Le communiqué complet du président de Comac-ULB sur la politique des autorités de l'ULB
1. L’ULB, une université au service de qui ?
Quand une petite interdiction fait ressortir des grandes logiques
Par Charlie Le Paige (Président de Comac-ULB, mouvement de jeunes du PTB)
L’histoire qui suit pourrait bien vous paraitre anodine, et pourtant elle ne l’est pas.
Mardi 29 mai, la Coordination des actions pédagogiques (CAP) de l’Université Libre de Bruxelles se
réuni rend son verdict : c’est une interdiction formelle et complète pour notre cercle d’organiser sa
traditionnelle « bloque collective ». Renseignements pris auprès du recteur, la motivation suivante
nous est transmise « la mise à disposition de locaux pour pourvoir à une mission fondamentale de
l'Université, à savoir veiller à l'accueil de tous les étudiants qui souhaitent trouver un endroit pour
l'étude, doit rester du ressort de l'Université elle-même. Y renoncer au profit de qui que ce soit, […]
équivaudrait à démissionner d'une part de nos missions. On pourrait rapidement et insidieusement
glisser vers une sélection des étudiants ou d'autres biais. » (extrait du courriel).
Tout cela pourrait paraître comme un fait divers de la vie quotidienne de l’ULB. Nous estimons au
contraire que cela révèle une logique bien plus profonde.
Reprenons depuis le début. Avec Comac, nous organisons depuis un certain nombre d’années déjà des
activités de « blocus collectif » avant et pendant les sessions d’examens. A chaque fois, l’idée est de
fournir un cadre d’étude collectif, axé sur l’entraide et la solidarité à un maximum d’étudiants. Nous
organisons donc, dans un local réservé, des horaires collectifs de travail. Cela permet notamment
d’affronter ensemble les difficultés à s’auto-discipliner vécues par beaucoup d’étudiants, ainsi qu’à
garantir des moments de pauses et de détentes collectifs. Nous essayons également d’y organiser un
espace pour que les étudiants de mêmes branches puissent s’entraider et se faire réviser mutuellement.
Enfin, ces bloques sont également des espaces d’échanges d’expériences entre des nouveaux étudiants
et des plus anciens1.
Pour récapituler donc : Comac, cercle reconnu à l’ULB, organise un blocus collectif dont l’objectif est
de s’entraider pour réussir ses examens. L’activité est ouverte à toute la communauté étudiante (de
nombreux non-membres y participent) et a beaucoup de succès depuis des années. Elle s’organise dans
des locaux inutilisés durant la session d’examen. Elle est gratuite. Aujourd’hui, elle est interdite par les
autorités, malgré de nombreux soutiens dont le Bureau des Etudiants Administrateurs.
Arrêtons-nous maintenant sur l’argumentaire de cette interdiction. Comme on l’a vu plus haut, celle-
ci est justifiée par le fait que l’université ne doit pas « démissionner de ses missions fondamentales »
et qu’il y aurait des risques de « sélection et de biais ».
Précisons d’abord que cet argumentaire est d’autant plus ridicule qu’il émane d’une institution qui
démissionne largement de nombre de ses fonctions depuis plusieurs années. Elle n’hésite pas ainsi par
exemple, récemment, à privatiser ses logements (sous forme d’emphytéose2), ou à laisser Dexia
investir dans une Chaire qui dispense des cours sur les institutions financières. Ainsi, confier ses
logements à une entreprise immobilière dont le seul objectif est de faire du profit (sur le dos des
étudiants et/ou de l’université), ce n’est pas démissionner. Laisser de grandes banques financer et
donner leur nom à des cours dans son cursus d’économie, alors même qu’on voit tous les jours dans
l’actualité à quel point leur rapacité est un danger pour notre société, et bien cela ce n’est pas
démissionner non plus apparemment. Par contre, laisser des cercles, qui eux (contrairement aux
grandes entreprises mentionnées ci-dessus) font partie de cette université, monter des projets de
1
Nous organisons d’ailleurs aussi durant les congés de Noel et de Pâques des activités similaires sous forme
retraite d’une semaine.
2
Plus d’infos à ce sujet sur le site de Comac http://chengetheworld.be/fr/articles/logements-etudiants-lulb-
entre-sous-financement-de-lenseignement-et-privatisation-rampante
2. « bloque collective », cela serait une démission inacceptable. Si ce n’était pas si grave, on aurait
presque envie d’en rire.
Mais penchons-nous plus sur le fond de cette affaire. À Comac, nous pensons que la principale
sélection qui a lieu à l’université est avant tout une sélection sociale touchant les enfants issus des
classes populaires, ceux qui n’ont pas eu accès aux bonnes écoles, dont les parents ne possèdent pas le
capital culturel, social et économique permettant de jouer le jeu de la compétition individuelle
qu’impose notre système d’enseignement supérieur. Ainsi, la sélection dont parlent les autorités existe
donc bel et bien déjà et est vécue tous les jours par des milliers de jeunes en Belgique, à commencer
par tous ceux qui n’accèdent même pas aux études supérieures ou qui en sont exclus très rapidement.
Au moment fatidique des sessions d’examens, cette même sélection sociale opère également entre les
étudiants qui se voient offrir un cadre propice à l’étude, qui ne doivent pas travailler, qui possèdent un
bagage méthodologique et des ressources sur lesquelles s’appuyer (parents, profs particuliers, etc) et
les autres.
Une grosse partie de notre action en tant que cercle a justement comme objectif de lutter contre cette
sélection, et c’est dans ce cadre que s’inscrivent des projets concrets comme ce blocus collectif et la
prise en main collective et solidaire de l’étude. Nous ne voyons donc pas pourquoi les autorités
décident d’intervenir et d’interdire un tel projet.
Mais, si cette interdiction interpelle car elle est à l’opposé de tout bon sens, elle n’est pas pour autant
forcément étonnante. Certes, nous aurions pu attendre de notre université qu’elle soutienne plutôt une
telle initiative. Elle aurait alors pu également encourager d’autres cercles et associations étudiantes à
développer des projets qui iraient dans le même sens, et elle aurait pu décider d’ouvrir tous les locaux
inutilisés afin de désengorger la bibliothèque et les (trop peu nombreuses) salles d’études. De manière
plus générale, nous aurions pu attendre de notre université qu’elle prenne conscience beaucoup plus
vigoureusement du manque cruel de moyens réellement disponibles pour l’enseignement. Elle aurait
ainsi pu dénoncer et se battre contre le sous-financement qui pousse le coût des études à la hausse et
renforce la sélection, qui oblige à avoir des classes de plus en plus grandes avec un encadrement de
plus en plus faible, qui fait qu’on manque de logements étudiants et d’auditoires. Le combat pour un
enseignement accessible à tous est un combat tout azimut que notre université aurait pu mener si elle
inscrivait réellement son action dans l’intérêt des étudiants. Depuis trop longtemps déjà, nous sommes
forcés de constater que ce n’est pas le choix qui est fait.
Pour nous, finalement cette petite histoire reflète surtout la grande démission (bien réelle celle-ci) de
notre système d’enseignement à mener le combat contre les inégalités et pour la réussite des étudiants.