SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  17
Télécharger pour lire hors ligne
Mots. Les langages du
politique
87  (2008)
Chrononymes. La politisation du temps
................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Eugénie Saitta
Les journalistes politiques et leurs
sources. D’une rhétorique de
l’expertise critique à une rhétorique
du « cynisme »
................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Avertissement
Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de
l'éditeur.
Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous
réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant
toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,
l'auteur et la référence du document.
Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation
en vigueur en France.
Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition
électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).
................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Référence électronique
Eugénie Saitta, « Les journalistes politiques et leurs sources. D’une rhétorique de l’expertise critique à une
rhétorique du « cynisme » », Mots. Les langages du politique [En ligne], 87 | 2008, mis en ligne le 21 juillet 2010,
consulté le 11 octobre 2012. URL : http://mots.revues.org/12722 ; DOI : 10.4000/mots.12722
Éditeur : ENS Éditions
http://mots.revues.org
http://www.revues.org
Document accessible en ligne sur : http://mots.revues.org/12722
Ce document est le fac-similé de l'édition papier.
© ENS Éditions
Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 113Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 113
EugénieSaitta
Les journalistes politiques et leurs sources.
D’une rhétorique de l’expertise critique à une
rhétorique du «cynisme»
Les journalistes politiques français sont – et ce, de façon particulièrement
exacerbée par rapport à d’autres spécialités journalistiques – soupçonnés
de connivence avec leurs sources1. Ils se trouvent en effet confrontés à un
climat de défiance au sein des rédactions de la presse quotidienne nationale.
Des livres écrits par des journalistes dits d’investigation2, mais aussi d’an-
ciens journalistes politiques3 ou encore des dossiers spéciaux de revue4 leur
reprochent ainsi leur proximité avec le personnel politique et leur traitement
déférent et révérencieux de la politique. Ces critiques émises par les pairs se
voient confortées par des sondages d’opinion, à l’instar du baromètre annuel
Sofres-Télérama-LaCroixsurlaconfiancedesFrançaisdanslesmédias,publié
depuis 1988, où les personnes interrogées expriment leur suspicion à l’égard
des journalistes et de leur connivence supposée avec les milieux du pouvoir5.
En effet, l’autonomie, l’indépendance ou encore l’objectivité deviennent des
critères dominants dans la définition de l’excellence journalistique à partir
des années quatre-vingt/quatre-vingt-dix.
Ici, il s’agit de comprendre dans quelle mesure la distanciation à l’égard
du personnel politique dont se revendiquent les journalistes politiques trans-
forme leurs pratiques de travail quotidiennes et, plus précisément, leurs
pratiques d’écriture. Nous avons ainsi constaté l’appropriation – généralisée
à l’ensemble des quotidiens nationaux dans les années quatre-vingt-dix –
de formes textuelles que, traditionnellement, on ne rencontrait pas, ou peu,
1. Cet article est issu d’une thèse de science politique soutenue en 2006 à l’IEP de Rennes
(Les transformations du journalisme politique depuis les années quatre-vingt. Une comparai-
son France/Italie).
2. Entre autres, Serge Halimi, 1997, Les nouveaux chiens de garde, Paris, Liber-Raisons d’Agir;
EdwyPlenel,1994,Untempsdechien,Paris,Stock;DenisRobert,1996,Pendantles«affaires»,
les affaires continuent..., Paris, Stock.
3. Par exemple, Daniel Carton, 2003, Bien entendu… c’est off, Paris, Albin Michel.
4. Voir par exemple Manière de voir, «Médias et contrôle des esprits», 1995, n° 27 et, en particu-
lier, Serge Halimi, «Un journalisme de révérence», p. 14-17.
5. Voir par exemple Télérama, 27 janvier-2 février 2001.
Université de Poitiers, CRAPE, eugeniesaitta@yahoo.fr
Eugénie Saitta
114 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008
dans les formats d’expression préférentiels du journalisme politique. À partir
d’une trentaine d’entretiens réalisés avec des journalistes politiques de la
presse quotidienne nationale6 et d’observations directes au service politique
du Monde7, nous avons relevé les formes textuelles identifiées par les journa-
listes politiques comme les plus gratifiantes et souvent présentées comme
l’illustration de leur prise de distance par rapport aux sources.
L’expression d’une distanciation à l’égard des acteurs politiques dans
l’écriture de l’information politique n’est pas nouvelle. Au milieu des années
soixante-dix, Jean-Gustave Padioleau (1976) met en évidence une rhétorique
journalistique8 dominante, celle de l’expertise critique. Elle s’incarne dans
une forme textuelle en particulier, celle de l’exposé. Ce dernier, selon Padio-
leau, consiste en un «assemblage synthétique des dépêches d’agence, un
rappel de données, l’introduction des connaissances tacites ou réflexives et
des commentaires des rédacteurs spécialistes» (p. 92). Il consiste ainsi en
un mélange de data et comporte une dimension normative. Mais il se dis-
tingue du journalisme d’opinion (tel qu’il s’exerce dans la presse de parti)
car l’expression de jugements se fait sur la base d’une argumentation docu-
mentée et d’une compétence de spécialiste. Plus tard, Érik Neveu (1993)
définit une autre forme textuelle que l’on peut aussi associer à la rhétorique
de l’expertise critique, celle de l’analyse stratégique. Celle-ci se distingue
de l’exposé par sa dimension de démontage ou de décryptage des straté-
gies politiques. Plus précisément, elle présente quatre caractéristiques prin-
cipales. Elle utilise un vocabulaire concret, souvent imagé. Elle traduit les
tactiques des acteurs politiques, leurs arrière-pensées, prend position sur
leur habileté, leurs atouts, statue sur les conditions de succès de telle ou
telle stratégie. Elle s’appuie sur la mémoire politique du journaliste, sa capa-
cité à resituer les évènements dans le temps long, à les mettre en perspec-
tive, à éclairer le présent par le passé. Enfin, elle est mobilisée par des jour-
nalistes occupant des positions dominantes dans l’espace des rédactions
(chefs de service, etc.). Au total, l’exposé et l’analyse stratégique proposent
une lecture en surplomb de la vie politique, qui vise à une hauteur de vue
sur les évènements politiques et à leur mise en perspective. La rhétorique de
l’expertise critique correspond ainsi à une «stratégie du transfert de convic-
6. Le Monde, Libération, Le Figaro et Le Parisien.
7. De mi-novembre à mi-décembre 2001.
8. Le concept de rhétorique tel qu’il a été défini par Padioleau ne désigne pas seulement des pro-
cédures d’écriture, mais aussi des représentations et des pratiques journalistiques inscrites
dansunrapportdeforceentregroupesdejournalistes.Cesdernierss’approprientunecertaine
rhétoriquejournalistiquequileursertdestratégieouderessource pourobtenirunereconnais-
sance de leur statut et de leur compétence. Par exemple, au milieu des années soixante-dix,
les journalistes spécialistes de l’éducation au Monde se sont posés, face à leurs sources et
à leurs collègues, auprès desquels ils avaient l’image de militants plutôt que de véritables
journalistes, en experts critiques disposant d’une connaissance technique et approfondie des
dossiers afin de gagner en légitimité.
Les journalistes politiques et leurs sources
Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 115
tion» (Lochard, 1996) quant à la façon dont il faut percevoir et appréhender
le monde politique.
Nous faisons l’hypothèse qu’à partir des années quatre-vingt et surtout
de la décennie quatre-vingt-dix, de nouvelles formes textuelles (le récit poli-
tique, les anecdotes politiques, le décryptage de la communication politique)
mettent en scène une forme inédite de distance des journalistes politiques
à leurs sources qui se distingue de la lecture en surplomb proposée par l’ex-
posé ou l’analyse stratégique. Cesnouvellesformestextuelles, anecdotiques,
familières, ancrées dans une forme quotidienne d’effet de réel, traduiraient
un glissement progressif d’une rhétorique de l’expertise critique à une rhéto-
rique du «cynisme» (Cappella, Jamieson, 1996; Schudson, 1999)9.
Nousproposonstoutd’aborddedécrirelesformatsd’expressionpréféren-
tiels de la distance des journalistes à leurs sources à partir des années quatre-
vingt/quatre-vingt-dix (en nous concentrant sur l’exemple du récit politique),
avant d’en analyser des principes de classification et d’en élaborer une carto-
graphie, puis d’interroger les facteurs explicatifs de ce glissement d’une rhé-
torique à l’autre.
De nouveauxformats d’expression de la distance
des journalistes à leurs sources : l’exemple du récit politique
À travers nos entretiens et nos observations directes, nous avons pu iden-
tifier trois formes textuelles régulièrement citées par les journalistes poli-
tiques et qui exprimeraient leur prise de distance à l’égard du personnel
politique : le récit politique; le décryptage de la communication politique;
les anecdotes politiques. Ces formes textuelles sont, sinon nouvelles, du
moins jusque-là peu usitées dans la rubrique «Politique» des quotidiens
nationaux. Certes, leur part dans la production quotidienne de l’informa-
tion politique est certainement moindre par rapport à celle des évènements
obligés, à l’instar des voyages présidentiels qui sont systématiquement
couverts. Mais c’est moins la quantité de papiers écrits que leur statut d’ar-
ticle valorisant et valorisé aux yeux des journalistes qui nous intéresse ici.
En effet, les journalistes politiques opèrent une hiérarchisation des formes
textuelles – de la plus désuète ou inintéressante à la plus gratifiante – qui
9. Si le devoir d’irrespect et la dérision ne sont pas chose nouvelle dans la presse (Koren, 1996),
c’est le fait que le cynisme s’étende à l’information politique dans les quotidiens nationaux qui
nous intéresse ici, et plus encore, que cette posture devienne légitime et dominante dans les
années quatre-vingt-dix. Pour Cappella et Jamieson (1996) et Schudson (1999), la notion de
cynismefaitréférenceaustrategicframeemployéparlesjournalistes,quireprésentelapolitique
sous l’angle d’une lutte pour le pouvoir. Selon nous, d’autres dimensions du traitement journa-
listique participentde cettevisioncynique de la politique, comme nous leverronsplusloin.
Eugénie Saitta
116 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008
traduit leur propre vision de l’excellence professionnelle ou – pour le dire
autrement – leur rhétorique journalistique préférentielle.
Nous ne donnerons qu’une définition brève des formes textuelles de
l’anecdote politique et du décryptage de la communication politique, pour
nous pencher plus longuement sur celle du récit politique10. La première pro-
pose une lecture désacralisante ou désingularisante du champ politique qui
donne à voir la vie politique par le petit bout de la lorgnette et les acteurs poli-
tiques comme des personnes parmi d’autres : à travers un format court, elle
raconte des faits anecdotiques ou décalés, des à-côtés sous forme d’histo-
riettes. La deuxième forme textuelle propose une lecture objectivante ou uti-
litariste de la vie politique qui donne à voir celle-ci comme un ensemble de
stratégies pour l’accès au pouvoir et se concentre sur les affrontements per-
sonnels : il s’agit de révéler les coups médiatiques des élus et, par là, de signi-
fier au lecteur que le journaliste n’est pas dupe des stratégies médiatiques
des sources11.
Quant aux récits politiques, si les premiers sont publiés dès les années
soixante-dix dans la presse commerciale et se diffusent dans la décennie
quatre-vingt à l’initiative des quotidiens créés dans la décennie précédente,
comme Le Quotidien de Paris, Le Matin de Paris ou encore Libération, ils ne
s’imposent au Figaro et dans le journal de référence Le Monde que dans les
années quatre-vingt-dix. Au départ, le récit politique souffrait en effet d’un
déficit de légitimité : considéré comme un genre divertissant mais mineur, il
était le fait de journalistes femmes, à l’instar de Françoise Berger à Libération,
cantonnées à des spécialités dominées du journalisme politique12.
Le récit politique offre une lecture désacralisante de la vie politique. Les
acteurs politiques sont à la fois présentés comme plus proches (des hommes
et des femmes comme les autres) et montrés dans des situations malaisées,
parfois ridicules.
Je me rappelle, par exemple, pendant la campagne de 95, on avait fait un papier
sur la campagne des seconds couteaux, où on s’est amusé comme des petits fous
parce qu’on suivait les partis des principaux candidats et puis, moi, on m’avait
raconté des tonnes d’histoires là-dessus que j’avais trouvées formidables sur,
effectivement, les seconds couteaux qui vont faire leur petite campagne et leurs
petits meetings… Quand le grand chef réunit, je sais pas, 200 personnes, lui il en
10. La contrainte d’espace nous a conduit à ne développer que le cas du récit politique, qui nous
semble le plus intéressant car il combine lecture désingularisante et lecture utilitariste de la
vie politique.
11. Le décryptage de la communication politique se différencie de l’analyse stratégique en ce qu’il
met en scène le média lui-même et les interactions entre les journalistes et le personnel poli-
tique. Voir Esser, Reinemann et Fan, 2001.
12. «Je me souviens qu’ici, très vite, […] tout le monde riait des papiers de Françoise [Berger]. Les
messieurs journalistes de la politique continuaient à trouver ça génial mais ne se sentaient
pas menacés, oui, c’était un succès, mais dans leur esprit ça restait un genre mineur.» (Entre-
tien, 14 octobre 2005)
Les journalistes politiques et leurs sources
Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 117
réunit 25 et puis quand l’autre est accueilli par les militants, dort dans un truc [à
l’hôtel], etc., l’autre il prend son train de nuit et dans le train de nuit – c’était surtout
ça l’image qui m’avait frappée parce que je sais qu’on l’avait raconté, c’était dans
un corail entre Paris et Tulle, le dernier corail qui partait, qui rentrait à Paris genre
à 1 h du matin, qui passait en gare de Tulle – s’étaient retrouvés avachis au bar qui
était fermé ou dans la voiture, François Hollande à l’époque et je ne sais plus quels
gens de droite qui rentraient chacun d’un meeting. C’était cette espèce de solida-
rité de la nuit des seconds couteaux13.
Le récit politique utilise un double registre d’empathie et d’ironie, de fascina-
tion et de répulsion.
Ça venait de la […] démarche de parler plus des hommes qui faisaient la politique
que des idées politiques qu’ils avaient. […] On a beaucoup plus raconté les gens
qui la faisaient et moi je sais que très franchement, ma passion, pourquoi j’ai aimé
la politique, parce que j’ai aimé les gens qui la faisaient. Je trouve que c’est des
drôles de bêtes, je trouve que c’est des gens qui sont intéressants même quand
ils sont médiocres, et qu’à un moment donné ils ont choisi de s’exposer et ils sont
plein de violence, ils se haïssent, ils se battent, ils souffrent parce qu’ils sont tout
en haut et qu’ils redescendent tout en bas quand ils sont battus, parce que ce sont
deshommespublics, comme desacteurs, jereviensà mon image de spectacle. Moi
ce qui m’a profondément plu en politique, c’étaient ceux qui la faisaient. Voir de
près un Chirac c’est formidable, voir de près un Jospin c’est formidable. Donc on est
aussi plus attiré par ce qui les rend palpables, tout autant, voire plus que par leurs
discours ou leur force politique proprement dite14.
En somme, le récit politique, d’une part, s’intéresse aux anecdotes, histoires,
échos, bavardages, c’est-à-dire auxà-côtés de l’information politique obligée
ou incontournable et, d’autre part, opère une personnalisation de la politique
en portant attention aux personnages dans leurs traits de personnalité et de
comportement, en les portraiturant.
Les explications suivantes pourront être lues à l’appui de l’exemple d’un
récit politique publié dans Libération, que nous avons reproduit et commenté
(figure 1, p. 120). Plusieurs procédés discursifs permettent d’exprimer cette
lecture de la politique qui cherche à en montrer les coulisses comme si le lec-
teur y était. Les journalistes ont ainsi recours à ce que Roland Barthes (1982) a
appelé«l’effetderéel»,quiobéitprincipalementàtroisprocédésdiscursifs.Le
premier est celui de la description (par opposition à la narration) ou de l’hypo-
typose (figure de style consistant à décrire une scène de manière si frappante
qu’oncroitlavivre),composée,selonl’auteur,de«détailsinutiles»,de«nota-
tions insignifiantes», et qui n’a d’autre fonction que de produire un «effet de
réel» ou une «illusion référentielle» : elle dénote le «réel concret» (menus
13. Entretien, 22 mai 2003 : ancienne journaliste politique du Monde, diplômée de Sciences-Po
Paris et du CFJ, âgée d’une quarantaine d’années.
14. Idem.
Eugénie Saitta
118 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008
gestes, attitudes transitoires, objets insignifiants, paroles redondantes),
«l’avoir été là» des choses. Le deuxième réside dans la structure du récit sous
la forme d’une succession temporelle d’actions, d’une transformation de cer-
taines propriétés initiales des actants et d’une mise en intrigue (Adam, 1999;
Charaudeau, Maingueneau, 2002, p. 239). Le troisième consiste à utiliser le
discours rapporté (des énoncés qui conservent des indices de leur extério-
rité) ou le dialogue, en procédant à l’identification des sources (Charaudeau,
1997). L’effet de réel vise ainsi à produire un effet de preuve ou d’authentifi-
cation de la scène rapportée par le journaliste. Il recherche aussi un effet de
témoignage, en signalant par des embrayeurs ou des déictiques15 la présence
du journaliste ou la présence de la situation d’énonciation. Ainsi, le journa-
liste est transformé en narrateur omniscient ou en témoin omniprésent (qu’il
soit un témoin direct ou délégué).
Par ailleurs, le récit politique propose aussi une lecture utilitariste de la vie
politiquequis’exprimenotammentàtraversuncadragedelapolitiquecomme
un jeu où s’affrontent des concurrents dont les choix stratégiques visent à la
conquête du pouvoir. Les actions politiques sont analysées comme des coups
tactiques, des logiques de carrières, des stratégies médiatiques.
Enfin,certainsdecesprocédésdiscursifsmettentenjeularelationdujour-
naliste à ses sources telle que ce premier veut la donner à voir. Ainsi, la sélec-
tion des éléments de discours à rapporter (partielle/totale), l’identification
des locuteurs d’origine (partielle/totale/absente) et la manière de rapporter
le discours d’origine (cité/intégré/narrativisé/évoqué) entrent dans des
stratégies soit de mise à distance, soit, au contraire, d’appropriation (ou d’as-
sumation) du discours de la source par le journaliste. La polyphonie (énoncés
où plusieurs voix se font entendre simultanément) du récit politique corres-
pond à plusieurs stratégies : rendre authentique en montrant qu’on rapporte
les paroles mêmes; mettre à distance, parce que l’énonciateur n’adhère pas
aux propos cités; se montrer objectif, sérieux. De même, la fonction expres-
sive (Jakobson, 1963) estun autre procédé pour signaler le rapportque le jour-
naliste entretient à ses sources. Par exemple, par l’ironie verbale ou par anti-
phrase, le journaliste subvertit la parole de la personne qu’il cible et produit
ainsi un effet de mise à distance.
15. L’embrayage désigne l’ensemble des opérations par lesquelles un énoncé s’ancre dans sa
situation d’énonciation et met donc en scène la présence du journaliste. Les embrayeurs (ou
déictiques) de personnes («je», «mon», «le mien», etc.), temporels (les marques de pré-
sent/futur/passé attachées au verbe; les mots ou groupes de mots à valeur temporelle,
comme «hier», «demain») et spatiaux (désignant le lieu, comme «ici», «là-bas», «ça»),
constituent des marques linguistiques à travers lesquelles se manifeste l’énonciation.
Les journalistes politiques et leurs sources
Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 119
En somme, le récit politique propose une vision désacralisée et désacrali-
sante de l’univers politique, ainsi qu’une lecture objectivante des règles du
jeu et de la compétition politiques. Il correspond à une stratégie du dévoile-
ment des coulisses de la politique et à une rhétorique du cynisme. Le terme
cynisme désigne un mépris des conventions sociales, de l’opinion publique,
des idées reçues, généralement fondé sur le refus de l’hypocrisie et/ou sur
le désabusement, souvent avec une intention de provocation. Il signifie par
extension affectation d’impudence, c’est-à-dire une attitude volontairement
offensante, effrontée, ou contraire à la bienséance16. Certes, les journalistes
dominants partagent avec le personnel politique certains principes de vision
du monde (Neveu, 2003), mais leur posture d’écriture recouvre la dimension
de désabusement et d’impudence comprise dans le cynisme.
Soulignons tout de même trois éléments de continuité entre le récit poli-
tique et les formes textuelles de l’exposé et de l’analyse stratégique : une
définition institutionnelle de la politique et de ses frontières; une proximité
obligée desjournalistesà leurssources(interdépendance fonctionnelle); une
dimension microcosmique de l’information politique qui s’adresse avant tout
à des lecteurs initiés.
Tableau 1 :
Synthèse des caractéristiques du récit politique dans la presse quotidienne nationale
Récit politique
Modes
de recueil des
informations
Journalistes – En majorité des femmes
– Couvrant des domaines de l’information
politique peu cotés
Relation aux
sources
– Proximité, entregent, familiarité
– Posture d’écoute, sens de la psychologie
Signature – Collective (article écrit à plusieurs)
Procédés
discursifs
et effets
recherchés
«Effet de réel»,
d’authentification
et de témoignage
– Description
– Discours rapporté
– Embrayeurs
Signaler
sa distance
– Manières de rapporter le discours
– Ironie (fonction expressive ou émotive)
– Cadrage de la politique comme un jeu
Lecture proposée – Désacralisante ou «dé-singularisante»
– Objectivante ou utilitariste
Rhétorique – Cynisme/stratégie du dévoilement
16. Définition issue du Trésorde la langue française.
Eugénie Saitta
120 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008
Figure 1 : Le récit politique à Libération.
Une stratégie de dévoilement du monde politique
Quand Dany dîne chez son ami Lionel. « On se tutoie, c’est la tradition à gauche »,
a décidé le chef du gouvernement.
Minuit sonne, et « Dany » est toujours là.
Dans la salle à manger de « Lionel », qui
lui a servi un steak, un bout de fromage,
avec un peu de rouge. Ce qu’il y avait dans
le frigo, en somme. C’était mardi soir, rue
du Regard à Paris. Lionel Jospin rece-
vait, chez lui, Daniel Cohn-Bendit. Syl-
viane, l’épouse, a salué l’invité, puis s’est
éclipsée. Histoire de le (ou se) détendre,
Jospin a dit, d’entrée : « On se tutoie,
c’est la tradition à gauche ». La rencontre
a failli devenir chimère, elle fut finale-
ment des plus simples. Presque trop. Il y
a une semaine, Matignon avait appelé le
bureau bruxellois du député européen.
Non sans avoir mûrement réfléchi au
décor. La tête de liste des Verts aux euro-
péennes avait insisté pour être reçue par
Jospin au lendemain du scrutin. Le rece-
voir très officiellement à Matignon,
c’était reconnaître son score. Le ren-
contrer pour le sermonner, c’était ris-
quer le coup de vieux. Jouer la compli-
cité militante, le soir après le travail,
c’est absorber un peu de l’effet Cohn-
Bendit. Jospin affable. Il était content,
flatté, d’ailleurs, l’ancien leader de 68.
Lui qui ne ratait jamais une pique contre
ce Premier ministre qu’il n’avait jamais
rencontré a eu droit au joli mois de mai
de Jospin, alors fonctionnaire au Quai
d’Orsay, droit de dire aussi au Pre-
mier ministre ce qu’il pense de la situa-
tion des sans-papiers ou encore des dis-
cours dominants sur la drogue. Et Lionel
Jospin, étrangement affable, a dit : « Oui,
ça, d’accord », puis : « Ça, je ne com-
prends pas ». Cohn-Bendit assure n’avoir
pas même reçu un reproche pour ses atta-
ques contre Jean-Pierre Chevènement.
« On s’est expliqué nos positions en fonc-
tions de notre histoire. Il m’a dit sa vision
de la politique, m’a raconté ses ruptures. »
Les deux hommes ont même évoqués
ces moments ou la politique « prend trop
de place » dans la vie. Mais aucun n’a
convaincu l’autre. Daniel Cohn-Bendit
a répondu au Premier ministre qui l’in-
terrogeait sur son envie de revenir en
France, tout en assurant qu’il y avait peu
de chances qu’il soit candidat à la mairie
de Paris. Pour sa part, Lionel Jospin a fait
comprendreauVert,quiaimelechatouiller
du côté de sa destinée présidentielle, qu’il
ne tient pas à en parler : « Parce que je suis
Premier ministre, parce que c’est contre-
productif ». Retour à 0h30. Cohn-Bendit
avait révisé avant de venir. Une heure avec
Dominique Voynet, au ministère de l’envi-
ronnement et de l’Aménagement du terri-
toire. Rien ne s’est fait sans elle, qui avait
même réitéré la demande de rendez-vous
auprès du Premier ministre. Il avait aussi
travaillé avec Pascal Perrineau, cher-
cheur au Cevipof (centre d’étude de la vie
politique), sur les enseignements des élec-
tions européennes. Il est donc venu chez
Lionel Jospin avec quelques chiffres, pour
lui expliquer « la perspective » des Verts,
ou encore pourquoi il recommande pour
les municipales un « premier tour identi-
taire » et « un manifeste de la gauche plu-
rielle » au second tour. Cohn-Bendit est
parti à minuit trente, non sans avoir invité
« Lionel » à venir le voir dans sa résidence
secondaire du sud de la France. Hier matin,
Matignon racontait un Jospin « très satis-
fait de sa soirée ». « Lionel » n’a même pas
donné sa rituelle consigne de silence à son
nouvel ami. Lequel était probablement
invité à raconter en long et en large l’hos-
pitalité de son hôte.
Copyright Libération,
10 septembre 1999, Judith Perrignon.
Les journalistes politiques et leurs sources
Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 121
Les procédés discursifs produisant un « effet de réel » :
–Le Discours Rapporté (souligné dans le texte) :
– de nombreux extraits (23 occurrences).
– La Description (hypotypose) :
– déictiquestemporels(«minuitsonne»,«mardisoir»,«retourà0h30»,etc.);
scène-type (« “Lionel”, qui lui a servi un steak un bout de fromage, avec un
peu de rouge ») ;
– personnages et leur état émotionnel (« Jospin affable », « Il était content,
flatté », etc.) ;
– mimétisme entre le registre de langue relâché du journaliste et la situation
décritecommedétendue,«desplussimples»:«avecunpeuderouge»(méto-
nymie).
– LeTémoignage :
– Le journaliste est un témoin « délégué » qui raconte à partir du témoignage de
la source de l’information (vu et entendu par) ; celle-ci s’incarne dans le récit
sous la forme d’un personnage (ici, Daniel Cohn-Bendit).
Les procédés discursifs produisant une lecture utilitariste du champ politique :
– Cadrage du jeu politique.
– Un élément d’analyse stratégique (style indirect libre en gras dans le texte).
– Signaler sa distance grâce à l’ironie (« son nouvel ami »).
– Manières de rapporter le discours :
– citations dominantes : « évoquées » (9 occurrences) et « directes » (6), qui
marquent une distanciation du journaliste au dit rapporté ;
– citations secondaires : « narrativisées » (6) et « intégrées » (2), qui tendent
à effacer la source et marquent l’appropriation (« assumation ») du « dit rap-
porté » par le journaliste ;
– identification partielle des sources (en italique dans le texte), qui s’adresse
à un lecteur initié, mais qui signale aussi une moindre déférence à l’égard
du personnel politique : par le titre ou la fonction (12 fois) ; par le nom et le
prénom (8) ; par le nom seul(7) ; par le seulprénom (7) ; par le prénom, le nom
et la fonction (1).
Eugénie Saitta
122 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008
Plusieurs hypothèses, que nous ne développerons pas ici, peuvent être
avancées pour expliquer l’usage du récit dans les pages Politique des quo-
tidiens nationaux. Tout d’abord, il peut être lu comme un effet de la féminisa-
tion du journalisme politique. Ces innovations ont en effet été portées par des
femmes occupant une position dominée dans les services politiques (Saitta,
2006). Ensuite, on peut supposer une convergence de ces nouveaux formats
aveclesattentescommercialesdesdirectionsde journaux: psychologisation,
personnalisation (Neveu, 2000). Enfin, la plus grande accessibilité du per-
sonnel politique, le développement et la professionnalisation de la commu-
nication politique ont démultiplié les informations à disposition des journa-
listes. On observe, par ailleurs, des intérêts partagés entre les journalistes et
le personnel politiques pour la promotion de récits à tendance biographique
ou psychologisante (Le Bart, 2005), celle-ci s’inscrivant dans un processus de
«privatisation» de la vie politique (Neveu, 2003).
Cartographie des formats préférentiels d’expression
de la distance des journalistes à leurs sources
Après avoir décrit le fonctionnement des formats d’expression de la dis-
tance des journalistes politiques à leurs sources mobilisés depuis les années
soixante-dix,nousproposonsd’enélaborerunecartographie.Àpartirdespro-
positions de différents auteurs pour catégoriser des genres journalistiques,
nous avons construit trois axes.
Le premier, vertical, représente le «mode discursif dominant» (Charau-
deau, 1997) de la forme textuelle. Il se décline en un pôle descriptif/narratif et
un pôle argumentatif. Et se double d’une tension entre l’évènement rapporté
(faits ou/et dits rapportés) et l’évènement commenté (le pourquoi et le com-
ment de l’évènement rapporté).
Le deuxième axe, diagonal, représente l’ethos (au sens de Maingueneau,
2002). L’ethos désigne la façon dont l’énonciateur se laisse appréhender
comme une voix et un corps, ou encore comme un caractère et une corpora-
lité. Le deuxième axe se distribue entre un pôle «corporalisation» et un pôle
«caractérisation» (Ringoot, Rochard, 2005). D’un côté, le corps et le faire du
journaliste sont mis en scène dans l’article, le lecteur se trouve pris dans l’ac-
tion avec le journaliste, de sorte que se crée entre eux une proximité physique
et émotionnelle. De l’autre, le pensé et le ressenti du journaliste sont mis en
scène, le lecteur est pris dans un dialogue virtuel avec le journaliste, de sorte
que se crée entre eux une proximité intellectuelle et émotionnelle.
Le troisième axe représente la «visée communicative» (Lochard, 1996) de
la forme textuelle. Il est composé de deux pôles représentant, d’un côté, une
visée informative et, de l’autre, une visée persuasive. Ou encore, on pourrait
Les journalistes politiques et leurs sources
Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 123
reprendre là la distinction faite par Ruth Amossy (Amossy, Koren, 2004) entre
la dimension et la visée argumentatives. La première désigne un discours qui
n’a pas l’intention délibérée d’agir sur l’auditoire en lui faisant adopter une
position déterminée mais qui n’en oriente pas moins sa réflexion, tandis que
la seconde indique une prise de parole qui entend défendre une thèse et agir
sur l’auditoire.
Les formes textuelles situées dans la partie supérieure gauche de la figure 2
correspondentà une rhétorique du «cynisme»visantau dévoilementdescou-
lisses de la politique : le journaliste se pose comme témoin, il crée un «effet
de réel»visantà faire croire à la réalité de ce qu’ilditetopère ainsi une «trans-
formation réaliste» (Barthes, 1982).
Lesformestextuellessituéesdanslapartieinférieuredroitecorrespondent
à une rhétorique de l’expertise critique visant au «transfert de conviction sur
la façon dont il faut percevoir et appréhender» (Lochard, 1996) le monde poli-
tique : par des jeux démonstratifs et une posture évaluative, prescriptive, le
journaliste met en scène son pensé; il adopte une stratégie didactique.
Figure 2 : Cartographie des formats d’expression de la distance des journalistes
politiques à leurs sources
Anecdotes poliques
Récit politique
Décrytage de la
communication
politique
Informative
Corporalisant
Descriptif / Narratif
Rhétorique
du cynisme
Stratégie du
dévoilement
Rhétorique de
l’expertise critique
Stratégie du transfert
de conviction
Analyse stratégique
Exposé
Évènement rapporté
Persuasive
Caractérisant
Argumentatif
Événement CommentéLégende :
Formats d’expression
communément utilisés
Zone préférentielle
124 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008
Eugénie Saitta
Globalement, les journalistes politiques délaissent dans une certaine mesure
la rhétorique de l’expertise critique pour investir plus fortement la rhétorique
du «cynisme». Dans la figure 2, l’espace des formats d’expression de la dis-
tance qu’ils mobilisent de façon préférentielle correspond à la moitié gauche.
Ce glissement d’une rhétorique à l’autre s’effectue au cours des années
quatre-vingt/quatre-vingt-dix. Il révèle une évolution dans le type de mise à
distance que les journalistes politiques opèrent à l’égard de leurs sources.
Les facteurs explicatifs d’un glissement de la rhétorique
de l’expertise critique à une rhétorique du «cynisme»
au cours des années quatre-vingt/quatre-vingt-dix
Le glissement d’une rhétorique de l’expertise critique à une rhétorique du
«cynisme» s’explique à la fois par l’évolution des interdépendances entre
journalisme et politique et par les transformations du champ journalistique
depuis les années quatre-vingt/quatre-vingt-dix17 (tableau 2, p. 126).
Premier élément d’explication : ce glissement correspond à un infléchis-
sement de l’«enchantement» politique des journalistes politiques. Alors que
la rhétorique de l’expertise critique impliquait une adhésion aux principes
de fonctionnement du champ politique, un enchantement, la rhétorique du
«cynisme» provient d’un désenchantement qui prend la forme d’une «cri-
tique politisée» (Gaxie, 2001)18. Ainsi, la croyance des journalistes politiques
en la capacité de la politique à changer le monde, leur investissement dans un
clivage droite/gauche perçu comme porteur de sens et de projets politiques
et leur respect pour la classe politique sont amoindris. Cette évolution est à
mettre en lien avec les transformations des modes de socialisation politique
et professionnelle des journalistes politiques, de leur parcours de formation
et de leurs repères cognitifs, de leurs caractéristiques sociographiques (fémi-
nisation). En somme, on voit là les effets de l’arrivée d’une nouvelle généra-
tion de journalistes politiques à partir de la fin des années quatre-vingt et,
surtout, des transformations dans le recrutement et la gestion des ressources
humaines dans les quotidiens nationaux.
Deuxièmeélémentd’explication:àpartirdesannéesquatre-vingt,ledésen-
gagement partisan des quotidiens nationaux qui se désolidarisent des posi-
tionnements de partis qu’ils avaient soutenus jusque-là va de pair avec une
injonction à l’objectivité journalistique. L’élection de François Mitterrand à
la présidence de la République en 1981 a contribué à une neutralisation des
17. Pour de plus amples développements, voir Saitta, 2006.
18. Toutefois, ce désenchantement ne signifie pas que l’illusio politique ne fonctionne plus chez
les journalistes politiques. Au contraire, ces derniers adhèrent aux règles du jeu politique et y
restent fortement investis.
Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 125
Les journalistes politiques et leurs sources
journauxdegauchequis’esttraduite,parexempleàLibération,cetteannée-là,
par la mise à l’écart des journalistes réputés les plus militants (juhem, 2001).
Cette objectivité est avant tout formelle. Elle s’exprime par exemple dans la
séparation physique des faits et des commentaires, ces derniers étant cir-
conscritsdansdesespacesà part, comme lesrubriques«Débatsetopinions»
au Figaro, «Rebonds» à Libération à partir de 1988, «Horizons-Débats» au
Monde à partir de 1989 ou encore «Tribune libre» à L’Humanité à partir de
1999. Ces espaces sont réservés à des paroles extérieures, ce qui permet aux
journaux de se désolidariser des opinions qui s’expriment dans leurs pages
(Lettieri, 2002). De même, l’éditorial qui, par son genre, est pourtant auto-
risé à pratiquer l’engagement personnel, connait un processus «d’objectiva-
tion discursive». Koren (2004) met en évidence l’usage d’une «rhétorique de
la neutralisation de la prise de position» dans l’éditorial et Jufer et Herman
(2001) montrent comment, en parlant de plus en plus au nom d’une opinion
publique, la voix de l’éditorialiste tend à se désubjectiviser. Ainsi le droit à la
parole des journalistes politiques est-il conditionné par le recours aux appa-
rences neutres ou aux effets d’objectivité.
Troisième élément d’explication : les contraintes économiques et profes-
sionnelles se conjuguent pour délégitimer le modèle d’excellence profes-
sionnelle porté par le journalisme politique. D’un côté, on constate une ina-
daptation de la rhétorique de l’expertise critique et de ses formes textuelles
préférentielles aux impératifs commerciaux : par exemple, la réduction de la
taille moyenne des articles décourage les longs développements qu’on trou-
vait dans l’exposé ou l’analyse stratégique. D’un autre côté, on constate une
stigmatisation de la rhétorique de l’expertise critique qui ne correspond pas
aux standards professionnels prônés par un groupe concurrent et montant au
sein des rédactions : les journalistes d’investigation et les reporters issus des
Informations générales. La rhétorique de l’expertise critique se voit critiquée
pour sa dimension littéraire et normative, son ésotérisme et les rapports de
proximité avec le personnel politique, qu’elle rend nécessaires de la part des
journalistes.
En somme, ce passage tendanciel d’une rhétorique à une autre peut se
lire comme l’effet d’un triple processus de dépolitisation du journalisme
politique, entendue comme un désenchantement politique des journa-
listes, un désengagement partisan des titres de presse et enfin un déclas-
sement du journalisme politique au sein des rédactions de la presse quoti-
dienne nationale.
Eugénie Saitta
126 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008
Tableau 2 : Les facteurs explicatifs d’un glissement d’une rhétorique de l’expertise
critique à une rhétorique du «cynisme» au tournant des années quatre-vingt-dix
Rhétorique de
l’expertise critique
Rhétorique du
«cynisme»
Période Années soixante-
dix/début des
années quatre-vingt
À partir des années
quatre-vingt /quatre-
vingt-dix
État des
relations
entre
champs
journalis-
tique et
politique
Structuration
de la presse
quotidienne
nationale
– Presse
polarisée (majo-
rité/opposition;
droite/gauche)
– Presse désengagée
des positionnements
partisans/Logique
commerciale
dominante
Rapport des
journalistes au
politique
– Engagement poli-
tique et militant
– «Enchantement»
– Désengagement
– «Désenchantement»
et «critique politisée»
Transforma-
tions
du champ
journalis-
tique
Impératifs
économiques
– Pression
économique
moindre
– Hyperconcurrence
du marché
journalistique
Réorganisa-
tion des hiérar-
chies profes-
sionnelles
– Position
dominante des
journalistes
politiques au sein
des rédactions
– Déclassement
du journalisme
politique
Formats d’expression
préférentiels
– Exposé
– Analyse
stratégique
– Éditorial
– Récit politique
– Décryptage de la com-
munication politique
– Anecdotes et
«à-côtés»
politiques
Formes de distanciation
aux sources
– Lecture en
surplomb de la
politique (prise de
hauteur et mise en
perspective)
– Lecture utilitariste de
la politique
– Lecture désacralisante
de la
politique
Stratégie
de communication
– Transfert de
conviction surla
façon dont il faut
percevoiret
appréhenderle
monde politique
– Dévoilement
des coulisses de
la politique
Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 127
Les journalistes politiques et leurs sources
Références
Adam Jean-Michel, 1999, Le récit, Paris, PUF.
Amossy Ruth, Koren Roselyne, 2004, «Présentation», Semen, n° 17, http://semen.
revues.org/document2305.html
Barthes Roland, 1982, «L’effet de réel», R. Barthes, G. Genette, T. Todorov éd.,
Littérature et réalité, Paris, Le Seuil, p. 81-90.
Cappella Joseph N., Jamieson Kathleen H., 1996, «News frames, political cynicism
and media cynicism», The Annals of the American Academy of Political and Social
Science, vol. 546, n° 1, p. 71-84.
Charaudeau Patrick, 1997, Le discours de l’information médiatique. La construction du
miroirsocial, Paris, Nathan.
Charaudeau Patrick, Maingueneau Dominique, 2002, Dictionnaire d’analyse et de
discours, Paris, Le Seuil.
EsserFrancketal.,2001,«SpindoctorsintheUnitedStates,GreatBritainandGermany.
Metacommunication about media manipulation», Press/Politics, vol. 6, p. 16-45.
Gaxie Daniel, 2001, «Les critiques profanes de la politique. Enchantements, désen-
chantements, réenchantements», J.-L. Briquet, P. Garraud éd., Juger la politique,
Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 217-240.
Herman Thierry, Jufer Nicole, 2001, «L’éditorial, “vitrine idéologique du journal”?»,
Semen, n° 13.
JakobsonRoman,1963,Essaisdelinguistiquegénérale.T.1:Lesfondationsdulangage,
Paris, Minuit.
Juhem Philippe, 2001, «Alternances politiques et transformation du champ de l’infor-
mation en France après 1981», Politix, n° 56, p. 185-208.
Koren Roselyne, 2004, «Argumentation, enjeux et pratique de l’“engagement
neutre” : le cas de l’écriture de presse», Semen, n° 17, http://semen.revues.org/
document2308.html
— 1996, Les enjeux éthiques de l’écriture de presse et la mise en mots du terrorisme,
Paris, Montréal, L’Harmattan.
LeBartChristian,2005,«Laconstructionsocialedugenre“livrepolitique”»,L.Arnaud,
C. Guionnet éd., Les frontières du politique, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, p. 27-48.
Lettieri Carmela, 2002, «Formes et acteurs des débats publics contemporains. Les
tribunes publiées dans la presse quotidienne en Italie et en France», doctorat de
sciences de l’information et de la communication sous la direction de Rémy Rieffel,
IFP, Université Paris 2.
Lochard Guy, 1996, «Genres rédactionnels et appréhension de l’événement
médiatique. Vers un déclin des modes “configurants”?», Réseaux, n° 76, p. 3-102.
Neveu Érik, 2003, «Privatisation et informalisation de la vie politique», Y. Bonny,
J.-M. de Queiroz, É. Neveu éd., Norbert Elias et la théorie de la civilisation. Lectures
et critiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 185-207.
Eugénie Saitta
128 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008
— 2000, «Le genre du journalisme. Des ambivalences de la féminisation d’une
profession», Politix, vol. 13, n° 51, p. 179-212.
— 1993, «Pages “Politique”», Mots. Les langages du politique, n° 37, p. 6-28.
PadioleauJean-Gustave,1976,«Systèmesd’interactionetrhétoriquesjournalistiques»,
Sociologie du travail, vol. 18, n° 3, p. 256-282.
Ringoot Roselyne, Rochard Yves, 2005, «Proximité éditoriale : normes et usages des
genres journalistiques», Mots. Les langages du politique, n° 77, p. 73-91.
SaittaEugénie,2006,«Lestransformationsdujournalismepolitiquedepuislesannées
quatre-vingt. Une comparaison France/Italie», doctorat de science politique sous
la direction d’ÉrikNeveu, Université Rennes 1.
Schudson Michael, 1999, «Social origins of press cynism in portraying politics»,
American Behaviorist Scientist, vol. 42, n° 6, p. 998-1008.

Contenu connexe

En vedette

2024 State of Marketing Report – by Hubspot
2024 State of Marketing Report – by Hubspot2024 State of Marketing Report – by Hubspot
2024 State of Marketing Report – by HubspotMarius Sescu
 
Everything You Need To Know About ChatGPT
Everything You Need To Know About ChatGPTEverything You Need To Know About ChatGPT
Everything You Need To Know About ChatGPTExpeed Software
 
Product Design Trends in 2024 | Teenage Engineerings
Product Design Trends in 2024 | Teenage EngineeringsProduct Design Trends in 2024 | Teenage Engineerings
Product Design Trends in 2024 | Teenage EngineeringsPixeldarts
 
How Race, Age and Gender Shape Attitudes Towards Mental Health
How Race, Age and Gender Shape Attitudes Towards Mental HealthHow Race, Age and Gender Shape Attitudes Towards Mental Health
How Race, Age and Gender Shape Attitudes Towards Mental HealthThinkNow
 
AI Trends in Creative Operations 2024 by Artwork Flow.pdf
AI Trends in Creative Operations 2024 by Artwork Flow.pdfAI Trends in Creative Operations 2024 by Artwork Flow.pdf
AI Trends in Creative Operations 2024 by Artwork Flow.pdfmarketingartwork
 
PEPSICO Presentation to CAGNY Conference Feb 2024
PEPSICO Presentation to CAGNY Conference Feb 2024PEPSICO Presentation to CAGNY Conference Feb 2024
PEPSICO Presentation to CAGNY Conference Feb 2024Neil Kimberley
 
Content Methodology: A Best Practices Report (Webinar)
Content Methodology: A Best Practices Report (Webinar)Content Methodology: A Best Practices Report (Webinar)
Content Methodology: A Best Practices Report (Webinar)contently
 
How to Prepare For a Successful Job Search for 2024
How to Prepare For a Successful Job Search for 2024How to Prepare For a Successful Job Search for 2024
How to Prepare For a Successful Job Search for 2024Albert Qian
 
Social Media Marketing Trends 2024 // The Global Indie Insights
Social Media Marketing Trends 2024 // The Global Indie InsightsSocial Media Marketing Trends 2024 // The Global Indie Insights
Social Media Marketing Trends 2024 // The Global Indie InsightsKurio // The Social Media Age(ncy)
 
Trends In Paid Search: Navigating The Digital Landscape In 2024
Trends In Paid Search: Navigating The Digital Landscape In 2024Trends In Paid Search: Navigating The Digital Landscape In 2024
Trends In Paid Search: Navigating The Digital Landscape In 2024Search Engine Journal
 
5 Public speaking tips from TED - Visualized summary
5 Public speaking tips from TED - Visualized summary5 Public speaking tips from TED - Visualized summary
5 Public speaking tips from TED - Visualized summarySpeakerHub
 
ChatGPT and the Future of Work - Clark Boyd
ChatGPT and the Future of Work - Clark Boyd ChatGPT and the Future of Work - Clark Boyd
ChatGPT and the Future of Work - Clark Boyd Clark Boyd
 
Getting into the tech field. what next
Getting into the tech field. what next Getting into the tech field. what next
Getting into the tech field. what next Tessa Mero
 
Google's Just Not That Into You: Understanding Core Updates & Search Intent
Google's Just Not That Into You: Understanding Core Updates & Search IntentGoogle's Just Not That Into You: Understanding Core Updates & Search Intent
Google's Just Not That Into You: Understanding Core Updates & Search IntentLily Ray
 
Time Management & Productivity - Best Practices
Time Management & Productivity -  Best PracticesTime Management & Productivity -  Best Practices
Time Management & Productivity - Best PracticesVit Horky
 
The six step guide to practical project management
The six step guide to practical project managementThe six step guide to practical project management
The six step guide to practical project managementMindGenius
 
Beginners Guide to TikTok for Search - Rachel Pearson - We are Tilt __ Bright...
Beginners Guide to TikTok for Search - Rachel Pearson - We are Tilt __ Bright...Beginners Guide to TikTok for Search - Rachel Pearson - We are Tilt __ Bright...
Beginners Guide to TikTok for Search - Rachel Pearson - We are Tilt __ Bright...RachelPearson36
 

En vedette (20)

2024 State of Marketing Report – by Hubspot
2024 State of Marketing Report – by Hubspot2024 State of Marketing Report – by Hubspot
2024 State of Marketing Report – by Hubspot
 
Everything You Need To Know About ChatGPT
Everything You Need To Know About ChatGPTEverything You Need To Know About ChatGPT
Everything You Need To Know About ChatGPT
 
Product Design Trends in 2024 | Teenage Engineerings
Product Design Trends in 2024 | Teenage EngineeringsProduct Design Trends in 2024 | Teenage Engineerings
Product Design Trends in 2024 | Teenage Engineerings
 
How Race, Age and Gender Shape Attitudes Towards Mental Health
How Race, Age and Gender Shape Attitudes Towards Mental HealthHow Race, Age and Gender Shape Attitudes Towards Mental Health
How Race, Age and Gender Shape Attitudes Towards Mental Health
 
AI Trends in Creative Operations 2024 by Artwork Flow.pdf
AI Trends in Creative Operations 2024 by Artwork Flow.pdfAI Trends in Creative Operations 2024 by Artwork Flow.pdf
AI Trends in Creative Operations 2024 by Artwork Flow.pdf
 
Skeleton Culture Code
Skeleton Culture CodeSkeleton Culture Code
Skeleton Culture Code
 
PEPSICO Presentation to CAGNY Conference Feb 2024
PEPSICO Presentation to CAGNY Conference Feb 2024PEPSICO Presentation to CAGNY Conference Feb 2024
PEPSICO Presentation to CAGNY Conference Feb 2024
 
Content Methodology: A Best Practices Report (Webinar)
Content Methodology: A Best Practices Report (Webinar)Content Methodology: A Best Practices Report (Webinar)
Content Methodology: A Best Practices Report (Webinar)
 
How to Prepare For a Successful Job Search for 2024
How to Prepare For a Successful Job Search for 2024How to Prepare For a Successful Job Search for 2024
How to Prepare For a Successful Job Search for 2024
 
Social Media Marketing Trends 2024 // The Global Indie Insights
Social Media Marketing Trends 2024 // The Global Indie InsightsSocial Media Marketing Trends 2024 // The Global Indie Insights
Social Media Marketing Trends 2024 // The Global Indie Insights
 
Trends In Paid Search: Navigating The Digital Landscape In 2024
Trends In Paid Search: Navigating The Digital Landscape In 2024Trends In Paid Search: Navigating The Digital Landscape In 2024
Trends In Paid Search: Navigating The Digital Landscape In 2024
 
5 Public speaking tips from TED - Visualized summary
5 Public speaking tips from TED - Visualized summary5 Public speaking tips from TED - Visualized summary
5 Public speaking tips from TED - Visualized summary
 
ChatGPT and the Future of Work - Clark Boyd
ChatGPT and the Future of Work - Clark Boyd ChatGPT and the Future of Work - Clark Boyd
ChatGPT and the Future of Work - Clark Boyd
 
Getting into the tech field. what next
Getting into the tech field. what next Getting into the tech field. what next
Getting into the tech field. what next
 
Google's Just Not That Into You: Understanding Core Updates & Search Intent
Google's Just Not That Into You: Understanding Core Updates & Search IntentGoogle's Just Not That Into You: Understanding Core Updates & Search Intent
Google's Just Not That Into You: Understanding Core Updates & Search Intent
 
How to have difficult conversations
How to have difficult conversations How to have difficult conversations
How to have difficult conversations
 
Introduction to Data Science
Introduction to Data ScienceIntroduction to Data Science
Introduction to Data Science
 
Time Management & Productivity - Best Practices
Time Management & Productivity -  Best PracticesTime Management & Productivity -  Best Practices
Time Management & Productivity - Best Practices
 
The six step guide to practical project management
The six step guide to practical project managementThe six step guide to practical project management
The six step guide to practical project management
 
Beginners Guide to TikTok for Search - Rachel Pearson - We are Tilt __ Bright...
Beginners Guide to TikTok for Search - Rachel Pearson - We are Tilt __ Bright...Beginners Guide to TikTok for Search - Rachel Pearson - We are Tilt __ Bright...
Beginners Guide to TikTok for Search - Rachel Pearson - We are Tilt __ Bright...
 

Journalistes politiques et_leurs_sources saitta

  • 1. Mots. Les langages du politique 87  (2008) Chrononymes. La politisation du temps ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Eugénie Saitta Les journalistes politiques et leurs sources. D’une rhétorique de l’expertise critique à une rhétorique du « cynisme » ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Eugénie Saitta, « Les journalistes politiques et leurs sources. D’une rhétorique de l’expertise critique à une rhétorique du « cynisme » », Mots. Les langages du politique [En ligne], 87 | 2008, mis en ligne le 21 juillet 2010, consulté le 11 octobre 2012. URL : http://mots.revues.org/12722 ; DOI : 10.4000/mots.12722 Éditeur : ENS Éditions http://mots.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://mots.revues.org/12722 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © ENS Éditions
  • 2. Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 113Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 113 EugénieSaitta Les journalistes politiques et leurs sources. D’une rhétorique de l’expertise critique à une rhétorique du «cynisme» Les journalistes politiques français sont – et ce, de façon particulièrement exacerbée par rapport à d’autres spécialités journalistiques – soupçonnés de connivence avec leurs sources1. Ils se trouvent en effet confrontés à un climat de défiance au sein des rédactions de la presse quotidienne nationale. Des livres écrits par des journalistes dits d’investigation2, mais aussi d’an- ciens journalistes politiques3 ou encore des dossiers spéciaux de revue4 leur reprochent ainsi leur proximité avec le personnel politique et leur traitement déférent et révérencieux de la politique. Ces critiques émises par les pairs se voient confortées par des sondages d’opinion, à l’instar du baromètre annuel Sofres-Télérama-LaCroixsurlaconfiancedesFrançaisdanslesmédias,publié depuis 1988, où les personnes interrogées expriment leur suspicion à l’égard des journalistes et de leur connivence supposée avec les milieux du pouvoir5. En effet, l’autonomie, l’indépendance ou encore l’objectivité deviennent des critères dominants dans la définition de l’excellence journalistique à partir des années quatre-vingt/quatre-vingt-dix. Ici, il s’agit de comprendre dans quelle mesure la distanciation à l’égard du personnel politique dont se revendiquent les journalistes politiques trans- forme leurs pratiques de travail quotidiennes et, plus précisément, leurs pratiques d’écriture. Nous avons ainsi constaté l’appropriation – généralisée à l’ensemble des quotidiens nationaux dans les années quatre-vingt-dix – de formes textuelles que, traditionnellement, on ne rencontrait pas, ou peu, 1. Cet article est issu d’une thèse de science politique soutenue en 2006 à l’IEP de Rennes (Les transformations du journalisme politique depuis les années quatre-vingt. Une comparai- son France/Italie). 2. Entre autres, Serge Halimi, 1997, Les nouveaux chiens de garde, Paris, Liber-Raisons d’Agir; EdwyPlenel,1994,Untempsdechien,Paris,Stock;DenisRobert,1996,Pendantles«affaires», les affaires continuent..., Paris, Stock. 3. Par exemple, Daniel Carton, 2003, Bien entendu… c’est off, Paris, Albin Michel. 4. Voir par exemple Manière de voir, «Médias et contrôle des esprits», 1995, n° 27 et, en particu- lier, Serge Halimi, «Un journalisme de révérence», p. 14-17. 5. Voir par exemple Télérama, 27 janvier-2 février 2001. Université de Poitiers, CRAPE, eugeniesaitta@yahoo.fr
  • 3. Eugénie Saitta 114 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 dans les formats d’expression préférentiels du journalisme politique. À partir d’une trentaine d’entretiens réalisés avec des journalistes politiques de la presse quotidienne nationale6 et d’observations directes au service politique du Monde7, nous avons relevé les formes textuelles identifiées par les journa- listes politiques comme les plus gratifiantes et souvent présentées comme l’illustration de leur prise de distance par rapport aux sources. L’expression d’une distanciation à l’égard des acteurs politiques dans l’écriture de l’information politique n’est pas nouvelle. Au milieu des années soixante-dix, Jean-Gustave Padioleau (1976) met en évidence une rhétorique journalistique8 dominante, celle de l’expertise critique. Elle s’incarne dans une forme textuelle en particulier, celle de l’exposé. Ce dernier, selon Padio- leau, consiste en un «assemblage synthétique des dépêches d’agence, un rappel de données, l’introduction des connaissances tacites ou réflexives et des commentaires des rédacteurs spécialistes» (p. 92). Il consiste ainsi en un mélange de data et comporte une dimension normative. Mais il se dis- tingue du journalisme d’opinion (tel qu’il s’exerce dans la presse de parti) car l’expression de jugements se fait sur la base d’une argumentation docu- mentée et d’une compétence de spécialiste. Plus tard, Érik Neveu (1993) définit une autre forme textuelle que l’on peut aussi associer à la rhétorique de l’expertise critique, celle de l’analyse stratégique. Celle-ci se distingue de l’exposé par sa dimension de démontage ou de décryptage des straté- gies politiques. Plus précisément, elle présente quatre caractéristiques prin- cipales. Elle utilise un vocabulaire concret, souvent imagé. Elle traduit les tactiques des acteurs politiques, leurs arrière-pensées, prend position sur leur habileté, leurs atouts, statue sur les conditions de succès de telle ou telle stratégie. Elle s’appuie sur la mémoire politique du journaliste, sa capa- cité à resituer les évènements dans le temps long, à les mettre en perspec- tive, à éclairer le présent par le passé. Enfin, elle est mobilisée par des jour- nalistes occupant des positions dominantes dans l’espace des rédactions (chefs de service, etc.). Au total, l’exposé et l’analyse stratégique proposent une lecture en surplomb de la vie politique, qui vise à une hauteur de vue sur les évènements politiques et à leur mise en perspective. La rhétorique de l’expertise critique correspond ainsi à une «stratégie du transfert de convic- 6. Le Monde, Libération, Le Figaro et Le Parisien. 7. De mi-novembre à mi-décembre 2001. 8. Le concept de rhétorique tel qu’il a été défini par Padioleau ne désigne pas seulement des pro- cédures d’écriture, mais aussi des représentations et des pratiques journalistiques inscrites dansunrapportdeforceentregroupesdejournalistes.Cesdernierss’approprientunecertaine rhétoriquejournalistiquequileursertdestratégieouderessource pourobtenirunereconnais- sance de leur statut et de leur compétence. Par exemple, au milieu des années soixante-dix, les journalistes spécialistes de l’éducation au Monde se sont posés, face à leurs sources et à leurs collègues, auprès desquels ils avaient l’image de militants plutôt que de véritables journalistes, en experts critiques disposant d’une connaissance technique et approfondie des dossiers afin de gagner en légitimité.
  • 4. Les journalistes politiques et leurs sources Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 115 tion» (Lochard, 1996) quant à la façon dont il faut percevoir et appréhender le monde politique. Nous faisons l’hypothèse qu’à partir des années quatre-vingt et surtout de la décennie quatre-vingt-dix, de nouvelles formes textuelles (le récit poli- tique, les anecdotes politiques, le décryptage de la communication politique) mettent en scène une forme inédite de distance des journalistes politiques à leurs sources qui se distingue de la lecture en surplomb proposée par l’ex- posé ou l’analyse stratégique. Cesnouvellesformestextuelles, anecdotiques, familières, ancrées dans une forme quotidienne d’effet de réel, traduiraient un glissement progressif d’une rhétorique de l’expertise critique à une rhéto- rique du «cynisme» (Cappella, Jamieson, 1996; Schudson, 1999)9. Nousproposonstoutd’aborddedécrirelesformatsd’expressionpréféren- tiels de la distance des journalistes à leurs sources à partir des années quatre- vingt/quatre-vingt-dix (en nous concentrant sur l’exemple du récit politique), avant d’en analyser des principes de classification et d’en élaborer une carto- graphie, puis d’interroger les facteurs explicatifs de ce glissement d’une rhé- torique à l’autre. De nouveauxformats d’expression de la distance des journalistes à leurs sources : l’exemple du récit politique À travers nos entretiens et nos observations directes, nous avons pu iden- tifier trois formes textuelles régulièrement citées par les journalistes poli- tiques et qui exprimeraient leur prise de distance à l’égard du personnel politique : le récit politique; le décryptage de la communication politique; les anecdotes politiques. Ces formes textuelles sont, sinon nouvelles, du moins jusque-là peu usitées dans la rubrique «Politique» des quotidiens nationaux. Certes, leur part dans la production quotidienne de l’informa- tion politique est certainement moindre par rapport à celle des évènements obligés, à l’instar des voyages présidentiels qui sont systématiquement couverts. Mais c’est moins la quantité de papiers écrits que leur statut d’ar- ticle valorisant et valorisé aux yeux des journalistes qui nous intéresse ici. En effet, les journalistes politiques opèrent une hiérarchisation des formes textuelles – de la plus désuète ou inintéressante à la plus gratifiante – qui 9. Si le devoir d’irrespect et la dérision ne sont pas chose nouvelle dans la presse (Koren, 1996), c’est le fait que le cynisme s’étende à l’information politique dans les quotidiens nationaux qui nous intéresse ici, et plus encore, que cette posture devienne légitime et dominante dans les années quatre-vingt-dix. Pour Cappella et Jamieson (1996) et Schudson (1999), la notion de cynismefaitréférenceaustrategicframeemployéparlesjournalistes,quireprésentelapolitique sous l’angle d’une lutte pour le pouvoir. Selon nous, d’autres dimensions du traitement journa- listique participentde cettevisioncynique de la politique, comme nous leverronsplusloin.
  • 5. Eugénie Saitta 116 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 traduit leur propre vision de l’excellence professionnelle ou – pour le dire autrement – leur rhétorique journalistique préférentielle. Nous ne donnerons qu’une définition brève des formes textuelles de l’anecdote politique et du décryptage de la communication politique, pour nous pencher plus longuement sur celle du récit politique10. La première pro- pose une lecture désacralisante ou désingularisante du champ politique qui donne à voir la vie politique par le petit bout de la lorgnette et les acteurs poli- tiques comme des personnes parmi d’autres : à travers un format court, elle raconte des faits anecdotiques ou décalés, des à-côtés sous forme d’histo- riettes. La deuxième forme textuelle propose une lecture objectivante ou uti- litariste de la vie politique qui donne à voir celle-ci comme un ensemble de stratégies pour l’accès au pouvoir et se concentre sur les affrontements per- sonnels : il s’agit de révéler les coups médiatiques des élus et, par là, de signi- fier au lecteur que le journaliste n’est pas dupe des stratégies médiatiques des sources11. Quant aux récits politiques, si les premiers sont publiés dès les années soixante-dix dans la presse commerciale et se diffusent dans la décennie quatre-vingt à l’initiative des quotidiens créés dans la décennie précédente, comme Le Quotidien de Paris, Le Matin de Paris ou encore Libération, ils ne s’imposent au Figaro et dans le journal de référence Le Monde que dans les années quatre-vingt-dix. Au départ, le récit politique souffrait en effet d’un déficit de légitimité : considéré comme un genre divertissant mais mineur, il était le fait de journalistes femmes, à l’instar de Françoise Berger à Libération, cantonnées à des spécialités dominées du journalisme politique12. Le récit politique offre une lecture désacralisante de la vie politique. Les acteurs politiques sont à la fois présentés comme plus proches (des hommes et des femmes comme les autres) et montrés dans des situations malaisées, parfois ridicules. Je me rappelle, par exemple, pendant la campagne de 95, on avait fait un papier sur la campagne des seconds couteaux, où on s’est amusé comme des petits fous parce qu’on suivait les partis des principaux candidats et puis, moi, on m’avait raconté des tonnes d’histoires là-dessus que j’avais trouvées formidables sur, effectivement, les seconds couteaux qui vont faire leur petite campagne et leurs petits meetings… Quand le grand chef réunit, je sais pas, 200 personnes, lui il en 10. La contrainte d’espace nous a conduit à ne développer que le cas du récit politique, qui nous semble le plus intéressant car il combine lecture désingularisante et lecture utilitariste de la vie politique. 11. Le décryptage de la communication politique se différencie de l’analyse stratégique en ce qu’il met en scène le média lui-même et les interactions entre les journalistes et le personnel poli- tique. Voir Esser, Reinemann et Fan, 2001. 12. «Je me souviens qu’ici, très vite, […] tout le monde riait des papiers de Françoise [Berger]. Les messieurs journalistes de la politique continuaient à trouver ça génial mais ne se sentaient pas menacés, oui, c’était un succès, mais dans leur esprit ça restait un genre mineur.» (Entre- tien, 14 octobre 2005)
  • 6. Les journalistes politiques et leurs sources Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 117 réunit 25 et puis quand l’autre est accueilli par les militants, dort dans un truc [à l’hôtel], etc., l’autre il prend son train de nuit et dans le train de nuit – c’était surtout ça l’image qui m’avait frappée parce que je sais qu’on l’avait raconté, c’était dans un corail entre Paris et Tulle, le dernier corail qui partait, qui rentrait à Paris genre à 1 h du matin, qui passait en gare de Tulle – s’étaient retrouvés avachis au bar qui était fermé ou dans la voiture, François Hollande à l’époque et je ne sais plus quels gens de droite qui rentraient chacun d’un meeting. C’était cette espèce de solida- rité de la nuit des seconds couteaux13. Le récit politique utilise un double registre d’empathie et d’ironie, de fascina- tion et de répulsion. Ça venait de la […] démarche de parler plus des hommes qui faisaient la politique que des idées politiques qu’ils avaient. […] On a beaucoup plus raconté les gens qui la faisaient et moi je sais que très franchement, ma passion, pourquoi j’ai aimé la politique, parce que j’ai aimé les gens qui la faisaient. Je trouve que c’est des drôles de bêtes, je trouve que c’est des gens qui sont intéressants même quand ils sont médiocres, et qu’à un moment donné ils ont choisi de s’exposer et ils sont plein de violence, ils se haïssent, ils se battent, ils souffrent parce qu’ils sont tout en haut et qu’ils redescendent tout en bas quand ils sont battus, parce que ce sont deshommespublics, comme desacteurs, jereviensà mon image de spectacle. Moi ce qui m’a profondément plu en politique, c’étaient ceux qui la faisaient. Voir de près un Chirac c’est formidable, voir de près un Jospin c’est formidable. Donc on est aussi plus attiré par ce qui les rend palpables, tout autant, voire plus que par leurs discours ou leur force politique proprement dite14. En somme, le récit politique, d’une part, s’intéresse aux anecdotes, histoires, échos, bavardages, c’est-à-dire auxà-côtés de l’information politique obligée ou incontournable et, d’autre part, opère une personnalisation de la politique en portant attention aux personnages dans leurs traits de personnalité et de comportement, en les portraiturant. Les explications suivantes pourront être lues à l’appui de l’exemple d’un récit politique publié dans Libération, que nous avons reproduit et commenté (figure 1, p. 120). Plusieurs procédés discursifs permettent d’exprimer cette lecture de la politique qui cherche à en montrer les coulisses comme si le lec- teur y était. Les journalistes ont ainsi recours à ce que Roland Barthes (1982) a appelé«l’effetderéel»,quiobéitprincipalementàtroisprocédésdiscursifs.Le premier est celui de la description (par opposition à la narration) ou de l’hypo- typose (figure de style consistant à décrire une scène de manière si frappante qu’oncroitlavivre),composée,selonl’auteur,de«détailsinutiles»,de«nota- tions insignifiantes», et qui n’a d’autre fonction que de produire un «effet de réel» ou une «illusion référentielle» : elle dénote le «réel concret» (menus 13. Entretien, 22 mai 2003 : ancienne journaliste politique du Monde, diplômée de Sciences-Po Paris et du CFJ, âgée d’une quarantaine d’années. 14. Idem.
  • 7. Eugénie Saitta 118 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 gestes, attitudes transitoires, objets insignifiants, paroles redondantes), «l’avoir été là» des choses. Le deuxième réside dans la structure du récit sous la forme d’une succession temporelle d’actions, d’une transformation de cer- taines propriétés initiales des actants et d’une mise en intrigue (Adam, 1999; Charaudeau, Maingueneau, 2002, p. 239). Le troisième consiste à utiliser le discours rapporté (des énoncés qui conservent des indices de leur extério- rité) ou le dialogue, en procédant à l’identification des sources (Charaudeau, 1997). L’effet de réel vise ainsi à produire un effet de preuve ou d’authentifi- cation de la scène rapportée par le journaliste. Il recherche aussi un effet de témoignage, en signalant par des embrayeurs ou des déictiques15 la présence du journaliste ou la présence de la situation d’énonciation. Ainsi, le journa- liste est transformé en narrateur omniscient ou en témoin omniprésent (qu’il soit un témoin direct ou délégué). Par ailleurs, le récit politique propose aussi une lecture utilitariste de la vie politiquequis’exprimenotammentàtraversuncadragedelapolitiquecomme un jeu où s’affrontent des concurrents dont les choix stratégiques visent à la conquête du pouvoir. Les actions politiques sont analysées comme des coups tactiques, des logiques de carrières, des stratégies médiatiques. Enfin,certainsdecesprocédésdiscursifsmettentenjeularelationdujour- naliste à ses sources telle que ce premier veut la donner à voir. Ainsi, la sélec- tion des éléments de discours à rapporter (partielle/totale), l’identification des locuteurs d’origine (partielle/totale/absente) et la manière de rapporter le discours d’origine (cité/intégré/narrativisé/évoqué) entrent dans des stratégies soit de mise à distance, soit, au contraire, d’appropriation (ou d’as- sumation) du discours de la source par le journaliste. La polyphonie (énoncés où plusieurs voix se font entendre simultanément) du récit politique corres- pond à plusieurs stratégies : rendre authentique en montrant qu’on rapporte les paroles mêmes; mettre à distance, parce que l’énonciateur n’adhère pas aux propos cités; se montrer objectif, sérieux. De même, la fonction expres- sive (Jakobson, 1963) estun autre procédé pour signaler le rapportque le jour- naliste entretient à ses sources. Par exemple, par l’ironie verbale ou par anti- phrase, le journaliste subvertit la parole de la personne qu’il cible et produit ainsi un effet de mise à distance. 15. L’embrayage désigne l’ensemble des opérations par lesquelles un énoncé s’ancre dans sa situation d’énonciation et met donc en scène la présence du journaliste. Les embrayeurs (ou déictiques) de personnes («je», «mon», «le mien», etc.), temporels (les marques de pré- sent/futur/passé attachées au verbe; les mots ou groupes de mots à valeur temporelle, comme «hier», «demain») et spatiaux (désignant le lieu, comme «ici», «là-bas», «ça»), constituent des marques linguistiques à travers lesquelles se manifeste l’énonciation.
  • 8. Les journalistes politiques et leurs sources Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 119 En somme, le récit politique propose une vision désacralisée et désacrali- sante de l’univers politique, ainsi qu’une lecture objectivante des règles du jeu et de la compétition politiques. Il correspond à une stratégie du dévoile- ment des coulisses de la politique et à une rhétorique du cynisme. Le terme cynisme désigne un mépris des conventions sociales, de l’opinion publique, des idées reçues, généralement fondé sur le refus de l’hypocrisie et/ou sur le désabusement, souvent avec une intention de provocation. Il signifie par extension affectation d’impudence, c’est-à-dire une attitude volontairement offensante, effrontée, ou contraire à la bienséance16. Certes, les journalistes dominants partagent avec le personnel politique certains principes de vision du monde (Neveu, 2003), mais leur posture d’écriture recouvre la dimension de désabusement et d’impudence comprise dans le cynisme. Soulignons tout de même trois éléments de continuité entre le récit poli- tique et les formes textuelles de l’exposé et de l’analyse stratégique : une définition institutionnelle de la politique et de ses frontières; une proximité obligée desjournalistesà leurssources(interdépendance fonctionnelle); une dimension microcosmique de l’information politique qui s’adresse avant tout à des lecteurs initiés. Tableau 1 : Synthèse des caractéristiques du récit politique dans la presse quotidienne nationale Récit politique Modes de recueil des informations Journalistes – En majorité des femmes – Couvrant des domaines de l’information politique peu cotés Relation aux sources – Proximité, entregent, familiarité – Posture d’écoute, sens de la psychologie Signature – Collective (article écrit à plusieurs) Procédés discursifs et effets recherchés «Effet de réel», d’authentification et de témoignage – Description – Discours rapporté – Embrayeurs Signaler sa distance – Manières de rapporter le discours – Ironie (fonction expressive ou émotive) – Cadrage de la politique comme un jeu Lecture proposée – Désacralisante ou «dé-singularisante» – Objectivante ou utilitariste Rhétorique – Cynisme/stratégie du dévoilement 16. Définition issue du Trésorde la langue française.
  • 9. Eugénie Saitta 120 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 Figure 1 : Le récit politique à Libération. Une stratégie de dévoilement du monde politique Quand Dany dîne chez son ami Lionel. « On se tutoie, c’est la tradition à gauche », a décidé le chef du gouvernement. Minuit sonne, et « Dany » est toujours là. Dans la salle à manger de « Lionel », qui lui a servi un steak, un bout de fromage, avec un peu de rouge. Ce qu’il y avait dans le frigo, en somme. C’était mardi soir, rue du Regard à Paris. Lionel Jospin rece- vait, chez lui, Daniel Cohn-Bendit. Syl- viane, l’épouse, a salué l’invité, puis s’est éclipsée. Histoire de le (ou se) détendre, Jospin a dit, d’entrée : « On se tutoie, c’est la tradition à gauche ». La rencontre a failli devenir chimère, elle fut finale- ment des plus simples. Presque trop. Il y a une semaine, Matignon avait appelé le bureau bruxellois du député européen. Non sans avoir mûrement réfléchi au décor. La tête de liste des Verts aux euro- péennes avait insisté pour être reçue par Jospin au lendemain du scrutin. Le rece- voir très officiellement à Matignon, c’était reconnaître son score. Le ren- contrer pour le sermonner, c’était ris- quer le coup de vieux. Jouer la compli- cité militante, le soir après le travail, c’est absorber un peu de l’effet Cohn- Bendit. Jospin affable. Il était content, flatté, d’ailleurs, l’ancien leader de 68. Lui qui ne ratait jamais une pique contre ce Premier ministre qu’il n’avait jamais rencontré a eu droit au joli mois de mai de Jospin, alors fonctionnaire au Quai d’Orsay, droit de dire aussi au Pre- mier ministre ce qu’il pense de la situa- tion des sans-papiers ou encore des dis- cours dominants sur la drogue. Et Lionel Jospin, étrangement affable, a dit : « Oui, ça, d’accord », puis : « Ça, je ne com- prends pas ». Cohn-Bendit assure n’avoir pas même reçu un reproche pour ses atta- ques contre Jean-Pierre Chevènement. « On s’est expliqué nos positions en fonc- tions de notre histoire. Il m’a dit sa vision de la politique, m’a raconté ses ruptures. » Les deux hommes ont même évoqués ces moments ou la politique « prend trop de place » dans la vie. Mais aucun n’a convaincu l’autre. Daniel Cohn-Bendit a répondu au Premier ministre qui l’in- terrogeait sur son envie de revenir en France, tout en assurant qu’il y avait peu de chances qu’il soit candidat à la mairie de Paris. Pour sa part, Lionel Jospin a fait comprendreauVert,quiaimelechatouiller du côté de sa destinée présidentielle, qu’il ne tient pas à en parler : « Parce que je suis Premier ministre, parce que c’est contre- productif ». Retour à 0h30. Cohn-Bendit avait révisé avant de venir. Une heure avec Dominique Voynet, au ministère de l’envi- ronnement et de l’Aménagement du terri- toire. Rien ne s’est fait sans elle, qui avait même réitéré la demande de rendez-vous auprès du Premier ministre. Il avait aussi travaillé avec Pascal Perrineau, cher- cheur au Cevipof (centre d’étude de la vie politique), sur les enseignements des élec- tions européennes. Il est donc venu chez Lionel Jospin avec quelques chiffres, pour lui expliquer « la perspective » des Verts, ou encore pourquoi il recommande pour les municipales un « premier tour identi- taire » et « un manifeste de la gauche plu- rielle » au second tour. Cohn-Bendit est parti à minuit trente, non sans avoir invité « Lionel » à venir le voir dans sa résidence secondaire du sud de la France. Hier matin, Matignon racontait un Jospin « très satis- fait de sa soirée ». « Lionel » n’a même pas donné sa rituelle consigne de silence à son nouvel ami. Lequel était probablement invité à raconter en long et en large l’hos- pitalité de son hôte. Copyright Libération, 10 septembre 1999, Judith Perrignon.
  • 10. Les journalistes politiques et leurs sources Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 121 Les procédés discursifs produisant un « effet de réel » : –Le Discours Rapporté (souligné dans le texte) : – de nombreux extraits (23 occurrences). – La Description (hypotypose) : – déictiquestemporels(«minuitsonne»,«mardisoir»,«retourà0h30»,etc.); scène-type (« “Lionel”, qui lui a servi un steak un bout de fromage, avec un peu de rouge ») ; – personnages et leur état émotionnel (« Jospin affable », « Il était content, flatté », etc.) ; – mimétisme entre le registre de langue relâché du journaliste et la situation décritecommedétendue,«desplussimples»:«avecunpeuderouge»(méto- nymie). – LeTémoignage : – Le journaliste est un témoin « délégué » qui raconte à partir du témoignage de la source de l’information (vu et entendu par) ; celle-ci s’incarne dans le récit sous la forme d’un personnage (ici, Daniel Cohn-Bendit). Les procédés discursifs produisant une lecture utilitariste du champ politique : – Cadrage du jeu politique. – Un élément d’analyse stratégique (style indirect libre en gras dans le texte). – Signaler sa distance grâce à l’ironie (« son nouvel ami »). – Manières de rapporter le discours : – citations dominantes : « évoquées » (9 occurrences) et « directes » (6), qui marquent une distanciation du journaliste au dit rapporté ; – citations secondaires : « narrativisées » (6) et « intégrées » (2), qui tendent à effacer la source et marquent l’appropriation (« assumation ») du « dit rap- porté » par le journaliste ; – identification partielle des sources (en italique dans le texte), qui s’adresse à un lecteur initié, mais qui signale aussi une moindre déférence à l’égard du personnel politique : par le titre ou la fonction (12 fois) ; par le nom et le prénom (8) ; par le nom seul(7) ; par le seulprénom (7) ; par le prénom, le nom et la fonction (1).
  • 11. Eugénie Saitta 122 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 Plusieurs hypothèses, que nous ne développerons pas ici, peuvent être avancées pour expliquer l’usage du récit dans les pages Politique des quo- tidiens nationaux. Tout d’abord, il peut être lu comme un effet de la féminisa- tion du journalisme politique. Ces innovations ont en effet été portées par des femmes occupant une position dominée dans les services politiques (Saitta, 2006). Ensuite, on peut supposer une convergence de ces nouveaux formats aveclesattentescommercialesdesdirectionsde journaux: psychologisation, personnalisation (Neveu, 2000). Enfin, la plus grande accessibilité du per- sonnel politique, le développement et la professionnalisation de la commu- nication politique ont démultiplié les informations à disposition des journa- listes. On observe, par ailleurs, des intérêts partagés entre les journalistes et le personnel politiques pour la promotion de récits à tendance biographique ou psychologisante (Le Bart, 2005), celle-ci s’inscrivant dans un processus de «privatisation» de la vie politique (Neveu, 2003). Cartographie des formats préférentiels d’expression de la distance des journalistes à leurs sources Après avoir décrit le fonctionnement des formats d’expression de la dis- tance des journalistes politiques à leurs sources mobilisés depuis les années soixante-dix,nousproposonsd’enélaborerunecartographie.Àpartirdespro- positions de différents auteurs pour catégoriser des genres journalistiques, nous avons construit trois axes. Le premier, vertical, représente le «mode discursif dominant» (Charau- deau, 1997) de la forme textuelle. Il se décline en un pôle descriptif/narratif et un pôle argumentatif. Et se double d’une tension entre l’évènement rapporté (faits ou/et dits rapportés) et l’évènement commenté (le pourquoi et le com- ment de l’évènement rapporté). Le deuxième axe, diagonal, représente l’ethos (au sens de Maingueneau, 2002). L’ethos désigne la façon dont l’énonciateur se laisse appréhender comme une voix et un corps, ou encore comme un caractère et une corpora- lité. Le deuxième axe se distribue entre un pôle «corporalisation» et un pôle «caractérisation» (Ringoot, Rochard, 2005). D’un côté, le corps et le faire du journaliste sont mis en scène dans l’article, le lecteur se trouve pris dans l’ac- tion avec le journaliste, de sorte que se crée entre eux une proximité physique et émotionnelle. De l’autre, le pensé et le ressenti du journaliste sont mis en scène, le lecteur est pris dans un dialogue virtuel avec le journaliste, de sorte que se crée entre eux une proximité intellectuelle et émotionnelle. Le troisième axe représente la «visée communicative» (Lochard, 1996) de la forme textuelle. Il est composé de deux pôles représentant, d’un côté, une visée informative et, de l’autre, une visée persuasive. Ou encore, on pourrait
  • 12. Les journalistes politiques et leurs sources Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 123 reprendre là la distinction faite par Ruth Amossy (Amossy, Koren, 2004) entre la dimension et la visée argumentatives. La première désigne un discours qui n’a pas l’intention délibérée d’agir sur l’auditoire en lui faisant adopter une position déterminée mais qui n’en oriente pas moins sa réflexion, tandis que la seconde indique une prise de parole qui entend défendre une thèse et agir sur l’auditoire. Les formes textuelles situées dans la partie supérieure gauche de la figure 2 correspondentà une rhétorique du «cynisme»visantau dévoilementdescou- lisses de la politique : le journaliste se pose comme témoin, il crée un «effet de réel»visantà faire croire à la réalité de ce qu’ilditetopère ainsi une «trans- formation réaliste» (Barthes, 1982). Lesformestextuellessituéesdanslapartieinférieuredroitecorrespondent à une rhétorique de l’expertise critique visant au «transfert de conviction sur la façon dont il faut percevoir et appréhender» (Lochard, 1996) le monde poli- tique : par des jeux démonstratifs et une posture évaluative, prescriptive, le journaliste met en scène son pensé; il adopte une stratégie didactique. Figure 2 : Cartographie des formats d’expression de la distance des journalistes politiques à leurs sources Anecdotes poliques Récit politique Décrytage de la communication politique Informative Corporalisant Descriptif / Narratif Rhétorique du cynisme Stratégie du dévoilement Rhétorique de l’expertise critique Stratégie du transfert de conviction Analyse stratégique Exposé Évènement rapporté Persuasive Caractérisant Argumentatif Événement CommentéLégende : Formats d’expression communément utilisés Zone préférentielle
  • 13. 124 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 Eugénie Saitta Globalement, les journalistes politiques délaissent dans une certaine mesure la rhétorique de l’expertise critique pour investir plus fortement la rhétorique du «cynisme». Dans la figure 2, l’espace des formats d’expression de la dis- tance qu’ils mobilisent de façon préférentielle correspond à la moitié gauche. Ce glissement d’une rhétorique à l’autre s’effectue au cours des années quatre-vingt/quatre-vingt-dix. Il révèle une évolution dans le type de mise à distance que les journalistes politiques opèrent à l’égard de leurs sources. Les facteurs explicatifs d’un glissement de la rhétorique de l’expertise critique à une rhétorique du «cynisme» au cours des années quatre-vingt/quatre-vingt-dix Le glissement d’une rhétorique de l’expertise critique à une rhétorique du «cynisme» s’explique à la fois par l’évolution des interdépendances entre journalisme et politique et par les transformations du champ journalistique depuis les années quatre-vingt/quatre-vingt-dix17 (tableau 2, p. 126). Premier élément d’explication : ce glissement correspond à un infléchis- sement de l’«enchantement» politique des journalistes politiques. Alors que la rhétorique de l’expertise critique impliquait une adhésion aux principes de fonctionnement du champ politique, un enchantement, la rhétorique du «cynisme» provient d’un désenchantement qui prend la forme d’une «cri- tique politisée» (Gaxie, 2001)18. Ainsi, la croyance des journalistes politiques en la capacité de la politique à changer le monde, leur investissement dans un clivage droite/gauche perçu comme porteur de sens et de projets politiques et leur respect pour la classe politique sont amoindris. Cette évolution est à mettre en lien avec les transformations des modes de socialisation politique et professionnelle des journalistes politiques, de leur parcours de formation et de leurs repères cognitifs, de leurs caractéristiques sociographiques (fémi- nisation). En somme, on voit là les effets de l’arrivée d’une nouvelle généra- tion de journalistes politiques à partir de la fin des années quatre-vingt et, surtout, des transformations dans le recrutement et la gestion des ressources humaines dans les quotidiens nationaux. Deuxièmeélémentd’explication:àpartirdesannéesquatre-vingt,ledésen- gagement partisan des quotidiens nationaux qui se désolidarisent des posi- tionnements de partis qu’ils avaient soutenus jusque-là va de pair avec une injonction à l’objectivité journalistique. L’élection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1981 a contribué à une neutralisation des 17. Pour de plus amples développements, voir Saitta, 2006. 18. Toutefois, ce désenchantement ne signifie pas que l’illusio politique ne fonctionne plus chez les journalistes politiques. Au contraire, ces derniers adhèrent aux règles du jeu politique et y restent fortement investis.
  • 14. Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 125 Les journalistes politiques et leurs sources journauxdegauchequis’esttraduite,parexempleàLibération,cetteannée-là, par la mise à l’écart des journalistes réputés les plus militants (juhem, 2001). Cette objectivité est avant tout formelle. Elle s’exprime par exemple dans la séparation physique des faits et des commentaires, ces derniers étant cir- conscritsdansdesespacesà part, comme lesrubriques«Débatsetopinions» au Figaro, «Rebonds» à Libération à partir de 1988, «Horizons-Débats» au Monde à partir de 1989 ou encore «Tribune libre» à L’Humanité à partir de 1999. Ces espaces sont réservés à des paroles extérieures, ce qui permet aux journaux de se désolidariser des opinions qui s’expriment dans leurs pages (Lettieri, 2002). De même, l’éditorial qui, par son genre, est pourtant auto- risé à pratiquer l’engagement personnel, connait un processus «d’objectiva- tion discursive». Koren (2004) met en évidence l’usage d’une «rhétorique de la neutralisation de la prise de position» dans l’éditorial et Jufer et Herman (2001) montrent comment, en parlant de plus en plus au nom d’une opinion publique, la voix de l’éditorialiste tend à se désubjectiviser. Ainsi le droit à la parole des journalistes politiques est-il conditionné par le recours aux appa- rences neutres ou aux effets d’objectivité. Troisième élément d’explication : les contraintes économiques et profes- sionnelles se conjuguent pour délégitimer le modèle d’excellence profes- sionnelle porté par le journalisme politique. D’un côté, on constate une ina- daptation de la rhétorique de l’expertise critique et de ses formes textuelles préférentielles aux impératifs commerciaux : par exemple, la réduction de la taille moyenne des articles décourage les longs développements qu’on trou- vait dans l’exposé ou l’analyse stratégique. D’un autre côté, on constate une stigmatisation de la rhétorique de l’expertise critique qui ne correspond pas aux standards professionnels prônés par un groupe concurrent et montant au sein des rédactions : les journalistes d’investigation et les reporters issus des Informations générales. La rhétorique de l’expertise critique se voit critiquée pour sa dimension littéraire et normative, son ésotérisme et les rapports de proximité avec le personnel politique, qu’elle rend nécessaires de la part des journalistes. En somme, ce passage tendanciel d’une rhétorique à une autre peut se lire comme l’effet d’un triple processus de dépolitisation du journalisme politique, entendue comme un désenchantement politique des journa- listes, un désengagement partisan des titres de presse et enfin un déclas- sement du journalisme politique au sein des rédactions de la presse quoti- dienne nationale.
  • 15. Eugénie Saitta 126 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 Tableau 2 : Les facteurs explicatifs d’un glissement d’une rhétorique de l’expertise critique à une rhétorique du «cynisme» au tournant des années quatre-vingt-dix Rhétorique de l’expertise critique Rhétorique du «cynisme» Période Années soixante- dix/début des années quatre-vingt À partir des années quatre-vingt /quatre- vingt-dix État des relations entre champs journalis- tique et politique Structuration de la presse quotidienne nationale – Presse polarisée (majo- rité/opposition; droite/gauche) – Presse désengagée des positionnements partisans/Logique commerciale dominante Rapport des journalistes au politique – Engagement poli- tique et militant – «Enchantement» – Désengagement – «Désenchantement» et «critique politisée» Transforma- tions du champ journalis- tique Impératifs économiques – Pression économique moindre – Hyperconcurrence du marché journalistique Réorganisa- tion des hiérar- chies profes- sionnelles – Position dominante des journalistes politiques au sein des rédactions – Déclassement du journalisme politique Formats d’expression préférentiels – Exposé – Analyse stratégique – Éditorial – Récit politique – Décryptage de la com- munication politique – Anecdotes et «à-côtés» politiques Formes de distanciation aux sources – Lecture en surplomb de la politique (prise de hauteur et mise en perspective) – Lecture utilitariste de la politique – Lecture désacralisante de la politique Stratégie de communication – Transfert de conviction surla façon dont il faut percevoiret appréhenderle monde politique – Dévoilement des coulisses de la politique
  • 16. Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 • 127 Les journalistes politiques et leurs sources Références Adam Jean-Michel, 1999, Le récit, Paris, PUF. Amossy Ruth, Koren Roselyne, 2004, «Présentation», Semen, n° 17, http://semen. revues.org/document2305.html Barthes Roland, 1982, «L’effet de réel», R. Barthes, G. Genette, T. Todorov éd., Littérature et réalité, Paris, Le Seuil, p. 81-90. Cappella Joseph N., Jamieson Kathleen H., 1996, «News frames, political cynicism and media cynicism», The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 546, n° 1, p. 71-84. Charaudeau Patrick, 1997, Le discours de l’information médiatique. La construction du miroirsocial, Paris, Nathan. Charaudeau Patrick, Maingueneau Dominique, 2002, Dictionnaire d’analyse et de discours, Paris, Le Seuil. EsserFrancketal.,2001,«SpindoctorsintheUnitedStates,GreatBritainandGermany. Metacommunication about media manipulation», Press/Politics, vol. 6, p. 16-45. Gaxie Daniel, 2001, «Les critiques profanes de la politique. Enchantements, désen- chantements, réenchantements», J.-L. Briquet, P. Garraud éd., Juger la politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 217-240. Herman Thierry, Jufer Nicole, 2001, «L’éditorial, “vitrine idéologique du journal”?», Semen, n° 13. JakobsonRoman,1963,Essaisdelinguistiquegénérale.T.1:Lesfondationsdulangage, Paris, Minuit. Juhem Philippe, 2001, «Alternances politiques et transformation du champ de l’infor- mation en France après 1981», Politix, n° 56, p. 185-208. Koren Roselyne, 2004, «Argumentation, enjeux et pratique de l’“engagement neutre” : le cas de l’écriture de presse», Semen, n° 17, http://semen.revues.org/ document2308.html — 1996, Les enjeux éthiques de l’écriture de presse et la mise en mots du terrorisme, Paris, Montréal, L’Harmattan. LeBartChristian,2005,«Laconstructionsocialedugenre“livrepolitique”»,L.Arnaud, C. Guionnet éd., Les frontières du politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 27-48. Lettieri Carmela, 2002, «Formes et acteurs des débats publics contemporains. Les tribunes publiées dans la presse quotidienne en Italie et en France», doctorat de sciences de l’information et de la communication sous la direction de Rémy Rieffel, IFP, Université Paris 2. Lochard Guy, 1996, «Genres rédactionnels et appréhension de l’événement médiatique. Vers un déclin des modes “configurants”?», Réseaux, n° 76, p. 3-102. Neveu Érik, 2003, «Privatisation et informalisation de la vie politique», Y. Bonny, J.-M. de Queiroz, É. Neveu éd., Norbert Elias et la théorie de la civilisation. Lectures et critiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 185-207.
  • 17. Eugénie Saitta 128 • Mots. Les langages du politique n° 87 juillet 2008 — 2000, «Le genre du journalisme. Des ambivalences de la féminisation d’une profession», Politix, vol. 13, n° 51, p. 179-212. — 1993, «Pages “Politique”», Mots. Les langages du politique, n° 37, p. 6-28. PadioleauJean-Gustave,1976,«Systèmesd’interactionetrhétoriquesjournalistiques», Sociologie du travail, vol. 18, n° 3, p. 256-282. Ringoot Roselyne, Rochard Yves, 2005, «Proximité éditoriale : normes et usages des genres journalistiques», Mots. Les langages du politique, n° 77, p. 73-91. SaittaEugénie,2006,«Lestransformationsdujournalismepolitiquedepuislesannées quatre-vingt. Une comparaison France/Italie», doctorat de science politique sous la direction d’ÉrikNeveu, Université Rennes 1. Schudson Michael, 1999, «Social origins of press cynism in portraying politics», American Behaviorist Scientist, vol. 42, n° 6, p. 998-1008.