Cette communication donnée à la journée d'études "Littérature numérique et performance", dans le cadre des Assises Internationales du Roman (AIR) à la Villa Gillet (Lyon) en mai 2015 et à l'invitation de Gilles Bonnet (Lyon 3).
Elle s'appuie sur trois dispositifs littéraires numériques contemporains qui, chacun à leur façon, et dans des acceptions très différentes du qualificatif de « numérique », prennent pour centre l'action de lire : Le projet « Reader » du collectif Téléférique (2005), mon projet « HD-Pen » (2014), le « Projet ronds-points » de Fançois Bon (2014).
"Si tu es seul à lire, ce n'est qu'un rêve, si vous lisez à plusieurs, c'est la réalité qui commence! " dit le collectif Téléférique en paraphrasant un chant populaire Brésilien. « Je suis intérieurement, ce matin, immensément heureux de la perspective d’avoir à tant habiter seul la ville totale et ouverte. Immensément confiant que ça pourra être aussi ensemble. » dit François Bon.
NB : le slideshare en ligne ne permet pas de lire le texte de la conférence, pour cela, vous devez télécharger le fichier de la présentation, l'ouvrir sous PowerPoint ou OpenOffice puis accéder aux "notes" de chaque diapositive.
Les voies du dire, entre lecture et performance - Luc Dall'Armellina
1. les voies du dire,
entre lecture et performance
Luc Dall'Armellina
Littérature numérique et performance
Journée d'études
Villa Gillet / Les Subsistances
Lyon, le 27 mai 2015
4. http://actesbranly.revues.org/109
Performance, art et anthropologie
Colloque international organisé par Caterina Pasqualino
(CNRS/EHESS) et Arnd Schneider (Université d'Oslo)
Avec la collaboration de Barthélémy Toguo, Francesco Careri,
Lucien Castaing-Taylor, Caterina Pasqualino, Catherine Choron-
Baix, Craigie Horsfield, Kjersti Larsen, George Marcus, Barbaro
Martinez-Ruiz, Miquel Barceló, Orlan, Paul Ardenne,
Richard Schechner, Lorenzo Romito, Arnd Schneider,
Marthe Thorshaug et Chris Wright
16. Gilles Deleuze, Université de St Denis-Vincennes, vérité et temps,
cours 58 du 20/03/1984, transcription : Elsa Roques,
http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=337
17. Le voyageur (texte de F. Nietzsche) par Richard Pinhas
(guitare) et Gilles Deleuze (voix)
20. 030 | 46°50’10.99 N – 0°31’59.53 E
gros art et voitures mortes, le rond-point comme annonciateur de la
détresse du monde – Ronds-Points, François Bon, 2014
21. 020 | 47°20’48.29 N – 0°38’50.74 E
avec jardinerie, vigne, pressoir et un peu de Michaux
Ronds-Points, François Bon, 2014
22. 034 | 47°22’56.18 N – 0°42’42.02 E
inondons les pauvres – une visite à Point Zéro, qui ne sera jamais rond-
point, Ronds-Points, François Bon, 2014
30. bibliographie
Giorgio Agamben, Qu'est-ce que le contemporain ? traduit de l’italien par Maxime Rovere, Ed. Rivage poche Petite Bibliothèque, 2008
Christian Biet et Sylvie Roques (dir), Performance, revue Communications 2013/1 (n° 92), Ed. du Seuil
Jorge Luis Borgès « De la rigueur de la science » dans l'Histoire universelle de l’infamie/Histoire de l’éternité,10/18, Paris (1951,1994)
Luc Dall’Armellina et al.« Ce pas qui nous élève : pour des écritures créatives, un manifeste » texte manifeste augmenté par ses annotateurs,LAL
1.3 & CC-BY-SA 4.0, conférence à l'ELO (Electronic Literature Organization) à Milwaukee Wisconsin (E.U), juin 2014
Gilles Deleuze, Université de St Denis-Vincennes, vérité et temps, cours 58 du 20/03/1984, transcription : Elsa Roques
Vilèm Flusser, Les gestes (chapitre le geste de parler), éd. HC-D'Art, 1999
Ary Goldberger, Le cœur fractal et chaotique. Dossier Pour la science, du cœur sacré à l’organe juillet 2003, n°40. P 112-115
Dick Higgins, Déclaration sur l'Intermédia, New York, 3 août, 1966. Traduction de Louise Desrenards d’après Statement on Intermedia publié
dans Wolf Vostell (rédacteur) : Dé-coll/age (décollage)* 6, Typos Verlag, Frankfurt - Something Else Press, New York, Juillet 1967.
Marcel Jousse, L'anthropologie du geste, éd. Gallimard, coll. Tel, 1974, 1975, 1978, 2008
Alberto Manguel, Une histoire de la lecture, éd. Actes Sud, 1998
Caterina Pasqualino (CNRS/EHESS) et Arnd Schneider (Université d'Oslo) (dir), Performance, art et anthropologie, Colloque international Musée
du Quai Branly, avec la collaboration de Barthélémy Toguo, Francesco Careri, Lucien Castaing-Taylor, Caterina Pasqualino, Catherine Choron-
Baix, Craigie Horsfield, Kjersti Larsen, George Marcus, Barbaro Martinez-Ruiz, Miquel Barceló, Orlan, Paul Ardenne, Richard Schechner,
Lorenzo Romito, Arnd Schneider, Marthe Thorshaug et Chris Wright - http://actesbranly.revues.org/109 novembre 2009
Pline le Jeune, Lettres I-X, éd. A. M. Guillemin, VI, 17, 3 vol., Paris, 1927, 1928
Richard Schechner, Les « points de contacts » entre anthropologie et performance, in « Performance, le corps exposé », (dir) Christian Biet et
Sylvie Roque, Communications, n°92, Le Seuil, 1993
Notes de l'éditeur
Bonjour à toutes et à tous et merci de m'avoir invité à partager avec vous nos questions sur la littérature numérique et ses liens avec la performance.
Je voudrai mener ici une réflexion à partir 3 dispositifs, 3 œuvres, diversement situées en arts, poésie et littérature, et qui permettent tous les trois d'interroger la relation de la littérature numérique avec sa lecture comme performance d’une part, et leurs rapports au numérique d’autre part.
Il s'agit de Reader, du collectif Téléférique (2003), de HD-pen, l'une de mes performances (2014), et de « Ronds-Points ou Le tour de Tours en 365 ronds-points » (2014), une série de lectures vidéo de François Bon
La performance comme pratique contemporaine de ré-invention des arts, est fille des avant-gardes (Dada, Bauhaus, Fluxus),
avec celles-ci elle a acquis son autonomie dans l'expérimentation de formes, de questions et de médias très variés
dans un principe de circulations inter-disciplinaires.
Elle s'inscrit entre représentation et intervention, c'est un faire réflexif qui donne à voir son processus et son dévoilement,
elle sollicite aussi bien le corps que les signes, concerne les arts de la scène, ceux de l'espace et du son, des lettres,
du social et du politique dans des médiations multi, poly ou intermédias.
Si l'anthropologie nourrit avec la performance des rapports riches et complexes,
c'est que cette pratique a peut-être acquis la place que ses premiers expérimentateurs
espéraient pour elle : celle d'un art affranchi des disciplines, scientifiques et artistiques
et pourtant au cœur des pratiques et des rites humains.
Dick Higgins a développé pour la performance – et avant le numérique - le terme d'art « intermédia », et pose cette question :
« Se pourrait-il que le problème central des dix années à venir approximativement, pour tous les artistes en toutes formalités possibles, soit moins que la toujours nouvelle découverte de nouveaux média et des intermédia, que davantage la nouvelle découverte des façons d’utiliser ce dont nous nous soucions à la fois convenablement et explicitement ? »
Mesurer la dialectique entre les médias est un programme très ambitieux, nous ne ferons aujourd'hui que repérer quelques pistes dans cette direction.
La performativité que s'est inventée la littérature numérique par la lecture serait-elle à même de créer des mondes habitables, c'est-à-dire partageables ?
Si tu es seul à lire, ce n'est qu'un rêve, si vous lisez à plusieurs, c'est la réalité qui commence! " dit le collectif Téléférique en paraphrasant un chant populaire Brésilien
C'est la voie qu'explore Reader : « "Reader" est un logiciel de lecture collective élaboré par quelques membres du collectif Téléférique. Que nous lisions sur écran ou sur papier, la lecture demeure une expérience individuelle. On lit seul. Etienne Cliquet, Robin Fercoq et Erational avons créé un langage informatique qui permet définir le temps de défilement du texte à l'écran en variant la vitesse des caractères, mots, lignes, phrases et blocs de ponctuation à la milliseconde prêt. Il s'agit du TRML (Temporized Reader Markup Language).
Le défilement automatique en fixant un tempo commun ouvre la lecture à une expérience partagée. Ce passage entre individu et collectif constitue selon nous le moyen de rêver ensemble. Nous appelons lecture collective la projection de textes qui défilent sur grand écran autour duquel les lecteurs se réunissent ».
« L'expérience de lecture que propose le "Reader" de Téléférique découle à la fois de l'informatique (console), du cinéma (générique de film), de la télévision (sous-titrage), l'électro-acoustique (lecteur mp3) : une culture du signal et du flux électronique. »
Ce qui caractérise peut-être le mieux Reader en regard de notre réflexion, c'est le fait que le collectif Téléférique ait nommé chacune de ses interventions publiques une démo c'est-à-dire une démonstration.
Mais que démontre réellement le projet Reader ?
Peut-être qu'un langage informatique peut être au service d'une utopie, d'un projet artistique ? (ce qui est lui rendre justice)
Que poser des questions expérimentables est une démarche artistique originale qui produit des effets sur la communauté ?
Avec Reader, lire ensemble est non seulement possible mais soumet à l'épreuve l'utopie du projet dans un laboratoire de pratiques sociales, techniques et esthétiques, un « laboratoire des différends » pour reprendre la belle expression de JF Lyotard.
HD-pen
HD-pen est un vidéo-moto-poème tourné à l'aide d'une caméra numérique embarquée lors d'un trajet aller-retour à moto, entre mon domicile à Montreuil (France, 93) et les Archives Nationales à Pierrefitte (France, 93).
Cette performance de lecture en deux langues (FR/EN) repose sur une carte, une moto, un poème, une vidéo, une musique, et s'actualise dans une performance de lecture sur prompteur, en deux langues simultanées.
La moto est dans ce dispositif, comme un stylo : elle permet d'« écrire » des lettres dans la ville, à l'échelle d'une carte.
Le poème tisse un écheveau entre la géographie des lettres sur la carte, renvoyant au personnage d'une nouvelle de Jorge Luis Borgès : « S » pour Suarez, « M » pour Miranda rapportant une fable dans laquelle il est question d'une carte à l'échelle du territoire. Le poème tisse ses fils entre vitesse et vibrations de la moto dans le trafic, entre les pensées du conducteur agité par tous les niveaux de ce voyage si proche et si lointain, qui s'écrit en se réalisant.
La carte du trajet réalisé à moto, (Montreuil-Pierrefitte) qui par son parcours précis, « écrit » sur la carte, les lettres « S » au voyage aller (environ 35 kms) , et « M » au voyage retour (environ 45 kms).
La vidéo est enregistrée durant la formation des lettres lors des voyages allers et retour aux Archives Nationales (supposées héberger la carte mythique de l'empereur du milieu de la fable de Borgès).
La musique est une improvisation jazz fusion, à la batterie et au clavier par deux jeunes musiciens (Blaise Dall'Armellina et Léon Deutschmann). Ils cherchent un thème, le trouvent, le perdent, pensent en trouver un autre, retrouvent le précédent.
Leur mouvement de création « à vue », tout en improvisation, rencontre subtilement le chaos routier de la vidéo et le flow du poème.
Lire sur un prompteur est difficile parce que la machine est constante dans sa vitesse, mais nous ne le sommes pas du tout.
Notre coeur, s'il semble constant dans ses battements, est toutefois très variable dans sa régularité, il possède non pas un métronome mais plutôt un pulseur chaotique, faisant varier nos pulsations selon notre humeur, notre état physique, émotionnel.
Le tempo est donné par la machine, mais ça ne veut pas dire que nous lui sommes totalement soumis. Avec un peu d'entrainement, on trouve ses marges d'exercice, sa liberté, son jeu, dont le risque est de manquer des mots, de les déformer, d’errer, de bredouiller, de bégayer…
Ce jeu est essentiel dans mes lectures sur prompteurs car c'est ce qui les rend non seulement possibles, mais je peux dire que sans ce jeu jusqu’au manque, de souffle, de soumis au rythme, elles ne m'intéresseraient pas.
Dans mes performances, la mise en scène de la lecture sur prompteur rejoue selon moi – et en ce sens performe (dans le sens de « rejoue » que lui donne R. Schechner) – l'addiction aux flux informationnels auxquels nous sommes exposés.
Notre soumission à leurs vitesses semble inversement proportionnelle à notre capacité à les saisir.
Elle se situe en performance par la conjonction de l'effort et du jeu nécessaire : trouver des temps de respirations, surnager au flot perpétuel des mots. Il s'agit de parvenir, malgré tout, à dépasser l'agression des flux, d'y semer des temps morts, des pauses, des suspensions, des silences.
On rencontre ici les termes avec lesquels Gilles Deleuze et Félix Guattari qualifient les moyens par lesquelles nous nous dé/re/territorialisons : galop et ritournelle, comme deux pôles symétriques constituant la musique, incarnés par le cheval et l'oiseau.
Galop et ritournelle forment la musique, qui concerne aussi bien selon moi les voix qui parlent, chantent et lisent, et qui dans ce mouvement d'étreinte corporelle, nous lisent.
Dans cette lecture, Gilles Deleuze, avec Richard Pinhas, met en pratique, l'idée qu'il développe de la musicalité de la voix
« Ronds-Points »
Dans « Ronds-Points », François Bon réalise des lectures en suivant un protocole très précis, sur des ronds-points routiers de l'agglomération de Tours.
Son projet (34 réalisés à ce jour) fait écho au livre « Le tour du jour en 80 mondes » de Julio Cortazar, auteur familier lui aussi, de l'univers de la route avec : « Les autonautes de la cosmoroute ou Un voyage intemporel Paris-Marseille » avec Carole Dunlop, roman qui a pour univers les aires de l'autoroute A6 en France.
Outre cette parenté, François Bon en a développé d'autres. On trouve sur le site de l'auteur, l'amorce du projet ronds-points, texte résultant d’une commande de Jean-Christophe Bailly (2004) pour les Cahiers de l’École nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois.
On trouve également la conviction plus ancienne encore (1998) qu'il lui faut retrouver par la lecture, une « fonction première, originelle, qui est la profération, la diction »
On trouve encore dans le texte inaugural de 2004 cité plus haut, le constat que les ronds-points sont apparus peu après que les petits commerces ont cessé de vivre un à un dans les villages, que des centre commerciaux ont poussé un peu partout leurs enseignes hors des villes, dans leur périphérie, distribués par ces « cercles paysagés », recréant une nature artificielle, donnant parfois « l'idée d'une colline ».
Ici c'est au non-lieu (Marc Augé) que pense le lecteur, mais François Bon se défend de l'usage de ce terme, car son projet est précisément d'investir de mémoire et de parole vivante, de reconnecter d'affects, ces répartiteurs de flux que sont les ronds-points.
Ces non-lieux, François Bon veut les ensemencer de langage, de paroles, en faire des lieux de mémoire et pour cela, les habiter, ne fut-ce que le temps d'une lecture, et d'un rite d' enfouissement.
L'ensemble du protocole de François Bon, comme la restitution qu'il en donne au public de ses lecteurs sur le web dépasse la seule forme de la littérature pour s'étendre du côte de la photographie, de la cartographie, de la vidéographie :
vues depuis le rond-point devenu chambre à photographier la ville (16 photos) ;
vue aérienne mappy.com avec le rond-point dans son contexte (1 copie écran) ;
vidéo lecture (6’20),
vidéo captation neutre (5’10) ;
un livre enterré (voir protocole livres enterrés) ;
Il existe dans « Les ronds points » de François Bon, un protocole dans le protocole, celui de l'enfouissement des livres.
C'est pour moi le plus étonnant qui soit parce qu'il ne porte pas tant sur la littérature comme fabrique et invention du langage que sur sa dimension symbolique et rituelle, de mémoire collective activable.
L'enterrement mis en scène systématiquement à chaque rond-point est-il celui du livre ou de la littérature ? A cette question, François Bon répond que s'il y a enterrement, c'est bien celui du livre.
Toute une part de son combat d'éditeur et d'auteur est là, à tenter de faire basculer le livre en dehors du livre qui est devenu un endroit étriqué pour la littérature en train de se faire. En dehors ou faut-il dire au delà du livre ? : sur le web, en tablettes, liseuses, performances, pour qu'un partage soit possible, et productif, avec les lecteurs, d'une manière qui n'est plus possible aujourd'hui avec le livre imprimé, pour la plupart des auteurs.
Chacun des 3 dispositifs évoqués jusqu'ici entretient des rapports singuliers à sa dimension numérique parce qu'elle opère à des niveaux d'infiltration différents, à des desseins singuliers.
Reader est une proposition artistique, socio-esthétique qui a l'originalité d'offrir la forme technique d'un langage de codage de données temporelles (TRML).
Reader n'est pas une proposition littéraire mais plutôt un dispositif de lecture d'un nouveau genre, relevant de l'Art Internet ou Net-Art. Il offre un cadre unique d'appropriation par un public, grâce à sa dimension éditable et sa nature libre et ouverte, qui ouvre à l'expérimentation d'une nouvelle modalité de l'être ensemble : lire en collectif.
HD-pen est une proposition de poésie numérique, techno-esthétique qui a la forme d'une présentation multimédia (programmée) augmentée d'une performance de lecture en deux langues simultanées.
Le lien opéré entre cartographie et dessin de lettres typographiques, flux de littérature et de transports à moto est en miroir de l'agencement multimédia (intégré) du projet.
HD-pen permet au public de faire une expérience de lecture, avec les lecteurs-performeurs, dans l'une ou l'autre langue (FR ou EN) simultanément. C'est à un lire collectif que le projet invite, avec ici deux performeurs incitateurs.
Ronds-points est une proposition de littérature performative, photographique et vidéographique qui a la forme d'une série de lectures d'extraits de livres de littérature contemporaine enregistrées en vidéo sur des ronds-points du réseau routier. A la suite de chacune d'elles, un rituel d'enfouissement du livre lu est pratiqué.
Le projet est donné au lecteur dans une forme intermédias en réseau : vidéo, texte, photographie, cartographique dans lesquels se joue à chaque fois une facette différente du projet.
Pour finir, ou plutôt pour commencer, mettre en marche la caméra puis entrer dans le champ, chercher l'endroit idéal, la posture corporelle qui convient. Se camper au sol jambes écartées, comme s'il fallait parer à toute éventualité, résister à de forts coups de vents, intérieurs comme extérieurs. Alors, solidement campé, la lecture peut commencer, avant que le livre ne disparaisse.
« L'Homme n'est vraiment homme que lorsqu'il pense et comprend sa parole. Aussi, anthropologiqument, toutes les paroles tendent à être un indéchirable complexus de verbo-rythmo-mélodisme. »
Ces trois projets se sont développés, chacun avec leurs spécificités, entraînant un certain mode d'existence numérique.
Ce mode ne me semble pas le fruit d'un choix plutôt résulter d’une approche esthétique singulière.
« Ne peut-on pas dire que les paroles qu'on prononce lorsqu'on parle, ne sont jamais (ou presque jamais) la propriété du parleur ?
(…) Les paroles prononcées pendant les gestes de parler ne sont, presque jamais possédées par le parleur. C'est au contraire, le parleur qui est possédé par les paroles pendant le geste de parler.
Lorsqu'on donne la parole à la parole, la première chose qu'elle dit est qu'elle n'est pas parlée par l'homme, mais que c'est elle qui parle par l'homme ; que ce n'est pas l'homme qui articule la langue, mais que c'est la langue qui articule l'homme. »