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LE POINT                                                                       AVANT-PROPOS
            74, a v e n u e du M a i n e ,
             75682 Paris Cedex 14
             Tél. : 01.44.10.10.10
              Fa* : 01.43 21.43.24
          Service a b o n n e m e n t s :
         22, r u e R e n é - B o u l a n g e r
             75472 Paris C e d e x 10
       T é l é p h o n e : 01.55.56.71.26
          E-mail : a b o @ t e p o i n t . f r

      Directeur de la publication :
           Franz-Olivier Giesbert
            Rédaction en chef :
             Catherine Goliiau
                Assistante :
             Sylvana Priouret
      O n t participé à ta rédaction               Par Catherine Golliau
              de ce n u m é r o :
      Moharnmad Ali Amir-Moezzi,
      Mahmoud Azab, |osé Costa,
   Daniel De Smet, François Déroche,
       Oleg Grabar, Éric Geoffroy,
                                                              ui fut donc le fondateur de l'islam, aujourd'hui
   Mahmoud Hussein, Michaet Lecker,
           Christian |ulien Robin,
   Charles Saint-Prot, Thierry Zarcone.
                      Avec :
   Victoria Gairin, Pauline Marceillac,
                                                   Q          la deuxième religion du monde avec 1,3 milliard
                                                              de fidèles ? Un bédouin illettré, un homme d'af-
                                                              faires cultivé ? Un ambitieux manipulateur, un
     Laurence Moreau, Éric Vinson.                 vrai mystique ? L'islam signifie « soumission » : le Coran,
                        Édition :
               lean-Pierre Kogut
                                                   la parole de Dieu révélée à Mahomet, impose-t-il une
                 Iconographie :                    religion de l'obéissance ? Dans ce Proche-Orient du
                Isabelle Eshraghi
                      Révision :
                                                   vn siècle, riche en hérésies et en prédicateurs, comment
                                                     e


    Olivier Boillet et Francys Gramet              ce Mecquois réussit-il à vaincre
       C o n c e p t i o n et réalisation :        ses concurrents ? Depuis l'origine,
           Rampazzo & Associés
      Diffusion et d é v e l o p p e m e n t :
                                                   les juifs mais surtout les chrétiens Le Prophète
           |ean-François Hattier,                  se sont montrés hostiles envers aurait-il approuvé
           Tél. : 0 1 4 4 10 1 2 01
            ifhattier@lepoint.fr
                                                   ce prophète armé surgi du désert. la naissance
                    Publicité :                    À travers les Croisades puis la
               Xavier Duplouy,                     colonisation, les Occidentaux ont de l'islamisme?
            Tél. : 0 1 4 4 10 13 22
           xduplouy@lepoint.fr                     une part de responsabilité dans Rien n'est moins sûr.
 Le Point, fondé en 1972, est édité par la         la naissance de l'islamisme
Société d'exploitation de l'hebdomadaire
              Le Point - Sebdo.
                                                   d'aujourd'hui. Mais Mahomet aurait-il approuvé ces
      Société anonyme au capital de                « martyrs » poseurs de bombes ? Aurait-il été séduit par
              1 0 1 0 0 1 6 0 euros,
           74, avenue du Maine,
                                                   ces femmes dissimulées sous de longs voiles noirs? Rien
           75682 Paris Cedex 14.                   n'est moins sûr, le Coran, les témoignages des Compa-
         R.C.S. Paris B 312 408 784                gnons du Prophète, mais aussi les dernières découver-
      Associé principal : ARTEMIS S.A.
 Président-directeur général : Cyrille Duval
                                                   tes sur l'Arabie de cette époque le prouvent. Car, en
                                                   dépit des pressions des fondamentalistes, des historiens
Dépôt légal : à parution - n° ISSN 0242 - 6005 -
  n° de commission paritaire : 0610 C 79739
                                                   courageux s'acharnent à découvrir dans quelles condi-
                                                   tions fut faite la Révélation coranique, et dans quelle
Impression : Maury Malesherbes 45331
Diffusion : Presstalis.
                                                   société vécut son Prophète. Leurs découvertes sont
         LE POINT contrôle les publicités          étonnantes, dérangeantes aussi. Ce sont ces révélations
  commerciales avant insertion pour qu'elles
           soient parfaitement loyales.
                                                   que Le Point vous invite ici à découvrir. Sans a priori.
    Il suit les recommandations du Bureau          Pour mieux comprendre qui était Mahomet, le messager
          de vérification de la publicité.
            Si, malgré ces précautions,            d'Allah.
        vous aviez une remarque à faire,
   vous nous rendriez service en écrivant au
        ARPP - 23 rue Auguste-Vacquerie
                75116 PARIS CEDEX

                 AUP P

     Toute reproduction est subordonnée
    à l'autorisation expresse de ta direction-
                    du Point.


                                                             L e P o i n t Hors-série n° 6   |   Les Maîtres-Penseurs   |   3
SOMMAIRE
                                        Retrouver Mahomet?             6
                                              par Catherine Golliau

                   À la recherche du Mahomet historique                8
                                                par Michael Lecker

                     Point de v u e :   Faire connaître la Sîra 12
                                            par Mahmoud Hussein



                                                         LA VIE        16
                                  Naissance d'un prophète              16
                                              par Catherine Golliau

             Le Voyage nocturne : la rencontre avec Allah              20
                                              par Catherine Golliau

                                  Repères : L'Arabie saisie            23
                                  par la fièvre prophétique
                                          par Christian Julien Robin

              Médine : l'apprentissage d'un homme d'État               27
                                              par Laurence Moreau

                                             Le chef de guerre         31
                                              par Laurence Moreau
*»mh«
                                Le Testament du Prophète               33
                                              par Catherine Golliau

                                        Les dates de Mahomet           36


                                              WHO'S WHO                38
                                    Abu Bakr, A'isha, Ali...           38
                          par Pauline Marceillac et Victoria Gairin



                                         LA REVELATION                 48
                                         Le mystère du Coran           48
                                              par Catherine Golliau

                                         De la parole à l'écrit        50
                                 par M o h a m m a d Ali Amir-Moezzi

                 Repères :   Qui étaient les juifs d'Arabie?           54
                                                     par |osé Costa
Talmud-Coran : les points de rencontre                 56
                                               par José Costa


                        Entretien : François Déroche                 60
       «Le Coran est un texte flexible au cours du temps»
                            Les Cinq Piliers de l'islam              63
                                               par Éric Vinson             METHODE
                                          Le vrai Djihad             69
                                                                           Le but de ce hors-série est
                                                                           aussi de faire découvrir les
                                               par Éric Vinson             textes fondateurs de l'Islam et
                                                                           les textes anciens qui le concer-
                            La femme vue par le Coran                71    nent. Les articles sont donc
                                       par Catherine Goliiau               s o u v e n t accompagnés d'ex-
                                                                           traits de textes (en beige).
                              Entretien : Oleg Grabar                73    Les mots et les n o m s grais-
«L'islam ne peut plus lutter contre l'invasion des images»                 sés et a c c o m p a g n é s d'une
                                                                           étoile sont à retrouver dans
                                                                           le lexique.
                                      LA POSTÉRITÉ                   76
                                L'histoire d'une épopée              76
                                                                           TRANSCRIPTION
                                       par Catherine Goliiau
                                                                           L'arabe est transcrit en général

        Le droit, fondement de la société musulmane                  82
                                                                           selon la règle internationale,
                                                                           sauf pour certains mots entrés
                                       par Charles Saint-Prot              dans le vocabulaire français
                                                                           c o m m e M a h o m e t , Kaaba,
                          Entretien     Daniel D e S m e t           86    chiisme, soufisme...
       «Dans le chiisme modéré, Mahomet révèle le texte,
                                l'imam en détient la clé»
                    Les « vêtus de laine » du soufisme               90
                                         par T h i e r r y Zarcone

                        Le message caché de Mahomet                  95
                                            par Éric Geoffroy

                          Entretien : Mahmoud A z a b                98
                    «L'islam libéral n'a jamais       disparu»
                              Se convertir aujourd'hui               101
                                          par Victoria Gairin




                            L'islam aujourd'hui (carte)              104
                                 Chronologie de l'islam              106     Les extraits du Coran pu-

                                               Lexique               108
                                                                             bliés dans ce hors-série
                                                                             sont, sauf mention contrai-
                                         Bibliographie               114     re, tirés du Coran traduit
                                                                             par Régis Blachère (Édi-
                                                                             t i o n s M a i s o n n e u v e et
                                                                             La rose, 1949).
INTRODUCTION




Retrouver Mahomet ?
Longtemps, le Prophète est resté un sujet intouchable pour les historiens. Aujourd'hui, l'afflux de
sources nouvelles a enrichi sa biographie. Au risque du révisionnisme ?


         e fondateur de islam est, vérifier la validité des souvenirs       en reste et si Pierre le Vénérable
L        de tous les grands fonda- rapportés par tel ou tel Compa-
         teurs de religions, l'un des gnon pour pouvoir in fine fournir
         rares dont l'existence sem- une liste crédible des paroles du
                                                                            traduit le Coran au XII siècle, c'est
                                                                            pour mieux le réfuter. Dès le
                                                                            Moyen Âge, Mahomet apparaît,
                                                                                                           E




blait jusqu'ici ne pouvoir être Prophète.                                   dans les chroniques, comme l'hé-
remise en doute. Sa vie et sa per- Très vite toutefois, il a été admis      rétique, le vilain, le menteur, celui
sonnalité nous sont en effet que les versets du Coran étant la              qui nie la divinité du Christ et qui
connues par de nombreux témoi- parole de Dieu, le Coran est ini-            a pillé les textes juifs. Voltaire et
gnages dont la plupart peuvent mitable (et non influençable...).            Ernest Renan ne seront pas plus
être considérés comme crédibles. Sa langue, c'est-à-dire l'arabe du         tendres.
Ainsi nous savons que le prophète Hedjaz, est parfaite. Quant à Ma-
qui a transmis le Coran, livre sacré homet, le dernier et le plus ac-       L'audace des historiens
de l'islam, était un bédouin du compli des prophètes, il est si             Mais comment l'historien mo-
vii siècle, vivant à La Mecque, en grand qu'il ne peut être repré-
  e
                                                                            derne peut-il espérer connaître le
Arabie. Un homme sage, parfois senté. Sur cette base, toute inter-          plus objectivement possible les
guerrier, souvent juge de paix, rogation sur ses motivations ou             conditions de la Révélation? Mi-
confronté aux problèmes quoti- ses actes se sont révélés impos-             chael Lecker (cf. p. 8) nous rappelle
diens de sa jeune communauté de sibles, et les rares qui tentèrent          à quel point la numérisation et la
croyants, notamment par ceux de d'enfreindre cette règle le payè-           diffusion sur Internet de docu-
son harem.                                           rent parfois de        ments hier inaccessibles sont en
Que valent ces ré-                                   leur vie.              train de modifier l'islamologie. Ce
cits d'un point de L'Occident a toujours             C'est d'Occident,      n'est plus seulement dans le Co-
vue historique? entretenu avec l'islam               le vieil ennemi,       ran, les hadith ou la Sira que l'on
Les m u s u l m a n s une relation ambiguë           que viendront, au      peut trouver des informations sur
eux-mêmes se sont de fascination                     xix siècle, les pre-
                                                             e

posé rapidement                                      mières approches
la question. Les et d'hostilité.                     purement histori-                      LE
paroles du Pro-                                      ques de la vie de              CORAN
phète (les « dits » ou hadith*) et, Mahomet. Avec des intentions pu-
dans une moindre mesure, ses res? Ce n'est pas sûr. L'Occident a
actions telles qu'elles sont rap- toujours entretenu avec l'islam              « Allah
portées par les chroniques qui une relation ambiguë de fascina-
composent la Sîra * (cf. p. 12) ont tion et d'hostilité, les musulmans
                                                                               omniscient »
servi à éclairer les aspects les étant les ennemis, ceux qui                   « M a h o m e t n'est le p è r e
moins clairs du Coran et à éta- avaient fait chuter Byzance, et                de n u l de v o s m â l e s , m a i s
blir le dogme : de la validité des s'étaient emparés du tombeau du             il est l ' A p ô t r e d ' A l l a h e t le
témoignages dépendait en effet Christ à Jérusalem. Si le Coran                 Sceau des Prophètes.
l'avenir de l'islam. Au ix siècle, fustige les chrétiens et les juifs en
                             e
                                                                               A l l a h , d e t o u t e c h o s e , est
l'érudit ouzbek Bukhâri* consa- les accusant d'avoir falsifié la pa-           omniscient. » •
cra ainsi sa vie à rassembler et role de Dieu, ceux-ci ne sont pas
                                                                                                Sourate XXXIII, 40.


      Les Maîtres-Penseurs       Hors-série n° 6 L e Point
INTRODUCTION



                                                                                        islamique », 1977), livre écrit avec
                                                                                        l'historien Michael Cook. Les
                                                                                        deux auteurs renonceront plus
                                                                                        tard à cette thèse, mais pas à dé-
                                                                                        mythifier la Révélation musul-
                                                                                        mane, au risque du scandale : « Le
                                                                                        Coran est un texte sacré doté
                                                                                        d'une histoire, comme tout autre
                                                                                        - sauf que nous ne connaissons
                                                                                        pas cette histoire et que nous dé-
                                                                                        clenchons des hurlements de pro-
                                                                                        testation quand nous l'étudions »,
                                                                                        se défendra Patricia Crone.
                                                                                        Près de vingt ans plus tard, en
                                                                                        Allemagne, sous le pseudonyme
                                                                                        de Christoph Luxenberg, des is-
                                                                                        lamologues se fonderont sur le
                                                                                        grand nombre de mots d'origine
                                                                                        araméenne et syriaque dans le
                                                                                        Coran pour affirmer qu'il n'est
                                                                                        qu'un texte chrétien, au mieux
                                                                                        « une production littéraire de
                                                                                        l'Antiquité tardive » (Die Syro-
                                                                                        aramàische Lesart des Koran,
                                                                                        2000).
                                                                                        Quant à Mahomet, ce ne serait
                                                                                        pas, selon eux, le nom d'une per-
                                                                                        sonne, mais un prédicat pour
                                                                                        désigner « le serviteur et messa-
          À Ispahan (Iran), fresque r e p r é s e n t a n t                             ger d'Allah », c'est-à-dire... Jésus.
          M a h o m e t . Son visage est caché car « il est si g r a n d                La thèse est osée, et témoigne
          qu'il ne peut être r e p r é s e n t é ».                                     d'un révisionnisme dont la radi-
                                                                                        calité vaut bien celle des fonda-
l'Arabie du V I I siècle et sur la vie
                E                           caine Patricia Crone provoque-t-            mentalistes qui veulent appliquer
du Prophète, mais sur les pierres           elle une polémique en affirmant             à la lettre, au xxi siècle, les paro-
                                                                                                            e


gravées du désert yéménite enfin            que l'hégire*, ce jour de l'année           les du Prophète. Nombre d'histo-
décryptées par les philologues, ou          622 où Mahomet abandonna                    riens réfutent d'ailleurs ces posi-
les chroniques racontant la vie de          La Mecque pour s'installer à Yath-          tions extrêmes, mais les faits sont
telle oasis.                                rib, futur Médine, serait une re-           là : les conditions de la Révélation
Dans le même temps, si le champ             constitution opérée bien des an-            musulmane, et donc la biogra-
d'informations s'élargit, l'audace          nées après la mort du Prophète,             phie de l'homme qui l'a fait
des historiens aussi. De nombreu-           cette date étant devenue le début           connaître, sont plus que jamais
ses recherches sont menées sur              du c a l e n d r i e r m u s u l m a n .    des enjeux politiques et scientifi-
les relations entre le judaïsme et          « Aucune source du vn siècle    e           ques. Mahomet n'est pas seule-
l'islam, les prophètes concurrents          n'identifie la période arabe comme          ment aux mains des islamistes
de Mahomet, etc. Certains abou-             étant celle de l'hégire » affirme-t-        qui veulent réinventer l'islam des
tissent à des conclusions hardies,          elle dans Hagarism. The Making              origines, il est aussi dans celles
voire iconoclastes. Ainsi, dans les         of the Islamic World (« Le haga-            des historiens. •
années 1970, l'islamologue améri-           risme. La naissance du monde                              CATHERINE GOLLIAU




                                                                  L e P o i n t Hors-série n° 6   |   Les Maîtres-Penseurs   |   7
LES SOURCES




                     Yathrib (actuelle Médine), au temps de l'hégire

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LES SOURCES



                                                                            sur l'histoire de La Mecque et
                                                                            de Médine à l'époque médié-
                                                                            vale.
                                                                            Les nouvelles technologies sont
                                                                            à cet égard d'une grande aide.
                                                                            Des milliers d'ouvrages de la lit-
                                                                            térature classique en arabe sont
                                                                            maintenant accessibles par In-
                                                                            ternet et libres de droit. Plu-
                                                                            sieurs banques de données in-


À la recherche
                                                                            cluant des milliers de volumes
                                                                            ont été créées à travers le monde
                                                                            musulman. Les avancées de la


du Mahomet
                                                                            high-tech permettent ainsi de
                                                                            mener des recherches il y a en-
                                                                            core peu impossibles. Ce qui hier


historique
                                                                            e x i g e a i t des mois p r e n d
                                                                            aujourd'hui quelques secondes.
                                                                            Ce phénomène est, bien sûr, à
                                                                            l'œuvre dans d'autres champs de
                                                                            la recherche, mais il commence
Les historiens disposent aujourd'hui de moyens considérables                seulement à donner des résultats
pour cerner au plus près la vie du Prophète.                                dans l'étude de l'histoire musul-
                                                                            mane, notamment dans la re-
                                                                            constitution des textes.
                                                                            Rien de plus facile dorénavant
         a tradition arabo-musul-      En l'espèce, notre premier outil     que de comparer différents ma-
L        mane nous apporte de
         multiples informations
         sur les premiers âges de
                                       est la philologie, c'est-à-dire
                                       l'analyse critique des textes.
                                       Longtemps, les historiens se
                                                                            nuscrits pour juger de l'état
                                                                            d'un verset, de trouver des pa-
                                                                            rallèles ou des variantes pour
l'islam en général et la vie de        sont tournés vers des sources        aboutir finalement à établir un
Mahomet en particulier. Mais           évidentes comme Les Biogra-          texte correct et dont le sens sera
certains historiens modernes           phies du Prophète (cf. p 12) ou la   juste. Dans l'univers des manus-
ont mis en évidence les lacunes        vaste somme des hadith*. Mais        crits en arabe, des problèmes
et les incohérences de ces récits,     ces textes posent problème à         majeurs peuvent dépendre en
et ont pour cela été accusés de        l'historien, notamment en rai-       effet d'un mot ou d'une lettre.
« révisionnisme ». Difficile pour-     son de leur aversion pour les        Prenez, par exemple, le docu-
tant de nier des manques... dont       faits concrets et les aspects pra-   ment dénommé la Constitution
certains étaient d'ailleurs connus     tiques de la vie du Prophète.        de Médine, parce qu'il serait le
depuis longtemps. Faut-il pour         De plus, les frontières entre les    premier texte juridique établi
cela en conclure que nous man-         différents genres de la littéra-     par Mahomet. Une clause y sti-
quons d'informations solides sur       ture musulmane ne sont pas           pule qu'un groupe de juifs forme
la vie de Mahomet? Non, nous           clairement définies, et, la formi-   une Umma, une communauté.
disposons bien au contraire de         dable figure du Prophète étant       Mais dit-elle vraiment cela?
milliers d'informations utiles         partout présente, des informa-       Dans un manuscrit d'Hydera-
au regard de l'historien, et il faut   tions essentielles peuvent appa-     bad, en Inde, l'écriture du mot
s'attendre à ce que d'autres           raître au hasard de manuscrits        Umma n'est plus la même : le
encore soient découvertes dans         inattendus, par exemple, des         mot présente un caractère sup-
un proche avenir.                      documents portant témoignage         plémentaire avec un point • • •

                                                        L e Point Hors-série n° 6   |   Les Maîtres-Penseurs   |   9
L E S SOURCES



     • • • diacritique (nun, équiva- mettre intactes à leurs propres à des délégations étrangères,
     lent du n) et c'est amana/amina, étudiants. Ceux qui se sont char- mais les archéologues demeu-
     la promesse d'une protection, gés de rassembler les témoigna- rent interdits de recherches à
     qu'il faut lire. Ainsi, il suffit ges sur les faits et gestes de Ma- La Mecque comme à Médine,
     d'un petit caractère pour que le homet adhéraient à la même bien évidemment les sites les
     texte entraîne vers des conclu- définition du savoir, même si plus significatifs. De plus, il a
     sions d'une tout autre portée. Il leurs standards en matière de été fait état de destructions dé-
     ne s'agit plus ici de                            t r a n s m i s s i o n libérées de sites archéologiques
     décrire un groupe le défi auquel sont            étaient plutôt sou- dans ces deux villes ainsi qu'à
     de juifs comme une confrontés les                ples. Les notions Ta'if. Toutefois, le potentiel est
     communauté : le                                  d'originalité et d'in- énorme. On peut présumer qu'à
     texte dit que ce chercheurs est dû à novation n'entraient l'image traditionnelle d'une
     groupe et ceux qui l'état défectueux de pas dans leur ma- Arabie préislamique pastorale
     vont le suivre béné- nombreux documents nière de voir.                   se substituera bientôt celle, plus
     ficieront d'un aman, très anciens.               Faut-il s'en plain- complexe, d'une civilisation
     qu'ils seront proté-                             dre? Certes non. avancée fondée sur le commerce
     gés... Tel est donc le                           Prenez al-Khabar et l'agriculture.
     défi auquel sont confrontés les 'an al-bashar, « L'histoire de Mais la géographie historique
     chercheurs du fait de l'état dé- l'humanité », cette encyclopédie est également un champ de re-
     fectueux de nombreux docu- compilée il y a cinq siècles par cherche prometteur. Les cartes
     ments très anciens.                  le lettré cairote Ahmad al- dont nous disposons pour ces
                                          Maqrîzî (1374-1442) : elle n'est deux villes présentent certes des
     Chronologies différentes             faite que de citations, grandes lacunes car la localisation de
     L'accès plus facile à des milliers et petites, de livres plus anciens plusieurs sites cités par la Tra-
     de textes a aussi d'autres consé- qui sont maintenant perdus ou dition demeure encore incon-
     quences : les connaissances qui peut-être mal catalogués quel- nue. C'est particulièrement vrai
     semblaient acquises, parce que que part dans le monde... La pour Médine, où il est pourtant
     fondées sur des sources recon- chronologie des témoignages vital de disposer de cartes fia-
     nues, peuvent rapidement deve- historiques et celle des livres où bles pour comprendre les étapes
     nir obsolètes quand, grâce à ils ont été trouvés                                      de la p r i s e de
     Internet, n'importe qui peut sont donc deux cho- Dans la littérature                  contrôle de Maho-
     avoir accès à des textes jusque-là ses bien différen-                                 met et de ses Com-
     dédaignés par les experts. Même tes : les témoigna- musulmane,                        pagnons.
     si l'analyse n'est pas la même ges les plus anciens les notions de « tôt » Le plan (cf. p 8), éta-
     chose que la chasse aux infor- peuvent se trouver et de « tard » sont                 bli à partir de celui
     mations, il est clair que le cher- dans des livres an- plus relatives                 de la Médine mo-
     cheur doit jeter son filet de plus ciens aussi bien que                               derne, n'est qu'une
     en plus loin à la recherche de dans des livres plus qu'absolues.                      première approche.
     nouveaux faits, bien au-delà des récents, ce qui élar-                                Il indique, au nord-
     sentiers battus.                     git d'autant le champ de docu- ouest, la ville de Yathrib, nom
     Or, dans cette quête, il faut gar- ments utiles pour enquêter sur donné avant l'Islam à l'ensem-
     der à l'esprit que dans la littéra- la vie de Mahomet.                   ble des petites villes de la zone.
     ture musulmane les notions de Et l'archéologie, direz-vous? Sa À côté du cadre topographique
     « tôt » et de « tard » sont plus re- contribution à l'étude de la vie général (les vallées qui s'éten-
     latives qu'absolues. Les compila- du Prophète ne s'est pas encore dent du sud-est au nord-ouest ;
     teurs de hadith considéraient en vraiment concrétisée. Les auto- les deux plaines de lave à l'est et
     effet comme leur devoir de pré- rités saoudiennes sont certes à l'ouest), plusieurs appellations
     server les connaissances reçues plus enclines que jamais à don- ont disparu pendant les premiè-
     de leurs maîtres et de les trans- ner des autorisations de fouilles res années de la présence mu-

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LES SOURCES



sulmane, probablement parce           de Médine ! Mais l'identité de la homet, son professeur, le grand
que les terres correspondantes        source n'a rien à voir avec son juriste Abu Hanîfa* (mort en
ont été divisées entre leurs nou-     historicité, ni avec sa valeur 767), lui lança : « Qui était le
veaux propriétaires et ont pris       pour la recherche historique : p o r t e u r de drapeau de Go-
alors leur nom.                       grâce à cette information, nous liath? », faisant ainsi allusion à
Telle quelle, cette carte peut être   savons maintenant que peu de l'ignorance et à la prétention
utilisée avec profit pour com-        temps après son arrivée à Mé- des prêcheurs populaires qui
prendre certains faits histori-       dine, Mahomet possédait une utilisaient volontiers leur ima-
ques, comme le montre le cas          large pièce de terre à Zuhra, en gination pour compenser leurs
suivant, qui combine à la fois        plus d'un verger.                                     l a c u n e s d a n s la
l'utilisation de la géographie        Nous savons par                                       connaissance des
historique et des informations        d ' a u t r e s sources La philologie et              sources. Pour Abu
extérieures aux sources tradi-        que ses v o i s i n s la géographie                   Hanifa, de toute fa-
tionnelles que sont les Biogra-       étaient des juifs, ce historique sont                 çon, les batailles du
phies de Mahomet. Le narrateur        qui pourrait ame-                                     Prophète comme
évoque ici une dispute pour sa-       ner à une révision des champs                         celle, mythique, de
voir quel était le premier pro-       de la manière dont, de recherche                      David contre Go-
priétaire d'un waqf, ou fonda-        jusqu'ici, on envisa- prometteurs.                    liath, relevaient
tion charitable, à Médine, et les     geait ses relations                                   également du non-
« compétiteurs » ne sont autres       avec cette popula-                                    sens. Abu Yusuf
que Mahomet lui-même et celui         tion à son arrivée à Médine, et répondit alors, probablement
qui sera le second calife, Umar       peut-être aussi sur les condi- d'un ton menaçant : « Vous êtes
{cf. p. 45). « Peu de temps après     tions politiques et économiques un imam*, mais je jure par Al-
que le Messager d'Allah vienne        mêmes de son installation.          lah que, si vous continuez à agir
s'installer à Médine, il "trouva"                                         ainsi, je vais vous interroger
une large portion de terrain à        Mahomet avait installé              devant tout le monde pour sa-
Zuhra qui avait appartenu aux         son propre marché                   voir laquelle, de Badr (cf. p. 32)
gens de Ratij et d'Husayka. Ils       Ainsi, nous avons découvert ou d'Uhud, est la bataille la plus
avaient été expulsés de Médine        que Mahomet avait installé son ancienne, car vous ne le savez
avant son arrivée et avaient          propre marché. Information qui pas. »
laissé derrière eux une vaste         n'intéressait pas les compila- Les historiens modernes sont
étendue de terre. Elle compre-        teurs comme les lettrés du comme Abu Yusuf : armés de
nait une partie vide, sans arbres     Moyen Âge, généralement plus leurs connaissances en philolo-
ni champs, qui s'ajoutait à une       intéressés par les sujets reli- gie, de cartes fiables et d'un ma-
jeune palmeraie non irriguée          gieux, spirituels et juridiques tériel textuel d'une grande ri-
appelée al-Hashashin. Mahomet         que par la vie pratique. Une c h e s s e et d ' u n e e x t r ê m e
donna une partie de cette terre       anecdote résume bien leur ap- diversité, ils essaient eux aussi
à Umar, et celui-ci acheta à des      proche de l'histoire. Abu Yusuf d'arriver au plus près du Maho-
juifs le terrain adjacent. C'était    (mort en 798), un juriste du dé- met historique. •
une merveilleuse propriété. »         but de l'époque abbasside*, se
Quiconque est familier avec la        passionnait autant pour l'exé-
biographie de Mahomet peut se         gèse coranique que pour les M I C H A E L L E C K E R
rendre compte de l'importance         grandes batailles de Mahomet de lérusalem,l'Université hébraïque chez
                                                                           Professeur à

de cette anecdote et constater        et des tribus d'avant l'Islam. Il Ashgate Publishing, deentre autres,Arabs
                                                                                         auteur,
                                                                                                  /ews and
qu'elle est absente tant des bio-     était moins bon - c'est du moins in Pre- and Early Islamic Arabia (1998) et de
graphies médiévales que des           ce qui nous en est dit - en ma- People, Tribes and Society (2005). around
                                                                                                     in Arabia

biographies modernes : et pour        tière juridique. Alors qu'il         the Time ofMuhammad


cause, puisqu'elle a été décou-       s'était absenté plusieurs jours Article traduit de l'anglais
verte dans un livre sur l'histoire    pour étudier les batailles de Ma- par Catherine Goliiau.

                                                        L e Point Hors-série n° 6      |   Les Maîtres-Penseurs    |   11
POINT DE VUE




              Faire connaître
              la Sîra
              Mahmoud Hussein : deux auteurs pour un pseudo. C'est sous ce nom qu'Adel Rifaat et Bahgat
              El Nadi publient, en 2005 et 2007, chez Grasset, Al-Sîra, le Prophète de l'islam raconté par ses
              Compagnons, première présentation synthétique en français de l'ensemble des Chroniques
              sur la vie de Mahomet rédigées du vme au xe siècle. Ils expliquent ici l'importance de ces
              textes pour la vie du Prophète et comment ils ont travaillé pour transmettre sans trahir.



                                                                                                      des premiers exégètes du Co-
                                                                                                      ran, notamment al-Dahhâk
                                                                                                      (mort en 727) et Muqâtil (mort
                                                                                                      en 772). Ce lien répondait à
                                                                                                      un besoin réel; il s'est vite
                                                                                                      avéré que la compréhension
                                                                                                      de n o m b r e u x versets du
                                                                                                      Coran nécessitait un retour
                                                                                                      aux conditions historiques
                                                                                                      dans lesquelles ils avaient été
                                                                                                      révélés.
                                                                                                      Copies sur papyrus
                                                                                                      Le premier ouvrage à voca-
                                                                                                      tion synthétique, Al-sîra al-
                                                                                                      nabawiyya (« Itinéraire ou
               MAHMOUD HUSSEIN                                                                        vie du Prophète »), a été com-
               Bahgat El Nadi et Adel Rifaat, auteurs notamment de Penser le Coran (Grasset, 2009).   posé par Muhammad Ibn
                                                                                                      Ishaq* (mort vers 767). Il fit
                                                                                                      l'objet de plusieurs copies sur
                       e Prophète ayant vécu                rent lieu à des efforts systé-            papyrus, sans doute cinq,
             L         dans une société de
                       tradition orale, ce que
                       l'on sait de lui a d'abord
                                                            matiques de collecte, de recen-
                                                            sion et de vérification que plus
                                                            d'un siècle et demi après la
                                                                                                      dont aucune ne subsiste. Mais
                                                                                                      une de ces copies parvint au
                                                                                                      Caire entre les mains d'Abu
              été rapporté de bouche à                      mort de Mahomet.                          Muhammad Ibn Hishâm*
              oreille. Certains des témoi-                  Des premières compilations                (mort en 840). Ce dernier la
              gnages ont été consignés par                  partielles, dont la plupart ont           recopia en l'expurgeant, et
              écrit par les rares Compa-                    été effectuées sous le règne              comme le secret de la fabrica-
              gnons qui savaient écrire, et                 des Omeyyades (660-750), on               tion du papier, jalousement
              ne firent l'objet de compila-                 ne possède que des fragments              gardé j u s q u ' a l o r s par la
              tions partielles qu'à partir de               cités par tel ou tel chroni-              Chine, était parvenu entre-
              la fin du vm siècle. L'ensemble
                             e                              queur. Leurs travaux ont été              temps jusqu'aux Arabes, c'est
              de ces témoignages ne donnè-                  menés parallèlement à ceux                cette version largement reco-

12   I   Les Maîtres-Penseurs       I    Hors-série n° 6 L e Point
POINT DE VUE


                                                LA
                                    TRADITION

piée qui traversa les siècles.
Quelques-uns des passages
supprimés furent cependant                « Sa démarche était
sauvés, du fait que certains              si énergique... »
des chroniqueurs postérieurs,
ayant eu accès au texte origi-
nal, les citèrent dans leurs              « O n d e m a n d a i t à Alî d e s d é t a i l s s u r l ' e x t é r i e u r d u
propres compilations.                     P r o p h è t e . Alî d i t : "Il é t a i t d é t a i l l é m o y e n n e . (...) S o n
La fresque des faits et gestes            t e i n t é t a i t d'un b l a n c r o s é ; ses y e u x é t a i e n t n o i r s , ses
du Prophète, inaugurée par                c h e v e u x b r i l l a n t s , é p a i s e t b e a u x . Sa b a r b e (...) b i e n
Ibn Ishaq, sera enrichie en-              f o u r n i e . (...) Sa d é m a r c h e é t a i t si é n e r g i q u e q u ' o n
suite par quatre grands chro-             a u r a i t d i t q u ' i l d é t a c h a i t s e s p i e d s d e la p i e r r e , e t
niqueurs, travaillant sous la             c e p e n d a n t e n m ê m e si l é g è r e q u ' i l s e m b l a i t q u ' i l
dynastie abbasside* (750-                 v o l t i g e â t de h a u t e n bas. (...) Il y a v a i t d a n s s o n v i s a g e
1258) : al-Wâqidî (747-823),              t a n t d e d o u c e u r q u ' u n e f o i s e n sa p r é s e n c e , o n n e
auteur de Kitâb al-Maghâzî                p o u v a i t p l u s le q u i t t e r . " » •
(« Le Livre des conquêtes ») ;
Muhammad Ibn Sa'd (784-845),                                           Tabarî, Histoire des prophètes et des rois.
qui rédigea le Kitâb al-Taba-
qât al-Kabl (« Le Livre des cer-
cles de Compagnons ») ; al-
Tabarî* (830-923) et son Kitâb     nombreux versets du Coran      époque qui n'est plus la leur.
al-Rusul wal-Mulûk (« Le Li-       lui ont été révélés, consti-   Ils doivent retrouver les repè-
vre des prophètes et des           tuant ainsi le plus riche des  res de la première commu-
rois »), et enfin al-Balâdhurî     matériaux qui nous relient     nauté des musulmans - eth-
(829- 901), l'auteur de Kitâb      au moment historique de la     niquement homogène,
Ansâb al-Ashrâf (« Le Livre        naissance de l'islam.          égalitariste, solidaire, héroï-
des nobles lignages »).                                           que, luttant pour sa survie -
D'autres travaux, plus tar-        La chaîne des « garants »      alors qu'ils vivent deux ou
difs, ajouteront des détails       Les questions que la Sîra* trois siècles plus tard, dans
jusque-là inédits - et d'autant    pose à l'historien sont toute- l'empire multiethnique des
plus contestés. Mais l'essen-      fois de trois ordres. Le pre- Abbassides (cf. p. 76), dont
tiel de ce qui nous est par-       mier concerne l'objectivité l'extension, la puissance et la
venu sur la vie du Prophète        des chroniqueurs. Travaillant prospérité induisent une tout
tient dans ces cinq ouvrages       chacun de son                                autre hiérarchie
clés, qui, fourmillant de scè-     côté, ils se sont Retrouver deux             de valeurs intel-
nes vivantes, de dialogues et      efforcés de re- siècles plus tard            lectuelles et ma-
de notations descriptives,         prendre à rebours                            térielles. Leur
rendent les couleurs et les        la « chaîne des les repères de               probité intellec-
parfums d'une époque. Ils          garants » - les la première Umma. tuelle n'est pas
esquissent le portrait du Pro-     transmetteurs                                en doute : ce sont
phète, en même temps que           des témoignages d'une géné- des lettrés, travaillant libre-
celui d'un grand nombre de         ration à l'autre - pour remon- ment sous le regard d'autres
ses Compagnons, de ses épou-       ter, pas à pas, jusqu'aux lettrés. Ils sont souvent enga-
ses, de ses adversaires. Ils       contemporains du Prophète. gés, en outre, comme al-
suggèrent enfin les circons-       Mais les témoignages qu'ils Tabarî, dans un effort d'exé-
tances dans lesquelles de          recueillent émanent d'une gèse et d'interprétation • • •

                                                             L e Point Hors-série n° 6                 I    Les Maîtres-Penseurs 12
POINT DE VUE




             UN PORTRAIT PROBANT DE MAHOMET                                                        • • • coraniques qui les place
                                                                                                   dans un rapport exigeant à la
             Au travers même des approxi-           Les dix années médinoises                      vérité, sur les plans religieux
             mations, des paradoxes et des          (622-632) sont celles d'une                    et moral. Mais cela ne les pré-
             contradictions qui parcourent          véritable métamorphose. Il                     munit ni contre l'erreur ni
             les Chroniques, la prodigieuse
             richesse de leurs notations
                                                    est devenu le chef d'une com-                  contre une part inévitable de
                                                    munauté assiégée. Comme
             finit par laisser é m e r g e r ,      pour se hisser à la hauteur de
                                                                                                   partialité.
             comme dans un tableau im-              sa mission, il va découvrir en                 Le deuxième ordre de ques-
             pressionniste, un portrait             lui une combinaison de ta-                     tions tient au crédit que l'on
             probant de Mahomet.                    lents jusque-là insoupçonnés.                  peut accorder à chacun des
                                                    L'homme d'action vient dou-                    « garants » successifs. D'une
             Durant ses quarante premiè-            bler l'homme de vision.                        génération à l'autre, leurs
             res années (570-610), c'est un                                                        souvenirs se sont estompés et
             contemplatif, plutôt détaché
             des contingences de la vie,
                                                    Sage et hardi, il maîtrise le
                                                    temps de la guerre comme
                                                                                                   des textes se sont perdus.
             mais proche des gens. Un               celui de la négociation. Par son
                                                                                                   En outre, une partie des té-
             homme en paix avec lui-mê-             courage, il fascine ses Compa-                 moignages existants a été
             me et en phase avec la so-             gnons autant qu'il désarçonne                  sciemment falsifiée : sous les
             ciété dont il est issu.                ses adversaires. Sa longue                     Omeyyades, plusieurs califes
                                                    patience lui permet de tisser                  ont commandé de faux té-
             À partir de 610, cet équilibre         le réseau d'alliances qui pré-
                                                    pare sa victoire finale.
                                                                                                   moignages, destinés à accré-
             est brisé. Il vit la Révélation
             comme un message de l'au-
                                                                                                   diter l'idée d'une proximité
             d e l à , qui s ' i m p o s e à sa     Mais surtout, la 5/ra* nous
                                                                                                   fictive de leurs ancêtres avec
             c o n s c i e n c e avec la force      montre un Mahomet d'une                        le Prophète.
             d'une évidence irrépressible.          humanité proprement mo-
             Or, ce message le place en             derne. Cultureliement lié aux                  Abus en tous sens
             contradiction avec les tradi-          hommes de son temps, il est                   À titre d'exemple, cet épisode,
             tions et les hiérarchies de
             La Mecque, sa ville natale.
                                                    psychologiquement plus pro-
                                                    che de nous, il se met à la
                                                                                                  où l'ancêtre de la dynastie,
             Après un moment de grand               place des autres, saisit leurs
                                                                                                  Abu Sufyân, qui fut longtemps
             trouble, il s'en remet à la            motivations intimes, les aide                                 un ennemi du
             volonté de Dieu et prêche              à devenir des êtres indivi-         ..      .. ,              Prophète, est
             ouvertement ce message. Il             duellement responsables. Il
                                                                                        Une partie des             ,, ..
             est à nouveau en paix avec             fait preuve d'un respect na-
                                                                                             r                    décrit sous un
             lui-même, mais en guerre                                                   témoignages a été             r favorable.
                                                                                        sciemment falsifiée « 11 avance sur
                                                                                                                   j 0 U
                                                    turel de la dignité des per-
             avec les siens.                        sonnes, quel que soit leur
                                                    statut social.                      SOUS les Omeyyades, une route avec
                                                                                        ,, .         , ,
                                                                                        a la demande de           son épouse et
             Durant les douze années mec-
             quoises de la Prophétie (610-          En constant dialogue avec
                                                                                                                 l. e u r f, .i ,l s ,
             622), il fait le dur apprentis-        l'au-delà, il n'en aime pas         plusieurs califes.        Mu'âwiyajuché
             sage de la marginalité. Le             moins profondément l'exis-                                    sur le dos d'un
             désarroi le gagne parfois.             tence ici-bas. Dès qu'il le peut,             âne. Vient à passer le Pro-
             Mais, peu à peu, il acquiert           il prend le temps d'honorer                   phète, qui va à pied. Abu
             une d é t e r m i n a t i o n qui le   ses épouses, de se reposer ou                 Sufyân fait descendre son fils
             porte à affronter les événe-
             ments, après les avoir subis.
                                                    d'apprécier un bon repas. Et
                                                    il exige de ses Compagnons
                                                                                                  et invite Mahomet à enfour-
             Transgression décisive : il            qu'ils se détournent de tout
                                                                                                  cher l'âne à sa place... » Quel-
             quitte te périmètre de La Mec-         excès de zèle religieux, ou                   que quarante ans plus tard, le
             que, pour chercher des alliés          d'ascétisme intempestif.                      même Mu'âwiya sera le cin-
             à l'extérieur.                                                    M. H.              quième calife, fondateur de la
                                                                                                  dynastie omeyyade.

14   I   Les Maîtres-Penseurs         I   Hors-série n° 6 L e Point
POINT DE VUE




Travaillant à l'époque des Ab- souvienne d'un événement,          dans une langue arabe deve-
bassides, ennemis jurés de la auquel il associe un geste ou       nue partiellement archaïque,
dynastie précédente, les chro- un propos du Prophète, que         les différentes Chroniques se
niqueurs n'ont pas intérêt à d'autres rattachent à un autre       présentent sous la forme de
couvrir de tels mensonges, moment. D'où l'intérêt de              textes trop foisonnants, hété-
mais il leur arrive de commet- pouvoir comparer les travaux       rogènes et mal reliés entre
tre des abus en sens contraire. de cinq chroniqueurs, la          eux pour ne pas décourager
Ainsi, l'ancêtre éponyme des somme de ces recherches don-         le grand public.
Abbassides, al-Abbâs, oncle nant à l'historien de précieux        Notre objectif a donc été de
paternel du Prophète, ne s'est points d'appui.                    présenter, sous une forme di-
rallié à ce dernier qu'après la Certes, on ne saura jamais, de    rectement accessible au lec-
bataille de Badr en 624. Tout source certaine, si telle phrase    teur non spécialisé, une syn-
porte à croire                               a bien été pronon-   thèse qui retient l'essentiel
qu'il a combattu La Sîra constitue,          cée, sous telle      des faits et gestes rapportés
les musulmans et après le Coran et           forme et à tel mo-   dans les cinq grandes Chroni-
a même été fait les hadith, l'un des ment. Mais une               ques. Nous avons d'abord pro-
prisonnier. Or,                              masse critique       cédé à un découpage des évé-
certains « témoi- textes fondateurs          d'informations       nements touchant à la vie du
gnages » le mon- de l'imaginaire             concordantes est     Prophète, tels qu'ils ont été
trent déjà aux musulman.                     un signal impor-     rapportés par les différents
côtés du Prophète                            tant. Lorsque        chroniqueurs. Dans la mesure
lors des Serments d'allégeance deux, ou trois, chroniqueurs,      où ceux-ci présentent chacun
d'Aqaba en 620, à la fin de la travaillant chacun de son côté,    une version propre d'un
période mecquoise...              parviennent à localiser un      même événement, nous avons
Il est vrai que les méthodes de même événement, il devient        retenu soit la variante la plus
sélection des témoignages plausible. À partir de là, des          riche en détails, soit composé
sont rudimentaires, étant es- hypothèses s'esquissent, qui        nous-mêmes un texte regrou-
sentiellement fondées sur la peuvent être progressivement         pant des détails que nous
notoriété et l'honorabilité re- affinées.                         avons tirés de plusieurs va-
connues des transmetteurs                                         riantes. Ensuite, nous avons
successifs. Mais il est à noter, Un véritable condensé            procédé à un montage, inté-
au crédit des chroniqueurs, Mais là s'arrête notre compli-        grant toutes les séquences,
qu'ils ont retenu des faits cité avec le souci des histo-         dans un ordre aussi près que
qu'ils auraient préféré igno- riens. Notre but est différent :    possible de la chronologie,
rer, comme ce témoignage de il est de mettre à la portée du       sans a priori doctrinal, sans
l'épouse du Prophète, A'isha grand public la Sira « telle         ajouter quoi que ce soit de
(cf. p. 39), selon lequel ce der- qu'en elle-même ». Car elle     notre cru et en retenant tous
nier aurait été « ensorcelé » constitue - après le Coran et       les faits d'importance rappor-
pendant une année durant les hadith - l'un des textes             tés par plus d'un seul des cinq
laquelle il n'a pu approcher fondateurs de l'imaginaire           grands chroniqueurs.
ses épouses.                      musulman. Sollicitée depuis     Il s'agit donc, ici, non d'une
Enfin, les témoignages rete- douze siècles par tous ceux          construction personnelle ou
nus dans la Sira sur un même qui traitent du fait religieux,      partisane, mais bien d'un
événement ne se recoupent elle informe la conscience              condensé de la Sira, permet-
pas toujours et sont parfois d'un milliard et demi de             tant au lecteur d'aujourd'hui
même contradictoires. Il ar- croyants, répartis dans le           une exploration de la fresque
rive que tel Compagnon se monde entier.Or, rédigées               qu'elle nous offre. •

                                                    L e Point Hors-série n° 6   I   Les Maîtres-Penseurs 12
                                                                                                              12
LA VIE
 DE MAHOMET
De sa naissance à La Mecque à sa mort à Médine, le fondateur de l'islam ne fut pas seulement un
chef spirituel, mais aussi un chef d'État et un chef de guerre. Il dut s'imposer aux siens, à d'autres
prophètes et d'autres tribus... Et, à sa mort, s'installa une discorde qui dure encore aujourd'hui.




Naissance d'un prophète
De source sûre, on ne connaît que la date de sa mort ainsi que quelques
éléments de son enfance et de son adolescence. Pour le reste, il faut se fier
à la Tradition... et à l'imagination des différents auteurs.


          'est à La Mecque, une         l'encens de l'Arabie du Sud et les aurait été édifiée par Adam avant
C         ville commerciale et fi-
          nancière du Hedjaz,
          point d'eau planté au
                                        marchandises précieuses venues qu'il ne soit chassé du Paradis.
                                        de l'Inde. La ville n'est pas très Emportée par le Déluge, elle
                                        éloignée du port de Djedda en aurait été reconstruite par Abra-
milieu de rocailles dénudées,           mer Rouge, et les Mec-                        ham* et Isma'il, le fils
qu'au vi siècle naît Mahomet. La
         e
                                        quois tiennent des                            que le p a t r i a r c h e
Tradition fixe sa naissance à 570,      points de passage stra- Vers 570              aurait eu de sa ser-
l'année où La Mecque doit re-           tégiques comme l'oa- Naissance présumée vante Agar. L'ange
pousser l'attaque du vice-roi yé-       sis d'al-Tâ'if, par où de Mahomet.            Gabriel (c/ p. 19) lui-
ménite Abraha. À cette époque,          doivent obligatoire-                          même aurait apporté
alors que les Byzantins et les          ment passer les caravanes.         la Pierre noire, probablement
Perses essaient d'étendre leur          Depuis le v siècle, la ville est une météorite, particulièrement
                                                       e


domination sur la péninsule ara-        d o m i n é e par la t r i b u des vénérée par les populations
bique, les Mecquois contrôlent          Quraysh, dont l'un des hommes, locales.
la plus grande partie du com-           Qusayy a eu l'habilité de réunir Les Quraysh qui se divisaient en
merce entre le Yémen, au sud, et        en un seul sanctuaire les princi- de nombreux clans s'instituèrent
la Syrie, au nord. Ils sont les maî-    pales divinités des Arabes, no- gardiens du nouveau sanctuaire,
tres d'une route de première im-        tamment le dieu lune Hobal. décrété inviolable ; attirant de
portance puisque c'est par elle         D'après la Tradition, une pre- nombreux pèlerins, celui-ci leur
que transitent vers l'Occident          mière Kaaba* (Maison de Dieu) assurait une aisance certaine.


   1615|Les Maîtres-Penseurs'| Hors-série n° G L e P o i n t
L A VIE



                                                                                  Voilà pour les faits, l'imagination
                                                                                  des auteurs a fait le reste. La Tra-
                                                                                  dition est riche en récits mer-
                                                                                  veilleux qui tendent à démontrer
                                                                                  la prédestination du Prophète.
                                                                                  Ibn Ishaq* raconte ainsi com-
                                                                                  ment la mère de Mahomet le
                                                                                  confia à une famille de Bédouins
                                                                                  pour qu'il soit élevé au bon air du
                                                                                  désert. Mais la nourrice décida
                                                                                  de le rendre à sa mère le jour où,
                                                                                  selon elle, « deux hommes en ha-
                                                                                  bits blancs le prirent, le jetèrent
                                                                                  à terre, lui ouvrirent le corps et
                                                                                  y fouillèrent des mains ». Des dé-
                                                                                  mons? Non pas. La mère de Ma-
                                                                                  homet rassure alors la bonne
                                                                                  nourrice : « Quand j'étais en-
                                                                                  ceinte de lui, une lumière se dé-
                                                                                  gagea de moi et illumina pour
                                                                                  moi les palais de Busra dans le
                                                                                  pays de Syrie. Je n'aurais jamais
                                                                                  imaginé une grossesse aussi lé-
                                                                                  gère et facile que celle-là ! À sa
                                                                                  naissance, il mit les mains au sol
                                                                                  et tourna la tête vers le ciel. »
                                                                                  Ibn Ishaq raconte encore que,
La naissance du Prophète. Miniature de Lutfi Abdullah, xvie siècle.               lors d'un voyage en Syrie avec
Musée Topkapi, Istanbul (Turquie).                                                son oncle, le jeune Mahomet ren-
D'après la Sîra*, Mahomet était l'âge de 7 ans : il est recueilli alors contra un moine chrétien, Ba-
le fils d'Abdallah de la lignée des par son grand-père qui meurt hîrâ, qui le reconnut comme un
Hâshim ibn Abd Manâf. Son deux ans plus tard. Son oncle Abu être exceptionnel.
grand-père avait été le gardien de Talib, le père d'Ali (cf. p. 40), futur Toujours d'après la Tradition,
la source Zemzem, l'une des plus gendre et disciple de Mahomet, le vers l'âge de 25 ans, le jeune
importantes de l'oasis, et avait prend alors en charge.                           homme est repéré pour ses • • •
pour mission de distribuer l'eau
aux pèlerins, l'une des charges les SA VRAIE DATE DE NAISSANCE?
plus prestigieuses de La Mecque.
                                       « Cependant toutes les traditions le lundi », assure le traditionniste
Mais Mahomet est orphelin et il sont unanimes sur les points sui- Tabarî* dans son Histoire des pro-
semble que le clan se soit considé- vants. Le Prophète vint au monde phètes et des rois.
rablement appauvri quand son un lundi ; que le jour où, après la De fait, on ne connaît de source
oncle Abu Talib en prit la direc- r e c o n s t r u c t i o n de la K a a b a * , sûre que la date de sa m o r t , le
tion. De son enfance et adoles- lorsqu'il étajt âgé de 16 à 17 ans, 13 râbi 1 er de l'an 2 de l'hégire*,
cence, quelques éléments sem- il fut chargé de poser de sa main soit le 8 juin 632. Comme les sour-
blent certains : son père serait la Pierre noire était également un ces ans à Médine et treizequ'il vécut
                                       mur du temple,
                                                             à sa place, sur le
                                                                                   dix
                                                                                       anciennes assurent
                                                                                                            à La Mec-
mort à Yathrib (qui deviendra Mé- lundi ; qu'il s'enfuit de La Mecque que après le début de la Révélation,
dine) avant sa naissance, laissant vers Médine un lundi; qu'il arriva et qu'il avait alors.40 ans, il serait
sa famille dans une situation pré- à Médine le lundi et qu'il mourut plutôt né en 569.
caire. Mahomet perd sa mère à

                                                           L e Point Hors-série n° 6 |      Les Maîtres-Penseurs |       17
« Prêche ! »
                                                                           CORAN
« P r ê c h e a u n o m de t o n S e i g n e u r q u i créa !
q u i créa l ' H o m m e d ' u n e a d h é r e n c e .
P r ê c h e ! T o n S e i g n e u r é t a n t le T r è s G é n é r e u x                               pendant un certain temps un trou
q u i e n s e i g n a par le C a l a m e                                                               dans la révélation du Messager
et e n s e i g n a à l ' H o m m e ce qu'il i g n o r a i t . » •                                      de Dieu (Dieu le bénisse et le pro-
                                                                            Sourate XCVI, 5            tège) et il était très triste. Il par-
P o u r la T r a d i t i o n , c e s c i n q p r e m i e r s v e r s d e la s o u r a t e X C V I      tait de bonne heure pour les som-
[Al-Alaq, « L ' A d h é r e n c e ») c o n s t i t u e n t la p r e m i è r e r é v é l a t i o n      mets de la montagne afin de se
r e ç u e par M a h o m e t . S'y e x p r i m e la g r a n d e u r de Dieu q u i a créé                précipiter en bas. Mais à chaque
l ' h o m m e et lui a t o u t e n s e i g n é .                                                       fois, Gabriel lui apparaissait et
                                                                                                       disait : "Tu es le prophète de
                                                                                                       Dieu." Alors son inquiétude ces-
         qualités morales par Kha- je tombai à genoux ; puis je m'éloi- sait et son moi revenait en lui. »
dîdja (cf. p 44), une femme deux gnai, les épaules tremblantes. Le Prophète attendit trois ans
fois veuve et propriétaire de cara- Puis pénétrant dans la                                                          avant de faire connaî-
vanes. Elle en fait son intendant chambre de Khadîdja, je                                                           tre ce qu'il avait ap-
puis son époux, lui confiant alors lui dis : Cache-moi, ca- 40 ans                                                  pris : que le Juge-
la gestion de ses intérêts comme che-moi, jusqu'à ce que L'âge de Mahomet ment dernier était
le veut la coutume. Avait-elle la peur me quitte. »                                         lors de la              proche, qu'il n'y avait
40 ans, comme l'affirme la Tradi- Les premières révéla- Révélation,                                                 qu'un seul Dieu et
tion? Elle lui donna sept enfants, tions, nombreuses au                                                             que celui-ci appelait
trois garçons qui moururent en départ, s'arrêtèrent un certain ceux qui croyaient en lui à la
bas âge et quatre filles.                             temps, et Mahomet connut une générosité et à aider les faibles.
                                                      période d'abattement. « Il y eut Ses fidèles furent d'abord ses
Le choc
Comment s'est passée la Révéla-
tion? Mahomet y était-il préparé?
Rien dans les textes ne permet de
reconstituer les longues années
où, devenu un homme respecté
grâce à un riche mariage, Maho-
met se concentre sur sa vie fami-
liale et ses affaires. C'est à 40 ans,
d'après la Tradition, que le tran-
quille père de famille commence
à avoir des visions. « Cela se fit en
lui comme l'aurore », assure le
traditionniste Az-Zuhrî*, alias
Ibn Shihâb. « Il avait besoin de
solitude et se rendait dans une
grotte à Hirâ pour se consacrer à
des exercices de dévotion plu-
sieurs nuits avant de retourner
vers les siens [...]. À la fin, la Vé-
rité arriva inopinément et dit : Ô
Mahomet, tu es le Messager de
Dieu. »
Toujours d'après Az-Zuhrî, l'élu
ne vécut pas bien l'événement et
chercha refuge auprès de son
épouse. « J'avais été debout, mais                                                                                          Infographie : Hervé Bouilly




     1815|Les Maîtres-Penseurs'| Hors-série n° G L e Point
proches, les membres de son
clan, et des hommes de plus ou
moins bonne extraction, sou-
vent des déshérités.
Du prophète au politique
« J'ai lu dans toutes les tradi-
tions qu'Abu Bakr (cf. p. 38),
après sa conversion, tint sa foi
secrète ; mais chaque fois qu'il se
trouvait dans la mosquée à cau-
ser avec quelqu'un, il lui en par-
lait et l'engageait à l'islam ; il P r e m i è r e Révélation de l'ange                LA
conduisait auprès du Prophète Abdullah,Miniature deMusée Topkapi,
                                       Gabriel.
                                                   xvi siècle.
                                                               Lutfi
                                                                                TRADITION
ceux qui acceptaient; et ils pro- Istanbul (Turquie).
                                                  e


nonçaient la profession de foi »,                                                  Gabriel, l'envoyé
raconte Tabarî*. Mais dans une Tous sont marginalisés. En 615,
ville où l'argent-roi provient du une partie d'entre eux choisit de                de Dieu
culte rendu aux idoles, et où les s'expatrier en Éthiopie, avec la
intrigues pour le pouvoir sont bénédiction du Prophète. « Allez                    « A l o r s , il d i t : " R é c i t e . " Je dis
incessantes, son discours passe en Abyssinie, dont les habitants                   " Q u e dois-je r é c i t e r ? " M a h o -
mal. Au sein de la classe diri- sont chrétiens, possesseurs d'un                   m e t d i t : " A l o r s il m e p r i t e t
geante, on le prend d'abord pour livre sacré, et plus rapprochés des               m e s e r r a v i o l e m m e n t t r o i s fois
un fou, puis pour un dangereux musulmans que les idolâtres »                       jusqu'à          ce q u e je             tombe
fauteur de troubles.                                   (Tabarî). Lui reste à       é p u i s é . " A l o r s il d i t : " R é c i t e
R a p i d e m e n t , les La classe dirigeante La Mecque sous la                   a u n o m d e t o n S e i g n e u r le
railleries se trans-                                   protection d'Abu Ta-        c r é a t e u r . " Et je r é c i t a i s .   »•
forment en menaces le prend d'abord pour lib avec Abu Bakr,
c o n t r e t o u s les un fou, puis pour un Alî et Umar {cf. p. 45),                     Az-Zuhrî, extrait de Mahomet
convertis. « On disait fauteur de troubles. les Compagnons des                                de W. M o n t g o m e r y Watt,
dans les réunions de                                   premiers jours.                                    © Payot, 1959.
la mosquée, que Mahomet avait Mais en 619, son oncle meurt,
fondé une nouvelle religion, rap- Khadîdja également. Le Prophète                 Jibril, le « t r a n s m e t t e u r »
porte encore Tabarî. Abu Jahl fils va alors prendre langue avec des               Familier et sublime, Gabriel
de Hishàm parla ainsi : "Si j'ap- tribus étrangères, notamment                    (Jibril) occupe une place capi-
prends que quelqu'un a cru en lui, les gens de l'oasis de Yathrib, qui            tale en islam. Celui qui dans la
j'écraserai sa tête comme celle sont à la recherche d'un chef                     Tradition chrétienne annonce
d'un serpent, et si je vois Maho- pour régler leurs querelles inter-              à Zacharie et à la Vierge Marie
met venir à la Mosquée et adorer nes. En 622, les musulmans quit-                 la naissance de deux fils hors du
un autre objet que Hobal, je lui tent La Mecque. Changement de                    commun, saint Jean-Baptiste et
lancerai à la tête une pierre et cap dont le Coran est témoin                     Jésus, est en islam le transmet-
ferai jaillir son cerveau." »          dans sa structure même : les sou-          teur du Coran. Les passages
Dans cette société tribale où les rates courtes et inspirées des                  mecquois du texte ne font pour-
intérêts sont intimement liés, premières années vont se faire                     tant pas mention de son nom.
l'hostilité devient insupportable. plus longues, plus pratiques. Ma-              Ils n'évoquent que des « anges »,
Son oncle qui avait autorité sur homet était un prophète qui re-                  au pluriel. Son nom apparaît
tous les Quraysh n'est plus re- cevait les coups, il va devenir un                seulement dans des versets tar-
connu que par les seuls hommes politique qui portera le fer. •                    difs, d'origine médinoise.
de son clan, les Banî Hashim.                           CATHERINE GOLLIAU




                                                        L e P o i n t Hors-série 11° 6     |     Les Maîtres-Penseurs                 |   19
L A VIE




        Le Voyage nocturne :
        la rencontre avec Allah
        Moment capital de la biographie du Prophète, cette ascension permet au réprouvé de
        La Mecque de voir Dieu et de s'entretenir seul à seul avec Lui.



     « ^ Ê ^ loire à celui qui a trans-             des Degrés » vers lequel montent Ishaq*, il est réveillé une nuit
                porté Son serviteur, la             les anges et les esprits. Pour la par l'ange Gabriel qui le fait
                nuit, de la Mosquée sa-             Tradition, il ne fait aucun doute monter sur Buraq (« rapide
                crée à la Mosquée très              que dans cette sourate, le « Ser- comme l'éclair » en arabe), une
       éloignée autour de laquelle Nous             viteur » est Mahomet, la « Mos- monture « entre la mule et l'âne,
       avons mis Notre bénédiction,                 quée sacrée », le complexe de la ayant une tête de femme ». Ac-
       afin de lui faire voir certains de           Kaaba* et la « Mos-                        compagné de l'ange, il
       Nos signes... » Ce verset, le pre-           quée très éloignée », la                   s'envole alors vers Jé-
       mier de la sourate XVII (Le                  ville de Jérusalem (cf.                    rusalem, non sans di-
       Voyage nocturne), évoque le                  ci-dessous).                               verses escales, au mont
       voyage de Mahomet de La Mec-                 Ce « Voyage nocturne » 620                 Sinaï p o u r s a l u e r
       que à Jérusalem (Isrâ), puis son             se serait déroulé le 27 Le 27 rajab,       Moïse, à Bethléem
       ascension dans les airs (Mi'râj)             du mois de rajab, en Mahomet monte pour voir Jésus et à
       où il va voir Dieu. Le Coran évo-            620, un an après la dis- au Ciel.          Hébron, où Mahomet
       que souvent la possibilité d'une             parition de sa femme,                      voit Abraham*.
       ascension, notamment par le                  Khadîdja (cf. p. 44) et                    À leur arrivée, Gabriel
       biais d'une échelle, ce qui n'est            d'Abu Talib, son oncle.                    rassemble tous les pro-
       pas sans rappeler celle de Jacob             Privé de ses meilleurs soutiens, phètes cités par la Bible, réunion
       dans la Genèse (XXVIII, 12). Dans            le Prophète est en butte à une qui consacre Mahomet comme
       les versets 3 et 4 de la sourate             opposition de plus en plus vio- l'ultime envoyé de Dieu. Ensuite,
       LXX, Allah est appelé « le Maître            lente des Quraysh. D'après Ibn « grâce à une échelle de lu-

            JÉRUSALEM, LA « MOSQUÉE TRÈS ÉLOIGNÉE »
            Pour la tradition musulmane, l'ancienne capitale du          comeyyade tient à y édifier la somptueuse Coupole du
            royaume de judée est, avec La Mecque et Médine, l'un         rrocher, c'est autant par calcul politique - affirmer son
            des lieux de l'action divine sur terre : de la Création au   fpouvoir contre La Mecque - que par conviction religieu-
            jugement dernier, tout se passe ou devra se passer à         s : avant de monter au ciel, Mahomet a laissé l'em-
                                                                          se
            Jérusalem, la cité des prophètes. Ville juive par excel-     fpreinte de son pied sur un rocher, là même où Abraham
            lence puisque c'est là que fut bâti le Temple deux fois      £aurait accepté de sacrifier son fils. Jésus lui aussi aurait
            brûlé, et dont les juifs seront chassés par les romains au    l
                                                                          laissé des traces : dès le ive siècle, on montrait aux pèle-
            ne siècle, ville sainte des chrétiens puisqu'elle fut le      r
                                                                          rins crédules la marque de son pas.
            théâtre de la passion du Christ, Jérusalem n'est plus à      PMais, pour l'islam, Jérusalem est plus que le passé, elle
            l'époque de M a h o m e t qu'une p e t i t e ville sous      £ l'avenir : d'après plusieurs hadith, c'est dans cette cité
                                                                          est
            domination byzantine, mais son aura spirituelle de-          cdevenue l'unique centre de spiritualité du monde, qu'à
            meure exceptionnelle.                                         I fin des temps, l'humanité devenue musulmane et en-
                                                                          la
            Dès 637, elle passe sous contrôle arabe, et si la dynastie   f
                                                                         fin pacifiée attendra le Jugement dernier.              C.G.




20      |     Les Maîtres-Penseurs     |   Hors-série n° 6 L e Point
LA VIE




                                                                                              LE
                                                                                           CORAN

                                                                                     « Une
                                                                                     Révélation »
                                                                                     « Par l'étoile q u a n d elle
                                                                                     s ' a b î m e !,
                                                                                     v o t r e c o n t r i b u l e n'est pas
                                                                                     é g a r é ! Il n'erre p o i n t .
                                                                                     Il ne parle pas par sa p r o p r e
                                                                                     impulsion.
                                                                                     C ' e s t s e u l e m e n t là u n e
                                                                                     R é v é l a t i o n q u i lui a é t é
                                                                                     transmise. » •

                                                                                                       Sourate LUI, 1/4
                                                                                                            « L'Étoile »



                                                                                  tant qu'Allah impose alors aux
                                                                                  fidèles musulmans cinquante
                                                                                  prières par jour, nombre que, lors
                                                                                  du voyage de retour de Mahomet,
                                                                                  Moïse lui conseille de négocier à
                                                                                  la baisse... Après plusieurs allers-
                                                                                  retours, le Prophète obtient fina-
                                                                                  lement que les fidèles n'accomplis-
                                                                                  sent que cinq prières par jour.
                                                                                   Rêve ou réalité ?
                                                                                  En combien de temps se fit ce pé-
                                                                                  riple? En un clin d'œil, car pour
                                                                                  la Tradition, toujours, Mahomet
                                                                                  est capable, lors de son retour à
                                                                                  La Mecque, de rattraper au vol
L'ascension de M a h o m e t . Reproduction d'un manuscrit, c h r o m o ,         avant qu'elle ne tombe à terre une
début du xx e siècle.                                                             cruche renversée lors de son dé-
                                                                                  part. .. A-t-il rêvé? A-t-il vraiment
mière », affirment certaines               Enfin, arrivé à l'« horizon supé-      voyagé? Selon l'opinion musul-
sources, Mahomet est élevé de              rieur » et happé par une lumière       mane la plus répandue, Mahomet
ciel en ciel, sept au total. Il y ren-     mystérieuse, il s'approche du          monte au ciel physiquement et à
contre des personnages de la               trône divin et peut contempler         l'état de veille, ce que confirme un
Bible et du Nouveau Testament,             Allah lui-même, qui s'adresse à        hadith* rapporté par Tabarî* :
- Adam, Joseph, Enoch Jean                 lui. Aucune créature, même Ga-         « Alors que j'étais près de la Kaaba
(Yaha), Jésus, etc. -, visite le           briel, n'a accès au secret de cet      dans un état intermédiaire entre
paradis et l'enfer.                        entretien. La Tradition dit pour-      la veille et le sommeil... » • • •

                                                               L e Point Hors-série n° 6   |    Les Maîtres-Penseurs           |   21
« Mahomet, reçois                                                             UN
                                                                              AUTRE
cette histoire du Coran »                                                     REGARD

« Q u a n d Gabriel et R i d o h a n                r e n t . Alors Dieu priva m e s y e u x          • • • Cette hypothèse confirme-
[l'ange gardien du paradis                          d e la v u e e t , à la p l a c e , la            rait la mission divine de Mahomet
m u s u l m a n ] m ' e u r e n t laissé            d o n n a à m o n c œ u r , si bien q u e         et l'utilisation de Buraq. En effet,
seul, m o i M a h o m e t , m e s s a g e r         je le vis a v e c m o n c œ u r e t n o n         pourquoi une monture, si seul
de D i e u , c o m m e v o u s l'avez               pas a v e c m e s y e u x . Puis il m e           l'esprit se déplace?
e n t e n d u , je r e v i n s par la r o u t e     dit e n c o r e : " M a h o m e t , a p p r o -
q u e j'avais s u i v i e e n v e n a n t .         che-toi d a v a n t a g e de moi."                   Les lazzis   des Mecquois
Et j'allai t a n t q u e j'arrivai a u x            l'approchai jusqu'à ce que nous                 Comme le souligne Mohammad
t e n t u r e s q u i é t a i e n t p r è s de      ne fussions plus qu'à d e u x                   Ali Amir-Moezzi dans son Diction-
D i e u . Q u a n d j'y fus, les t e n t u -        p o r t é e s d ' a r b a l è t e . Et lui aus- naire du Coran (Robert Laffont),
res c o m m e n c è r e n t à se s o u l e -        sitôt posa sa m a i n sur m a t ê t e ,         des philosophes et ésotéristes mu-
ver. [...] En allant ainsi à t r a v e r s          si bien q u e je s e n t i s d a n s m o n      sulmans optèrent cependant pour
ces t e n t u r e s , j ' a v a n ç a i s t a n t   c œ u r le f r o i d de sa m a i n . Aus-       un voyage uniquement spirituel.
q u ' e n t r e Dieu et m o i il n'y e u t          s i t ô t il m e d o n n a la c o n n a i s -   Les penseurs soufis*, quant à eux,
plus q u e d e u x t e n t u r e s , d o n t        s a n c e d e t o u t e c h o s e , si bien     estimèrent que cette expérience
l'une é t a i t de t é n è b r e s et               q u e je c o n n u s t o u t e s les choses     fut autant physique que spiri-
l'autre de la l u m i è r e de sa puis-             qui f u r e n t jusqu'à m a i n t e n a n t     tuelle, mais que les saints musul-
s a n c e . P e n d a n t q u e je r e g a r -      e t q u i s e r o n t à l ' a v e n i r . [...] mans qui sont les héritiers de
dais cela, v o i c i q u e j ' e n t e n d i s      Dieu m e dit alors : " M a h o m e t ,          Mahomet ne la connaissent que
d e r r i è r e ces t e n t u r e s u n e v o i x   t u v i e n s d ' a t t e i n d r e la p l u s  par la pensée (cf. p. 95).
qui p r o n o n ç a i t les p a r o l e s d u       p u r e v é r i t é . " Il m e dit a l o r s :  Ce qui est sûr, c'est qu'à son re-
C o r a n qui c o m m e n c e n t ainsi :           "Que v e u t dire haldaraiet?"                  tour, Mahomet tient à raconter
[...] "Le m e s s a g e r a c r u t o u t           Et j e r é p o n d i s :                                         son aventure, ce
ce q u i a é t é dit d a n s l'histoire             "Haldaraiet veut                                                 qui lui vaut les
d u d é b u t jusqu'à la fin." Q u a n d            d i r e s a l u e r les                                          lazzis des Mec-
t o u t e la p r i è r e , q u i e s t t r è s      g e n s , leur v o u l o i r                                     quois, qui le pren-
l o n g u e , e u t é t é d i t e , le Sei-         d u b i e n et p a r t a -
                                                                                         Seul Abu Bakr croit         nent pour un fou.
g n e u r m e dit : " M a h o m e t ,               g e r de b o n c œ u r               Mahomet, ce qui             Il f a u d r a toute
reçois c e t t e h i s t o i r e d u C o r a n ,    son repas avec                       lui vaut le surnom          l'influence d'Abu
q u e je te d o n n e et t ' a c c o r d e .        e u x et faire des
                                                                                    du « Très Véridique ».           Bakr (cf. p. 38), le
Elle fait p a r t i e de m e s t r é s o r s        p r i è r e s au                                                 seul d'abord à le
d u Paradis, qui s u r p a s s e n t t o u s        m o m e n t o ù les                                              croire, ce qui lui
les a u t r e s t r é s o r s de la terre."         autres peuples                                                   vaut de la part de
A p r è s ces p a r o l e s , je r e ç u s le       reposent en dor-                                                 Mahomet le sur-
livre de sa m a i n , et je lui rendis              m a n t . " A l o r s le S e i g n e u r m e    nom de Siddîq (« le Très Véridi-
grâces pour le d o n qu'il m'avait                  d i t : "Ah ! M a h o m e t , je v o i s        que »), et surtout une révélation
f a i t . À ce m o m e n t - l à , e n t r e lui    m a i n t e n a n t q u e t u es r e m p l i    du Coran pour dissiper les der-
et m o i , il n'y a v a i t ni a n g e , ni         de m a g r â c e et de t o u t e                n i e r s doutes des croyants
h o m m e , ni q u o i q u e ce s o i t ,           connaissance, parce que tu                      (cf. p. 21). Par la suite, les récits
s e u l e m e n t lui e t m o i f a c e à           sais la v é r i t é t o u t e n t i è r e ; et  de YIsrâ et du Mi'râj alimente-
face. Il m e dit e n s u i t e : " M a h o -        t e l l e q u e t u sais, v a , dis-la et       ront l'imaginaire musulman... et
m e t , q u e s a v e n t les p e u p l e s         r é v è l e - l a à t o n peuple." » •          chrétien. Ils entreront dans la
d u m o n d e des a f f a i r e s et des                                                            littérature universelle au XIII siè-
                                                                                                                                     E



h a b i t a n t s d e s c i e u x ? " je lui                                                        cle grâce au Livre de l'échelle de
dis e n g u i s e de r é p o n s e : "Sei-
                                                      Le Livre de l'échelle de Mahomet,             Mahomet, traduction en latin
g n e u r , je n e sais pas." Il r e p r i t :        chapitre XLIX, traduction du latin            d'un texte castillan, lui-même
" M a h o m e t , a p p r o c h e - t o i de                                 par Gisèle Besson      traduit de l'arabe. Manuscrit
moi." A u s s i t ô t les t e n t u r e s qui                 et Michèle Brossard-Dandré,           dont s'inspirera Dante pour
n o u s s é p a r a i e n t se s o u l e v è -                    © Le Livre de poche, 1991.        écrire sa Divine Comédie, c. G.
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  • 4. SOMMAIRE Retrouver Mahomet? 6 par Catherine Golliau À la recherche du Mahomet historique 8 par Michael Lecker Point de v u e : Faire connaître la Sîra 12 par Mahmoud Hussein LA VIE 16 Naissance d'un prophète 16 par Catherine Golliau Le Voyage nocturne : la rencontre avec Allah 20 par Catherine Golliau Repères : L'Arabie saisie 23 par la fièvre prophétique par Christian Julien Robin Médine : l'apprentissage d'un homme d'État 27 par Laurence Moreau Le chef de guerre 31 par Laurence Moreau *»mh« Le Testament du Prophète 33 par Catherine Golliau Les dates de Mahomet 36 WHO'S WHO 38 Abu Bakr, A'isha, Ali... 38 par Pauline Marceillac et Victoria Gairin LA REVELATION 48 Le mystère du Coran 48 par Catherine Golliau De la parole à l'écrit 50 par M o h a m m a d Ali Amir-Moezzi Repères : Qui étaient les juifs d'Arabie? 54 par |osé Costa
  • 5. Talmud-Coran : les points de rencontre 56 par José Costa Entretien : François Déroche 60 «Le Coran est un texte flexible au cours du temps» Les Cinq Piliers de l'islam 63 par Éric Vinson METHODE Le vrai Djihad 69 Le but de ce hors-série est aussi de faire découvrir les par Éric Vinson textes fondateurs de l'Islam et les textes anciens qui le concer- La femme vue par le Coran 71 nent. Les articles sont donc par Catherine Goliiau s o u v e n t accompagnés d'ex- traits de textes (en beige). Entretien : Oleg Grabar 73 Les mots et les n o m s grais- «L'islam ne peut plus lutter contre l'invasion des images» sés et a c c o m p a g n é s d'une étoile sont à retrouver dans le lexique. LA POSTÉRITÉ 76 L'histoire d'une épopée 76 TRANSCRIPTION par Catherine Goliiau L'arabe est transcrit en général Le droit, fondement de la société musulmane 82 selon la règle internationale, sauf pour certains mots entrés par Charles Saint-Prot dans le vocabulaire français c o m m e M a h o m e t , Kaaba, Entretien Daniel D e S m e t 86 chiisme, soufisme... «Dans le chiisme modéré, Mahomet révèle le texte, l'imam en détient la clé» Les « vêtus de laine » du soufisme 90 par T h i e r r y Zarcone Le message caché de Mahomet 95 par Éric Geoffroy Entretien : Mahmoud A z a b 98 «L'islam libéral n'a jamais disparu» Se convertir aujourd'hui 101 par Victoria Gairin L'islam aujourd'hui (carte) 104 Chronologie de l'islam 106 Les extraits du Coran pu- Lexique 108 bliés dans ce hors-série sont, sauf mention contrai- Bibliographie 114 re, tirés du Coran traduit par Régis Blachère (Édi- t i o n s M a i s o n n e u v e et La rose, 1949).
  • 6. INTRODUCTION Retrouver Mahomet ? Longtemps, le Prophète est resté un sujet intouchable pour les historiens. Aujourd'hui, l'afflux de sources nouvelles a enrichi sa biographie. Au risque du révisionnisme ? e fondateur de islam est, vérifier la validité des souvenirs en reste et si Pierre le Vénérable L de tous les grands fonda- rapportés par tel ou tel Compa- teurs de religions, l'un des gnon pour pouvoir in fine fournir rares dont l'existence sem- une liste crédible des paroles du traduit le Coran au XII siècle, c'est pour mieux le réfuter. Dès le Moyen Âge, Mahomet apparaît, E blait jusqu'ici ne pouvoir être Prophète. dans les chroniques, comme l'hé- remise en doute. Sa vie et sa per- Très vite toutefois, il a été admis rétique, le vilain, le menteur, celui sonnalité nous sont en effet que les versets du Coran étant la qui nie la divinité du Christ et qui connues par de nombreux témoi- parole de Dieu, le Coran est ini- a pillé les textes juifs. Voltaire et gnages dont la plupart peuvent mitable (et non influençable...). Ernest Renan ne seront pas plus être considérés comme crédibles. Sa langue, c'est-à-dire l'arabe du tendres. Ainsi nous savons que le prophète Hedjaz, est parfaite. Quant à Ma- qui a transmis le Coran, livre sacré homet, le dernier et le plus ac- L'audace des historiens de l'islam, était un bédouin du compli des prophètes, il est si Mais comment l'historien mo- vii siècle, vivant à La Mecque, en grand qu'il ne peut être repré- e derne peut-il espérer connaître le Arabie. Un homme sage, parfois senté. Sur cette base, toute inter- plus objectivement possible les guerrier, souvent juge de paix, rogation sur ses motivations ou conditions de la Révélation? Mi- confronté aux problèmes quoti- ses actes se sont révélés impos- chael Lecker (cf. p. 8) nous rappelle diens de sa jeune communauté de sibles, et les rares qui tentèrent à quel point la numérisation et la croyants, notamment par ceux de d'enfreindre cette règle le payè- diffusion sur Internet de docu- son harem. rent parfois de ments hier inaccessibles sont en Que valent ces ré- leur vie. train de modifier l'islamologie. Ce cits d'un point de L'Occident a toujours C'est d'Occident, n'est plus seulement dans le Co- vue historique? entretenu avec l'islam le vieil ennemi, ran, les hadith ou la Sira que l'on Les m u s u l m a n s une relation ambiguë que viendront, au peut trouver des informations sur eux-mêmes se sont de fascination xix siècle, les pre- e posé rapidement mières approches la question. Les et d'hostilité. purement histori- LE paroles du Pro- ques de la vie de CORAN phète (les « dits » ou hadith*) et, Mahomet. Avec des intentions pu- dans une moindre mesure, ses res? Ce n'est pas sûr. L'Occident a actions telles qu'elles sont rap- toujours entretenu avec l'islam « Allah portées par les chroniques qui une relation ambiguë de fascina- composent la Sîra * (cf. p. 12) ont tion et d'hostilité, les musulmans omniscient » servi à éclairer les aspects les étant les ennemis, ceux qui « M a h o m e t n'est le p è r e moins clairs du Coran et à éta- avaient fait chuter Byzance, et de n u l de v o s m â l e s , m a i s blir le dogme : de la validité des s'étaient emparés du tombeau du il est l ' A p ô t r e d ' A l l a h e t le témoignages dépendait en effet Christ à Jérusalem. Si le Coran Sceau des Prophètes. l'avenir de l'islam. Au ix siècle, fustige les chrétiens et les juifs en e A l l a h , d e t o u t e c h o s e , est l'érudit ouzbek Bukhâri* consa- les accusant d'avoir falsifié la pa- omniscient. » • cra ainsi sa vie à rassembler et role de Dieu, ceux-ci ne sont pas Sourate XXXIII, 40. Les Maîtres-Penseurs Hors-série n° 6 L e Point
  • 7. INTRODUCTION islamique », 1977), livre écrit avec l'historien Michael Cook. Les deux auteurs renonceront plus tard à cette thèse, mais pas à dé- mythifier la Révélation musul- mane, au risque du scandale : « Le Coran est un texte sacré doté d'une histoire, comme tout autre - sauf que nous ne connaissons pas cette histoire et que nous dé- clenchons des hurlements de pro- testation quand nous l'étudions », se défendra Patricia Crone. Près de vingt ans plus tard, en Allemagne, sous le pseudonyme de Christoph Luxenberg, des is- lamologues se fonderont sur le grand nombre de mots d'origine araméenne et syriaque dans le Coran pour affirmer qu'il n'est qu'un texte chrétien, au mieux « une production littéraire de l'Antiquité tardive » (Die Syro- aramàische Lesart des Koran, 2000). Quant à Mahomet, ce ne serait pas, selon eux, le nom d'une per- sonne, mais un prédicat pour désigner « le serviteur et messa- À Ispahan (Iran), fresque r e p r é s e n t a n t ger d'Allah », c'est-à-dire... Jésus. M a h o m e t . Son visage est caché car « il est si g r a n d La thèse est osée, et témoigne qu'il ne peut être r e p r é s e n t é ». d'un révisionnisme dont la radi- calité vaut bien celle des fonda- l'Arabie du V I I siècle et sur la vie E caine Patricia Crone provoque-t- mentalistes qui veulent appliquer du Prophète, mais sur les pierres elle une polémique en affirmant à la lettre, au xxi siècle, les paro- e gravées du désert yéménite enfin que l'hégire*, ce jour de l'année les du Prophète. Nombre d'histo- décryptées par les philologues, ou 622 où Mahomet abandonna riens réfutent d'ailleurs ces posi- les chroniques racontant la vie de La Mecque pour s'installer à Yath- tions extrêmes, mais les faits sont telle oasis. rib, futur Médine, serait une re- là : les conditions de la Révélation Dans le même temps, si le champ constitution opérée bien des an- musulmane, et donc la biogra- d'informations s'élargit, l'audace nées après la mort du Prophète, phie de l'homme qui l'a fait des historiens aussi. De nombreu- cette date étant devenue le début connaître, sont plus que jamais ses recherches sont menées sur du c a l e n d r i e r m u s u l m a n . des enjeux politiques et scientifi- les relations entre le judaïsme et « Aucune source du vn siècle e ques. Mahomet n'est pas seule- l'islam, les prophètes concurrents n'identifie la période arabe comme ment aux mains des islamistes de Mahomet, etc. Certains abou- étant celle de l'hégire » affirme-t- qui veulent réinventer l'islam des tissent à des conclusions hardies, elle dans Hagarism. The Making origines, il est aussi dans celles voire iconoclastes. Ainsi, dans les of the Islamic World (« Le haga- des historiens. • années 1970, l'islamologue améri- risme. La naissance du monde CATHERINE GOLLIAU L e P o i n t Hors-série n° 6 | Les Maîtres-Penseurs | 7
  • 8. LES SOURCES Yathrib (actuelle Médine), au temps de l'hégire 8 | Les Maîtres-Penseurs | Hors-série n° 6 L e P o i n t
  • 9. LES SOURCES sur l'histoire de La Mecque et de Médine à l'époque médié- vale. Les nouvelles technologies sont à cet égard d'une grande aide. Des milliers d'ouvrages de la lit- térature classique en arabe sont maintenant accessibles par In- ternet et libres de droit. Plu- sieurs banques de données in- À la recherche cluant des milliers de volumes ont été créées à travers le monde musulman. Les avancées de la du Mahomet high-tech permettent ainsi de mener des recherches il y a en- core peu impossibles. Ce qui hier historique e x i g e a i t des mois p r e n d aujourd'hui quelques secondes. Ce phénomène est, bien sûr, à l'œuvre dans d'autres champs de la recherche, mais il commence Les historiens disposent aujourd'hui de moyens considérables seulement à donner des résultats pour cerner au plus près la vie du Prophète. dans l'étude de l'histoire musul- mane, notamment dans la re- constitution des textes. Rien de plus facile dorénavant a tradition arabo-musul- En l'espèce, notre premier outil que de comparer différents ma- L mane nous apporte de multiples informations sur les premiers âges de est la philologie, c'est-à-dire l'analyse critique des textes. Longtemps, les historiens se nuscrits pour juger de l'état d'un verset, de trouver des pa- rallèles ou des variantes pour l'islam en général et la vie de sont tournés vers des sources aboutir finalement à établir un Mahomet en particulier. Mais évidentes comme Les Biogra- texte correct et dont le sens sera certains historiens modernes phies du Prophète (cf. p 12) ou la juste. Dans l'univers des manus- ont mis en évidence les lacunes vaste somme des hadith*. Mais crits en arabe, des problèmes et les incohérences de ces récits, ces textes posent problème à majeurs peuvent dépendre en et ont pour cela été accusés de l'historien, notamment en rai- effet d'un mot ou d'une lettre. « révisionnisme ». Difficile pour- son de leur aversion pour les Prenez, par exemple, le docu- tant de nier des manques... dont faits concrets et les aspects pra- ment dénommé la Constitution certains étaient d'ailleurs connus tiques de la vie du Prophète. de Médine, parce qu'il serait le depuis longtemps. Faut-il pour De plus, les frontières entre les premier texte juridique établi cela en conclure que nous man- différents genres de la littéra- par Mahomet. Une clause y sti- quons d'informations solides sur ture musulmane ne sont pas pule qu'un groupe de juifs forme la vie de Mahomet? Non, nous clairement définies, et, la formi- une Umma, une communauté. disposons bien au contraire de dable figure du Prophète étant Mais dit-elle vraiment cela? milliers d'informations utiles partout présente, des informa- Dans un manuscrit d'Hydera- au regard de l'historien, et il faut tions essentielles peuvent appa- bad, en Inde, l'écriture du mot s'attendre à ce que d'autres raître au hasard de manuscrits Umma n'est plus la même : le encore soient découvertes dans inattendus, par exemple, des mot présente un caractère sup- un proche avenir. documents portant témoignage plémentaire avec un point • • • L e Point Hors-série n° 6 | Les Maîtres-Penseurs | 9
  • 10. L E S SOURCES • • • diacritique (nun, équiva- mettre intactes à leurs propres à des délégations étrangères, lent du n) et c'est amana/amina, étudiants. Ceux qui se sont char- mais les archéologues demeu- la promesse d'une protection, gés de rassembler les témoigna- rent interdits de recherches à qu'il faut lire. Ainsi, il suffit ges sur les faits et gestes de Ma- La Mecque comme à Médine, d'un petit caractère pour que le homet adhéraient à la même bien évidemment les sites les texte entraîne vers des conclu- définition du savoir, même si plus significatifs. De plus, il a sions d'une tout autre portée. Il leurs standards en matière de été fait état de destructions dé- ne s'agit plus ici de t r a n s m i s s i o n libérées de sites archéologiques décrire un groupe le défi auquel sont étaient plutôt sou- dans ces deux villes ainsi qu'à de juifs comme une confrontés les ples. Les notions Ta'if. Toutefois, le potentiel est communauté : le d'originalité et d'in- énorme. On peut présumer qu'à texte dit que ce chercheurs est dû à novation n'entraient l'image traditionnelle d'une groupe et ceux qui l'état défectueux de pas dans leur ma- Arabie préislamique pastorale vont le suivre béné- nombreux documents nière de voir. se substituera bientôt celle, plus ficieront d'un aman, très anciens. Faut-il s'en plain- complexe, d'une civilisation qu'ils seront proté- dre? Certes non. avancée fondée sur le commerce gés... Tel est donc le Prenez al-Khabar et l'agriculture. défi auquel sont confrontés les 'an al-bashar, « L'histoire de Mais la géographie historique chercheurs du fait de l'état dé- l'humanité », cette encyclopédie est également un champ de re- fectueux de nombreux docu- compilée il y a cinq siècles par cherche prometteur. Les cartes ments très anciens. le lettré cairote Ahmad al- dont nous disposons pour ces Maqrîzî (1374-1442) : elle n'est deux villes présentent certes des Chronologies différentes faite que de citations, grandes lacunes car la localisation de L'accès plus facile à des milliers et petites, de livres plus anciens plusieurs sites cités par la Tra- de textes a aussi d'autres consé- qui sont maintenant perdus ou dition demeure encore incon- quences : les connaissances qui peut-être mal catalogués quel- nue. C'est particulièrement vrai semblaient acquises, parce que que part dans le monde... La pour Médine, où il est pourtant fondées sur des sources recon- chronologie des témoignages vital de disposer de cartes fia- nues, peuvent rapidement deve- historiques et celle des livres où bles pour comprendre les étapes nir obsolètes quand, grâce à ils ont été trouvés de la p r i s e de Internet, n'importe qui peut sont donc deux cho- Dans la littérature contrôle de Maho- avoir accès à des textes jusque-là ses bien différen- met et de ses Com- dédaignés par les experts. Même tes : les témoigna- musulmane, pagnons. si l'analyse n'est pas la même ges les plus anciens les notions de « tôt » Le plan (cf. p 8), éta- chose que la chasse aux infor- peuvent se trouver et de « tard » sont bli à partir de celui mations, il est clair que le cher- dans des livres an- plus relatives de la Médine mo- cheur doit jeter son filet de plus ciens aussi bien que derne, n'est qu'une en plus loin à la recherche de dans des livres plus qu'absolues. première approche. nouveaux faits, bien au-delà des récents, ce qui élar- Il indique, au nord- sentiers battus. git d'autant le champ de docu- ouest, la ville de Yathrib, nom Or, dans cette quête, il faut gar- ments utiles pour enquêter sur donné avant l'Islam à l'ensem- der à l'esprit que dans la littéra- la vie de Mahomet. ble des petites villes de la zone. ture musulmane les notions de Et l'archéologie, direz-vous? Sa À côté du cadre topographique « tôt » et de « tard » sont plus re- contribution à l'étude de la vie général (les vallées qui s'éten- latives qu'absolues. Les compila- du Prophète ne s'est pas encore dent du sud-est au nord-ouest ; teurs de hadith considéraient en vraiment concrétisée. Les auto- les deux plaines de lave à l'est et effet comme leur devoir de pré- rités saoudiennes sont certes à l'ouest), plusieurs appellations server les connaissances reçues plus enclines que jamais à don- ont disparu pendant les premiè- de leurs maîtres et de les trans- ner des autorisations de fouilles res années de la présence mu- 10 | Les Maîtres-Penseurs | Hors-série n° 6 L e Point
  • 11. LES SOURCES sulmane, probablement parce de Médine ! Mais l'identité de la homet, son professeur, le grand que les terres correspondantes source n'a rien à voir avec son juriste Abu Hanîfa* (mort en ont été divisées entre leurs nou- historicité, ni avec sa valeur 767), lui lança : « Qui était le veaux propriétaires et ont pris pour la recherche historique : p o r t e u r de drapeau de Go- alors leur nom. grâce à cette information, nous liath? », faisant ainsi allusion à Telle quelle, cette carte peut être savons maintenant que peu de l'ignorance et à la prétention utilisée avec profit pour com- temps après son arrivée à Mé- des prêcheurs populaires qui prendre certains faits histori- dine, Mahomet possédait une utilisaient volontiers leur ima- ques, comme le montre le cas large pièce de terre à Zuhra, en gination pour compenser leurs suivant, qui combine à la fois plus d'un verger. l a c u n e s d a n s la l'utilisation de la géographie Nous savons par connaissance des historique et des informations d ' a u t r e s sources La philologie et sources. Pour Abu extérieures aux sources tradi- que ses v o i s i n s la géographie Hanifa, de toute fa- tionnelles que sont les Biogra- étaient des juifs, ce historique sont çon, les batailles du phies de Mahomet. Le narrateur qui pourrait ame- Prophète comme évoque ici une dispute pour sa- ner à une révision des champs celle, mythique, de voir quel était le premier pro- de la manière dont, de recherche David contre Go- priétaire d'un waqf, ou fonda- jusqu'ici, on envisa- prometteurs. liath, relevaient tion charitable, à Médine, et les geait ses relations également du non- « compétiteurs » ne sont autres avec cette popula- sens. Abu Yusuf que Mahomet lui-même et celui tion à son arrivée à Médine, et répondit alors, probablement qui sera le second calife, Umar peut-être aussi sur les condi- d'un ton menaçant : « Vous êtes {cf. p. 45). « Peu de temps après tions politiques et économiques un imam*, mais je jure par Al- que le Messager d'Allah vienne mêmes de son installation. lah que, si vous continuez à agir s'installer à Médine, il "trouva" ainsi, je vais vous interroger une large portion de terrain à Mahomet avait installé devant tout le monde pour sa- Zuhra qui avait appartenu aux son propre marché voir laquelle, de Badr (cf. p. 32) gens de Ratij et d'Husayka. Ils Ainsi, nous avons découvert ou d'Uhud, est la bataille la plus avaient été expulsés de Médine que Mahomet avait installé son ancienne, car vous ne le savez avant son arrivée et avaient propre marché. Information qui pas. » laissé derrière eux une vaste n'intéressait pas les compila- Les historiens modernes sont étendue de terre. Elle compre- teurs comme les lettrés du comme Abu Yusuf : armés de nait une partie vide, sans arbres Moyen Âge, généralement plus leurs connaissances en philolo- ni champs, qui s'ajoutait à une intéressés par les sujets reli- gie, de cartes fiables et d'un ma- jeune palmeraie non irriguée gieux, spirituels et juridiques tériel textuel d'une grande ri- appelée al-Hashashin. Mahomet que par la vie pratique. Une c h e s s e et d ' u n e e x t r ê m e donna une partie de cette terre anecdote résume bien leur ap- diversité, ils essaient eux aussi à Umar, et celui-ci acheta à des proche de l'histoire. Abu Yusuf d'arriver au plus près du Maho- juifs le terrain adjacent. C'était (mort en 798), un juriste du dé- met historique. • une merveilleuse propriété. » but de l'époque abbasside*, se Quiconque est familier avec la passionnait autant pour l'exé- biographie de Mahomet peut se gèse coranique que pour les M I C H A E L L E C K E R rendre compte de l'importance grandes batailles de Mahomet de lérusalem,l'Université hébraïque chez Professeur à de cette anecdote et constater et des tribus d'avant l'Islam. Il Ashgate Publishing, deentre autres,Arabs auteur, /ews and qu'elle est absente tant des bio- était moins bon - c'est du moins in Pre- and Early Islamic Arabia (1998) et de graphies médiévales que des ce qui nous en est dit - en ma- People, Tribes and Society (2005). around in Arabia biographies modernes : et pour tière juridique. Alors qu'il the Time ofMuhammad cause, puisqu'elle a été décou- s'était absenté plusieurs jours Article traduit de l'anglais verte dans un livre sur l'histoire pour étudier les batailles de Ma- par Catherine Goliiau. L e Point Hors-série n° 6 | Les Maîtres-Penseurs | 11
  • 12. POINT DE VUE Faire connaître la Sîra Mahmoud Hussein : deux auteurs pour un pseudo. C'est sous ce nom qu'Adel Rifaat et Bahgat El Nadi publient, en 2005 et 2007, chez Grasset, Al-Sîra, le Prophète de l'islam raconté par ses Compagnons, première présentation synthétique en français de l'ensemble des Chroniques sur la vie de Mahomet rédigées du vme au xe siècle. Ils expliquent ici l'importance de ces textes pour la vie du Prophète et comment ils ont travaillé pour transmettre sans trahir. des premiers exégètes du Co- ran, notamment al-Dahhâk (mort en 727) et Muqâtil (mort en 772). Ce lien répondait à un besoin réel; il s'est vite avéré que la compréhension de n o m b r e u x versets du Coran nécessitait un retour aux conditions historiques dans lesquelles ils avaient été révélés. Copies sur papyrus Le premier ouvrage à voca- tion synthétique, Al-sîra al- nabawiyya (« Itinéraire ou MAHMOUD HUSSEIN vie du Prophète »), a été com- Bahgat El Nadi et Adel Rifaat, auteurs notamment de Penser le Coran (Grasset, 2009). posé par Muhammad Ibn Ishaq* (mort vers 767). Il fit l'objet de plusieurs copies sur e Prophète ayant vécu rent lieu à des efforts systé- papyrus, sans doute cinq, L dans une société de tradition orale, ce que l'on sait de lui a d'abord matiques de collecte, de recen- sion et de vérification que plus d'un siècle et demi après la dont aucune ne subsiste. Mais une de ces copies parvint au Caire entre les mains d'Abu été rapporté de bouche à mort de Mahomet. Muhammad Ibn Hishâm* oreille. Certains des témoi- Des premières compilations (mort en 840). Ce dernier la gnages ont été consignés par partielles, dont la plupart ont recopia en l'expurgeant, et écrit par les rares Compa- été effectuées sous le règne comme le secret de la fabrica- gnons qui savaient écrire, et des Omeyyades (660-750), on tion du papier, jalousement ne firent l'objet de compila- ne possède que des fragments gardé j u s q u ' a l o r s par la tions partielles qu'à partir de cités par tel ou tel chroni- Chine, était parvenu entre- la fin du vm siècle. L'ensemble e queur. Leurs travaux ont été temps jusqu'aux Arabes, c'est de ces témoignages ne donnè- menés parallèlement à ceux cette version largement reco- 12 I Les Maîtres-Penseurs I Hors-série n° 6 L e Point
  • 13. POINT DE VUE LA TRADITION piée qui traversa les siècles. Quelques-uns des passages supprimés furent cependant « Sa démarche était sauvés, du fait que certains si énergique... » des chroniqueurs postérieurs, ayant eu accès au texte origi- nal, les citèrent dans leurs « O n d e m a n d a i t à Alî d e s d é t a i l s s u r l ' e x t é r i e u r d u propres compilations. P r o p h è t e . Alî d i t : "Il é t a i t d é t a i l l é m o y e n n e . (...) S o n La fresque des faits et gestes t e i n t é t a i t d'un b l a n c r o s é ; ses y e u x é t a i e n t n o i r s , ses du Prophète, inaugurée par c h e v e u x b r i l l a n t s , é p a i s e t b e a u x . Sa b a r b e (...) b i e n Ibn Ishaq, sera enrichie en- f o u r n i e . (...) Sa d é m a r c h e é t a i t si é n e r g i q u e q u ' o n suite par quatre grands chro- a u r a i t d i t q u ' i l d é t a c h a i t s e s p i e d s d e la p i e r r e , e t niqueurs, travaillant sous la c e p e n d a n t e n m ê m e si l é g è r e q u ' i l s e m b l a i t q u ' i l dynastie abbasside* (750- v o l t i g e â t de h a u t e n bas. (...) Il y a v a i t d a n s s o n v i s a g e 1258) : al-Wâqidî (747-823), t a n t d e d o u c e u r q u ' u n e f o i s e n sa p r é s e n c e , o n n e auteur de Kitâb al-Maghâzî p o u v a i t p l u s le q u i t t e r . " » • (« Le Livre des conquêtes ») ; Muhammad Ibn Sa'd (784-845), Tabarî, Histoire des prophètes et des rois. qui rédigea le Kitâb al-Taba- qât al-Kabl (« Le Livre des cer- cles de Compagnons ») ; al- Tabarî* (830-923) et son Kitâb nombreux versets du Coran époque qui n'est plus la leur. al-Rusul wal-Mulûk (« Le Li- lui ont été révélés, consti- Ils doivent retrouver les repè- vre des prophètes et des tuant ainsi le plus riche des res de la première commu- rois »), et enfin al-Balâdhurî matériaux qui nous relient nauté des musulmans - eth- (829- 901), l'auteur de Kitâb au moment historique de la niquement homogène, Ansâb al-Ashrâf (« Le Livre naissance de l'islam. égalitariste, solidaire, héroï- des nobles lignages »). que, luttant pour sa survie - D'autres travaux, plus tar- La chaîne des « garants » alors qu'ils vivent deux ou difs, ajouteront des détails Les questions que la Sîra* trois siècles plus tard, dans jusque-là inédits - et d'autant pose à l'historien sont toute- l'empire multiethnique des plus contestés. Mais l'essen- fois de trois ordres. Le pre- Abbassides (cf. p. 76), dont tiel de ce qui nous est par- mier concerne l'objectivité l'extension, la puissance et la venu sur la vie du Prophète des chroniqueurs. Travaillant prospérité induisent une tout tient dans ces cinq ouvrages chacun de son autre hiérarchie clés, qui, fourmillant de scè- côté, ils se sont Retrouver deux de valeurs intel- nes vivantes, de dialogues et efforcés de re- siècles plus tard lectuelles et ma- de notations descriptives, prendre à rebours térielles. Leur rendent les couleurs et les la « chaîne des les repères de probité intellec- parfums d'une époque. Ils garants » - les la première Umma. tuelle n'est pas esquissent le portrait du Pro- transmetteurs en doute : ce sont phète, en même temps que des témoignages d'une géné- des lettrés, travaillant libre- celui d'un grand nombre de ration à l'autre - pour remon- ment sous le regard d'autres ses Compagnons, de ses épou- ter, pas à pas, jusqu'aux lettrés. Ils sont souvent enga- ses, de ses adversaires. Ils contemporains du Prophète. gés, en outre, comme al- suggèrent enfin les circons- Mais les témoignages qu'ils Tabarî, dans un effort d'exé- tances dans lesquelles de recueillent émanent d'une gèse et d'interprétation • • • L e Point Hors-série n° 6 I Les Maîtres-Penseurs 12
  • 14. POINT DE VUE UN PORTRAIT PROBANT DE MAHOMET • • • coraniques qui les place dans un rapport exigeant à la Au travers même des approxi- Les dix années médinoises vérité, sur les plans religieux mations, des paradoxes et des (622-632) sont celles d'une et moral. Mais cela ne les pré- contradictions qui parcourent véritable métamorphose. Il munit ni contre l'erreur ni les Chroniques, la prodigieuse richesse de leurs notations est devenu le chef d'une com- contre une part inévitable de munauté assiégée. Comme finit par laisser é m e r g e r , pour se hisser à la hauteur de partialité. comme dans un tableau im- sa mission, il va découvrir en Le deuxième ordre de ques- pressionniste, un portrait lui une combinaison de ta- tions tient au crédit que l'on probant de Mahomet. lents jusque-là insoupçonnés. peut accorder à chacun des L'homme d'action vient dou- « garants » successifs. D'une Durant ses quarante premiè- bler l'homme de vision. génération à l'autre, leurs res années (570-610), c'est un souvenirs se sont estompés et contemplatif, plutôt détaché des contingences de la vie, Sage et hardi, il maîtrise le temps de la guerre comme des textes se sont perdus. mais proche des gens. Un celui de la négociation. Par son En outre, une partie des té- homme en paix avec lui-mê- courage, il fascine ses Compa- moignages existants a été me et en phase avec la so- gnons autant qu'il désarçonne sciemment falsifiée : sous les ciété dont il est issu. ses adversaires. Sa longue Omeyyades, plusieurs califes patience lui permet de tisser ont commandé de faux té- À partir de 610, cet équilibre le réseau d'alliances qui pré- pare sa victoire finale. moignages, destinés à accré- est brisé. Il vit la Révélation comme un message de l'au- diter l'idée d'une proximité d e l à , qui s ' i m p o s e à sa Mais surtout, la 5/ra* nous fictive de leurs ancêtres avec c o n s c i e n c e avec la force montre un Mahomet d'une le Prophète. d'une évidence irrépressible. humanité proprement mo- Or, ce message le place en derne. Cultureliement lié aux Abus en tous sens contradiction avec les tradi- hommes de son temps, il est À titre d'exemple, cet épisode, tions et les hiérarchies de La Mecque, sa ville natale. psychologiquement plus pro- che de nous, il se met à la où l'ancêtre de la dynastie, Après un moment de grand place des autres, saisit leurs Abu Sufyân, qui fut longtemps trouble, il s'en remet à la motivations intimes, les aide un ennemi du volonté de Dieu et prêche à devenir des êtres indivi- .. .. , Prophète, est ouvertement ce message. Il duellement responsables. Il Une partie des ,, .. est à nouveau en paix avec fait preuve d'un respect na- r décrit sous un lui-même, mais en guerre témoignages a été r favorable. sciemment falsifiée « 11 avance sur j 0 U turel de la dignité des per- avec les siens. sonnes, quel que soit leur statut social. SOUS les Omeyyades, une route avec ,, . , , a la demande de son épouse et Durant les douze années mec- quoises de la Prophétie (610- En constant dialogue avec l. e u r f, .i ,l s , 622), il fait le dur apprentis- l'au-delà, il n'en aime pas plusieurs califes. Mu'âwiyajuché sage de la marginalité. Le moins profondément l'exis- sur le dos d'un désarroi le gagne parfois. tence ici-bas. Dès qu'il le peut, âne. Vient à passer le Pro- Mais, peu à peu, il acquiert il prend le temps d'honorer phète, qui va à pied. Abu une d é t e r m i n a t i o n qui le ses épouses, de se reposer ou Sufyân fait descendre son fils porte à affronter les événe- ments, après les avoir subis. d'apprécier un bon repas. Et il exige de ses Compagnons et invite Mahomet à enfour- Transgression décisive : il qu'ils se détournent de tout cher l'âne à sa place... » Quel- quitte te périmètre de La Mec- excès de zèle religieux, ou que quarante ans plus tard, le que, pour chercher des alliés d'ascétisme intempestif. même Mu'âwiya sera le cin- à l'extérieur. M. H. quième calife, fondateur de la dynastie omeyyade. 14 I Les Maîtres-Penseurs I Hors-série n° 6 L e Point
  • 15. POINT DE VUE Travaillant à l'époque des Ab- souvienne d'un événement, dans une langue arabe deve- bassides, ennemis jurés de la auquel il associe un geste ou nue partiellement archaïque, dynastie précédente, les chro- un propos du Prophète, que les différentes Chroniques se niqueurs n'ont pas intérêt à d'autres rattachent à un autre présentent sous la forme de couvrir de tels mensonges, moment. D'où l'intérêt de textes trop foisonnants, hété- mais il leur arrive de commet- pouvoir comparer les travaux rogènes et mal reliés entre tre des abus en sens contraire. de cinq chroniqueurs, la eux pour ne pas décourager Ainsi, l'ancêtre éponyme des somme de ces recherches don- le grand public. Abbassides, al-Abbâs, oncle nant à l'historien de précieux Notre objectif a donc été de paternel du Prophète, ne s'est points d'appui. présenter, sous une forme di- rallié à ce dernier qu'après la Certes, on ne saura jamais, de rectement accessible au lec- bataille de Badr en 624. Tout source certaine, si telle phrase teur non spécialisé, une syn- porte à croire a bien été pronon- thèse qui retient l'essentiel qu'il a combattu La Sîra constitue, cée, sous telle des faits et gestes rapportés les musulmans et après le Coran et forme et à tel mo- dans les cinq grandes Chroni- a même été fait les hadith, l'un des ment. Mais une ques. Nous avons d'abord pro- prisonnier. Or, masse critique cédé à un découpage des évé- certains « témoi- textes fondateurs d'informations nements touchant à la vie du gnages » le mon- de l'imaginaire concordantes est Prophète, tels qu'ils ont été trent déjà aux musulman. un signal impor- rapportés par les différents côtés du Prophète tant. Lorsque chroniqueurs. Dans la mesure lors des Serments d'allégeance deux, ou trois, chroniqueurs, où ceux-ci présentent chacun d'Aqaba en 620, à la fin de la travaillant chacun de son côté, une version propre d'un période mecquoise... parviennent à localiser un même événement, nous avons Il est vrai que les méthodes de même événement, il devient retenu soit la variante la plus sélection des témoignages plausible. À partir de là, des riche en détails, soit composé sont rudimentaires, étant es- hypothèses s'esquissent, qui nous-mêmes un texte regrou- sentiellement fondées sur la peuvent être progressivement pant des détails que nous notoriété et l'honorabilité re- affinées. avons tirés de plusieurs va- connues des transmetteurs riantes. Ensuite, nous avons successifs. Mais il est à noter, Un véritable condensé procédé à un montage, inté- au crédit des chroniqueurs, Mais là s'arrête notre compli- grant toutes les séquences, qu'ils ont retenu des faits cité avec le souci des histo- dans un ordre aussi près que qu'ils auraient préféré igno- riens. Notre but est différent : possible de la chronologie, rer, comme ce témoignage de il est de mettre à la portée du sans a priori doctrinal, sans l'épouse du Prophète, A'isha grand public la Sira « telle ajouter quoi que ce soit de (cf. p. 39), selon lequel ce der- qu'en elle-même ». Car elle notre cru et en retenant tous nier aurait été « ensorcelé » constitue - après le Coran et les faits d'importance rappor- pendant une année durant les hadith - l'un des textes tés par plus d'un seul des cinq laquelle il n'a pu approcher fondateurs de l'imaginaire grands chroniqueurs. ses épouses. musulman. Sollicitée depuis Il s'agit donc, ici, non d'une Enfin, les témoignages rete- douze siècles par tous ceux construction personnelle ou nus dans la Sira sur un même qui traitent du fait religieux, partisane, mais bien d'un événement ne se recoupent elle informe la conscience condensé de la Sira, permet- pas toujours et sont parfois d'un milliard et demi de tant au lecteur d'aujourd'hui même contradictoires. Il ar- croyants, répartis dans le une exploration de la fresque rive que tel Compagnon se monde entier.Or, rédigées qu'elle nous offre. • L e Point Hors-série n° 6 I Les Maîtres-Penseurs 12 12
  • 16. LA VIE DE MAHOMET De sa naissance à La Mecque à sa mort à Médine, le fondateur de l'islam ne fut pas seulement un chef spirituel, mais aussi un chef d'État et un chef de guerre. Il dut s'imposer aux siens, à d'autres prophètes et d'autres tribus... Et, à sa mort, s'installa une discorde qui dure encore aujourd'hui. Naissance d'un prophète De source sûre, on ne connaît que la date de sa mort ainsi que quelques éléments de son enfance et de son adolescence. Pour le reste, il faut se fier à la Tradition... et à l'imagination des différents auteurs. 'est à La Mecque, une l'encens de l'Arabie du Sud et les aurait été édifiée par Adam avant C ville commerciale et fi- nancière du Hedjaz, point d'eau planté au marchandises précieuses venues qu'il ne soit chassé du Paradis. de l'Inde. La ville n'est pas très Emportée par le Déluge, elle éloignée du port de Djedda en aurait été reconstruite par Abra- milieu de rocailles dénudées, mer Rouge, et les Mec- ham* et Isma'il, le fils qu'au vi siècle naît Mahomet. La e quois tiennent des que le p a t r i a r c h e Tradition fixe sa naissance à 570, points de passage stra- Vers 570 aurait eu de sa ser- l'année où La Mecque doit re- tégiques comme l'oa- Naissance présumée vante Agar. L'ange pousser l'attaque du vice-roi yé- sis d'al-Tâ'if, par où de Mahomet. Gabriel (c/ p. 19) lui- ménite Abraha. À cette époque, doivent obligatoire- même aurait apporté alors que les Byzantins et les ment passer les caravanes. la Pierre noire, probablement Perses essaient d'étendre leur Depuis le v siècle, la ville est une météorite, particulièrement e domination sur la péninsule ara- d o m i n é e par la t r i b u des vénérée par les populations bique, les Mecquois contrôlent Quraysh, dont l'un des hommes, locales. la plus grande partie du com- Qusayy a eu l'habilité de réunir Les Quraysh qui se divisaient en merce entre le Yémen, au sud, et en un seul sanctuaire les princi- de nombreux clans s'instituèrent la Syrie, au nord. Ils sont les maî- pales divinités des Arabes, no- gardiens du nouveau sanctuaire, tres d'une route de première im- tamment le dieu lune Hobal. décrété inviolable ; attirant de portance puisque c'est par elle D'après la Tradition, une pre- nombreux pèlerins, celui-ci leur que transitent vers l'Occident mière Kaaba* (Maison de Dieu) assurait une aisance certaine. 1615|Les Maîtres-Penseurs'| Hors-série n° G L e P o i n t
  • 17. L A VIE Voilà pour les faits, l'imagination des auteurs a fait le reste. La Tra- dition est riche en récits mer- veilleux qui tendent à démontrer la prédestination du Prophète. Ibn Ishaq* raconte ainsi com- ment la mère de Mahomet le confia à une famille de Bédouins pour qu'il soit élevé au bon air du désert. Mais la nourrice décida de le rendre à sa mère le jour où, selon elle, « deux hommes en ha- bits blancs le prirent, le jetèrent à terre, lui ouvrirent le corps et y fouillèrent des mains ». Des dé- mons? Non pas. La mère de Ma- homet rassure alors la bonne nourrice : « Quand j'étais en- ceinte de lui, une lumière se dé- gagea de moi et illumina pour moi les palais de Busra dans le pays de Syrie. Je n'aurais jamais imaginé une grossesse aussi lé- gère et facile que celle-là ! À sa naissance, il mit les mains au sol et tourna la tête vers le ciel. » Ibn Ishaq raconte encore que, La naissance du Prophète. Miniature de Lutfi Abdullah, xvie siècle. lors d'un voyage en Syrie avec Musée Topkapi, Istanbul (Turquie). son oncle, le jeune Mahomet ren- D'après la Sîra*, Mahomet était l'âge de 7 ans : il est recueilli alors contra un moine chrétien, Ba- le fils d'Abdallah de la lignée des par son grand-père qui meurt hîrâ, qui le reconnut comme un Hâshim ibn Abd Manâf. Son deux ans plus tard. Son oncle Abu être exceptionnel. grand-père avait été le gardien de Talib, le père d'Ali (cf. p. 40), futur Toujours d'après la Tradition, la source Zemzem, l'une des plus gendre et disciple de Mahomet, le vers l'âge de 25 ans, le jeune importantes de l'oasis, et avait prend alors en charge. homme est repéré pour ses • • • pour mission de distribuer l'eau aux pèlerins, l'une des charges les SA VRAIE DATE DE NAISSANCE? plus prestigieuses de La Mecque. « Cependant toutes les traditions le lundi », assure le traditionniste Mais Mahomet est orphelin et il sont unanimes sur les points sui- Tabarî* dans son Histoire des pro- semble que le clan se soit considé- vants. Le Prophète vint au monde phètes et des rois. rablement appauvri quand son un lundi ; que le jour où, après la De fait, on ne connaît de source oncle Abu Talib en prit la direc- r e c o n s t r u c t i o n de la K a a b a * , sûre que la date de sa m o r t , le tion. De son enfance et adoles- lorsqu'il étajt âgé de 16 à 17 ans, 13 râbi 1 er de l'an 2 de l'hégire*, cence, quelques éléments sem- il fut chargé de poser de sa main soit le 8 juin 632. Comme les sour- blent certains : son père serait la Pierre noire était également un ces ans à Médine et treizequ'il vécut mur du temple, à sa place, sur le dix anciennes assurent à La Mec- mort à Yathrib (qui deviendra Mé- lundi ; qu'il s'enfuit de La Mecque que après le début de la Révélation, dine) avant sa naissance, laissant vers Médine un lundi; qu'il arriva et qu'il avait alors.40 ans, il serait sa famille dans une situation pré- à Médine le lundi et qu'il mourut plutôt né en 569. caire. Mahomet perd sa mère à L e Point Hors-série n° 6 | Les Maîtres-Penseurs | 17
  • 18. « Prêche ! » CORAN « P r ê c h e a u n o m de t o n S e i g n e u r q u i créa ! q u i créa l ' H o m m e d ' u n e a d h é r e n c e . P r ê c h e ! T o n S e i g n e u r é t a n t le T r è s G é n é r e u x pendant un certain temps un trou q u i e n s e i g n a par le C a l a m e dans la révélation du Messager et e n s e i g n a à l ' H o m m e ce qu'il i g n o r a i t . » • de Dieu (Dieu le bénisse et le pro- Sourate XCVI, 5 tège) et il était très triste. Il par- P o u r la T r a d i t i o n , c e s c i n q p r e m i e r s v e r s d e la s o u r a t e X C V I tait de bonne heure pour les som- [Al-Alaq, « L ' A d h é r e n c e ») c o n s t i t u e n t la p r e m i è r e r é v é l a t i o n mets de la montagne afin de se r e ç u e par M a h o m e t . S'y e x p r i m e la g r a n d e u r de Dieu q u i a créé précipiter en bas. Mais à chaque l ' h o m m e et lui a t o u t e n s e i g n é . fois, Gabriel lui apparaissait et disait : "Tu es le prophète de Dieu." Alors son inquiétude ces- qualités morales par Kha- je tombai à genoux ; puis je m'éloi- sait et son moi revenait en lui. » dîdja (cf. p 44), une femme deux gnai, les épaules tremblantes. Le Prophète attendit trois ans fois veuve et propriétaire de cara- Puis pénétrant dans la avant de faire connaî- vanes. Elle en fait son intendant chambre de Khadîdja, je tre ce qu'il avait ap- puis son époux, lui confiant alors lui dis : Cache-moi, ca- 40 ans pris : que le Juge- la gestion de ses intérêts comme che-moi, jusqu'à ce que L'âge de Mahomet ment dernier était le veut la coutume. Avait-elle la peur me quitte. » lors de la proche, qu'il n'y avait 40 ans, comme l'affirme la Tradi- Les premières révéla- Révélation, qu'un seul Dieu et tion? Elle lui donna sept enfants, tions, nombreuses au que celui-ci appelait trois garçons qui moururent en départ, s'arrêtèrent un certain ceux qui croyaient en lui à la bas âge et quatre filles. temps, et Mahomet connut une générosité et à aider les faibles. période d'abattement. « Il y eut Ses fidèles furent d'abord ses Le choc Comment s'est passée la Révéla- tion? Mahomet y était-il préparé? Rien dans les textes ne permet de reconstituer les longues années où, devenu un homme respecté grâce à un riche mariage, Maho- met se concentre sur sa vie fami- liale et ses affaires. C'est à 40 ans, d'après la Tradition, que le tran- quille père de famille commence à avoir des visions. « Cela se fit en lui comme l'aurore », assure le traditionniste Az-Zuhrî*, alias Ibn Shihâb. « Il avait besoin de solitude et se rendait dans une grotte à Hirâ pour se consacrer à des exercices de dévotion plu- sieurs nuits avant de retourner vers les siens [...]. À la fin, la Vé- rité arriva inopinément et dit : Ô Mahomet, tu es le Messager de Dieu. » Toujours d'après Az-Zuhrî, l'élu ne vécut pas bien l'événement et chercha refuge auprès de son épouse. « J'avais été debout, mais Infographie : Hervé Bouilly 1815|Les Maîtres-Penseurs'| Hors-série n° G L e Point
  • 19. proches, les membres de son clan, et des hommes de plus ou moins bonne extraction, sou- vent des déshérités. Du prophète au politique « J'ai lu dans toutes les tradi- tions qu'Abu Bakr (cf. p. 38), après sa conversion, tint sa foi secrète ; mais chaque fois qu'il se trouvait dans la mosquée à cau- ser avec quelqu'un, il lui en par- lait et l'engageait à l'islam ; il P r e m i è r e Révélation de l'ange LA conduisait auprès du Prophète Abdullah,Miniature deMusée Topkapi, Gabriel. xvi siècle. Lutfi TRADITION ceux qui acceptaient; et ils pro- Istanbul (Turquie). e nonçaient la profession de foi », Gabriel, l'envoyé raconte Tabarî*. Mais dans une Tous sont marginalisés. En 615, ville où l'argent-roi provient du une partie d'entre eux choisit de de Dieu culte rendu aux idoles, et où les s'expatrier en Éthiopie, avec la intrigues pour le pouvoir sont bénédiction du Prophète. « Allez « A l o r s , il d i t : " R é c i t e . " Je dis incessantes, son discours passe en Abyssinie, dont les habitants " Q u e dois-je r é c i t e r ? " M a h o - mal. Au sein de la classe diri- sont chrétiens, possesseurs d'un m e t d i t : " A l o r s il m e p r i t e t geante, on le prend d'abord pour livre sacré, et plus rapprochés des m e s e r r a v i o l e m m e n t t r o i s fois un fou, puis pour un dangereux musulmans que les idolâtres » jusqu'à ce q u e je tombe fauteur de troubles. (Tabarî). Lui reste à é p u i s é . " A l o r s il d i t : " R é c i t e R a p i d e m e n t , les La classe dirigeante La Mecque sous la a u n o m d e t o n S e i g n e u r le railleries se trans- protection d'Abu Ta- c r é a t e u r . " Et je r é c i t a i s . »• forment en menaces le prend d'abord pour lib avec Abu Bakr, c o n t r e t o u s les un fou, puis pour un Alî et Umar {cf. p. 45), Az-Zuhrî, extrait de Mahomet convertis. « On disait fauteur de troubles. les Compagnons des de W. M o n t g o m e r y Watt, dans les réunions de premiers jours. © Payot, 1959. la mosquée, que Mahomet avait Mais en 619, son oncle meurt, fondé une nouvelle religion, rap- Khadîdja également. Le Prophète Jibril, le « t r a n s m e t t e u r » porte encore Tabarî. Abu Jahl fils va alors prendre langue avec des Familier et sublime, Gabriel de Hishàm parla ainsi : "Si j'ap- tribus étrangères, notamment (Jibril) occupe une place capi- prends que quelqu'un a cru en lui, les gens de l'oasis de Yathrib, qui tale en islam. Celui qui dans la j'écraserai sa tête comme celle sont à la recherche d'un chef Tradition chrétienne annonce d'un serpent, et si je vois Maho- pour régler leurs querelles inter- à Zacharie et à la Vierge Marie met venir à la Mosquée et adorer nes. En 622, les musulmans quit- la naissance de deux fils hors du un autre objet que Hobal, je lui tent La Mecque. Changement de commun, saint Jean-Baptiste et lancerai à la tête une pierre et cap dont le Coran est témoin Jésus, est en islam le transmet- ferai jaillir son cerveau." » dans sa structure même : les sou- teur du Coran. Les passages Dans cette société tribale où les rates courtes et inspirées des mecquois du texte ne font pour- intérêts sont intimement liés, premières années vont se faire tant pas mention de son nom. l'hostilité devient insupportable. plus longues, plus pratiques. Ma- Ils n'évoquent que des « anges », Son oncle qui avait autorité sur homet était un prophète qui re- au pluriel. Son nom apparaît tous les Quraysh n'est plus re- cevait les coups, il va devenir un seulement dans des versets tar- connu que par les seuls hommes politique qui portera le fer. • difs, d'origine médinoise. de son clan, les Banî Hashim. CATHERINE GOLLIAU L e P o i n t Hors-série 11° 6 | Les Maîtres-Penseurs | 19
  • 20. L A VIE Le Voyage nocturne : la rencontre avec Allah Moment capital de la biographie du Prophète, cette ascension permet au réprouvé de La Mecque de voir Dieu et de s'entretenir seul à seul avec Lui. « ^ Ê ^ loire à celui qui a trans- des Degrés » vers lequel montent Ishaq*, il est réveillé une nuit porté Son serviteur, la les anges et les esprits. Pour la par l'ange Gabriel qui le fait nuit, de la Mosquée sa- Tradition, il ne fait aucun doute monter sur Buraq (« rapide crée à la Mosquée très que dans cette sourate, le « Ser- comme l'éclair » en arabe), une éloignée autour de laquelle Nous viteur » est Mahomet, la « Mos- monture « entre la mule et l'âne, avons mis Notre bénédiction, quée sacrée », le complexe de la ayant une tête de femme ». Ac- afin de lui faire voir certains de Kaaba* et la « Mos- compagné de l'ange, il Nos signes... » Ce verset, le pre- quée très éloignée », la s'envole alors vers Jé- mier de la sourate XVII (Le ville de Jérusalem (cf. rusalem, non sans di- Voyage nocturne), évoque le ci-dessous). verses escales, au mont voyage de Mahomet de La Mec- Ce « Voyage nocturne » 620 Sinaï p o u r s a l u e r que à Jérusalem (Isrâ), puis son se serait déroulé le 27 Le 27 rajab, Moïse, à Bethléem ascension dans les airs (Mi'râj) du mois de rajab, en Mahomet monte pour voir Jésus et à où il va voir Dieu. Le Coran évo- 620, un an après la dis- au Ciel. Hébron, où Mahomet que souvent la possibilité d'une parition de sa femme, voit Abraham*. ascension, notamment par le Khadîdja (cf. p. 44) et À leur arrivée, Gabriel biais d'une échelle, ce qui n'est d'Abu Talib, son oncle. rassemble tous les pro- pas sans rappeler celle de Jacob Privé de ses meilleurs soutiens, phètes cités par la Bible, réunion dans la Genèse (XXVIII, 12). Dans le Prophète est en butte à une qui consacre Mahomet comme les versets 3 et 4 de la sourate opposition de plus en plus vio- l'ultime envoyé de Dieu. Ensuite, LXX, Allah est appelé « le Maître lente des Quraysh. D'après Ibn « grâce à une échelle de lu- JÉRUSALEM, LA « MOSQUÉE TRÈS ÉLOIGNÉE » Pour la tradition musulmane, l'ancienne capitale du comeyyade tient à y édifier la somptueuse Coupole du royaume de judée est, avec La Mecque et Médine, l'un rrocher, c'est autant par calcul politique - affirmer son des lieux de l'action divine sur terre : de la Création au fpouvoir contre La Mecque - que par conviction religieu- jugement dernier, tout se passe ou devra se passer à s : avant de monter au ciel, Mahomet a laissé l'em- se Jérusalem, la cité des prophètes. Ville juive par excel- fpreinte de son pied sur un rocher, là même où Abraham lence puisque c'est là que fut bâti le Temple deux fois £aurait accepté de sacrifier son fils. Jésus lui aussi aurait brûlé, et dont les juifs seront chassés par les romains au l laissé des traces : dès le ive siècle, on montrait aux pèle- ne siècle, ville sainte des chrétiens puisqu'elle fut le r rins crédules la marque de son pas. théâtre de la passion du Christ, Jérusalem n'est plus à PMais, pour l'islam, Jérusalem est plus que le passé, elle l'époque de M a h o m e t qu'une p e t i t e ville sous £ l'avenir : d'après plusieurs hadith, c'est dans cette cité est domination byzantine, mais son aura spirituelle de- cdevenue l'unique centre de spiritualité du monde, qu'à meure exceptionnelle. I fin des temps, l'humanité devenue musulmane et en- la Dès 637, elle passe sous contrôle arabe, et si la dynastie f fin pacifiée attendra le Jugement dernier. C.G. 20 | Les Maîtres-Penseurs | Hors-série n° 6 L e Point
  • 21. LA VIE LE CORAN « Une Révélation » « Par l'étoile q u a n d elle s ' a b î m e !, v o t r e c o n t r i b u l e n'est pas é g a r é ! Il n'erre p o i n t . Il ne parle pas par sa p r o p r e impulsion. C ' e s t s e u l e m e n t là u n e R é v é l a t i o n q u i lui a é t é transmise. » • Sourate LUI, 1/4 « L'Étoile » tant qu'Allah impose alors aux fidèles musulmans cinquante prières par jour, nombre que, lors du voyage de retour de Mahomet, Moïse lui conseille de négocier à la baisse... Après plusieurs allers- retours, le Prophète obtient fina- lement que les fidèles n'accomplis- sent que cinq prières par jour. Rêve ou réalité ? En combien de temps se fit ce pé- riple? En un clin d'œil, car pour la Tradition, toujours, Mahomet est capable, lors de son retour à La Mecque, de rattraper au vol L'ascension de M a h o m e t . Reproduction d'un manuscrit, c h r o m o , avant qu'elle ne tombe à terre une début du xx e siècle. cruche renversée lors de son dé- part. .. A-t-il rêvé? A-t-il vraiment mière », affirment certaines Enfin, arrivé à l'« horizon supé- voyagé? Selon l'opinion musul- sources, Mahomet est élevé de rieur » et happé par une lumière mane la plus répandue, Mahomet ciel en ciel, sept au total. Il y ren- mystérieuse, il s'approche du monte au ciel physiquement et à contre des personnages de la trône divin et peut contempler l'état de veille, ce que confirme un Bible et du Nouveau Testament, Allah lui-même, qui s'adresse à hadith* rapporté par Tabarî* : - Adam, Joseph, Enoch Jean lui. Aucune créature, même Ga- « Alors que j'étais près de la Kaaba (Yaha), Jésus, etc. -, visite le briel, n'a accès au secret de cet dans un état intermédiaire entre paradis et l'enfer. entretien. La Tradition dit pour- la veille et le sommeil... » • • • L e Point Hors-série n° 6 | Les Maîtres-Penseurs | 21
  • 22. « Mahomet, reçois UN AUTRE cette histoire du Coran » REGARD « Q u a n d Gabriel et R i d o h a n r e n t . Alors Dieu priva m e s y e u x • • • Cette hypothèse confirme- [l'ange gardien du paradis d e la v u e e t , à la p l a c e , la rait la mission divine de Mahomet m u s u l m a n ] m ' e u r e n t laissé d o n n a à m o n c œ u r , si bien q u e et l'utilisation de Buraq. En effet, seul, m o i M a h o m e t , m e s s a g e r je le vis a v e c m o n c œ u r e t n o n pourquoi une monture, si seul de D i e u , c o m m e v o u s l'avez pas a v e c m e s y e u x . Puis il m e l'esprit se déplace? e n t e n d u , je r e v i n s par la r o u t e dit e n c o r e : " M a h o m e t , a p p r o - q u e j'avais s u i v i e e n v e n a n t . che-toi d a v a n t a g e de moi." Les lazzis des Mecquois Et j'allai t a n t q u e j'arrivai a u x l'approchai jusqu'à ce que nous Comme le souligne Mohammad t e n t u r e s q u i é t a i e n t p r è s de ne fussions plus qu'à d e u x Ali Amir-Moezzi dans son Diction- D i e u . Q u a n d j'y fus, les t e n t u - p o r t é e s d ' a r b a l è t e . Et lui aus- naire du Coran (Robert Laffont), res c o m m e n c è r e n t à se s o u l e - sitôt posa sa m a i n sur m a t ê t e , des philosophes et ésotéristes mu- ver. [...] En allant ainsi à t r a v e r s si bien q u e je s e n t i s d a n s m o n sulmans optèrent cependant pour ces t e n t u r e s , j ' a v a n ç a i s t a n t c œ u r le f r o i d de sa m a i n . Aus- un voyage uniquement spirituel. q u ' e n t r e Dieu et m o i il n'y e u t s i t ô t il m e d o n n a la c o n n a i s - Les penseurs soufis*, quant à eux, plus q u e d e u x t e n t u r e s , d o n t s a n c e d e t o u t e c h o s e , si bien estimèrent que cette expérience l'une é t a i t de t é n è b r e s et q u e je c o n n u s t o u t e s les choses fut autant physique que spiri- l'autre de la l u m i è r e de sa puis- qui f u r e n t jusqu'à m a i n t e n a n t tuelle, mais que les saints musul- s a n c e . P e n d a n t q u e je r e g a r - e t q u i s e r o n t à l ' a v e n i r . [...] mans qui sont les héritiers de dais cela, v o i c i q u e j ' e n t e n d i s Dieu m e dit alors : " M a h o m e t , Mahomet ne la connaissent que d e r r i è r e ces t e n t u r e s u n e v o i x t u v i e n s d ' a t t e i n d r e la p l u s par la pensée (cf. p. 95). qui p r o n o n ç a i t les p a r o l e s d u p u r e v é r i t é . " Il m e dit a l o r s : Ce qui est sûr, c'est qu'à son re- C o r a n qui c o m m e n c e n t ainsi : "Que v e u t dire haldaraiet?" tour, Mahomet tient à raconter [...] "Le m e s s a g e r a c r u t o u t Et j e r é p o n d i s : son aventure, ce ce q u i a é t é dit d a n s l'histoire "Haldaraiet veut qui lui vaut les d u d é b u t jusqu'à la fin." Q u a n d d i r e s a l u e r les lazzis des Mec- t o u t e la p r i è r e , q u i e s t t r è s g e n s , leur v o u l o i r quois, qui le pren- l o n g u e , e u t é t é d i t e , le Sei- d u b i e n et p a r t a - Seul Abu Bakr croit nent pour un fou. g n e u r m e dit : " M a h o m e t , g e r de b o n c œ u r Mahomet, ce qui Il f a u d r a toute reçois c e t t e h i s t o i r e d u C o r a n , son repas avec lui vaut le surnom l'influence d'Abu q u e je te d o n n e et t ' a c c o r d e . e u x et faire des du « Très Véridique ». Bakr (cf. p. 38), le Elle fait p a r t i e de m e s t r é s o r s p r i è r e s au seul d'abord à le d u Paradis, qui s u r p a s s e n t t o u s m o m e n t o ù les croire, ce qui lui les a u t r e s t r é s o r s de la terre." autres peuples vaut de la part de A p r è s ces p a r o l e s , je r e ç u s le reposent en dor- Mahomet le sur- livre de sa m a i n , et je lui rendis m a n t . " A l o r s le S e i g n e u r m e nom de Siddîq (« le Très Véridi- grâces pour le d o n qu'il m'avait d i t : "Ah ! M a h o m e t , je v o i s que »), et surtout une révélation f a i t . À ce m o m e n t - l à , e n t r e lui m a i n t e n a n t q u e t u es r e m p l i du Coran pour dissiper les der- et m o i , il n'y a v a i t ni a n g e , ni de m a g r â c e et de t o u t e n i e r s doutes des croyants h o m m e , ni q u o i q u e ce s o i t , connaissance, parce que tu (cf. p. 21). Par la suite, les récits s e u l e m e n t lui e t m o i f a c e à sais la v é r i t é t o u t e n t i è r e ; et de YIsrâ et du Mi'râj alimente- face. Il m e dit e n s u i t e : " M a h o - t e l l e q u e t u sais, v a , dis-la et ront l'imaginaire musulman... et m e t , q u e s a v e n t les p e u p l e s r é v è l e - l a à t o n peuple." » • chrétien. Ils entreront dans la d u m o n d e des a f f a i r e s et des littérature universelle au XIII siè- E h a b i t a n t s d e s c i e u x ? " je lui cle grâce au Livre de l'échelle de dis e n g u i s e de r é p o n s e : "Sei- Le Livre de l'échelle de Mahomet, Mahomet, traduction en latin g n e u r , je n e sais pas." Il r e p r i t : chapitre XLIX, traduction du latin d'un texte castillan, lui-même " M a h o m e t , a p p r o c h e - t o i de par Gisèle Besson traduit de l'arabe. Manuscrit moi." A u s s i t ô t les t e n t u r e s qui et Michèle Brossard-Dandré, dont s'inspirera Dante pour n o u s s é p a r a i e n t se s o u l e v è - © Le Livre de poche, 1991. écrire sa Divine Comédie, c. G.