l’esprit était encore accommodé à sa léthargie. Des câbles, ou plutôt des fils très fins
reliés au crane. Il fallait les débrancher. Se relever ensuite, reboutonner sa chemise et
continuer à battre des paupières. La terre palpitait, comme une longue secousse sismique
mais…ce n’était pas ça. Des copeaux de verres se dispersaient dans la pièce quand une vitre
éclata, causant une réaction démesurée de l’homme qui se cramponna au fauteuil où il avait
veillé pendant…impossible de savoir combien de temps, après réflexion.
- « …vacuation immédiate », transparaissait une voix enregistrée depuis la cour extérieure,
d’où provenait cette chaleur grasse qui semblait rendre tout raisonnement stérile.
Et son arme de poing ? Danny Caïn caressa la circonférence de sa ceinture, son 9mm avait
disparu. La sécurité n’était même pas relâchée quand il franchit la porte coulissante munie
d’un capteur de mouvement : il n’y avait plus aucune sécurité. La terre éclipsée des pots de
fleurs et les débris de pierre pavaient le sol, avec encore plus de chaos que dans certains
secteurs démilitarisés près de Kaboul après raid aérien. La poussière gouttait du plafond par à-
coups à chaque saccade quand Caïn traversait le couloir post-apocalyptique avant de le voir
s’effondrer en épaves de béton. Il accéléra le pas et par réflexe, se baissa chaque fois que le
décor muait jusqu’à rejoindre le rez-de-chaussée, jonché de deux corps et une poutre bancale
sur le point de rompre. La sortie était impossible, ornée d’un gouffre en guise de paillasson
qui s’était formé au premier effondrement souterrain.
Caïn tergiversa entre la possibilité d’être laissé pour mort, bien que les risques furent minimes
dans la salle où il s’était réveillé, puis le fait qu’on ne l’avait pas privé de ses mouvements, lui
permettant de se frayer un chemin sans la moindre opposition. Et cette salle ? Pourquoi ces
branchements ? commença-t-il seulement à réaliser, quand ais-je été endormi ? La chaise
fracassa la fenêtre dans un hurlement de verre, que le soldat trépassait avec un corps qui
semblait formé de plomb pour atterrir dans l’embrasure étroite et ombrageuse entre les deux
bâtiments. Le moteur d’une Jeep bouillonnait, derrière les soldats paniqués qui allaient quitter
le fort. Caïn esquissa ses empreintes sur la terre orangée et marcha jusqu’à la cheminée de
fumée qui s’envolait depuis le dôme ouvert.
- « Nom de… », en parcourant de l’index l’étendue de sa cerne droite pour débrider au mieux
ses yeux. « La rampe de lancement. Un tir qui résonna tour autour du monde…Le…les
missiles... »
La différence entre Washington et l’Afghanistan s’enténébrait par moment. À mesure que
Jack et Martins progressaient, l’escalier était de moins en moins jonché de cadavres et arrivés
au cinquième étage, l’obscurité complète voilait même les phares de l’hélicoptère qui
bourdonnait au-dessus d’eux. Sans aucune source de lumière, ils se sentaient là à l’âge de
pierre. Radford et ses partenaires avaient décampé sans laisser aucune trace, ce qui n’était pas
surprenant, mais Cassandra, Drakov et Karamazov ? Aucun signe de vie, dans un horizon qui
n’en était pas un.
- « Ils ont été livré sur un plateau. Radford a eu ce qu’il voulait. »
- « Cassandra voulait faire ça pour vous Jack, elle pensait que vous étiez en vie. »
- « Je ne le suis pas ? »
Martins pouvait humer la sueur de Jack malgré la fragrance étrange qui empestait les lieux,
sans même une allumette pour éclairer sa face hallucinée. Quelque chose ne tournait pas rond
chez lui, il pouvait concevoir sa paranoïa après tout ce qu’il avait vécu, mais le voir ainsi…se
fondre en suée dans une sorte de chair dissolue qui paraissait brûler. Brûler comme lors d’une
cérémonie militaire commémorant un soldat mort au front, au milieu d’un feu ardent…
- « Drakov et Masri ont été son laissez-passer pour gagner la confiance de Radford. Elle
voudra savoir ce qui vous est arrivé, pourquoi on lui a menti sur votre mort. »
- « Leur collaboration ne date pas d’hier ! », invectiva Bauer. « Elle opérait en freelance avec
moi pour pouvoir cacher Radford le temps de son procès, et c’est lui qui l’a envoyé me
retrouver à Minsk ! Tout est si clair, AE/Dune signifie cela, on nous a permis de griller la
couverture de Matters pour cacher l’existence d’une seconde taupe, une taupe cachée derrière
la dune ! Et là, c’est encore une coïncidence pour vous ? », sans donner à Martins la chance
de répondre. « Ils ont pris la fuite par les fondations, peut-être une galerie en travaux atteinte
avec du C4. Il nous faut de la lumière. »
[06:20:40]
Le commando sécurisait le premier étage. Braxton réassignait ses unités.
Le tireur embusqué à l’Est du Warder prenait en joue les fenêtres du cinquième étage.
Sous les signaux de fumée indienne, Caïn trébucha sur le cadavre de Hamza.
[06:25:21]
La pénombre instilla une réminiscence fugitive à l’ancien Delta : sa capture par des soldats
serbes au Kosovo. Une cave, où il avait pu délier la corde entre ses mains, ce soldat qu’il
apercevait dans la fente d’une trappe, des débris de vases, et un interrogatoire fantasque.
C’est donc lui le prisonnier…C’est donc toi qui avais ordre de tuer Viktor Drazen ?
On ne va pas s’en sortir, ils sont trop nombreux, avait déploré un des hommes de Jack.
Des blancs de mémoire. Puis les échos de sa propre voix.
Ici Jack, vous me recevez ? J’arrive à la zone d’exfiltration, attendez-moi là-bas, avait-il
décrété à ses hommes avant de retrouver deux de ses hommes, Peltz et Illijec flotter dans la
rivière. Éteignez ça ! Les serbes utilisent notre radio pour nous repérer !
- « Les serbes utilisent notre radio pour nous repérer ! », répéta Bauer à haute voix.
- « Vous divaguez Jack, vous vous êtes évanoui pendant quelques minutes !! Il ne faut pas
rester ici, vous sentez comme moi cette odeur ?! »
- « Du propane », en reprenant ses assises. « Un autre clin d’œil de Radford… »
Jack chassait le fédéral derrière l’issue d’où ils étaient arrivés, puis visait un spectre dans
l’obscurité sans autre forme de procès. Lui tirer dessus allait peut-être lui permettre d’y voir
plus clair, si cela pouvait encore être possible à ses yeux.
- « Attendez !! »
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Episode 18 19-20 (final)

  • 1. Précédemment dans la fan-fiction de Mr. Jack : Le corps de Rosenberg devait disparaitre avant que les autres membres de la Coalition ne s’alarment. Alan Bauer emmena Jack à l’institut Carnegie pour procéder aux derniers réglages afin d’activer Sombres Soleils et lui révéler les idéaux d’Old Fates. L’ancien Delta profita d’un moment de panique pour s’échapper et s’allier à Amaya, le second de Yanaka, dans l’objectif de retrouver l’espion de la CIA chez les chinois, et alors en terminer à jamais avec l’Agence. Il devait donc retrouver Karamazov, en accordant cependant une faveur au yakuza : lui livrer James Matters, en passe de rejoindre l’ambassade pour fuir le pays, une fois l’état d’alerte baissé. Peu convaincue du témoignage de Cassandra, la CIA avait fait venir deux ex-délégués de l’OTAN liés à Crépuscule pour confirmer la thèse du mensonge de Radford. Pour éviter d’être inculpée pour une rétention d’information fictive, elle spécula sur les troubles de mémoire qui avaient touché Jack par le passé, et chercha une issue de secours. Elle révéla que Radford se terrait au Musée International de l’Espionnage, mais que l’Agence devait emmener Drakov et Karamazov pour espérer le retrouver. Alors que l’intervention se préparait, Jack allait se jeter sans le savoir dans la gueule du loup pour mettre la main sur Karamazov. Caïn s’échappait du refuge des dissidents en piégeant les Forces Spéciales pour se rendre dans une zone fantôme à quelques kilomètres, où se levait un large dôme dans une infrastructure grillagée. Reçu par Hendersen, le soldat réalisa qu’il se trouvait près d’une rampe de lancement nucléaire qui n’était, d’après son créateur, que la face visible de Sombres Soleils. Les efforts de Slattery pour retrouver Brainer et Sorensen contrebalançaient avec la découverte de Caïn. Certain de pouvoir retrouver Serpico dans l’heure, qui s’avérait pourtant n’être qu’une fausse piste vers AE/Dune, le contre-espion menaça Valajdopov et la Russie de représailles collatérales s’il était arrivé quelque chose au Président de la Chambre. L’émissaire du FSB clamait son innocence, mais malgré tout, le corps de Brainer fut retrouvé dans un terrain abandonné. En promettant réparation, et donc une entrée en guerre, Slattery était-il au courant des installations en Afghanistan, qui pouvaient toucher Moscou dans les plus brefs délais ? La confirmation officielle de la mort ne Brainer n’allait pas entrer dans l’oreille d’un sourd, pourtant déjà préoccupé par le commando devant le Musée et la traque d’AE/Dune. Episode 18, épisode 19 et épisode 20 : (05h00 - 08h00) Ces événements se déroulent le jour de l'opération Sombres Soleils, entre 5h et 8h du matin, heure de Washington DC. « Est-ce qu’il a été retourné ? Comme devant le plus lisse des miroirs ? », en percevant ces mots comme de la vapeur sonore, les yeux bandés. [05:05:11] − Toutes les raisons de ne pas croire une belle femme − Le panneau publicitaire à l’effigie d’une Eve irrésistible qui respirait l’innocence, et pourtant, mordait secrètement le fruit défendu, était en train de chauffer sous les néons en suspension qui ne s’éteignaient jamais. L’espion piégé par la femme séduisante, et le touriste piégé par le rôle romancé que proposait le Musée International de l’Espionnage avec cette accroche qui soulevait la curiosité des passants. On aurait pu écrire « n’ouvrez pas cette porte » que tout le monde allait se ruer dessus.
  • 2. Le paradoxe était étrange, releva Ned Martins, arrivé avec la première équipe d’intervention au sol : pourquoi une publicité pour inciter les gens à se rendre au Musée alors qu’ils étaient précisément déjà là pour ça ? Le tour était déjà joué, cette femme sur l’affiche n’avait qu’à tendre la pomme écarlate pour rendre sa cible léthargique puis délirante. Mais celle-ci, ces visiteurs, s’étaient aventurés dans ses bras de leur propre gré. Et ainsi, le délire, était-il même possible de se rappeler de son commencement ? Slattery aurait été catégorique, songea-t-il : c’était l’effort de mémoire qui faisait le délire. - « J’ai un visuel sur le toit, le ciel est dégagé », ventila une voix dans la radio sous la nuit unanime. « Le commando tactique est en approche ! » L’adjoint au directeur se situait à l’angle du Warder Building et son Spy City Café, qui voisinait l’antre du Muséum, l’Adams Building. Comme si le ciel allait lui tomber dessus, il inclina sa nuque à la renverse sous l’escalier métallique de secours qui se hissait jusqu’au cinquième et dernier étage du Warder, dans la rue perpendiculaire à l’entrée principale. Le directeur de l’attraction avait été réveillé à l’eau froide, considérant qu’en raison des travaux, les fenêtres sud-est du troisième au cinquième étage pouvaient avoir été cloisonnées au gaffer, et que cela pouvait expliquer le repli stratégique des suspects à ces niveaux. Le bâtiment blanc de verre qui surplombait les deux Buildings par l’arrière était mobilisé par deux tireurs d’élite qui désespéraient un visuel sur l’édifice couleur ocre. Le reste de l’unité était en attente, ou avait investi une partie de rez-de-chaussée par répartition individuelle. Au seuil de la pierre angulaire, où paradait l’inscription espionnage à la verticale, Cassandra Evans dénombrait les agents pour connaître les issues verrouillées. - « Le Congrès évincerait Braxton pour un chat de gouttière trop bruyant », contracta Martins, entre la devanture du café et les barrières de sécurité au bord du trottoir. - « Nos deux fauves vont peut-être faire des vagues. Tout le monde est si tendu. » - « Si l’opération fait le moindre bruit, le niveau d’alerte maximum est déclaré officiellement, après ce qui s’est passé sur la Baie et l’attentat devant les bureaux du Département. » - « Vous ne pouvez pas piéger Radford sans vous attendre à un tour de magie. Ils sont isolés et connaissent le périmètre, un coup de feu est vite parti. » - « Sauf si vous établissez le contact avec lui », en traversant le carrefour pour rejoindre le van de surveillance qui précédait une Mercedes noire teintée. Le directeur des opérations claqua silencieusement la portière du véhicule, accompagné par son chauffeur, puis se dégagea du champ lumineux qui dévorait une partie du bitume. - « Le Conseil de Sécurité ne veut pas d’une négociation à l’amiable, l’affaire doit être traitée dans l’heure au risque de faire grimper le seuil d’alerte », imposa Braxton autoritairement en se déplaçant vers son adjoint et Cassandra. « Radford doit savoir que vous êtes là, que nous sommes prêts à répondre à sa demande et que nous encerclons les lieux. Comme il suppose que nous allons le doubler, vous êtes notre meilleure carte, Cassandra. » - « Je dois aller là haut et lui laisser croire que je suis de son côté ? », entrant dans le van pour être équipée d’un micro. - « Allez au point de rencontre, et dites à Radford que la CIA lui tend un piège dehors pour repartir avec Drakov et Masri, qui ne vont plus tarder. Que, comme l’intervention doit être discrète, aucun commando ne se situera sur le toit. Les termes de l’échange, du moins ce que vous lui ferez croire : on accepte de lui envoyer une belle paire de saints…mais il doit nous donner Linda Radford comme assurance. »
  • 3. Elle pressa l’adhésif sur sa peau pour faire tenir le fil sous la chemise et enfila sa veste en cuir brun par-dessus. Le technicien harponna alors son casque pour entendre le retour audio. - « Il n’y aura pas de terrain neutre pour l’échange », fit-elle remarquer. - « Après avoir transmis le message, vous revenez chercher Drakov. L’échange se fera au premier niveau du Warder. » - « Jamais il ne livrera sa propre fille… » - « Il l’a déjà fait une fois. Vous savez être persuasive, trouvez quelque chose. » - « Je peux ? », demanda nerveusement Martins afin de s’isoler un instant avec elle. Le DD-O acquiesça et les observa à distance, avant de s’entretenir avec le chef de la police qui s’était déplacé dans la confidence, avec quelques hommes en stand-by. - « Braxton vous accorde sa confiance parce qu’il sait que si vous violez notre deal, les charges retomberont sur vous », prévint Martins en gesticulant autour d’elle. - « Il n’est pas seulement question de moi. Jack a aussi droit à sa propre paix. Avant de chercher à s’évader à l’Agence, Radford m’avait murmuré son plan à l’oreille. L’extraction devant le Département, le lieu de rencontre, m’arranger pour faire sortir Drakov et Masri, enfin Karamazov, ou appelez-le comme vous voulez. » - « Quelle promesse a-t-il fait pour effacer sa dette envers vous ? » - « Jack est ici d’après lui. Je n’ai aucune raison de m’écarter de notre accord, mais si je suis là c’est pour lui, peu importe ce qu’il adviendra de Radford ensuite. » - « Bon sang… », figé sur place, le regard dans le vide. « Radford laisse pendre l’hameçon, et dès le départ, vous envisagiez de le duper en partant avec Jack… » - « Ned, le marché sera respecté. Je suis l’appât…Avec une telle prise, la CIA refoulera la commission d’enquête et… » - « Cassandra », la cernant à nouveau, subitement glacé par son regard en approchant la bouche de son oreille pour échapper à la perspicacité de son supérieur. « Je ne sais pas comment vous l’annoncer. L’Agence ne le sait pas depuis longtemps. Jack…cette histoire a mal tournée. » Elle recula machinalement, comme si elle désirait secrètement que les mots qu’elle redoutait ne viennent jamais à elle, et plissa l’entre-sourcil par un semblant de déni. - « Qu’est-ce qui a mal tourné ? » - « Son appartement a pris feu pendant qu’il était dedans. Quand on est arrivé sur les lieux, tout a commencé à s’effondrer. On a rien pu… » - « Vous l’avez vu, de vos propres yeux ? Et personne n’a rien pu faire ? Qui était là bas ? Pourquoi personne ne l’a couvert ?? » - « Personne n’a rien vu venir. Et Radford sait comment prendre par les sentiments. De longs cheveux blonds, un soutien-gorge et il aurait fait la parfaite espionne du KGB », se risquant à détendre l’atmosphère d’un calme pesant. Elle respira de plus en plus péniblement, par des vibrations effrénées qui la firent fuir impulsivement jusqu’au coin de rue pour s’isoler contre une vitrine d’agence de location immobilière. Martins pointait au-delà de son épaule, à quelques dizaines de mètres derrière elle quand la rapidité du souffle s’accentua jusqu’à la crise de panique. Cassandra se laissa glisser du dos pour s’asseoir en vacillant, les mains qui enserraient les genoux pour reprendre le contrôle, et lança un aperçu subreptice dans l’allée, où Braxton et Martins se consultaient avant d’envoyer Drakov dans la ruche à l’honneur des traitres et espions.
  • 4. - « Les charges ont été posées près des transformateurs avant l’arrivée des fédéraux », signala le responsable de l’extraction de Gabriel et Linda Radford, à la lueur d’une lampe à piles. « On doit les activer avant l’aube ou les unités aériennes pourront les repérer. » Radford enclava un œil dans l’espace millimétré découpé dans le gaffer pour apercevoir le panorama restreint, qui ouvrait sur la rue principale face à l’entrée. Il y distinguait du mouvement, quelques ombres opaques qui s’agitaient dans un silence de cathédrale. Alors que la CIA l’avait tout juste accueilli à bras ouverts il y a quelques heures, sa conversation avec Mikhael Drakov sur le toit de Langley l’avait convaincu de se tourner vers Old Fates. Puisque le président ne lui avait pas accordé sa grâce et qu’il était dans le collimateur de tueurs à gages, Radford estimait que les ressources de cette compagnie permettaient de retrouver Karamazov et faire chanter Charles Logan. Le programme de protection des témoins, être contraint de s’accrocher à la barre des accusés au procès, révéler avoir menti sur Crépuscule, laisser sa fille à découvert…le compromis ne lui laissait pas d’avantage sur la situation, à moins de disparaitre, et en tout honneur, sous le nez des fédéraux. L’austérité sur son visage s’effaça pour y substituer une anxiété paternaliste quand il posa son attention sur elle. Il ressentait pour la première fois un sentiment de responsabilité envers sa fille. Se tirer d’ici au prix de quelques blessures de guerre, c’était à envisager, mais la prendre sur ses épaules en traversant les tranchées…Une odeur forte − semblable à du soufre, mais ce n’en était pas − lui montait au nez, mais bien décidé à ne pas renifler une mauvaise intuition, Radford se pinça le nez et poursuivit sa retraite. [05:09:43] La sueur perlait sur le front de Jack, comme si sa peau menaçait de s’embraser aux premiers rayons du soleil, impatients d’envahir le bleu céleste. Il changea de fil sur la bretelle d’autoroute aux portes de la ville, en repoussant du visage les phares éblouissants qui le persécutaient de chaque côté, puis décolla ses mains du volant pour essuyer la transpiration. Son téléphone sonnait depuis une quinzaine de secondes déjà sans même qu’il ne s’en aperçoive, prenant ensuite conscience du vibreur qui faisait trembler l’allume-cigare. - « Bauer. » - « L’avocat de M. Yanaka vient de me contacter. D’après les clauses de sa détention conditionnelle, il a été informé d’un transfert provisoire de Masri il y a quelques minutes. » - « Vos hommes ont pu le pister ? », incertain de reconnaitre la voix du bras droit de Yanaka. - « Des ouvriers en probatoire qui pavent l’autoroute à la sortie de Langley, ils m’ont signalé le passage d’un convoi minimal vers la 295. On a attendu de voir où ils nous menaient : au quartier Penn, au nord de Pennsylvania. » - « Le Q.G. du FBI ? », alors que la batterie du téléphone faiblissait. - « Pas si on s’en réfère à l’intervention de la police. C’est le Musée de l’espionnage qu’ils visent. L’information n’est pas confirmée, mais je vous conseille de prendre cette direction. » - « Dès que… », subitement essoufflé. « Dès que Masri me donne mes renseignements, je m’occupe de Matters… » - « Le Bureau et la CIA ne se disputent plus les lauriers. Le contre-espionnage n’est pas prêt d’acquitter son effectif pour le retrouver, et la mafia ne veut pas se compromettre en s’impliquant dans l’opération. Prenez Matters comme une dette envers nous. »
  • 5. L’interlocuteur avait raccroché, et alors que Jack paraissait se dissoudre sous l’effet de la canicule malgré la climatisation, le pick-up dévia de sa direction, pour s’expatrier sur la voie de gauche en manquant de peu la collision avec le terre-plein central. Soit je négocie ma liberté en mettant la main sur Masri et je laisse le champ libre à James. Soit je pars le retrouver avant les fédéraux, et Masri sera à tout jamais hors de p…La voiture se fit lacérer par le séparateur en ferraille quand Bauer commença à réagir pour reprendre de la stabilité, effaré de son inconscience qui semblait se propager. Quand Slattery lui avait injecté ce sérum de vérité dans la journée, il avait dû, par mégarde, le contaminer de ce fléau égyptien. En un sens, toute la poussière du sol s’était changée en moustique, et désormais, il se sentait perpétuellement piqué par un germe de folie à propos de l’existence et l’obsession envers cet agent dormant. À un tel point que cette obsession était devenue plus importante que la raison qui l’avait guidé toutes ces années : l’aspiration à sa propre liberté, tout cela pour cesser de n’être, à son tour, qu’un fléau pour les autres. Penché sur la passerelle du second niveau qui surplombait les installations balistiques, Caïn restait stoïque, pareil à une statue de Pygmalion en mémorisant les étapes logistiques qui servaient à lancer le compte à rebours. L’histoire se répétait ? Rien n’était plus faux se persuadait-il depuis des années, ce n’étaient souvent que des impressions de déjà-vu, mais celle-ci lui fit aussitôt songer à l’issue de l’opération Crépuscule, que Caïn connaissait jusqu’au bout de ses ongles, embrumés de sable humidifié par la sueur. Il avait précisément été engagé au FBI pour monter un dossier sur Bauer cette année-là, sans jamais en connaitre les aboutissements. Il savait juste que Hendersen s’était chargé de le recruter pour remplir cette paperasse, et se servir des informations tout en restant à couvert. Maintenant qu’il savait pour Old Fates, le soldat en inférait que son ancien mentor au Bureau Fédéral collectait les renseignements dans l’ombre de la Maison Blanche et de la Coalition. - « Même pour un grain de beauté au milieu des couilles, il doit le savoir… », à haute voix, en ricanant du nez, sans être entendu. - « En trois films Hannibal Lecter n’a pas cligné des yeux une seule fois. Je commence à croire qu’il y a un lien de parenté » releva Hendersen en le prenant par l’épaule, la cigarette vissée entre les phalanges. - « Tu hérite plus de ses talents par ton don de disparition et de réapparition. » - « Relâche tes épaules petit, ce n’est pas comme si j’allais te pousser dans le vide… » Caïn réalisa qu’après tout, il n’était peut-être pas celui qui avait le plus de ressentiment dans l’affaire. Lorsqu’il avait découvert qu’il était manipulé pour enquêter secrètement sur Bauer, il avait menacé Hendersen, alors directeur de la DIA, d’envoyer un rapport à la Commission Sénatoriale. Ce dernier n’avait eu aucun mal à renverser la vapeur et continua à le graisser pour obtenir ce qu’il désirait. Après avoir chuté du haut du siège du FBI, Hendersen avait passé un long séjour dans le coma, avant de s’éclipser ensuite aux yeux du monde entier. Quand il était entre la vie et la mort, Caïn était incapable de dire s’il avait provoqué l’accident intentionnellement ou non, et pourtant, il n’ignorait pas combien son décès l’aurait arrangé pour ne pas plonger au cœur d’une investigation fédérale. Pour se blanchir, il avait plaidé la cause du suicide pour Hendersen, malgré les doutes de l’expertise psychologique. Quelques mois plus tard, Hendersen disparaissait, et Caïn était persuadé, jusqu’à ce jour, qu’on avait débranché la prise parce qu’il avait eu accès à des informations confidentielles. Sur toute la ligne, il s’était planté : non seulement Hendersen était vivant et avait échafaudé sa fuite, mais en plus, son pouvoir allait au-delà de tous les degrés de commandement.
  • 6. Caïn aurait-il seulement pu supporter l’idée qu’un œil continuait à l’observer dans le ciel en lui remémorant son crime ? Après tout, il n’avait jamais été aussi heureux d’avoir été dupé sur cette fausse mort. Ce fut en toute ironie, sans doute le sentiment antagoniste que Jack avait pu éprouver en apprenant que Drazen était bien vivant… - « J’aurais pu avoir de l’opium à la place du sang que tu m’aurais quand même fait venir ici. Bergman, un leurre pour me faire traverser le continent et me servir le thé chez toi. Tout ce temps, Brainer et moi on pensait traquer la Coalition, mais en fait, c’est toi qui secouait les branches…Alors tu ne me renverras pas l’ascenseur n’est-ce pas ? » - « Si tu avais eu la décence de venir me voir à l’hôpital », inhalant la fumée de sa cigarette avant de prendre le monte-charge. « Tu aurais su dès le départ que c’était pour moi une chance unique de m’extraire du Renseignement. On t’aurait évité un poids sur la conscience. Les membres de la Coalition, il y a dix ans, ils savaient que j’allais m’effacer. C’est pour ça qu’ils ont fait état de ma disparition à la presse, pour retrouver ma trace. » Les étincelles de chalumeaux crépitaient en arrière-plan lorsqu’on vérifiait une dernière fois l’attache du silo sur le LGM-30, après la première utilisation de la rampe par Frank Bergman la veille. Le Minuteman III, l’homme qui tombait à pique, avait compris Caïn, qui connaissait bien le mécanisme de ce missile intercontinental puisqu’il était le seul encore en service sur le sol américain. Étant donné le passif d’Hendersen à la Défense, un adolescent aurait eu plus de mal à acheter une bière dans une épicerie que se procurer ce type de balistique. - « Les milices de la Guerre d’Indépendance, toujours prêtes pour la guérilla à la seconde près, c’est de là que vient le nom de ces missiles. Mais tu le sais déjà », déclama le vétéran. - « Ils peuvent atteindre Washington en moins de deux heures… » - « Un tir qui résonna tout autour du monde. C’est ce que dit la statue du minute man de Chester French. » La chaleur claqua brutalement Donovan Hendersen quand il remonta à la surface pour rejoindre la structure qui abritait une partie des dortoirs, pour les chercheurs à temps plein. - « Il traverse les continents et il est pourtant seul au monde. Avant, on avait le Peacekeeper, le gardien de paix…mais on a fini par le retirer du marché », poursuivit-il. - « Le traité START…La Coalition tenait à la dissuasion », interpréta logiquement Caïn en passant le corridor qui lui laissait cette impression d’asile psychiatrique. - « La dissuasion, ils font ça pour garder bonne conscience eux aussi, se laver les mains avec des traités de réductions d’armes, de non-prolifération. Mais depuis qu’on a crée Old Fates, on a toujours été capables de regarder les choses en face, de voir dignement la mort arriver. » - « De qui tu parles, celui qui voit la lumière au bout du tunnel ou celui qui presse l’oreiller ? » - « C’est un paradis perdu sans retour pour nous. L’histoire n’avance pas à reculons », glissant sa carte magnétique dans la fente à l’entrée une fois la cigarette éteinte. « Il faut aller au devant, et vivre avec cette idée. » - « Avec des milliers de victimes innocentes ? C’est ça ta version du jardin d’Eden ? Tu croques le fruit défendu et les autres paient le crime à ta place ?? » - « Payer pour ses crimes ? Ce n’est pas comme si ça avait un air de déjà-vu pour toi. »
  • 7. Une table d’opération, qui semblait archaïque au premier coup d’œil mais qui se prêtait pourtant bien au décor orange et sablé du complexe se présentait devant eux. Caïn inspecta la pièce et caressa du bout des doigts l’écran de commandes qui codait une série de données indéchiffrables : - « Ta cigarette. La manière dont tu la tenais est révélatrice de certaines personnes colériques. Une agressivité ponctuelle », suranalysa Caïn quand Hendersen évinça les cendres au bout de son mégot, sans perdre l’idée qu’une puissance nucléaire se trouvait à quelques mètres d’eux à peine. « N’oublie pas de cligner des yeux. » [05:15:18] La CIA délivrait à Capra les papiers concernant l’extradition de Yanaka en Russie. Inquiet de ce que Karamazov pouvait révéler à Radford suite à la tentative d’assassinat avortée, le président cherchait désespérément à joindre le Secrétaire d’Etat Rosenberg. Un homme ressemblant au profil de Serpico était repéré par des garde-côtes sur la baie de Chesapeake, procédant à son arrestation avant qu’il ne vise les eaux internationales. La Lexus postée en bas de la chambre d’hôtel de Matters faisait ses appels de phare. [05:20:57] Le quartier était si calme qu’une mouche aux ailes amputées aurait réanimé la nuit morte. En contrebas de l’allée privée où plusieurs phares de police tournaient en mutisme, Newell était chapeauté par un lampadaire puissant qui grillait les parasites volants comme Icare au soleil. « Mike le maudit », maugréa-t-il en remarquant la forme expressionniste tirée par son ombre. Quand une figure indistincte s’approcha de lui, le directeur préretraité de la Cellule sursauta : - « Bon Dieu…vous me faites le coup de Blanche-Neige perdue dans sa forêt ? » - « Où sont passés le chapeau melon et l’imper’ ? » - « Ne vous laissez pas duper par Hollywood et ces bouquins d’espionnage Tony. Mon prédécesseur à la CAT bouclait ses fins de mois par des coloscopies. Des problèmes d’incontinence au beau milieu de briefings inter-agences. Il a fini ses jours en buvant du petit lait, à chasser le moindre petit poil qui flottait dans son verre. Je crois que j’ai plutôt bien fini », faisant le signe de croix sans s’appliquer, d’un coup de poignet désarticulé. - « C’était donc ça l’opération Crépuscule ? », ricana l’ancien analyste au bouc aiguisé. - « Une belle merde oui… » Newell changea gravement de faciès et plomba ses sourcils déchus sur ses chaussures. - « Ces salauds ont eu Brainer… », poursuivit-il sans transition. - « Quoi ?? Il…On sait qui ? », taciturne en marchant dans la pénombre. - « Des fondamentalistes pour la police, mais je n’y crois pas. J’ai un autre nom derrière la tête. Le fameux justicier milliardaire qui a disparu avec lui. » - « Vous avez fait beaucoup pour moi, je vous en suis reconnaissant. Kurtwood Brainer connaissait mon analyse de terrain au Moyen-Orient pour D. B. Cooper au Washington Post. Quelles que soient vos hypothèses… » - « Cooper monte une colonne bien fournie sur la situation là-bas dans le journal. Je l’ai vu avant mon intervention au Conseil de Sécurité Nationale. »
  • 8. - « Vous voulez rendre publiques les extorsions et détournements de fonds au Moyen- Orient ? J’ai appris le plan de votre ami, refinancer un programme de santé global pour le tiers monde et rétablir les prix après la crise. », récapitula sommairement l’ancien analyste. - « La crise de Minsk prend fin et révéler la vérité sur les extorsions commanditées par Nate Sorensen fera oublier l’atteinte du pic pétrolier. » - « Les blattes arrivent à vivre près de dix jours sans leur tête… » - « Sorensen ? On lui a déjà coupé ses tentacules. Il s’est occupé lui-même de retirer son consortium. Avec une telle perte d’influence de nos lobbyings, les émirats ont déjà acceptés de rétablir les prix. » [05:23:22] - « Je veux que la lumière lui brûle les ailes », décréta l’homme au trois-pièces gris à l’agent derrière la glace avant d’entrer dans la pièce. « Et détachez-le. » La rampe d’éclairage au-dessus du miroir sans tain s’embrasa presque quand l’ombre du contre-espion s’immobilisa devant le russe, aveuglé à défaut d’avoir des ailes calcinées une fois qu’il avait identifié le portrait de Nils Samochkina, sous l’alias de Serpico. - « Savez-vous qui est à la gauche de Dieu ? Ou du Père, pour être exact. » - « Non », quand on lui retira ses menottes. - « Le diable », suggéra Slattery en toute simplicité. « La chute, l'armée monstrueuse, des diversions politiques pour gouverner deux royaumes plutôt qu’un. Comment apprécier l'idée du paradis sinon ? Il faut un antagonisme, aussi artificiel soit-il pour maintenir un règne, l’absolu, mais surtout l’idée de péché. Tout le reste, c’est une question de temps, de distractions et d’oublis. » - « Vous avoir eu votre homme ? » - « Serpico. Des gardes-côtes l’ont repêché avec les anguilles. À l’heure où l’Agence le passera à la casserole, nous serons tous les deux en vacances pour savourer notre promotion. Dans le New-Hampshire, mon père m’a légué un chalet au bord d’un lac. Pour vous, ce sera à Guantanamo, même si… », il dépêcha un rictus simulé, « Entre nous, nous savons qu’il n’y a plus rien à vous soutirer. » Valajdopov agita ses mains en pare-soleil, et pourtant il fut contraint de fermer les yeux à cause de l’éclat réfléchissant sur la table métallique. - « Le Président de la Chambre a été retrouvé. Je ne sais pas quels vautours l’ont eu, mais personne ici ne voit aux travers d’un kaléidoscope. Le Congrès se prononcera immédiatement en faveur d’une entrée en guerre », continuant la démonstration verbale. Slattery glissa un cliché confidentiel sous la voute de bras du russe, qui plissa pour apercevoir le visage méconnaissable de Brainer. Une fois pour toutes, il savait que le contre-espion n’avait plus de carte dans la manche, un jeu épuré sans bluff. Et pourtant, à la seule occasion où, d’après ce qu’il savait, – ou ce qu’il ne savait pas – sa patrie était innocente, elle finissait accusée de ce qu’elle pouvait redouter de pire.
  • 9. Un animal non identifié décampa des buissons quand la portée lumineuse d’un lustre de salon traversa les fenêtres pour éclairer le jardin du propriétaire. Newell enveloppa Almeida par le bras pour fuir la curiosité du voisinage, réveillé par les fanfares de la police. - « Qu’est-ce que vous attendez de moi ? », doutait l’homme à la barbichette éternelle. - « Je viens de voir Sofia Brainer. Elle a expliqué à la police qu’elle avait vu son mari pour la dernière fois peu avant le gala de Sorensen. Et autre coïncidence, il avait juste évoqué le lien entre la multinationale qui s’occupait des contrats de la Défense et Sorensen. Seulement, la femme de ménage à la Cellule a surement déjà retiré mes diplômes aux murs…» - « Vous voulez jouer le kamikaze avant votre départ à la retraite ? » - « Le Conseil prend les déclarations du Post à la légère, du conspirationnisme d’école. Tout est terminé et pourtant, un gout amer…J’ai l’impression qu’on me remet une médaille pour avoir évacué une famille de paysans après la chute de Saigon. En bas, ils étaient encore des milliers, presque autant pour les sit-in ici, à Washington. Et pourtant on fêtait la fin de l’enlisement et du Nord communiste. Et aujourd’hui, tous ces efforts que Brainer a poursuivi, à quelques heures seulement d’en voir l’accomplissement, ça me fait le même effet. » - « Relancer nos accords internationaux et étouffer les tensions, c’est déjà beaucoup. » - « En faisant ça, je crois qu’il n’a pas vu arriver le pire. Vous vous souvenez de Danny Caïn, il s’occupait des opérations de terrain à la Cellule ? … » De l’autre côté des mers, Caïn perdit toute vitalité dans ses membres inférieurs et s’évanouit sous les effets de la piqure. - « … Je m’en souviens, pourquoi ? » - « Caïn est là bas, en Afghanistan, envoyé par Brainer pour trouver la vérité sur Sorensen et la Coalition. Maintenant que nous connaissons les clauses de son implication, Caïn s’est engouffré plus profondément qu’on ne l’imaginait … » De l’autre côté des mers, Caïn fut hissé jusqu’au strapontin de cabinet médical et attaché par des sangles. - « … Je crois qu’on n’aurait jamais dû l’envoyer. Le risque, avec les révélations de Cooper, c’est que les avocats de Sorensen remontent la piste jusqu’à moi, et avant son incarcération, la Maison Blanche lui fera crédit. » - « Logan, il lui accordera la même chose qu’Anthony Lane, le programme de protection… » - « On ne pourra plus l’approcher. Mais si vous acceptez de faire l’intermédiaire et passer pour l’auteur des investigations révélées par la presse, Sorensen exigera un entretien avec vous. Ce sera notre ouverture pour pouvoir extraire Caïn de son bourbier afghan. » Hendersen examina son patient et depuis la sortie, qui donnait sur la rampe de lancement en contrebas, il acquiesça à un de ses subordonnées pour lancer la procédure sur son sujet. - « Comment ? » - « Le marché, c’est qu’il vous dévoile quel est le rôle de Caïn là bas. En retour, vous consentez à ne pas corroborer vos allégations à son encontre. » - « Je ne comprends pas…qu’est-ce qui vous fait penser que Caïn est si important ? » - « Une décennie plus tôt, on passait au peigne-fin chaque cellule anti-terroriste du pays pour y chercher des ripoux », heureux de sa prouesse verbale. « Sans arrêté officiel, le contre- espionnage pensait qu’un ou des agents dormants soviétiques avaient infiltré nos services. »
  • 10. À l’époque, Slattery lançait sa campagne massive peu avant Crépuscule, et en balayant le personnel de la Cellule à Washington, s’était arrêté sur l’éventualité d’un coupe-circuit parmi leurs services. La piste n’avait mené qu’à une impasse, mais si seulement Newell avait osé concevoir que James Matters était bien l’un de ces agents dormants, il y aurait laissé toutes les plumes blanches qui garnissait son crane ridé. Son discours s’appliquait à Caïn, mais pourtant, il touchait bien plus celui qui était son protégé à la CAT lors des années Crépuscule. Accusant certains problèmes cardiaques au moment où Danny Caïn fut promu en tant que Directeur des opérations à la Cellule de Washington, Mike Douglas Newell s’était d’abord empressé de lui signer sa recommandation. Puis, lésé par le doute qu’il désirait peut-être ce poste pour avoir accès à certaines informations – d’après les soupçons tués dans l’œuf de son enquête douteuse au FBI −, il avait fini par capituler et n’intervenir qu’épisodiquement à la CAT, jusqu’à sa remise en forme. Qu’Almeida répondait à un dû envers Newell était une chose, de la même manière qu’il se sentait désormais poussé à honorer Brainer en terminant sa tâche. Mais Caïn, il s’était lui aussi investi à retrouver Frank Bergman depuis plus de trois ans, se remémora Tony, cet homme à la source de tous ses maux. Ce projet en commun était déjà une bonne raison de venir en aide à un ancien allié de guerre… - « Quel est le rapport ? Vous croyez que Caïn… », soupçonna Tony Almeida, incrédule. - « Et quoi encore, il ne manquerait plus que ça ! Mais seulement, imaginez qu’à l’époque, l’URSS ait arrosé nos jardins pour faire pousser leurs diamants. Que certains de leurs agents dormaient chez nous, pour grimper les échelons et finir en haut de l’arbre généalogique politique. Le chariot dans la mine pour eux, et vous croyez qu’ils auraient pris tous ces risques pour abandonner leurs hommes ? Ce que Moscou craignait le plus, ce n’était pas qu’on leur cache les renseignements collectés, mais que leurs agents infiltrés soient démasqués, puis retournés contre les communistes. » - « C’était la hantise de Brainer ? Que Caïn soit coupé de tout contact avec nous, puis retourné ? À la CAT j’étais un paria à mes débuts. Et le premier qui souhaitait me faire tomber, Jack Bauer, c’est le premier à me demander de l’aide aujourd’hui. Ironique hein ? » - « À vouloir trop s’approcher du soleil, la cire finit par fondre. C’est ce qui a pu arriver à Brainer, et ce qui risque de m’arriver si je ne coupe pas les ponts avec la presse », en pinçant ses rides péribuccales. « Il y a un moment où il faut savoir raccrocher. Je préfère encore finir d’un infarctus que lapidé. Ca fait moins film d’espions, mais croyez-moi, c’est la première cause de mortalité dans le milieu. » - « En 63, Oswald nous crachait au visage », se révulsa Slattery avec un nihilisme exacerbé dans sa posture. « 45 ans après, personne n’a pu l’oublier, à en croire que la salive est plus épaisse que le sang…Alors ce qui vient de se passer suffira à distraire tout le monde, voir cela comme le nouvel assassinat de l’archiduc d’Autriche. J’espère que vous tirez un orgueil suffisant de m’avoir fait perdre du temps avec Serpico pour laisser filer AE/Dune et enterrer Brainer, car face à ce miroir, tout est renversé. » - « Faire perdre temps ? Votre prétexte est donc diversion politique ? » - « Nous n’allons plus nous revoir. Samochkina n’est peut-être pas russe, mais votre arrangement pour gagner du temps est un échec, l’identité de la taupe n’a jamais été ce que je devais vous soutirer. Vous ignoriez que Serpico était l’enjeu fondamental pour moi, car il allait me permettre de corroborer les agissements de ma cible. » - « Votre cible ? La taupe ? » - « Je n’ai pas dit cela. Considérez ces paroles comme votre prochaine distraction, peut-être le temps vous a-t-il aveuglé sur ma clairvoyance ? »
  • 11. Roger Slattery coupa la courbe de la lumière en se dirigeant vers la sortie, et plomba funestement le russe pour asseoir sa supériorité. L’émissaire fit aussitôt valser la chaise et sauta sur son antagoniste, écartant une main frêle autour du cou pour l’étrangler tout en cherchant à enfoncer un œil de l’autre. Le Successeur chercha à se débattre d’un crochet placé sous le rein de son adversaire, puis en perdant l’équilibre, fut poussé contre le mur, aveuglé par le luminaire sous les plaintes supérieures. Les yeux fermés, il tenta d’arracher le peu de cheveux qui garnissaient le crane de Valajdopov, et d’un coup de coude hasardeux, le déstabilisa pour l’emmener dans sa chute. À terre, le russe fut saisi sous les aisselles par l’agent de sécurité qui le plaqua contre le béton mural, avant que Slattery n’efface les plis de sa veste en reprenant son souffle. - « Mon imagination est suffisante pour qu’AE/Dune continue d’exister ! Une fois que vous serez sur Cuba, enfermé dans une cage aussi étroite que vos épaules, vous aurez oublié quelle était cette vérité que vous aviez préservée tant d’années. Et alors vous n’auriez même plus le privilège d’être une ombre, mais qu’un corps sans âme ! Dès à présent, vous n’avez plus la moindre valeur pour personne, et votre seul regret qui subsistera, c’est celui de vivre. Vous aurez oublié cette vérité, parce que le temps emporte tout, l’esprit comme le reste ! Et là je me souviendrais toujours de celle que vous cherchiez à enfouir », en s’approchant de son oreille pour lui murmurer le reste. « Entre vous et moi, vous avez toujours eu la place du fou, et moi de l’homme qui en rit. » - « Vous connaitre ce proverbe russe ? Quand diable n’y peut rien, lui délègue une femme. » - « L’argument du sexe est une facilité. Vous oublierez à quoi ressemble à une femme », en décollant son paquet de cigarette de l’intérieur de sa veste, puis en calmant sa respiration. « Cet homme qui a le visage mutilé dont le rire ne s’arrête jamais, il parle plutôt de votre diable comme de la nuit de Dieu. Alors qu’au fond, la nuit n’a jamais été que la preuve du jour. Et vous en ferez l’expérience. » [05:30:02] Ne négociant aucun rictus, Slattery déporta enfin Valajdopov dans son propre goulag. Depuis le dernier étage du Warder, un explosif fixé à l’intersection de deux lignes à haute tension fut enclenché, à une cinquantaine de mètres seulement du Musée. De l’autre côté du bâtiment, Braxton sursauta malgré la faible portée de la détonation. Encore sous le choc, Cassandra fut également surprise par la déflagration. [05:35:19] Le courant disjoncta dans toute la rue qui prolongeait le Musée International, basculant dans une nuit d’éclipse totale. Braxton, qui tournait le dos à Martins, se braquait vers lui pour figurer sa stupéfaction, et déclara qu’on devait contacter sur le champ la compagnie d’électricité pour connaitre l’origine de l’anomalie. Cassandra rôdait autour de leurs semelles, anxieuse de ne pas connaitre le déploiement dans tous ses détails, à moins de suivre l’itinéraire que Radford envisageait pour s’échapper. La seule raison de sa présence, c’était désormais d’éviter la réouverture de la Commission d’enquête sur Crépuscule pour ne pas se retrouver, comme Valajdopov, avec de fausses accusations sur sa colonne vertébrale. D’un autre côté, prendre la fuite était le meilleur moyen de se désigner comme coupable, maintenant que plus personne ne pouvait surveiller ses arrières. Elle ne pouvait arriver en face de Radford et hésiter dans son mensonge, ni même d’ailleurs, hésiter dans ses véri…
  • 12. - « Cassandra on attend plus que vous ! », prévint Martins en la coupant dans sa réflexion. Elle fut trainée par le bras jusqu’au chef de l’unité tactique, qui lui annonça brièvement qu’il allait rester un étage derrière elle pour la soutenir en cas d’urgence. Elle réajusta ses talons épais avant de longer l’Adams Building et se gratta sous la poitrine à cause des démangeaisons du micro qu’elle portait. - « Tout est au point ? », répéta le directeur dans sa moustache. - « La transmission audio est impeccable, mais toujours aucun visuel sur nos cibles Monsieur. Pourquoi ne pas placer des lentilles filaires avant notre déploiement ? » - « Elle n’en aura pas besoin, ce micro suffit, n’est-ce pas ? » Cassandra acquiesça sous la menace, et désarmée, se tenait prête à entrer dans le Musée par la porte de service que les partenaires de Radford avaient déverrouillé pour elle. Elle inhala la brise chaude quand Martins déposa sa main sur son épaule. - « Ne jouez pas sur plusieurs tableaux avec Radford. Vous savez ce qu’on dit sur la mort de César. Sur tant de blessures, il n’y avait de mortelle que la seconde. » - « Il avait choisi de ne pas entendre les prédictions. » - « Moi je vous crois. Mais personne ne peut plus sauver Jack alors écoutez-nous… », concéda-t-il ironiquement, alors qu’au vu de la situation, seule la CIA pouvait l’écouter. « L’échange doit se faire dans dix minutes. Vous aurez votre quart d’heure américain. » Les deux hommes à la tête de l’Agence s’éclipsèrent. Cassandra posa son front sur le métal de la porte pour fendre la chaleur, exsangue et fiévreuse depuis quelques minutes. Elle se trouvait mille prétextes pour renoncer, puis mille autres pour lui rappeler que chaque direction la menait dans une cellule fédérale. Et pourtant, c’est à elle qu’on demandait de franchir le no man’s land, sa seule et dernière chance d’atteindre la brèche pour comprendre pourquoi Radford espérait l’attirer en la leurrant sur la présence de Jack. - « La sécurité a levé les grilles, le système de caméra est en veille », informa un des hommes sur le terrain pour laisser infiltrer son équipe. - « Le suspect avait quelqu’un à l’intérieur, un employé de la maintenance capable de le faire entrer la nuit. L’opération a été planifiée avec une aide extérieure pour trouver si vite les ressources. Ça signifie qu’ils ont leur propre système de surveillance alimenté en autonomie. On est en terrain hostile. » - « Une opération d’espionnage bien réelle dans un décor d’espionnage fictif, on croirait rêver », se lamentait Braxton au chef de la police, depuis le van faussement maquillé où il s’adressait à Cassandra. « C’est à votre tour ! » Elle enfonça la porte et bien que la perspective lui donna immédiatement la nausée après avoir passé le cordon de sécurité, elle remarqua, par les vitrines qui abritaient des reliques éclairées par les néons violets, un agent en poste à demi accroupi. Un spectacle qui assurait de reproduire l’envers d’un décor qu’elle ne connaissait que trop bien, et qui n’avait plus grand- chose à voir avec la machine à chiffrer Purple et le poste radio portatif de l’OSS qu’elle croisa. Dans les corridors tortueux imprimés de la lumière flashy dégagée par d’autres néons, Cassandra survola un tableau qui recensait les « principes de Moscou » :
  • 13. Ne jamais partir à contrecœur ; chacun est potentiellement sous contrôle de l’adversaire ; ne jamais se retourner – on est jamais complètement seul… Ces dix commandements se reflétaient dans la vitre du mur opposé. Il n’y avait que ça, des vitres, des miroirs, des écrans, des illusions d’optiques, des ombres chinoises…même sur le sol étaient projetés des codes. Le plus paradoxal, c’était que le réel se confondait avec la simulation : les caméras étaient partout, la surveillance était digne d’une forteresse qui lui rappelait le MI-6 et Langley. Cela faisait-il toujours parti de la simulation ? Le Musée craignait-il des espions en herbe ? Après avoir traversé la pièce d’un jeu de rôle de vidéosurveillance (qui filmait réellement les visiteurs, dont certains étaient des acteurs qui se glissaient dans la peau d’agents à traquer), une salle d’interrogatoire avec miroirs sans teint, et une pièce qui exposait une vieille Aston Martin, Cassandra gravissait les marches d’un escalier en spirale, qui la menait dans la contrefaçon d’une ruelle anglaise des années 1950. - « Je suis à l’étage. » Durant les visites, un tuyau administrait un jet de fumée en continu pour recréer l’atmosphère propre au film noir. Cette fois-ci, il y avait quelque chose qui tambourinait au fond de ce couloir aux hallucinations, royaumes d’ombres qui rodaient jour comme nuit. Les économies d’énergie ne semblaient pas être la politique prioritaire du Musée…Sans arme au poing, Cassandra s’aventura jusqu’à l’ascenseur de service, dont la porte buttait au même rythme sur un obstacle inattendu : le corps raide d’un homme à plat ventre, qui bloquait la fermeture de l’élévateur. Elle toucha son pouls. - « L’agent de sécurité est en vie », en dégageant le passage. Il lui suffisait de tourner la clé que Radford avait laissée pour réactiver l’ascenseur et accéder au dernier étage. Elle informa la CIA de la situation, gratta par réflexe le micro une dernière fois et s’engagea jusqu’au cinquième ciel. Quand la porte disparut, plus de lumière tamisée, ni de miroirs et vitres qui se réfléchissaient à l’infini pour troubler la perspective ; seulement 400m² de conduits éventrés et de dédales bétonnés, si bien que dans une grotte afghane ou ici, il n’y avait pas de différence. Cassandra se munit de la lampe-torche que lui avait confié Martins (sans explosifs à l’intérieur, avait-il confié en plaisantant) et longea les murs en éclairant les fenêtres plaquées de gaffer. Les snipers espéraient ainsi localiser sa position, et dans l’hypothèse où l’adhésif était trop épais, elle était censée en déchirer quelques centimètres au couteau pour laisser filtrer les foudroiements de la torche. Le cran de sécurité d’un .45mm dénonça une présence derrière elle. Cassandra devint immobile et sans bavure dans ses gestes quand elle déposa sa lampe-torche avant qu’on en fasse la demande. - « Retourne-toi lentement », en ramassant la torche pour la pointer sur elle. - « On devrait réapprendre à vivre d’allumettes… », prononça-t-elle en une phrase codée. - « K. et Drakov, ils sont où ? » - « Gabriel. Je m’attendais à une entrée théâtrale. » - « Les choses qu’on fait par amour…Toi pour Jack, moi pour Linda. On sait autant l’un que l’autre de quoi on est capable pour eux. Avec Jack, je vous ai déjà réunis une fois à Minsk. » - « K. et Drakov, la CIA est prête à te les échanger, ils sont en bas. »
  • 14. Radford cessa de braquer la lampe sur elle. Cassandra aperçut pour la première fois son regard grisé et jauni par la pénombre. - « Un échange ? Quelles sont les conditions ? » - « Opération à effectif réduit, le toit n’est pas quadrillé. Les choses qu’on fait par amour ? Ils veulent ta fille en échange. » - « Ma fille ? Et j’imagine qu’ils vont m’offrir gracieusement leurs deux prisonniers de guerre sans rancunes, avec une piste à l’aéroport Dulles et une tartine de beluga ? » - « Je ne suis qu’une émissaire, Braxton ne me tient pas dans le secret. C’est ta seule chance de repartir sans que la CIA ne retrouve ta trace, avec les plumes que tu as laissé derrière toi. » - « À la première occas’ ils me plumeront ouais », en la conduisant quelques mètres plus loin. - « Où est-ce qu’il l’emmène ? », s’interrogeait Martins à l’intérieur du van en discernant les craquelures qui crépitaient sous les pieds des deux acteurs. - « Tu connais ce dicton arabe, entourez plutôt votre demeure de pierre que de voisins ? », versifia Radford en la tenant par le bras pour la guider dans l’obscurité partielle. - « Linda est une assurance, même s’ils veulent te doubler, tu as l’avantage du terrain. Je sais que tu as déjà une issue de secours, tu ne vas pas emmener K. et Drakov sur ton parachute. » - « Et tu veux quitter le navire pour rejoindre le mien ? » - « Ce n’est pas une option, la CIA me tient pour responsable de certains vices lors de Crépuscule, puisque toi et Jack vous étiez hors de portée. » D’un hochement de la tête en visant du regard la chemise cintrée qu’elle portait, Radford manœuvrait délicatement sa mise sur écoute potentielle. Cassandra souleva la chemise et lui dévoila le fil de son bassin jusqu’à sa poitrine. - « J’apprécie ta franchise, mais qu’est-ce qui me dit que l’unité d’intervention n’attend pas le retour de l’ascenseur ? » Elle acquiesça pour lui signifier que l’unité était bien prête à le cueillir, puis elle remarqua fébrilement le chargeur qu’il insérait dans son calibre. - « Le bâtiment est sous surveillance, tu sais qu’ils sont en bas. C’est pour ça que l’échange aura lieu dans 5mn en terrain neutre, au premier étage. » L’ancien directeur des opérations Delta était conscient que dans tous les cas, la CIA allait lui tendre une embuscade en cherchant à récupérer sa fille, sans laisser filer leurs deux monnaies d’échange. Il savait aussi que Cassandra allait doubler l’Agence pour retrouver Jack. Du moins, il pensait savoir. D’un autre côté, émissaire ou non, elle s’était enroulée dans la toile de l’araignée se félicitait-il, et il était inconcevable de repartir avec la moitié seulement de sa rançon : Cassandra, Drakov, Karamazov, et Linda, il lui fallait tout avoir, même si cela n’était que possible – comme il commençait à le réaliser – qu’en leur laissant sa fille pour temporiser et faire diversion. En réalité, Radford était maintenant à la merci des hommes d’Old Fates, qui souhaitaient exfiltrer Drakov et qui ne prendraient la fuite qu’une fois cela accompli. Radford caressa la longueur de son arme puis le canon contre la paume, tendit la crosse vers elle, en sachant que dans une telle configuration, embuscade contre embuscade, elle allait bien se retrouver au milieu du no man’s land, et quelque que soit l’équipe qu’elle allait choisir, la balle n’allait jamais réellement être dans son camp.
  • 15. Maintenant que Valajdopov devait composter son aller-simple pour un camp de détention dont nul n’en connaissait la localisation, Roger Slattery insistait pour faire une escale au Musée, avant d’orchestrer son coup de filet qui devait couronner son départ du contre- espionnage. Caughley le suivait comme un chien surexcité sur le parking de l’Agence, à quelques rangées de la voiture que Carrell empruntait de son côté, Yanaka à l’arrière. - « Yanaka voulait être jeté dans nos cages pour être hors d’atteinte de l’Ours slave », conclut le Successeur. « C’est pour cette même raison que Karamazov, son revendeur officiel sur le marché noir était aussi une menace pour les russes. La conjecture est simple : nous aurons un motif d’extradition en guise de patte blanche et Yanaka fera un bon gibier pour eux, il aura droit à la justice expéditive. Tous les bureaucrates seront tellement envoutés par notre proposition qu’ils laisseront entrer le cheval de Troie… » - « Langley sera désert si on redirige tous nos hommes, et Braxton… » - « J’ai rassemblé l’équipe, maquillée en civile pour assurer l’offre d’extradition de Yanaka. L’intervalle de notre intervention est plus que réduite, il nous reste moins de 2h ! », déclara Slattery d’un ton qui avait rarement été si peu apathique. On aurait dit un enfant de chœur qui traversait la nef de l’église pour sa première communion. L’espion qui venait du froid déambula vers le hall de l’hôtel, l’arme replacée dans le bas du dos, dissimulée derrière sa veste. Tous les regards étaient suspects, et ceux qui ne le regardaient pas l’étaient encore plus. James Matters parvenait médiocrement à déjouer le stéréotype de l’agent double pris au piège, après qu’on ait levé le voile sur son identité. Les yakuza qui l’attendait au tournant, surtout s’ils entendaient parler de cette histoire d’extradition de leur chef, Jack, la CIA, et son coupe-circuit qui était peu disposé à lui assurer une porte de sortie convenable, tout cela l’excusait de son désarroi. Maintenant que son rôle dans l’opération était accompli, son esprit fourmillait d’autant de théories qu’il croisait de visages troubles : pourquoi sa patrie d’origine ne chercherait-elle pas à l’éliminer de la course, comme elle s’était assurée que Jack avait été réduit en cendres pour avorter Sombres Soleils ? On ne voulait pas qu’il décolle de la ville…ce qui signifiait que quelque chose allait se produire, ou bien n’était-ce que l’effet de la sueur sur la paranoïa, de la paranoïa sur la sueur. Dans son costume italien, crâne presque entièrement rasé, Matters devança la limousine blanche au démarrage et simula une conversation au téléphone pour se cacher une partie du visage. Deux asiatiques repérés à l’angle de la rue et un à l’entrée du square. Il traversa la route après le passage d’un taxi et se nicha à l’intérieur de la Lexus. - « La ville a trop de touristes en été », glissa-t-il au chauffeur dans l’urgence. Le conducteur démarra alors lentement le moteur. Au moment où il s’apprêtait à braquer le volant pour s’immiscer dans la file, Matters le stabilisa par sa main gauche sur le torse et lui brisa la nuque avec l’autre main. Il tira le corps sur la banquette arrière pour prendre la place du mort, et manœuvra la voiture pour s’insérer dans le flux de la circulation afin d’arriver à l’ambassade dans les temps. L’asiatique posté au square s’éloignait progressivement dans son rétroviseur quand il fut déjà bloqué à son premier feu rouge. Déviation suite aux manifestations, pouvait-il lire sur le barrage dressé devant lui.
  • 16. [05:44:28] En chauffeur solitaire et paranoïaque, Matters ajusta le rétroviseur central. Un sniper isolé de l’Agence observait Drakov et K. dans sa lunette de précision. Le couloir menant à l’issue de secours était suréclairé par un néon orange qui dévoilait la voie à Cassandra. Elle fut sur le point de débusquer la porte de la sortie latérale du Warder quand une nouvelle extinction de courant frappa le quartier. Seule l’ampoule sous le pictogramme de l’issue de secours l’éclaira alors avant qu’elle n’atterrisse dans l’avenue. Elle fit signe à l’unité d’intervention d’investir les lieux, puis d’accourir jusqu’au van de l’autre côté de la rue pour prévenir le DD-O qu’on pouvait procéder à l’échange. - « On a quatre minutes pour lui envoyer la marchandise. C’était le noir total, je ne sais pas où sont ses hommes ! » - « Bon sang qu’est-ce qu’il se passe ici ?! », s’exaspérait Braxton, qui sortait du véhicule en comprenant pour de bon que la déflagration n’était pas accidentelle. « À toutes les unités, faites venir Drakov et Masri, unité alpha, postez-vous dans le corridor avant l’étage. Cassandra, vous les escortez jusqu’au point de rendez-vous, deux de nos hommes vous couvriront et les tireurs sont embusqués à chaque issue. Dès qu’on aura une confirmation visuelle de sa fille, partez à couvert. » - « Pas d’arme ou de lunettes thermiques ? », pour lui cacher que Radford l’avait équipé de son .45 mm. « Il ne s’agit pas de quitter son gosse devant la maternelle, Radford doit avoir un plan de secours ! » - « Il est en infériorité numérique, moins armé, et il ne prendrait pas le risque de blesser sa fille. La seule possibilité pour lui est de vous prendre en otage, et ça n’arrivera pas. » - « Tout ira bien », adoucissait Martins, bienveillant. « Cibles en approche de l’unité Delta. Cassandra, c’est à vous. Attention où vous mettez les pieds », recommanda-t-il à double sens. Elle lança un signe au tireur d’élite situé sur le toit nord-ouest pour une potentielle intervention puis réintégra les voies kafkaïennes du Musée. Menottés et protégés par des gilets pare-balles, Drakov et K. se tenaient derrière une vitrine qui exposait deux mannequins d’agents secrets britanniques. - « Faites attention où vous mettez les pieds, la facture risque d’être plus salée que la mer Rouge », avisa Drakov avant d’être poussé dans le dos pour rejoindre le point de rencontre. - « Il faudra bien séparer la mer en deux…» - « Depuis Minsk, vous croyez que vous et Jack, vous pouvez marcher sur l’eau, plus épaisse que le sang. La CIA a les bras longs, de même que nos employeurs, à moi et à Radford. Vous ne pourrez pas disparaitre et rester dans votre no man’s land. Vous n’avez pas à séparer la mer en deux Cassandra…il vous faut choisir un camp ! » Elle refoula le biélorusse jusqu’à l’extrémité du corridor et emprunta l’escalier en spirale, surpeuplé d’agents de terrain déployés sur tout l’étage, le genou à terre et l’arme légère en main. Karamazov suivait derrière. - « Leader B, nous avons un visuel sur la fille. » - « Alpha vous confirmez le statut ? » - « Confirmation, elle se tient devant l’ascenseur. Aucune autre présence hostile. L’ascenseur remonte, pas d’unité à hauteur de l’escalier de secours. »
  • 17. - « Envoyez Drakov et Masri ! », commanda Braxton. - « La voie est dégagée Evans, on vous couvre », assura le responsable de l’équipe Alpha. Cassandra trainait les deux acteurs du marché noir comme deux boulets à chaque pied, et au milieu de l’étroit décor londonien insalubre et brumeux, elle s’éloigna dans la perspective. - « Je ne suis pas armé Linda, je ne fais que la médiatrice alors si tu veux bien, viens vers moi, lentement, et dirige-toi ensuite vers les agents postés dans l’escalier. » - « Ce n’est pas pour moi que je m’inquiète. La CIA a graissé la pente où ils ont abandonné mon père pour le faire plonger jusqu’à l’audience. » - « La CIA veut juste réentendre sa version des faits. Elle tient à un marché à l’amiable, elle a essorée l’éponge et ces deux hommes n’ont plus rien à leur vendre », en comprenant dans son regard qu’elle ne savait pas non plus quel camp choisir, entre son père qui l’avait embarqué dans son chantage politique et la CIA, qui ne pouvait plus la protéger de l’influence de la Maison Blanche. La Compagnie, ainsi qu’Old Fates avaient vite saisis que le président Logan supportait sa propre stratégie sans en informer les agences fédérales. Il comptait éliminer Radford pour préserver un deal avec les russes qui lui éviterait un conflit inutile et une mauvaise publicité. Dès l’exfiltration de Radford réalisée devant le Département de la Justice, ce dernier avait pris une valeur considérable aux yeux de la CIA, d’autant plus avec les accusations de Cassandra, qui en faisait le responsable de tous les maux liés au Kosovo. Il fallait le confiner pour de bon avant que les russes ne règlent son sort, et du côté des fédéraux aussi, il était inconcevable de repartir avec la moitié seulement de la rançon : Gabriel et Linda Radford, Drakov puis Karamazov. Alors que les deux parties avaient parcouru la moitié de leur traversée, une grenade fut dégoupillée puis jetée au sol. Le nuage de fumée éclata aussitôt, embrumant les lieux pour de bon. Les agents abaissèrent leur visière thermique et se déployèrent au signal du responsable. Quelques ampoules et néons tamisaient l’étage, allumés en autonome. - « Sécurisez Drakov et Masri, Leader 2 par l’escalier de secours. » - « Chef, les portes…de l’ascenseur s’ouvrent ! », discerna dans le brouillard un des agents sans certitude. - « Maintenez la posi… » Une balle éparpilla des fragments de la visière à terre par un tir peu hasardeux qui élimina le leader tactique. Le feu était ouvert pendant qu’on se chargeait de couvrir les trois cibles convoitées par la CIA et par Radford. - « Tremonti au rapport, quelle est la situation à l’intérieur ? », ausculta le DD-O muni d’un gilet, qui s’approchait de l’entrée des visiteurs. - « Groupe hostile repéré à 12h, nous avons la fille, Drakov et Masri ! » - « Et Evans ? », rectifia Martins. - « Avec eux, l’escorte est mobile mais il faut resécuriser le rez-de-chaussée. » Le directeur adjoint jugea bon de s’immerger dans l’action et gagnait le champ de bataille avec son 9mm, alors que l’obscurité avait déclaré résidence dans le quartier quand la ligne électrique fit étinceler le câble qui traversait la rue. C’est à ce moment que l’alarme du Musée semonçait le périmètre, faisant écho avec l’état d’alerte psychologique que ressentait Braxton.
  • 18. - « Putain, putain de merde !! Ils avaient du C4, peut-être quelque chose au graphite, l’installation devait être prête avant notre arrivée ! Merde !! » - « Ca va réveiller tout le quartier, il faut intervenir à découvert. La rue sera bondée dans cinq minutes, les médias, les pompiers… », clarifia Martins. [05:49:28] Le voisinage se ruait en masse sur les officiers de police au quatre coins de la rue. Jack se rinçait le visage depuis les toilettes d’un restaurant encore ouvert puis enfila sa casquette, ignorant son reflet nauséeux dans le miroir. Une Lexus traversait alors la rue. Depuis la Lexus GS, James Matters ne remarquait pas l’homme à la casquette. Au Warder, la CIA bloquait l’accès à l’ascenseur, désormais en panne, puis déplaçaient leurs otages en lieu sûr. [05:53:50] À une centaine de mètres des lieux de l’intervention, planqué en observation dans son pick- up, Jack s’efforçait ne pas perdre conscience et consulta l’heure sur le cadran qui se liquéfiait sous les effets du trip. Il régressait. Ses sens se cristallisaient, et il continuait de croire qu’il n’hallucinait pas le spectacle sous ses yeux. Même lors de ses prises d’héroïne pendant son infiltration chez les Salazar, il n’avait jamais été sous le joug d’un délire si opulent. Le discours de la police locale aux résidents s’enrayait comme un disque usé. On avait beau leur assurer que la coupure était liée à une revendication politique des manifestants, les murs du Musée de l’espionnage avaient des oreilles et certains n’avaient pas tardé à déceler quelques coups de feu depuis que l’alarme avait disjoncté. Les hostilités avaient sinué jusqu’au rez-de-chaussée, où quelques fédéraux s’étaient retranchés. Des termites qui sortent d’une motte de terre, jurait l’un d’eux à propos de leurs assaillants, mais la remarque se disait dans un sens comme de l’autre. Cassandra se sentait moins comme une diva qu’on écartait de la foule hystérique que comme une enfant privée de ses moyens. Elle empoigna le .45mm jailli de sa botte secrète et élimina l’escorte d’une balle sous le rein qui assurait à sa victime de survivre de sa blessure. - « Qu’est-ce que… », mendia Drakov en avançant lentement à cause de ses liens aux jambes. - « J’improvise ! On doit retrouver la fille, le marché tient toujours ! » - « Votre arrangement ou celui de l’Agence ? » Les cloisons transparentes volaient en éclats à chaque impact, la CIA enchainait les tirs alliés à risque et réduisait le décor décavé en cendres de verre. - « Moins risqué de traverser un champ de mines les yeux bandés », poursuivit le biélorusse. Au pied de l’escalier, un agent saisit sa radio pour avertir ses supérieurs que Drakov et Masri échappaient à toute surveillance, d’après ce qu’il avait distingué dans la brume. Il ploya alors le genou à sang. Cassandra s’apprêtait à en découdre à mains nues mais le fantôme de Linda Radford lui était apparu et une entaille au couteau lui arracha un cri aigu.
  • 19. Le duel se poursuivait à terre, tandis que la politique de l’autruche menée par la police ne suffisait plus à dissimuler au voisinage le conflit armé à l’intérieur de l’immeuble. Un autre tireur logé sur un toit effectuait trois tirs de sommation. Braxton ordonnait d’abattre le suspect pendant que Martins partait se mettre à couvert à l’extrémité de la rue, désertant ainsi le centre tactique des opérations. - « La dernière unité reste en place, je répète, la dernière unité reste en place ! », consigna l’adjoint par radio. « Nos tireurs s’occupent de la cible, aucune victime à compter ! » Une apparence dans son dos lui enveloppa le bras pour l’empêcher de reprendre son talkie et de l’autre main, lui obstrua la bouche pour le guider dans une pénombre plus ardente. - « Écoutez-moi bien attentivement : j’ai besoin de votre aide pour entrer dans le musée et localiser Karamazov après l’avoir déplacé afin d’éviter de le compromettre. Je sais que le canal est sur écoute, ce n’est qu’après avoir eu une confirmation visuelle de la présence de Karamazov que je vous relâcherais, est-ce que c’est bien clair ?? », en libérant Martins. - « Jack ! », qui reprenait sa respiration et tournait sur lui-même comme une girouette au vent. « Tout le monde vous croit… » - « C’était un leurre, les responsables sont de mèche avec Camilla Radford. Gabriel, Gabriel Radford », rectifia Bauer en paraissant avoir perdu toute sa salive. « Je ne m’intéresse pas à Drakov mais j’ai besoin… », spasmodiquement, sentant que le chaos émeutier s’affaissant telle de la neige sous un soleil zénithal. « …de connaître certaines informations que garde Karamazov. Je peux vous faire confiance ? » - « Vous tenez à peine debout, qu’est-ce qu’on vous a fait là-bas ? » - « Tous…mes hommes sont morts. Excepté Saunders, c’était la faute à Drakov. À Drazen pardon. On a été torturés, ils savaient pour Drazen… » La mêlée se dispersait dans une nuit aux longs couteaux, le tireur hostile avait rangé son arme pour prendre l’escapade par la porte de service. Mais l’avenue était tellement étroite pour une telle affluence que les effectifs n’arrivaient plus à empêcher les journalistes de faire tourner leurs caméras. - « Je ne parle pas du Kosovo, je parle de maintenant, vous délirez Jack ! Vous savez quel est votre problème ? Vous voyez des ficelles tirées partout là où parfois, il n’y a que de la coïncidence ! » - « Je sais… », redressa-t-il par mauvaise foi, troublé par l’erreur qu’il était incertain d’avoir commis en y repensant. « Vous devez m’aider à entrer Ned, vous êtes le seul en qui… » Le cou étreint par les mains épaisses de l’agent casqué qui percutait sa strangulation, Cassandra se croyait presque perdue dans ce désert blanc fumeux quand Drakov passait ses chaines autour de l’homme. La force brute du biélorusse n’avait pas décrépie à mesure que ses rides s’étaient allongées. Une dernière prose respiratoire et les maillons s’inscrivaient comme au fer rouge sur la gorge de l’agresseur. - « Vous êtes plus utile enchainé… », concéda-t-elle en rejoignant la fausse ruelle anglaise. - « Je vous retourne le compliment. » - « Evans ! », hurlait un autre agent à leurs trousses. « Les suspects sont au nord-ouest du rez- de-chaussée », prévint-il à ses effectifs.
  • 20. Encerclés à l’arrière et devant eux en direction de l’ascenseur, ils s’immiscèrent à mi-chemin dans une pièce annexe où la fumée manifestait toute son emprise sur les lieux. - « CIA ou non, vous devez les éli… », recommanda Masri, muet jusque-là. - « Je sais ce que je dois faire ! », s’effaçant dans le brouillard livide. La mare de sang qui maculait le faux macadam était moins opaque que la forme inerte de laquelle elle coulait. Drakov avait compris avant elle, ou du moins, il en avait eu l’intuition. Cassandra se précipita sur le corps comme les conquistadors sur les plages du nouveau monde et écarta la fumée de quelques revers. Martins se laissa distraire par l’émeute qui s’approchait d’eux par groupes hétérogènes et enclava Bauer au niveau des épaules avec ses mains. - « La confiance, notion vague avec une arme qui me caresse la nuque… », euphémisa à peine l’agent fédéral. « Braxton et Loomis avaient prévu votre douche dans la Baie, les russes devaient être impliqués dans l’extraction de vos documents classés pour qu’on puisse enfin avoir un signe de vie d’AE/Dune. La baguette de Slattery peut-être. Vous êtes encerclé ici, et on a perdu la localisation exacte de nos otages. Est-ce lié à Matters ? Il a pourtant réussi à nous semer, sinon on aurait fait notre grande photo de famille. » - « Vous nagez sur du bronze ; si vous voulez suivre quelqu’un, vous feriez mieux de demander conseil aux chinois ! C’est pour eux que je suis ici, je dois déjà retrouver Karamazov pour connaître l’identité de la taupe chez les Renseignements », débordé par une répulsion intestine qui lui promettait d’expurger son dernier repas, s’il pouvait encore avoir la capacité de s’en souvenir. - « Vous avez l’immunité diplomatique maintenant, Braxton a pu négocier ça avec Cassandra parce qu’il vous pensait décédé, de l’eau distillée dans de la vinasse. » - « L’immunité ne change pas, vous ne comprenez pas ! Il ne s’agit pas seulement d’assurer mes arrières et celles de ma fille si jamais la CIA retrouve ma trace. C’est le seul moyen pour me faire définitivement disparaitre en mettant un terme à leur surveillance satellite. Autrement je n’aurais pas les ressources et quoiqu’il arrive, Karamazov va me filer entre les doigts ! » - « Et si je suis découvert ? Slattery mettra ma tête sur un pique ! » Après avoir perdu l’équilibre, Martins fut trainé devant la vitrine d’un commerce que Jack fractura par deux coups de pied, puis effleura le verre brisé avec son visage sur une sentence de guillotine cristalline. - « Je m’en chargerais avant lui », prodigua Bauer, affecté par sa démence sibylline. - « On nage en plein délire… », déplora Cassandra en s’abandonnant sur la bavure sanguinolente dont elle remarquait alors une longue trainée. - « Je suis désolé pour la jeune fille. Une balle perdue dans l’allée, et le corps a été déplacé ici. Quelqu’un sait déjà, c’est pourquoi on doit retrouver son père avant qu’il ne le sache ! » - « Radford fera avorter l’opération s’il découvre la vérité », augmenta Masri à l’argument de Drakov. « Dès que la fumée se sera dissipée, il comprendra tout à cause des caméras. » Un crachat de sang venait soudainement d’éclore de la bouche de Linda Radford et suinta le long de sa joue, puis un second rejet précéda l’agonie silencieuse.
  • 21. - « La fille ne peut pas survivre, donnez-moi l’arme ! » Cassandra se rendait à l’évidence, l’âme était prisonnière d’un corps supplicié et c’était une faveur que de l’achever comme Jack avait achevé Rosenberg. Était-ce la circonstance de ses choix ? Elle était une victime des décisions de son père, comme la mort de Rosenberg découlait de celles d’Alan Bauer. La faveur d’une perte était encore dans ses intérêts, ou plutôt était-ce à la faveur des risques qu’elle voulait éviter : appuyer sur la détente, c’était presque renoncer à la négociation d’une évasion avec Radford, et ne pas appuyer, c’était garantir l’avortement de l’opération et rompre les termes de son contrat avec l’Agence. Linda Radford était bien exposée aux deux conjonctures de Schrödinger : était-elle vivante ou morte à l’intérieur de ce lieu allégorique de la fiction et de la manipulation de l’histoire ? Cet espace des limbes brumeux avait tout d’un purgatoire déjà trop embrasé où ils étaient vivants et morts en même temps. [05:59:57] [05:59:58] [05:59:59] [06:00] Les empeignes de deux mocassins noirs pointaient dans l’interstice entre le carrelage et le bas de la porte d’une cabine de toilette. Quand l’ampoule foudroya puis cessa d’émettre toute lumière, l’homme sur le trône gesticulait comme si un clou dans le pied le démangeait. Dans la pénombre grave, on l’entendait batailler pour les restes du rouleau de papier toilette, taper contre la cloison en bois et relever son pantalon dans un empressement de dépit plus que d’urgence. Il déverrouilla le loquet et jugea bon d’ouvrir la porte pour y laisser entrer la lumière avant de se laver les mains. Le distributeur à eau filtrée fuitait sur la moquette grise des bureaux aménagés en plateau, si bien qu’une goutte toucha un des mocassins de l’homme quand il traversa l’allée, en s’arrêtant à mi-chemin d’une halte brusque. - « Pas un flic, pas un électricien, pas un foutu plombier ici…Avec du pesticide ce poste serait aussi dépeuplé qu’une station balnéaire au Groenland. » - « On est les derniers résistants, en bas c’est pire que la grève Pullman », concéda son collègue assis à une rangée de lui. - « Ils nous ont sucré les primes, la tirelire doit bien être assez pleine pour que quelqu’un s’occupe de ce foutu disjoncteur ! » - « P’t-être lié aux coupures là-bas, le réseau électrique a grillé », alors que l’homme aux mocassins était déjà parti se réfugier dans son bureau. L’uniforme de police était exigé par la réglementation de l’établissement, et le cinquantenaire au mono-sourcil ne dérogea pas à la règle, touillant un café refroidi en espérant secrètement le réchauffer par quelconque moyen occulte. Il fit pivoter son fauteuil et se tourna enfin vers le témoin qu’il interrogeait. - « Désolé de vous avoir fait attendre. » - « Vous ne seriez pas foutu de trouver des piles pour un magnétophone », dépoussiérant la terre fine sur ses chaussures, non sans faire grincer le fauteuil à roulettes qui lui donnait plus de hauteur que son interlocuteur. « Alors les fédéraux ? Qu’est-ce qu’ils disent ? »
  • 22. L’inspecteur cherchait un prétexte pour couvrir son laxisme, ou peut-être avait-il prévenu le FBI, qui n’avait pas insisté pour exciter l’haleine parfaite de Sorensen devant les médias. Au moins, cela aurait prouvé que le roi des levées de fonds n’était pas suspecté de quoi que ce soit par les fédéraux, et qu’à défaut de rester éveillé sur une chaise d’interrogatoire, il pouvait choisir ces roulettes pour mener sa danse bien chorégraphiée. - « Ils couvrent tous la situation au Warder vous savez. Jackie et Marylin pourraient bien revenir d’entre les morts et s’enrouler leurs langues qu’on s’en fouterait. » - « Ils pourront se curer les dents avec les coins de page du journal de demain matin aussi ? Décapiter la reine aurait été plus noble, l’information n’aura pas de marbre pour la presse. » - « Vous avez donc appris pour le président de la Chambre, ça ne me surprend pas. M. Sorensen, cet endroit n’a rien d’un Colisée en ruine, je ne suis pas si idiot que vous ne le pensez. Les rumeurs disent que vous menez la chandelle par les deux bouts mais… » - « C’est moi qui fait ruminer les rumeurs. » - « Mais votre rôle à l’OIS n’est plus à prouver pour les conspirationnistes. Vous n’avez pas besoin de moi pour supplanter les fédéraux si vous tenez à découvrir qui sera le prochain Représentant et pourquoi. Ni pour écrire vos manchettes afin de couvrir je ne sais quel complot vous impliquant de près ou de loin. Nous sommes débordés, alors ma question sera à choix multiple : sauf votre respect, est-ce que vous êtes ici pour vous foutre de ma gueule ou bien pour vous foutre de ma gueule ? Vous pouvez tailler en deux ce bureau en prenant votre café le matin. » La joue et le lobe gauche étaient encore fardés par les couches de sang, de sable et de bleus sur le visage de Sorensen, réunissant tout le spectre des couleurs. La chemise blanche s’évadait de la taille sous ceinture, la cravate avait bien vécue et son costume était si taché qu’il paraissait avoir nagé la brasse dans un bac à sable. Il fit grincer le siège une dernière fois et se tenant comme un piquet, reboutonna le haut de sa veste en reprenant les accents de l’éloquence. - « Merci d’avoir bien voulu me recevoir. J’espérais avoir été assez clair sur les raisons de ma présence. C’est peut-être parce que je suis resté dans un placard à balai, pendant six heures pour éviter les russes, que je ne contemplerais pas le lever du soleil avec les charognards. Mais je vous ai surestimé en effet, les manifestations éveillent en vous une rage prolétarienne. Pourquoi venir au poste le plus proche quand Langley est à 30mn ? » - « Parce que vous savez que le FBI aurait déposé des scellés ici par mesure de précaution. En cas de fuite, les fausses pièces à conviction déposées ici pousseront les médias à changer les cordes de leurs violons. Et de leurs arcs. Des contes de fées où les russes ne seront même pas évoqués dans vos torchons. » Il était plausible que Sorensen soit venu au poste pour estimer les fuites potentielles autour de l’interrogatoire que Valajdopov avait mené à grandes tasses de sérum de vérité, puisqu’avant l’émeute du Warder, les gros bras de la police locale avaient participé au raid de la CIA pour capturer l’émissaire russe et son acolyte. Mais plus probable encore, Sorensen prenait le commissariat comme un baromètre de l’impatience des fédéraux à le récupérer voire à le suspecter. Comme on ne souhaitait manifestement pas l’attacher au portique par la laisse, il était quasiment garanti que la voie était libre, hors de portée du flair de Slattery.
  • 23. - « Je prends simplement la température. La moindre corruption dans votre département sera entendue du haut de la pyramide. Je sais que vous avez refilé l’assassinat de David Kleinfeld à Baltimore sous consigne du FBI. Quelqu’un tente de crédibiliser le lien entre le Sénat, les russes et moi. J’étais donc curieux de savoir si vous alliez me poser la question. » - « Mes hommes sont fiables ! Peut-être incompétents, mais fiables ! Tout a été tamponné à la cire », symbolisa l’inspecteur en maestro offensé. « Personne ne vous attend avec les menottes, mais je me pose des questions maintenant. Est-ce que vous voulez me blâmer de vous apprendre une autre vérité que vos journaux ne diffusent pas ? La chandelle par les deux bouts, et pourtant personne ne vous attend chez vous. J’ignore pourquoi, mais vous baignez dans l’ombre du président de la Chambre, et vous vouliez l’entendre ma propre bouche. Maintenant si vous me permettez, j’ai un département et sa plomberie à faire tourner. » - « Je ne fais pas plus tourner ces journaux que les machines à sous de Vegas. » Sorensen acquiesça pour quitter dignement la pièce, ne cachant pas la satisfaction d’entendre quelqu’un du commun des mortels lui apprendre que les projecteurs n’étaient, pour une fois, pas tournés vers lui. « L’inspecteur Harry », comme on le surnommait, soupira du nez quelque chose de l’ordre du remord, et la langue enveloppant son plombage dans une de ses molaires, il s’admettait que sa réaction avait été exagérée. - « Une minute. Le FBI assure la liaison avec l’ambassade russe, qui consent à éplucher avec Baltimore les ressources des contacts de Kleinfeld. L’ambassade vous donnera le nom des enquêteurs bien avant les fédéraux si vous leur dites que je vous envoie, mais vous serez le premier à apprendre que vous êtes parfaitement relaxé. » - « J’apprécie votre geste. » - « Pendant que le loup ouvre sa mâchoire ? Pourquoi ne pas reconduire votre assurance-vie tout de suite ?! » - « Si il y a bien un endroit où je serais en sécurité, c’est là-bas. Ils sont sur le fil du rasoir d’une crise diplomatique s’ils me touchent, alors j’en profiterais pour ouvrir les vannes de pression et je serais assuré qu’ils ne révèlent aucun de mes intérêts. Ils seront heureux de m’entendre réciter mon propre Souvenirs de la maison des morts. Enfin, ce n’était pas le bagne tout à l’heure mais quand même… » - « J’connais pas », retournant à ses préoccupations. - « Un condamné politique qui raconte ses années de travaux forcés. Une de mes lectures collégiales pour bien connaitre les mœurs russes. » - « Hm, la science du châtiment ou l’art de s’offrir une bonne conscience pour les tortionnaires, quand les victimes consentaient à subir les pires tourments de leur vie. » - « C’est comme ça qu’ils gagnaient leur paix de l’esprit, d’un côté comme de l’autre. Je cherche juste à gagner la mienne. » - « Ouais, et je devine maintenant que je vais gagner la mienne », maugréa-t-il sans concession, d’un sarcasme à en faire éclater le néon au-dessus de leurs têtes. Le regard encore incrédule de Martins écumait le convoi à l’horizon, où son supérieur était en planque jusqu’à la fin de l’averse de plomb. Jack se dissociait presque à vue d’œil, sans comprendre comment il avait pu menacer la seule personne – aux côtés de David Palmer – dont la dignité pouvait encore signifier quelque chose. - « Il y a une chose que vous devez savoir Jack. Nos deux otages ne sont pas seuls à l’intérieur, quelqu’un fait l’entremise avec Radford… » - « Qui ? Vous avez confiance en lui ? »
  • 24. - « Ce n’est pas lui, c’est elle. Je n’ai aucune raison de ne pas la croire. Elle est revenue pour vous avant de pleurer sur le marbre. » - « Cassandra ? Elle…elle vous manipule, je sais qu’elle m’a vendu… » - « Pourquoi aurait-elle négocié votre immunité dans ce cas ?! » - « De la fausse monnaie, elle devait savoir dès le début pour Karamazov. Une immunité pour pouvoir l’approcher, mener cette opération et m’attirer dans sa toile ! » - « Jack…Et même si c’était vrai, est-ce que ça vous empêcherait d’y aller ? » - « Non. Vous allez m’aider à entrer là-dedans et à la retrouver…à le retrouver », corrigea-t-il. L’expression de Martins médusa le temps, endigué pendant quelques secondes, comme si l’agitation du vulgaire reprenait son souffle. - « Appel à toutes les unités », trancha finalement l’adjoint. « Négociez un cessez-le-feu immédiat, nos deux suspects doivent sortir d’ici vivants ! Delta à l’angle, gardez le périmètre fermé à l’ouest jusqu’à la rotation pour cueillir Radford. Je viens en assistance ! » - « Ned, mettez de côté votre ego, ce n’est pas le moment ! », avisa son supérieur par talkie. - « Ne me suivez pas de trop près », préconisa Martins à Jack en ignorant la directive. Le caméraman d’une chaine locale harmonisait la mise au point sur la chevauchée héroïque de Martins alors qu’à contrario, Jack perdait le point sur ce dernier quand sa vue devint trouble. Des particules informes qui coagulaient, autant de naufragés qui se débattaient au gré du ressac. [06:08:33] Renonçant presque à toute lueur, les pupilles de l’homme se rétractaient quand lui apparaissait sous l’azur l’aridité mordorée du désert afghan. Le sable abjurait sous la fumée cotonneuse qui s’élevait à plusieurs mètres de hauteur. On ne pouvait dire si la plaine désolée s’effondrait sur elle-même dans un spasme terrestre ou si c’était le poids du céleste qui écrasa ce qui gisait au-dessous. Jack s’enlisait à l’intérieur de la fable d’espionnage, grâce au consentement de Martins qui avait informé les forces de l’ordre à l’entrée. Ce monde était-il assez fou pour croire en un ordre quelconque ? Bauer avança avec félinité entre Richard Braxton et Roger Slattery, qui délogeait sa paire des lunettes dans l’effarement de la comédie divine sous ses yeux myopes. Dans l’oreillette du DD-O, une série de coups de feu résonnait avec plus d’acuité que les autres, et rimant avec les clameurs masculines de la révolte armée. Cassandra aurait pu époumoner des vociférations de sirènes au milieu du naufrage – quand le capitaine quittait son navire – qu’on l’aurait quand même ignorée. - « Richard ! » - « Ah Roger, on aurait bien besoin d’un de vos briquets ! », se permettant un trait d’humour qu’un sourd n’aurait pas pu lire sur son visage. « Du graphite à faible dose qui est peut-être passé sous le radar de l’armée, mais on opte pour le C4. C’est un carnage dedans. » - « Qui mène l’insurrection ? », couvrant son borsalino gris à la levée du vent. - « Radford a pu engager des mercenaires lorsqu’il était hors de nos écrans avant le procès », cimenté par une enceinte humaine d’agents qui barbelaient les médias.
  • 25. - « C’est à exclure, il n’est séduit par Masri qu’en raison du chantage qu’il pouvait exercer sur le parti républicain afin d’être amnistié. Vous auriez pu lui tendre la lime dès le début. Masri était trop accessible ! Quelqu’un d’autre est sur le coup. » Un journaliste tenta de passer le corail des policiers et fut aussitôt riposté par un matraquage abdominal, causant une ruée de perches et cravates à proximité de Braxton et Slattery. - « Virez-moi ces vautours ! », brailla le directeur dans un langage des signes parlé. « Une intuition ? », retournant à son interlocuteur. - « Appelez la relativité restreinte une intuition si vous voulez. On ne désirait pas poursuivre Radford pour les charges usurpées ou non de l’affaire Kleinfeld, nous savions que déserter l’audience d’hier, c’était enfoncer le dernier clou dans la croix, qu’il témoigne ou non ! », en s’efforçant de se faire entendre par-delà les crissements à répétition. « Sauf que par l’intermédiaire d’un certain Cooper, par ses connexions au Washington Post, certaines extorsions de fonds au Moyen-Orient seront révélées ce matin. Il y a quelques mois, Kleinfeld épinglait les secteurs de ces détournements comme on épinglait les bars clandestins pendant la Prohibition ! » - « Quel est le rapport ? Bon Dieu Roger, pourquoi prendre les escaliers quand on peut… », engagea Braxton, excédé par la complexité du phrasé analytique du contre-espion. - « En chemin, Caughley a décroché le téléphone rouge à Langley. La source d’un paradis fiscal a afflué à la lumière d’un des secteurs couverts par Kleinfeld. Écoutez bien, nous n’avions jamais cartographié une partie du désert afghan, un des détournements visait à effacer ce lieu de la carte. Et nous l’avons repéré il y a quelques minutes seulement parce que comme dans votre musée, tout part en fumée là-bas ! » - « Le détournement a été réalisé pour dévier nos satellites ? » - « Le paradis fiscal que nous avons découvert regorge d’évidences qui dénotent les moyens dantesques mis en œuvre pour cacher l’existence de ce secteur. Les afghans étaient dans le coup, le suaire s’est décollé de lui-même : Nate Sorensen y menait sa désinformation là-bas avec l’OIS depuis des années. La chance assiste parfois la détermination de nos enquêtes, ce sont les activités « sismiques » de la région qui nous ont permis de recentrer nos drones. » - « Les activités sismiques ? » - « Un effondrement plusieurs centaines de mètres sous terre. Et pour Sorensen, réglez les formalités avec le président au sujet du Post, je ne vois pas d’inconvénient à divulguer ces données, cela résoudra les inquiétudes de la Cellule antiterroriste. Ce qui accréditera également les fuites sur les réserves pétrolières en Russie et aux abords. L’organisme de Sorensen s’est lentement écroulé pour lénifier la géopolitique orientale. Les consortiums se sont retirés à la seule mention publique de ces extorsions, et le Kremlin s’y reprendra avant de nous couper les robinets via leur pays satellites et frontaliers. » - « Je contacterais le président dans la soirée, je suis enchanté de vos recherches fructueuses Roger mais il y a d’autres chats plus félins que Sorensen. Depuis quand avez-vous changé l’ordre de vos priorités ? » - « Je ne l’ai jamais fait. Je vous ai promis l’agent dormant et je m’en vais le cueillir de ce pas. Mais j’estime que je devais, en guise de prologue, vous avertir sur la nature des transactions de Sorensen avant que tout ne nous éclate au visage. Avec la presse à Langley dans 4h, je ne veux pas avoir l’air d’un défiguré qui rit jaune ! » Slattery tassa son chapeau avant d’entrer dans la voiture par la banquette arrière et se désaxa un instant vers le directeur des opérations.
  • 26. - « Une dernière chose », insista le Successeur. « De votre côté, vous feriez mieux d’envoyer des hommes cueillir les rescapés, s’il y en a, de cette cérémonie tribale afghane qui soulève la poussière. Je vous confierais mon briquet avant de le confier aux Renseignements pakistanais, ils ne sont pas fiables alors je vous recommande de dépêcher des unités au sol, peut-être allons-nous reconnaître de vieilles connaissances sur place. » - « Comme vous dites, je ne me fie pas à eux. Laissez le Conseil publier son rapport sur l’Afghanistan, l’intervention n’est pas envisageable actuellement. » Conquis par le miroir aux espions, pièce à l’architecture de glaces déformantes, comme si la réalité ne se déformait déjà pas assez depuis quelques minutes – n’était-ce pas depuis toujours ? – Jack entreprenait de retrouver Martins et comme la brume s’était dissipée, il fut pris dans le vertige de ses reflets, où il remarqua le cadavre à ses pieds. - « Jack ! », tonnait Martins pour l’aider à se repérer, bien que le cessez-le-feu semblait respecté. « Je s…Karamazov…à l’étage…ou quatrième. » - « Hostile en vue dans la pièce sept ! », égosilla un agent de l’unité d’intervention en pointant sur Bauer. L’ancien Delta plongea sur la surface de verre et s’empara du 9mm à la ceinture du cadavre pour plomber l’agent avant qu’il n’alerte le reste de son équipe. La balle traversa la cuisse, faute d’avoir réussi à viser près du thorax pour lui laisser une chance de survivre plutôt qu’une chance de répliquer. L’agent s’effondra latéralement et Jack se précipita en glissant sur ses genoux pour amortir sa chute, puis, prêt à lui briser la nuque, se laissa plaquer dos au sol, le souffle coupé. Comme en pleine contemplation du ciel sur une friche d’herbe, Jack appréhendait à l’envers le visage de son ennemi et le harponna au col pour le faire planer au- dessus de lui. Il bascula à 180° et sangla ses jambes autour du cou de l’adversaire. - « Jack… » CRAC. En temps normal, Martins aurait une réaction opposée à la contrariété presque indifférente qu’il affichait, mais ce qu’il venait de voir le dispensa de sermonner un civil officiellement décédé aux yeux de tous, qui venait d’éliminer de sang-froid un agent fédéral. Sans penser à reprendre la casquette tombée pendant l’altercation, ni même la lampe-torche prise à Martins, qui avait glissé de sa poche, Jack se précipita jusqu’au premier étage, traversa la ruelle anglaise avec l’adjoint et déboucha dans un couloir aussi ensanglanté que celui des aventures de Jack Torrance. La mer avait bien été séparée en deux, maculant les murs d’un côté comme de l’autre. - « Cassandra ? », hoquetait Bauer en avançant entre les corps. - « L’ascenseur est HS. La porte de service… » La poignée bloqua avant même que Martins n’eut conclu sa phrase quand Bauer étripa la porte. Un coup sec avec le plat du pied permit son entrebâillement pour contrer la lourde résistance, élargi par un second coup puis achevé par un troisième. Au pied de l’escalier, Jack fut déconcerté par l’amoncellement de cadavres sur le marché. - « Cassandra », arrima Martins sans l’écho d’un doute.
  • 27. L’aridité mordorée réapparaissait sous l’azur, décharné de ses nuages quand les pupilles s’étendaient pour redécouvrir le monde depuis le créneau en verre d’où filtrait la lumière. Sans l’écho d’un doute, il y avait de la circulation à perte de vue et des bruits à perte d’ouïe, mais l’esprit était encore accommodé à sa léthargie. Des câbles, ou plutôt des fils très fins reliés au crane. Il fallait les débrancher. Se relever ensuite, reboutonner sa chemise et continuer à battre des paupières. La terre palpitait, comme une longue secousse sismique mais…ce n’était pas ça. Des copeaux de verres se dispersaient dans la pièce quand une vitre éclata, causant une réaction démesurée de l’homme qui se cramponna au fauteuil où il avait veillé pendant…impossible de savoir combien de temps, après réflexion. - « …vacuation immédiate », transparaissait une voix enregistrée depuis la cour extérieure, d’où provenait cette chaleur grasse qui semblait rendre tout raisonnement stérile. Et son arme de poing ? Danny Caïn caressa la circonférence de sa ceinture, son 9mm avait disparu. La sécurité n’était même pas relâchée quand il franchit la porte coulissante munie d’un capteur de mouvement : il n’y avait plus aucune sécurité. La terre éclipsée des pots de fleurs et les débris de pierre pavaient le sol, avec encore plus de chaos que dans certains secteurs démilitarisés près de Kaboul après raid aérien. La poussière gouttait du plafond par à- coups à chaque saccade quand Caïn traversait le couloir post-apocalyptique avant de le voir s’effondrer en épaves de béton. Il accéléra le pas et par réflexe, se baissa chaque fois que le décor muait jusqu’à rejoindre le rez-de-chaussée, jonché de deux corps et une poutre bancale sur le point de rompre. La sortie était impossible, ornée d’un gouffre en guise de paillasson qui s’était formé au premier effondrement souterrain. Caïn tergiversa entre la possibilité d’être laissé pour mort, bien que les risques furent minimes dans la salle où il s’était réveillé, puis le fait qu’on ne l’avait pas privé de ses mouvements, lui permettant de se frayer un chemin sans la moindre opposition. Et cette salle ? Pourquoi ces branchements ? commença-t-il seulement à réaliser, quand ais-je été endormi ? La chaise fracassa la fenêtre dans un hurlement de verre, que le soldat trépassait avec un corps qui semblait formé de plomb pour atterrir dans l’embrasure étroite et ombrageuse entre les deux bâtiments. Le moteur d’une Jeep bouillonnait, derrière les soldats paniqués qui allaient quitter le fort. Caïn esquissa ses empreintes sur la terre orangée et marcha jusqu’à la cheminée de fumée qui s’envolait depuis le dôme ouvert. - « Nom de… », en parcourant de l’index l’étendue de sa cerne droite pour débrider au mieux ses yeux. « La rampe de lancement. Un tir qui résonna tour autour du monde…Le…les missiles... » La différence entre Washington et l’Afghanistan s’enténébrait par moment. À mesure que Jack et Martins progressaient, l’escalier était de moins en moins jonché de cadavres et arrivés au cinquième étage, l’obscurité complète voilait même les phares de l’hélicoptère qui bourdonnait au-dessus d’eux. Sans aucune source de lumière, ils se sentaient là à l’âge de pierre. Radford et ses partenaires avaient décampé sans laisser aucune trace, ce qui n’était pas surprenant, mais Cassandra, Drakov et Karamazov ? Aucun signe de vie, dans un horizon qui n’en était pas un. - « Ils ont été livré sur un plateau. Radford a eu ce qu’il voulait. » - « Cassandra voulait faire ça pour vous Jack, elle pensait que vous étiez en vie. » - « Je ne le suis pas ? »
  • 28. Martins pouvait humer la sueur de Jack malgré la fragrance étrange qui empestait les lieux, sans même une allumette pour éclairer sa face hallucinée. Quelque chose ne tournait pas rond chez lui, il pouvait concevoir sa paranoïa après tout ce qu’il avait vécu, mais le voir ainsi…se fondre en suée dans une sorte de chair dissolue qui paraissait brûler. Brûler comme lors d’une cérémonie militaire commémorant un soldat mort au front, au milieu d’un feu ardent… - « Drakov et Masri ont été son laissez-passer pour gagner la confiance de Radford. Elle voudra savoir ce qui vous est arrivé, pourquoi on lui a menti sur votre mort. » - « Leur collaboration ne date pas d’hier ! », invectiva Bauer. « Elle opérait en freelance avec moi pour pouvoir cacher Radford le temps de son procès, et c’est lui qui l’a envoyé me retrouver à Minsk ! Tout est si clair, AE/Dune signifie cela, on nous a permis de griller la couverture de Matters pour cacher l’existence d’une seconde taupe, une taupe cachée derrière la dune ! Et là, c’est encore une coïncidence pour vous ? », sans donner à Martins la chance de répondre. « Ils ont pris la fuite par les fondations, peut-être une galerie en travaux atteinte avec du C4. Il nous faut de la lumière. » [06:20:40] Le commando sécurisait le premier étage. Braxton réassignait ses unités. Le tireur embusqué à l’Est du Warder prenait en joue les fenêtres du cinquième étage. Sous les signaux de fumée indienne, Caïn trébucha sur le cadavre de Hamza. [06:25:21] La pénombre instilla une réminiscence fugitive à l’ancien Delta : sa capture par des soldats serbes au Kosovo. Une cave, où il avait pu délier la corde entre ses mains, ce soldat qu’il apercevait dans la fente d’une trappe, des débris de vases, et un interrogatoire fantasque. C’est donc lui le prisonnier…C’est donc toi qui avais ordre de tuer Viktor Drazen ? On ne va pas s’en sortir, ils sont trop nombreux, avait déploré un des hommes de Jack. Des blancs de mémoire. Puis les échos de sa propre voix. Ici Jack, vous me recevez ? J’arrive à la zone d’exfiltration, attendez-moi là-bas, avait-il décrété à ses hommes avant de retrouver deux de ses hommes, Peltz et Illijec flotter dans la rivière. Éteignez ça ! Les serbes utilisent notre radio pour nous repérer ! - « Les serbes utilisent notre radio pour nous repérer ! », répéta Bauer à haute voix. - « Vous divaguez Jack, vous vous êtes évanoui pendant quelques minutes !! Il ne faut pas rester ici, vous sentez comme moi cette odeur ?! » - « Du propane », en reprenant ses assises. « Un autre clin d’œil de Radford… » Jack chassait le fédéral derrière l’issue d’où ils étaient arrivés, puis visait un spectre dans l’obscurité sans autre forme de procès. Lui tirer dessus allait peut-être lui permettre d’y voir plus clair, si cela pouvait encore être possible à ses yeux. - « Attendez !! »