La Terre a perdu la moitié de ses populations d'espèces sauvages en 40 ans
La planète est malade, et sa guérisonsemble de plus en plus incertaine. La pression
exercée par l'humanité sur les écosystèmes est telle qu'il nous faut chaque année
l'équivalent d'une Terre et demie pour satisfaire nos besoins en ressources
naturelles, tandis que le déclinde la biodiversité est sans précédent. Ce sont les
conclusions alarmantes du Fonds pour la nature (WWF), dans la dixième éditionde
son rapport Planète vivante, le bilande santé le plus complet de laTerre.
Ce rapport bisannuel, réalisé avec la société savante Zoological Society of London et les
ONG Global Footprint Network et Water Footprint Network, et présenté à l'Unesco
mardi 30 septembre, se fonde sur trois indicateurs. Le premier, l'indice planète vivante
(IPV), mesure l'évolution de la biodiversité à partir du suivi de 10 380 populations
(groupes d'animaux sur un territoire) appartenant à 3 038 espèces vertébrées de
mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens et poissons.
DÉCLIN MASSIF DES ESPÈCES SAUVAGES
Résultat : les effectifs de ces espèces sauvages ont décliné de 52 % entre 1970 et 2010.
Autrement dit, la taille de ces populations a fondu de moitié en moins de deux
générations, ce qui représente un recul beaucoup plus marqué que celui précédemment
estimé (– 28 %). Dans le détail, les espèces d'eau douce sont les plus durement touchées
avec une chute de 76 % entre 1970 et 2010, contre un déclin de 39 % pour les espèces
marines et les espèces terrestres.
« Nous avons enrichi notre base de données d'un millier de populations, mais surtout,
nous avons changé de méthodologie, explique Christophe Roturier, directeur scientifique
du WWF France. Nous avions auparavant surreprésenté dans notre indice les espèces de
mammifères et d'oiseaux par rapport aux reptiles, amphibiens et poissons. Nous avons
donc pondéré chaque espèce par rapport à sa réelle importance dans les écosystèmes. »
Si ce déclin touche l'ensemble du globe, les pertes les plus lourdes sont observées sous
les tropiques (– 56 % contre – 36 % dans les zones tempérées). L'Amérique latine est la
région la plus affectée (– 83 %), suivie par l'Asie-Pacifique. Au contraire, dans les aires
terrestres protégées, l'IPV a diminué de « seulement » 18 %.
Les principales menaces pesant sur les espèces sauvages sont la disparition et de la
dégradation de leurs habitats (du fait de la déforestation, de l'urbanisation ou encore de
l'agriculture), la chasse et la pêche (intentionnelle, à des fins alimentaires ou sportives, ou
accidentelle comme les prises accessoires), la pollution et le changement climatique, dont
les effets devraient être de plus en plus forts.
Lire : Avec le réchauffement, les espèces marines migrent vers les pôles
L'HUMANITÉ CONSOMME 1,5 TERRE
Second indice du rapport, l'empreinte écologique mesure la pression qu'exerce l'homme
sur la nature. Elle calcule précisément les surfaces terrestres et maritimes nécessaires
pour produire chaque année les biens et services que nous consommons (nourriture,
combustibles, espace pour les constructions, etc) et absorber les déchets que nous
générons.
Selon le WWF, l'empreinte écologique de l'humanité atteignait 18,1 milliards d'hectares
globaux (hag, hectares de productivité moyenne) en 2010, soit 2,6 hag par personne. Le
problème, c'est que cette empreinte mondiale, qui a doublé depuis les années 1960,
excède de 50 % la biocapacité de la planète, c'est-à-dire sa faculté à régénérer les
ressources naturelles et absorber le CO2, qui elle, s'élevait à 12 milliards de hag (1,7 hag
par personne). Au final, en 2010, l'humanité a utilisé l'équivalent d'une planète et demie
pour vivre, et a donc entamé son « capital naturel ». La moitié de cette surconsommation
est imputable aux émissions de CO2 (53 %), en grande partie dus aux combustibles
fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel).
Ce « dépassement », où ce jour à partir duquel l'humanité vit à crédit – qui intervient de
plus en plus tôt dans l'année – est possible car nous coupons des arbres à un rythme
supérieur à celui de leur croissance, nous prélevons plus de poissons dans les océans qu'il
n'en naît chaque année, et nous rejetons davantage de carbone dans l'atmosphère que les
forêts et les océans ne peuvent en absorber. Conséquence : les stocks de ressources
s'appauvrissent et les déchets s'accumulent plus vite qu'ils ne peuvent être absorbés ou
recyclés, comme en témoigne l'élévation de la concentration de CO2 dans l'atmosphère.
Lire : Concentration record des gaz à effet de serre en 2013
« Si l'innovation technologique, telle que l'amélioration de l'efficacité de la
consommation des ressources et de l'énergie peut permettre de réduire le dépassement,
elle nous expose aussi à de nouveaux dilemmes : ainsi, la progression de la biocapacité
agricole grâce à l'emploi d'engrais et à la mécanisation s'est-elle effectuée en
consommant davantage de combustibles fossiles, doncen augmentant l'empreinte
carbone », prévient le rapport.
LE KOWEÏT, PLUS FORTE EMPREINTE ÉCOLOGIQUE PAR HABITANT
Quels pays exercent la plus grande pression sur les écosystèmes ? Ce sont ceux qui
émettent le plus de CO2 : la Chine, les Etats-Unis, l'Inde, le Brésil et la Russie. A eux
cinq, ils pèsent près de la moitié de l'empreinte écologique mondiale.
Ramené par habitant, cet indice donne un classement très différent. Cette fois, ce sont les
pays aux revenus les plus élevés qui sont les plus fautifs. Ainsi, l'empreinte écologique
record par tête est détenue par le Koweït (10,5 hag par habitant, soit 6 fois ce que la Terre
peut produire), suivi du Qatar, des Emirats arabes unis, du Danemark et de la Belgique,
qui se situent autour de 8 hag par habitant. La France se classe à la 23e position, avec
4,5 hag, soit bien plus que la moyenne mondiale (2,6) ou que la biocapacité de la Terre
(1,7). L'Afghanistan, Haïti, l'Erythrée, la Palestine et le Timor oriental possèdent quant à
eux l'empreinte la plus faible, avec environ 0,4 hag par habitant.
Enfin, le troisième indice du rapport Planète vivante, l'empreinte eau permet de saisir
l'ampleur des volumes d'eau douce (prélevée dans les lacs, rivières, réservoirs et
aquifères) et d'eau de pluie nécessaires à nos modes de vie. La production agricole
engloutit 92 % de l'empreinte eau globale, devant la production industrielle (4,4 %) et les
usages domestiques (3,6 %).
Si l'Inde et la Chine sont en tête (avec les Etats-Unis) des pays ayant la plus forte
empreinte eau, c'est qu'elles exportent massivement des biens intensifs en eau, qu'ils
soient agricoles ou industriels, à destination des pays développés. Ce qui augmente les
pressions sur des zones fragiles souvent dépourvues de politiques de conservation de
cette ressource rare. Aujourd'hui, plus d'un tiers de la population mondiale, soit environ
2,7 milliards de personnes, vit dans des bassins fluviaux connaissant une grave pénurie
d'eau pendant au moins un mois par an.
Cette tendance devrait aller en s'aggravant avec l'augmentation de la population, qui a
déjà presque triplé depuis 1950, pour atteindre 7 milliards en 2011, et devrait encore
croître à 9,6 milliards en 2050 et 11 milliards en 2100. « L'humanité peut réussir à
décorréler son développement de son empreinte écologique, assure Philippe Germa,
directeur général du WWF France. Il faut pour cela préserver le capital naturel,
notamment en arrêtant de surexploiter les stocks halieutiques, produire mieux, avec
moins d'intrants et de déchets et plus d'énergies renouvelables, et réorienter les flux
financiers, en prenant en compte les coûts environnementaux et sociaux. »