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GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requêtes nos
28859/11 et 28473/12)
ARRÊT
STRASBOURG
15 novembre 2016
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 1
En l’affaire Dubská et Krejzová c. République tchèque,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande
Chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Luis López Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
George Nicolaou,
Kristina Pardalos,
Julia Laffranque,
Helen Keller,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal,
Valeriu Griţco,
Faris Vehabović,
Dmitry Dedov,
Egidijus Kūris,
Jon Fridrik Kjølbro,
Síofra O’Leary, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 décembre 2015 et le
15 septembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos
28859/11
et 28473/12) dirigées contre la République tchèque et dont deux
ressortissantes de cet État, Mmes
Šárka Dubská et Alexandra Krejzová (« les
requérantes »), ont saisi la Cour le 4 mai 2011 et le 7 mai 2012
respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérantes ont été représentées par Me
D. Záhumenský, avocat
employé par l’organisation de défense des droits de l’homme Liga lidských
práv, et par Me
R. Hořejší, avocat à Prague. Le gouvernement tchèque (« le
Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm, du
ministère de la Justice.
3. Les requérantes alléguaient que le droit tchèque n’autorisait pas les
professionnels de santé à assister les femmes accouchant à domicile, ce qui
pour elles emportait violation de l’article 8 de la Convention.
2 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
4. Le 11 décembre 2014, à la suite d’une audience sur la recevabilité et
le fond (article 54 § 3 du règlement de la Cour – « le règlement »), une
chambre de la cinquième section composée de Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger, Boštjan M. Zupančič, Ganna Yudkivska, André
Potocki, Paul Lemmens et Aleš Pejchal, juges, ainsi que de Claudia
Westerdiek, greffière de section, a rendu un arrêt dans lequel elle concluait,
par six voix contre une, à la non-violation de l’article 8 de la Convention. À
l’arrêt se trouvaient jointes les opinions concordantes des juges Villiger
et Yudkivska et l’opinion dissidente du juge Lemmens. Le 10 mars 2015,
les requérantes ont demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande
Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 1er
juin 2015, le
collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.
5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément
aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
6. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des
observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement) sur le
fond de l’affaire. En outre, les parties ont chacune soumis des commentaires
écrits sur les observations de l’autre. Des observations ont également été
reçues du gouvernement de la République slovaque, du gouvernement de la
République de Croatie, de l’Ordre royal des sages-femmes (Royal College
of Midwives – Royaume-Uni), du groupe d’étude international de
l’Association mondiale de médecine périnatale (World Association of
Perinatal Medicine), de l’Union tchèque des sages-femmes (Unie porodních
asistentek – UNIPA) et de Mme
Anna Šabatová, défenseure publique des
droits (Veřejná ochránkyně práv), que le président avait autorisés à
intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et
44 § 3 du règlement). Les parties ont répondu à ces observations
(article 44 § 6 du règlement).
7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de
l’homme, à Strasbourg, le 2 décembre 2015 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
MM.V.A. SCHORM, agent,
O. HLINOMAZ, bureau de l’agent du Gouvernement,
ministère de la Justice,
Mmes
J. MARTINKOVA, bureau de l’agent du Gouvernement,
ministère de la Justice,
D. KOPKOVA, ministère de la Santé,
MM.J. FEYEREISL, directeur de l’institut de soins mère-enfant,
président de la Société tchèque de gynécologie
et d’obstétrique,
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 3
P. VELEBIL, directeur du centre périnatal de l’institut de
soins mère-enfant, secrétaire scientifique de la Société
tchèque de gynécologie et d’obstétrique, conseillers ;
– pour Mme
Dubská, requérante
Mmes
Z. CANDIGLIOTA, conseil,
P. JANSSEN, professeure de santé maternelle et infantile,
école de la santé publique et des populations, université
de la Colombie-Britannique ; membre associé, département
de médecine familiale, d’obstétrique et de gynécologie
et école de sciences infirmières, université de la
Colombie-Britannique,
S. SLADEKOVA, conseillères ;
– pour Mme
Krejzová, requérante
M. R. HOREJSI, conseil,
Mmes
A. HOREJSI,
M. PAVLIKOVA, conseillères.
Mme
Krejzová, requérante, était également présente.
La Cour a entendu Mme
Candigliota, Me
Hořejší, M. Schorm et
M. Velebil en leurs déclarations, ainsi que Mme Janssen en ses réponses aux
questions posées par des juges.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Les requérantes sont nées en 1985 et en 1980 et résident à Jilemnice
et à Prague respectivement.
A. La requête introduite par Mme
Šárka Dubská
9. La requérante mit au monde son premier enfant à l’hôpital en 2007,
sans aucune complication. Selon ses dires, lors de son accouchement le
personnel médical présent la pressa d’accepter divers types d’interventions
médicales alors qu’elle avait expressément formulé le souhait qu’on lui
épargnât tout traitement médical non indispensable. On l’aurait également
obligée à accoucher dans une position qu’elle trouvait inconfortable. Le
bébé et elle auraient été en bonne santé, de sorte qu’elle aurait voulu quitter
l’hôpital quelques heures après la naissance ; or un médecin lui aurait
ordonné d’y rester et elle ne serait donc sortie que le lendemain, après avoir
4 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
présenté une lettre de son pédiatre confirmant qu’elle prendrait soin de
l’enfant.
10. En 2010, la requérante tomba enceinte de son deuxième enfant, dont
la naissance était prévue pour la mi-mai 2011. La grossesse ne présentait
aucune complication et les analyses et examens médicaux n’indiquaient
aucun problème. Estimant que son accouchement à l’hôpital avait été
éprouvant, l’intéressée décida qu’elle accoucherait à domicile et se mit en
quête d’une sage-femme pour l’assister. Elle ne parvint toutefois à en
trouver aucune qui fût disposée à l’aider à accoucher chez elle.
11. Le 5 avril 2011, elle écrivit à sa compagnie d’assurance maladie et à
l’administration régionale (krajský úřad) de Liberec afin de leur demander
une aide pour trouver une sage-femme.
12. Le 7 avril 2011, la compagnie d’assurance maladie lui répondit que
la législation tchèque ne prévoyait pas la prise en charge par une compagnie
d’assurance maladie publique des frais liés à un accouchement à domicile et
qu’elle n’avait donc conclu aucun contrat avec des professionnels de santé
assurant ce type d’actes. Elle indiqua en outre que la majorité des experts
médicaux était défavorable aux accouchements à domicile.
13. Par une lettre du 13 avril 2011, l’administration régionale ajouta
qu’en tout état de cause les sages-femmes inscrites au registre des
professionnels de santé n’étaient légalement autorisées à pratiquer un
accouchement qu’au sein d’un établissement doté de l’équipement
technique requis par l’arrêté no
221/2010, et non chez des particuliers.
14. N’ayant trouvé aucun professionnel de santé pour l’assister, la
requérante donna naissance à son fils seule chez elle, le 11 mai 2011.
15. Le 1er
juillet 2011, elle forma un recours constitutionnel (ústavní
stížnost), alléguant qu’elle avait été privée de la possibilité d’accoucher chez
elle avec l’assistance d’un professionnel de santé et qu’elle avait de ce fait
subi une violation de son droit au respect de sa vie privée.
16. Le 28 février 2012, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) écarta
son recours, estimant contraire au principe de subsidiarité qu’elle statuât sur
le fond de l’affaire dès lors que la requérante n’avait pas exercé tous les
recours disponibles, dont l’action en protection des droits individuels fondée
sur le code civil et la demande de contrôle juridictionnel basée sur
l’article 82 du code de procédure administrative contentieuse. La juridiction
constitutionnelle exprima néanmoins des doutes sur la conformité de la
législation tchèque à l’article 8 de la Convention et invita les parties
prenantes à entamer un débat sérieux et éclairé en vue d’une nouvelle
législation. Neuf des quatorze juges ayant siégé joignirent à l’arrêt de la
haute juridiction des opinions séparées marquant leur désaccord avec le
raisonnement le sous-tendant. Ils considéraient pour la plupart que la Cour
constitutionnelle aurait dû rejeter le recours au motif qu’il constituait une
actio popularis et s’abstenir d’émettre un avis sur la constitutionnalité de la
législation relative aux accouchements à domicile.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 5
B. La requête introduite par Mme
Alexandra Krejzová
17. La requérante est la mère de deux enfants qu’elle a mis au monde
chez elle en 2008 et 2010, avec l’assistance d’une sage-femme. Les
sages-femmes concernées ont pratiqué ces accouchements sans autorisation
officielle.
18. La requérante a indiqué qu’elle avait décidé d’accoucher à domicile
après avoir visité plusieurs hôpitaux, lesquels auraient tous écarté sa
demande, à savoir qu’on la laissât accoucher en lui épargnant toute
intervention médicale non strictement nécessaire. Les hôpitaux en question
auraient également refusé d’accéder à son souhait de garder un contact
ininterrompu avec le bébé dès la naissance, alors que la pratique courante
consistait selon elle à retirer l’enfant à sa mère juste après l’accouchement
pour le peser, le mesurer et le garder sous observation médicale pendant
deux heures.
19. Lorsqu’elle introduisit la requête en l’espèce, la requérante était à
nouveau enceinte et devait accoucher à la mi-mai 2012. Sa grossesse se
déroulait sans complications et elle souhaitait à nouveau accoucher chez elle
avec l’assistance d’une sage-femme. Elle ne parvenait toutefois à trouver
aucune sage-femme disposée à l’aider, parce qu’un tel acte était passible
d’une lourde amende pour services médicaux dispensés sans autorisation.
Elle avait demandé à diverses autorités de l’aider à trouver une solution.
20. Par une lettre du 18 novembre 2011, le ministère de la Santé lui avait
répondu qu’il ne fournissait pas de services médicaux à des particuliers et
que la requérante devait se renseigner auprès de la municipalité de Prague
(Město Praha) qui, faisant office d’administration régionale, enregistrait et
délivrait les autorisations aux professionnels de santé.
21. Le 29 novembre 2011, la compagnie d’assurance maladie de la
requérante avait informé celle-ci que le régime public ne prenait pas en
charge la présence d’un professionnel de santé lors d’un accouchement à
domicile.
22. Le 13 décembre 2011, la municipalité de Prague avait indiqué à la
requérante qu’aucune sage-femme enregistrée à Prague n’était autorisée à
donner des soins lors d’un accouchement à domicile.
23. Le 7 mai 2012, la requérante donna naissance à son enfant dans une
maternité de Vrchlabí, à 140 km de Prague. Elle avait choisi cet hôpital
parce qu’il avait la réputation de respecter les souhaits des parturientes.
Tous ses souhaits n’auraient toutefois pas été respectés. L’accouchement se
serait déroulé sans complications et l’enfant et elle auraient été en bonne
santé ; la requérante aurait néanmoins été contrainte de rester à l’hôpital
pendant soixante-douze heures. Le nouveau-né et elle auraient été séparés
après la naissance et, avant la sortie de la maternité, les restes du cordon
ombilical auraient été coupés contrairement au souhait qu’elle avait
exprimé.
6 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
II. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LES ACCOUCHEMENTS À
DOMICILE EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
A. Instructions et mesures adoptées par le ministère de la Santé
24. Dans son bulletin no
2/2007 de février 2007, le ministère de la Santé
publia des instructions pratiques énonçant ce qui suit :
« En République tchèque, le fait de pratiquer un accouchement est un service de
santé qui n’est assuré qu’au sein d’un établissement de santé. Pareil établissement doit
satisfaire aux prescriptions légales (...) et aux exigences définies par les textes
réglementaires pertinents. »
25. Le 20 mars 2012, le ministère de la Santé constitua un comité
d’experts en obstétrique, qu’il chargea d’étudier la question de
l’accouchement à domicile. Au sein de ce comité étaient représentés les
patients, les sages-femmes, les associations de médecins, le ministère de la
Santé, le commissaire du gouvernement aux droits de l’homme et les
compagnies d’assurance maladie publiques. Les représentants des
associations de médecins boycottèrent les réunions, déclarant que la
situation existante était satisfaisante et qu’il n’y avait pas lieu de changer
quoi que ce fût. Le ministre de la Santé écarta ensuite les représentants des
patients, des sages-femmes et du commissaire du gouvernement aux droits
de l’homme, arguant que seul ce changement de composition permettrait au
comité d’arrêter certaines conclusions.
26. Le 18 janvier 2013, le conseil gouvernemental pour l’égalité des
chances entre les femmes et les hommes (Rada vlády pro rovné příležitosti
žen a mužů), organe consultatif du gouvernement, recommanda d’éviter
toute discrimination persistant à l’égard des femmes dans l’exercice par
celles-ci de leur droit de choisir librement la méthode, les conditions et le
lieu de leur accouchement. Il préconisait également de prévenir la
discrimination envers les sages-femmes en permettant à celles-ci d’exercer
pleinement leur profession au moyen de leur intégration dans le régime
public d’assurance maladie. En outre, pour étayer sa position selon laquelle
les femmes doivent pouvoir choisir le lieu de leur accouchement, le conseil
renvoya aux recommandations du Comité pour l’élimination de la
discrimination à l’égard des femmes, qui surveille la mise en œuvre de la
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 7
27. Dans son bulletin no
8/2013, qui a été publié le 9 décembre 2013 et a
remplacé les instructions pratiques de 2007, le ministère de la Santé décrit la
procédure que les prestataires de services de santé doivent suivre lorsque les
nouveau-nés quittent un établissement de santé pour intégrer leur propre
cadre de vie. Il indique que selon les spécialistes un nouveau-né ne doit pas
quitter la maternité moins de soixante-douze heures après sa naissance. La
nouvelle procédure permet la sortie d’un nouveau-né dans un délai plus
court à la demande de son représentant légal, sous réserve que les conditions
suivantes soient remplies :
« a) le représentant légal a, par écrit, retiré son accord concernant la fourniture de
services médicaux au nouveau-né, ou a déclaré par écrit son désaccord concernant la
fourniture de services médicaux, ou bien cet accord ou ce désaccord a été consigné
dans le dossier médical du nouveau-né (...) ;
b) il est établi que le représentant légal a été dûment informé des conséquences
possibles de la sortie de l’hôpital du nouveau-né moins de soixante-douze heures
après sa naissance (...) ;
c) le représentant légal a été dûment informé que, dans l’intérêt du bon
développement ultérieur du nouveau-né, les associations médicales spécialisées
tchèques recommandent :
1. la réalisation d’un examen clinique dans les vingt-quatre heures consécutives à
la sortie de la maternité du nouveau-né (...)
2. la réalisation d’un prélèvement sanguin dans les quarante-huit à soixante-douze
heures consécutives à la naissance, aux fins du dépistage de dysfonctionnements
métaboliques héréditaires (...) »
B. Données sur la mortalité périnatale
28. D’après les estimations fournies par l’Organisation mondiale de la
santé pour 2004, la République tchèque figure parmi les pays qui affichent
le plus faible taux de mortalité périnatale. Ce taux, qui indique le nombre
d’enfants mort-nés et de décès survenant au cours de la première semaine de
la vie, s’élevait à 0,4 % en République tchèque. Dans les autres pays
européens, il variait entre 0,5 % (en Suède et en Italie) et 4,7 % (en
Azerbaïdjan). Il était inférieur à 1 % dans la plupart des pays d’Europe.
Selon le rapport de l’OMS de 2006, la mortalité périnatale constitue un
indicateur important des soins à la mère ainsi que de la santé et de la
nutrition maternelles. Par ailleurs, il reflète la qualité des soins obstétricaux
et pédiatriques disponibles et permet des comparaisons entre différents pays.
Le rapport recommandait en outre que, dans la mesure du possible, tous les
fœtus et les nourrissons pesant au moins 500 g à la naissance, nés en vie ou
non, fussent inclus dans les statistiques. Dans cette étude, les données
communiquées sur les enfants mort-nés n’ont pas été ajustées pour tenir
compte de ce facteur.
8 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
29. Selon le rapport européen sur la santé périnatale relatif à la santé et à
la prise en charge des femmes enceintes et des bébés en Europe en 2010,
publié en 2013 dans le cadre du projet Euro-Peristat, la République tchèque
se classait parmi les pays présentant la plus faible mortalité chez les
nouveau-nés au cours des vingt-sept premiers jours de la vie, avec un taux
de 0,17 %. Les données relatives aux autres pays étudiés, pour la plupart
membres de l’Union européenne, révélaient un taux allant de 0,12 % (en
Islande) à 0,55 % (en Roumanie).
C. Poursuites pénales à l’encontre de sages-femmes
30. Il apparaît qu’en République tchèque aucune sage-femme n’a fait
l’objet de poursuites simplement pour avoir pratiqué un accouchement à
domicile. En revanche, plusieurs sages-femmes ont été poursuivies pour
faute professionnelle dans le cadre d’un tel accouchement. Les requérantes
évoquent les cas de Mmes
Š. et K., qui sont toutes deux connues pour leur
action en faveur de l’accouchement physiologique sans intervention
médicale superflue et qui ont régulièrement pratiqué des accouchements à
domicile.
31. Le 27 mars 2013, le tribunal de district (obvodní soud) de Prague 6
déclara Mme Š. coupable d’avoir causé par négligence le décès d’un bébé
mort-né. Mme
Š. fut condamnée à une peine de deux ans d’emprisonnement
assortie d’un sursis de cinq ans, et se vit interdire pour trois ans l’exercice
de la profession de sage-femme. Le verdict de culpabilité prononcé contre
Mme Š. reposait sur le fait qu’elle n’avait pas fermement conseillé à la mère
de s’adresser à un établissement médical lorsque celle-ci, déjà en phase de
travail chez elle, l’avait consultée par téléphone. Le tribunal estima donc
que Mme
Š. avait donné à la future mère des conseils inadéquats, et ce sans
l’examiner. La condamnation fut confirmée en appel le 29 mai 2013 par le
tribunal municipal (městský soud) de Prague, mais celui-ci réduisit la peine
à quinze mois d’emprisonnement avec un sursis de trente mois et à une
interdiction d’exercer la profession de sage-femme pendant deux ans.
32. Le 29 avril 2014, la Cour suprême (Nejvyšší soud) annula les
jugements des juridictions inférieures. Le 23 mai 2016, Mme
Š. fut
finalement acquittée par le tribunal de district. La procédure est semble-t-il
pendante devant la juridiction d’appel.
33. Le 21 septembre 2011, le tribunal de district de Prague 3 déclara
Mme K. coupable d’avoir causé par négligence un préjudice corporel à un
bébé qu’elle avait aidé à mettre au monde à domicile et qui avait cessé de
respirer pendant l’accouchement. Le nourrisson était décédé quelques jours
plus tard. Mme
K. se vit infliger une peine de deux ans d’emprisonnement
assortie d’un sursis de cinq ans, se vit interdire pour cinq ans l’exercice de
la profession de sage-femme et fut condamnée à verser 2,7 millions de
couronnes tchèques (CZK – soit 105 000 euros (EUR)) en remboursement
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 9
des frais exposés par la compagnie d’assurance pour les soins prodigués à
l’enfant jusqu’à son décès. Selon le tribunal, Mme
K. avait commis une faute
professionnelle en ce qu’elle n’avait pas appliqué les procédures normales à
suivre pour les accouchements établies par l’ordre des médecins de la
République tchèque (Česká lékařská komora), et sa conduite n’avait donc
pas été conforme aux règles de l’art. La plainte pénale n’avait pas été
déposée par les parents mais par un hôpital.
34. Le 24 juillet 2013, la Cour constitutionnelle annula tous les
jugements rendus dans la cause de Mme
K. au motif qu’il y avait eu violation
de son droit à un procès équitable. Elle estima que les conclusions des
juridictions ordinaires sur la culpabilité de Mme
K. étaient trop subjectives et
n’étaient pas étayées par des éléments de preuve allant au-delà de tout doute
raisonnable ; elle y voyait une violation du principe de la présomption
d’innocence. Elle indiqua notamment que les tribunaux s’étaient fiés
aveuglément à une expertise qu’ils n’avaient pas soumise à un examen
minutieux. Elle conclut que, sur la base de cette expertise, les tribunaux
avaient appliqué un critère très strict de responsabilité pour juger de la
conduite de Mme
K., alors que nul ne pouvait dire clairement comment, dans
la situation en cause, celle-ci aurait pu empêcher le décès du bébé. La haute
juridiction ajouta qu’il était établi que l’intéressée avait tenté de secourir le
nouveau-né et appelé une ambulance immédiatement après avoir découvert
qu’il souffrait d’hypoxie. La Cour constitutionnelle jugea que l’obligation
de prévoir toute complication pouvant surgir lors d’un accouchement et de
pouvoir y réagir immédiatement, comme cela avait été exigé de Mme
K.,
aboutirait à terme de facto à une interdiction absolue des accouchements à
domicile. Dans ce contexte, elle déclara ce qui suit :
« (...) un État démocratique moderne fondé sur la prééminence du droit repose sur la
protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation a un rapport
étroit avec la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les
activités personnelles, vont de pair avec une part de risque acceptable. Le droit des
parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement n’est limité que par
l’intérêt à voir l’accouchement bien se passer et à protéger la santé de l’enfant, cet
intérêt ne pouvant toutefois être interprété comme une préférence inconditionnelle
pour l’accouchement à l’hôpital. »
III. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La loi sur la santé publique
35. D’après l’article 12 a) 1) de la loi sur la santé publique (no
20/1966 –
zákon o péči o zdraví lidu), qui fut en vigueur jusqu’au 31 mars 2012, un
établissement dispensant des soins de santé devait disposer de moyens
humains, matériels et techniques adaptés à la nature et à l’étendue de l’offre
de soins. En vertu de l’article 12 a) 2) de la loi, le ministère de la Santé
10 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
devait préciser par arrêté les exigences relatives aux moyens matériels,
humains et techniques dont devaient être dotés les établissements de santé.
36. L’article 18 § 1 de la loi indiquait que les soins ambulatoires – qui
englobaient les consultations – étaient assurés par un médecin généraliste et
des spécialistes dans des salles de consultation ou dans des établissements
de soins ambulatoires partenaires.
B. La loi sur les soins dans les établissements de santé privés
37. L’article 4 § 1 de la loi sur les soins dans les établissements de santé
privés (no
160/1992 – zákon o zdravotní péči v nestátních zdravotnických
zařízeních), qui fut en vigueur jusqu’au 31 mars 2012, imposait aux
établissements privés d’être dotés des moyens humains, matériels et
techniques adaptés à la nature et à l’étendue de leur offre de soins.
38. L’article 4 § 2 b) donnait compétence au ministère de la Santé pour
adopter un arrêté précisant les exigences relatives à l’équipement technique
et matériel dont devaient être dotés les établissements de santé privés.
39. L’article 5 § 2 a) de cette loi disposait qu’un établissement privé
pouvait prodiguer les soins de santé visés dans la décision
d’immatriculation de cet établissement.
40. L’article 14 indiquait que quiconque enfreignait la loi s’exposait à
une amende, mais sans en préciser le montant.
C. La loi sur les professions paramédicales
41. Selon l’article 6 § 3 de la loi sur les professions paramédicales
(no
96/2004 – zákon o nelékařských zdravotnických povolání), entrée en
vigueur le 1er
avril 2004, l’exercice de la profession de sage-femme englobe
entre autres tâches les accouchements physiologiques et les soins aux
nouveau-nés.
D. L’arrêté no
424/2004 du ministère de la Santé
42. L’arrêté du ministère de la Santé sur les activités du personnel
médical et d’autres spécialistes (vyhláška, kterou se stanoví činnosti
zdravotnických pracovníků а jiných odborných pracovníků), qui fut en
vigueur du 20 juillet 2004 au 13 mars 2011, définissait les tâches des
professionnels de santé et d’autres secteurs. L’article 5 § 1 f) indiquait que
les sages-femmes pouvaient pratiquer certains actes sans supervision
professionnelle, dont les accouchements physiologiques en situation
d’urgence et les épisiotomies si nécessaire.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 11
E. L’arrêté no
221/2010 du ministère de la Santé
43. L’arrêté du ministère de la Santé sur les exigences relatives à
l’équipement matériel et technique des établissements de santé (vyhláška o
požadavcích na věcné a technické vybavení zdravotnických zařízení), qui fut
en vigueur du 1er
septembre 2010 au 31 mars 2012, ne prévoyait la
possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des accouchements que dans
des salles spécialement équipées à cet effet. Pareille salle devait avoir une
superficie d’au moins 15 m2
et disposer de l’équipement indispensable
suivant : a) un lit d’accouchement pour salle d’accouchement ou un autre
dispositif approprié pour pratiquer un accouchement physiologique ; b) une
lampe d’examen ; c) une pince stérile ou une bande élastique pour le cordon
ombilical ; d) des ciseaux stériles ; e) un moniteur fœtal électronique ; f) un
oxymètre de pouls ; g) un dispositif d’aspiration ; h) un laryngoscope et les
instruments nécessaires pour dégager les voies respiratoires ; i) un lit pour
les parturientes après l’accouchement ; j) un espace et une surface
appropriés pour les soins aux nouveau-nés ; k) une balance pour peser les
nouveau-nés ; l) un instrument de mesure de la taille des nouveau-nés ;
m) une source d’oxygène médical. De plus, il devait y avoir une autre pièce
d’au moins 8 m2 pour les soins à la mère et à l’enfant après la naissance,
ainsi qu’une douche.
44. Ces installations devaient se trouver à une distance qui permît de
pratiquer une césarienne ou une intervention destinée à assurer la dernière
phase de l’accouchement au sein d’un établissement de santé dispensant des
soins en régime hospitalier et répondant aux exigences définies dans
l’arrêté, et ce dans les quinze minutes suivant la découverte de
complications.
45. En outre, l’arrêté permettait aux sages-femmes de mettre en place un
« lieu d’exercice et de contact », qui devait être doté de l’équipement
suivant : a) du mobilier adapté au travail de sage-femme, et b) un téléphone
portable.
46. Les sages-femmes devaient aussi posséder une sacoche contenant :
a) un instrument de détection des bruits fœtaux ; b) du matériel jetable pour
l’examen d’une femme enceinte ; c) un sphygmomanomètre ; d) un
stéthoscope ; e) un thermomètre médical ; f) du matériel pour les premiers
secours, notamment un dispositif de réanimation cardio-respiratoire.
47. L’article 2 de l’arrêté accordait aux établissements de santé existant
à la date de son entrée en vigueur un délai de douze mois à compter de cette
date pour se conformer aux exigences relatives à l’équipement technique et
matériel posées par ce texte.
L’arrêté no
234/2011, entré en vigueur le 31 août 2011, porta ce délai à
vingt-huit mois.
12 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
F. La loi sur les services médicaux
48. La loi sur les services médicaux (no
372/2011 – zákon o zdravotních
službách) est entrée en vigueur le 1er
avril 2012. Elle a remplacé la loi sur la
santé publique (paragraphes 35-36 ci-dessus), la loi sur les soins dans les
établissements de santé privés (paragraphes 37-40 ci-dessus) et l’arrêté sur
les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des
établissements de santé (paragraphes 43-47 ci-dessus).
49. D’après l’article 2 § 2 a), on entend par « services de santé »
l’administration de soins de santé, au sens de la loi, par des professionnels
de santé, ainsi que les actes pratiqués par d’autres professionnels dès lors
que ces actes sont directement liés à l’administration de soins de santé.
50. L’article 2 § 4 a) 4) de la loi indique que l’on entend par « soins de
santé » l’ensemble des actes et mesures de santé mis en œuvre à l’égard
d’un individu, dont l’assistance lors d’un accouchement.
51. Selon l’article 4 § 1, on entend par « établissement de santé » une
structure destinée à la fourniture de services de santé.
52. L’article 10 de la loi énonce que la fourniture de soins de santé dans
le propre cadre de vie d’un patient – notamment à domicile – ne peut
concerner que des actes auxquels ne sont pas applicables des conditions
relatives à l’équipement technique et matériel nécessaire à leur réalisation
dans un établissement de santé.
53. Selon l’article 11 § 5 de cette loi, les services de santé ne peuvent
être assurés que dans les établissements de santé indiqués dans
l’autorisation relative à la fourniture de services de santé, excepté pour ceux
qui sont dispensés dans le cadre de vie du patient. Dans ce cas, les
prestataires de services de santé doivent disposer de leur propre lieu
d’exercice et de contact pour soins à domicile.
54. L’article 11 § 6 indique qu’un établissement de santé doit posséder
l’équipement technique et matériel nécessaire à la fourniture de services de
santé. Cet équipement doit correspondre à la spécialisation de
l’établissement ainsi qu’à la nature et à la forme des soins de santé qui y
sont administrés. Les exigences relatives à l’équipement technique et
matériel minimal nécessaire doivent être énoncées dans un arrêté
d’application.
55. L’article 114 de la loi dispose qu’une personne fournissant un
service de santé sans y être dûment autorisée s’expose à une amende
pouvant aller jusqu’à 1 million de CZK (37 000 EUR).
G. Le rapport explicatif de la loi sur les services médicaux
56. En ses passages pertinents, le rapport explicatif de la loi sur les
services médicaux se lit ainsi :
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 13
« La (...) législation (...) appartien[t] à un ensemble de lois et règlements régissant
les conditions juridiques destinées à garantir le droit constitutionnel de tous à la
protection de la santé et le droit constitutionnel des citoyens à des soins médicaux
gratuits au sens de l’article 31 de la Charte des droits et libertés fondamentaux, ainsi
que le droit à la protection de la dignité humaine, et le droit à la vie privée et familiale
et à l’intégrité physique (...)
La loi (...) définit les soins de santé professionnels (...) L’État doit réglementer [ces]
soins de santé (...) ; il est tenu de veiller à l’accessibilité des services de santé et de
garantir pour ces services un niveau satisfaisant de qualité et de sécurité. La condition
permettant de remplir cette exigence est que les soins de santé professionnels ne
peuvent être dispensés que par des prestataires de services de santé (...)
La loi (...) est l’un des éléments de la législation qui créé les conditions de
l’exécution par la République tchèque de ses obligations en matière de protection de
la santé et de fourniture de services de santé, telles qu’elles découlent (...) du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (...) et de la Charte
européenne (...) La loi prend également en considération la Convention relative aux
droits de l’enfant (...)
Concernant la fourniture de services de santé, le patient se trouve sur un pied
d’égalité avec le prestataire et avec le personnel médical, et a le droit de consentir ou
non aux services de santé proposés, à la lumière des informations et conseils relatifs à
ces services qui sont dûment fournis par le prestataire ou par une personne que le
prestataire a désignée à cet effet (...)
Il est souvent plus efficace et judicieux de dispenser au patient des services de santé
dans son propre cadre de vie. Celui-ci ne se limite pas nécessairement au domicile de
l’intéressé ; il peut aussi s’agir d’un cadre de substitution, comme un foyer social ou
un foyer pour enfants (...) Les services de santé assurés dans le cadre de vie du patient
comprennent, d’une part, les soins à domicile et, d’autre part, les soins ambulatoires.
Les soins à domicile ont un effet notable sur les changements touchant le système de
protection médicale dans son ensemble car (...) ils permettent d’améliorer la vie des
patients et de les maintenir plus longtemps dans leur environnement familier (...)
L’un des droits fondamentaux des patients est le droit au libre choix du prestataire
de services de santé (...) La loi donne aux patients le droit de recevoir toutes les
informations sur leur état de santé et sur les services de santé qui doivent leur être
fournis (...)
Dans le cadre de l’attention portée à leur propre santé, les individus peuvent en
fonction de leurs choix personnels recourir à d’autres mesures ; parmi celles-ci
figurent les initiatives visant à améliorer et préserver la santé et d’autres initiatives
relevant de l’ « auto-traitement » (...) La loi ne s’oppose pas à de telles mesures ;
simplement, elle ne les définit pas comme faisant partie des soins de santé et des
services de santé professionnels, dont la qualité est garantie par l’État. Cela tient
principalement au fait qu’il n’est pas réalisable d’évaluer objectivement la qualité de
ces soins et que dès lors il n’est pas possible d’en garantir la sécurité ou l’efficacité.
Les services de santé ne peuvent donc être fournis que sur la base de la loi sur les
services médicaux. »
14 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
H. L’arrêté no
92/2012 du ministère de la Santé
57. L’arrêté sur les exigences relatives à l’équipement technique et
matériel minimal des établissements de santé et des lieux d’exercice et de
contact pour soins à domicile (vyhláška o požadavcích na minimální
technické a věcné vybavení zdravotnických zařízení a kontaktních pracovišť
domácí péče) est entré en vigueur le 1er
avril 2012. Il a remplacé l’arrêté sur
les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des
établissements de santé (paragraphes 43-47 ci-dessus).
58. Cet arrêté prévoit notamment la possibilité pour les sages-femmes de
pratiquer des accouchements dans des salles spécialement équipées à cette
fin. Les exigences en matière d’équipement sont identiques à celles qui
étaient définies dans l’arrêté no
221/2010. L’arrêté de 2012 contient
toutefois une nouvelle prescription : en cas d’impossibilité de pratiquer une
césarienne ou une intervention destinée à permettre la dernière phase de
l’accouchement dans un établissement médical dispensant des soins en
régime hospitalier dans les quinze minutes qui suivent la découverte de
complications, il faut préparer une salle d’accouchement satisfaisant aux
normes formulées dans le nouvel arrêté. De plus, le lieu où la sage-femme
exerce doit lui aussi être équipé dans le respect des critères indiqués dans
l’arrêté.
59. Concernant le « lieu d’exercice et de contact » pour les soins
infirmiers d’ordre gynécologique ou obstétrical, l’arrêté exige que ce lieu
comporte : a) du mobilier adapté au travail de sage-femme ; b) une armoire
de classement si les dossiers médicaux ne sont pas conservés uniquement
sous la forme électronique ; c) une connexion à un réseau public de
téléphonie mobile ; d) un instrument de détection des bruits fœtaux ; e) du
matériel jetable pour l’examen d’une femme enceinte ; f) un
sphygmomanomètre ; g) un stéthoscope ; h) un thermomètre médical ; i) du
matériel pour les premiers secours, notamment un dispositif de réanimation
cardio-respiratoire, et j) une boîte pour le transport de matériel biologique.
Le lieu d’exercice et de contact doit avoir une superficie d’au moins 10 m2
et être doté d’installations sanitaires pour les employés.
60. Les établissements de santé et les lieux d’exercice et de contact pour
soins à domicile existant à la date de l’entrée en vigueur et répondant aux
exigences du précédent arrêté se sont vu accorder un délai de neuf à douze
mois pour se conformer aux prescriptions du nouveau texte.
I. L’arrêté no
99/2012 du ministère de la Santé
61. L’arrêté sur les exigences minimales applicables au personnel
fournissant des services de santé (vyhláška o požadavcích na minimální
personální zabezpečení zdravotních služeb) est entré en vigueur le 1er
avril
2012. Le chapitre intitulé « Exigences applicables au personnel fournissant
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 15
des soins à domicile » indique que les soins infirmiers d’ordre
gynécologique et obstétrical doivent être dispensés par une sage-femme
qualifiée pour exercer son métier de manière indépendante ou, lorsqu’il y a
lieu de pratiquer des actes visés par une autre disposition juridique, par une
sage-femme possédant une qualification particulière et compétente pour
exercer son métier de manière indépendante (qualification en soins intensifs,
en soins intensifs de néonatalogie, ou en soins de proximité).
IV. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. La Convention pour la protection des droits de l’homme et de la
dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie
et de la médecine (Convention sur les droits de l’homme et la
biomédecine)
62. Les dispositions pertinentes de la Convention sur les droits de
l’homme et la biomédecine sont ainsi libellées :
Article 5 – Règle générale
« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la
personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.
Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la
nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.
La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »
Article 6 – Protection des personnes n’ayant pas
la capacité de consentir
« (...) une intervention ne peut être effectuée sur une personne n’ayant pas la
capacité de consentir, que pour son bénéfice direct.
Lorsque, selon la loi, un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention,
celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou
d’une personne ou instance désignée par la loi (...) »
Article 8 – Situations d’urgence
« Lorsqu’en raison d’une situation d’urgence le consentement approprié ne peut être
obtenu, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement
indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée. »
63. De plus, le rapport explicatif de la Convention sur les droits de
l’homme et la biomédecine précise en son paragraphe 34 qu’ « [à] l’instar
de l’article 4, [l’article 5] entend le terme « intervention » dans son sens le
plus large, c’est-à-dire comme comprenant tout acte médical, en particulier
les interventions effectuées dans un but de prévention, de diagnostic, de
thérapie, de rééducation ou de recherche ».
16 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
B. La Convention relative aux droits de l’enfant
64. Les dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de
l’enfant se lisent ainsi :
Article 3
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des
institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités
administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une
considération primordiale.
2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins
nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses
tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette
fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
(...) »
Article 5
« Les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents
ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme
prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables
de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de
ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui
reconnaît la présente Convention. »
Article 6
« 1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.
2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le
développement de l’enfant. »
Article 18
« 1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du
principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est
d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant
et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas
échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt
supérieur de l’enfant.
(...) »
Article 24
« 1. Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de
santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent
de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services.
2. Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit
susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour :
a) Réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants ;
(...)
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 17
d) Assurer aux mères des soins prénatals et postnatals appropriés ;
(...) »
C. Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes
65. Dans la section « Santé » de ses observations finales du 22 octobre
2010 sur la République tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/5), le Comité pour
l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a notamment
formulé les recommandations suivantes :
« 36. Tout en reconnaissant la nécessité d’assurer le maximum de sécurité aux
mères et aux nouveau-nés pendant l’accouchement et en relevant le faible taux de
mortalité périnatale dans l’État partie, le Comité prend acte d’informations faisant état
d’ingérences dans les choix des femmes en matière de santé génésique dans les
hôpitaux, notamment d’interventions médicales courantes, qui auraient souvent lieu
sans le consentement préalable, libre et éclairé de la femme ou en dehors de toute
prescription médicale, d’un accroissement rapide du taux de recours aux césariennes,
de la séparation des nouveau-nés de leur mère pendant de longues heures sans motif
lié à leur état de santé, d’un refus d’autoriser la mère et l’enfant à quitter l’hôpital
dans les soixante-douze heures qui suivent l’accouchement et d’attitudes paternalistes
de la part des médecins qui empêchent les femmes d’exercer leur liberté de choix. Il
note également les informations selon lesquelles les femmes auraient peu de
possibilités d’accoucher en dehors des hôpitaux.
37. Le Comité recommande à l’État partie de songer à adopter dans les meilleurs
délais une loi sur les droits des patients, y compris les droits des femmes en matière de
santé génésique, d’adopter un protocole normatif en matière de soins périnatals qui
garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions
médicales inopportunes, de faire en sorte que toutes les interventions ne puissent être
effectuées qu’avec le consentement préalable libre et éclairé de la femme, de
surveiller la qualité des soins dans les maternités, de dispenser une formation
obligatoire à tous les personnels de santé au sujet des droits des patients et des normes
éthiques connexes, de continuer de sensibiliser les patients à leurs droits, notamment
en diffusant des informations, et d’envisager des mesures pour faire en sorte que les
accouchements pratiqués en dehors des hôpitaux par des sages-femmes soient une
option sans danger et abordable pour les femmes. »
66. Dans ses observations finales du 14 mars 2016 sur la République
tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/6), le Comité a émis les recommandations
qui suivent :
« 4. Le Comité salue les progrès accomplis depuis l’examen, en 2010, du cinquième
rapport périodique de l’État partie (CEDAW/C/CZE/CO/5) en ce qui concerne la mise
en place des réformes législatives, notamment l’adoption de :
a) La loi no
372/2011 Coll. relative aux services de santé et aux conditions d’offre
de ces services (loi sur les services de santé), telle que modifiée par la loi
no
167/2012 Coll. ;
(...)
18 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
30. Le Comité se félicite du faible taux de mortalité périnatale dans l’État partie. Il
relève toutefois avec préoccupation que, d’après certaines informations, les conditions
dans lesquelles se déroulent les accouchements et les conditions prévalant dans les
services obstétricaux continueraient de restreindre indûment le choix des femmes en
matière de santé procréative, s’agissant notamment :
a) De la séparation injustifiée des nouveau-nés de leur mère sans raison médicale ;
b) De l’imposition de restrictions injustifiées aux accouchements à domicile ;
c) De la pratique fréquente de l’épisiotomie sans nécessité médicale, contre la
volonté de la mère qui préfère que le médecin s’abstienne d’y recourir ;
d) Des conditions trop restrictives dans lesquelles il peut être fait appel aux
services de sages-femmes à la place de ceux du médecin/gynécologue dans les cas
où il n’y a aucun risque pour la santé.
31. Le Comité renouvelle sa précédente recommandation faite à l’État partie
d’envisager d’adopter dans les meilleurs délais une loi sur les droits des patients, y
compris les droits des femmes en matière de santé procréative. Pour cela, l’État partie
devrait :
a) Adopter des lignes directrices claires pour que la séparation des nouveau-nés
d’avec leur mère soit subordonnée à des impératifs médicaux ;
b) Mettre en place un système de soins de santé prénatals qui permette d’évaluer
efficacement la faisabilité d’un accouchement à domicile et la possibilité de faire ce
choix ;
c) À la lumière de la récente adoption de la loi no
372/2011 Coll. relative aux
services de santé et aux conditions d’offre de ces services, garantir sa mise en œuvre
effective dans le respect de la Convention, notamment par l’adoption et
[l’application] d’un protocole de soins pour les naissances sans problèmes qui
garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions
médicales inopportunes, faire en sorte que les interventions ne puissent être
effectuées qu’avec le consentement préalable, libre et éclairé de la femme, contrôler
la qualité des soins dispensés dans les maternités, prévoir une formation obligatoire
à l’intention de tous les personnels de santé portant sur les droits des patients et les
normes éthiques connexes et continuer de sensibiliser les patients à leurs droits,
notamment en diffusant ces informations ;
d) Prendre des mesures, notamment d’ordre législatif, pour que les accouchements
pratiqués par des sages-femmes en dehors des hôpitaux soient une option sans
danger et abordable pour les femmes. »
V. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ
67. D’après les informations dont la Cour dispose, l’accouchement
programmé pour se dérouler à domicile est prévu par le droit interne et
réglementé dans vingt États membres du Conseil de l’Europe (l’Allemagne,
l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, l’ex-République
yougoslave de Macédoine, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande,
l’Islande, l’Italie, la Lettonie, le Liechtenstein, le Luxembourg, les
Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse). Dans ces
pays, le droit d’accoucher à domicile n’est jamais absolu et reste toujours
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 19
subordonné au respect de certaines conditions médicales. De plus, dans
quinze de ces États seulement, l’assurance maladie nationale prend en
charge les accouchements à domicile.
68. Il ressort également que l’accouchement à domicile n’est pas
réglementé ou est sous-réglementé dans vingt-trois États membres
(l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la
Croatie, l’Espagne, la Finlande, la Géorgie, la Lituanie, Malte, la
République de Moldova, Monaco, le Monténégro, le Portugal, la Roumanie,
la Russie, Saint-Marin, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Turquie et
l’Ukraine). Il apparaît que dans certains de ces pays l’accouchement à
domicile est pratiqué, mais sans cadre juridique et sans couverture médicale
nationale. Par ailleurs, l’étude n’a pas permis de découvrir de législation qui
interdise l’assistance d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile.
Dans un très petit nombre d’États membres parmi ceux étudiés, des
sanctions disciplinaires ou pénales sont possibles mais semblent toutefois
rarement infligées.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA
CONVENTION
69. Les requérantes se plaignent que le droit tchèque n’autorisait pas les
professionnels de santé à les assister pendant leur accouchement à domicile.
Elles y voient une violation du droit au respect de la vie privée consacré par
l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile
et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit
que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une
mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la
sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la
protection des droits et libertés d’autrui. »
70. Le Gouvernement conteste la thèse des requérantes.
A. L’arrêt de la chambre
71. Dans son arrêt du 11 décembre 2014, la chambre a conclu à la
non-violation de l’article 8 de la Convention. Elle a estimé que donner la vie
était un aspect particulièrement intime de la vie privée d’une mère, qui
englobait des questions touchant à l’intégrité physique et morale, à l’acte
20 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
médical, à la santé génésique et à la protection des informations relatives à
la santé. Elle a indiqué que les décisions concernant les conditions de
l’accouchement, y compris le choix du lieu, relevaient donc de la vie privée
de la mère aux fins de l’article 8. Elle a jugé qu’il convenait d’analyser les
griefs des requérantes sous l’angle des obligations négatives et que
l’impossibilité pour les intéressées de se faire assister par une sage-femme
pour accoucher chez elles s’analysait en une ingérence dans l’exercice par
elles de leur droit au respect de leur vie privée.
72. La chambre a ajouté que l’ingérence était prévue par la loi, étant
donné que, même si la législation n’était pas tout à fait claire, les
requérantes pouvaient néanmoins prévoir, à un degré raisonnable dans les
circonstances de l’espèce, que l’assistance d’un professionnel de santé pour
un accouchement à domicile n’était pas autorisée par la loi. Elle a dit que
l’ingérence poursuivait un but légitime en ce qu’elle était destinée à
protéger la santé et la sécurité des nouveau-nés et, au moins indirectement,
celles des mères.
73. Sur le point de savoir si l’ingérence était nécessaire dans une société
démocratique, la chambre a estimé que l’État défendeur devait jouir d’une
ample marge d’appréciation en raison de la nécessité pour les autorités
nationales de procéder à une analyse de données spécialisées et scientifiques
concernant les risques afférents à l’accouchement à l’hôpital d’une part et à
l’accouchement à domicile d’autre part, de la nécessité d’une grande
implication de l’État due à la vulnérabilité des nouveau-nés et à leur
dépendance à l’égard d’autres personnes, de l’absence d’une claire
communauté de vues entre les États membres sur la question de
l’accouchement à domicile et, enfin, de considérations générales de
politique sociale et économique, notamment l’allocation de ressources à la
création d’un système d’urgence adéquat pour les accouchements à
domicile.
74. La chambre a dit que la situation en question avait pesé lourdement
sur la liberté de choix des requérantes, alors que le Gouvernement s’était
principalement intéressé à l’objectif légitime que constitue la protection de
l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle a ajouté qu’en fonction de sa nature et de
sa gravité, l’intérêt de l’enfant pouvait l’emporter sur celui du parent, lequel
n’était pas autorisé en vertu de l’article 8 de la Convention à prendre des
mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant. Pour la
chambre, même si aucun conflit d’intérêts n’opposait généralement une
mère et son enfant, on pouvait considérer que certains choix concernant le
lieu, les conditions ou la méthode d’accouchement engendraient un risque
accru pour la santé et la sécurité du nouveau-né, comme l’attestaient les
chiffres relatifs aux décès périnatals et néonatals.
75. La chambre a estimé que si la majorité des études dont elle disposait
sur la sécurité des accouchements à domicile indiquaient que ceux-ci ne
présentaient pas plus de risques que les accouchements à l’hôpital, cela
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 21
n’était vrai que sous certaines conditions, c’est-à-dire si l’accouchement
était « à faible risque », s’il se déroulait en présence d’une sage-femme
qualifiée et non loin d’un hôpital pouvant accueillir la mère en cas
d’urgence. La chambre en a déduit que dans une situation telle que celle
prévalant en République tchèque, où les professionnels de santé n’avaient
pas le droit d’aider les mères à accoucher à domicile et où aucune aide
d’urgence spéciale n’était disponible, le risque pour la vie et la santé des
mères et des nouveau-nés était en fait accru. Relevant cependant l’argument
du Gouvernement selon lequel le risque pour les nouveau-nés était plus
élevé en cas d’accouchement à domicile, la chambre a dit qu’il était vrai que
même si une grossesse se déroulait apparemment sans complications, des
difficultés inattendues nécessitant une intervention médicale spécialisée
pouvaient survenir au moment de l’accouchement. Elle a conclu que dans
ces conditions on ne pouvait affirmer que les mères concernées, dont les
requérantes, avaient eu à supporter une charge disproportionnée et excessive
et qu’en conséquence, en adoptant et en appliquant la politique relative aux
accouchements à domicile, les autorités tchèques n’avaient pas outrepassé
l’ample marge d’appréciation qui leur était accordée ni compromis le juste
équilibre requis entre les intérêts concurrents.
76. Enfin, la chambre a observé qu’en dépit de cette conclusion les
autorités devaient soumettre les dispositions pertinentes à un examen
constant afin de prendre en compte les avancées médicales, scientifiques et
juridiques.
B. Thèses des parties devant la Grande Chambre
1. Les requérantes
a) Sur les obligations négatives ou positives
i. Mme
Dubská
77. La requérante soutient que la présente affaire concerne la protection
de la santé des femmes et de leurs enfants, qui à son avis se trouve
gravement compromise lorsque l’État autorise les femmes à accoucher chez
elles tout en adoptant des règles qui les empêchent de bénéficier de
l’assistance d’une sage-femme. Invoquant l’arrêt de la chambre, elle allègue
que l’État a porté atteinte à sa vie privée. Elle estime que l’affaire peut être
analysée à travers le prisme des obligations tant positives que négatives,
mais qu’il convient d’apprécier l’espèce principalement sous l’angle des
obligations négatives, l’interdiction faite aux sages-femmes d’aider les
femmes à accoucher à domicile pouvant selon elle être perçue comme une
ingérence dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée. Elle
considère en d’autres termes que la politique suivie par l’État a eu pour
22 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
conséquence directe de l’empêcher d’obtenir l’assistance d’une sage-femme
lors de son accouchement.
ii. Mme
Krejzová
78. La requérante déclare que l’impossibilité pratique à laquelle elle
s’est heurtée de choisir un autre mode d’accouchement et l’obligation où
elle s’est trouvée de se résigner à une prise en charge à l’hôpital – où elle
aurait été soumise à des actes obstétricaux violents – ont constitué une grave
violation de son droit à décider des conditions de son accouchement et une
atteinte à son droit à l’intégrité physique et morale découlant de l’article 8
de la Convention. Tout en estimant que les circonstances de l’espèce
plaident plutôt en faveur d’un examen sous l’angle des obligations positives
de l’État, elle souhaite appliquer une approche globale à la question de
savoir si le préjudice subi par elle se justifiait compte tenu des principes
pertinents contenus dans la Convention, étant entendu selon elle que les
principes sous-jacents de légalité, de légitimité et de proportionnalité sont
inhérents aux obligations positives comme aux obligations négatives de
l’État.
b) Sur la légalité de l’ingérence
i. Mme
Dubská
79. La requérante soutient que l’ordre juridique tchèque permet
l’interprétation selon laquelle l’assistance d’un professionnel de santé est
autorisée lors d’un accouchement à domicile. Selon elle, dès lors qu’un
cadre juridique régit les obligations des sages-femmes, le droit des femmes
à l’autodétermination et à donner un consentement éclairé, et l’existence de
soins à domicile – notamment l’assistance d’un professionnel de santé lors
d’un accouchement à domicile –, il est possible d’affirmer que l’on dispose
d’un socle juridique et institutionnel qui autorise les femmes à choisir le lieu
de leur accouchement. Reconnaître la possibilité d’opter pour
l’accouchement à domicile n’exigerait pas de règle précise et explicite ni le
développement des services d’urgence existants. En outre, les services
d’urgence seraient déjà accessibles à toutes les femmes en République
tchèque, indépendamment du lieu où elles choisissent d’accoucher et de la
présence ou de l’absence d’un professionnel de santé lors de
l’accouchement.
80. La requérante affirme que la législation relative à l’accouchement à
domicile garantit à la patiente la liberté de décider d’accoucher chez elle en
toute légalité mais que cette législation, ou tout au moins l’interprétation qui
en est faite, n’est pas claire et n’offre aucune certitude quant à la possibilité
pour une sage-femme d’intervenir à domicile.
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 23
81. Elle indique que l’arrêté no
221/2010, qui était en vigueur du
1er
septembre 2010 au 31 mars 2012, n’a pas modifié la réglementation sur
l’accouchement à domicile ni interdit l’assistance lors d’un tel
accouchement. Elle expose que l’arrêté mentionnait trois lieux d’exercice
possibles pour les sages-femmes : ceux où les accouchements étaient
autorisés, ceux où les accouchements physiologiques n’étaient pas autorisés,
et les cabinets pour les soins à domicile. En fait, cet arrêté n’aurait pas
interdit aux sages-femmes de pratiquer des accouchements à domicile, si
bien qu’il aurait été malaisé de déterminer si une praticienne disposant d’un
cabinet pour les soins à domicile pouvait ou non prêter son assistance lors
d’un accouchement à domicile (donc en dehors de son lieu d’exercice). À ce
sujet, la requérante ajoute que l’article 18 § 1 de la loi sur la santé publique
autorisait les soins à domicile dans le cadre des soins de santé. Selon elle,
l’arrêté en question n’encadrait pas avec précision les activités des
sages-femmes. La requérante indique que même une sage-femme exerçant
dans un lieu immatriculé où les accouchements n’étaient pas autorisés
pouvait fort bien fournir une assistance lors d’un accouchement en milieu
hospitalier et accompagner la future mère à l’hôpital (bien qu’elle n’en fût
pas salariée) dès lors qu’elle avait conclu un contrat spécial avec
l’établissement en question. L’arrêté n’aurait été en vigueur que jusqu’au
31 mars 2012 et il n’aurait donc rien pu changer à la situation ambiguë qui
avait cours avant son adoption. En effet, en son article 2 § 1 il aurait accordé
aux établissements de santé existant avant son entrée en vigueur une période
transitoire de douze mois pour se conformer aux exigences qu’il posait. La
requérante plaide à cet égard qu’à l’époque où elle a mis au monde son
enfant l’arrêté n’était en vigueur que depuis huit mois et les établissements
de santé existants – y compris les sages-femmes, qui se seraient heurtées à
une procédure d’enregistrement floue et imprévisible – n’étaient pas encore
tenus de s’y conformer.
82. Invoquant l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Gillan et Quinton
c. Royaume-Uni (no
4158/05, § 77, CEDH 2010 (extraits)), la requérante
argue que la législation applicable ne fixait aucune limite aux décisions du
ministère de la Santé relatives aux conditions auxquelles était subordonné
l’exercice du métier de sage-femme en République tchèque. Par ailleurs, en
l’absence, selon elle, de dispositions régissant directement l’accouchement à
domicile, il n’y aurait pas eu de règles claires et transparentes pour les
administrations régionales appelées à décider si une sage-femme pouvait se
voir délivrer une autorisation et à définir ce que couvrait cette autorisation.
83. La requérante indique que ce n’est qu’après son accouchement que
la loi sur les services médicaux (no
372/2011) a été adoptée et est entrée en
vigueur (le 1er
avril 2012), et qu’il en est de même pour l’arrêté no
92/2012.
Elle estime que la teneur et les principes des dispositions juridiques sont
restés inchangés. En effet, selon elle, la loi sur les services médicaux
considère les soins à domicile comme l’une des formes de soins de santé
24 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
possibles, et fait des soins infirmiers une variante de cette forme
d’intervention (article 10). Or la définition des soins infirmiers engloberait
clairement les soins dispensés pendant la grossesse et l’accouchement
(article 5 § 2 g)). Quant à l’arrêté, il définirait l’équipement technique dont
doivent disposer les sages-femmes donnant des soins à domicile (annexe 9 à
l’arrêté). La loi contiendrait toutefois une nouvelle disposition, qui
consacrerait le droit des patients de bénéficier de services de santé dans
l’environnement le moins contraignant possible, sous réserve que la qualité
et la sécurité de ces services soient garanties (article 28 § 3 k)). Ni la loi ni
l’arrêté ne comporteraient de restrictions empêchant les sages-femmes de
fournir, dans le cadre des soins à domicile, des services de santé à une
femme qui accouche chez elle. Pourtant, le Gouvernement et d’autres
autorités publiques feraient de la législation une interprétation qui interdit
aux sages-femmes d’offrir une assistance pour des accouchements à
domicile, ce qui aurait clairement un effet dissuasif sur les praticiennes et
les conduirait à refuser d’apporter leur concours lors de tels accouchements.
La loi ne serait ni accessible ni prévisible dans son application, dès lors
qu’elle se prêterait à différentes interprétations. En conséquence, la
requérante conteste la conclusion de la chambre selon laquelle elle aurait
raisonnablement pu prévoir que la loi n’autorisait pas l’assistance d’un
professionnel de santé lors d’un accouchement à domicile.
ii. Mme
Krejzová
84. La requérante convient avec le Gouvernement qu’à la date à laquelle
elle a mis son enfant au monde, en mai 2012, le droit tchèque n’autorisait
pas les accouchements à domicile assistés. Elle plaide toutefois que pendant
la majeure partie de sa grossesse c’était la législation en vigueur avant avril
2012 qui lui était applicable. Elle rappelle à cet égard qu’avant le 1er
avril
2012 aucune disposition légale n’empêchait les sages-femmes de dispenser
des soins lors d’un accouchement à domicile. Elle indique que pour pouvoir
prodiguer des soins, une sage-femme devait notamment être titulaire d’une
autorisation d’exercer lui permettant d’être assimilée à un prestataire de
soins non public. Après l’adoption de l’arrêté no
221/2010, qui aurait
imposé aux sages-femmes de disposer de moyens humains, matériels et
techniques identiques à ceux dont sont équipées les salles d’accouchement
dans les maternités, plus aucune sage-femme n’aurait obtenu cette
autorisation. Toutefois, malgré les obligations très lourdes qu’il aurait fait
peser sur les praticiennes en matière d’équipement, cet arrêté n’aurait pas
automatiquement rendu caduques les autorisations déjà délivrées. Ainsi,
malgré la persistance de ces impératifs concernant l’équipement, certaines
sages-femmes auraient pu en théorie poursuivre leur activité dans le respect
des normes antérieures ou, plus exactement, dans le vide juridique qui aurait
existé. En conséquence, les femmes enceintes n’auraient eu aucune certitude
juridique sur le point de savoir si elles pouvaient bénéficier de l’assistance
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 25
d’une sage-femme pour un accouchement à domicile et les praticiennes n’en
auraient pas eu davantage quant à la question de savoir si elles étaient
légalement autorisées à fournir pareille assistance. Cette situation serait
contraire aux principes de prévisibilité et d’absence d’arbitraire.
85. En ce qui concerne la réglementation introduite en 2012, à savoir
l’arrêté no
92/2012, qui de façon générale aurait également imposé de
lourdes obligations aux sages-femmes en matière de moyens humains,
matériels et techniques, la requérante soutient qu’elle n’a pas été adoptée
selon la procédure obligatoire prévue pour l’adoption de textes
réglementaires par le ministère de la Santé. Les ministères seraient en effet
tenus de faire réaliser une étude d’impact pour tout nouveau règlement. Or,
selon la requérante, ces études d’impact n’avaient pas été réalisées, et
encore moins publiées, lorsque le processus d’adoption des arrêtés
nos 221/2010 et 92/2012 a démarré, de sorte qu’il n’y aurait pas eu de
contrôle effectif du public sur l’exercice du pouvoir législatif délégué au
ministère de la Santé.
c) Sur l’existence d’un but légitime
i. Mme
Dubská
86. La requérante considère que la chambre a admis à tort l’existence du
« but légitime » invoqué par le Gouvernement. À ses yeux, la politique mise
en œuvre par l’État n’a pas pour effet de protéger la santé et la vie des
femmes et de leurs enfants, mais d’aggraver les risques auxquels leur santé
et leur vie sont exposées. Il n’y aurait aucun lien logique entre le but
légitime déclaré, à savoir la protection de la vie et de la santé des femmes et
des enfants, et l’atteinte au droit à la protection de la vie privée que
constituerait le fait d’empêcher un professionnel qualifié de fournir des
soins lors d’un accouchement à domicile. Au contraire, cette interdiction
ferait peser un risque accru sur la santé et la vie des femmes.
ii. Mme
Krejzová
87. La requérante soutient qu’en l’espèce on ne pouvait poursuivre
aucun but légitime en l’empêchant de bénéficier de l’assistance d’une
sage-femme.
88. Par définition, le principe de légitimité exigerait que le but poursuivi
fût précis, ce qui supposerait que l’État eût une bonne connaissance du
domaine spécifique à réglementer, ainsi que de ses dysfonctionnements ou
de la marge d’amélioration. La requérante argue que la nécessité de bien
connaître le domaine concerné est évidente en l’espèce, compte tenu de la
question complexe en cause, nécessitant l’avis d’experts médicaux et des
données scientifiques sur les risques relatifs de l’accouchement en milieu
hospitalier ou à domicile. Elle estime que la législation spécifique adoptée
par l’État a totalement privé les femmes de la possibilité de se faire aider par
26 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
une sage-femme lors d’un accouchement programmé en dehors du milieu
hospitalier, et qu’en conséquence il était raisonnable d’attendre que cette
mesure fût suffisamment étayée par des données scientifiques et par l’avis
d’experts pour être justifiée et satisfaire au critère de légitimité.
89. La requérante ajoute qu’en fait depuis 1992 les femmes tchèques
pouvaient recourir en toute légalité aux services d’une sage-femme pour
accoucher à domicile, et ce jusqu’à ce que les mesures adoptées en 2010 et
2012 les privent du droit de décider des circonstances de leur accouchement.
Le Gouvernement aurait donc eu deux décennies pour recueillir des données
scientifiques sur les actes effectués par les sages-femmes en dehors d’une
structure hospitalière et pour analyser cette pratique en profondeur. Or il
n’aurait même jamais indiqué avoir réalisé pareille analyse de fond. Ainsi,
lorsqu’en 2010 et 2012 il aurait privé les femmes du droit de choisir les
circonstances de la naissance de leur enfant, le Gouvernement n’aurait eu
aucune connaissance ni des inconvénients et risques liés aux accouchements
à domicile assistés auxquels la législation en question entendait mettre fin,
ni du but positif recherché.
d) Sur la nécessité dans une société démocratique
i. Mme
Dubská
90. La requérante considère qu’il y a lieu de distinguer la présente
espèce des affaires Stübing c. Allemagne (no
43547/08, 12 avril 2012) et
A, B et C c. Irlande ([GC], no
25579/05, CEDH 2010), toutes deux évoquées
par la chambre. La Cour aurait estimé dans les arrêts en question que ces
affaires concernaient des questions de nature « morale » et que l’affaire
A, B et C c. Irlande avait trait à des problèmes particulièrement « sensibles »
dans le pays en cause, ce qui l’aurait conduite à reconnaître une ample
marge d’appréciation à l’État malgré l’existence d’une approche commune
ou d’un consensus au sein des États membres.
91. Les questions en jeu dans la présente affaire n’auraient pas de
caractère moral ou sensible, et la République tchèque n’aurait pas laissé
entendre qu’il en était ainsi ou que le but ou l’intérêt poursuivi par
l’ingérence de l’État dans l’exercice des droits de la requérante découlant de
l’article 8 était la protection de la morale publique. De plus, la chambre
aurait fait fausse route en affirmant qu’il n’existait pas d’approche
commune claire en ce qui concerne l’assistance de professionnels qualifiés
pour les accouchements à domicile. En fait, selon la requérante, sur
trente-deux États membres du Conseil de l’Europe étudiés, seize
autoriseraient expressément cette assistance à certaines conditions, cinq
l’admettraient dans la pratique sans toutefois avoir adopté de dispositions
expresses, tandis que dans deux autres une législation autorisant les
accouchements à domicile serait actuellement à l’étude. La requérante
estime que les États membres ont, dans une large mesure, une communauté
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 27
de vues sur le fait que le meilleur moyen de protéger l’intérêt des femmes
désireuses d’accoucher chez elles consiste à autoriser les sages-femmes à les
assister.
92. La requérante considère par ailleurs que l’approche répressive
adoptée par la République tchèque peut avoir des répercussions sur la
possibilité pour les femmes d’exercer d’autres droits fondamentaux, comme
le droit à la vie et le droit à la santé. Elle est d’avis qu’en rendant les
accouchements à domicile moins sûrs pour les mères, l’État fait peser un
risque sur ces autres droits, ce qui plaiderait en faveur d’une marge
d’appréciation étroite. Elle ajoute que l’avis d’experts internationaux sur la
santé maternelle et l’importance de la présence de professionnels qualifiés
auprès des parturientes confirme l’approche qui, d’après elle, fait l’objet
d’un consensus au sein des États membres. À cet égard, elle renvoie à des
avis émanant de l’Organisation mondiale de la santé.
93. La requérante estime que la chambre, lorsqu’elle admet que la
pratique de la plupart des hôpitaux tchèques est discutable quant au respect
des choix des mères, use d’un doux euphémisme pour décrire un traitement
qui constituerait souvent un traitement inhumain et dégradant contraire à
l’article 3 de la Convention. De l’avis de la requérante, une femme qui
accouche à l’hôpital en République tchèque risque fort de subir des actes
irrespectueux de ses choix, voire, comme cela arriverait souvent,
préjudiciables à sa santé et à celle du nouveau-né. De surcroît, les tribunaux
internes se montreraient régulièrement incapables de protéger les femmes
dont les droits auraient été violés dans des maternités tchèques. Il s’agirait là
d’un type de violence qui, dans le contexte tchèque, serait minimisé ou
totalement ignoré.
94. La requérante considère par ailleurs qu’en empêchant les
sages-femmes et autres professionnels qualifiés d’assister les femmes qui
accouchent à domicile, l’État applique une politique non conforme aux
normes internationales relatives à l’élimination de la mortalité et de la
morbidité maternelles et infantiles évitables. Elle ajoute, sans donner de
précisions, que la situation en République tchèque va à l’encontre des
obligations qui incombent à l’État en vertu du droit de l’Union européenne.
ii. Mme
Krejzová
95. La requérante estime que le droit pour une femme de choisir les
conditions dans lesquelles elle met son enfant au monde touche à la notion
générale de choix, qui aurait une dimension quantitative et une dimension
qualitative, lesquelles devraient l’une et l’autre être présentes
simultanément.
96. Il ne prêterait pas à controverse entre les parties que la loi sur les
services médicaux et l’arrêté no
92/2012 interdisent aux sages-femmes
d’intervenir lors d’un accouchement se déroulant en dehors du milieu
hospitalier et que la requérante était contrainte d’accoucher à l’hôpital si elle
28 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
voulait bénéficier de l’assistance de personnel médical qualifié. Le système
en place pour l’accouchement en République tchèque ne proposerait donc
qu’une seule option, de sorte qu’il serait par essence incompatible avec
l’idée que la femme doit pouvoir choisir les circonstances dans lesquelles
elle souhaite accoucher.
97. La requérante soutient que les problématiques liées à la grossesse et
à l’accouchement, et au degré de liberté des femmes à cet égard, soulèvent
également d’importantes questions concernant les relations
hommes-femmes. Elle argue que le domaine des droits génésiques des
femmes, qui selon elle est par définition féminin, est passé sous l’emprise
des hommes. Elle estime que la raison en est notamment que la profession
médicale a transformé l’accouchement et déplacé le cadre de celui-ci, ce qui
aurait affaibli le rôle naturel des femmes. Le déplacement en question aurait
introduit, dans le domaine de la grossesse et de la naissance, une nouvelle
hiérarchie qui ne cadrerait pas avec la prise en charge de l’accouchement
par les sages-femmes, basée sur une approche globale et féminine. Dans
cette discipline dominée par les hommes que serait l’obstétrique
biomédicale, le corps de la femme perdrait son intimité fondamentale et
deviendrait vulnérable face à un expert médical de sexe masculin agissant
comme une sorte d’autorité publique.
98. La requérante considère que la grossesse et l’accouchement sont les
aspects les plus intimes de la vie d’une femme, alors que, dans cet acte
délicat qu’est la mise au monde d’un enfant, elle est obligée par la force des
choses de mettre à nu devant des tiers son corps et ses émotions les plus
profondes. Le droit d’une personne à l’autodétermination engloberait sa
liberté de décider si et dans quelle mesure elle veut ou non montrer son
corps à tel ou tel tiers. À cet égard les parturientes ne pourraient pas ipso
facto exercer le même contrôle sur leur corps au motif qu’elles seraient
obligées pendant l’accouchement de partager avec d’autres ce qu’elles ont
de plus intime. Le droit de la femme à l’autodétermination serait
naturellement limité dans ce contexte, si bien que des mécanismes destinés à
compenser ces limitations seraient nécessaires. Le droit de la femme de
choisir les conditions dans lesquelles elle met son enfant au monde serait
l’un de ces principaux mécanismes. La requérante estime donc que son droit
de décider des conditions de son accouchement est destiné à compenser la
limitation de son droit à l’autodétermination, et qu’en conséquence il ne
peut en principe subir d’autres restrictions découlant de la marge
d’appréciation du Gouvernement, laquelle devrait pour cette raison être
étroite.
99. Concernant l’existence d’un consensus européen en la matière, la
requérante indique que sur trente-trois États parties à la Convention, quatre
seulement, dont la République tchèque, tiennent pour illégal les
accouchements assistés en dehors d’une structure hospitalière et rendent
passibles de sanctions les professionnels de santé qui les pratiquent. De
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 29
même que l’existence d’un consensus européen restreindrait la marge
d’appréciation du Gouvernement sur la base d’un critère quantitatif, l’idée
que la Convention est un instrument vivant restreindrait plus encore
l’étendue de cette marge sur la base d’un critère qualitatif. La marge
d’appréciation serait d’autant plus étroite que des valeurs communes aux
États membres seraient identifiées à la lumière non seulement de la
Convention mais aussi d’autres instruments internationaux – même non
contraignants ou non ratifiés par la majorité des États parties à la
Convention –, et également de la pratique générale, du climat moral et des
comportements observés dans les États membres.
100. La requérante soutient par ailleurs que confier à l’hôpital le
monopole des soins n’améliore pas la sécurité des nouveau-nés mais accroît
les risques pour les mères, y compris le risque d’actes obstétricaux violents,
et que les accouchements à domicile n’ont pas d’incidence négative sur la
mortalité périnatale.
101. Concernant le juste équilibre qu’il y aurait lieu de ménager entre
intérêts privés et publics concurrents, l’accouchement à domicile serait une
solution plus sûre que l’accouchement à l’hôpital pour les femmes ayant une
grossesse à faible risque en ce qu’il n’impliquerait pas d’actes invasifs,
systématiques et néfastes, et l’intérêt public à protéger la santé et la sécurité
des femmes enceintes ne pourrait donc pas passer pour primer l’intérêt privé
de la requérante. La santé et la sécurité des nouveau-nés ne constitueraient
pas davantage l’intérêt public en jeu. Il serait en fait établi que
l’accouchement médicalisé en milieu hospitalier et l’accouchement à
domicile assisté sont équivalents du point de vue de la santé et de la sécurité
des nouveau-nés. En conséquence, une prise en charge obstétricale de la
naissance n’étant pas, selon la requérante, plus sûre qu’un accouchement à
domicile assisté, cet aspect ne pourrait pas davantage constituer un intérêt
public légitime de nature à l’emporter sur le droit pour la requérante de
choisir les conditions de son accouchement.
102. La requérante soutient qu’il existe d’autres motifs étayant le défaut
de proportionnalité et l’absence d’un juste équilibre entre intérêts
concurrents : l’obligation de se résoudre à recevoir des soins médicaux non
désirés, les effets négatifs des mesures prises par le Gouvernement sur les
accouchements hors milieu hospitalier ou encore le manquement du
Gouvernement aux obligations lui incombant en vertu de traités
internationaux.
2. Le Gouvernement
103. D’emblée, le Gouvernement informe la Cour des évolutions
récentes intervenues dans les domaines de l’obstétrique, du métier de
sage-femme et des droits connexes des femmes. Il indique qu’en 2014 a été
créé un comité gouvernemental d’experts composé de spécialistes issus de
diverses disciplines pertinentes, parmi lesquels des représentants des
30 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
patients, d’associations de sages-femmes, d’associations de médecins, du
ministère de la Santé, de compagnies d’assurance maladie publiques et
d’avocats. Ce comité se pencherait principalement sur la complexité du
système tchèque de soins obstétricaux et de soins dispensés par des
sages-femmes, notamment sur la question du respect des droits et des
souhaits des femmes, dont le droit de choisir entre différentes options pour
accoucher. Il aurait vocation à agir en tant qu’organe spécialisé et serait
habilité à adresser des recommandations, y compris d’ordre législatif, au
gouvernement par le biais du Conseil gouvernemental pour l’égalité des
chances entre les femmes et les hommes.
104. Le Gouvernement indique par ailleurs que, dans une déclaration
officielle publiée en 2015, la Société tchèque de gynécologie et
d’obstétrique a dégagé les principes directeurs suivants relativement aux
soins obstétricaux dispensés en République tchèque : prestation de ces soins
par des médecins et par des sages-femmes uniquement dans des locaux
dotés de l’équipement adéquat et situés à proximité immédiate d’un
établissement où sont dispensés des soins plus performants ; coopération
étroite entre médecins et sages-femmes dans le domaine des soins
obstétricaux ; pour les grossesses physiologiques, adoption d’une pratique
laissant aux sages-femmes à titre principal le soin de se charger des
accouchements ; prestation de soins selon des protocoles régulièrement mis
à jour et reflétant les tendances scientifiques et internationales ; respect des
droits de la patiente à l’intimité, à l’autonomie et à des soins assurés dans le
respect de sa personne.
105. Le Gouvernement évoque également divers articles scientifiques,
publiés depuis 2013 par l’American Journal of Obstetrics and Gynecology,
qui traiteraient de nouvelles études sur la sécurité de l’accouchement dans
différents cadres et avec l’assistance de différents professionnels de
l’accouchement. D’après les conclusions de ces recherches, les
accouchements à domicile présenteraient un bilan moins bon que les
accouchements dans des établissements de santé dûment équipés,
indépendamment des professionnels présents. L’accouchement à domicile
ne satisferait donc pas aux normes actuelles concernant la sécurité des
patients en matière de soins obstétricaux dès lors qu’il présenterait un risque
accru, inutile, évitable et irrémédiable de dommages pour les parturientes,
les fœtus et les nouveau-nés.
a) Sur les obligations négatives ou positives
106. Le Gouvernement soutient que l’affaire doit être examinée sur le
seul terrain des obligations positives, que le droit en vigueur n’interdit pas
aux femmes enceintes d’accoucher à leur domicile privé et qu’en pareil cas
les autorités n’infligent pas de sanctions. Il estime qu’en conséquence la
principale question en l’espèce est de savoir si l’État doit élargir l’étendue
actuelle des soins de santé fournis aux femmes qui accouchent en
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 31
République tchèque. Il considère que, d’une manière générale, la prestation
de soins de santé est un domaine dans lequel la réglementation constitue la
norme, et qu’ainsi l’État peut garantir une certaine qualité et un certain
niveau dans les soins de santé tant privés que publics. Il est d’avis que pour
« permettre » l’assistance de professionnels de santé lors des accouchements
à domicile, il faudrait que l’État mette en place un cadre législatif et
administratif considérable et prenne d’autres mesures, notamment qu’il
réforme le système des soins d’urgence.
107. À titre subsidiaire, et se référant en particulier à l’affaire Hristozov
et autres c. Bulgarie (nos
47039/11 et 358/12, CEDH 2012 (extraits)), le
Gouvernement propose à la Cour de ne pas trancher la question de savoir si
ce sont des obligations positives ou négatives de l’État qui sont en jeu.
108. Dans l’hypothèse où la Cour déciderait d’examiner la présente
espèce sous l’angle des obligations négatives, le Gouvernement plaide que
le droit en vigueur n’interdit pas aux femmes enceintes d’accoucher à leur
domicile privé, que les autorités ne les sanctionnent pas pour cela et qu’en
conséquence il n’y a pas eu d’ingérence dans l’exercice du droit des
requérantes au respect de leur vie privée.
b) Sur la légalité de l’ingérence
109. Les dispositions de la loi sur les services médicaux établiraient
clairement que l’assistance d’un professionnel de santé pour un
accouchement relève des soins qui sont l’apanage des établissements de
santé satisfaisant à des exigences minimales expressément définies dans
l’arrêté d’application. La règle selon laquelle les soins doivent être fournis
dans des établissements de santé dotés de l’équipement adéquat, dans les
lieux précisés dans l’autorisation pertinente, serait assortie de dérogations
explicites, concernant notamment les soins prodigués dans le propre cadre
de vie du patient (par exemple à domicile) et les soins d’urgence.
L’assistance lors d’un accouchement programmé ne serait couverte par
aucune de ces dérogations. En particulier, elle ne relèverait pas des soins de
santé dispensés dans le cadre de vie du patient tel que défini à l’article 10 de
la loi sur les services médicaux, en ce que cette disposition indiquerait
expressément que pour les soins de santé fournis dans le cadre de vie du
patient seuls sont autorisés les actes médicaux auxquels ne sont pas
applicables les conditions relatives à l’équipement technique et matériel
nécessaire à leur réalisation dans un établissement de santé. Or l’assistance
lors d’un accouchement serait soumise à ces conditions.
110. Dès lors, les autorités régionales ne délivreraient pas et ne
pourraient pas délivrer à une sage-femme une autorisation de prestation de
services de santé « sur le terrain » lui permettant de fournir pareils services
lors d’accouchements à domicile. À défaut d’autorisation, un prestataire de
soins de santé n’aurait pas le droit d’assurer des services de santé.
32 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
111. En outre, le cadre juridique pertinent assurerait la sécurité juridique
et la prévisibilité en ce qu’il établirait les exigences précises et dénuées
d’ambiguïté que doivent remplir une sage-femme ou un médecin pour
pouvoir assister une femme lors de tout accouchement prévu. Contrairement
au droit hongrois, que la Cour aurait critiqué dans l’affaire Ternovszky
c. Hongrie (no
67545/09, 14 décembre 2010) pour son défaut de
prévisibilité, la législation tchèque disposerait que les professionnels de
santé, y compris les sages-femmes, ne peuvent pratiquer un accouchement
que dans des locaux adéquatement équipés et définirait clairement les
exigences à remplir pour la fourniture de ces soins.
c) Sur l’existence d’un but légitime
112. Le Gouvernement soutient que la politique en cause vise à protéger
la santé et la sécurité de l’enfant pendant et après l’accouchement et, à tout
le moins indirectement, celles de la mère. Selon lui, ces intérêts reflètent les
buts légitimes généraux que sont la protection de la santé et la protection
des droits d’autrui.
d) Sur la nécessité dans une société démocratique
113. Le Gouvernement soutient que, pour préserver l’intérêt public que
constitue la protection de la santé et de la vie, l’une des tâches essentielles
de l’État consiste à assurer et maintenir des soins de santé d’un certain
niveau et d’une certaine qualité, qu’ils soient dispensés dans le cadre du
régime public ou du régime privé. Il considère donc que l’État ne doit pas
être contraint d’autoriser un type de soins de santé qu’il n’estime pas sûr.
114. Le Gouvernement ajoute que le droit interne applicable vise à
garantir que les soins de santé soient fournis dans des « lieux
d’accouchement sûrs » – c’est-à-dire des locaux dotés de l’équipement
adéquat et situés à proximité immédiate d’un établissement où sont
dispensés des soins plus performants –, de façon à réduire au minimum les
risques pour la santé et la vie des nouveau-nés et des mères en cas de
complications soudaines. Il affirme que l’abaissement de ces normes
médicales est de nature à accroître les risques liés aux soins administrés tout
au long de l’accouchement et à amoindrir leur niveau et leur qualité.
115. Le Gouvernement indique que le conflit entre les demandes des
requérantes et les obligations découlant du droit à la vie et du droit à la santé
conforte son opinion selon laquelle le droit au respect de la vie privée ne
peut être interprété dans un sens si large qu’il exigerait de l’État la mise en
place d’un cadre autorisant la fourniture de soins de santé lors d’un
accouchement à domicile, alors même que les autorités, en collaboration
avec des spécialistes de l’obstétrique et du métier de sage-femme, ont selon
lui établi que la politique de l’État la plus opportune et répondant au solide
intérêt public susmentionné consiste à offrir des soins gratuits et accessibles
permettant des accouchements dans des lieux possédant l’équipement
ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 33
médical adéquat et la capacité de réagir rapidement aux urgences. Le
Gouvernement considère que la simple assistance d’une sage-femme lors
d’un accouchement à domicile est insuffisante. En effet, en cas de
complications soudaines, le nouveau-né pourrait se trouver exposé à des
risques pourtant évitables. Selon le Gouvernement, les professionnels de
santé, y compris les sages-femmes, ne peuvent gérer efficacement de telles
complications dans des logements privés, qui à son avis ne sont pas
adéquatement équipés à cette fin et qui, souvent, ne sont pas situés à
proximité immédiate d’un établissement dispensant des soins plus
performants. En d’autres termes, pour le Gouvernement, dans le cas de
naissances prévues pour se dérouler à domicile, les soins de santé ne
seraient pas fournis dans un lieu sûr pour l’accouchement.
116. Le Gouvernement ajoute que la législation en cause dispose qu’un
professionnel de santé ne peut pratiquer un accouchement prévu que dans
des locaux dotés d’un équipement adéquat et situés à proximité immédiate
d’un établissement où sont dispensés des soins plus performants. Selon lui,
il faut voir dans ces exigences non pas des mesures empêchant
spécifiquement les sages-femmes d’intervenir lors d’un accouchement à
domicile, mais des normes minimales nécessaires pour la prestation de soins
pendant tout accouchement prévu. Les exigences minimales en question ne
seraient pas excessives et poursuivraient efficacement l’objectif qui consiste
à réduire au minimum les risques de complications graves en permettant de
les détecter à temps et de mettre en œuvre une solution rapide.
117. En outre, renvoyant à divers exemples de bonne pratique, le
Gouvernement conteste la conclusion de la chambre selon laquelle la
pratique de la plupart des hôpitaux régionaux est discutable quant au respect
du choix des mères. Il estime que l’importance requise a été accordée aux
intérêts liés à la vie privée qui sont en jeu et que la politique tchèque en
matière de naissance a été élaborée de manière à atteindre un juste équilibre
prenant en considération les intérêts des enfants et des mères. À son avis, on
peut observer dans les maternités tchèques une tendance nette et avérée à
prendre en compte les droits des femmes enceintes, y compris le droit de
choisir parmi un large éventail de conditions d’accouchement.
118. Le Gouvernement attire l’attention de la Cour sur le rapport
européen de 2013 sur la santé périnatale, selon lequel la République tchèque
enregistrerait le plus faible taux de mortalité fœtale et, avec l’Islande et
Chypre, le plus faible taux de mortalité néonatale précoce d’Europe
(paragraphe 29 ci-dessus). Il estime que la République tchèque doit
principalement ce bilan, qu’il juge objectivement exceptionnel, à son
système sophistiqué de soins obstétricaux de haut niveau et à la législation
en vigueur garantissant que ces soins de santé (c’est-à-dire l’assistance lors
d’un accouchement) sont dispensés uniquement dans des locaux dûment
équipés. Il indique à ce sujet que ces soins sont accessibles gratuitement à
toutes les femmes enceintes.
Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque
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Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk et krejzov c. république tchèque

  • 1. GRANDE CHAMBRE AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE (Requêtes nos 28859/11 et 28473/12) ARRÊT STRASBOURG 15 novembre 2016 Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
  • 2.
  • 3. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 1 En l’affaire Dubská et Krejzová c. République tchèque, La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de : Guido Raimondi, président, András Sajó, Işıl Karakaş, Luis López Guerra, Mirjana Lazarova Trajkovska, George Nicolaou, Kristina Pardalos, Julia Laffranque, Helen Keller, Helena Jäderblom, Aleš Pejchal, Valeriu Griţco, Faris Vehabović, Dmitry Dedov, Egidijus Kūris, Jon Fridrik Kjølbro, Síofra O’Leary, juges, et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 décembre 2015 et le 15 septembre 2016, Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date : PROCÉDURE 1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 28859/11 et 28473/12) dirigées contre la République tchèque et dont deux ressortissantes de cet État, Mmes Šárka Dubská et Alexandra Krejzová (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 4 mai 2011 et le 7 mai 2012 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Les requérantes ont été représentées par Me D. Záhumenský, avocat employé par l’organisation de défense des droits de l’homme Liga lidských práv, et par Me R. Hořejší, avocat à Prague. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm, du ministère de la Justice. 3. Les requérantes alléguaient que le droit tchèque n’autorisait pas les professionnels de santé à assister les femmes accouchant à domicile, ce qui pour elles emportait violation de l’article 8 de la Convention.
  • 4. 2 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 4. Le 11 décembre 2014, à la suite d’une audience sur la recevabilité et le fond (article 54 § 3 du règlement de la Cour – « le règlement »), une chambre de la cinquième section composée de Mark Villiger, président, Angelika Nußberger, Boštjan M. Zupančič, Ganna Yudkivska, André Potocki, Paul Lemmens et Aleš Pejchal, juges, ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section, a rendu un arrêt dans lequel elle concluait, par six voix contre une, à la non-violation de l’article 8 de la Convention. À l’arrêt se trouvaient jointes les opinions concordantes des juges Villiger et Yudkivska et l’opinion dissidente du juge Lemmens. Le 10 mars 2015, les requérantes ont demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 1er juin 2015, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande. 5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. 6. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement) sur le fond de l’affaire. En outre, les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre. Des observations ont également été reçues du gouvernement de la République slovaque, du gouvernement de la République de Croatie, de l’Ordre royal des sages-femmes (Royal College of Midwives – Royaume-Uni), du groupe d’étude international de l’Association mondiale de médecine périnatale (World Association of Perinatal Medicine), de l’Union tchèque des sages-femmes (Unie porodních asistentek – UNIPA) et de Mme Anna Šabatová, défenseure publique des droits (Veřejná ochránkyně práv), que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement). Les parties ont répondu à ces observations (article 44 § 6 du règlement). 7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 2 décembre 2015 (article 59 § 3 du règlement). Ont comparu : – pour le Gouvernement MM.V.A. SCHORM, agent, O. HLINOMAZ, bureau de l’agent du Gouvernement, ministère de la Justice, Mmes J. MARTINKOVA, bureau de l’agent du Gouvernement, ministère de la Justice, D. KOPKOVA, ministère de la Santé, MM.J. FEYEREISL, directeur de l’institut de soins mère-enfant, président de la Société tchèque de gynécologie et d’obstétrique,
  • 5. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 3 P. VELEBIL, directeur du centre périnatal de l’institut de soins mère-enfant, secrétaire scientifique de la Société tchèque de gynécologie et d’obstétrique, conseillers ; – pour Mme Dubská, requérante Mmes Z. CANDIGLIOTA, conseil, P. JANSSEN, professeure de santé maternelle et infantile, école de la santé publique et des populations, université de la Colombie-Britannique ; membre associé, département de médecine familiale, d’obstétrique et de gynécologie et école de sciences infirmières, université de la Colombie-Britannique, S. SLADEKOVA, conseillères ; – pour Mme Krejzová, requérante M. R. HOREJSI, conseil, Mmes A. HOREJSI, M. PAVLIKOVA, conseillères. Mme Krejzová, requérante, était également présente. La Cour a entendu Mme Candigliota, Me Hořejší, M. Schorm et M. Velebil en leurs déclarations, ainsi que Mme Janssen en ses réponses aux questions posées par des juges. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE 8. Les requérantes sont nées en 1985 et en 1980 et résident à Jilemnice et à Prague respectivement. A. La requête introduite par Mme Šárka Dubská 9. La requérante mit au monde son premier enfant à l’hôpital en 2007, sans aucune complication. Selon ses dires, lors de son accouchement le personnel médical présent la pressa d’accepter divers types d’interventions médicales alors qu’elle avait expressément formulé le souhait qu’on lui épargnât tout traitement médical non indispensable. On l’aurait également obligée à accoucher dans une position qu’elle trouvait inconfortable. Le bébé et elle auraient été en bonne santé, de sorte qu’elle aurait voulu quitter l’hôpital quelques heures après la naissance ; or un médecin lui aurait ordonné d’y rester et elle ne serait donc sortie que le lendemain, après avoir
  • 6. 4 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE présenté une lettre de son pédiatre confirmant qu’elle prendrait soin de l’enfant. 10. En 2010, la requérante tomba enceinte de son deuxième enfant, dont la naissance était prévue pour la mi-mai 2011. La grossesse ne présentait aucune complication et les analyses et examens médicaux n’indiquaient aucun problème. Estimant que son accouchement à l’hôpital avait été éprouvant, l’intéressée décida qu’elle accoucherait à domicile et se mit en quête d’une sage-femme pour l’assister. Elle ne parvint toutefois à en trouver aucune qui fût disposée à l’aider à accoucher chez elle. 11. Le 5 avril 2011, elle écrivit à sa compagnie d’assurance maladie et à l’administration régionale (krajský úřad) de Liberec afin de leur demander une aide pour trouver une sage-femme. 12. Le 7 avril 2011, la compagnie d’assurance maladie lui répondit que la législation tchèque ne prévoyait pas la prise en charge par une compagnie d’assurance maladie publique des frais liés à un accouchement à domicile et qu’elle n’avait donc conclu aucun contrat avec des professionnels de santé assurant ce type d’actes. Elle indiqua en outre que la majorité des experts médicaux était défavorable aux accouchements à domicile. 13. Par une lettre du 13 avril 2011, l’administration régionale ajouta qu’en tout état de cause les sages-femmes inscrites au registre des professionnels de santé n’étaient légalement autorisées à pratiquer un accouchement qu’au sein d’un établissement doté de l’équipement technique requis par l’arrêté no 221/2010, et non chez des particuliers. 14. N’ayant trouvé aucun professionnel de santé pour l’assister, la requérante donna naissance à son fils seule chez elle, le 11 mai 2011. 15. Le 1er juillet 2011, elle forma un recours constitutionnel (ústavní stížnost), alléguant qu’elle avait été privée de la possibilité d’accoucher chez elle avec l’assistance d’un professionnel de santé et qu’elle avait de ce fait subi une violation de son droit au respect de sa vie privée. 16. Le 28 février 2012, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) écarta son recours, estimant contraire au principe de subsidiarité qu’elle statuât sur le fond de l’affaire dès lors que la requérante n’avait pas exercé tous les recours disponibles, dont l’action en protection des droits individuels fondée sur le code civil et la demande de contrôle juridictionnel basée sur l’article 82 du code de procédure administrative contentieuse. La juridiction constitutionnelle exprima néanmoins des doutes sur la conformité de la législation tchèque à l’article 8 de la Convention et invita les parties prenantes à entamer un débat sérieux et éclairé en vue d’une nouvelle législation. Neuf des quatorze juges ayant siégé joignirent à l’arrêt de la haute juridiction des opinions séparées marquant leur désaccord avec le raisonnement le sous-tendant. Ils considéraient pour la plupart que la Cour constitutionnelle aurait dû rejeter le recours au motif qu’il constituait une actio popularis et s’abstenir d’émettre un avis sur la constitutionnalité de la législation relative aux accouchements à domicile.
  • 7. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 5 B. La requête introduite par Mme Alexandra Krejzová 17. La requérante est la mère de deux enfants qu’elle a mis au monde chez elle en 2008 et 2010, avec l’assistance d’une sage-femme. Les sages-femmes concernées ont pratiqué ces accouchements sans autorisation officielle. 18. La requérante a indiqué qu’elle avait décidé d’accoucher à domicile après avoir visité plusieurs hôpitaux, lesquels auraient tous écarté sa demande, à savoir qu’on la laissât accoucher en lui épargnant toute intervention médicale non strictement nécessaire. Les hôpitaux en question auraient également refusé d’accéder à son souhait de garder un contact ininterrompu avec le bébé dès la naissance, alors que la pratique courante consistait selon elle à retirer l’enfant à sa mère juste après l’accouchement pour le peser, le mesurer et le garder sous observation médicale pendant deux heures. 19. Lorsqu’elle introduisit la requête en l’espèce, la requérante était à nouveau enceinte et devait accoucher à la mi-mai 2012. Sa grossesse se déroulait sans complications et elle souhaitait à nouveau accoucher chez elle avec l’assistance d’une sage-femme. Elle ne parvenait toutefois à trouver aucune sage-femme disposée à l’aider, parce qu’un tel acte était passible d’une lourde amende pour services médicaux dispensés sans autorisation. Elle avait demandé à diverses autorités de l’aider à trouver une solution. 20. Par une lettre du 18 novembre 2011, le ministère de la Santé lui avait répondu qu’il ne fournissait pas de services médicaux à des particuliers et que la requérante devait se renseigner auprès de la municipalité de Prague (Město Praha) qui, faisant office d’administration régionale, enregistrait et délivrait les autorisations aux professionnels de santé. 21. Le 29 novembre 2011, la compagnie d’assurance maladie de la requérante avait informé celle-ci que le régime public ne prenait pas en charge la présence d’un professionnel de santé lors d’un accouchement à domicile. 22. Le 13 décembre 2011, la municipalité de Prague avait indiqué à la requérante qu’aucune sage-femme enregistrée à Prague n’était autorisée à donner des soins lors d’un accouchement à domicile. 23. Le 7 mai 2012, la requérante donna naissance à son enfant dans une maternité de Vrchlabí, à 140 km de Prague. Elle avait choisi cet hôpital parce qu’il avait la réputation de respecter les souhaits des parturientes. Tous ses souhaits n’auraient toutefois pas été respectés. L’accouchement se serait déroulé sans complications et l’enfant et elle auraient été en bonne santé ; la requérante aurait néanmoins été contrainte de rester à l’hôpital pendant soixante-douze heures. Le nouveau-né et elle auraient été séparés après la naissance et, avant la sortie de la maternité, les restes du cordon ombilical auraient été coupés contrairement au souhait qu’elle avait exprimé.
  • 8. 6 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE II. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LES ACCOUCHEMENTS À DOMICILE EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE A. Instructions et mesures adoptées par le ministère de la Santé 24. Dans son bulletin no 2/2007 de février 2007, le ministère de la Santé publia des instructions pratiques énonçant ce qui suit : « En République tchèque, le fait de pratiquer un accouchement est un service de santé qui n’est assuré qu’au sein d’un établissement de santé. Pareil établissement doit satisfaire aux prescriptions légales (...) et aux exigences définies par les textes réglementaires pertinents. » 25. Le 20 mars 2012, le ministère de la Santé constitua un comité d’experts en obstétrique, qu’il chargea d’étudier la question de l’accouchement à domicile. Au sein de ce comité étaient représentés les patients, les sages-femmes, les associations de médecins, le ministère de la Santé, le commissaire du gouvernement aux droits de l’homme et les compagnies d’assurance maladie publiques. Les représentants des associations de médecins boycottèrent les réunions, déclarant que la situation existante était satisfaisante et qu’il n’y avait pas lieu de changer quoi que ce fût. Le ministre de la Santé écarta ensuite les représentants des patients, des sages-femmes et du commissaire du gouvernement aux droits de l’homme, arguant que seul ce changement de composition permettrait au comité d’arrêter certaines conclusions. 26. Le 18 janvier 2013, le conseil gouvernemental pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes (Rada vlády pro rovné příležitosti žen a mužů), organe consultatif du gouvernement, recommanda d’éviter toute discrimination persistant à l’égard des femmes dans l’exercice par celles-ci de leur droit de choisir librement la méthode, les conditions et le lieu de leur accouchement. Il préconisait également de prévenir la discrimination envers les sages-femmes en permettant à celles-ci d’exercer pleinement leur profession au moyen de leur intégration dans le régime public d’assurance maladie. En outre, pour étayer sa position selon laquelle les femmes doivent pouvoir choisir le lieu de leur accouchement, le conseil renvoya aux recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui surveille la mise en œuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
  • 9. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 7 27. Dans son bulletin no 8/2013, qui a été publié le 9 décembre 2013 et a remplacé les instructions pratiques de 2007, le ministère de la Santé décrit la procédure que les prestataires de services de santé doivent suivre lorsque les nouveau-nés quittent un établissement de santé pour intégrer leur propre cadre de vie. Il indique que selon les spécialistes un nouveau-né ne doit pas quitter la maternité moins de soixante-douze heures après sa naissance. La nouvelle procédure permet la sortie d’un nouveau-né dans un délai plus court à la demande de son représentant légal, sous réserve que les conditions suivantes soient remplies : « a) le représentant légal a, par écrit, retiré son accord concernant la fourniture de services médicaux au nouveau-né, ou a déclaré par écrit son désaccord concernant la fourniture de services médicaux, ou bien cet accord ou ce désaccord a été consigné dans le dossier médical du nouveau-né (...) ; b) il est établi que le représentant légal a été dûment informé des conséquences possibles de la sortie de l’hôpital du nouveau-né moins de soixante-douze heures après sa naissance (...) ; c) le représentant légal a été dûment informé que, dans l’intérêt du bon développement ultérieur du nouveau-né, les associations médicales spécialisées tchèques recommandent : 1. la réalisation d’un examen clinique dans les vingt-quatre heures consécutives à la sortie de la maternité du nouveau-né (...) 2. la réalisation d’un prélèvement sanguin dans les quarante-huit à soixante-douze heures consécutives à la naissance, aux fins du dépistage de dysfonctionnements métaboliques héréditaires (...) » B. Données sur la mortalité périnatale 28. D’après les estimations fournies par l’Organisation mondiale de la santé pour 2004, la République tchèque figure parmi les pays qui affichent le plus faible taux de mortalité périnatale. Ce taux, qui indique le nombre d’enfants mort-nés et de décès survenant au cours de la première semaine de la vie, s’élevait à 0,4 % en République tchèque. Dans les autres pays européens, il variait entre 0,5 % (en Suède et en Italie) et 4,7 % (en Azerbaïdjan). Il était inférieur à 1 % dans la plupart des pays d’Europe. Selon le rapport de l’OMS de 2006, la mortalité périnatale constitue un indicateur important des soins à la mère ainsi que de la santé et de la nutrition maternelles. Par ailleurs, il reflète la qualité des soins obstétricaux et pédiatriques disponibles et permet des comparaisons entre différents pays. Le rapport recommandait en outre que, dans la mesure du possible, tous les fœtus et les nourrissons pesant au moins 500 g à la naissance, nés en vie ou non, fussent inclus dans les statistiques. Dans cette étude, les données communiquées sur les enfants mort-nés n’ont pas été ajustées pour tenir compte de ce facteur.
  • 10. 8 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 29. Selon le rapport européen sur la santé périnatale relatif à la santé et à la prise en charge des femmes enceintes et des bébés en Europe en 2010, publié en 2013 dans le cadre du projet Euro-Peristat, la République tchèque se classait parmi les pays présentant la plus faible mortalité chez les nouveau-nés au cours des vingt-sept premiers jours de la vie, avec un taux de 0,17 %. Les données relatives aux autres pays étudiés, pour la plupart membres de l’Union européenne, révélaient un taux allant de 0,12 % (en Islande) à 0,55 % (en Roumanie). C. Poursuites pénales à l’encontre de sages-femmes 30. Il apparaît qu’en République tchèque aucune sage-femme n’a fait l’objet de poursuites simplement pour avoir pratiqué un accouchement à domicile. En revanche, plusieurs sages-femmes ont été poursuivies pour faute professionnelle dans le cadre d’un tel accouchement. Les requérantes évoquent les cas de Mmes Š. et K., qui sont toutes deux connues pour leur action en faveur de l’accouchement physiologique sans intervention médicale superflue et qui ont régulièrement pratiqué des accouchements à domicile. 31. Le 27 mars 2013, le tribunal de district (obvodní soud) de Prague 6 déclara Mme Š. coupable d’avoir causé par négligence le décès d’un bébé mort-né. Mme Š. fut condamnée à une peine de deux ans d’emprisonnement assortie d’un sursis de cinq ans, et se vit interdire pour trois ans l’exercice de la profession de sage-femme. Le verdict de culpabilité prononcé contre Mme Š. reposait sur le fait qu’elle n’avait pas fermement conseillé à la mère de s’adresser à un établissement médical lorsque celle-ci, déjà en phase de travail chez elle, l’avait consultée par téléphone. Le tribunal estima donc que Mme Š. avait donné à la future mère des conseils inadéquats, et ce sans l’examiner. La condamnation fut confirmée en appel le 29 mai 2013 par le tribunal municipal (městský soud) de Prague, mais celui-ci réduisit la peine à quinze mois d’emprisonnement avec un sursis de trente mois et à une interdiction d’exercer la profession de sage-femme pendant deux ans. 32. Le 29 avril 2014, la Cour suprême (Nejvyšší soud) annula les jugements des juridictions inférieures. Le 23 mai 2016, Mme Š. fut finalement acquittée par le tribunal de district. La procédure est semble-t-il pendante devant la juridiction d’appel. 33. Le 21 septembre 2011, le tribunal de district de Prague 3 déclara Mme K. coupable d’avoir causé par négligence un préjudice corporel à un bébé qu’elle avait aidé à mettre au monde à domicile et qui avait cessé de respirer pendant l’accouchement. Le nourrisson était décédé quelques jours plus tard. Mme K. se vit infliger une peine de deux ans d’emprisonnement assortie d’un sursis de cinq ans, se vit interdire pour cinq ans l’exercice de la profession de sage-femme et fut condamnée à verser 2,7 millions de couronnes tchèques (CZK – soit 105 000 euros (EUR)) en remboursement
  • 11. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 9 des frais exposés par la compagnie d’assurance pour les soins prodigués à l’enfant jusqu’à son décès. Selon le tribunal, Mme K. avait commis une faute professionnelle en ce qu’elle n’avait pas appliqué les procédures normales à suivre pour les accouchements établies par l’ordre des médecins de la République tchèque (Česká lékařská komora), et sa conduite n’avait donc pas été conforme aux règles de l’art. La plainte pénale n’avait pas été déposée par les parents mais par un hôpital. 34. Le 24 juillet 2013, la Cour constitutionnelle annula tous les jugements rendus dans la cause de Mme K. au motif qu’il y avait eu violation de son droit à un procès équitable. Elle estima que les conclusions des juridictions ordinaires sur la culpabilité de Mme K. étaient trop subjectives et n’étaient pas étayées par des éléments de preuve allant au-delà de tout doute raisonnable ; elle y voyait une violation du principe de la présomption d’innocence. Elle indiqua notamment que les tribunaux s’étaient fiés aveuglément à une expertise qu’ils n’avaient pas soumise à un examen minutieux. Elle conclut que, sur la base de cette expertise, les tribunaux avaient appliqué un critère très strict de responsabilité pour juger de la conduite de Mme K., alors que nul ne pouvait dire clairement comment, dans la situation en cause, celle-ci aurait pu empêcher le décès du bébé. La haute juridiction ajouta qu’il était établi que l’intéressée avait tenté de secourir le nouveau-né et appelé une ambulance immédiatement après avoir découvert qu’il souffrait d’hypoxie. La Cour constitutionnelle jugea que l’obligation de prévoir toute complication pouvant surgir lors d’un accouchement et de pouvoir y réagir immédiatement, comme cela avait été exigé de Mme K., aboutirait à terme de facto à une interdiction absolue des accouchements à domicile. Dans ce contexte, elle déclara ce qui suit : « (...) un État démocratique moderne fondé sur la prééminence du droit repose sur la protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation a un rapport étroit avec la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les activités personnelles, vont de pair avec une part de risque acceptable. Le droit des parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement n’est limité que par l’intérêt à voir l’accouchement bien se passer et à protéger la santé de l’enfant, cet intérêt ne pouvant toutefois être interprété comme une préférence inconditionnelle pour l’accouchement à l’hôpital. » III. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi sur la santé publique 35. D’après l’article 12 a) 1) de la loi sur la santé publique (no 20/1966 – zákon o péči o zdraví lidu), qui fut en vigueur jusqu’au 31 mars 2012, un établissement dispensant des soins de santé devait disposer de moyens humains, matériels et techniques adaptés à la nature et à l’étendue de l’offre de soins. En vertu de l’article 12 a) 2) de la loi, le ministère de la Santé
  • 12. 10 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE devait préciser par arrêté les exigences relatives aux moyens matériels, humains et techniques dont devaient être dotés les établissements de santé. 36. L’article 18 § 1 de la loi indiquait que les soins ambulatoires – qui englobaient les consultations – étaient assurés par un médecin généraliste et des spécialistes dans des salles de consultation ou dans des établissements de soins ambulatoires partenaires. B. La loi sur les soins dans les établissements de santé privés 37. L’article 4 § 1 de la loi sur les soins dans les établissements de santé privés (no 160/1992 – zákon o zdravotní péči v nestátních zdravotnických zařízeních), qui fut en vigueur jusqu’au 31 mars 2012, imposait aux établissements privés d’être dotés des moyens humains, matériels et techniques adaptés à la nature et à l’étendue de leur offre de soins. 38. L’article 4 § 2 b) donnait compétence au ministère de la Santé pour adopter un arrêté précisant les exigences relatives à l’équipement technique et matériel dont devaient être dotés les établissements de santé privés. 39. L’article 5 § 2 a) de cette loi disposait qu’un établissement privé pouvait prodiguer les soins de santé visés dans la décision d’immatriculation de cet établissement. 40. L’article 14 indiquait que quiconque enfreignait la loi s’exposait à une amende, mais sans en préciser le montant. C. La loi sur les professions paramédicales 41. Selon l’article 6 § 3 de la loi sur les professions paramédicales (no 96/2004 – zákon o nelékařských zdravotnických povolání), entrée en vigueur le 1er avril 2004, l’exercice de la profession de sage-femme englobe entre autres tâches les accouchements physiologiques et les soins aux nouveau-nés. D. L’arrêté no 424/2004 du ministère de la Santé 42. L’arrêté du ministère de la Santé sur les activités du personnel médical et d’autres spécialistes (vyhláška, kterou se stanoví činnosti zdravotnických pracovníků а jiných odborných pracovníků), qui fut en vigueur du 20 juillet 2004 au 13 mars 2011, définissait les tâches des professionnels de santé et d’autres secteurs. L’article 5 § 1 f) indiquait que les sages-femmes pouvaient pratiquer certains actes sans supervision professionnelle, dont les accouchements physiologiques en situation d’urgence et les épisiotomies si nécessaire.
  • 13. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 11 E. L’arrêté no 221/2010 du ministère de la Santé 43. L’arrêté du ministère de la Santé sur les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des établissements de santé (vyhláška o požadavcích na věcné a technické vybavení zdravotnických zařízení), qui fut en vigueur du 1er septembre 2010 au 31 mars 2012, ne prévoyait la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des accouchements que dans des salles spécialement équipées à cet effet. Pareille salle devait avoir une superficie d’au moins 15 m2 et disposer de l’équipement indispensable suivant : a) un lit d’accouchement pour salle d’accouchement ou un autre dispositif approprié pour pratiquer un accouchement physiologique ; b) une lampe d’examen ; c) une pince stérile ou une bande élastique pour le cordon ombilical ; d) des ciseaux stériles ; e) un moniteur fœtal électronique ; f) un oxymètre de pouls ; g) un dispositif d’aspiration ; h) un laryngoscope et les instruments nécessaires pour dégager les voies respiratoires ; i) un lit pour les parturientes après l’accouchement ; j) un espace et une surface appropriés pour les soins aux nouveau-nés ; k) une balance pour peser les nouveau-nés ; l) un instrument de mesure de la taille des nouveau-nés ; m) une source d’oxygène médical. De plus, il devait y avoir une autre pièce d’au moins 8 m2 pour les soins à la mère et à l’enfant après la naissance, ainsi qu’une douche. 44. Ces installations devaient se trouver à une distance qui permît de pratiquer une césarienne ou une intervention destinée à assurer la dernière phase de l’accouchement au sein d’un établissement de santé dispensant des soins en régime hospitalier et répondant aux exigences définies dans l’arrêté, et ce dans les quinze minutes suivant la découverte de complications. 45. En outre, l’arrêté permettait aux sages-femmes de mettre en place un « lieu d’exercice et de contact », qui devait être doté de l’équipement suivant : a) du mobilier adapté au travail de sage-femme, et b) un téléphone portable. 46. Les sages-femmes devaient aussi posséder une sacoche contenant : a) un instrument de détection des bruits fœtaux ; b) du matériel jetable pour l’examen d’une femme enceinte ; c) un sphygmomanomètre ; d) un stéthoscope ; e) un thermomètre médical ; f) du matériel pour les premiers secours, notamment un dispositif de réanimation cardio-respiratoire. 47. L’article 2 de l’arrêté accordait aux établissements de santé existant à la date de son entrée en vigueur un délai de douze mois à compter de cette date pour se conformer aux exigences relatives à l’équipement technique et matériel posées par ce texte. L’arrêté no 234/2011, entré en vigueur le 31 août 2011, porta ce délai à vingt-huit mois.
  • 14. 12 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE F. La loi sur les services médicaux 48. La loi sur les services médicaux (no 372/2011 – zákon o zdravotních službách) est entrée en vigueur le 1er avril 2012. Elle a remplacé la loi sur la santé publique (paragraphes 35-36 ci-dessus), la loi sur les soins dans les établissements de santé privés (paragraphes 37-40 ci-dessus) et l’arrêté sur les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des établissements de santé (paragraphes 43-47 ci-dessus). 49. D’après l’article 2 § 2 a), on entend par « services de santé » l’administration de soins de santé, au sens de la loi, par des professionnels de santé, ainsi que les actes pratiqués par d’autres professionnels dès lors que ces actes sont directement liés à l’administration de soins de santé. 50. L’article 2 § 4 a) 4) de la loi indique que l’on entend par « soins de santé » l’ensemble des actes et mesures de santé mis en œuvre à l’égard d’un individu, dont l’assistance lors d’un accouchement. 51. Selon l’article 4 § 1, on entend par « établissement de santé » une structure destinée à la fourniture de services de santé. 52. L’article 10 de la loi énonce que la fourniture de soins de santé dans le propre cadre de vie d’un patient – notamment à domicile – ne peut concerner que des actes auxquels ne sont pas applicables des conditions relatives à l’équipement technique et matériel nécessaire à leur réalisation dans un établissement de santé. 53. Selon l’article 11 § 5 de cette loi, les services de santé ne peuvent être assurés que dans les établissements de santé indiqués dans l’autorisation relative à la fourniture de services de santé, excepté pour ceux qui sont dispensés dans le cadre de vie du patient. Dans ce cas, les prestataires de services de santé doivent disposer de leur propre lieu d’exercice et de contact pour soins à domicile. 54. L’article 11 § 6 indique qu’un établissement de santé doit posséder l’équipement technique et matériel nécessaire à la fourniture de services de santé. Cet équipement doit correspondre à la spécialisation de l’établissement ainsi qu’à la nature et à la forme des soins de santé qui y sont administrés. Les exigences relatives à l’équipement technique et matériel minimal nécessaire doivent être énoncées dans un arrêté d’application. 55. L’article 114 de la loi dispose qu’une personne fournissant un service de santé sans y être dûment autorisée s’expose à une amende pouvant aller jusqu’à 1 million de CZK (37 000 EUR). G. Le rapport explicatif de la loi sur les services médicaux 56. En ses passages pertinents, le rapport explicatif de la loi sur les services médicaux se lit ainsi :
  • 15. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 13 « La (...) législation (...) appartien[t] à un ensemble de lois et règlements régissant les conditions juridiques destinées à garantir le droit constitutionnel de tous à la protection de la santé et le droit constitutionnel des citoyens à des soins médicaux gratuits au sens de l’article 31 de la Charte des droits et libertés fondamentaux, ainsi que le droit à la protection de la dignité humaine, et le droit à la vie privée et familiale et à l’intégrité physique (...) La loi (...) définit les soins de santé professionnels (...) L’État doit réglementer [ces] soins de santé (...) ; il est tenu de veiller à l’accessibilité des services de santé et de garantir pour ces services un niveau satisfaisant de qualité et de sécurité. La condition permettant de remplir cette exigence est que les soins de santé professionnels ne peuvent être dispensés que par des prestataires de services de santé (...) La loi (...) est l’un des éléments de la législation qui créé les conditions de l’exécution par la République tchèque de ses obligations en matière de protection de la santé et de fourniture de services de santé, telles qu’elles découlent (...) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (...) et de la Charte européenne (...) La loi prend également en considération la Convention relative aux droits de l’enfant (...) Concernant la fourniture de services de santé, le patient se trouve sur un pied d’égalité avec le prestataire et avec le personnel médical, et a le droit de consentir ou non aux services de santé proposés, à la lumière des informations et conseils relatifs à ces services qui sont dûment fournis par le prestataire ou par une personne que le prestataire a désignée à cet effet (...) Il est souvent plus efficace et judicieux de dispenser au patient des services de santé dans son propre cadre de vie. Celui-ci ne se limite pas nécessairement au domicile de l’intéressé ; il peut aussi s’agir d’un cadre de substitution, comme un foyer social ou un foyer pour enfants (...) Les services de santé assurés dans le cadre de vie du patient comprennent, d’une part, les soins à domicile et, d’autre part, les soins ambulatoires. Les soins à domicile ont un effet notable sur les changements touchant le système de protection médicale dans son ensemble car (...) ils permettent d’améliorer la vie des patients et de les maintenir plus longtemps dans leur environnement familier (...) L’un des droits fondamentaux des patients est le droit au libre choix du prestataire de services de santé (...) La loi donne aux patients le droit de recevoir toutes les informations sur leur état de santé et sur les services de santé qui doivent leur être fournis (...) Dans le cadre de l’attention portée à leur propre santé, les individus peuvent en fonction de leurs choix personnels recourir à d’autres mesures ; parmi celles-ci figurent les initiatives visant à améliorer et préserver la santé et d’autres initiatives relevant de l’ « auto-traitement » (...) La loi ne s’oppose pas à de telles mesures ; simplement, elle ne les définit pas comme faisant partie des soins de santé et des services de santé professionnels, dont la qualité est garantie par l’État. Cela tient principalement au fait qu’il n’est pas réalisable d’évaluer objectivement la qualité de ces soins et que dès lors il n’est pas possible d’en garantir la sécurité ou l’efficacité. Les services de santé ne peuvent donc être fournis que sur la base de la loi sur les services médicaux. »
  • 16. 14 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE H. L’arrêté no 92/2012 du ministère de la Santé 57. L’arrêté sur les exigences relatives à l’équipement technique et matériel minimal des établissements de santé et des lieux d’exercice et de contact pour soins à domicile (vyhláška o požadavcích na minimální technické a věcné vybavení zdravotnických zařízení a kontaktních pracovišť domácí péče) est entré en vigueur le 1er avril 2012. Il a remplacé l’arrêté sur les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des établissements de santé (paragraphes 43-47 ci-dessus). 58. Cet arrêté prévoit notamment la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des accouchements dans des salles spécialement équipées à cette fin. Les exigences en matière d’équipement sont identiques à celles qui étaient définies dans l’arrêté no 221/2010. L’arrêté de 2012 contient toutefois une nouvelle prescription : en cas d’impossibilité de pratiquer une césarienne ou une intervention destinée à permettre la dernière phase de l’accouchement dans un établissement médical dispensant des soins en régime hospitalier dans les quinze minutes qui suivent la découverte de complications, il faut préparer une salle d’accouchement satisfaisant aux normes formulées dans le nouvel arrêté. De plus, le lieu où la sage-femme exerce doit lui aussi être équipé dans le respect des critères indiqués dans l’arrêté. 59. Concernant le « lieu d’exercice et de contact » pour les soins infirmiers d’ordre gynécologique ou obstétrical, l’arrêté exige que ce lieu comporte : a) du mobilier adapté au travail de sage-femme ; b) une armoire de classement si les dossiers médicaux ne sont pas conservés uniquement sous la forme électronique ; c) une connexion à un réseau public de téléphonie mobile ; d) un instrument de détection des bruits fœtaux ; e) du matériel jetable pour l’examen d’une femme enceinte ; f) un sphygmomanomètre ; g) un stéthoscope ; h) un thermomètre médical ; i) du matériel pour les premiers secours, notamment un dispositif de réanimation cardio-respiratoire, et j) une boîte pour le transport de matériel biologique. Le lieu d’exercice et de contact doit avoir une superficie d’au moins 10 m2 et être doté d’installations sanitaires pour les employés. 60. Les établissements de santé et les lieux d’exercice et de contact pour soins à domicile existant à la date de l’entrée en vigueur et répondant aux exigences du précédent arrêté se sont vu accorder un délai de neuf à douze mois pour se conformer aux prescriptions du nouveau texte. I. L’arrêté no 99/2012 du ministère de la Santé 61. L’arrêté sur les exigences minimales applicables au personnel fournissant des services de santé (vyhláška o požadavcích na minimální personální zabezpečení zdravotních služeb) est entré en vigueur le 1er avril 2012. Le chapitre intitulé « Exigences applicables au personnel fournissant
  • 17. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 15 des soins à domicile » indique que les soins infirmiers d’ordre gynécologique et obstétrical doivent être dispensés par une sage-femme qualifiée pour exercer son métier de manière indépendante ou, lorsqu’il y a lieu de pratiquer des actes visés par une autre disposition juridique, par une sage-femme possédant une qualification particulière et compétente pour exercer son métier de manière indépendante (qualification en soins intensifs, en soins intensifs de néonatalogie, ou en soins de proximité). IV. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS A. La Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine) 62. Les dispositions pertinentes de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine sont ainsi libellées : Article 5 – Règle générale « Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. » Article 6 – Protection des personnes n’ayant pas la capacité de consentir « (...) une intervention ne peut être effectuée sur une personne n’ayant pas la capacité de consentir, que pour son bénéfice direct. Lorsque, selon la loi, un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi (...) » Article 8 – Situations d’urgence « Lorsqu’en raison d’une situation d’urgence le consentement approprié ne peut être obtenu, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée. » 63. De plus, le rapport explicatif de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine précise en son paragraphe 34 qu’ « [à] l’instar de l’article 4, [l’article 5] entend le terme « intervention » dans son sens le plus large, c’est-à-dire comme comprenant tout acte médical, en particulier les interventions effectuées dans un but de prévention, de diagnostic, de thérapie, de rééducation ou de recherche ».
  • 18. 16 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE B. La Convention relative aux droits de l’enfant 64. Les dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de l’enfant se lisent ainsi : Article 3 « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. 2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. (...) » Article 5 « Les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention. » Article 6 « 1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie. 2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant. » Article 18 « 1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant. (...) » Article 24 « 1. Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services. 2. Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour : a) Réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants ; (...)
  • 19. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 17 d) Assurer aux mères des soins prénatals et postnatals appropriés ; (...) » C. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes 65. Dans la section « Santé » de ses observations finales du 22 octobre 2010 sur la République tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/5), le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a notamment formulé les recommandations suivantes : « 36. Tout en reconnaissant la nécessité d’assurer le maximum de sécurité aux mères et aux nouveau-nés pendant l’accouchement et en relevant le faible taux de mortalité périnatale dans l’État partie, le Comité prend acte d’informations faisant état d’ingérences dans les choix des femmes en matière de santé génésique dans les hôpitaux, notamment d’interventions médicales courantes, qui auraient souvent lieu sans le consentement préalable, libre et éclairé de la femme ou en dehors de toute prescription médicale, d’un accroissement rapide du taux de recours aux césariennes, de la séparation des nouveau-nés de leur mère pendant de longues heures sans motif lié à leur état de santé, d’un refus d’autoriser la mère et l’enfant à quitter l’hôpital dans les soixante-douze heures qui suivent l’accouchement et d’attitudes paternalistes de la part des médecins qui empêchent les femmes d’exercer leur liberté de choix. Il note également les informations selon lesquelles les femmes auraient peu de possibilités d’accoucher en dehors des hôpitaux. 37. Le Comité recommande à l’État partie de songer à adopter dans les meilleurs délais une loi sur les droits des patients, y compris les droits des femmes en matière de santé génésique, d’adopter un protocole normatif en matière de soins périnatals qui garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions médicales inopportunes, de faire en sorte que toutes les interventions ne puissent être effectuées qu’avec le consentement préalable libre et éclairé de la femme, de surveiller la qualité des soins dans les maternités, de dispenser une formation obligatoire à tous les personnels de santé au sujet des droits des patients et des normes éthiques connexes, de continuer de sensibiliser les patients à leurs droits, notamment en diffusant des informations, et d’envisager des mesures pour faire en sorte que les accouchements pratiqués en dehors des hôpitaux par des sages-femmes soient une option sans danger et abordable pour les femmes. » 66. Dans ses observations finales du 14 mars 2016 sur la République tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/6), le Comité a émis les recommandations qui suivent : « 4. Le Comité salue les progrès accomplis depuis l’examen, en 2010, du cinquième rapport périodique de l’État partie (CEDAW/C/CZE/CO/5) en ce qui concerne la mise en place des réformes législatives, notamment l’adoption de : a) La loi no 372/2011 Coll. relative aux services de santé et aux conditions d’offre de ces services (loi sur les services de santé), telle que modifiée par la loi no 167/2012 Coll. ; (...)
  • 20. 18 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 30. Le Comité se félicite du faible taux de mortalité périnatale dans l’État partie. Il relève toutefois avec préoccupation que, d’après certaines informations, les conditions dans lesquelles se déroulent les accouchements et les conditions prévalant dans les services obstétricaux continueraient de restreindre indûment le choix des femmes en matière de santé procréative, s’agissant notamment : a) De la séparation injustifiée des nouveau-nés de leur mère sans raison médicale ; b) De l’imposition de restrictions injustifiées aux accouchements à domicile ; c) De la pratique fréquente de l’épisiotomie sans nécessité médicale, contre la volonté de la mère qui préfère que le médecin s’abstienne d’y recourir ; d) Des conditions trop restrictives dans lesquelles il peut être fait appel aux services de sages-femmes à la place de ceux du médecin/gynécologue dans les cas où il n’y a aucun risque pour la santé. 31. Le Comité renouvelle sa précédente recommandation faite à l’État partie d’envisager d’adopter dans les meilleurs délais une loi sur les droits des patients, y compris les droits des femmes en matière de santé procréative. Pour cela, l’État partie devrait : a) Adopter des lignes directrices claires pour que la séparation des nouveau-nés d’avec leur mère soit subordonnée à des impératifs médicaux ; b) Mettre en place un système de soins de santé prénatals qui permette d’évaluer efficacement la faisabilité d’un accouchement à domicile et la possibilité de faire ce choix ; c) À la lumière de la récente adoption de la loi no 372/2011 Coll. relative aux services de santé et aux conditions d’offre de ces services, garantir sa mise en œuvre effective dans le respect de la Convention, notamment par l’adoption et [l’application] d’un protocole de soins pour les naissances sans problèmes qui garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions médicales inopportunes, faire en sorte que les interventions ne puissent être effectuées qu’avec le consentement préalable, libre et éclairé de la femme, contrôler la qualité des soins dispensés dans les maternités, prévoir une formation obligatoire à l’intention de tous les personnels de santé portant sur les droits des patients et les normes éthiques connexes et continuer de sensibiliser les patients à leurs droits, notamment en diffusant ces informations ; d) Prendre des mesures, notamment d’ordre législatif, pour que les accouchements pratiqués par des sages-femmes en dehors des hôpitaux soient une option sans danger et abordable pour les femmes. » V. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ 67. D’après les informations dont la Cour dispose, l’accouchement programmé pour se dérouler à domicile est prévu par le droit interne et réglementé dans vingt États membres du Conseil de l’Europe (l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, l’ex-République yougoslave de Macédoine, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, le Liechtenstein, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse). Dans ces pays, le droit d’accoucher à domicile n’est jamais absolu et reste toujours
  • 21. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 19 subordonné au respect de certaines conditions médicales. De plus, dans quinze de ces États seulement, l’assurance maladie nationale prend en charge les accouchements à domicile. 68. Il ressort également que l’accouchement à domicile n’est pas réglementé ou est sous-réglementé dans vingt-trois États membres (l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, l’Espagne, la Finlande, la Géorgie, la Lituanie, Malte, la République de Moldova, Monaco, le Monténégro, le Portugal, la Roumanie, la Russie, Saint-Marin, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Turquie et l’Ukraine). Il apparaît que dans certains de ces pays l’accouchement à domicile est pratiqué, mais sans cadre juridique et sans couverture médicale nationale. Par ailleurs, l’étude n’a pas permis de découvrir de législation qui interdise l’assistance d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile. Dans un très petit nombre d’États membres parmi ceux étudiés, des sanctions disciplinaires ou pénales sont possibles mais semblent toutefois rarement infligées. EN DROIT SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION 69. Les requérantes se plaignent que le droit tchèque n’autorisait pas les professionnels de santé à les assister pendant leur accouchement à domicile. Elles y voient une violation du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » 70. Le Gouvernement conteste la thèse des requérantes. A. L’arrêt de la chambre 71. Dans son arrêt du 11 décembre 2014, la chambre a conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention. Elle a estimé que donner la vie était un aspect particulièrement intime de la vie privée d’une mère, qui englobait des questions touchant à l’intégrité physique et morale, à l’acte
  • 22. 20 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE médical, à la santé génésique et à la protection des informations relatives à la santé. Elle a indiqué que les décisions concernant les conditions de l’accouchement, y compris le choix du lieu, relevaient donc de la vie privée de la mère aux fins de l’article 8. Elle a jugé qu’il convenait d’analyser les griefs des requérantes sous l’angle des obligations négatives et que l’impossibilité pour les intéressées de se faire assister par une sage-femme pour accoucher chez elles s’analysait en une ingérence dans l’exercice par elles de leur droit au respect de leur vie privée. 72. La chambre a ajouté que l’ingérence était prévue par la loi, étant donné que, même si la législation n’était pas tout à fait claire, les requérantes pouvaient néanmoins prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’espèce, que l’assistance d’un professionnel de santé pour un accouchement à domicile n’était pas autorisée par la loi. Elle a dit que l’ingérence poursuivait un but légitime en ce qu’elle était destinée à protéger la santé et la sécurité des nouveau-nés et, au moins indirectement, celles des mères. 73. Sur le point de savoir si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique, la chambre a estimé que l’État défendeur devait jouir d’une ample marge d’appréciation en raison de la nécessité pour les autorités nationales de procéder à une analyse de données spécialisées et scientifiques concernant les risques afférents à l’accouchement à l’hôpital d’une part et à l’accouchement à domicile d’autre part, de la nécessité d’une grande implication de l’État due à la vulnérabilité des nouveau-nés et à leur dépendance à l’égard d’autres personnes, de l’absence d’une claire communauté de vues entre les États membres sur la question de l’accouchement à domicile et, enfin, de considérations générales de politique sociale et économique, notamment l’allocation de ressources à la création d’un système d’urgence adéquat pour les accouchements à domicile. 74. La chambre a dit que la situation en question avait pesé lourdement sur la liberté de choix des requérantes, alors que le Gouvernement s’était principalement intéressé à l’objectif légitime que constitue la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle a ajouté qu’en fonction de sa nature et de sa gravité, l’intérêt de l’enfant pouvait l’emporter sur celui du parent, lequel n’était pas autorisé en vertu de l’article 8 de la Convention à prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant. Pour la chambre, même si aucun conflit d’intérêts n’opposait généralement une mère et son enfant, on pouvait considérer que certains choix concernant le lieu, les conditions ou la méthode d’accouchement engendraient un risque accru pour la santé et la sécurité du nouveau-né, comme l’attestaient les chiffres relatifs aux décès périnatals et néonatals. 75. La chambre a estimé que si la majorité des études dont elle disposait sur la sécurité des accouchements à domicile indiquaient que ceux-ci ne présentaient pas plus de risques que les accouchements à l’hôpital, cela
  • 23. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 21 n’était vrai que sous certaines conditions, c’est-à-dire si l’accouchement était « à faible risque », s’il se déroulait en présence d’une sage-femme qualifiée et non loin d’un hôpital pouvant accueillir la mère en cas d’urgence. La chambre en a déduit que dans une situation telle que celle prévalant en République tchèque, où les professionnels de santé n’avaient pas le droit d’aider les mères à accoucher à domicile et où aucune aide d’urgence spéciale n’était disponible, le risque pour la vie et la santé des mères et des nouveau-nés était en fait accru. Relevant cependant l’argument du Gouvernement selon lequel le risque pour les nouveau-nés était plus élevé en cas d’accouchement à domicile, la chambre a dit qu’il était vrai que même si une grossesse se déroulait apparemment sans complications, des difficultés inattendues nécessitant une intervention médicale spécialisée pouvaient survenir au moment de l’accouchement. Elle a conclu que dans ces conditions on ne pouvait affirmer que les mères concernées, dont les requérantes, avaient eu à supporter une charge disproportionnée et excessive et qu’en conséquence, en adoptant et en appliquant la politique relative aux accouchements à domicile, les autorités tchèques n’avaient pas outrepassé l’ample marge d’appréciation qui leur était accordée ni compromis le juste équilibre requis entre les intérêts concurrents. 76. Enfin, la chambre a observé qu’en dépit de cette conclusion les autorités devaient soumettre les dispositions pertinentes à un examen constant afin de prendre en compte les avancées médicales, scientifiques et juridiques. B. Thèses des parties devant la Grande Chambre 1. Les requérantes a) Sur les obligations négatives ou positives i. Mme Dubská 77. La requérante soutient que la présente affaire concerne la protection de la santé des femmes et de leurs enfants, qui à son avis se trouve gravement compromise lorsque l’État autorise les femmes à accoucher chez elles tout en adoptant des règles qui les empêchent de bénéficier de l’assistance d’une sage-femme. Invoquant l’arrêt de la chambre, elle allègue que l’État a porté atteinte à sa vie privée. Elle estime que l’affaire peut être analysée à travers le prisme des obligations tant positives que négatives, mais qu’il convient d’apprécier l’espèce principalement sous l’angle des obligations négatives, l’interdiction faite aux sages-femmes d’aider les femmes à accoucher à domicile pouvant selon elle être perçue comme une ingérence dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée. Elle considère en d’autres termes que la politique suivie par l’État a eu pour
  • 24. 22 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE conséquence directe de l’empêcher d’obtenir l’assistance d’une sage-femme lors de son accouchement. ii. Mme Krejzová 78. La requérante déclare que l’impossibilité pratique à laquelle elle s’est heurtée de choisir un autre mode d’accouchement et l’obligation où elle s’est trouvée de se résigner à une prise en charge à l’hôpital – où elle aurait été soumise à des actes obstétricaux violents – ont constitué une grave violation de son droit à décider des conditions de son accouchement et une atteinte à son droit à l’intégrité physique et morale découlant de l’article 8 de la Convention. Tout en estimant que les circonstances de l’espèce plaident plutôt en faveur d’un examen sous l’angle des obligations positives de l’État, elle souhaite appliquer une approche globale à la question de savoir si le préjudice subi par elle se justifiait compte tenu des principes pertinents contenus dans la Convention, étant entendu selon elle que les principes sous-jacents de légalité, de légitimité et de proportionnalité sont inhérents aux obligations positives comme aux obligations négatives de l’État. b) Sur la légalité de l’ingérence i. Mme Dubská 79. La requérante soutient que l’ordre juridique tchèque permet l’interprétation selon laquelle l’assistance d’un professionnel de santé est autorisée lors d’un accouchement à domicile. Selon elle, dès lors qu’un cadre juridique régit les obligations des sages-femmes, le droit des femmes à l’autodétermination et à donner un consentement éclairé, et l’existence de soins à domicile – notamment l’assistance d’un professionnel de santé lors d’un accouchement à domicile –, il est possible d’affirmer que l’on dispose d’un socle juridique et institutionnel qui autorise les femmes à choisir le lieu de leur accouchement. Reconnaître la possibilité d’opter pour l’accouchement à domicile n’exigerait pas de règle précise et explicite ni le développement des services d’urgence existants. En outre, les services d’urgence seraient déjà accessibles à toutes les femmes en République tchèque, indépendamment du lieu où elles choisissent d’accoucher et de la présence ou de l’absence d’un professionnel de santé lors de l’accouchement. 80. La requérante affirme que la législation relative à l’accouchement à domicile garantit à la patiente la liberté de décider d’accoucher chez elle en toute légalité mais que cette législation, ou tout au moins l’interprétation qui en est faite, n’est pas claire et n’offre aucune certitude quant à la possibilité pour une sage-femme d’intervenir à domicile.
  • 25. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 23 81. Elle indique que l’arrêté no 221/2010, qui était en vigueur du 1er septembre 2010 au 31 mars 2012, n’a pas modifié la réglementation sur l’accouchement à domicile ni interdit l’assistance lors d’un tel accouchement. Elle expose que l’arrêté mentionnait trois lieux d’exercice possibles pour les sages-femmes : ceux où les accouchements étaient autorisés, ceux où les accouchements physiologiques n’étaient pas autorisés, et les cabinets pour les soins à domicile. En fait, cet arrêté n’aurait pas interdit aux sages-femmes de pratiquer des accouchements à domicile, si bien qu’il aurait été malaisé de déterminer si une praticienne disposant d’un cabinet pour les soins à domicile pouvait ou non prêter son assistance lors d’un accouchement à domicile (donc en dehors de son lieu d’exercice). À ce sujet, la requérante ajoute que l’article 18 § 1 de la loi sur la santé publique autorisait les soins à domicile dans le cadre des soins de santé. Selon elle, l’arrêté en question n’encadrait pas avec précision les activités des sages-femmes. La requérante indique que même une sage-femme exerçant dans un lieu immatriculé où les accouchements n’étaient pas autorisés pouvait fort bien fournir une assistance lors d’un accouchement en milieu hospitalier et accompagner la future mère à l’hôpital (bien qu’elle n’en fût pas salariée) dès lors qu’elle avait conclu un contrat spécial avec l’établissement en question. L’arrêté n’aurait été en vigueur que jusqu’au 31 mars 2012 et il n’aurait donc rien pu changer à la situation ambiguë qui avait cours avant son adoption. En effet, en son article 2 § 1 il aurait accordé aux établissements de santé existant avant son entrée en vigueur une période transitoire de douze mois pour se conformer aux exigences qu’il posait. La requérante plaide à cet égard qu’à l’époque où elle a mis au monde son enfant l’arrêté n’était en vigueur que depuis huit mois et les établissements de santé existants – y compris les sages-femmes, qui se seraient heurtées à une procédure d’enregistrement floue et imprévisible – n’étaient pas encore tenus de s’y conformer. 82. Invoquant l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Gillan et Quinton c. Royaume-Uni (no 4158/05, § 77, CEDH 2010 (extraits)), la requérante argue que la législation applicable ne fixait aucune limite aux décisions du ministère de la Santé relatives aux conditions auxquelles était subordonné l’exercice du métier de sage-femme en République tchèque. Par ailleurs, en l’absence, selon elle, de dispositions régissant directement l’accouchement à domicile, il n’y aurait pas eu de règles claires et transparentes pour les administrations régionales appelées à décider si une sage-femme pouvait se voir délivrer une autorisation et à définir ce que couvrait cette autorisation. 83. La requérante indique que ce n’est qu’après son accouchement que la loi sur les services médicaux (no 372/2011) a été adoptée et est entrée en vigueur (le 1er avril 2012), et qu’il en est de même pour l’arrêté no 92/2012. Elle estime que la teneur et les principes des dispositions juridiques sont restés inchangés. En effet, selon elle, la loi sur les services médicaux considère les soins à domicile comme l’une des formes de soins de santé
  • 26. 24 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE possibles, et fait des soins infirmiers une variante de cette forme d’intervention (article 10). Or la définition des soins infirmiers engloberait clairement les soins dispensés pendant la grossesse et l’accouchement (article 5 § 2 g)). Quant à l’arrêté, il définirait l’équipement technique dont doivent disposer les sages-femmes donnant des soins à domicile (annexe 9 à l’arrêté). La loi contiendrait toutefois une nouvelle disposition, qui consacrerait le droit des patients de bénéficier de services de santé dans l’environnement le moins contraignant possible, sous réserve que la qualité et la sécurité de ces services soient garanties (article 28 § 3 k)). Ni la loi ni l’arrêté ne comporteraient de restrictions empêchant les sages-femmes de fournir, dans le cadre des soins à domicile, des services de santé à une femme qui accouche chez elle. Pourtant, le Gouvernement et d’autres autorités publiques feraient de la législation une interprétation qui interdit aux sages-femmes d’offrir une assistance pour des accouchements à domicile, ce qui aurait clairement un effet dissuasif sur les praticiennes et les conduirait à refuser d’apporter leur concours lors de tels accouchements. La loi ne serait ni accessible ni prévisible dans son application, dès lors qu’elle se prêterait à différentes interprétations. En conséquence, la requérante conteste la conclusion de la chambre selon laquelle elle aurait raisonnablement pu prévoir que la loi n’autorisait pas l’assistance d’un professionnel de santé lors d’un accouchement à domicile. ii. Mme Krejzová 84. La requérante convient avec le Gouvernement qu’à la date à laquelle elle a mis son enfant au monde, en mai 2012, le droit tchèque n’autorisait pas les accouchements à domicile assistés. Elle plaide toutefois que pendant la majeure partie de sa grossesse c’était la législation en vigueur avant avril 2012 qui lui était applicable. Elle rappelle à cet égard qu’avant le 1er avril 2012 aucune disposition légale n’empêchait les sages-femmes de dispenser des soins lors d’un accouchement à domicile. Elle indique que pour pouvoir prodiguer des soins, une sage-femme devait notamment être titulaire d’une autorisation d’exercer lui permettant d’être assimilée à un prestataire de soins non public. Après l’adoption de l’arrêté no 221/2010, qui aurait imposé aux sages-femmes de disposer de moyens humains, matériels et techniques identiques à ceux dont sont équipées les salles d’accouchement dans les maternités, plus aucune sage-femme n’aurait obtenu cette autorisation. Toutefois, malgré les obligations très lourdes qu’il aurait fait peser sur les praticiennes en matière d’équipement, cet arrêté n’aurait pas automatiquement rendu caduques les autorisations déjà délivrées. Ainsi, malgré la persistance de ces impératifs concernant l’équipement, certaines sages-femmes auraient pu en théorie poursuivre leur activité dans le respect des normes antérieures ou, plus exactement, dans le vide juridique qui aurait existé. En conséquence, les femmes enceintes n’auraient eu aucune certitude juridique sur le point de savoir si elles pouvaient bénéficier de l’assistance
  • 27. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 25 d’une sage-femme pour un accouchement à domicile et les praticiennes n’en auraient pas eu davantage quant à la question de savoir si elles étaient légalement autorisées à fournir pareille assistance. Cette situation serait contraire aux principes de prévisibilité et d’absence d’arbitraire. 85. En ce qui concerne la réglementation introduite en 2012, à savoir l’arrêté no 92/2012, qui de façon générale aurait également imposé de lourdes obligations aux sages-femmes en matière de moyens humains, matériels et techniques, la requérante soutient qu’elle n’a pas été adoptée selon la procédure obligatoire prévue pour l’adoption de textes réglementaires par le ministère de la Santé. Les ministères seraient en effet tenus de faire réaliser une étude d’impact pour tout nouveau règlement. Or, selon la requérante, ces études d’impact n’avaient pas été réalisées, et encore moins publiées, lorsque le processus d’adoption des arrêtés nos 221/2010 et 92/2012 a démarré, de sorte qu’il n’y aurait pas eu de contrôle effectif du public sur l’exercice du pouvoir législatif délégué au ministère de la Santé. c) Sur l’existence d’un but légitime i. Mme Dubská 86. La requérante considère que la chambre a admis à tort l’existence du « but légitime » invoqué par le Gouvernement. À ses yeux, la politique mise en œuvre par l’État n’a pas pour effet de protéger la santé et la vie des femmes et de leurs enfants, mais d’aggraver les risques auxquels leur santé et leur vie sont exposées. Il n’y aurait aucun lien logique entre le but légitime déclaré, à savoir la protection de la vie et de la santé des femmes et des enfants, et l’atteinte au droit à la protection de la vie privée que constituerait le fait d’empêcher un professionnel qualifié de fournir des soins lors d’un accouchement à domicile. Au contraire, cette interdiction ferait peser un risque accru sur la santé et la vie des femmes. ii. Mme Krejzová 87. La requérante soutient qu’en l’espèce on ne pouvait poursuivre aucun but légitime en l’empêchant de bénéficier de l’assistance d’une sage-femme. 88. Par définition, le principe de légitimité exigerait que le but poursuivi fût précis, ce qui supposerait que l’État eût une bonne connaissance du domaine spécifique à réglementer, ainsi que de ses dysfonctionnements ou de la marge d’amélioration. La requérante argue que la nécessité de bien connaître le domaine concerné est évidente en l’espèce, compte tenu de la question complexe en cause, nécessitant l’avis d’experts médicaux et des données scientifiques sur les risques relatifs de l’accouchement en milieu hospitalier ou à domicile. Elle estime que la législation spécifique adoptée par l’État a totalement privé les femmes de la possibilité de se faire aider par
  • 28. 26 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE une sage-femme lors d’un accouchement programmé en dehors du milieu hospitalier, et qu’en conséquence il était raisonnable d’attendre que cette mesure fût suffisamment étayée par des données scientifiques et par l’avis d’experts pour être justifiée et satisfaire au critère de légitimité. 89. La requérante ajoute qu’en fait depuis 1992 les femmes tchèques pouvaient recourir en toute légalité aux services d’une sage-femme pour accoucher à domicile, et ce jusqu’à ce que les mesures adoptées en 2010 et 2012 les privent du droit de décider des circonstances de leur accouchement. Le Gouvernement aurait donc eu deux décennies pour recueillir des données scientifiques sur les actes effectués par les sages-femmes en dehors d’une structure hospitalière et pour analyser cette pratique en profondeur. Or il n’aurait même jamais indiqué avoir réalisé pareille analyse de fond. Ainsi, lorsqu’en 2010 et 2012 il aurait privé les femmes du droit de choisir les circonstances de la naissance de leur enfant, le Gouvernement n’aurait eu aucune connaissance ni des inconvénients et risques liés aux accouchements à domicile assistés auxquels la législation en question entendait mettre fin, ni du but positif recherché. d) Sur la nécessité dans une société démocratique i. Mme Dubská 90. La requérante considère qu’il y a lieu de distinguer la présente espèce des affaires Stübing c. Allemagne (no 43547/08, 12 avril 2012) et A, B et C c. Irlande ([GC], no 25579/05, CEDH 2010), toutes deux évoquées par la chambre. La Cour aurait estimé dans les arrêts en question que ces affaires concernaient des questions de nature « morale » et que l’affaire A, B et C c. Irlande avait trait à des problèmes particulièrement « sensibles » dans le pays en cause, ce qui l’aurait conduite à reconnaître une ample marge d’appréciation à l’État malgré l’existence d’une approche commune ou d’un consensus au sein des États membres. 91. Les questions en jeu dans la présente affaire n’auraient pas de caractère moral ou sensible, et la République tchèque n’aurait pas laissé entendre qu’il en était ainsi ou que le but ou l’intérêt poursuivi par l’ingérence de l’État dans l’exercice des droits de la requérante découlant de l’article 8 était la protection de la morale publique. De plus, la chambre aurait fait fausse route en affirmant qu’il n’existait pas d’approche commune claire en ce qui concerne l’assistance de professionnels qualifiés pour les accouchements à domicile. En fait, selon la requérante, sur trente-deux États membres du Conseil de l’Europe étudiés, seize autoriseraient expressément cette assistance à certaines conditions, cinq l’admettraient dans la pratique sans toutefois avoir adopté de dispositions expresses, tandis que dans deux autres une législation autorisant les accouchements à domicile serait actuellement à l’étude. La requérante estime que les États membres ont, dans une large mesure, une communauté
  • 29. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 27 de vues sur le fait que le meilleur moyen de protéger l’intérêt des femmes désireuses d’accoucher chez elles consiste à autoriser les sages-femmes à les assister. 92. La requérante considère par ailleurs que l’approche répressive adoptée par la République tchèque peut avoir des répercussions sur la possibilité pour les femmes d’exercer d’autres droits fondamentaux, comme le droit à la vie et le droit à la santé. Elle est d’avis qu’en rendant les accouchements à domicile moins sûrs pour les mères, l’État fait peser un risque sur ces autres droits, ce qui plaiderait en faveur d’une marge d’appréciation étroite. Elle ajoute que l’avis d’experts internationaux sur la santé maternelle et l’importance de la présence de professionnels qualifiés auprès des parturientes confirme l’approche qui, d’après elle, fait l’objet d’un consensus au sein des États membres. À cet égard, elle renvoie à des avis émanant de l’Organisation mondiale de la santé. 93. La requérante estime que la chambre, lorsqu’elle admet que la pratique de la plupart des hôpitaux tchèques est discutable quant au respect des choix des mères, use d’un doux euphémisme pour décrire un traitement qui constituerait souvent un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention. De l’avis de la requérante, une femme qui accouche à l’hôpital en République tchèque risque fort de subir des actes irrespectueux de ses choix, voire, comme cela arriverait souvent, préjudiciables à sa santé et à celle du nouveau-né. De surcroît, les tribunaux internes se montreraient régulièrement incapables de protéger les femmes dont les droits auraient été violés dans des maternités tchèques. Il s’agirait là d’un type de violence qui, dans le contexte tchèque, serait minimisé ou totalement ignoré. 94. La requérante considère par ailleurs qu’en empêchant les sages-femmes et autres professionnels qualifiés d’assister les femmes qui accouchent à domicile, l’État applique une politique non conforme aux normes internationales relatives à l’élimination de la mortalité et de la morbidité maternelles et infantiles évitables. Elle ajoute, sans donner de précisions, que la situation en République tchèque va à l’encontre des obligations qui incombent à l’État en vertu du droit de l’Union européenne. ii. Mme Krejzová 95. La requérante estime que le droit pour une femme de choisir les conditions dans lesquelles elle met son enfant au monde touche à la notion générale de choix, qui aurait une dimension quantitative et une dimension qualitative, lesquelles devraient l’une et l’autre être présentes simultanément. 96. Il ne prêterait pas à controverse entre les parties que la loi sur les services médicaux et l’arrêté no 92/2012 interdisent aux sages-femmes d’intervenir lors d’un accouchement se déroulant en dehors du milieu hospitalier et que la requérante était contrainte d’accoucher à l’hôpital si elle
  • 30. 28 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE voulait bénéficier de l’assistance de personnel médical qualifié. Le système en place pour l’accouchement en République tchèque ne proposerait donc qu’une seule option, de sorte qu’il serait par essence incompatible avec l’idée que la femme doit pouvoir choisir les circonstances dans lesquelles elle souhaite accoucher. 97. La requérante soutient que les problématiques liées à la grossesse et à l’accouchement, et au degré de liberté des femmes à cet égard, soulèvent également d’importantes questions concernant les relations hommes-femmes. Elle argue que le domaine des droits génésiques des femmes, qui selon elle est par définition féminin, est passé sous l’emprise des hommes. Elle estime que la raison en est notamment que la profession médicale a transformé l’accouchement et déplacé le cadre de celui-ci, ce qui aurait affaibli le rôle naturel des femmes. Le déplacement en question aurait introduit, dans le domaine de la grossesse et de la naissance, une nouvelle hiérarchie qui ne cadrerait pas avec la prise en charge de l’accouchement par les sages-femmes, basée sur une approche globale et féminine. Dans cette discipline dominée par les hommes que serait l’obstétrique biomédicale, le corps de la femme perdrait son intimité fondamentale et deviendrait vulnérable face à un expert médical de sexe masculin agissant comme une sorte d’autorité publique. 98. La requérante considère que la grossesse et l’accouchement sont les aspects les plus intimes de la vie d’une femme, alors que, dans cet acte délicat qu’est la mise au monde d’un enfant, elle est obligée par la force des choses de mettre à nu devant des tiers son corps et ses émotions les plus profondes. Le droit d’une personne à l’autodétermination engloberait sa liberté de décider si et dans quelle mesure elle veut ou non montrer son corps à tel ou tel tiers. À cet égard les parturientes ne pourraient pas ipso facto exercer le même contrôle sur leur corps au motif qu’elles seraient obligées pendant l’accouchement de partager avec d’autres ce qu’elles ont de plus intime. Le droit de la femme à l’autodétermination serait naturellement limité dans ce contexte, si bien que des mécanismes destinés à compenser ces limitations seraient nécessaires. Le droit de la femme de choisir les conditions dans lesquelles elle met son enfant au monde serait l’un de ces principaux mécanismes. La requérante estime donc que son droit de décider des conditions de son accouchement est destiné à compenser la limitation de son droit à l’autodétermination, et qu’en conséquence il ne peut en principe subir d’autres restrictions découlant de la marge d’appréciation du Gouvernement, laquelle devrait pour cette raison être étroite. 99. Concernant l’existence d’un consensus européen en la matière, la requérante indique que sur trente-trois États parties à la Convention, quatre seulement, dont la République tchèque, tiennent pour illégal les accouchements assistés en dehors d’une structure hospitalière et rendent passibles de sanctions les professionnels de santé qui les pratiquent. De
  • 31. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 29 même que l’existence d’un consensus européen restreindrait la marge d’appréciation du Gouvernement sur la base d’un critère quantitatif, l’idée que la Convention est un instrument vivant restreindrait plus encore l’étendue de cette marge sur la base d’un critère qualitatif. La marge d’appréciation serait d’autant plus étroite que des valeurs communes aux États membres seraient identifiées à la lumière non seulement de la Convention mais aussi d’autres instruments internationaux – même non contraignants ou non ratifiés par la majorité des États parties à la Convention –, et également de la pratique générale, du climat moral et des comportements observés dans les États membres. 100. La requérante soutient par ailleurs que confier à l’hôpital le monopole des soins n’améliore pas la sécurité des nouveau-nés mais accroît les risques pour les mères, y compris le risque d’actes obstétricaux violents, et que les accouchements à domicile n’ont pas d’incidence négative sur la mortalité périnatale. 101. Concernant le juste équilibre qu’il y aurait lieu de ménager entre intérêts privés et publics concurrents, l’accouchement à domicile serait une solution plus sûre que l’accouchement à l’hôpital pour les femmes ayant une grossesse à faible risque en ce qu’il n’impliquerait pas d’actes invasifs, systématiques et néfastes, et l’intérêt public à protéger la santé et la sécurité des femmes enceintes ne pourrait donc pas passer pour primer l’intérêt privé de la requérante. La santé et la sécurité des nouveau-nés ne constitueraient pas davantage l’intérêt public en jeu. Il serait en fait établi que l’accouchement médicalisé en milieu hospitalier et l’accouchement à domicile assisté sont équivalents du point de vue de la santé et de la sécurité des nouveau-nés. En conséquence, une prise en charge obstétricale de la naissance n’étant pas, selon la requérante, plus sûre qu’un accouchement à domicile assisté, cet aspect ne pourrait pas davantage constituer un intérêt public légitime de nature à l’emporter sur le droit pour la requérante de choisir les conditions de son accouchement. 102. La requérante soutient qu’il existe d’autres motifs étayant le défaut de proportionnalité et l’absence d’un juste équilibre entre intérêts concurrents : l’obligation de se résoudre à recevoir des soins médicaux non désirés, les effets négatifs des mesures prises par le Gouvernement sur les accouchements hors milieu hospitalier ou encore le manquement du Gouvernement aux obligations lui incombant en vertu de traités internationaux. 2. Le Gouvernement 103. D’emblée, le Gouvernement informe la Cour des évolutions récentes intervenues dans les domaines de l’obstétrique, du métier de sage-femme et des droits connexes des femmes. Il indique qu’en 2014 a été créé un comité gouvernemental d’experts composé de spécialistes issus de diverses disciplines pertinentes, parmi lesquels des représentants des
  • 32. 30 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE patients, d’associations de sages-femmes, d’associations de médecins, du ministère de la Santé, de compagnies d’assurance maladie publiques et d’avocats. Ce comité se pencherait principalement sur la complexité du système tchèque de soins obstétricaux et de soins dispensés par des sages-femmes, notamment sur la question du respect des droits et des souhaits des femmes, dont le droit de choisir entre différentes options pour accoucher. Il aurait vocation à agir en tant qu’organe spécialisé et serait habilité à adresser des recommandations, y compris d’ordre législatif, au gouvernement par le biais du Conseil gouvernemental pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. 104. Le Gouvernement indique par ailleurs que, dans une déclaration officielle publiée en 2015, la Société tchèque de gynécologie et d’obstétrique a dégagé les principes directeurs suivants relativement aux soins obstétricaux dispensés en République tchèque : prestation de ces soins par des médecins et par des sages-femmes uniquement dans des locaux dotés de l’équipement adéquat et situés à proximité immédiate d’un établissement où sont dispensés des soins plus performants ; coopération étroite entre médecins et sages-femmes dans le domaine des soins obstétricaux ; pour les grossesses physiologiques, adoption d’une pratique laissant aux sages-femmes à titre principal le soin de se charger des accouchements ; prestation de soins selon des protocoles régulièrement mis à jour et reflétant les tendances scientifiques et internationales ; respect des droits de la patiente à l’intimité, à l’autonomie et à des soins assurés dans le respect de sa personne. 105. Le Gouvernement évoque également divers articles scientifiques, publiés depuis 2013 par l’American Journal of Obstetrics and Gynecology, qui traiteraient de nouvelles études sur la sécurité de l’accouchement dans différents cadres et avec l’assistance de différents professionnels de l’accouchement. D’après les conclusions de ces recherches, les accouchements à domicile présenteraient un bilan moins bon que les accouchements dans des établissements de santé dûment équipés, indépendamment des professionnels présents. L’accouchement à domicile ne satisferait donc pas aux normes actuelles concernant la sécurité des patients en matière de soins obstétricaux dès lors qu’il présenterait un risque accru, inutile, évitable et irrémédiable de dommages pour les parturientes, les fœtus et les nouveau-nés. a) Sur les obligations négatives ou positives 106. Le Gouvernement soutient que l’affaire doit être examinée sur le seul terrain des obligations positives, que le droit en vigueur n’interdit pas aux femmes enceintes d’accoucher à leur domicile privé et qu’en pareil cas les autorités n’infligent pas de sanctions. Il estime qu’en conséquence la principale question en l’espèce est de savoir si l’État doit élargir l’étendue actuelle des soins de santé fournis aux femmes qui accouchent en
  • 33. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 31 République tchèque. Il considère que, d’une manière générale, la prestation de soins de santé est un domaine dans lequel la réglementation constitue la norme, et qu’ainsi l’État peut garantir une certaine qualité et un certain niveau dans les soins de santé tant privés que publics. Il est d’avis que pour « permettre » l’assistance de professionnels de santé lors des accouchements à domicile, il faudrait que l’État mette en place un cadre législatif et administratif considérable et prenne d’autres mesures, notamment qu’il réforme le système des soins d’urgence. 107. À titre subsidiaire, et se référant en particulier à l’affaire Hristozov et autres c. Bulgarie (nos 47039/11 et 358/12, CEDH 2012 (extraits)), le Gouvernement propose à la Cour de ne pas trancher la question de savoir si ce sont des obligations positives ou négatives de l’État qui sont en jeu. 108. Dans l’hypothèse où la Cour déciderait d’examiner la présente espèce sous l’angle des obligations négatives, le Gouvernement plaide que le droit en vigueur n’interdit pas aux femmes enceintes d’accoucher à leur domicile privé, que les autorités ne les sanctionnent pas pour cela et qu’en conséquence il n’y a pas eu d’ingérence dans l’exercice du droit des requérantes au respect de leur vie privée. b) Sur la légalité de l’ingérence 109. Les dispositions de la loi sur les services médicaux établiraient clairement que l’assistance d’un professionnel de santé pour un accouchement relève des soins qui sont l’apanage des établissements de santé satisfaisant à des exigences minimales expressément définies dans l’arrêté d’application. La règle selon laquelle les soins doivent être fournis dans des établissements de santé dotés de l’équipement adéquat, dans les lieux précisés dans l’autorisation pertinente, serait assortie de dérogations explicites, concernant notamment les soins prodigués dans le propre cadre de vie du patient (par exemple à domicile) et les soins d’urgence. L’assistance lors d’un accouchement programmé ne serait couverte par aucune de ces dérogations. En particulier, elle ne relèverait pas des soins de santé dispensés dans le cadre de vie du patient tel que défini à l’article 10 de la loi sur les services médicaux, en ce que cette disposition indiquerait expressément que pour les soins de santé fournis dans le cadre de vie du patient seuls sont autorisés les actes médicaux auxquels ne sont pas applicables les conditions relatives à l’équipement technique et matériel nécessaire à leur réalisation dans un établissement de santé. Or l’assistance lors d’un accouchement serait soumise à ces conditions. 110. Dès lors, les autorités régionales ne délivreraient pas et ne pourraient pas délivrer à une sage-femme une autorisation de prestation de services de santé « sur le terrain » lui permettant de fournir pareils services lors d’accouchements à domicile. À défaut d’autorisation, un prestataire de soins de santé n’aurait pas le droit d’assurer des services de santé.
  • 34. 32 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 111. En outre, le cadre juridique pertinent assurerait la sécurité juridique et la prévisibilité en ce qu’il établirait les exigences précises et dénuées d’ambiguïté que doivent remplir une sage-femme ou un médecin pour pouvoir assister une femme lors de tout accouchement prévu. Contrairement au droit hongrois, que la Cour aurait critiqué dans l’affaire Ternovszky c. Hongrie (no 67545/09, 14 décembre 2010) pour son défaut de prévisibilité, la législation tchèque disposerait que les professionnels de santé, y compris les sages-femmes, ne peuvent pratiquer un accouchement que dans des locaux adéquatement équipés et définirait clairement les exigences à remplir pour la fourniture de ces soins. c) Sur l’existence d’un but légitime 112. Le Gouvernement soutient que la politique en cause vise à protéger la santé et la sécurité de l’enfant pendant et après l’accouchement et, à tout le moins indirectement, celles de la mère. Selon lui, ces intérêts reflètent les buts légitimes généraux que sont la protection de la santé et la protection des droits d’autrui. d) Sur la nécessité dans une société démocratique 113. Le Gouvernement soutient que, pour préserver l’intérêt public que constitue la protection de la santé et de la vie, l’une des tâches essentielles de l’État consiste à assurer et maintenir des soins de santé d’un certain niveau et d’une certaine qualité, qu’ils soient dispensés dans le cadre du régime public ou du régime privé. Il considère donc que l’État ne doit pas être contraint d’autoriser un type de soins de santé qu’il n’estime pas sûr. 114. Le Gouvernement ajoute que le droit interne applicable vise à garantir que les soins de santé soient fournis dans des « lieux d’accouchement sûrs » – c’est-à-dire des locaux dotés de l’équipement adéquat et situés à proximité immédiate d’un établissement où sont dispensés des soins plus performants –, de façon à réduire au minimum les risques pour la santé et la vie des nouveau-nés et des mères en cas de complications soudaines. Il affirme que l’abaissement de ces normes médicales est de nature à accroître les risques liés aux soins administrés tout au long de l’accouchement et à amoindrir leur niveau et leur qualité. 115. Le Gouvernement indique que le conflit entre les demandes des requérantes et les obligations découlant du droit à la vie et du droit à la santé conforte son opinion selon laquelle le droit au respect de la vie privée ne peut être interprété dans un sens si large qu’il exigerait de l’État la mise en place d’un cadre autorisant la fourniture de soins de santé lors d’un accouchement à domicile, alors même que les autorités, en collaboration avec des spécialistes de l’obstétrique et du métier de sage-femme, ont selon lui établi que la politique de l’État la plus opportune et répondant au solide intérêt public susmentionné consiste à offrir des soins gratuits et accessibles permettant des accouchements dans des lieux possédant l’équipement
  • 35. ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 33 médical adéquat et la capacité de réagir rapidement aux urgences. Le Gouvernement considère que la simple assistance d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile est insuffisante. En effet, en cas de complications soudaines, le nouveau-né pourrait se trouver exposé à des risques pourtant évitables. Selon le Gouvernement, les professionnels de santé, y compris les sages-femmes, ne peuvent gérer efficacement de telles complications dans des logements privés, qui à son avis ne sont pas adéquatement équipés à cette fin et qui, souvent, ne sont pas situés à proximité immédiate d’un établissement dispensant des soins plus performants. En d’autres termes, pour le Gouvernement, dans le cas de naissances prévues pour se dérouler à domicile, les soins de santé ne seraient pas fournis dans un lieu sûr pour l’accouchement. 116. Le Gouvernement ajoute que la législation en cause dispose qu’un professionnel de santé ne peut pratiquer un accouchement prévu que dans des locaux dotés d’un équipement adéquat et situés à proximité immédiate d’un établissement où sont dispensés des soins plus performants. Selon lui, il faut voir dans ces exigences non pas des mesures empêchant spécifiquement les sages-femmes d’intervenir lors d’un accouchement à domicile, mais des normes minimales nécessaires pour la prestation de soins pendant tout accouchement prévu. Les exigences minimales en question ne seraient pas excessives et poursuivraient efficacement l’objectif qui consiste à réduire au minimum les risques de complications graves en permettant de les détecter à temps et de mettre en œuvre une solution rapide. 117. En outre, renvoyant à divers exemples de bonne pratique, le Gouvernement conteste la conclusion de la chambre selon laquelle la pratique de la plupart des hôpitaux régionaux est discutable quant au respect du choix des mères. Il estime que l’importance requise a été accordée aux intérêts liés à la vie privée qui sont en jeu et que la politique tchèque en matière de naissance a été élaborée de manière à atteindre un juste équilibre prenant en considération les intérêts des enfants et des mères. À son avis, on peut observer dans les maternités tchèques une tendance nette et avérée à prendre en compte les droits des femmes enceintes, y compris le droit de choisir parmi un large éventail de conditions d’accouchement. 118. Le Gouvernement attire l’attention de la Cour sur le rapport européen de 2013 sur la santé périnatale, selon lequel la République tchèque enregistrerait le plus faible taux de mortalité fœtale et, avec l’Islande et Chypre, le plus faible taux de mortalité néonatale précoce d’Europe (paragraphe 29 ci-dessus). Il estime que la République tchèque doit principalement ce bilan, qu’il juge objectivement exceptionnel, à son système sophistiqué de soins obstétricaux de haut niveau et à la législation en vigueur garantissant que ces soins de santé (c’est-à-dire l’assistance lors d’un accouchement) sont dispensés uniquement dans des locaux dûment équipés. Il indique à ce sujet que ces soins sont accessibles gratuitement à toutes les femmes enceintes.