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du Greffier de la Cour
CEDH 367 (2016)
15.11.2016
Les autorités nationales disposent d’une ample marge d’appréciation
s’agissant des règles relatives à l’accouchement à domicile
Dans son arrêt de Grande Chambre1, rendu ce jour dans l’affaire Dubská et Krejzová c. République
tchèque (requêtes nos 28859/11 et 28473/12), la Cour européenne des droits de l’homme conclut,
par douze voix contre cinq,
à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention
européenne des droits de l’homme.
L’affaire porte sur la législation tchèque qui, en pratique, empêche les mères de se faire assister par
une sage-femme dans le cadre d’un accouchement à domicile. Les deux requérantes, qui
souhaitaient éviter toute intervention médicale non indispensable au moment de leur
accouchement, se plaignaient qu’à cause de cette législation elles n’avaient pas eu d’autre choix que
d’accoucher à l’hôpital pour bénéficier de l’aide d’une sage-femme.
La Cour juge en particulier que les autorités nationales disposent d’une ample marge d’appréciation
s’agissant de réglementer l’accouchement à domicile, qui ne fait pas l’objet d’un consensus
européen et qui porte sur des questions complexes de politique de santé et d’allocation de
ressources publiques. Elle conclut que la politique actuelle de l’État ménage un juste équilibre entre,
d’un côté, le droit des mères au respect de leur vie privée et, de l’autre, l’intérêt de l’État à protéger
la santé et la sécurité de l’enfant et de la mère pendant et après l’accouchement. En outre, depuis
2014, le Gouvernement a pris des initiatives en vue d’améliorer la situation dans les maternités
locales, notamment en créant un comité gouvernemental d’experts dans les domaines de
l’obstétrique, du métier de sage-femme et des droits connexes des femmes. La Cour invite les
autorités tchèques à poursuivre leurs progrès en assurant un suivi constant des dispositions
juridiques concernant l’accouchement à domicile, de manière à veiller à ce qu’elles reflètent les
avancées médicales et scientifiques tout en respectant pleinement les droits des femmes en matière
de santé génésique.
Principaux faits
Les requérantes, Šárka Dubská et Alexandra Krejzová, sont des ressortissantes tchèques nées en
1985 et en 1980 et résidant à Jilemnice et à Prague (République tchèque). Toutes deux souhaitaient
accoucher chez elles. Or, le droit tchèque n’autorise pas les sages-femmes à pratiquer des
accouchements à domicile.
Enceinte de son deuxième enfant en 2010, Mme Dubská décida qu’elle accoucherait chez elle, en
raison de l’expérience éprouvante qu’elle avait vécue en mettant au monde son premier enfant à
l’hôpital, en 2007. Ainsi, selon ses dires, on l’avait à l’époque pressée d’accepter diverses
interventions médicales allant à l’encontre de ses souhaits et on lui avait ordonné de rester à
l’hôpital plus longtemps qu’elle ne le voulait. En réponse à ses demandes de renseignements, on
l’informa que la législation tchèque ne prévoyait pas la prise en charge par une compagnie
d’assurance maladie publique des frais liés à un accouchement à domicile et que les sages-femmes
n’étaient autorisées à pratiquer un accouchement qu’au sein d’un établissement doté de
l’équipement technique requis par la loi. En fin de compte, Mme Dubská donna naissance à son
deuxième enfant seule chez elle, en mai 2011. En février 2012, la Cour constitutionnelle tchèque
1 Les arrêts de Grande Chambre sont définitifs (article 44 de la Convention).
Tous les arrêts définitifs sont transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Pour plus d’informations
sur la procédure d’exécution, consulter le site internet : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
2
rejeta le recours par lequel elle se plaignait d’avoir été privée de la possibilité d’accoucher chez elle
avec l’assistance d’une sage-femme.
Mme Krejzová a mis au monde ses deux premiers enfants chez elle en 2008 et en 2010, avec
l’assistance de sages-femmes qui sont intervenues sans autorisation officielle. Au moment de
l’introduction de sa requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, elle attendait son
troisième enfant et ne parvenait pas à trouver de sage-femme, parce que, selon la nouvelle
législation en vigueur depuis le 1er avril 2012, les sages-femmes étaient passibles d’une lourde
amende en cas de services médicaux dispensés sans autorisation. Elle accoucha finalement en mai
2012, à 140 km de Prague, dans un hôpital qui avait la réputation de respecter les souhaits des
parturientes.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des
droits de l’homme, les deux requérantes alléguaient que les mères n’avaient pas d’autre choix que
d’accoucher à l’hôpital si elles souhaitaient être assistées par une sage-femme.
Les requêtes ont été introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme le 4 mai 2011 et
le 7 mai 2012.
Dans son arrêt de chambre du 11 décembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a dit,
par six voix contre une, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
Le 1er juin 2015, l’affaire a été renvoyée devant la Grande Chambre à la demande des requérantes.
Une audience devant la Grande Chambre a eu lieu à Strasbourg le 2 décembre 2015.
Les gouvernements respectifs de la Croatie et de la République slovaque sont intervenus dans la
procédure écrite en qualité de tierces parties (article 36 § 2 de la Convention), de même que les
organisations et institutions suivantes : l’Ordre royal des sages-femmes, le groupe d’étude
international de l’Association mondiale de médecine périnatale, l’Union tchèque des sages-femmes
(UNIPA), et la défenseure publique des droits (médiatrice) de la République tchèque.
L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre de 17 juges, composée en l’occurrence de :
Guido Raimondi (Italie), président,
András Sajó (Hongrie),
Işıl Karakaş (Turquie),
Luis López Guerra (Espagne),
Mirjana Lazarova Trajkovska (« L’ex-République yougoslave de Macédoine »),
George Nicolaou (Chypre),
Kristina Pardalos (Saint-Marin),
Julia Laffranque (Estonie),
Helen Keller (Suisse),
Helena Jäderblom (Suède),
Aleš Pejchal (République tchèque),
Valeriu Griţco (République de Moldova),
Faris Vehabović (Bosnie-Herzégovine),
Dmitry Dedov (Russie),
Egidijus Kūris (Lituanie),
Jon Fridrik Kjølbro (Danemark),
Síofra O’Leary (Irlande),
ainsi que de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre.
3
Décision de la Cour
La Cour estime que le choix par la mère du lieu de l’accouchement est fondamentalement lié à la vie
privée de celle-ci et qu’il relève en conséquence de l’article 8 de la Convention.
Les menaces de sanction contre les sages-femmes effectuant des accouchements à domicile ont
lourdement pesé sur cette liberté de choix. En effet, la loi dissuadait en pratique les sages-femmes
de République tchèque de prêter leur assistance pour un accouchement à domicile. Les femmes qui,
comme les requérantes, souhaitaient accoucher chez elles n’avaient donc pas d’autre choix que de
le faire sans l’aide d’une sage-femme et, dès lors, avec les risques que cela comportait pour elles-
mêmes et pour leur nouveau-né. Pour la Cour, il s’agit là d’une ingérence dans l’exercice de leur
droit au respect de leur vie privée.
Cette ingérence, qui reposait sur diverses dispositions législatives en vigueur à l’époque où
Mme Dubská a donné naissance à son deuxième enfant et Mme Krejzová à son troisième enfant, était
prévue par la loi. Ainsi, Mme Dubská et Mme Krejzová – en s’entourant au besoin de conseils éclairés –
étaient en mesure de prévoir que leurs domiciles ne pouvaient être équipés pour un accouchement
comme l’exigeaient les textes réglementaires pertinents, et qu’en conséquence les dispositions en
question ne permettaient pas aux sages-femmes de fournir une assistance lors d’un accouchement à
domicile.
En outre, cette ingérence – il s’agissait en fait d’une politique de l’État consistant à encourager les
femmes à accoucher à l’hôpital – visait à protéger la santé et la sécurité de la mère et de l’enfant
pendant et après l’accouchement.
Ensuite, la Cour souligne qu’il appartient non pas à elle mais aux autorités nationales compétentes
de déterminer le meilleur moyen de réglementer les questions relatives aux conditions de
l’accouchement. En effet, elle estime que les autorités nationales disposent d’une ample marge
d’appréciation dans la cause des requérantes, qui porte sur des questions complexes de politique de
santé et d’allocation de ressources. De plus, elle indique qu’il ne se dégage pas au sein des États
membres du Conseil de l’Europe de consensus en faveur de l’accouchement à domicile :
l’accouchement programmé pour se dérouler à domicile est prévu par le droit interne et réglementé
dans vingt États membres, en étant subordonné au respect de certaines conditions médicales, et il
n’est pas réglementé ou est sous-réglementé dans vingt-trois autres États membres ; dans certains
de ces vingt-trois pays, l’accouchement à domicile est pratiqué, mais sans cadre juridique et sans
couverture médicale nationale.
La Cour poursuit en recherchant si la politique actuelle de l’État – qui en pratique a empêché les
requérantes de se faire assister par une sage-femme pour accoucher à domicile – a ménagé un juste
équilibre entre le droit des requérantes au respect de leur vie privée et l’intérêt de l’État à protéger
la santé et la sécurité de l’enfant et de la mère pendant et après l’accouchement.
D’un côté, la Cour note que le risque pour les mères et les nouveau-nés est plus élevé en cas
d’accouchement à domicile qu’en cas d’accouchement dans une maternité dotée de tout le
personnel nécessaire et adéquatement équipée. Des difficultés inattendues peuvent survenir au
moment de l’accouchement et nécessiter par exemple une césarienne ou une assistance spéciale
pour le nouveau-né.
D’un autre côté, selon la propre expérience des requérantes, il semblerait que, dans les maternités
locales, les femmes enceintes sont admises et prises en charge sur les plans médical et
médicamenteux dans des conditions discutables, et que dans plusieurs hôpitaux locaux les souhaits
des futures mères ne sont pas pleinement respectés. Ces commentaires ont été confirmés par le
Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui dans un rapport de 2010
s’est dit préoccupé par les conditions régnant lors des accouchements et dans les services
d’obstétrique en République tchèque.
4
Depuis 2014, le Gouvernement a toutefois pris des initiatives en vue d’améliorer la situation,
notamment en créant un comité gouvernemental d’experts dans les domaines de l’obstétrique, du
métier de sage-femme et des droits connexes des femmes. La Cour invite les autorités tchèques à
poursuivre leurs progrès en assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de
manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et scientifiques tout en respectant
pleinement les droits des femmes en matière de santé génésique. L’un des moyens d’accomplir ces
progrès consiste à garantir des conditions adéquates aux patientes comme au personnel médical des
maternités de toute la République tchèque.
La Cour conclut donc que l’ingérence dans l’exercice par les requérantes du droit au respect de leur
vie privée n’était pas disproportionnée et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
Opinion séparée
Les juges Sajó, Karakaş, Nicolaou, Laffranque et Keller ont exprimé une opinion dissidente commune
dont le texte se trouve joint à l’arrêt.
L’arrêt existe en anglais et français.
Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la
Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur
www.echr.coe.int . Pour s’abonner aux communiqués de presse de la Cour, merci de s’inscrire ici :
www.echr.coe.int/RSS/fr ou de nous suivre sur Twitter @ECHRpress.
Contacts pour la presse
echrpress@echr.coe.int | tel: +33 3 90 21 42 08
Tracey Turner-Tretz (tel: + 33 3 88 41 35 30)
Denis Lambert (tel: + 33 3 90 21 41 09)
Inci Ertekin (tel: + 33 3 90 21 55 30)
George Stafford (tel: + 33 3 90 21 41 71)
La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du
Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention
européenne des droits de l’homme de 1950.

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Communiqué de presse : Les autorités nationales disposent d’une ample marge d’appréciation s’agissant des règles relatives à l’accouchement à domicile

  • 1. du Greffier de la Cour CEDH 367 (2016) 15.11.2016 Les autorités nationales disposent d’une ample marge d’appréciation s’agissant des règles relatives à l’accouchement à domicile Dans son arrêt de Grande Chambre1, rendu ce jour dans l’affaire Dubská et Krejzová c. République tchèque (requêtes nos 28859/11 et 28473/12), la Cour européenne des droits de l’homme conclut, par douze voix contre cinq, à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme. L’affaire porte sur la législation tchèque qui, en pratique, empêche les mères de se faire assister par une sage-femme dans le cadre d’un accouchement à domicile. Les deux requérantes, qui souhaitaient éviter toute intervention médicale non indispensable au moment de leur accouchement, se plaignaient qu’à cause de cette législation elles n’avaient pas eu d’autre choix que d’accoucher à l’hôpital pour bénéficier de l’aide d’une sage-femme. La Cour juge en particulier que les autorités nationales disposent d’une ample marge d’appréciation s’agissant de réglementer l’accouchement à domicile, qui ne fait pas l’objet d’un consensus européen et qui porte sur des questions complexes de politique de santé et d’allocation de ressources publiques. Elle conclut que la politique actuelle de l’État ménage un juste équilibre entre, d’un côté, le droit des mères au respect de leur vie privée et, de l’autre, l’intérêt de l’État à protéger la santé et la sécurité de l’enfant et de la mère pendant et après l’accouchement. En outre, depuis 2014, le Gouvernement a pris des initiatives en vue d’améliorer la situation dans les maternités locales, notamment en créant un comité gouvernemental d’experts dans les domaines de l’obstétrique, du métier de sage-femme et des droits connexes des femmes. La Cour invite les autorités tchèques à poursuivre leurs progrès en assurant un suivi constant des dispositions juridiques concernant l’accouchement à domicile, de manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et scientifiques tout en respectant pleinement les droits des femmes en matière de santé génésique. Principaux faits Les requérantes, Šárka Dubská et Alexandra Krejzová, sont des ressortissantes tchèques nées en 1985 et en 1980 et résidant à Jilemnice et à Prague (République tchèque). Toutes deux souhaitaient accoucher chez elles. Or, le droit tchèque n’autorise pas les sages-femmes à pratiquer des accouchements à domicile. Enceinte de son deuxième enfant en 2010, Mme Dubská décida qu’elle accoucherait chez elle, en raison de l’expérience éprouvante qu’elle avait vécue en mettant au monde son premier enfant à l’hôpital, en 2007. Ainsi, selon ses dires, on l’avait à l’époque pressée d’accepter diverses interventions médicales allant à l’encontre de ses souhaits et on lui avait ordonné de rester à l’hôpital plus longtemps qu’elle ne le voulait. En réponse à ses demandes de renseignements, on l’informa que la législation tchèque ne prévoyait pas la prise en charge par une compagnie d’assurance maladie publique des frais liés à un accouchement à domicile et que les sages-femmes n’étaient autorisées à pratiquer un accouchement qu’au sein d’un établissement doté de l’équipement technique requis par la loi. En fin de compte, Mme Dubská donna naissance à son deuxième enfant seule chez elle, en mai 2011. En février 2012, la Cour constitutionnelle tchèque 1 Les arrêts de Grande Chambre sont définitifs (article 44 de la Convention). Tous les arrêts définitifs sont transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Pour plus d’informations sur la procédure d’exécution, consulter le site internet : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
  • 2. 2 rejeta le recours par lequel elle se plaignait d’avoir été privée de la possibilité d’accoucher chez elle avec l’assistance d’une sage-femme. Mme Krejzová a mis au monde ses deux premiers enfants chez elle en 2008 et en 2010, avec l’assistance de sages-femmes qui sont intervenues sans autorisation officielle. Au moment de l’introduction de sa requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, elle attendait son troisième enfant et ne parvenait pas à trouver de sage-femme, parce que, selon la nouvelle législation en vigueur depuis le 1er avril 2012, les sages-femmes étaient passibles d’une lourde amende en cas de services médicaux dispensés sans autorisation. Elle accoucha finalement en mai 2012, à 140 km de Prague, dans un hôpital qui avait la réputation de respecter les souhaits des parturientes. Griefs, procédure et composition de la Cour Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme, les deux requérantes alléguaient que les mères n’avaient pas d’autre choix que d’accoucher à l’hôpital si elles souhaitaient être assistées par une sage-femme. Les requêtes ont été introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme le 4 mai 2011 et le 7 mai 2012. Dans son arrêt de chambre du 11 décembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a dit, par six voix contre une, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 8 de la Convention. Le 1er juin 2015, l’affaire a été renvoyée devant la Grande Chambre à la demande des requérantes. Une audience devant la Grande Chambre a eu lieu à Strasbourg le 2 décembre 2015. Les gouvernements respectifs de la Croatie et de la République slovaque sont intervenus dans la procédure écrite en qualité de tierces parties (article 36 § 2 de la Convention), de même que les organisations et institutions suivantes : l’Ordre royal des sages-femmes, le groupe d’étude international de l’Association mondiale de médecine périnatale, l’Union tchèque des sages-femmes (UNIPA), et la défenseure publique des droits (médiatrice) de la République tchèque. L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre de 17 juges, composée en l’occurrence de : Guido Raimondi (Italie), président, András Sajó (Hongrie), Işıl Karakaş (Turquie), Luis López Guerra (Espagne), Mirjana Lazarova Trajkovska (« L’ex-République yougoslave de Macédoine »), George Nicolaou (Chypre), Kristina Pardalos (Saint-Marin), Julia Laffranque (Estonie), Helen Keller (Suisse), Helena Jäderblom (Suède), Aleš Pejchal (République tchèque), Valeriu Griţco (République de Moldova), Faris Vehabović (Bosnie-Herzégovine), Dmitry Dedov (Russie), Egidijus Kūris (Lituanie), Jon Fridrik Kjølbro (Danemark), Síofra O’Leary (Irlande), ainsi que de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre.
  • 3. 3 Décision de la Cour La Cour estime que le choix par la mère du lieu de l’accouchement est fondamentalement lié à la vie privée de celle-ci et qu’il relève en conséquence de l’article 8 de la Convention. Les menaces de sanction contre les sages-femmes effectuant des accouchements à domicile ont lourdement pesé sur cette liberté de choix. En effet, la loi dissuadait en pratique les sages-femmes de République tchèque de prêter leur assistance pour un accouchement à domicile. Les femmes qui, comme les requérantes, souhaitaient accoucher chez elles n’avaient donc pas d’autre choix que de le faire sans l’aide d’une sage-femme et, dès lors, avec les risques que cela comportait pour elles- mêmes et pour leur nouveau-né. Pour la Cour, il s’agit là d’une ingérence dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie privée. Cette ingérence, qui reposait sur diverses dispositions législatives en vigueur à l’époque où Mme Dubská a donné naissance à son deuxième enfant et Mme Krejzová à son troisième enfant, était prévue par la loi. Ainsi, Mme Dubská et Mme Krejzová – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – étaient en mesure de prévoir que leurs domiciles ne pouvaient être équipés pour un accouchement comme l’exigeaient les textes réglementaires pertinents, et qu’en conséquence les dispositions en question ne permettaient pas aux sages-femmes de fournir une assistance lors d’un accouchement à domicile. En outre, cette ingérence – il s’agissait en fait d’une politique de l’État consistant à encourager les femmes à accoucher à l’hôpital – visait à protéger la santé et la sécurité de la mère et de l’enfant pendant et après l’accouchement. Ensuite, la Cour souligne qu’il appartient non pas à elle mais aux autorités nationales compétentes de déterminer le meilleur moyen de réglementer les questions relatives aux conditions de l’accouchement. En effet, elle estime que les autorités nationales disposent d’une ample marge d’appréciation dans la cause des requérantes, qui porte sur des questions complexes de politique de santé et d’allocation de ressources. De plus, elle indique qu’il ne se dégage pas au sein des États membres du Conseil de l’Europe de consensus en faveur de l’accouchement à domicile : l’accouchement programmé pour se dérouler à domicile est prévu par le droit interne et réglementé dans vingt États membres, en étant subordonné au respect de certaines conditions médicales, et il n’est pas réglementé ou est sous-réglementé dans vingt-trois autres États membres ; dans certains de ces vingt-trois pays, l’accouchement à domicile est pratiqué, mais sans cadre juridique et sans couverture médicale nationale. La Cour poursuit en recherchant si la politique actuelle de l’État – qui en pratique a empêché les requérantes de se faire assister par une sage-femme pour accoucher à domicile – a ménagé un juste équilibre entre le droit des requérantes au respect de leur vie privée et l’intérêt de l’État à protéger la santé et la sécurité de l’enfant et de la mère pendant et après l’accouchement. D’un côté, la Cour note que le risque pour les mères et les nouveau-nés est plus élevé en cas d’accouchement à domicile qu’en cas d’accouchement dans une maternité dotée de tout le personnel nécessaire et adéquatement équipée. Des difficultés inattendues peuvent survenir au moment de l’accouchement et nécessiter par exemple une césarienne ou une assistance spéciale pour le nouveau-né. D’un autre côté, selon la propre expérience des requérantes, il semblerait que, dans les maternités locales, les femmes enceintes sont admises et prises en charge sur les plans médical et médicamenteux dans des conditions discutables, et que dans plusieurs hôpitaux locaux les souhaits des futures mères ne sont pas pleinement respectés. Ces commentaires ont été confirmés par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui dans un rapport de 2010 s’est dit préoccupé par les conditions régnant lors des accouchements et dans les services d’obstétrique en République tchèque.
  • 4. 4 Depuis 2014, le Gouvernement a toutefois pris des initiatives en vue d’améliorer la situation, notamment en créant un comité gouvernemental d’experts dans les domaines de l’obstétrique, du métier de sage-femme et des droits connexes des femmes. La Cour invite les autorités tchèques à poursuivre leurs progrès en assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et scientifiques tout en respectant pleinement les droits des femmes en matière de santé génésique. L’un des moyens d’accomplir ces progrès consiste à garantir des conditions adéquates aux patientes comme au personnel médical des maternités de toute la République tchèque. La Cour conclut donc que l’ingérence dans l’exercice par les requérantes du droit au respect de leur vie privée n’était pas disproportionnée et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention. Opinion séparée Les juges Sajó, Karakaş, Nicolaou, Laffranque et Keller ont exprimé une opinion dissidente commune dont le texte se trouve joint à l’arrêt. L’arrêt existe en anglais et français. Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int . Pour s’abonner aux communiqués de presse de la Cour, merci de s’inscrire ici : www.echr.coe.int/RSS/fr ou de nous suivre sur Twitter @ECHRpress. Contacts pour la presse echrpress@echr.coe.int | tel: +33 3 90 21 42 08 Tracey Turner-Tretz (tel: + 33 3 88 41 35 30) Denis Lambert (tel: + 33 3 90 21 41 09) Inci Ertekin (tel: + 33 3 90 21 55 30) George Stafford (tel: + 33 3 90 21 41 71) La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.