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APCP
ASSOCIATION DE PREFIGURATION D'UN CONSEIL DE PRESSE

COLLOQUE ORGANISE PAR L’APCP
en partenariat avec FRANCE-CULTURE
JUIN 2009
Presse et public : à quand une instance de médiation ?
Studio 106, Maison de Radio France
Jeudi 4 juin 2009, 14h30 – 18h30
Les récents Etats généraux de la presse écrite ont fait progresser l’idée que l’éthique et la qualité
de l’information avaient besoin de structures (charte déontologique nationale, médiateurs, instance
de veille et de médiation…) pour s’imposer à tous et que soit restaurée la confiance entre le public
et les médias.
C’est le but que poursuit l’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP) depuis sa
création fin 2006. Elle a élaboré un projet concret (ouvert au débat) d’instance de médiation
tripartite, accueilli favorablement par les participants de la journée spéciale des Assises du
journalisme le 20 janvier 2009.
Ce colloque a été organisé pour faire se rencontrer et discuter en toute ouverture, exemples
étrangers à l’appui, ceux qu’intéressent la qualité de l’information et l’exigence d’éthique. Pour faire
avancer le projet d’une instance, dont les médias français et les citoyens ont plus que jamais besoin.

En partenariat avec France-Culture

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Sommaire

Des tabous enfin levés dans la profession

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Yves Agnès, président de l’APCP, ancien rédacteur
en chef au Monde

Pourquoi plus de 100 ans de blocages ?
Denis Ruellan, professeur des universités, responsable
de la formation au journalisme à l’IUT de Lannion

Des exemples à méditer

Flip Voets : le Conseil de presse de Belgique flamande
Dominique von Burg : le Conseil de presse de Suisse
Marc-François Bernier : le Conseil de presse du Québec
Animateur : Nathalie Dollé, journaliste, membre du conseil d’administration de l’APCP

Débat général avec les intervenants et les participants du Colloque

...................... 14

Animateur : Jérôme Bouvier, président de « Journalisme et citoyenneté »,
organisateur des Assises internationales du journalisme, ancien directeur
des rédactions de RFI et France-Culture

Synthèse et conclusions

.......................

Bertrand Verfaillie, journaliste, membre du conseil
d’administration de l’APCP

2
3
Intervention de Yves Agnès :

« Des tabous enfin levés dans la profession »

Je voudrais d'abord, à titre personnel, rendre hommage à la mémoire de Georges Bourdon qui a été de 1922 à
1938, secrétaire général puis président du syndicat des journalistes, unique à l'époque. Jusqu'à sa mort, il y a
un peu plus de 70 ans, il a été le véritable organisateur de la profession ; il s'est battu et a obtenu la loi de
1935, la convention collective des journalistes en 1937, l'institution de la commission de la carte en 1936…
Ses deux leitmotiv étaient solidarité et discipline. Solidarité à l'intérieur d'une profession qui était déjà
divisée, comme elle l'est encore maintenant. Et discipline parce que ce mot recouvrait à l'époque le respect
des règles éthiques et professionnelles. Son objectif de créer une instance d'autodiscipline – que nous
préférons aujourd'hui nommer une instance d'éthique et de médiation entre la profession et le public des
médias – est toujours aujourd'hui l'objectif de l’APCP. Quelles que soient nos convictions ou nos
appartenances, je crois que nous sommes ici pour réfléchir ensemble dans cette direction.
1. La genèse
Oui, c'est aujourd'hui peut-être la fin des tabous. Commençons par une petite genèse des évolutions que nous
constatons.
Le 6 juin 2006, la commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau termine ses travaux, remet son rapport et
réclame un code de déontologie pour toute la profession. Elle le fait après de nombreux dérapages qui ont
émaillé les traitements médiatiques depuis la fin des années 1980 ; et à l'issue d'une affaire qui, après celle du
petit Grégory, a montré des médias et des journalistes particulièrement peu à cheval sur les règles
déontologiques. Ces manquements répétés à l'éthique professionnelle avaient provoqué déjà de nombreuses
réactions dans la profession, dans la société civile et les sphères politiques. Quelques brefs rappels.
4 février 1992, la Commission de la carte adopte à l'unanimité une déclaration sur « la cascade de dérapages
qui sape la crédibilité des journalistes et des médias ».
21 mars 1995, la Commission nationale consultative des droits de l'homme émet un avis sur la liberté de la
presse et la responsabilité des journalistes, elle préconise notamment l'adoption d'un code de déontologie.
27 octobre 99, le Conseil économique et social national demande la création d’une commission consultative
« média – éthique ».
Citons aussi, par exemple, les rapports gouvernementaux de Jacques Vistel en 93 et de Jean-Marie Charon en
99, qui tous deux mettent en avant la nécessité déjà ressentie par le public d'un texte de référence et d'une
instance chargée de veiller à son respect.
Six mois après le rapport de la commission « Outreau », une association se créait : l'APCP, l'Association de
préfiguration d'un conseil de presse. Elle émane de l'Alliance internationale de journalistes, réseau de
professionnels réunis pour réfléchir et agir en faveur de la responsabilité des journalistes à l'égard du public.
L'APCP comprend des journalistes et des non professionnels de l'information. Elle constate qu'il n'existe
dans notre pays, alors que la question se pose depuis 1898, ni code d'éthique reconnu par toute la profession
(éditeurs et journalistes) comme c'est le cas dans de nombreux pays étrangers, ni instance d'autorégulation
comme il en existe dans une centaine de pays dans le monde, sous le vocable internationalement reconnu de
« conseil de presse ».
Une exception toutefois : il s'est créé, fin 2007, une association d'éditeurs, FIDEO, qui, en application de la
loi de 2005 sur la protection des consommateurs d'informations boursières et financières, évite à ses
adhérents de passer sous la coupe de l'Autorité des marchés financiers. FIDEO a adopté un code de bonne
conduite qui fait référence à la seule charte existante, celle du SNJ de 1918 – 1938.

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4
L'APCP a décidé dès le départ de porter son action sur la faisabilité d'une telle instance, sur l'information et
le débat autour de la création d'une telle instance et sur le soutien à la mise en place d'un texte éthique de
référence.
2. L’action
L’APCP a d'abord mis au point un projet d'instance de médiation tripartite – éditeurs, journalistes, public –
en s'inspirant d'exemples étrangers et en l'adaptant au contexte français. Ce document a été présenté aux
Assises de 2008, mais il a été remanié depuis parce que nous pensons qu'il doit évoluer et ce colloque servira
également à cela.
Notre idée de base est que, 70 ans après la charte de 1938, qui évoque pour la première fois le fameux
« jugement des pairs » repris dans la charte européenne de Munich de 71, ce jugement n'a pas fonctionné. Il
est devenu une formule creuse, étroitement corporatiste, sans rapport avec l'objectif à atteindre, celui de
réconcilier les publics avec leurs médias et avec les journalistes. Ce jugement est de plus totalement dépassé,
à l'heure d'Internet et des demandes nouvelles de ces publics. Donc pas d'Ordre des journalistes, même si
c'est vers cela que voudraient nous entraîner certains. Une instance doit impérativement associer le public.
Nous avons aussi commencé à rencontrer des interlocuteurs privilégiés : syndicats et sociétés de journalistes,
syndicats d'éditeurs, organisations de la société civile telle que UNAF, Ligue de l'enseignement, sociétés de
lecteurs, etc. Nous avons activement participé aux Assises internationales du journalisme et aux Etats
généraux de la presse écrite et nous y avons porté le débat sur le conseil de presse, ou conseil d'éthique.
Nous avons produit et diffusé une documentation et répondu à des sollicitations (plus nombreuses depuis
quelques temps), notamment de la part d'établissements d'enseignement supérieur, d’organismes de la société
civile ou encore professionnels tels que l'Union des clubs de la presse ou encore le Syndicat national des
radios libres…
Nous avons encore lancé avec l'association Journalisme et citoyenneté un Appel en faveur du principe d'une
charte et du principe d'une instance d'éthique, qui avait déjà recueilli les signatures d'une cinquantaine de
personnalités de la presse avant les Assises du journalisme de mai 2008.
3. Quoi de neuf depuis fin 2006 ?
Premier constat : sur le front des bavures journalistiques il n'y a pas eu de répit. A titre d’exemples le CSA est
intervenu auprès de chaînes de télévision en août 2008, octobre 2008, février 2009… Le CSA, pas plus que
la Commission de la carte, n'a de prérogatives déontologiques reconnues par la loi. Mais il s'est forgé une
doctrine et une pratique au cours de ces dernières années, autour de la notion d'honnêteté de l'information, et
il intervient de plus en plus fréquemment maintenant parce qu'un certain nombre de règles sont inscrites dans
le cahier des charges des chaînes publiques ou privées. Et c'est au titre de ces cahiers des charges qu'il fait ses
rappels à l'ordre.
Mais la presse écrite n'est pas en reste (le Nouvel Obs), la radio non plus (Elkabbach) et Internet de même…
Tandis qu'en juin 2008 sur France 2 François Fillon déclare que les médias français doivent s'interroger sur
« l'éthique de leur métier » et qu'ils n'ont « plus grand chose à envier aux tabloïds anglo-saxons ». Bigre !
Deuxième constat. De nombreux livres venant de journalistes ou d'observateurs ont été publiés ces dernières
années : citons La trahison des médias de Pierre Servent (2007), Les journalistes et leurs publics : le grand
malentendu de Jean-Marie Charon (2007), Média-paranoïa de Laurent Joffrin (2009), Journalistes à la
niche ? de Bruno Masure (2009), Les journalistes français sont-ils si mauvais ? de François Dufour (2009).
Certains évoquent la question de l'instance d'éthique, d'autres préconisent une telle instance.
Troisième constat. L'évolution des organisations de journalistes : trois des syndicats ont beaucoup évolué sur

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les questions d'éthique, de qualité de l'information, de déontologie professionnelle. Le SNJ d'abord qui a
adopté à son congrès d'octobre 2008 une résolution importante souhaitant notamment que les compétences
de la Commission de la carte soient étendues à la dimension éthique de la pratique journalistique. Le SNJ
renoue ainsi avec ses débuts quand dès sa création en 1918 il adopte la fameuse première charte des
journalistes : « un journaliste digne de ce nom, etc », dont Bourdon était déjà le rédacteur avec Vautel.
L'USJ-CFDT, de son côté, lors de ses toutes récentes assises en mai 2009, s'est aussi saisie de la question :
elle préconise le développement de la médiation, elle veut mettre en place elle- même un « observatoire des
pratiques professionnelles de la presse ». La CFTC est attentive aussi ; pour les autres syndicats de
journalistes, ils sont soit absents du débat soit hostile comme la CGT. Quant au Forum des sociétés de
journalistes, il n'est pas hostile à une telle instance même si ce n'est pas son combat prioritaire puisqu'il se bat
d’abord pour la reconnaissance juridique des équipes rédactionnelles.
Quatrième fait marquant. Les syndicats patronaux sont plus ouverts que par le passé. Ils ne montraient pas
une attention particulière à ces questions de déontologie et de pratiques professionnelles, ni à l'égard des
publics. Toutefois, trois organisations professionnelles se sont distinguées. Le SPQR, dont la commission de
l'information avait déjà travaillé sur les bonnes pratiques avec un texte de référence mis au point pour ses
adhérents, puis plus récemment sur la création de postes de médiateurs. La Fédération française des agences
de presse s'est engagée en faveur d'une charte déontologique nationale et d'une instance nationale d'éthique et
de qualité de l'information et elle a réitéré cet engagement. Le Syndicat national des radios libres a fait de
même et a confirmé ce choix lors de son congrès de novembre 2008.
4. Les Etats généraux comme déclencheur
On peut noter, surtout depuis les Etats généraux de la presse écrite, une plus grande ouverture, une capacité
accrue au dialogue dans ces diverses organisations patronales et en particulier parmi celles qui n'étaient pas
branchées sur ce type de problème. Si la mise en oeuvre de la recommandation de ces Etats généraux d'une
charte nationale de référence est considérée par ces organisations, et à juste titre, comme prioritaire, le sujet
« instance d'éthique et de médiation » connaît moins de réactions hostiles et péremptoires qu'il y a seulement
deux ans. Cette évolution des mentalités se note chez les éditeurs comme chez les journalistes.
Je crois que les Etats généraux ont été en fait un déclencheur. Ils ont permis de faire avancer nombre d'idées
et de propositions concrètes en matière de déontologie et de qualité de l'information. Depuis ces discussions,
on n'ose plus nous jeter à la figure « on ne veut pas d'ordre des journalistes ». Que chacun se rassure, nous les
premiers !
Mais les tabous ont été levés. De plus en plus nombreux sont ceux qui pensent qu'il faut faire quelque chose,
que la crise de confiance et de crédibilité envers les médias et les journalistes, ressassée chaque mois de
janvier par le baromètre La Croix-SOFRES, impose de se ressaisir et de prendre enfin les mesures
appropriées. C'est-à-dire un véritable dispositif déontologique qui comprenne une charte nationale bien sûr,
mais qui soit aussi couronné par une instance chargée par la profession, et avec le public, de veiller à cette
qualité de l’information.
Notre sentiment est qu'il n'y a pas d'exercice de la liberté d'informer, et nous le voulons total, sans une
responsabilité individuelle et collective. Donc sans une instance de médiation pouvant accueillir les
observations et les critiques du public.
Notre colloque se tient après plus d'un siècle de pratiques pas toujours vertueuses où médias et journalistes
ont souvent ignoré un droit que nous devrions faire inscrire dans la Constitution française : celui du public à
disposer d'une information de qualité pour exercer avec toutes les capacités son rôle de citoyen. Essayons de
réfléchir ensemble, en attendant ce temps, à ce que nous pouvons déjà créer par nous-mêmes, afin de
redonner au public la confiance dans ses médias et de redonner aux éditeurs et aux journalistes une fierté
renouvelée d'être au service de l'information et de la démocratie.

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Intervention de Denis Ruellan professeur des universités, responsable
de la formation au journalisme à l’IUT de Lannion

« Pourquoi plus de 100 ans de blocages ? »
La demande qui m’a été faite par le comité organisateur de ce colloque est de tenter d’éclairer cette
question : Pourquoi plus 100 ans de blocages ? dans l’élaboration de dispositifs et de procédures qui
viendraient placer la déontologie plus au centre de la régulation des rapports professionnels et sociaux
qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Pour répondre à cette demande, je me propose d’exposer ce que je crois être la place du discours sur la
morale professionnelle dans la construction de l’identité collective des journalistes.
Comme tout métier, l’exercice au quotidien du journalisme implique le réglage de relations avec trois
instances :
- les destinataires, clients, publics
- les fournisseurs, mandants, sources,
- les collègues, concurrents, pairs
Tout praticien d’un métier règle ses relations avec ces instances en référence à trois cadres :
- les routines de travail
- les lois et les règlements
- les représentations de soi (individuelles et collectives)
Autrement dit, par exemple, un journaliste établit sa relation à une source dans un cadre légal qu’il se doit de
respecter (ne pas diffamer), en reproduisant des habitudes de travail sédimentées par le collectif et l’histoire
(ne pas accepter de contrepartie), sans déroger à l’idée personnelle et partagée sur ce qu’il doit être et faire
(maintenir la distance tout en restant au contact).
La représentation passe pour l’essentiel par un discours : sur soi, sur les autres, sur les relations à l’altérité.
Chez les journalistes, ce discours a considérablement investi le champ de la morale professionnelle, plus que
tout autre (par exemple le rôle social, l’apport démocratique, la compétence, la technique).
La technique a été, un temps (à partir des années 60), un argument dont se sont saisi les journalistes pour
légitimer leur autonomie et leur expertise propre de généralistes de l’information. Fut une époque récente où
les journalistes, en compétition avec les experts de toutes les spécialités qui envahissaient l’univers
médiatique (les news magazines, la télévision), ont fait valoir que le journalisme était une pratique normée,
basée sur des techniques et des technologies, qui garantissaient l’objectivité de la démarche et du résultat, et
que tout le monde ne pouvait pas posséder. Mais ce discours est largement enfoncé avec l’avènement de
l’internet.
Reste la déontologie, qui est le fil d’Ariane du discours identitaire des journalistes français, depuis le 19e,
depuis les premières associations (1879) et les congrès internationaux (fin 19e), et qui traverse tous les
épisodes de la construction identitaire des journalistes. Pourquoi cette importance ? J’ai cru un temps que les
journalistes tentaient, tel Sisyphe, de remonter éternellement le crédit de leur métier, de laver sans fin une
salissure originelle qu’on lit tant dans les mots de ceux qui ne les aiment pas, sans doute parce qu’ils leur
ressemblent trop. Oui, les journalistes ont désespérément voulu être reconnus, aimés, respectés, notabilisés.
Et ils y sont parvenus, et cet inlassable effort pour remonter l’estime du métier au sommet des valeurs
sociales aurait dû cesser.
Faisons l’hypothèse d’une autre raison : prendre la déontologie comme un discours sur soi, dont le rôle est de
parler de soi pour régler les relations avec autrui, ces relations étant intrinsèques, donc permanentes, et

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néanmoins changeantes. Prendre alors la déontologie pour le discours que les journalistes tiennent sur euxmêmes et par lequel ils disent ce qu’ils sont et en quoi ils sont différents ; en quoi les autres ne peuvent
prétendre être ce qu’ils sont, des journalistes.
Cette démarche nous conduit à tisser la toile de l’histoire sur cette trame du discours de la déontologie. À
grands pas, elle dessine cinq périodes :
1 - De 1830 à 1918, l’émergence d’un groupe professionnel, qui se met à croître par l’invention d’une
nouvelle activité, la presse d’information dont l’existence est confirmée par le journal populaire à fort tirage.
Le nombre de journalistes permet de se rassembler, de façon informelle puis en associations, tout d’abord
plus politiques, puis fondées sur des divisions catégorielles. Patrons de presse, journalistes, écrivains,
politiques, amateurs, tout fait bois pour ces cercles de sociabilité dont l’objectif est non seulement de se
reconnaître et de partager les soucis d’une « grande famille », mais d’être reconnus par la société, par le
public. La grande préoccupation des gens de presse de l’époque est d’atteindre une notabilité, refusée à ce
métier qui n’est encore reconnu que par défaut. Rehausser le crédit de la profession en train de naître, voilà
l’objectif des association, qui serrent les rangs sans préoccupation de classe. Et dans ce combat, la
déontologie est l’argument principal : au public, on dit que l’on est (ou sera) respectable parce qu’on a une
morale, celle-ci étant la mesure par laquelle on accepte(ra) ou pas d’exercer le métier. Dès la fin du siècle, le
discours déontologique croise celui de la sélection, de l’exclusion, donc de l’identité. Première étape, où l’on
voit que la déontologie sert à fixer les relations au(x) public(s), et au passage implique une régulation des
pairs.
2 - De 1918 à 1940, c’est le temps du syndicalisme, des combats revendicatifs, du coup de poing même si les
organisations demeurent très conciliatrices. La crise consécutive à la guerre a raréfié les emplois et la
concurrence structure les arguments d’exclusion de ceux que l’on va bientôt (avec la loi de 1935) ne plus
considérer comme des journalistes, mais comme ceux qu’ils sont par ailleurs : des écrivains, des politiques,
des avocats, et toute une foule de professeurs, de fonctionnaires, de commerçants, de curés. Ils donnent et
vendent à la presse des articles et des informations, et prennent ainsi des emplois aux journalistes salariés. À
cette époque ainsi, la déontologie fut mobilisée en discours, pour séparer le bon grain de l’ivraie, pour dire
qu’il est de légitimes journalistes et par ailleurs des usurpateurs de titre et de fonction. La déontologie servit
alors à régler les relations entre pairs. « Un journaliste digne de ce nom… », ce n’est pas sans raison que le
principal syndicat fut créé par ces mots qui par la déontologie disent le journalisme et les journalistes.
3 - Après-guerre et jusqu’aux années 70, se joua une autre confrontation, qui pour partie fut abordée entredeux guerres, mais qui n’avait pas été au bout. En renonçant à faire inscrire dans la loi des principes
déontologiques (c’est en effet le sens de l’abandon du projet d’ordre professionnel dont on parla longtemps),
les journalistes avaient remis à plus tard leur ambition de réguler eux-mêmes l’accès à la profession, et
singulièrement l’exclusion des pratiques immorales. Pour partie, la question fut réglée par la clause de
conscience qui permit au journaliste d’exercer son droit à la vertu contre son employeur. Mais demeuraient
toutes les situations où des journalistes s’accordaient avec leur patron pour ne pas respecter la morale.
Puisque la loi ne réglait pas ce cas, restait le rapport de force au sein de l’entreprise. C’est tout de sens des
sociétés de rédacteurs qui tentent d’imposer, de l’intérieur, un pouvoir collectif des salariés sur la nature du
journalisme et la manière de l’exercer. Après avoir assis le journaliste comme un salarié (loi de 1935), les
journalistes s’efforcent de conserver l’autonomie que confère leur autre identité, celle d’auteur. L’aventure
des sociétés de rédacteurs (qui continue avec la revendication de la reconnaissance juridique des équipes
rédactionnelles) est la troisième étape de la mise à contribution du discours de la déontologie pour le réglage
d’une relation fondamentale, celle à l’employeur, mi pair mi source, relatif confrère car aussi mandant.
4 - Si la période précédente fut celle de l’affrontement interne, la suivante, durant les années 80 et 90, fut
celle de la dispute externe. C’est le temps du solde de la définition d’un périmètre de travail et d’autorité
distinct de la communication. Pendant longtemps, tant que les activités de relation publique demeuraient
marginales en volume et en importance sociale, le journalisme s’établissait de fait sur ce territoire (la presse
politique partisane en était une illustration). Avec leur développement, à partir des années 70, la distinction
fut nécessaire, et commença alors une compétition symbolique entre les journalistes, profession ancienne et
sûre de son fait, sans doute fragilisée de cette certitude, et les communicants, bien formés et ambitieux d’être
reconnus. La période fut à l’anathème (les discours sur l’immoralité des communicants furent légion, ils

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mettaient en lumière par conséquent la culture déontologique des journalistes). La période fut le temps du
réglage des relations avec les sources : les journalistes apprirent à travailler dans des modalités nouvelles
(qu’ils condamnaient parce qu’elles réduisent leur autonomie) et s’attachèrent à maintenir leur identité
(notamment par le travail constant d’arbitrage de la commission de la carte).
5 - L’histoire pourrait s’arrêter là, les journalistes ayant réglé les relations avec leurs partenaires naturels.
Mais l’on vit alors que l’un des piliers du triptyque fondamental s’effritait, rouillé par les années
d’inattention et de manque d’intérêt. Depuis 1990, les publics, les récepteurs ont semblé manifester une
attitude paradoxale : du désamour et de l’envie. Le désamour s’est exprimée par la fréquence des critiques à
l’égard des journalistes (leurs manques de rigueur et d’indépendance), et par la désaffection à l’égard des
supports généralistes d’information. L’envie se manifesta par la pratique de plus en plus partagée d’un
journalisme non professionnel ; cela commença par la presse alternative, puis les radios associatives, la vidéo
légère et les télévisions hyperlocales, et plus récemment par le bloging. A ces pratiques, les journalistes ont
répondu par leur discours professionnaliste : tout le monde peut pratiquer le journalisme, mais tout le monde
ne peut pas l’être, la distinction tient dans la compétence et dans la morale professionnelle. Mais l’inquiétude
les a gagnés quand les employeurs accrurent leur pression pour que le marketing (ce qui est la mesure des
attentes des publics) devienne l’instrument par lequel se feraient les choix éditoriaux. Le public, allié des
journalistes au nom duquel ils fondaient leur identité depuis le 19e, était passé du côté des éditeurs qui
prétendent ajuster leur offre au désir de chacun des lecteurs. Et les employeurs sont allés jusqu’à se saisir de
l’objet transactionnel de cette relation au récepteur, les codes de déontologie. Il n’a échappé à personne que
les chartes morales d’entreprise, qui s’imposent aux journalistes sans qu’ils puissent les maîtriser, sont la
manière pour les employeurs de retisser le lien distendu avec les publics, et d’en maîtriser aussi l’éventuelle
concurrence.
Alors finalement, pourquoi plus de 100 ans de blocages dans l’élaboration de dispositifs et de procédures qui
placeraient la déontologie plus au centre de la régulation des rapports professionnels et sociaux qu’elle ne
l’est aujourd’hui ?
Deux réponses :
La première, je l’ai argumentée, la déontologie est le support essentiel d’un discours identitaire, le discours
par lequel les journalistes tissent le motif des différences avec autrui, avec les patrons, avec les amateurs,
avec les communicants, avec le public. La déontologie n’est pas la loi, elle ne tranche pas, elle sert à ajuster
des relations sociales, à définir qui on est et qui on ne veut pas être, à construire l’espace de son existence
relativement aux autres.
Ce qui m’amène à la seconde, qui est qu’il n’y a aucun blocage. La déontologie joue son rôle de langage qui
permet de parler. Les journalistes s’en saisissent constamment. Parfois intensément, parfois mollement. Ce
qui se joue sans doute ici, aujourd’hui et depuis quelques temps en France avec l’initiative de l’APCP, c’est
le débat sur la nécessité ou non de cesser ces réglages séparés, et l’utilité ou non de créer un espace tel qu’il
n’en a jamais vraiment existé, qui rassemblerait journalistes, employeurs, sources, publics, non
professionnels dans une vaste confrontation, un vaste débat dont l’objet serait de régler simultanément
plusieurs pans relationnels. Qui du coup ne concerneraient pas que les relations des journalistes avec les
autres instances, mais aussi les rapports entre éditeurs et sources, journalistes et non professionnels, publics
et éditeurs. C’est là un changement notable que cette confrontation tous azimuts, sur laquelle effectivement il
y a blocage actuellement.
Blocage en ce sens que les journalistes ne se sont pas saisi de la déontologie pour discuter avec les instances
partenaires, mais pour s’affirmer vis à vis d’elles, pour construire leur identité en partie contre elles.
Dépasser le blocage serait de considérer la déontologie comme un objet commun, véhiculaire entre tous, et
non identitaire pour le seul groupe des journalistes.
Blocage en ce sens que certaines relations bilatérales n’existent pas, et confronter toutes les instances ce
serait forcer la création de discussions inédites : par exemple, entre les éditeurs et les publics, ou entre les
journalistes et les sources (et leurs acteurs majeurs que sont les communicants).

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Interventions de :
Flip Voets, du Conseil de presse de Belgique flamande,
Marc-François Bernier, universitaire québécois
Dominique von Burg, du Conseil de presse suisse

« Mieux connaître les Conseils de presse »

Discussion animée par Nathalie Dollé (APCP)
1. Les fondamentaux : quand, comment et qui ?
Suisse. Naissance du Conseil dans les années 70 après l’apparition du code de déontologie rédigé par le
syndicat des journalistes d'alors. Une fondation réunit les organisations qui l’ont créé, les trois syndicats
actuels de journalistes, l’association des rédacteurs en chef, la radio-télévision publique et les organisations
d'éditeurs. Composition : 21 membres, dont 15 journalistes et 6 représentants du public.
Belgique flamande. Naissance suite en 2002 à un accord conclu entre éditeurs et journalistes. Dans les
années 90, il existait un Conseil de déontologie qui livrait ses opinions sur des problèmes de journalistes.
« L’affaire Dutroux » a incité les éditeurs à se joindre aux journalistes pour fonder un Conseil de presse.
Composition : 18 membres (6 journalistes, 6 représentants des éditeurs et des directions de médias, 6
représentants du public + des experts + Flip Voets en tant que secrétaire (général ?) et médiateur).
En 2009, un accord a été obtenu pour la Belgique francophone. Le Conseil va exister dans quelques mois.
Les deux conseils coopéreront ensuite.
Québec. Naissance en 1973, devant la menace d'intervention des gouvernements, à la suite précisément
d'une commission d'enquête sur la concentration de la presse. Il est une réaction et non une initiative des
médias. Il entend les plaintes du public et enquête (plus de 2000 plaintes instruites depuis 1973).
Initialement, il y avait trois parties : éditeurs (presse écrite et radio), journalistes et public. Mais au comité où
se prenaient les décisions sur le comportement des journalistes, les éditeurs représentaient les 2/3 des votes.
Depuis quelques années, il y a parité : moitié de représentants du public et moitié d’éditeurs et de
journalistes.
2. Financement
Suisse. Budget de 100 000 €, annuels provenant des associations membres de la fondation du Conseil.
Aucune intervention étatique.
Belgique flamande. Budget de 160 000 € par an. Sources : le budget vient à parts égales des médias
(audiovisuel, presse écrite), qui paient chacun une contribution selon le nombre de journalistes employés, et
de l'unique syndicat des journalistes qui, lui, reçoit des subventions publiques.
Québec. Budget annuel de 300 000 €, provenant essentiellement d'une fondation. Le gouvernement du
Québec avait déposé un capital et la fondation vivait des intérêts. Aujourd’hui, ça ne suffit plus. Une part
provient aussi des entreprises de presse, sur une base volontaire, et des associations de journalistes (de façon
marginale).
3. Mode de saisine et traitement des litiges
Suisse. Tout citoyen peut le saisir pour violation du code de déontologie, sans être forcément touché par le

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sujet, y compris les journalistes, qui ne s'en privent pas. La présidence du Conseil donne ou pas suite aux
plaintes, attribuées ensuite à une des chambres composant le Conseil (francophone, germanophone et une
italo-germanophone). Depuis le début des années 2000, le nombre de plaintes a crû et se situe autour de 110
à 120 par an. Des associations comme des particuliers déposent des plaintes. Les chambres rédigent les avis,
qui sont soumis à l'ensemble du Conseil. Si deux membres s'opposent à un avis, il est discuté en séance
plénière (c'est très rare). Sinon, au bout de 10 jours, l'avis est publié. Le mode de sanction est la publication
des avis. Depuis un an, il y a obligation morale pour les éditeurs concernés de publier au moins un résumé
des avis qui les concernent.
Pas d’activité de médiation directe.
Belgique flamande. Missions : faire de la médiation entre les médias et le public + instruction de plaintes.
On distingue les demandes d'information (100 à 150 par an) et les demandes d'intervention ou les plaintes
(40 plaintes par an). Tout citoyen peut demander une information sans avoir un intérêt particulier. Pour une
plainte ou une demande d'intervention, il faut être directement concerné (une personne ou un groupe
d'individus).
Quand une plainte arrive, une solution à l'amiable est d’abord recherchée. Dans certain cas une discussion
s'engage et on trouve une solution qui convient au plaignant (30 à 35% des cas) : soit un nouvel article ou
une interview, soit des excuses sont présentées (en cas de violation de vie privée par exemple) par une lettre
du rédacteur en chef. Peu de plaignants veulent de l'argent ou des excuses publiques. Très souvent, le fait
d’être écouté et de se voir expliquer le problème suffit. Si aucun accord amiable n’est trouvé, ou s'il s'agit
d'un cas de principe, l'affaire est portée devant le Conseil qui créera alors une chambre de 3 membres (1
éditeur, 1 journaliste et 1 membre du public) pour examiner le dossier. Une audience permet de décider si la
plainte est fondée (moitié des plaintes). La décision est rendue publique sur le site Internet et dans le mensuel
Le journaliste , lu par toute la profession. Dans certains cas graves, on demande au journal concerné de
publier l'avis.
Québec. Le processus est ouvert à tous, gratuit et assez rapide. D’abord une recherche de médiation. Le cas
échéant, étude rapide pour voir si la plainte s'inscrit dans un cas de faute très claire et déjà vue : on peut alors
donner rapidement une décision. En cas d'insatisfaction, le plaignant peut s'adresser au « comité d'éthique »
appelé aussi « comité des plaintes ». Y siègent à parité des représentants des trois parties. Le Conseil envoie
d’abord la plainte au média concerné, qui doit fournir une réponse au plaignant et au Conseil. Échanges de
courrier avant que le comité se penche sur la plainte. Il doit rendre sa décision dans les six mois suivants. Il y
a une procédure d'appel. Particularité : les commissions sont anonymes.
4. Cas d’auto-saisine des Conseils
Les trois Conseils de presse ont une faculté d’auto-saisine.
Suisse. Ce n’est pas très fréquent. Il y a eu des cas retentissants qui demandaient une clarification dans la
profession. Récemment, la police a fait une conférence de presse reprise en direct et révélant alors le nom et
la photo du présumé criminel. Les médias ont réagi différemment. Le CP a voulu s’emparer de ce cas.
Résultat : le fait que les autorités donnent une info qui viole la protection de la personnalité n'est pas une
raison suffisante pour les médias de publier. Les médias ne peuvent pas faire l'économie de leur propre
réflexion déontologique.
Belgique flamande. Faculté encore inutilisée pour un cas particulier, mais elle est utilisée à propos de
tendances générales. Exemple : la généralisation de programmes avec caméra cachée. Le Conseil a dit que ça
allait trop loin et qu'il fallait remplir certaines conditions pour
faire usage d’une caméra cachée. Attention, le Conseil est une association de tous les médias, il serait
dangereux de prendre le cas d'un média qui se sentirait très vite visé. On préfère quand même attendre une
plainte pour déclencher ce genre de réflexion.
Québec. Auto-saisine sur de grands phénomènes. Exemple : le Conseil a fait une tournée des régions pour
s'intéresser à la qualité de l'information. Les publics rencontrés ont été tellement critiques que lorsque le

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rapport a été publié, certains médias ont menacé de quitter le Conseil et de ne plus participer à son budget.
C’est un risque constant.
5. Comment sont rédigés et publiés les avis ?
Suisse. Les avis sont découpés en trois parties : les faits, les « considérants » et les conclusions. La
publication est exhaustive sur le site du Conseil, et on en fait un communiqué repris plus ou moins par les
médias. La publication par le média concerné n'est pas une obligation, il relève d'un « compte-rendu
loyal des prises de position du Conseil ». C’est inscrit dans la charte déontologique : une personne qui aurait
été concernée par une affaire pourrait saisir le Conseil en violation du code déontologique si le média n'a pas
publié les conclusions. Ce n'est pas encore arrivé. L’important est de faire avancer la doctrine déontologique,
pas de viser un journaliste. Le Conseil considère que le média ou le rédacteur en chef est responsable. Dans
l’absolu, un journaliste pourrait saisir le Conseil s'il estime que son article a été fait dans de telles conditions
qu'il n'a pas pu réaliser un bon travail.
Belgique flamande. L’avis est une sanction morale. On ne veut pas mettre à l’amende ou retirer la carte de
presse. Le but principal n’est pas de viser un média ou un journaliste particulier, mais de profiter d'un cas
concret pour expliquer les règles de déontologie. Nous essayons d’être pédagogique, de rapporter les
différents points de vue et d'expliquer ce qui ne convenait pas en regard des règles du journalisme.
Québec. C'est un peu différent. D’une part, il y a des décisions prises sur les plaintes. D’autre part, il y a des
avis plus généraux lors des grands problèmes (cas des caméras cachés et autres procédés clandestins), qui
sont ensuite publiés sur le site Internet. Quand la plainte vise un individu, le Conseil a le choix entre trois
options : rejeter la plainte, l’accepter et mettre un blâme, l’accepter et émettre un reproche (grief). Ces
sanctions morales sont censés être diffusés par les médias dans leurs pages, mais ils ne le font presque
jamais, car tout repose sur leur bonne volonté. Ils ne publient jamais les décisions qui les concernent ou s'ils
les publient c'est très loin et en petits caractères. Parfois, ils publient les décisions concernant leurs
concurrents. C'est une sorte d'équilibre où tout le monde se surveille.
6. Un conseil pour soutenir la qualité de l’information
Nathalie Dollé : Le Conseil ne doit-il pas soutenir la qualité de l'information et aider les journalistes à
fabriquer une info de qualité ? Des journalistes français craignent qu’un Conseil de presse soit un tribunal
des journalistes.
Dominique von Burg. Selon une étude effectuée en Suisse auprès des journalistes, ils sont une grande
majorité à reconnaître l'autorité morale du Conseil, qui constitue une boussole déontologique dans un monde
très évolutif. À mon sens, ceux qui craignent ou méprisent le plus le Conseil sont les rédacteurs en chef.
Marc-François Bernier. Au Québec, des journalistes se sont servi du Conseil pour dénoncer leur employeur
et les conditions dans lesquelles ils travaillaient. Un média qui obligeait ses journalistes à faire une
couverture excessive de certaines émissions de son groupe, à faire la promotion de ses émissions de
divertissement, a ainsi été épinglé.
Flip Voets. Une anecdote en Flandres : nous avons eu deux plaintes successives pour le même article. Il n'y
avait pas de problème dans le papier. La faute était dans le titre, très sensationnel, qui ne correspondait pas à
l'article. Le Conseil en a fait le reproche à la rédaction en chef.
7. Du pouvoir réel des Conseils
Nathalie Dollé. Avez-vous le pouvoir ou du moins le sentiment de pouvoir intervenir pour que les cas
problématiques ne se reproduisent pas ?

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Flips Voets. L'autorégulation part du principe que tout repose sur la coopération volontaire des différents
acteurs. Dans l’anecdote évoquée précédemment, il a fallu deux fois pour faire comprendre que le titre devait
correspondre au contenu de l'article. Si tel n’est pas le cas, le journaliste peut avoir de vraies difficultés avec
ses sources.
Dominique von Burg. L'effet peut-être le plus important du Conseil est de couper toute velléité du monde
politique d'intervenir sur le contenu des médias. Le Conseil a bataillé contre les syndicats de journalistes
pour que les éditeurs rejoignent le conseil de fondation. Il fallait élargir la base pour éviter le contrôle
extérieur de l'Etat.
Marc-François Bernier. Historiquement, les journalistes québécois avaient peur des politiques, donc ils se
sont dotés de mécanismes d'autorégulation. La jurisprudence en matière de diffamation doit déterminer s’il y
a faute professionnelle. Quand il y a faute, le juge peut se référer au Conseil et le juge est plus à l’aise pour
rendre sa décision. Résultat : les entreprises de presse menacent encore de le quitter car elles ne veulent pas
que le Conseil prenne des décisions aussi « impliquantes ». Elles préfèreraient qu’il soit un observatoire
général des médias.
Flip Voets : la Cour européenne des droits de l’homme ( à Strasbourg) a déjà dit plusieurs fois que les
journalistes jouissent d'une grande liberté que les Etats doivent protéger, à condition que les journalistes
fassent leur travail d'une façon éthique et déontologique. Il est donc préférable que la déontologie soit
formulée par les Conseils plutôt que par les juges. Certes, le risque est que certaines décisions du Conseil
soient utilisées pour demander une compensation au tribunal -c'est déjà arrivé deux fois-, mais on a constaté
une diminution des affaires judiciaires contre la presse, trois ans après la création du Conseil en Belgique. À
l’inverse, en offrant la médiation, on évite l’engorgement des tribunaux et le coût des procès.
Dominique von Burg. En Suisse, à chaque plainte déposée, on demande au plaignant s'il a l'intention de se
pourvoir en justice. Si oui, le Conseil n’intervient qu’à deux conditions cumulatives : il doit avoir la
conviction que son avis ne pourra pas être mal utilisé devant le tribunal et la question doit avoir une certaine
importance sur le plan déontologique.
Marc-François Bernier. Au Québec, le Conseil a étudié plusieurs années de dossiers qui allaient aussi
devant les tribunaux. Aujourd’hui, la personne doit s'engager à ne pas aller devant les tribunaux.
Réciproquement, s’il dépose un recours en justice, il ne doit pas déposer une plainte auprès du Conseil.
Flip Voets. Notre organisation est assez nouvelle et nous n'avons pas encore l'autorité nécessaire pour
pouvoir demander cela au public. Nous pensons que d'aller en justice est un doit fondamental. Mais sur les
100 décisions prises jusqu'à présent, seuls 2 avis ont été utilisés par la justice.
Marc-François Bernier. Au Québec, l'inquiétude n'est pas que les tribunaux se servent des avis du Conseil –
le juge regarde surtout le guide de déontologie des journalistes professionnels et les normes et pratiques en
vigueur à Radio Canada – mais que le Conseil interprète le texte et fasse donc le travail du juge. Le juge sera
plus à l'aise pour condamner un média s'il est soutenu moralement par le Conseil.
8. Les textes de référence
Suisse. La Charte nationale et trilingue des droits et devoirs du journaliste + des directives précisant les
points de cette charte. La fondation peut la réviser à une majorité des trois quarts. Aucune partie (éditeurs,
journalistes ou public) ne peut imposer seule un changement. Les directives – textes plus changeants et plus
pratiques – sont modifiées par le Conseil lui-même.
Belgique flamande. Nous avons commencé avec le code de déontologie journalistique de 1982. Depuis, le
Conseil a rédigé 5 ou 6 directives à propos de problèmes concrets. Actuellement, un nouveau code est en
cours de réécriture, il abordera les questions liées à Internet. Il devra être adopté par la fondation dans

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laquelle sont représentés le syndicat et les éditeurs.
Québec. Le texte, évolutif, s'appelle « Droits et responsabilités de la presse ». Il a pour vocation de défendre
la liberté de la presse et de définir les responsabilités de la presse. La première version date de 1973, la
deuxième des années 80, la troisième de 2003. Une nouvelle version est en cours de rédaction à la Fédération
professionnelle des journalistes du Québec, association non syndicale dans laquelle on trouve des syndiqués,
des indépendants et des patrons. Cette fédération avait élaboré son propre guide de déontologie en 1996, puis
créé des comités dans les régions pour lui donner une légitimité. Aujourd’hui, la fédération et le Conseil se
rapprochent pour aboutir à un texte unique de référence.
9. Comment désigne-t-on les représentants du public ?
Suisse. Les représentants du public sont des membres de plein droit, comme les journalistes. Parmi les 7
personnes par chambre, 5 sont journalistes et 2 représentent le public. La fondation désigne tout le monde, il
n'y a pas de règle spéciale, il n'y a pas d'associations qui doivent être représentées. Pourtant, depuis cette
année, nous avons voulu ouvrir davantage les délibérations des chambres. Certains membres craignant pour
leur liberté de parole, l’ouverture se limite pour l’instant à de jeunes journalistes à des fins de formation.
Comme les expériences sont très positives, je suppose qu’on ouvrira totalement les délibérations au public
d’ici à 2011.
Belgique flamande. La fondation nomme les 6 membres extérieurs à la profession, qui ont évidemment les
mêmes droits que les autres. Parmi ces 6 membres il y a deux juges, deux professeurs de communication ou
de journalisme et deux personnes représentatives d'organisations du public : une est issue d'un syndicat et
l'autre d'une association de victimes. On voudrait réfléchir à des candidatures publiques (ce que fait le
Conseil de presse anglais), mais on craint les influences politiques. On associe le public au cours de la
médiation : nous avons des contacts très réguliers avec des lecteurs, auditeurs, téléspectateurs. On réussit
parfois à rétablir un lien de confiance qui a été rompu avec les médias.
Québec. Les patrons des médias choisissent leurs représentants, les journalistes sont désignés par un vote de
l'assemblée annuelle du congrès de la fédération des journalistes du Québec. À cette occasion, le Conseil
diffuse une annonce publique pour pourvoir les postes du public. Il y a une élection. Problème : il n'y a pas
beaucoup de candidats. Souvent, le quorum n'est pas atteint. Mais des personnes, souvent retraitées,
s’intéressent aux médias et siègent bénévolement au Conseil.

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Débat général
animé par Jérôme Bouvier , journaliste, Président de Journalisme et Citoyenneté
Quels médias concernés ?
Patrick Eveno, historien, spécialiste de la presse : Vos CP s'intéressent-ils à tous les organes de presse, ou
seulement à ceux qui font de l'info générale ou encore, à ceux qui comptent des journalistes ?
Dominique von Burg : En Suisse, la presse écrite, la radio et la télévision sont partie prenante du CP. Les
radios et télévisions privées ne sont pas encore représentées au sein de notre CP. Mais nous traitons des
plaintes contre ces médias et ils l'acceptent. Notre autorité morale et notre légitimité sont reconnues. Notre
champ de compétence est celui de l'information générale, considérée de manière très large, incluant par
exemple la presse people.
Flip Voets : Notre critère de compétence est : le journalisme. Pas le journaliste mais le journalisme. Ce qui
nous amène à traiter de plaintes contre des sites Internet qui font du journalisme régional ou local, sans
personnel professionnel. Le syndicat de journalistes belges, qui représente plus de 80% des professionnels,
fait partie de nos fondateurs, tout comme les associations d'éditeurs de journaux, de magazines et hebdos, les
télévisions privées, les télévisions régionales. Depuis 2004, la radiotélévision publique est aussi membre de
notre conseil.
Marc-François Bernier : Tous ceux qui prétendent faire du journalisme au Québec, individus, organisations,
médias traditionnels ou nouveaux, entrent dans le champ de compétences du CP. Il y a quelques mois, les
radiodiffuseurs privés du Québec ont quitté le CP parce qu'ils sont également soumis à un organisme de
régulation fédéral canadien. Nous leur avons dit que nous continuerions à traiter les plaintes les concernant.
Ils nous ont répondu qu'ils ne collaboreraient pas. Ca va poser un réel problème de légitimité.
Quel financement ? Faut-il faire appel au législateur ?
Jacques Morandat, directeur de la Fédération française des agences de presse, membre de l'APCP : En
France, ne pourrait-on pas proposer un financement du CP par l'Etat, décidé par la loi ? Ainsi d'éventuels
retraits des éditeurs ne paralyseraient pas le système... Ce n'est pas un modèle intellectuellement idéal mais
c'est un modèle pratique.
Jacques Trentesaux, journaliste à « L'Express » : Je ne vois pas comment aboutir en dehors d'une prise de
décision législative. Le fonctionnement d'un CP peut être paritaire mais l'impulsion devrait venir de l'Etat. Il
s'agit quand même d'une question d'intérêt général et de service public… Et puis le contexte actuel est
particulièrement plombé, tant pour les entreprises de presse que pour les journalistes…
Marc-François Bernier : S'il y a bien une erreur à éviter, c'est de laisser la question du financement à des
gens qui vont faire peser le risque d'un retrait du CP. Idéalement, il faut un financement garanti à long terme,
sur cinq à huit ans. Si les entreprises privées refusent d'assumer leur part de responsabilité, c'est à l'Etat de
l'assurer. Cet argent public doit provenir de programmes normés et non, évidemment, être le fait du prince.
Flip Voets : Nos ressources proviennent pour moitié des éditeurs et pour moitié de l'union des journalistes,
qui reçoit des subsides du gouvernement. Du côté belge francophone, qui va adopter un modèle identique au
nôtre, il y a eu intervention du législateur parce que des grands médias étaient réticents. Le Parlement de la
Communauté française a voté un décret de reconnaissance d'une instance d'autorégulation. Et la condition
pour obtenir des subsides publics en tant que média est de faire partie de cette instance.
Dominique von Burg : En Suisse, nous estimons que les subsides de l'Etat ne sont pas la meilleure garantie
d'indépendance. Nous n'en avons pas et nous n'en recherchons pas. Notre dépendance est très relative car ce
sont les associations d'éditeurs qui paient les cotisations permettant au CP de fonctionner, au côté des
syndicats de journalistes et de la radiotélévision publique ; ce ne sont pas les maisons d'édition elles-mêmes.
Denis Ruellan : Lorsque l'Etat intervient en matière de presse et de journalisme, c'est souvent en dernier
recours, parce que les choses sont bloquées. Ce fut le cas pour la loi de 1935. Mais partant de là, un vrai

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travail paritaire s'est mis en oeuvre et s'est traduit, notamment, par la création de la commission de la carte
professionnelle. Donc, on peut espérer qu'une intervention de l'Etat, qui définirait le cadre d'un CP, serait
bénéfique.
Yves Agnès : L'APCP est plutôt favorable à l'existence d'un texte législatif, de nature à donner une légitimité
supplémentaire à une initiative de la profession et du public.
Quelle représentation et quelle place pour le public ?
Claire Monod , Société des lecteurs de « Libération » : Qui représente le public dans les CP flamand, suisse
et québecois ? Les associations de lecteurs ou d'auditeurs y ont-elles leur place ? Quelles sont les modalités
d'exercice des mandats, qui apparaissent comme une lourde charge ?
Marc-François Bernier : A ma connaissance, les représentants du public au Québec sont présents à titre
individuel. Ils ne peuvent représenter des associations ou des groupes d'intérêt ; le CP veut éviter cela.
Christian Gautellier, des CEMEA (Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active) : Si on veut
recréer un vrai dialogue entre le public et les médias, il faut que ces derniers se confrontent à des collectifs,
des associations de consommateurs ou de citoyens. Et non à des individus qui ne représentent qu'eux-mêmes.
C'est quelque chose de nouveau à construire mais c'est un levier essentiel.
Denis Ruellan : La déontologie a été insuffisamment pensée vis-à-vis du public. Les sociétés de lecteurs par
exemple, et le public en général, pensent qu'il ne s'agit pas seulement d'une question de morale
professionnelle et que la responsabilité s'exerce de façon collective. Donc, il ne faut pas forcément attacher la
déontologie au statut des journalistes. Au fond, on pourrait considérer que les sources sont aussi des acteurs
de la réflexion sur la responsabilité en matière d'information ; elles sont structurées, elles ont des
organisations, des acteurs professionnels. Tous ces gens doivent participer au débat.
Jérôme Bouvier : Les journalistes et les éditeurs seraient assez favorables à ce qu'une instance de régulation
et de médiation soit une affaire paritaire et qu'on ne « s'embête » pas avec le public. Au-delà de l'affichage et
des bonnes intentions, le public apporte-t-il quelque chose à vos délibérations ?
Marc-François Bernier : Au Québec, ces derniers temps, ceux qui ont combattu le plus pour que le CP
conserve sa mission de tribunal d'honneur sont les représentants du public. Le public a sa place et toutes les
enquêtes montrent qu'il veut parler de l'information et qu'il a des attentes très élevées. Il faut s'en préoccuper,
sinon il n'y a pas de légitimité.
Yves Agnès : A l'APCP, nous avons considéré le fait qu'un certain nombre d'associations, comme la Ligue de
l'Enseignement, les associations de consommateurs, les associations d'usagers telles que AQIT, s'intéressent à
l'information. Comment faire pour garantir une légitimité à ces associations ? Nous continuons nos
réflexions sur ce point, notamment autour de l'idée d'un appel à candidatures.
Conseil de presse et médiation
Henri Amar, médiateur du groupe La Dépêche du Midi : Je voudrais exprimer un certain nombre de réserves
sur le modèle proposé pour la France. Sur la lourdeur de l'appareil, d'abord, qui doublerait la législation et
risquerait de compliquer les choses. Dans le financement, je vois également un vice de naissance, puisqu'il y
aurait une dépendance instituée. Soit à l'égard des fonds publics, soit par l'intermédiaire d'une fondation, soit
par l'intermédiaire des éditeurs. Par ailleurs, l'analyse produite ne prend pas en compte l'évolution du
comportement du public. Notre expérience en tant que médiateurs montre qu'il se situe souvent dans une
logique marchande, sans rapport avec l'éthique. Autre réserve : si on encadrait d'une façon trop stricte la
pratique journalistique, un certain nombre d'affaires ne sortiraient jamais. Enfin, la médiation est
essentiellement une relation de personne à personne ; elle a été instaurée pour cela et il est important de ne
pas briser ce dialogue, en y substituant des structures.
Dominique von Burg : En Suisse, nous n'exerçons aucune fonction de médiation. Nous statuons sur la base
de plaintes ou autres saisines, pour déterminer si le code déontologique a été violé et pourquoi. Ensuite, nous
essayons de faire évoluer la déontologie professionnelle. La médiation est une excellente institution mais je
pense qu'il ne faut pas mélanger les deux fonctions. C'est en rendant public nos avis que nous faisons avancer
la discussion. Une fonction de médiation qui viserait à ce que les parties se mettent d'accord, et que l'affaire
ne soit pas publique, irait à l'encontre de cette démarche. Nous entrons en matière indépendamment de qui

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dépose la plainte ; la personne n'a pas besoin d'être touchée par l'article ou l'émission. Le conseil est donc
bien dans le domaine de la déontologie journalistique et pas dans la réparation des torts.
Flip Voets : En Belgique, nous faisons de la médiation. Le plus souvent les gens demandent une solution
rapide et c'est ce que la médiation peut offrir. Evidemment, elle peut être faite au sein des médias mais de
nombreux petits médias n'en ont pas la possibilité. Par ailleurs, dans certains cas, les gens ne veulent plus
s'adresser au média concerné parce qu'il y a eu un conflit sérieux. Dans ces cas, un médiateur national au sein
d'un CP national a quand même sa justification. En ce qui concerne le marchandage, jusqu'à présent, nous
n'avons eu qu'une ou deux discussions sur des montants à payer, dans des cas de fautes déontologiques très
graves.
Conseil de presse et charte de déontologie
Eric Marquis, vice-président SNJ de la commission de la carte professionnelle : Pour nous, SNJ, la question
d'une instance de médiation ne peut être dissociée de quelques autres points. D'abord, l'intégration d'une
charte des droits et devoirs des journalistes, opposable juridiquement aux parties, dans la convention
collective ; si on crée une instance de médiation sans qu'il y ait de code, ce sera l'arbitraire. Ensuite,
l'élargissement des compétences de la commission de la carte aux questions déontologiques, la
"conditionnalisation" des aides de l'Etat au respect de ces mêmes règles déontologiques et la reconnaissance
des équipes rédactionnelles. Cela forme un tout.
Alexis Guedj, avocat en droit de la presse : Nous avons parlé de la "déjudiciarisation" des rapports entre le
public et la presse. Mais nous avons oublié une vertu des CP, qui est de contraindre le législateur à créer des
droits propres aux journalistes. Je prends l'exemple de la protection du secret des sources, règle éthique
fondamentale, qui traîne dans les cartons de l'Assemblée nationale. Quand j'ai été auditionné par les
parlementaires l'année dernière, j'ai été interpellé : "Mais au fond qui est journaliste ? Quels sont les gages de
crédibilité qui nous sont donnés quant à la manière dont le métier est exercé ?". Si un CP veillait au respect
de l'éthique et de la déontologie, le législateur ne pourrait plus nous poser ces questions. Sur l'inscription
d'une charte de déontologie dans la convention collective, je suis réticent car ces questions tomberaient alors
dans le champ d'intervention des conseils de prud'hommes. On en reviendrait à une judiciarisation du débat.
Flip Voets : A ma connaissance, en Belgique, seul le statut de la radiotélévision publique fait référence à un
code déontologique qui doit être appliqué par la direction et les journalistes.
Dominique von Burg : En adhérant au Conseil de Fondation du CP suisse, les associations d'éditeurs des trois
régions linguistiques se sont engagées à reconnaître la charte et à l'intégrer dans les lettres d'engagement des
journalistes. C'est une annexe au contrat de travail et non à la convention collective.
Les plaintes… et le reste
Christian Gautellier, des CEMEA : La pratique de vos trois CP ressemble à celle d'un "bureau des plaintes".
Ce qui m'intéresse davantage, c'est la possibilité d'autosaisine sur des questions larges et d'intérêt général, par
exemple la représentation des jeunes dans les médias ou la discrimination.
Flip Voets : Notre CP a aussi un rôle d'animateur de débat et nous avons des contacts réguliers avec les
associations ; comme celle des parents de victimes de suicide, qui a travaillé avec les journalistes sur le
traitement du sujet.
Dominique von Burg : Vous avez raison, les rapports de confiance entre public et médias sont un vaste
chantier. L'activité d'un CP permet de montrer au public quelles sont les règles professionnelles, les manières
de faire des journalistes. C'est sa fonction centrale mais il reste bien d'autres choses à faire.
Vincent David, membre de l'APCP : Il y aurait un intérêt à savoir comment les journalistes traitent de
certaines questions ou pas. Des associations représentatives, au sein du CP, pourraient exposer les problèmes,
dire les manquements, demander pourquoi on ne parle pas de tel sujet…
Dominique von Burg : Les acteurs sociaux jouent leur rôle, ils n'ont pas besoin du CP pour cela.
Eric Marquis : Si on imagine que des gens nous diront "Cette semaine, les médias doivent traiter de tel ou tel
sujet", c'est vraiment l'épouvantail à agiter pour écoeurer la profession de toute perspective de CP.
Patrick Eveno : Un CP ne serait évidemment pas chargé de déterminer les bons sujets à traiter, au bon
moment, à la bonne page, etc. Pour évoquer cela, on a des observatoires sociologico-médiatiques et une

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association comme Les entretiens de l'information. Ne mélangeons pas tout.
Lorenzo Virgili, photo-journaliste, membre du Rassemblement des associations de journalistes (RAJ) : Dans
vos pays, suite aux avis que vous avez émis, les médias incriminés ont-ils changé leurs pratiques ?
Marc-François Bernier : Dans certains cas, oui, il y a eu changement. Au Québec, la couverture des suicides
est aujourd'hui très sobre. Et c'est le résultat du travail du CP et d'autres instances. Malheureusement, les
décisions qui modifient le plus les pratiques demeurent les décisions des tribunaux.
Jérôme Bouvier : Reproche-t-on à un système judiciaire démocratique de ne pas empêcher les crimes et les
délits ? La presse britannique n'est pas avare de dérapages alors qu'elle a un CP depuis quelques dizaines
d'années. Je crois qu'il ne faut pas attendre d'un CP des vertus miraculeuses.
Pourquoi ça bloque en France ?
Jacques Trentesaux, journaliste à « L'Express » : Que pensez-vous de la situation en France ? Comment
comprenez-vous que le pays ne soit pas doté d'un CP ? Pourquoi ça bloque ?
Marc-François Bernier : Ce qui me fascine dans le système médiatique français c'est sa composante
idéologique : c'est-à-dire que le public ne semble pas important pour les journalistes. Ce qui est important, ce
sont leurs idées, leurs convictions, leurs préjugés, leurs discours. Je suis Nord-américain, je vis dans une
culture où la mission du service public du journalisme est très importante, avec tous les vices que ça peut
avoir. Ici, il y a un manque d'autocritique, il n'y a pas d'analyses pointues. On peut reprocher aux médias
américains d'avoir failli lors de l'invasion de l'Irak, par exemple, mais ce sont les seuls qui publient des
cahiers spéciaux pour faire l'autopsie de leurs erreurs. Avec la charte de 1918, vous êtes trois générations
derrière les Anglo-saxons ! Même le projet de charte de qualité que j'ai sous la main ressemble à un texte des
années 70. C'est un énoncé général et généreux mais il n'est pas opérationnel. Pas un juge ne peut se
prononcer à partir d'un tel texte. Donc, vous avez du travail pour rattraper les Anglo-saxons mais il est en
route et vous allez pouvoir éviter toutes les erreurs qu'ils ont faites pendant trente ans.
Flip Voets : Il est très dommage que la France n'ait pas encore de CP ou d'instance d'autorégulation. C'est une
des dernières grandes démocraties d'Europe à ne pas en avoir. Tous les pays ont leurs particularités et la
France devra chercher les siennes. En passant par la voie législative, pourquoi pas ? Mais faites-le !
Dominique von Burg : J'ai un peu l'impression que tout en France se pose en termes de rapports de force. Et
que créer un CP, c'est vouloir tout résoudre ou bien courir tous les dangers. Je crois qu'il faut être plus
modeste. On ne résout pas tout avec un CP, certainement pas, mais on ne met pas tout par terre non plus. A
mon avis il faut bien cerner ce que l'on veut.

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  • 1. 1 APCP ASSOCIATION DE PREFIGURATION D'UN CONSEIL DE PRESSE COLLOQUE ORGANISE PAR L’APCP en partenariat avec FRANCE-CULTURE JUIN 2009 Presse et public : à quand une instance de médiation ? Studio 106, Maison de Radio France Jeudi 4 juin 2009, 14h30 – 18h30 Les récents Etats généraux de la presse écrite ont fait progresser l’idée que l’éthique et la qualité de l’information avaient besoin de structures (charte déontologique nationale, médiateurs, instance de veille et de médiation…) pour s’imposer à tous et que soit restaurée la confiance entre le public et les médias. C’est le but que poursuit l’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP) depuis sa création fin 2006. Elle a élaboré un projet concret (ouvert au débat) d’instance de médiation tripartite, accueilli favorablement par les participants de la journée spéciale des Assises du journalisme le 20 janvier 2009. Ce colloque a été organisé pour faire se rencontrer et discuter en toute ouverture, exemples étrangers à l’appui, ceux qu’intéressent la qualité de l’information et l’exigence d’éthique. Pour faire avancer le projet d’une instance, dont les médias français et les citoyens ont plus que jamais besoin. En partenariat avec France-Culture 1
  • 2. 2 Sommaire Des tabous enfin levés dans la profession ...................... 3 ...................... 6 ...................... 9 Yves Agnès, président de l’APCP, ancien rédacteur en chef au Monde Pourquoi plus de 100 ans de blocages ? Denis Ruellan, professeur des universités, responsable de la formation au journalisme à l’IUT de Lannion Des exemples à méditer Flip Voets : le Conseil de presse de Belgique flamande Dominique von Burg : le Conseil de presse de Suisse Marc-François Bernier : le Conseil de presse du Québec Animateur : Nathalie Dollé, journaliste, membre du conseil d’administration de l’APCP Débat général avec les intervenants et les participants du Colloque ...................... 14 Animateur : Jérôme Bouvier, président de « Journalisme et citoyenneté », organisateur des Assises internationales du journalisme, ancien directeur des rédactions de RFI et France-Culture Synthèse et conclusions ....................... Bertrand Verfaillie, journaliste, membre du conseil d’administration de l’APCP 2
  • 3. 3 Intervention de Yves Agnès : « Des tabous enfin levés dans la profession » Je voudrais d'abord, à titre personnel, rendre hommage à la mémoire de Georges Bourdon qui a été de 1922 à 1938, secrétaire général puis président du syndicat des journalistes, unique à l'époque. Jusqu'à sa mort, il y a un peu plus de 70 ans, il a été le véritable organisateur de la profession ; il s'est battu et a obtenu la loi de 1935, la convention collective des journalistes en 1937, l'institution de la commission de la carte en 1936… Ses deux leitmotiv étaient solidarité et discipline. Solidarité à l'intérieur d'une profession qui était déjà divisée, comme elle l'est encore maintenant. Et discipline parce que ce mot recouvrait à l'époque le respect des règles éthiques et professionnelles. Son objectif de créer une instance d'autodiscipline – que nous préférons aujourd'hui nommer une instance d'éthique et de médiation entre la profession et le public des médias – est toujours aujourd'hui l'objectif de l’APCP. Quelles que soient nos convictions ou nos appartenances, je crois que nous sommes ici pour réfléchir ensemble dans cette direction. 1. La genèse Oui, c'est aujourd'hui peut-être la fin des tabous. Commençons par une petite genèse des évolutions que nous constatons. Le 6 juin 2006, la commission parlementaire sur l'affaire d'Outreau termine ses travaux, remet son rapport et réclame un code de déontologie pour toute la profession. Elle le fait après de nombreux dérapages qui ont émaillé les traitements médiatiques depuis la fin des années 1980 ; et à l'issue d'une affaire qui, après celle du petit Grégory, a montré des médias et des journalistes particulièrement peu à cheval sur les règles déontologiques. Ces manquements répétés à l'éthique professionnelle avaient provoqué déjà de nombreuses réactions dans la profession, dans la société civile et les sphères politiques. Quelques brefs rappels. 4 février 1992, la Commission de la carte adopte à l'unanimité une déclaration sur « la cascade de dérapages qui sape la crédibilité des journalistes et des médias ». 21 mars 1995, la Commission nationale consultative des droits de l'homme émet un avis sur la liberté de la presse et la responsabilité des journalistes, elle préconise notamment l'adoption d'un code de déontologie. 27 octobre 99, le Conseil économique et social national demande la création d’une commission consultative « média – éthique ». Citons aussi, par exemple, les rapports gouvernementaux de Jacques Vistel en 93 et de Jean-Marie Charon en 99, qui tous deux mettent en avant la nécessité déjà ressentie par le public d'un texte de référence et d'une instance chargée de veiller à son respect. Six mois après le rapport de la commission « Outreau », une association se créait : l'APCP, l'Association de préfiguration d'un conseil de presse. Elle émane de l'Alliance internationale de journalistes, réseau de professionnels réunis pour réfléchir et agir en faveur de la responsabilité des journalistes à l'égard du public. L'APCP comprend des journalistes et des non professionnels de l'information. Elle constate qu'il n'existe dans notre pays, alors que la question se pose depuis 1898, ni code d'éthique reconnu par toute la profession (éditeurs et journalistes) comme c'est le cas dans de nombreux pays étrangers, ni instance d'autorégulation comme il en existe dans une centaine de pays dans le monde, sous le vocable internationalement reconnu de « conseil de presse ». Une exception toutefois : il s'est créé, fin 2007, une association d'éditeurs, FIDEO, qui, en application de la loi de 2005 sur la protection des consommateurs d'informations boursières et financières, évite à ses adhérents de passer sous la coupe de l'Autorité des marchés financiers. FIDEO a adopté un code de bonne conduite qui fait référence à la seule charte existante, celle du SNJ de 1918 – 1938. 3
  • 4. 4 L'APCP a décidé dès le départ de porter son action sur la faisabilité d'une telle instance, sur l'information et le débat autour de la création d'une telle instance et sur le soutien à la mise en place d'un texte éthique de référence. 2. L’action L’APCP a d'abord mis au point un projet d'instance de médiation tripartite – éditeurs, journalistes, public – en s'inspirant d'exemples étrangers et en l'adaptant au contexte français. Ce document a été présenté aux Assises de 2008, mais il a été remanié depuis parce que nous pensons qu'il doit évoluer et ce colloque servira également à cela. Notre idée de base est que, 70 ans après la charte de 1938, qui évoque pour la première fois le fameux « jugement des pairs » repris dans la charte européenne de Munich de 71, ce jugement n'a pas fonctionné. Il est devenu une formule creuse, étroitement corporatiste, sans rapport avec l'objectif à atteindre, celui de réconcilier les publics avec leurs médias et avec les journalistes. Ce jugement est de plus totalement dépassé, à l'heure d'Internet et des demandes nouvelles de ces publics. Donc pas d'Ordre des journalistes, même si c'est vers cela que voudraient nous entraîner certains. Une instance doit impérativement associer le public. Nous avons aussi commencé à rencontrer des interlocuteurs privilégiés : syndicats et sociétés de journalistes, syndicats d'éditeurs, organisations de la société civile telle que UNAF, Ligue de l'enseignement, sociétés de lecteurs, etc. Nous avons activement participé aux Assises internationales du journalisme et aux Etats généraux de la presse écrite et nous y avons porté le débat sur le conseil de presse, ou conseil d'éthique. Nous avons produit et diffusé une documentation et répondu à des sollicitations (plus nombreuses depuis quelques temps), notamment de la part d'établissements d'enseignement supérieur, d’organismes de la société civile ou encore professionnels tels que l'Union des clubs de la presse ou encore le Syndicat national des radios libres… Nous avons encore lancé avec l'association Journalisme et citoyenneté un Appel en faveur du principe d'une charte et du principe d'une instance d'éthique, qui avait déjà recueilli les signatures d'une cinquantaine de personnalités de la presse avant les Assises du journalisme de mai 2008. 3. Quoi de neuf depuis fin 2006 ? Premier constat : sur le front des bavures journalistiques il n'y a pas eu de répit. A titre d’exemples le CSA est intervenu auprès de chaînes de télévision en août 2008, octobre 2008, février 2009… Le CSA, pas plus que la Commission de la carte, n'a de prérogatives déontologiques reconnues par la loi. Mais il s'est forgé une doctrine et une pratique au cours de ces dernières années, autour de la notion d'honnêteté de l'information, et il intervient de plus en plus fréquemment maintenant parce qu'un certain nombre de règles sont inscrites dans le cahier des charges des chaînes publiques ou privées. Et c'est au titre de ces cahiers des charges qu'il fait ses rappels à l'ordre. Mais la presse écrite n'est pas en reste (le Nouvel Obs), la radio non plus (Elkabbach) et Internet de même… Tandis qu'en juin 2008 sur France 2 François Fillon déclare que les médias français doivent s'interroger sur « l'éthique de leur métier » et qu'ils n'ont « plus grand chose à envier aux tabloïds anglo-saxons ». Bigre ! Deuxième constat. De nombreux livres venant de journalistes ou d'observateurs ont été publiés ces dernières années : citons La trahison des médias de Pierre Servent (2007), Les journalistes et leurs publics : le grand malentendu de Jean-Marie Charon (2007), Média-paranoïa de Laurent Joffrin (2009), Journalistes à la niche ? de Bruno Masure (2009), Les journalistes français sont-ils si mauvais ? de François Dufour (2009). Certains évoquent la question de l'instance d'éthique, d'autres préconisent une telle instance. Troisième constat. L'évolution des organisations de journalistes : trois des syndicats ont beaucoup évolué sur 4
  • 5. 5 les questions d'éthique, de qualité de l'information, de déontologie professionnelle. Le SNJ d'abord qui a adopté à son congrès d'octobre 2008 une résolution importante souhaitant notamment que les compétences de la Commission de la carte soient étendues à la dimension éthique de la pratique journalistique. Le SNJ renoue ainsi avec ses débuts quand dès sa création en 1918 il adopte la fameuse première charte des journalistes : « un journaliste digne de ce nom, etc », dont Bourdon était déjà le rédacteur avec Vautel. L'USJ-CFDT, de son côté, lors de ses toutes récentes assises en mai 2009, s'est aussi saisie de la question : elle préconise le développement de la médiation, elle veut mettre en place elle- même un « observatoire des pratiques professionnelles de la presse ». La CFTC est attentive aussi ; pour les autres syndicats de journalistes, ils sont soit absents du débat soit hostile comme la CGT. Quant au Forum des sociétés de journalistes, il n'est pas hostile à une telle instance même si ce n'est pas son combat prioritaire puisqu'il se bat d’abord pour la reconnaissance juridique des équipes rédactionnelles. Quatrième fait marquant. Les syndicats patronaux sont plus ouverts que par le passé. Ils ne montraient pas une attention particulière à ces questions de déontologie et de pratiques professionnelles, ni à l'égard des publics. Toutefois, trois organisations professionnelles se sont distinguées. Le SPQR, dont la commission de l'information avait déjà travaillé sur les bonnes pratiques avec un texte de référence mis au point pour ses adhérents, puis plus récemment sur la création de postes de médiateurs. La Fédération française des agences de presse s'est engagée en faveur d'une charte déontologique nationale et d'une instance nationale d'éthique et de qualité de l'information et elle a réitéré cet engagement. Le Syndicat national des radios libres a fait de même et a confirmé ce choix lors de son congrès de novembre 2008. 4. Les Etats généraux comme déclencheur On peut noter, surtout depuis les Etats généraux de la presse écrite, une plus grande ouverture, une capacité accrue au dialogue dans ces diverses organisations patronales et en particulier parmi celles qui n'étaient pas branchées sur ce type de problème. Si la mise en oeuvre de la recommandation de ces Etats généraux d'une charte nationale de référence est considérée par ces organisations, et à juste titre, comme prioritaire, le sujet « instance d'éthique et de médiation » connaît moins de réactions hostiles et péremptoires qu'il y a seulement deux ans. Cette évolution des mentalités se note chez les éditeurs comme chez les journalistes. Je crois que les Etats généraux ont été en fait un déclencheur. Ils ont permis de faire avancer nombre d'idées et de propositions concrètes en matière de déontologie et de qualité de l'information. Depuis ces discussions, on n'ose plus nous jeter à la figure « on ne veut pas d'ordre des journalistes ». Que chacun se rassure, nous les premiers ! Mais les tabous ont été levés. De plus en plus nombreux sont ceux qui pensent qu'il faut faire quelque chose, que la crise de confiance et de crédibilité envers les médias et les journalistes, ressassée chaque mois de janvier par le baromètre La Croix-SOFRES, impose de se ressaisir et de prendre enfin les mesures appropriées. C'est-à-dire un véritable dispositif déontologique qui comprenne une charte nationale bien sûr, mais qui soit aussi couronné par une instance chargée par la profession, et avec le public, de veiller à cette qualité de l’information. Notre sentiment est qu'il n'y a pas d'exercice de la liberté d'informer, et nous le voulons total, sans une responsabilité individuelle et collective. Donc sans une instance de médiation pouvant accueillir les observations et les critiques du public. Notre colloque se tient après plus d'un siècle de pratiques pas toujours vertueuses où médias et journalistes ont souvent ignoré un droit que nous devrions faire inscrire dans la Constitution française : celui du public à disposer d'une information de qualité pour exercer avec toutes les capacités son rôle de citoyen. Essayons de réfléchir ensemble, en attendant ce temps, à ce que nous pouvons déjà créer par nous-mêmes, afin de redonner au public la confiance dans ses médias et de redonner aux éditeurs et aux journalistes une fierté renouvelée d'être au service de l'information et de la démocratie. 5
  • 6. 6 Intervention de Denis Ruellan professeur des universités, responsable de la formation au journalisme à l’IUT de Lannion « Pourquoi plus de 100 ans de blocages ? » La demande qui m’a été faite par le comité organisateur de ce colloque est de tenter d’éclairer cette question : Pourquoi plus 100 ans de blocages ? dans l’élaboration de dispositifs et de procédures qui viendraient placer la déontologie plus au centre de la régulation des rapports professionnels et sociaux qu’elle ne l’est aujourd’hui. Pour répondre à cette demande, je me propose d’exposer ce que je crois être la place du discours sur la morale professionnelle dans la construction de l’identité collective des journalistes. Comme tout métier, l’exercice au quotidien du journalisme implique le réglage de relations avec trois instances : - les destinataires, clients, publics - les fournisseurs, mandants, sources, - les collègues, concurrents, pairs Tout praticien d’un métier règle ses relations avec ces instances en référence à trois cadres : - les routines de travail - les lois et les règlements - les représentations de soi (individuelles et collectives) Autrement dit, par exemple, un journaliste établit sa relation à une source dans un cadre légal qu’il se doit de respecter (ne pas diffamer), en reproduisant des habitudes de travail sédimentées par le collectif et l’histoire (ne pas accepter de contrepartie), sans déroger à l’idée personnelle et partagée sur ce qu’il doit être et faire (maintenir la distance tout en restant au contact). La représentation passe pour l’essentiel par un discours : sur soi, sur les autres, sur les relations à l’altérité. Chez les journalistes, ce discours a considérablement investi le champ de la morale professionnelle, plus que tout autre (par exemple le rôle social, l’apport démocratique, la compétence, la technique). La technique a été, un temps (à partir des années 60), un argument dont se sont saisi les journalistes pour légitimer leur autonomie et leur expertise propre de généralistes de l’information. Fut une époque récente où les journalistes, en compétition avec les experts de toutes les spécialités qui envahissaient l’univers médiatique (les news magazines, la télévision), ont fait valoir que le journalisme était une pratique normée, basée sur des techniques et des technologies, qui garantissaient l’objectivité de la démarche et du résultat, et que tout le monde ne pouvait pas posséder. Mais ce discours est largement enfoncé avec l’avènement de l’internet. Reste la déontologie, qui est le fil d’Ariane du discours identitaire des journalistes français, depuis le 19e, depuis les premières associations (1879) et les congrès internationaux (fin 19e), et qui traverse tous les épisodes de la construction identitaire des journalistes. Pourquoi cette importance ? J’ai cru un temps que les journalistes tentaient, tel Sisyphe, de remonter éternellement le crédit de leur métier, de laver sans fin une salissure originelle qu’on lit tant dans les mots de ceux qui ne les aiment pas, sans doute parce qu’ils leur ressemblent trop. Oui, les journalistes ont désespérément voulu être reconnus, aimés, respectés, notabilisés. Et ils y sont parvenus, et cet inlassable effort pour remonter l’estime du métier au sommet des valeurs sociales aurait dû cesser. Faisons l’hypothèse d’une autre raison : prendre la déontologie comme un discours sur soi, dont le rôle est de parler de soi pour régler les relations avec autrui, ces relations étant intrinsèques, donc permanentes, et 6
  • 7. 7 néanmoins changeantes. Prendre alors la déontologie pour le discours que les journalistes tiennent sur euxmêmes et par lequel ils disent ce qu’ils sont et en quoi ils sont différents ; en quoi les autres ne peuvent prétendre être ce qu’ils sont, des journalistes. Cette démarche nous conduit à tisser la toile de l’histoire sur cette trame du discours de la déontologie. À grands pas, elle dessine cinq périodes : 1 - De 1830 à 1918, l’émergence d’un groupe professionnel, qui se met à croître par l’invention d’une nouvelle activité, la presse d’information dont l’existence est confirmée par le journal populaire à fort tirage. Le nombre de journalistes permet de se rassembler, de façon informelle puis en associations, tout d’abord plus politiques, puis fondées sur des divisions catégorielles. Patrons de presse, journalistes, écrivains, politiques, amateurs, tout fait bois pour ces cercles de sociabilité dont l’objectif est non seulement de se reconnaître et de partager les soucis d’une « grande famille », mais d’être reconnus par la société, par le public. La grande préoccupation des gens de presse de l’époque est d’atteindre une notabilité, refusée à ce métier qui n’est encore reconnu que par défaut. Rehausser le crédit de la profession en train de naître, voilà l’objectif des association, qui serrent les rangs sans préoccupation de classe. Et dans ce combat, la déontologie est l’argument principal : au public, on dit que l’on est (ou sera) respectable parce qu’on a une morale, celle-ci étant la mesure par laquelle on accepte(ra) ou pas d’exercer le métier. Dès la fin du siècle, le discours déontologique croise celui de la sélection, de l’exclusion, donc de l’identité. Première étape, où l’on voit que la déontologie sert à fixer les relations au(x) public(s), et au passage implique une régulation des pairs. 2 - De 1918 à 1940, c’est le temps du syndicalisme, des combats revendicatifs, du coup de poing même si les organisations demeurent très conciliatrices. La crise consécutive à la guerre a raréfié les emplois et la concurrence structure les arguments d’exclusion de ceux que l’on va bientôt (avec la loi de 1935) ne plus considérer comme des journalistes, mais comme ceux qu’ils sont par ailleurs : des écrivains, des politiques, des avocats, et toute une foule de professeurs, de fonctionnaires, de commerçants, de curés. Ils donnent et vendent à la presse des articles et des informations, et prennent ainsi des emplois aux journalistes salariés. À cette époque ainsi, la déontologie fut mobilisée en discours, pour séparer le bon grain de l’ivraie, pour dire qu’il est de légitimes journalistes et par ailleurs des usurpateurs de titre et de fonction. La déontologie servit alors à régler les relations entre pairs. « Un journaliste digne de ce nom… », ce n’est pas sans raison que le principal syndicat fut créé par ces mots qui par la déontologie disent le journalisme et les journalistes. 3 - Après-guerre et jusqu’aux années 70, se joua une autre confrontation, qui pour partie fut abordée entredeux guerres, mais qui n’avait pas été au bout. En renonçant à faire inscrire dans la loi des principes déontologiques (c’est en effet le sens de l’abandon du projet d’ordre professionnel dont on parla longtemps), les journalistes avaient remis à plus tard leur ambition de réguler eux-mêmes l’accès à la profession, et singulièrement l’exclusion des pratiques immorales. Pour partie, la question fut réglée par la clause de conscience qui permit au journaliste d’exercer son droit à la vertu contre son employeur. Mais demeuraient toutes les situations où des journalistes s’accordaient avec leur patron pour ne pas respecter la morale. Puisque la loi ne réglait pas ce cas, restait le rapport de force au sein de l’entreprise. C’est tout de sens des sociétés de rédacteurs qui tentent d’imposer, de l’intérieur, un pouvoir collectif des salariés sur la nature du journalisme et la manière de l’exercer. Après avoir assis le journaliste comme un salarié (loi de 1935), les journalistes s’efforcent de conserver l’autonomie que confère leur autre identité, celle d’auteur. L’aventure des sociétés de rédacteurs (qui continue avec la revendication de la reconnaissance juridique des équipes rédactionnelles) est la troisième étape de la mise à contribution du discours de la déontologie pour le réglage d’une relation fondamentale, celle à l’employeur, mi pair mi source, relatif confrère car aussi mandant. 4 - Si la période précédente fut celle de l’affrontement interne, la suivante, durant les années 80 et 90, fut celle de la dispute externe. C’est le temps du solde de la définition d’un périmètre de travail et d’autorité distinct de la communication. Pendant longtemps, tant que les activités de relation publique demeuraient marginales en volume et en importance sociale, le journalisme s’établissait de fait sur ce territoire (la presse politique partisane en était une illustration). Avec leur développement, à partir des années 70, la distinction fut nécessaire, et commença alors une compétition symbolique entre les journalistes, profession ancienne et sûre de son fait, sans doute fragilisée de cette certitude, et les communicants, bien formés et ambitieux d’être reconnus. La période fut à l’anathème (les discours sur l’immoralité des communicants furent légion, ils 7
  • 8. 8 mettaient en lumière par conséquent la culture déontologique des journalistes). La période fut le temps du réglage des relations avec les sources : les journalistes apprirent à travailler dans des modalités nouvelles (qu’ils condamnaient parce qu’elles réduisent leur autonomie) et s’attachèrent à maintenir leur identité (notamment par le travail constant d’arbitrage de la commission de la carte). 5 - L’histoire pourrait s’arrêter là, les journalistes ayant réglé les relations avec leurs partenaires naturels. Mais l’on vit alors que l’un des piliers du triptyque fondamental s’effritait, rouillé par les années d’inattention et de manque d’intérêt. Depuis 1990, les publics, les récepteurs ont semblé manifester une attitude paradoxale : du désamour et de l’envie. Le désamour s’est exprimée par la fréquence des critiques à l’égard des journalistes (leurs manques de rigueur et d’indépendance), et par la désaffection à l’égard des supports généralistes d’information. L’envie se manifesta par la pratique de plus en plus partagée d’un journalisme non professionnel ; cela commença par la presse alternative, puis les radios associatives, la vidéo légère et les télévisions hyperlocales, et plus récemment par le bloging. A ces pratiques, les journalistes ont répondu par leur discours professionnaliste : tout le monde peut pratiquer le journalisme, mais tout le monde ne peut pas l’être, la distinction tient dans la compétence et dans la morale professionnelle. Mais l’inquiétude les a gagnés quand les employeurs accrurent leur pression pour que le marketing (ce qui est la mesure des attentes des publics) devienne l’instrument par lequel se feraient les choix éditoriaux. Le public, allié des journalistes au nom duquel ils fondaient leur identité depuis le 19e, était passé du côté des éditeurs qui prétendent ajuster leur offre au désir de chacun des lecteurs. Et les employeurs sont allés jusqu’à se saisir de l’objet transactionnel de cette relation au récepteur, les codes de déontologie. Il n’a échappé à personne que les chartes morales d’entreprise, qui s’imposent aux journalistes sans qu’ils puissent les maîtriser, sont la manière pour les employeurs de retisser le lien distendu avec les publics, et d’en maîtriser aussi l’éventuelle concurrence. Alors finalement, pourquoi plus de 100 ans de blocages dans l’élaboration de dispositifs et de procédures qui placeraient la déontologie plus au centre de la régulation des rapports professionnels et sociaux qu’elle ne l’est aujourd’hui ? Deux réponses : La première, je l’ai argumentée, la déontologie est le support essentiel d’un discours identitaire, le discours par lequel les journalistes tissent le motif des différences avec autrui, avec les patrons, avec les amateurs, avec les communicants, avec le public. La déontologie n’est pas la loi, elle ne tranche pas, elle sert à ajuster des relations sociales, à définir qui on est et qui on ne veut pas être, à construire l’espace de son existence relativement aux autres. Ce qui m’amène à la seconde, qui est qu’il n’y a aucun blocage. La déontologie joue son rôle de langage qui permet de parler. Les journalistes s’en saisissent constamment. Parfois intensément, parfois mollement. Ce qui se joue sans doute ici, aujourd’hui et depuis quelques temps en France avec l’initiative de l’APCP, c’est le débat sur la nécessité ou non de cesser ces réglages séparés, et l’utilité ou non de créer un espace tel qu’il n’en a jamais vraiment existé, qui rassemblerait journalistes, employeurs, sources, publics, non professionnels dans une vaste confrontation, un vaste débat dont l’objet serait de régler simultanément plusieurs pans relationnels. Qui du coup ne concerneraient pas que les relations des journalistes avec les autres instances, mais aussi les rapports entre éditeurs et sources, journalistes et non professionnels, publics et éditeurs. C’est là un changement notable que cette confrontation tous azimuts, sur laquelle effectivement il y a blocage actuellement. Blocage en ce sens que les journalistes ne se sont pas saisi de la déontologie pour discuter avec les instances partenaires, mais pour s’affirmer vis à vis d’elles, pour construire leur identité en partie contre elles. Dépasser le blocage serait de considérer la déontologie comme un objet commun, véhiculaire entre tous, et non identitaire pour le seul groupe des journalistes. Blocage en ce sens que certaines relations bilatérales n’existent pas, et confronter toutes les instances ce serait forcer la création de discussions inédites : par exemple, entre les éditeurs et les publics, ou entre les journalistes et les sources (et leurs acteurs majeurs que sont les communicants). 8
  • 9. 9 Interventions de : Flip Voets, du Conseil de presse de Belgique flamande, Marc-François Bernier, universitaire québécois Dominique von Burg, du Conseil de presse suisse « Mieux connaître les Conseils de presse » Discussion animée par Nathalie Dollé (APCP) 1. Les fondamentaux : quand, comment et qui ? Suisse. Naissance du Conseil dans les années 70 après l’apparition du code de déontologie rédigé par le syndicat des journalistes d'alors. Une fondation réunit les organisations qui l’ont créé, les trois syndicats actuels de journalistes, l’association des rédacteurs en chef, la radio-télévision publique et les organisations d'éditeurs. Composition : 21 membres, dont 15 journalistes et 6 représentants du public. Belgique flamande. Naissance suite en 2002 à un accord conclu entre éditeurs et journalistes. Dans les années 90, il existait un Conseil de déontologie qui livrait ses opinions sur des problèmes de journalistes. « L’affaire Dutroux » a incité les éditeurs à se joindre aux journalistes pour fonder un Conseil de presse. Composition : 18 membres (6 journalistes, 6 représentants des éditeurs et des directions de médias, 6 représentants du public + des experts + Flip Voets en tant que secrétaire (général ?) et médiateur). En 2009, un accord a été obtenu pour la Belgique francophone. Le Conseil va exister dans quelques mois. Les deux conseils coopéreront ensuite. Québec. Naissance en 1973, devant la menace d'intervention des gouvernements, à la suite précisément d'une commission d'enquête sur la concentration de la presse. Il est une réaction et non une initiative des médias. Il entend les plaintes du public et enquête (plus de 2000 plaintes instruites depuis 1973). Initialement, il y avait trois parties : éditeurs (presse écrite et radio), journalistes et public. Mais au comité où se prenaient les décisions sur le comportement des journalistes, les éditeurs représentaient les 2/3 des votes. Depuis quelques années, il y a parité : moitié de représentants du public et moitié d’éditeurs et de journalistes. 2. Financement Suisse. Budget de 100 000 €, annuels provenant des associations membres de la fondation du Conseil. Aucune intervention étatique. Belgique flamande. Budget de 160 000 € par an. Sources : le budget vient à parts égales des médias (audiovisuel, presse écrite), qui paient chacun une contribution selon le nombre de journalistes employés, et de l'unique syndicat des journalistes qui, lui, reçoit des subventions publiques. Québec. Budget annuel de 300 000 €, provenant essentiellement d'une fondation. Le gouvernement du Québec avait déposé un capital et la fondation vivait des intérêts. Aujourd’hui, ça ne suffit plus. Une part provient aussi des entreprises de presse, sur une base volontaire, et des associations de journalistes (de façon marginale). 3. Mode de saisine et traitement des litiges Suisse. Tout citoyen peut le saisir pour violation du code de déontologie, sans être forcément touché par le 9
  • 10. 10 sujet, y compris les journalistes, qui ne s'en privent pas. La présidence du Conseil donne ou pas suite aux plaintes, attribuées ensuite à une des chambres composant le Conseil (francophone, germanophone et une italo-germanophone). Depuis le début des années 2000, le nombre de plaintes a crû et se situe autour de 110 à 120 par an. Des associations comme des particuliers déposent des plaintes. Les chambres rédigent les avis, qui sont soumis à l'ensemble du Conseil. Si deux membres s'opposent à un avis, il est discuté en séance plénière (c'est très rare). Sinon, au bout de 10 jours, l'avis est publié. Le mode de sanction est la publication des avis. Depuis un an, il y a obligation morale pour les éditeurs concernés de publier au moins un résumé des avis qui les concernent. Pas d’activité de médiation directe. Belgique flamande. Missions : faire de la médiation entre les médias et le public + instruction de plaintes. On distingue les demandes d'information (100 à 150 par an) et les demandes d'intervention ou les plaintes (40 plaintes par an). Tout citoyen peut demander une information sans avoir un intérêt particulier. Pour une plainte ou une demande d'intervention, il faut être directement concerné (une personne ou un groupe d'individus). Quand une plainte arrive, une solution à l'amiable est d’abord recherchée. Dans certain cas une discussion s'engage et on trouve une solution qui convient au plaignant (30 à 35% des cas) : soit un nouvel article ou une interview, soit des excuses sont présentées (en cas de violation de vie privée par exemple) par une lettre du rédacteur en chef. Peu de plaignants veulent de l'argent ou des excuses publiques. Très souvent, le fait d’être écouté et de se voir expliquer le problème suffit. Si aucun accord amiable n’est trouvé, ou s'il s'agit d'un cas de principe, l'affaire est portée devant le Conseil qui créera alors une chambre de 3 membres (1 éditeur, 1 journaliste et 1 membre du public) pour examiner le dossier. Une audience permet de décider si la plainte est fondée (moitié des plaintes). La décision est rendue publique sur le site Internet et dans le mensuel Le journaliste , lu par toute la profession. Dans certains cas graves, on demande au journal concerné de publier l'avis. Québec. Le processus est ouvert à tous, gratuit et assez rapide. D’abord une recherche de médiation. Le cas échéant, étude rapide pour voir si la plainte s'inscrit dans un cas de faute très claire et déjà vue : on peut alors donner rapidement une décision. En cas d'insatisfaction, le plaignant peut s'adresser au « comité d'éthique » appelé aussi « comité des plaintes ». Y siègent à parité des représentants des trois parties. Le Conseil envoie d’abord la plainte au média concerné, qui doit fournir une réponse au plaignant et au Conseil. Échanges de courrier avant que le comité se penche sur la plainte. Il doit rendre sa décision dans les six mois suivants. Il y a une procédure d'appel. Particularité : les commissions sont anonymes. 4. Cas d’auto-saisine des Conseils Les trois Conseils de presse ont une faculté d’auto-saisine. Suisse. Ce n’est pas très fréquent. Il y a eu des cas retentissants qui demandaient une clarification dans la profession. Récemment, la police a fait une conférence de presse reprise en direct et révélant alors le nom et la photo du présumé criminel. Les médias ont réagi différemment. Le CP a voulu s’emparer de ce cas. Résultat : le fait que les autorités donnent une info qui viole la protection de la personnalité n'est pas une raison suffisante pour les médias de publier. Les médias ne peuvent pas faire l'économie de leur propre réflexion déontologique. Belgique flamande. Faculté encore inutilisée pour un cas particulier, mais elle est utilisée à propos de tendances générales. Exemple : la généralisation de programmes avec caméra cachée. Le Conseil a dit que ça allait trop loin et qu'il fallait remplir certaines conditions pour faire usage d’une caméra cachée. Attention, le Conseil est une association de tous les médias, il serait dangereux de prendre le cas d'un média qui se sentirait très vite visé. On préfère quand même attendre une plainte pour déclencher ce genre de réflexion. Québec. Auto-saisine sur de grands phénomènes. Exemple : le Conseil a fait une tournée des régions pour s'intéresser à la qualité de l'information. Les publics rencontrés ont été tellement critiques que lorsque le 10
  • 11. 11 rapport a été publié, certains médias ont menacé de quitter le Conseil et de ne plus participer à son budget. C’est un risque constant. 5. Comment sont rédigés et publiés les avis ? Suisse. Les avis sont découpés en trois parties : les faits, les « considérants » et les conclusions. La publication est exhaustive sur le site du Conseil, et on en fait un communiqué repris plus ou moins par les médias. La publication par le média concerné n'est pas une obligation, il relève d'un « compte-rendu loyal des prises de position du Conseil ». C’est inscrit dans la charte déontologique : une personne qui aurait été concernée par une affaire pourrait saisir le Conseil en violation du code déontologique si le média n'a pas publié les conclusions. Ce n'est pas encore arrivé. L’important est de faire avancer la doctrine déontologique, pas de viser un journaliste. Le Conseil considère que le média ou le rédacteur en chef est responsable. Dans l’absolu, un journaliste pourrait saisir le Conseil s'il estime que son article a été fait dans de telles conditions qu'il n'a pas pu réaliser un bon travail. Belgique flamande. L’avis est une sanction morale. On ne veut pas mettre à l’amende ou retirer la carte de presse. Le but principal n’est pas de viser un média ou un journaliste particulier, mais de profiter d'un cas concret pour expliquer les règles de déontologie. Nous essayons d’être pédagogique, de rapporter les différents points de vue et d'expliquer ce qui ne convenait pas en regard des règles du journalisme. Québec. C'est un peu différent. D’une part, il y a des décisions prises sur les plaintes. D’autre part, il y a des avis plus généraux lors des grands problèmes (cas des caméras cachés et autres procédés clandestins), qui sont ensuite publiés sur le site Internet. Quand la plainte vise un individu, le Conseil a le choix entre trois options : rejeter la plainte, l’accepter et mettre un blâme, l’accepter et émettre un reproche (grief). Ces sanctions morales sont censés être diffusés par les médias dans leurs pages, mais ils ne le font presque jamais, car tout repose sur leur bonne volonté. Ils ne publient jamais les décisions qui les concernent ou s'ils les publient c'est très loin et en petits caractères. Parfois, ils publient les décisions concernant leurs concurrents. C'est une sorte d'équilibre où tout le monde se surveille. 6. Un conseil pour soutenir la qualité de l’information Nathalie Dollé : Le Conseil ne doit-il pas soutenir la qualité de l'information et aider les journalistes à fabriquer une info de qualité ? Des journalistes français craignent qu’un Conseil de presse soit un tribunal des journalistes. Dominique von Burg. Selon une étude effectuée en Suisse auprès des journalistes, ils sont une grande majorité à reconnaître l'autorité morale du Conseil, qui constitue une boussole déontologique dans un monde très évolutif. À mon sens, ceux qui craignent ou méprisent le plus le Conseil sont les rédacteurs en chef. Marc-François Bernier. Au Québec, des journalistes se sont servi du Conseil pour dénoncer leur employeur et les conditions dans lesquelles ils travaillaient. Un média qui obligeait ses journalistes à faire une couverture excessive de certaines émissions de son groupe, à faire la promotion de ses émissions de divertissement, a ainsi été épinglé. Flip Voets. Une anecdote en Flandres : nous avons eu deux plaintes successives pour le même article. Il n'y avait pas de problème dans le papier. La faute était dans le titre, très sensationnel, qui ne correspondait pas à l'article. Le Conseil en a fait le reproche à la rédaction en chef. 7. Du pouvoir réel des Conseils Nathalie Dollé. Avez-vous le pouvoir ou du moins le sentiment de pouvoir intervenir pour que les cas problématiques ne se reproduisent pas ? 11
  • 12. 12 Flips Voets. L'autorégulation part du principe que tout repose sur la coopération volontaire des différents acteurs. Dans l’anecdote évoquée précédemment, il a fallu deux fois pour faire comprendre que le titre devait correspondre au contenu de l'article. Si tel n’est pas le cas, le journaliste peut avoir de vraies difficultés avec ses sources. Dominique von Burg. L'effet peut-être le plus important du Conseil est de couper toute velléité du monde politique d'intervenir sur le contenu des médias. Le Conseil a bataillé contre les syndicats de journalistes pour que les éditeurs rejoignent le conseil de fondation. Il fallait élargir la base pour éviter le contrôle extérieur de l'Etat. Marc-François Bernier. Historiquement, les journalistes québécois avaient peur des politiques, donc ils se sont dotés de mécanismes d'autorégulation. La jurisprudence en matière de diffamation doit déterminer s’il y a faute professionnelle. Quand il y a faute, le juge peut se référer au Conseil et le juge est plus à l’aise pour rendre sa décision. Résultat : les entreprises de presse menacent encore de le quitter car elles ne veulent pas que le Conseil prenne des décisions aussi « impliquantes ». Elles préfèreraient qu’il soit un observatoire général des médias. Flip Voets : la Cour européenne des droits de l’homme ( à Strasbourg) a déjà dit plusieurs fois que les journalistes jouissent d'une grande liberté que les Etats doivent protéger, à condition que les journalistes fassent leur travail d'une façon éthique et déontologique. Il est donc préférable que la déontologie soit formulée par les Conseils plutôt que par les juges. Certes, le risque est que certaines décisions du Conseil soient utilisées pour demander une compensation au tribunal -c'est déjà arrivé deux fois-, mais on a constaté une diminution des affaires judiciaires contre la presse, trois ans après la création du Conseil en Belgique. À l’inverse, en offrant la médiation, on évite l’engorgement des tribunaux et le coût des procès. Dominique von Burg. En Suisse, à chaque plainte déposée, on demande au plaignant s'il a l'intention de se pourvoir en justice. Si oui, le Conseil n’intervient qu’à deux conditions cumulatives : il doit avoir la conviction que son avis ne pourra pas être mal utilisé devant le tribunal et la question doit avoir une certaine importance sur le plan déontologique. Marc-François Bernier. Au Québec, le Conseil a étudié plusieurs années de dossiers qui allaient aussi devant les tribunaux. Aujourd’hui, la personne doit s'engager à ne pas aller devant les tribunaux. Réciproquement, s’il dépose un recours en justice, il ne doit pas déposer une plainte auprès du Conseil. Flip Voets. Notre organisation est assez nouvelle et nous n'avons pas encore l'autorité nécessaire pour pouvoir demander cela au public. Nous pensons que d'aller en justice est un doit fondamental. Mais sur les 100 décisions prises jusqu'à présent, seuls 2 avis ont été utilisés par la justice. Marc-François Bernier. Au Québec, l'inquiétude n'est pas que les tribunaux se servent des avis du Conseil – le juge regarde surtout le guide de déontologie des journalistes professionnels et les normes et pratiques en vigueur à Radio Canada – mais que le Conseil interprète le texte et fasse donc le travail du juge. Le juge sera plus à l'aise pour condamner un média s'il est soutenu moralement par le Conseil. 8. Les textes de référence Suisse. La Charte nationale et trilingue des droits et devoirs du journaliste + des directives précisant les points de cette charte. La fondation peut la réviser à une majorité des trois quarts. Aucune partie (éditeurs, journalistes ou public) ne peut imposer seule un changement. Les directives – textes plus changeants et plus pratiques – sont modifiées par le Conseil lui-même. Belgique flamande. Nous avons commencé avec le code de déontologie journalistique de 1982. Depuis, le Conseil a rédigé 5 ou 6 directives à propos de problèmes concrets. Actuellement, un nouveau code est en cours de réécriture, il abordera les questions liées à Internet. Il devra être adopté par la fondation dans 12
  • 13. 13 laquelle sont représentés le syndicat et les éditeurs. Québec. Le texte, évolutif, s'appelle « Droits et responsabilités de la presse ». Il a pour vocation de défendre la liberté de la presse et de définir les responsabilités de la presse. La première version date de 1973, la deuxième des années 80, la troisième de 2003. Une nouvelle version est en cours de rédaction à la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, association non syndicale dans laquelle on trouve des syndiqués, des indépendants et des patrons. Cette fédération avait élaboré son propre guide de déontologie en 1996, puis créé des comités dans les régions pour lui donner une légitimité. Aujourd’hui, la fédération et le Conseil se rapprochent pour aboutir à un texte unique de référence. 9. Comment désigne-t-on les représentants du public ? Suisse. Les représentants du public sont des membres de plein droit, comme les journalistes. Parmi les 7 personnes par chambre, 5 sont journalistes et 2 représentent le public. La fondation désigne tout le monde, il n'y a pas de règle spéciale, il n'y a pas d'associations qui doivent être représentées. Pourtant, depuis cette année, nous avons voulu ouvrir davantage les délibérations des chambres. Certains membres craignant pour leur liberté de parole, l’ouverture se limite pour l’instant à de jeunes journalistes à des fins de formation. Comme les expériences sont très positives, je suppose qu’on ouvrira totalement les délibérations au public d’ici à 2011. Belgique flamande. La fondation nomme les 6 membres extérieurs à la profession, qui ont évidemment les mêmes droits que les autres. Parmi ces 6 membres il y a deux juges, deux professeurs de communication ou de journalisme et deux personnes représentatives d'organisations du public : une est issue d'un syndicat et l'autre d'une association de victimes. On voudrait réfléchir à des candidatures publiques (ce que fait le Conseil de presse anglais), mais on craint les influences politiques. On associe le public au cours de la médiation : nous avons des contacts très réguliers avec des lecteurs, auditeurs, téléspectateurs. On réussit parfois à rétablir un lien de confiance qui a été rompu avec les médias. Québec. Les patrons des médias choisissent leurs représentants, les journalistes sont désignés par un vote de l'assemblée annuelle du congrès de la fédération des journalistes du Québec. À cette occasion, le Conseil diffuse une annonce publique pour pourvoir les postes du public. Il y a une élection. Problème : il n'y a pas beaucoup de candidats. Souvent, le quorum n'est pas atteint. Mais des personnes, souvent retraitées, s’intéressent aux médias et siègent bénévolement au Conseil. 13
  • 14. 14 Débat général animé par Jérôme Bouvier , journaliste, Président de Journalisme et Citoyenneté Quels médias concernés ? Patrick Eveno, historien, spécialiste de la presse : Vos CP s'intéressent-ils à tous les organes de presse, ou seulement à ceux qui font de l'info générale ou encore, à ceux qui comptent des journalistes ? Dominique von Burg : En Suisse, la presse écrite, la radio et la télévision sont partie prenante du CP. Les radios et télévisions privées ne sont pas encore représentées au sein de notre CP. Mais nous traitons des plaintes contre ces médias et ils l'acceptent. Notre autorité morale et notre légitimité sont reconnues. Notre champ de compétence est celui de l'information générale, considérée de manière très large, incluant par exemple la presse people. Flip Voets : Notre critère de compétence est : le journalisme. Pas le journaliste mais le journalisme. Ce qui nous amène à traiter de plaintes contre des sites Internet qui font du journalisme régional ou local, sans personnel professionnel. Le syndicat de journalistes belges, qui représente plus de 80% des professionnels, fait partie de nos fondateurs, tout comme les associations d'éditeurs de journaux, de magazines et hebdos, les télévisions privées, les télévisions régionales. Depuis 2004, la radiotélévision publique est aussi membre de notre conseil. Marc-François Bernier : Tous ceux qui prétendent faire du journalisme au Québec, individus, organisations, médias traditionnels ou nouveaux, entrent dans le champ de compétences du CP. Il y a quelques mois, les radiodiffuseurs privés du Québec ont quitté le CP parce qu'ils sont également soumis à un organisme de régulation fédéral canadien. Nous leur avons dit que nous continuerions à traiter les plaintes les concernant. Ils nous ont répondu qu'ils ne collaboreraient pas. Ca va poser un réel problème de légitimité. Quel financement ? Faut-il faire appel au législateur ? Jacques Morandat, directeur de la Fédération française des agences de presse, membre de l'APCP : En France, ne pourrait-on pas proposer un financement du CP par l'Etat, décidé par la loi ? Ainsi d'éventuels retraits des éditeurs ne paralyseraient pas le système... Ce n'est pas un modèle intellectuellement idéal mais c'est un modèle pratique. Jacques Trentesaux, journaliste à « L'Express » : Je ne vois pas comment aboutir en dehors d'une prise de décision législative. Le fonctionnement d'un CP peut être paritaire mais l'impulsion devrait venir de l'Etat. Il s'agit quand même d'une question d'intérêt général et de service public… Et puis le contexte actuel est particulièrement plombé, tant pour les entreprises de presse que pour les journalistes… Marc-François Bernier : S'il y a bien une erreur à éviter, c'est de laisser la question du financement à des gens qui vont faire peser le risque d'un retrait du CP. Idéalement, il faut un financement garanti à long terme, sur cinq à huit ans. Si les entreprises privées refusent d'assumer leur part de responsabilité, c'est à l'Etat de l'assurer. Cet argent public doit provenir de programmes normés et non, évidemment, être le fait du prince. Flip Voets : Nos ressources proviennent pour moitié des éditeurs et pour moitié de l'union des journalistes, qui reçoit des subsides du gouvernement. Du côté belge francophone, qui va adopter un modèle identique au nôtre, il y a eu intervention du législateur parce que des grands médias étaient réticents. Le Parlement de la Communauté française a voté un décret de reconnaissance d'une instance d'autorégulation. Et la condition pour obtenir des subsides publics en tant que média est de faire partie de cette instance. Dominique von Burg : En Suisse, nous estimons que les subsides de l'Etat ne sont pas la meilleure garantie d'indépendance. Nous n'en avons pas et nous n'en recherchons pas. Notre dépendance est très relative car ce sont les associations d'éditeurs qui paient les cotisations permettant au CP de fonctionner, au côté des syndicats de journalistes et de la radiotélévision publique ; ce ne sont pas les maisons d'édition elles-mêmes. Denis Ruellan : Lorsque l'Etat intervient en matière de presse et de journalisme, c'est souvent en dernier recours, parce que les choses sont bloquées. Ce fut le cas pour la loi de 1935. Mais partant de là, un vrai 14
  • 15. 15 travail paritaire s'est mis en oeuvre et s'est traduit, notamment, par la création de la commission de la carte professionnelle. Donc, on peut espérer qu'une intervention de l'Etat, qui définirait le cadre d'un CP, serait bénéfique. Yves Agnès : L'APCP est plutôt favorable à l'existence d'un texte législatif, de nature à donner une légitimité supplémentaire à une initiative de la profession et du public. Quelle représentation et quelle place pour le public ? Claire Monod , Société des lecteurs de « Libération » : Qui représente le public dans les CP flamand, suisse et québecois ? Les associations de lecteurs ou d'auditeurs y ont-elles leur place ? Quelles sont les modalités d'exercice des mandats, qui apparaissent comme une lourde charge ? Marc-François Bernier : A ma connaissance, les représentants du public au Québec sont présents à titre individuel. Ils ne peuvent représenter des associations ou des groupes d'intérêt ; le CP veut éviter cela. Christian Gautellier, des CEMEA (Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active) : Si on veut recréer un vrai dialogue entre le public et les médias, il faut que ces derniers se confrontent à des collectifs, des associations de consommateurs ou de citoyens. Et non à des individus qui ne représentent qu'eux-mêmes. C'est quelque chose de nouveau à construire mais c'est un levier essentiel. Denis Ruellan : La déontologie a été insuffisamment pensée vis-à-vis du public. Les sociétés de lecteurs par exemple, et le public en général, pensent qu'il ne s'agit pas seulement d'une question de morale professionnelle et que la responsabilité s'exerce de façon collective. Donc, il ne faut pas forcément attacher la déontologie au statut des journalistes. Au fond, on pourrait considérer que les sources sont aussi des acteurs de la réflexion sur la responsabilité en matière d'information ; elles sont structurées, elles ont des organisations, des acteurs professionnels. Tous ces gens doivent participer au débat. Jérôme Bouvier : Les journalistes et les éditeurs seraient assez favorables à ce qu'une instance de régulation et de médiation soit une affaire paritaire et qu'on ne « s'embête » pas avec le public. Au-delà de l'affichage et des bonnes intentions, le public apporte-t-il quelque chose à vos délibérations ? Marc-François Bernier : Au Québec, ces derniers temps, ceux qui ont combattu le plus pour que le CP conserve sa mission de tribunal d'honneur sont les représentants du public. Le public a sa place et toutes les enquêtes montrent qu'il veut parler de l'information et qu'il a des attentes très élevées. Il faut s'en préoccuper, sinon il n'y a pas de légitimité. Yves Agnès : A l'APCP, nous avons considéré le fait qu'un certain nombre d'associations, comme la Ligue de l'Enseignement, les associations de consommateurs, les associations d'usagers telles que AQIT, s'intéressent à l'information. Comment faire pour garantir une légitimité à ces associations ? Nous continuons nos réflexions sur ce point, notamment autour de l'idée d'un appel à candidatures. Conseil de presse et médiation Henri Amar, médiateur du groupe La Dépêche du Midi : Je voudrais exprimer un certain nombre de réserves sur le modèle proposé pour la France. Sur la lourdeur de l'appareil, d'abord, qui doublerait la législation et risquerait de compliquer les choses. Dans le financement, je vois également un vice de naissance, puisqu'il y aurait une dépendance instituée. Soit à l'égard des fonds publics, soit par l'intermédiaire d'une fondation, soit par l'intermédiaire des éditeurs. Par ailleurs, l'analyse produite ne prend pas en compte l'évolution du comportement du public. Notre expérience en tant que médiateurs montre qu'il se situe souvent dans une logique marchande, sans rapport avec l'éthique. Autre réserve : si on encadrait d'une façon trop stricte la pratique journalistique, un certain nombre d'affaires ne sortiraient jamais. Enfin, la médiation est essentiellement une relation de personne à personne ; elle a été instaurée pour cela et il est important de ne pas briser ce dialogue, en y substituant des structures. Dominique von Burg : En Suisse, nous n'exerçons aucune fonction de médiation. Nous statuons sur la base de plaintes ou autres saisines, pour déterminer si le code déontologique a été violé et pourquoi. Ensuite, nous essayons de faire évoluer la déontologie professionnelle. La médiation est une excellente institution mais je pense qu'il ne faut pas mélanger les deux fonctions. C'est en rendant public nos avis que nous faisons avancer la discussion. Une fonction de médiation qui viserait à ce que les parties se mettent d'accord, et que l'affaire ne soit pas publique, irait à l'encontre de cette démarche. Nous entrons en matière indépendamment de qui 15
  • 16. 16 dépose la plainte ; la personne n'a pas besoin d'être touchée par l'article ou l'émission. Le conseil est donc bien dans le domaine de la déontologie journalistique et pas dans la réparation des torts. Flip Voets : En Belgique, nous faisons de la médiation. Le plus souvent les gens demandent une solution rapide et c'est ce que la médiation peut offrir. Evidemment, elle peut être faite au sein des médias mais de nombreux petits médias n'en ont pas la possibilité. Par ailleurs, dans certains cas, les gens ne veulent plus s'adresser au média concerné parce qu'il y a eu un conflit sérieux. Dans ces cas, un médiateur national au sein d'un CP national a quand même sa justification. En ce qui concerne le marchandage, jusqu'à présent, nous n'avons eu qu'une ou deux discussions sur des montants à payer, dans des cas de fautes déontologiques très graves. Conseil de presse et charte de déontologie Eric Marquis, vice-président SNJ de la commission de la carte professionnelle : Pour nous, SNJ, la question d'une instance de médiation ne peut être dissociée de quelques autres points. D'abord, l'intégration d'une charte des droits et devoirs des journalistes, opposable juridiquement aux parties, dans la convention collective ; si on crée une instance de médiation sans qu'il y ait de code, ce sera l'arbitraire. Ensuite, l'élargissement des compétences de la commission de la carte aux questions déontologiques, la "conditionnalisation" des aides de l'Etat au respect de ces mêmes règles déontologiques et la reconnaissance des équipes rédactionnelles. Cela forme un tout. Alexis Guedj, avocat en droit de la presse : Nous avons parlé de la "déjudiciarisation" des rapports entre le public et la presse. Mais nous avons oublié une vertu des CP, qui est de contraindre le législateur à créer des droits propres aux journalistes. Je prends l'exemple de la protection du secret des sources, règle éthique fondamentale, qui traîne dans les cartons de l'Assemblée nationale. Quand j'ai été auditionné par les parlementaires l'année dernière, j'ai été interpellé : "Mais au fond qui est journaliste ? Quels sont les gages de crédibilité qui nous sont donnés quant à la manière dont le métier est exercé ?". Si un CP veillait au respect de l'éthique et de la déontologie, le législateur ne pourrait plus nous poser ces questions. Sur l'inscription d'une charte de déontologie dans la convention collective, je suis réticent car ces questions tomberaient alors dans le champ d'intervention des conseils de prud'hommes. On en reviendrait à une judiciarisation du débat. Flip Voets : A ma connaissance, en Belgique, seul le statut de la radiotélévision publique fait référence à un code déontologique qui doit être appliqué par la direction et les journalistes. Dominique von Burg : En adhérant au Conseil de Fondation du CP suisse, les associations d'éditeurs des trois régions linguistiques se sont engagées à reconnaître la charte et à l'intégrer dans les lettres d'engagement des journalistes. C'est une annexe au contrat de travail et non à la convention collective. Les plaintes… et le reste Christian Gautellier, des CEMEA : La pratique de vos trois CP ressemble à celle d'un "bureau des plaintes". Ce qui m'intéresse davantage, c'est la possibilité d'autosaisine sur des questions larges et d'intérêt général, par exemple la représentation des jeunes dans les médias ou la discrimination. Flip Voets : Notre CP a aussi un rôle d'animateur de débat et nous avons des contacts réguliers avec les associations ; comme celle des parents de victimes de suicide, qui a travaillé avec les journalistes sur le traitement du sujet. Dominique von Burg : Vous avez raison, les rapports de confiance entre public et médias sont un vaste chantier. L'activité d'un CP permet de montrer au public quelles sont les règles professionnelles, les manières de faire des journalistes. C'est sa fonction centrale mais il reste bien d'autres choses à faire. Vincent David, membre de l'APCP : Il y aurait un intérêt à savoir comment les journalistes traitent de certaines questions ou pas. Des associations représentatives, au sein du CP, pourraient exposer les problèmes, dire les manquements, demander pourquoi on ne parle pas de tel sujet… Dominique von Burg : Les acteurs sociaux jouent leur rôle, ils n'ont pas besoin du CP pour cela. Eric Marquis : Si on imagine que des gens nous diront "Cette semaine, les médias doivent traiter de tel ou tel sujet", c'est vraiment l'épouvantail à agiter pour écoeurer la profession de toute perspective de CP. Patrick Eveno : Un CP ne serait évidemment pas chargé de déterminer les bons sujets à traiter, au bon moment, à la bonne page, etc. Pour évoquer cela, on a des observatoires sociologico-médiatiques et une 16
  • 17. 17 association comme Les entretiens de l'information. Ne mélangeons pas tout. Lorenzo Virgili, photo-journaliste, membre du Rassemblement des associations de journalistes (RAJ) : Dans vos pays, suite aux avis que vous avez émis, les médias incriminés ont-ils changé leurs pratiques ? Marc-François Bernier : Dans certains cas, oui, il y a eu changement. Au Québec, la couverture des suicides est aujourd'hui très sobre. Et c'est le résultat du travail du CP et d'autres instances. Malheureusement, les décisions qui modifient le plus les pratiques demeurent les décisions des tribunaux. Jérôme Bouvier : Reproche-t-on à un système judiciaire démocratique de ne pas empêcher les crimes et les délits ? La presse britannique n'est pas avare de dérapages alors qu'elle a un CP depuis quelques dizaines d'années. Je crois qu'il ne faut pas attendre d'un CP des vertus miraculeuses. Pourquoi ça bloque en France ? Jacques Trentesaux, journaliste à « L'Express » : Que pensez-vous de la situation en France ? Comment comprenez-vous que le pays ne soit pas doté d'un CP ? Pourquoi ça bloque ? Marc-François Bernier : Ce qui me fascine dans le système médiatique français c'est sa composante idéologique : c'est-à-dire que le public ne semble pas important pour les journalistes. Ce qui est important, ce sont leurs idées, leurs convictions, leurs préjugés, leurs discours. Je suis Nord-américain, je vis dans une culture où la mission du service public du journalisme est très importante, avec tous les vices que ça peut avoir. Ici, il y a un manque d'autocritique, il n'y a pas d'analyses pointues. On peut reprocher aux médias américains d'avoir failli lors de l'invasion de l'Irak, par exemple, mais ce sont les seuls qui publient des cahiers spéciaux pour faire l'autopsie de leurs erreurs. Avec la charte de 1918, vous êtes trois générations derrière les Anglo-saxons ! Même le projet de charte de qualité que j'ai sous la main ressemble à un texte des années 70. C'est un énoncé général et généreux mais il n'est pas opérationnel. Pas un juge ne peut se prononcer à partir d'un tel texte. Donc, vous avez du travail pour rattraper les Anglo-saxons mais il est en route et vous allez pouvoir éviter toutes les erreurs qu'ils ont faites pendant trente ans. Flip Voets : Il est très dommage que la France n'ait pas encore de CP ou d'instance d'autorégulation. C'est une des dernières grandes démocraties d'Europe à ne pas en avoir. Tous les pays ont leurs particularités et la France devra chercher les siennes. En passant par la voie législative, pourquoi pas ? Mais faites-le ! Dominique von Burg : J'ai un peu l'impression que tout en France se pose en termes de rapports de force. Et que créer un CP, c'est vouloir tout résoudre ou bien courir tous les dangers. Je crois qu'il faut être plus modeste. On ne résout pas tout avec un CP, certainement pas, mais on ne met pas tout par terre non plus. A mon avis il faut bien cerner ce que l'on veut. 17