Beginners Guide to TikTok for Search - Rachel Pearson - We are Tilt __ Bright...
tst2
1. CHARLIE HEBDO N° 902 / 30 SEPTEMBRE 200910 /
LE PIRE EN
t CAVANNA
ous, je ne sais pas. Mais moi, j’en ai
marre. Alors je crie. Je veux dénoncer ici
l’odieuse persécution dont est victime la
quasi-totalité de l’humanité, dont moi.
Le coupable ? Une infâme saloperie qui a
juré de soumettre le monde entier à sa loi crimi-
nelle, j’ai nommé le papier-cristal, ou qu’on l’ap-
pelle comme on voudra. Je ne suis pas sûr que
ce soit le nom officiel, moi je l’appelle papier-
cristal, c’est un nom bien trop beau pour un
pareil fléau, mais enfin il décrit assez bien l’ob-
jet.
Le papier-cristal — appelez-le de ce nom,
vous me ferez plaisir — est en train d’envahir
patiemment notre planète qui n’avait certes pas
besoin de ce surcroît de malheur. Il a commencé
discrètement, on peut dire subrepticement, par
se lover autour de petits éléments de consom-
mation courante, tels que chocolats, bonbons,
suppositoires, Tampax, préservatifs et autres
objets stimulateurs de gourmandise. Les pre-
miers temps, nous n’y prîmes pas garde, la
chose, étant plus cristal que papier, donc parfai-
tement transparente, et même invisible, n’avait
pas attiré notre attention. C’était d’ailleurs le
but recherché. Voilà pour ce qui est de la vue.
En ce qui concerne le sens du goût, il nous sem-
bla bien que notre chocolat, notre bonbon,
notre suppositoire, déployait sur nos muqueu-
ses et nos papilles une saveur très atténuée par
rapport à ce à quoi nous étions accoutumés.
Nous n’y attachâmes point une importance
excessive, accoutumés que nous étions d’autre
part à la dégénérescence de tout ce qui se
mange, se boit ou se consomme autour de nous.
C’est le progrès qui veut ça, disions-nous, et qui
serait contre le progrès ?
Une génération humaine tout entière ne sut
pas discerner la présence du papier-cristal
autour de la bonne chose à manger. On masti-
quait avec ardeur cette carapace étonnamment
souple en même temps qu’indéchirable dont l’in-
destructible matière se mêlait étroitement à la
masse de l’aliment en un indescriptible cauche-
mar.
Il va de soi que, de par son caractère d’abso-
lue insolubilité, le papier-cristal traversait la
totalité du tube digestif en restant égal à lui-
même. Il s’empressait de remplir, à la sortie, le
même office qu’à l’entrée, et nos grands-parents
purent constater avec une surprise émerveillée
que leurs matières fécales étaient livrées étroite-
ment enveloppées d’une élégante pellicule trans-
lucide qui donnait à son contenu un éclat ignoré
jusqu’à ce jour. Ils admirèrent, s’invitèrent l’un
l’autre à venir contempler les productions mai-
son et puis, comme ça n’altérait pas sensible-
ment leur santé, ils s’habituèrent à la chose et n’y
pensèrent plus. On ne peut pas leur en vouloir,
ils étaient beaucoup plus bêtes que nous. Honnê-
tes, travailleurs, bien élevés et se lavant jusque
derrière les oreilles, de ce côté-là, rien à dire,
mais bêtes à bouffer des chapeaux de paille. C’est
CHARLIE HEBDO N° 918 / 20 JANVIER 201010 /
V
10-11-918.qxp 18/01/10 18:43 Page 10
2. BOLIVIE
LE PAYS
OÙ DOMENECH
SERAIT UN HÉROS
Salaires non versés, arnaques multiples…
En Bolivie, les matchs de foot se jouent
moins sur le terrain qu’au tribunal, entre
les clubs et leurs joueurs.
Je vais nationaliser le football ! »
Est-ce pour avoir fait cette promesse
historique à la veille de la présiden-
tielle qu’Evo Morales a été réélu avec plus
de 60% des voix dès le premier tour? Allez
savoir. Quoi qu’il en soit, bon courage, Presi-
dente… Car remettre de l’ordre dans le
sport national bolivien, c’est autrement
ardu que de nationaliser les hydrocarbures
et les ressources naturelles, ou de repren-
dre les terres aux grands propriétaires.
Joueurs arnaqués par leur club, pas
d’assurance médicale, des contrats non res-
pectés, un tribunal des disputes (instance
chargée de régler les différends entre les
joueurs et leur club) paralysé pour cause de
salaires non versés depuis dix mois… Le
foot bolivien n’est pas vraiment un sport
d’équipe.
« Tu signes pour douze mois, on t’en
paye dix… C’est très courant ici. Ils se
débrouillent toujours pour ne pas respecter
ton contrat ! », explique Diego Bengolea,
latéral gauche au Bolivar, l’un des clubs de
La Paz. En ce moment, il mène de front deux
procès contre ses deux anciens clubs. Et il
n’est pas le seul : depuis 2006, la Fabol, le
syndicat des joueurs de foot du pays, a porté
123 cas devant la justice. Gustavo Aguirre,
attaquant au Strongest, a gagné le procès
qui l’opposait à son ancien club. Blessé, il
avait dû subir une opération du genou: «Ils
ont refusé de payer la clinique, la rééduca-
tion, et ils ont cessé de me verser mon
salaire. Au final, ils me devaient près de
30 000 dollars. Mais même après avoir
gagné mon procès, j’ai dû renégocier avec
eux, pour espérer être payé. Ils m’ont
même menacé: un jour, ils m’ont convoqué
et m’ont dit que si je continuais de réclamer
mon argent ils m’empêcheraient de jouer.»
«Le problème, c’est qu’on a un système
à plusieurs têtes, explique Eduardo Lima,
journaliste sportif pour la radio Patria
Nueva. Au lieu de n’avoir qu’une fédération,
on a la Fédé, la Ligue professionnelle et
l’Association nationale. Chacun protège ses
intérêts, du coup, ça crée des complica-
tions… En fait, c’est le chaos, le chaos
total.» Du coup, les joueurs en ont marre et
en sont réduits à des actions extrémistes,
qui n’ont généralement pas cours dans le
monde du sport. Ainsi, il y a quelques
semaines, les joueurs de l’équipe nationale
se sont mis en grève, à quelques jours d’un
match contre le Brésil. Après qu’ils ont
séché deux entraînements, les dirigeants
ont finalement accepté de discuter.
Bref, que les supporters de l’OM ou du
PSG arrêtent de râler quand leur club rate
un but, ils ne connaissent pas leur bonheur
de pouvoir souffler dans une corne de
brume en France, et non en Bolivie. Sans
compter que les tournois officiels boliviens
ont des enjeux singuliers: l’un d’eux permet
par exemple au vainqueur de voyager gra-
tuitement sur une compagnie aérienne pen-
dant le reste de la saison…
David Baché (à La Paz)
«
/ 11
t EN BREF
t LE MONDE VU DE LA TERRE
ans le dernier classement de Trans-
parency International, le Nigeria est
passé de la 121e
à la 130e
place des
pays les plus corrompus de la planète.
Jetons un œil sur la carte en couleurs
des parcs nationaux et réserves du pays.
C’est émouvant. Charlie en a compté 1 177.
On imagine sans peine leur sort réel. Parmi
eux, Iguobazuwa, réserve forestière d’une
fabuleuse biodiversité. Sur le papier. Les pho-
tos-satellite1
montrent des routes zébrant
des restes miteux de forêts, et ce sol rouge de
latérite qui signale la mort des sols. Localisa-
tion : 6° 34’ 0” de latitude nord, 5° 21’ 0” de
longitude est. De longue date, avant même
l’invention de Michelin et peut-être de Sar-
kozy, des communautés paysannes ont vécu
de cette terre. En y pratiquant une agriculture
vivrière fondée sur le manioc. En chassant, en
y ramassant du bois de chauffe. Dix villages
dépendaient très largement de la forêt pour
vivre. Mais comme ils ont de la chance, cet
esclavage est terminé.
Car Michelin est arrivé. Le Bibendum, oui.
Il faut en effet beaucoup, beaucoup de caout-
chouc naturel pour produire les roues grâce
auxquelles on se précipite ensuite chez Carre-
four pour acheter d’autres roues. Or il vient
de l’hévéa, et il faut constamment trouver de
nouveaux territoires pour les plantations, car
les sols tropicaux s’épuisent vite, ces feignants.
LA TERRE PLUTÔT QUE L’ARGENT
Le 29 mai 2007, Michelin est soudain
devenu par miracle propriétaire de 3500hecta-
res de la forêt pourtant protégée d’Iguobazuwa.
Grâce à l’aimable gouverneur de l’État d’Edo,
Lucky Igbinedion, qui a signé des deux mains
un acte de vente que l’on qualifiera de bonne
affaire pour les deux parties. Quelques jours
plus tard, Igbinedion était foutu à la porte,
et depuis, il se débat contre la bagatelle de
147 accusations de corruption et de blanchi-
ment d’argent.
Enfin propriétaire, Michelin fait venir des
bulldozers, car cet achat ne visait pas — ô sur-
prise — à protéger la biodiversité, mais à créer
ex nihilo une nouvelle plantation d’hévéas. Voyez
comme ces Noirs sont ingrats: ils ne cessent
depuis de se plaindre. À les croire, Michelin a
détruit leur forêt et les champs qui étaient leurs
seuls moyens d’existence. Ils ont bien délégué
des émissaires auprès du nouveau gouverneur2
,
qui s’en cogne on ne peut plus.
Chez Michelin, le directeur du développe-
ment durable, Jacques Toraille, offre aux lec-
teurs de Charlie une version différente de l’af-
faire. Selon lui, le vrai propriétaire serait la
société SIPH (Société internationale de plan-
tations d’hévéas), dans laquelle Michelin ne
dispose que de 20 % des parts. Et c’est une
filiale de SIPH, Rubber Estates Nigeria Ltd
(REN), qui serait la seule responsable sur place.
Selon Jacques Toraille, Michelin aurait
tout bon. La zone de la plantation n’aurait abrité
que des buissons et des terrains vagues, et
en décidant une réserve sur 430 hectares,
Michelin aurait sauvé ce qui pouvait l’être d’une
forêt tropicale dévastée. «La majorité des habi-
tants, dit-il, approuve la création d’une plan-
tation qui créera 500emplois. Et la SIPH a déjà
versé 300000euros d’indemnisations.»
L’équipe sur place de Nnimmo Bassey, un
écologiste des Amis de la Terre3
, parle de son
côté de désespoir, de destruction du mode de
vie de 20000paysans. Témoignage d’une villa-
geoise: «Je ne veux pas de l’argent. Je veux
qu’on me rende ma terre… Si on me donne
aujourd’hui un million de nairas, je serai quand
même fauchée, mais si j’ai ma terre, je peux
toujours la cultiver pour nourrir ma famille
et peut-être la transmettre à mes enfants.»
Ah, M. Toraille a oublié un détail : REN
s’appelait jusqu’en 2009 Michelin Develop-
ment Company Ltd. Une filiale 100% Miche-
lin. Pourquoi cacher le fait certain que Miche-
lin a bien envoyé ses bulldozers? Sans doute
par pudeur. Sans doute pour ne pas mettre en
avant son bel engagement écologiste. Cita-
tion de Michelin: «Au Nigeria, aussi, les qua-
tre plantations Michelin ont à cœur de proté-
ger leur environnement. […] Michelin […] a
d’ailleurs reçu en 2002 de la Nigerian
Conservation Foundation (NCF) le prix de la
société la plus respectueuse de l’environne-
ment au Nigeria.» Sûr. Fabrice Nicolino
1. www.maplandia.com/nigeria/edo/oviasouth-
west/iguobazuwa
2. Selon le témoignage de M.Gabriel Igbinigie, qui
préside l’ICDA (Iguobazuwa Community Development
Association).
3. www.eraction.org
4. Tiré du site officiel: www.michelin.com
D
/ 1120 JANVIER 2010 / CHARLIE HEBDO N° 918
t NIGERIA
BIODIVERSITÉ
MICHELIN FAIT POUSSER
DES ARBRES À PNEUS
Là-bas, c’est le Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique. Comme il est gorgé de pétrole,
le delta du Niger est devenu un dégueuloir pour des philanthropes comme Shell et Total.
NEMI
souvent comme ça, les aïeux.
Laissons passer une généra-
tion ou deux.
Hélas ! Nous constatons au
premier coup d’œil et avec un
effarement non feint que les choses, hélas hélas,
se sont gravement aggravées. Non seulement la
pellicule maudite enveloppe étroitement le cho-
colat, mais elle emprisonne aussi la boîte. Cette
boîte ne peut plus s’ouvrir. Pourtant, elle com-
porte un couvercle parfaitement adapté à sa
fonction de couvercle, c’est-à-dire qu’il est
censé pivoter autour d’un axe AB, laissant ainsi
pénétrer à flots l’air, la lumière et la convoitise
gourmande à l’intérieur de la boîte.
Vous avez beau faire, le couvercle refuse de
pivoter. Vous vous y retournez quelques ongles,
poussez un certain nombre d’injures malson-
nantes et infligez oralement maintes choses
désobligeantes au petit Jésus et à sa mère. Rien
n’y fait. À coups de poing et de pied vous écra-
sez, cabossez la pauvre boîte jusqu’à la faire sor-
tir des limites conventionnelles de la géométrie
euclidienne, et alors, à la faveur des jeux de la
lumière prise sous des angles tordus, vous dis-
cernez le coupable : cette immatérielle prison
dont rien n’a rompu la continuité. Cette pelli-
cule, pour être désormais vue, n’en reste pas
moins infranchissable. Elle ne cède ni aux
doigts, ni aux ongles, ni aux dents. C’est votre
petit-fils, plus jeune de deux générations donc
futé, qui règle le problème en vous tendant une
paire de ciseaux.
Les choses ne font qu’empirer. On peut dire
que le papier-cristal enveloppe désormais tout
objet vendu dans le commerce. Vous achetez des
ciseaux, il faut d’abord couper le papier-cristal
avec d’autres ciseaux pour pouvoir vous en ser-
vir. Bientôt, chaque pomme de terre sera enser-
rée par un papier-cristal imperçable, et aussi
chaque ticket de métro, chaque grain de riz,
chaque cheval, chaque auto… Jusqu’au jour où
la Terre sera enveloppée à son tour, et puis…
J’étais seul jusqu’ici à connaître le terrible
secret. Si nous nous unissons, nous vaincrons !
Peut-être… r
Tant pis pour moi. Si beaucoup de lecteurs ont
réagi comme celui qui m’a écrit, j’ai bonne
mine. C’est à propos de l’article où je suggérais,
pour éviter le réchauffement climatique, que
l’on écarte un peu la Terre du Soleil en lui don-
nant de petites poussées fournies par des réac-
teurs. Ce lecteur a pris la chose au sérieux et
me taxe d’ignorance et d’infantilisme.
Cher lecteur, c’était pour de rire ! Comme si
je proposais de vider l’océan avec une petite
cuillère, vous voyez ? À la réflexion, ce n’était
pas d’une drôlerie à se taper les fesses par terre,
mais je ne pensais pas avoir fait aussi terrible-
ment sérieux. La prochaine fois qu’il m’arrivera
de plaisanter, j’y mettrai un tampon : « C’EST
POUR DE RIRE. » r
Et de loin!
10-11-918.qxp 18/01/10 18:43 Page 11