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Réflexion à partir d’une situation clinique
Table des matières
Introduction ........................................................................................................................1
1. Observation clinique.................................................................................................2
2. Analyse réflexive........................................................................................................5
2.1. La place de stagiaire dans l’entretien .......................................................................5
2.2. Le système familial .......................................................................................................5
2.3. L’adolescence : période de crise ...............................................................................6
2.4. La schizophrénie et relations intrafamiliales...........................................................7
2.5. Le placement, une décision judicieuse ? .................................................................8
2.6. Le dessin en tant qu’épreuve projective...................................................................8
3. De la place de stagiaire à celle de psychologue .................................................9
Bibliographie ....................................................................................................................10
1
Introduction
La situation clinique que je souhaite développer dans cet écrit est une situation
rencontrée lors de mon stage obligatoire de troisième année. J’ai pu faire mon stage au sein de
l’association Sauvegarde 42 qui a pour objectif de protéger l’enfance en danger. Plus
précisément, dans le service de placement externalisé, il prend appui sur une mesure de
placement à domicile. Ce dispositif propose une alternative au placement avec hébergements,
en conservant la possibilité de repli. Il s’appuie sur les compétences parentales reconnues dans
le respect des besoins fondamentaux de l’enfant. L’association possède deux antennes, au sein
de deux villes différentes. La situation que je vais aborder se déroule sur l’antenne secondaire,
qui se situe à une heure de route de l’antenne principale, de ce fait le psychologue ne s’y rend
qu’une seule fois par mois.
Dans un premier temps, afin de conserver l’anonymat du sujet, j’ai décidé de le renommer
Louis. Cette situation s’est déroulée lors d’un entretien clinique avec Louis, un adolescent de
14 ans.
Cet entretien a été demandé par l’éducatrice référente. Cette dernière a sollicité le psychologue
car elle envisageait une demande de placement pour le jeune garçon afin de le protéger du
climat familial dans lequel il vivait à ce moment-là. Les parents et Louis ont été informé de
cette possibilité, les parents étaient apparemment d’accord avec cela mais Louis ne l’était
absolument pas. L’éducatrice n’étant pas certaine que cette décision soit la bonne, elle a
demandé au psychologue d’évaluer la situation avec Louis avant de faire la demande au juge.
En ce qui me concerne, il est important de préciser qu’il s’agissait de mon premier entretien.
En amont le psychologue m’a apporté quelques informations concernant la situation de Louis,
notamment la problématique de la relation père fils, cette dernière se dégradant dû à la maladie
du père. Le psychologue m’a précisé que ce dernier avait été diagnostiqué schizophrène et
toxicomane. D’autre part, la rencontre entre Louis et le psychologue avait déjà eu lieu quelques
années auparavant. En effet, ce jeune est suivi depuis plusieurs années par le service, de ce fait
plusieurs entretiens avaient été mis en place par le psychologue sur des périodes échelonnées.
Cette situation m’a parue intéressante à travailler, elle m’a fait réfléchir sur de nombreux
éléments que je développerai à la suite de mon observation clinique. Les enfants sont le public
avec lequel j’aimerai travailler à l’avenir, de ce fait la situation de ce garçon m’a énormément
touché. Cette situation fait tout à fait écho au fait que je souhaiterai œuvrer pour protéger les
enfants en situation de danger.
2
1. Observation clinique
Louis arrive dans les bureaux accompagné de son éducatrice référente. Il s’agit d’un
garçon bien habillé, bien coiffé. Dans un premier temps le psychologue accueille le jeune
garçon avec bienveillance et sourire puis me présente comme la stagiaire psychologue qui
l’accompagne. Nous nous installons dans une petite pièce aménagée spécialement pour les
entretiens, à l’atmosphère chaleureuse, au sein des locaux de l’association. Louis s’assoit sur
un fauteuil à côté de l’éducatrice sans enlever sa veste, je m’assois à mon tour sur une chaise
en face de Louis et le psychologue s’assoit à ma gauche. Toutefois la disposition des fauteuils,
placé aux quatre coins de la pièce étroite, fait que Louis est orienté face au psychologue et non
face à moi, je ne me trouve pas dans son champ de vision direct. Je me demande aussitôt
comment il peut se sentir face à trois adultes. Dans un même temps je suppose qu’il peut être
rassuré par la présence de son éducatrice.
Une fois installé, le psychologue interpelle Louis en lui demandant comment il va. Louis répond
qu’il va bien avec un léger sourire. Puis le psychologue entame la discussion en demandant au
jeune garçon s’il sait pourquoi ils se voient aujourd’hui. Louis semble réfléchir, quelques
secondes de silence s’écoulent avant que le psychologue intervienne en disant qu’il n’est pas
obligé de savoir ou de donner une réponse. Louis réagit directement en disant qu’effectivement
il ne sait pas. Le psychologue lui dit que cela ne fait rien. Puis de nouveau quelques secondes
de silence s’écoulent, il lui rappelle que la dernière fois qu’ils se sont vus Louis voulait
absolument faire du foot, ainsi sa question fut « As-tu pu t’inscrire dans un club de foot ? ». La
réponse de Louis est assez enthousiaste, il explique en quelques mots que ce souhait n’est plus
d’actualité. Il a pu s’inscrire dans un club, il y a quelques mois, mais cela ne lui a pas plu. Il
poursuit en disant qu’il s’est maintenant inscrit dans un club de dessin. Le psychologue lui dit
alors que c’est super et lui demande si cela lui plait. Le jeune garçon répond avec une voix
enjouée que oui, le psychologue lui demande la fréquence à laquelle il participe à cette activité.
Louis lui dit que cela se déroule tous les mercredis après-midi durant deux heures. Louis rajoute
qu’il apprécie beaucoup ce nouveau passe-temps et qu’il compte continuer. Le psychologue lui
demande ensuite ce qu’en pense ses parents, Louis explique qu’ils sont contents qu’il puisse
faire une activité qui lui plait. A ce moment-là l’éducatrice intervient en expliquant au
psychologue que les parents font en sorte d’avoir assez d’argent pour pouvoir lui payer ce club
car cela est aussi important pour eux.
3
Le psychologue finit par demander à Louis s’il connait d’autres jeune là-bas. Louis explique
qu’il a parlé de ce club à un de ses camarades qui était intéressé par le dessin et que depuis cela,
ils s’y rendent ensemble car son ami s’y est inscrit.
Ensuite le psychologue commence à expliquer à Louis que si on se voit aujourd’hui c’est en
particulier dû aux événements familiaux compliqués qu’il connait en ce moment. Louis a le
regard baissé. Le psychologue lui demande comment il vit cette situation. Le garçon lui répond
en relevant la tête qu’il ne sait pas, sans développer davantage. J’ai l’impression qu’il se
renferme aussitôt, il n’a plus l’air enjoué qu’il portait sur son visage quelques minutes
auparavant lorsque l’on parlait de dessin. Le psychologue demande à l’éducatrice si elle peut
préciser. Elle rajoute qu’en effet Louis a du mal à s’entendre avec ses parents en ce moment et
qu’il n’arrive pas à comprendre le comportement de son papa dû à sa maladie, ce qui pousse
Louis à être parfois violent dans ses paroles et dans ses gestes avec ce dernier. De plus, Louis
se désinvestit énormément à l’école, le climat familial est donc très conflictuel. L’éducatrice
explique également que la maman et le papa sont dépassés et n’arrive plus à gérer la situation
et que de ce fait l’équipe éducative envisage un possible placement afin d’éviter que la situation
ne s’aggrave davantage.
Le psychologue intervient et demande à Louis s’il est d’accord avec ce que l’éducatrice
explique. Le jeune garçon dit que oui, il a le regard fuyant et la voix basse. A ce moment-là j’ai
l’impression qu’il se referme, n’étant plus aussi expressif que quelques minutes auparavant. Le
psychologue lui demande alors ce que lui peut penser de la situation. Louis répond que son papa
est différent et qu’il a changé depuis quelques temps, que certaines fois son comportement
l’énerve parce qu’il fait l’enfant et que d’autre fois il fait des crises soit à cause de sa maladie
soit à cause du manque de… il laisse ses derniers mots en suspens. Le psychologue demande
ensuite à Louis ce qu’il fait quand ceci arrive. Nous savons tous les trois que Louis tente de
parler du manque de drogue malgré qu’il ne prononce pas les mots. Il explique que quand cela
arrive, il va dans sa chambre pour être seul. A ce moment-là, Louis laisse un temps de silence
puis enchaine en expliquant que quand il invite des amis chez lui son père rentre parfois dans
sa chambre sans frapper pour faire « l’idiot ». Le psychologue lui demande ce qu’il ressent dans
ces moment-là et rebondit sur le fait que l’adolescent invite des camarades au domicile. Louis
spécifie que ses amis sont au courant de la maladie de son père mais que quand le papa entre
dans sa chambre sans frapper cela l’énerve. Il dit qu’il peut également ressentir de la gêne à
cause du comportement du père. Le psychologue lui demande s’il pense que le placement serait
une bonne solution pour apaiser les choses au sein de sa famille. L’adolescent, toujours le regard
4
fuyant, laisse un silence, puis dit « je ne sais pas ». A ce moment-là j’ai l’impression que cette
décision n’est vraiment pas celle qu’il souhaite. Le psychologue lui dit qu’il a l’impression que
malgré ce qu’il se passe au sein de sa famille, ils aiment être ensemble et que les séparer n’est
pas forcément la meilleure solution. Ce à quoi Louis répond « oui ». Je sens alors un regain
d’énergie chez Louis, ce dernier esquissant un léger sourire.
Puis, le psychologue l’interroge sur d’autres solutions possibles, toujours dans le cadre du
placement externalisé, pour aller plus sur l’extérieur afin de prendre du répit avec sa famille et
ainsi éviter le placement. Louis réfléchit quelques secondes en laissant un silence et lui dit qu’il
ne sait pas. L’éducatrice intervient en expliquant que l’adolescent est déjà aller dans une famille
de parrainage durant les dernières vacances et que cela lui a fait du bien ainsi qu’à ses parents
et qu’ils étaient heureux de se retrouver après les quelques jours où ils étaient séparés. Le
psychologue acquiesce et explique que ce serait bien de recommencer cette expérience, il dit
ensuite en s’adressant à Louis que son club de dessin tous les mercredis est également une
bonne solution afin de sortir du domicile. Il lui indique qu’un lieu pour parler de ce qu’il ressent
peut-être une bonne solution, lui donne comme exemple « la maison des adolescents » où des
professionnels accueillent les jeunes afin qu’ils puissent s’exprimer sur ce qu’ils vivent et passer
du temps avec d’autres adolescents, cela peut se présenter sous forme d’ateliers ou dans un
espace d’accueil neutre.
Durant toutes les explications du psychologue Louis écoute mais semble lutter contre la fatigue
ses yeux se ferment presque mais il semble faire son possible pour les maintenir ouverts. Le
psychologue finit par lui demander quelles matières lui plaisent au collège, ce à quoi Louis
répond l’art plastique. Le psychologue lui explique que c’est une bonne chose et qu’à présent
il va falloir qu’il soit assidu à l’école, justement pour éviter que le placement soit la seule
solution. Le jeune acquiesce d’un signe de tête. Le psychologue demande à l’éducatrice si elle
voit des choses à rajouter, cette dernière s’adresse à Louis en lui disant qu’ils vont chercher
ensemble davantage de solution pour aller sur l’extérieur. L’adolescent lui dit qu’il est d’accord.
Un silence de quelques secondes s’installe puis le psychologue sourit et dit qu’on va s’arrêter
là pour aujourd’hui. Le jeune dit oui, le psychologue se lève, l’éducatrice se lève en même
temps puis je me lève en même temps que Louis. Le psychologue dit au revoir à Louis qui lui
répond, puis je lui dis au revoir à mon tour et il me répond également.
5
2. Analyse réflexive
2.1. La place de stagiaire dans l’entretien
L’après coup de cet entretien très riche à fait émerger de nombreux questionnements en
moi, auxquels j’aimerai réfléchir afin de voir ce qu’il en résulte. Tout d’abord comme expliqué
précédemment j’ai retranscrit mon premier entretien, de ce fait ma place en tant que stagiaire
psychologue n’était pas encore tout à fait claire, je ne savais pas concrètement comment pouvait
se dérouler un entretien et le cadre qu’il fallait lui donner. Évidemment j’avais lu plusieurs
ouvrages auparavant, ces derniers développait la manière de mettre en place l’entretien et la
relation entre le patient et le psychologue. De même il nous avait été évoqué dans certains cours
quelques données concernant les entretiens. Néanmoins cette fois ci j’ai pu l’expérimenter, de
ce fait ce qui émane dans un entretien réel est tout à fait différent que sur des mots écrits. Au
début, j’ai pu me demander « comment je me présente ? Où je m’assois ? Qui s’assoit en
premier ? ». Puis après un temps de réflexion quant à la place que j’ai tenu durant cet entretien,
je me suis rendu compte que je me sentais à ma place et que les choses se sont faites facilement
et naturellement.
2.2. Le système familial
Toutefois des questionnements concernant le jeune garçon n’ont pas forcément trouvé de
réponse sur le moment présent. Je me suis demandé « comment Louis a perçu ma présence ?
s’est-il senti observé du fait que je ne parle pas ? A-t-il investit le lieu, du fait qu’il n’enlève pas
sa veste ? ». Malgré ces questionnements j’ai observé que Louis n’avait pas forcément de
difficulté pour parler avec le psychologue, cela m’amène donc à penser qu’un lien de confiance
avait pu s’installer dans les précédents entretiens et était également présent pour celui-ci.
Cependant Louis s’est tout de même refermé à un moment précis de la discussion, lorsque le
psychologue a abordé la situation familiale. Louis n’était plus aussi enthousiaste qu’il avait pu
l’être au début, je ne sais évidemment pas pour quelle raison. Cela m’a donc posé question,
« est-ce dû à la situation compliquée qu’il connait avec sa famille ? est-ce dû au fait qu’une
mesure de placement ai été envisagée ? Était-il au courant de l’enjeu de cet entretien ? ». Ainsi,
je trouve important d’interroger la dynamique familiale, « comment s’organise-t-elle ? S’agit-
il d’une famille proche et fusionnelle ? Pourquoi Louis ne souhaite pas être séparé de ses parents
malgré le climat instable qu’il rencontre au sein de sa famille ? Quelles alliances se jouent entre
eux ? ». Pour répondre à ses interrogations, il est vrai qu’un contrat narcissique, d’après
Castoriadis-Aulagnier (1975), se créait entre les parents et le bébé ce qui va définir sa place
6
dans le système familiale. Bien que cela soit un phénomène inconscient, il permet le bon
fonctionnement du groupe familial et la construction subjective de l’enfant. Les parents sont
ainsi cosignataires du contrat narcissique. Une place est attribuée à chacun par le groupe. Le
bébé est donc le porte-parole de la voix fantasmatique du couple au sein de la famille qui permet
d’assurer l’immuabilité du groupe. Cela permet d’introduire les idéaux et les valeurs afin que
chacun les reprenne à sa manière. Ce contrat repose donc sur l’investissement narcissique des
parents pris dans une dimension transgénérationnelle. Grâce à cela le sujet reste lié à l’ancêtre
fondateur. Pour ce contrat, Kaes (1997) parle de contrat narcissique primaire. Dans ce sens-là,
nous pouvons également évoquer les « pactes dénégatifs », le groupe pouvant fonctionner de
manière cohérente à condition que l’on n’appuie pas sur les fragilités familiales. Ces pactes
étant porteurs de secrets sont infiltrés de traces transgénérationnelles. Ainsi, lorsque la
transmission psychique transgénérationnelle domine elle écarte la possibilité d’accueil de tiers
ou encore l’évolution de la vie familiale. Cela entraine des fonctionnements intrafamiliaux qui
se manifeste sur le mode « rupture/collage » et crée de grandes souffrances du groupe familial.
D’autre part, d’après Boszormenyi-Nagy et Framo (1965) pour fonder notre existence en tant
que soi autonome, nous avons le besoin de nous appuyer sur la présence des autres.
Boszormenyi-Nagy parle ainsi de loyauté jouant un rôle primordial au sein des familles, en effet
il explique que chaque individu a besoin de justice et de réciprocité dans les relations avec ses
proches, ces attentes détermineront par la suite l’attitude qu’ils auront envers eux.
2.3. L’adolescence : période de crise
Cependant les attitudes des adolescents sont également en relation avec la période dans laquelle
ils se trouvent : l’adolescence. Ainsi pour Louis la conflictualité avec son père ou même ses
deux parents dans certains cas, nait peut-être de cette période de crise. L’adolescent est traversé
par deux mouvements assez contradictoires qui sont de maintenir les liens d’attachements et
d’acquérir son autonomie. Il s’agit également d’une période de transition entre les repères
sécurisants de l’enfance et l’intégration de valeurs d’adultes qui sont encore trop flous. Ainsi,
il est fragilisé dans sa groupalité interne et a besoin d’étayage sur la groupalité externe afin de
ne pas s’effondrer psychiquement. Il est question d’un deuil de l’enfance. L’adolescent quitte
peu à peu son monde infantile où ses parents avaient réponse à tout et où le cocon familial
semblait éternel, pour un monde réel où il va devoir trouver ses propres repères, ses réponses à
la question identitaire, de savoir qui il est, pourquoi il est là.
Si l’enfant adhérait aux valeurs parentales, l’adolescent, lui va les remettre en question. L’enjeu
de la fonction parentale est donc de survivre à la destructivité dont l’enfant fait preuve, sans
7
changer, ni renoncer à leurs principes importants. Les adolescents ont besoin de la
confrontation aux adultes. Pour Albert Ciccone, résister ce n’est pas tout accepter, ce n’est pas
laisser tomber. Par ailleurs, chaque parent est traversé par un sentiment de perte à l’adolescence
de leurs enfants, ces derniers se rapprochant de l’autonomie. Cela va donc impliquer pour
certains adolescents de faire face à un surmoi anti-autonome, une notion introduite par
Boszormenyi-Nagy, 1962, pour décrire l’intériorisation inconsciente du mal qu’ils font à leurs
parents en les quittant. En d’autres termes, pour ces adolescents tout pas qu’ils font vers
l’autonomie engendre de la culpabilité.
2.4. La schizophrénie et relations intrafamiliales
Ensuite, les seconds questionnements qui m’ont traversé sont à propos de la maladie du père et
ainsi de l’impact que cela pouvait avoir sur les relations familiales et notamment sur la relation
père-fils. De même, en sachant que la maladie de la schizophrénie puisse être héréditaire dans
certains cas, est ce que l’identification du fils sur son père peut être troublée ? Quel moment
Louis prend-t-il pour souffler ailleurs qu’au domicile familial ? Comment gère-t-il le stress que
cette maladie peut engendrer ? Quelle place a-t-il au sein de la famille ? On sait que la
schizophrénie apporte beaucoup de stress aux personnes qui entourent la personne malade, cette
dernière devient une priorité pour les membres de la famille, ce qui pousse à s’oublier soi-
même. Avec le temps, un sentiment d’épuisement peut rapidement s’instaurer, donnant lieu à
un sentiment de fatigue chronique et ou même d’épuisement total, une perte d’intérêt, d’estime
de soi et d’empathie à l’égard de la personne étant atteinte de schizophrénie. Cela pourrait
expliquer la violence dont Louis peut faire preuve à certains moments et notamment envers
certains comportements que peut avoir son père. Nous pouvons également penser que quelque
chose se joue au niveau de l’idéalisation du père avec une confrontation du père idéal au père
réel. Il ne faut pas non plus négliger le fait que l’ambivalence des sentiments pour son père peut
être extrême étant donné sa maladie, il peut tout à fait l’aimer tout en le détestant lorsque ses
crises surviennent. Le fait que Louis se mette à l’écart dans sa chambre lors des crises de son
père peut laisser penser à un sentiment d’isolement ou bien d’effacement, dû à la place centrale
que la maladie du père prend dans la situation familiale. Au contraire le fait que le père entre
dans la chambre de Louis sans frapper lorsqu’il accueille un ami chez lui peut probablement
être perçu par l’adolescent comme un manque d’intimité. Le système familial est rigide et sans
ouverture vers l’extérieur. Il est compliqué pour les membres de la famille d’entrer en relation
avec des personnes extérieures au cercle familial. L’enjeu de la pathologie est de remettre la
famille en contact avec le monde extérieur.
8
2.5. Le placement, une décision judicieuse ?
Pour finir l’enjeu de cet entretien était tout de même le choix du placement ou non. Une décision
n’étant pas sans incidence. De ce fait on peut discuter ce choix en se demandant s’il est
favorable ou non, ainsi quel impact cela aurait sur l’adolescent ? De même la peur du placement
n’est pas à écarter pour Louis. Il s’est de suite refermé lorsque le placement a été abordé dans
la discussion. Comme cité précédemment le conflit de loyauté est très présent chez les enfants
placés ou comme dans ce cas, dans le cadre d’un possible placement. Malgré de bonnes
conditions de prise en charge les enfants ne peuvent pas grandir sans avoir l’impression de trahir
leurs parents. De plus, le placement est une mesure pour prévenir ou cesser le danger pour
l’enfant, malgré cela elle est vécue par ce dernier comme une pure injustice. Par ailleurs, cette
décision est source de souffrance et d’angoisse pour l’enfant ou l’adolescent, notamment du fait
de la séparation avec ses parents pouvant être très douloureuse. Une fois placé, le risque pour
l’adolescent est qu’il puisse alterner entre provocations envers autrui au sein de l’institution ou
mise en danger de sa propre personne, ce qui mènerait à un placement inefficient. Il est tout à
fait possible que le placement soit potentiellement la bonne solution, et que l’angoisse éprouvée
par l’adolescent puisse le mettre davantage en danger au sein du milieu familial.
2.6. Le dessin en tant qu’épreuve projective
Le dessin est dans cette situation une bonne solution d’expression, l’adolescent n’est pas
forcé de mettre des mots sur ce qu’il ressent mais peut l’exprimer à travers son art. Le dessin
est une manière de communiquer ou même de raconter, tout comme le permet le langage. Le
fait de dessiner permet d’exprimer ses difficultés et ses souffrances, ses angoisses,
particulièrement en donnant du contenu à son dessin. Cela lui permet alors de se décharger de
ses émotions lorsque la parole ne le permet pas ou ne le permet plus. Dans le dessin il est
possible d’inscrire sa réalité, relevant le plus souvent de la réalité socioaffective dans laquelle
il évolue. Ainsi, cela me laisse penser que le dessin peut être une épreuve projective congruente
dans un futur entretien. Dans l’examen psychologique le dessin constitue un outil fondamental
permettant l’évaluation des potentialités cognitives, l’appréhension des irruptions
fantasmatiques et la compréhension des aménagements défensifs (Debray, 2000). Ici, on
pourrait penser que le dessin de la famille serait approprié pour l’adolescent, en effet, ce dernier
a sûrement acquis la notion de représentativité. De plus, l’adolescent va être imprégner de ses
relations familiales dans la construction de ses modèles internes opérants, le dessin témoignera
donc de son système d’attachement, hyperactivé, inhibé ou sécurisé (Vinay, 2020).
9
3. De la place de stagiaire à celle de psychologue
Dans cette situation, il fallait réagir vite avant que la situation familiale ne s’aggrave en
prenant donc la décision d’une demande de placement ou non. L’enjeu de cet entretien était
important, le placement n’étant pas anodin dans la vie d’un enfant, l’avis du psychologue avait
un rôle fondamental et non sans conséquence. La peur de porter le mauvais diagnostic était
considérable. En tant que psychologue, dans ce genre de situation, la question substantielle est
de se demander ce qui est le mieux pour l’enfant ? Mais d’un autre côté peut-on savoir ce qui
est le mieux pour lui en si peu de temps ? Ainsi, le psychologue n’avait pas réellement le temps
d’évaluer correctement la situation, toutefois, j’aurais trouvé plus judicieux, si le temps et la
localisation le permettait, de mettre en place plusieurs entretiens à un intervalle proche tout en
liant cela aux différents dispositifs sur l’extérieur du domicile, déjà préconisé par le
psychologue. Ainsi cela aurait surement donné un aperçu plus clair de ce qu’apporterait ces
solutions afin d’éviter le placement. De cette manière la décision à propos de la demande de
placement aurait été plus juste.
Dans notre situation le psychologue a écouté les besoins de l’enfant, ainsi que sa souffrance, en
essayant de comprendre ce qui l’aiderait à sortir de ce climat tumultueux et s’investir à nouveau
dans sa vie scolaire. En ce qui me concerne je partageais son avis, le fait d’écouter l’enfant me
paraissait la meilleure chose à faire afin de faire évoluer la situation, tout en gardant l’enfant au
sein de son domicile familial pour de ne pas créer de traumatisme avec un changement familial
soudain. Il était tout de même essentiel que l’adolescent puisse trouver un endroit où s’exprimer
sur ses ressentis, où il puisse s’y rendre seul et au moment qu’il le souhaitait.
En tant que psychologue j’aurais préféré ne rien savoir sur la situation de l’adolescent, afin
d’être tout à fait neutre envers lui, en effet la première chose que l’on doit à un sujet en tant que
professionnel lors de la rencontre est l’honnêteté clinique. A cela j’ajouterai que le cadre occupe
une place fondamentale dans la rencontre clinique avec le sujet, ici le lieu chaleureux dans
lequel nous nous trouvions a permis un appui pour le déploiement de la parole de l’adolescent.
Pour finir le psychologue doit savoir contrôler le contretransfert, afin de contenir et supposer.
Ici l’adolescent m’a fait ressentir que le placement était tout sauf ce qu’il souhaitait, que cela
l’angoissait énormément et ce tout au long de l’entretien, ce qui m’a énormément touché. De
plus, contrairement à ce que l’on avait pu me dire auparavant cet enfant était pour moi calme et
quelque peu réserver. Aussi, il semblait important de le rassurer en lui montrant de ce que l’on
pouvait ressentir comme l’a fait le psychologue à un moment de l’entretien en lui disant qu’il
avait l’impression qu’il aimait être en famille et que les séparer n’était pas la bonne solution.
10
Bibliographie
Bocciarelli, É. (2012). Le juge des enfants, le placement et la mecs. Empan, 85, 80-
83. https://doi.org/10.3917/empa.085.0080
De Souza Campos Paiva, M. & Gomes, I. (2007). Violence familiale, transgénérationnel et
pacte dénégatif. Le Divan familial, 18, 139-152. https://doi.org/10.3917/difa.018.0139
Ducommun-Nagy, C. (2012). Comprendre les loyautés familiales à travers l'œuvre d'Ivan
Boszormenyi-Nagy. Enfances & Psy, 56, 15-25. https://doi.org/10.3917/ep.056.0015
Havet, J. M. (2004). Famille et schizophrénie : une brève histoire des concepts. Act. Méd. Int.
- Psychiatrie (21), 5. https://www.edimark.fr/Front/frontpost/getfiles/9439.pdf
Joubert, C. (2004). Psychanalyse du lien familial. Le Divan familial, 12, 161-
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Joubert, C., Ravit, M., Gaillard, G., Grange-Ségéral, É. & Vacheret, C. (2013). Clinique de la
violence transgénérationnelle... à partir d'un dispositif de thérapie familiale psychanalytique.
Cliniques méditerranéennes, 87, 113-126. https://doi.org/10.3917/cm.087.0113
Pirson, O. P., Delatte, B. D., Masson, A. M. M., de Naye, A. R. N., Domken, M. A. D., Dubois,
V. D., Gillain, B. G., Floris, M. F., Mallet, L. M., Stillemans, E. S., & Detraux, J. D. (2012). La
schizophrénie dans la famille. Supplément à Neurone, 17(6).
Vinay, A. (2020). Conclusion. Les apports du dessin dans l’examen psychologique de l’enfant
et de l’adolescent. Dans : , A. Vinay, Le dessin dans l'examen psychologique de l'enfant et de
l'adolescent (pp. 151-155). Paris: Dunod.
Wenderickx, V. (2009). L'adolescence : de l'héritage familial à la liberté individuelle. Cahiers
de psychologie clinique, 33, 85-100. https://doi.org/10.3917/cpc.033.0085

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Etude clinique

  • 1. Réflexion à partir d’une situation clinique
  • 2. Table des matières Introduction ........................................................................................................................1 1. Observation clinique.................................................................................................2 2. Analyse réflexive........................................................................................................5 2.1. La place de stagiaire dans l’entretien .......................................................................5 2.2. Le système familial .......................................................................................................5 2.3. L’adolescence : période de crise ...............................................................................6 2.4. La schizophrénie et relations intrafamiliales...........................................................7 2.5. Le placement, une décision judicieuse ? .................................................................8 2.6. Le dessin en tant qu’épreuve projective...................................................................8 3. De la place de stagiaire à celle de psychologue .................................................9 Bibliographie ....................................................................................................................10
  • 3. 1 Introduction La situation clinique que je souhaite développer dans cet écrit est une situation rencontrée lors de mon stage obligatoire de troisième année. J’ai pu faire mon stage au sein de l’association Sauvegarde 42 qui a pour objectif de protéger l’enfance en danger. Plus précisément, dans le service de placement externalisé, il prend appui sur une mesure de placement à domicile. Ce dispositif propose une alternative au placement avec hébergements, en conservant la possibilité de repli. Il s’appuie sur les compétences parentales reconnues dans le respect des besoins fondamentaux de l’enfant. L’association possède deux antennes, au sein de deux villes différentes. La situation que je vais aborder se déroule sur l’antenne secondaire, qui se situe à une heure de route de l’antenne principale, de ce fait le psychologue ne s’y rend qu’une seule fois par mois. Dans un premier temps, afin de conserver l’anonymat du sujet, j’ai décidé de le renommer Louis. Cette situation s’est déroulée lors d’un entretien clinique avec Louis, un adolescent de 14 ans. Cet entretien a été demandé par l’éducatrice référente. Cette dernière a sollicité le psychologue car elle envisageait une demande de placement pour le jeune garçon afin de le protéger du climat familial dans lequel il vivait à ce moment-là. Les parents et Louis ont été informé de cette possibilité, les parents étaient apparemment d’accord avec cela mais Louis ne l’était absolument pas. L’éducatrice n’étant pas certaine que cette décision soit la bonne, elle a demandé au psychologue d’évaluer la situation avec Louis avant de faire la demande au juge. En ce qui me concerne, il est important de préciser qu’il s’agissait de mon premier entretien. En amont le psychologue m’a apporté quelques informations concernant la situation de Louis, notamment la problématique de la relation père fils, cette dernière se dégradant dû à la maladie du père. Le psychologue m’a précisé que ce dernier avait été diagnostiqué schizophrène et toxicomane. D’autre part, la rencontre entre Louis et le psychologue avait déjà eu lieu quelques années auparavant. En effet, ce jeune est suivi depuis plusieurs années par le service, de ce fait plusieurs entretiens avaient été mis en place par le psychologue sur des périodes échelonnées. Cette situation m’a parue intéressante à travailler, elle m’a fait réfléchir sur de nombreux éléments que je développerai à la suite de mon observation clinique. Les enfants sont le public avec lequel j’aimerai travailler à l’avenir, de ce fait la situation de ce garçon m’a énormément touché. Cette situation fait tout à fait écho au fait que je souhaiterai œuvrer pour protéger les enfants en situation de danger.
  • 4. 2 1. Observation clinique Louis arrive dans les bureaux accompagné de son éducatrice référente. Il s’agit d’un garçon bien habillé, bien coiffé. Dans un premier temps le psychologue accueille le jeune garçon avec bienveillance et sourire puis me présente comme la stagiaire psychologue qui l’accompagne. Nous nous installons dans une petite pièce aménagée spécialement pour les entretiens, à l’atmosphère chaleureuse, au sein des locaux de l’association. Louis s’assoit sur un fauteuil à côté de l’éducatrice sans enlever sa veste, je m’assois à mon tour sur une chaise en face de Louis et le psychologue s’assoit à ma gauche. Toutefois la disposition des fauteuils, placé aux quatre coins de la pièce étroite, fait que Louis est orienté face au psychologue et non face à moi, je ne me trouve pas dans son champ de vision direct. Je me demande aussitôt comment il peut se sentir face à trois adultes. Dans un même temps je suppose qu’il peut être rassuré par la présence de son éducatrice. Une fois installé, le psychologue interpelle Louis en lui demandant comment il va. Louis répond qu’il va bien avec un léger sourire. Puis le psychologue entame la discussion en demandant au jeune garçon s’il sait pourquoi ils se voient aujourd’hui. Louis semble réfléchir, quelques secondes de silence s’écoulent avant que le psychologue intervienne en disant qu’il n’est pas obligé de savoir ou de donner une réponse. Louis réagit directement en disant qu’effectivement il ne sait pas. Le psychologue lui dit que cela ne fait rien. Puis de nouveau quelques secondes de silence s’écoulent, il lui rappelle que la dernière fois qu’ils se sont vus Louis voulait absolument faire du foot, ainsi sa question fut « As-tu pu t’inscrire dans un club de foot ? ». La réponse de Louis est assez enthousiaste, il explique en quelques mots que ce souhait n’est plus d’actualité. Il a pu s’inscrire dans un club, il y a quelques mois, mais cela ne lui a pas plu. Il poursuit en disant qu’il s’est maintenant inscrit dans un club de dessin. Le psychologue lui dit alors que c’est super et lui demande si cela lui plait. Le jeune garçon répond avec une voix enjouée que oui, le psychologue lui demande la fréquence à laquelle il participe à cette activité. Louis lui dit que cela se déroule tous les mercredis après-midi durant deux heures. Louis rajoute qu’il apprécie beaucoup ce nouveau passe-temps et qu’il compte continuer. Le psychologue lui demande ensuite ce qu’en pense ses parents, Louis explique qu’ils sont contents qu’il puisse faire une activité qui lui plait. A ce moment-là l’éducatrice intervient en expliquant au psychologue que les parents font en sorte d’avoir assez d’argent pour pouvoir lui payer ce club car cela est aussi important pour eux.
  • 5. 3 Le psychologue finit par demander à Louis s’il connait d’autres jeune là-bas. Louis explique qu’il a parlé de ce club à un de ses camarades qui était intéressé par le dessin et que depuis cela, ils s’y rendent ensemble car son ami s’y est inscrit. Ensuite le psychologue commence à expliquer à Louis que si on se voit aujourd’hui c’est en particulier dû aux événements familiaux compliqués qu’il connait en ce moment. Louis a le regard baissé. Le psychologue lui demande comment il vit cette situation. Le garçon lui répond en relevant la tête qu’il ne sait pas, sans développer davantage. J’ai l’impression qu’il se renferme aussitôt, il n’a plus l’air enjoué qu’il portait sur son visage quelques minutes auparavant lorsque l’on parlait de dessin. Le psychologue demande à l’éducatrice si elle peut préciser. Elle rajoute qu’en effet Louis a du mal à s’entendre avec ses parents en ce moment et qu’il n’arrive pas à comprendre le comportement de son papa dû à sa maladie, ce qui pousse Louis à être parfois violent dans ses paroles et dans ses gestes avec ce dernier. De plus, Louis se désinvestit énormément à l’école, le climat familial est donc très conflictuel. L’éducatrice explique également que la maman et le papa sont dépassés et n’arrive plus à gérer la situation et que de ce fait l’équipe éducative envisage un possible placement afin d’éviter que la situation ne s’aggrave davantage. Le psychologue intervient et demande à Louis s’il est d’accord avec ce que l’éducatrice explique. Le jeune garçon dit que oui, il a le regard fuyant et la voix basse. A ce moment-là j’ai l’impression qu’il se referme, n’étant plus aussi expressif que quelques minutes auparavant. Le psychologue lui demande alors ce que lui peut penser de la situation. Louis répond que son papa est différent et qu’il a changé depuis quelques temps, que certaines fois son comportement l’énerve parce qu’il fait l’enfant et que d’autre fois il fait des crises soit à cause de sa maladie soit à cause du manque de… il laisse ses derniers mots en suspens. Le psychologue demande ensuite à Louis ce qu’il fait quand ceci arrive. Nous savons tous les trois que Louis tente de parler du manque de drogue malgré qu’il ne prononce pas les mots. Il explique que quand cela arrive, il va dans sa chambre pour être seul. A ce moment-là, Louis laisse un temps de silence puis enchaine en expliquant que quand il invite des amis chez lui son père rentre parfois dans sa chambre sans frapper pour faire « l’idiot ». Le psychologue lui demande ce qu’il ressent dans ces moment-là et rebondit sur le fait que l’adolescent invite des camarades au domicile. Louis spécifie que ses amis sont au courant de la maladie de son père mais que quand le papa entre dans sa chambre sans frapper cela l’énerve. Il dit qu’il peut également ressentir de la gêne à cause du comportement du père. Le psychologue lui demande s’il pense que le placement serait une bonne solution pour apaiser les choses au sein de sa famille. L’adolescent, toujours le regard
  • 6. 4 fuyant, laisse un silence, puis dit « je ne sais pas ». A ce moment-là j’ai l’impression que cette décision n’est vraiment pas celle qu’il souhaite. Le psychologue lui dit qu’il a l’impression que malgré ce qu’il se passe au sein de sa famille, ils aiment être ensemble et que les séparer n’est pas forcément la meilleure solution. Ce à quoi Louis répond « oui ». Je sens alors un regain d’énergie chez Louis, ce dernier esquissant un léger sourire. Puis, le psychologue l’interroge sur d’autres solutions possibles, toujours dans le cadre du placement externalisé, pour aller plus sur l’extérieur afin de prendre du répit avec sa famille et ainsi éviter le placement. Louis réfléchit quelques secondes en laissant un silence et lui dit qu’il ne sait pas. L’éducatrice intervient en expliquant que l’adolescent est déjà aller dans une famille de parrainage durant les dernières vacances et que cela lui a fait du bien ainsi qu’à ses parents et qu’ils étaient heureux de se retrouver après les quelques jours où ils étaient séparés. Le psychologue acquiesce et explique que ce serait bien de recommencer cette expérience, il dit ensuite en s’adressant à Louis que son club de dessin tous les mercredis est également une bonne solution afin de sortir du domicile. Il lui indique qu’un lieu pour parler de ce qu’il ressent peut-être une bonne solution, lui donne comme exemple « la maison des adolescents » où des professionnels accueillent les jeunes afin qu’ils puissent s’exprimer sur ce qu’ils vivent et passer du temps avec d’autres adolescents, cela peut se présenter sous forme d’ateliers ou dans un espace d’accueil neutre. Durant toutes les explications du psychologue Louis écoute mais semble lutter contre la fatigue ses yeux se ferment presque mais il semble faire son possible pour les maintenir ouverts. Le psychologue finit par lui demander quelles matières lui plaisent au collège, ce à quoi Louis répond l’art plastique. Le psychologue lui explique que c’est une bonne chose et qu’à présent il va falloir qu’il soit assidu à l’école, justement pour éviter que le placement soit la seule solution. Le jeune acquiesce d’un signe de tête. Le psychologue demande à l’éducatrice si elle voit des choses à rajouter, cette dernière s’adresse à Louis en lui disant qu’ils vont chercher ensemble davantage de solution pour aller sur l’extérieur. L’adolescent lui dit qu’il est d’accord. Un silence de quelques secondes s’installe puis le psychologue sourit et dit qu’on va s’arrêter là pour aujourd’hui. Le jeune dit oui, le psychologue se lève, l’éducatrice se lève en même temps puis je me lève en même temps que Louis. Le psychologue dit au revoir à Louis qui lui répond, puis je lui dis au revoir à mon tour et il me répond également.
  • 7. 5 2. Analyse réflexive 2.1. La place de stagiaire dans l’entretien L’après coup de cet entretien très riche à fait émerger de nombreux questionnements en moi, auxquels j’aimerai réfléchir afin de voir ce qu’il en résulte. Tout d’abord comme expliqué précédemment j’ai retranscrit mon premier entretien, de ce fait ma place en tant que stagiaire psychologue n’était pas encore tout à fait claire, je ne savais pas concrètement comment pouvait se dérouler un entretien et le cadre qu’il fallait lui donner. Évidemment j’avais lu plusieurs ouvrages auparavant, ces derniers développait la manière de mettre en place l’entretien et la relation entre le patient et le psychologue. De même il nous avait été évoqué dans certains cours quelques données concernant les entretiens. Néanmoins cette fois ci j’ai pu l’expérimenter, de ce fait ce qui émane dans un entretien réel est tout à fait différent que sur des mots écrits. Au début, j’ai pu me demander « comment je me présente ? Où je m’assois ? Qui s’assoit en premier ? ». Puis après un temps de réflexion quant à la place que j’ai tenu durant cet entretien, je me suis rendu compte que je me sentais à ma place et que les choses se sont faites facilement et naturellement. 2.2. Le système familial Toutefois des questionnements concernant le jeune garçon n’ont pas forcément trouvé de réponse sur le moment présent. Je me suis demandé « comment Louis a perçu ma présence ? s’est-il senti observé du fait que je ne parle pas ? A-t-il investit le lieu, du fait qu’il n’enlève pas sa veste ? ». Malgré ces questionnements j’ai observé que Louis n’avait pas forcément de difficulté pour parler avec le psychologue, cela m’amène donc à penser qu’un lien de confiance avait pu s’installer dans les précédents entretiens et était également présent pour celui-ci. Cependant Louis s’est tout de même refermé à un moment précis de la discussion, lorsque le psychologue a abordé la situation familiale. Louis n’était plus aussi enthousiaste qu’il avait pu l’être au début, je ne sais évidemment pas pour quelle raison. Cela m’a donc posé question, « est-ce dû à la situation compliquée qu’il connait avec sa famille ? est-ce dû au fait qu’une mesure de placement ai été envisagée ? Était-il au courant de l’enjeu de cet entretien ? ». Ainsi, je trouve important d’interroger la dynamique familiale, « comment s’organise-t-elle ? S’agit- il d’une famille proche et fusionnelle ? Pourquoi Louis ne souhaite pas être séparé de ses parents malgré le climat instable qu’il rencontre au sein de sa famille ? Quelles alliances se jouent entre eux ? ». Pour répondre à ses interrogations, il est vrai qu’un contrat narcissique, d’après Castoriadis-Aulagnier (1975), se créait entre les parents et le bébé ce qui va définir sa place
  • 8. 6 dans le système familiale. Bien que cela soit un phénomène inconscient, il permet le bon fonctionnement du groupe familial et la construction subjective de l’enfant. Les parents sont ainsi cosignataires du contrat narcissique. Une place est attribuée à chacun par le groupe. Le bébé est donc le porte-parole de la voix fantasmatique du couple au sein de la famille qui permet d’assurer l’immuabilité du groupe. Cela permet d’introduire les idéaux et les valeurs afin que chacun les reprenne à sa manière. Ce contrat repose donc sur l’investissement narcissique des parents pris dans une dimension transgénérationnelle. Grâce à cela le sujet reste lié à l’ancêtre fondateur. Pour ce contrat, Kaes (1997) parle de contrat narcissique primaire. Dans ce sens-là, nous pouvons également évoquer les « pactes dénégatifs », le groupe pouvant fonctionner de manière cohérente à condition que l’on n’appuie pas sur les fragilités familiales. Ces pactes étant porteurs de secrets sont infiltrés de traces transgénérationnelles. Ainsi, lorsque la transmission psychique transgénérationnelle domine elle écarte la possibilité d’accueil de tiers ou encore l’évolution de la vie familiale. Cela entraine des fonctionnements intrafamiliaux qui se manifeste sur le mode « rupture/collage » et crée de grandes souffrances du groupe familial. D’autre part, d’après Boszormenyi-Nagy et Framo (1965) pour fonder notre existence en tant que soi autonome, nous avons le besoin de nous appuyer sur la présence des autres. Boszormenyi-Nagy parle ainsi de loyauté jouant un rôle primordial au sein des familles, en effet il explique que chaque individu a besoin de justice et de réciprocité dans les relations avec ses proches, ces attentes détermineront par la suite l’attitude qu’ils auront envers eux. 2.3. L’adolescence : période de crise Cependant les attitudes des adolescents sont également en relation avec la période dans laquelle ils se trouvent : l’adolescence. Ainsi pour Louis la conflictualité avec son père ou même ses deux parents dans certains cas, nait peut-être de cette période de crise. L’adolescent est traversé par deux mouvements assez contradictoires qui sont de maintenir les liens d’attachements et d’acquérir son autonomie. Il s’agit également d’une période de transition entre les repères sécurisants de l’enfance et l’intégration de valeurs d’adultes qui sont encore trop flous. Ainsi, il est fragilisé dans sa groupalité interne et a besoin d’étayage sur la groupalité externe afin de ne pas s’effondrer psychiquement. Il est question d’un deuil de l’enfance. L’adolescent quitte peu à peu son monde infantile où ses parents avaient réponse à tout et où le cocon familial semblait éternel, pour un monde réel où il va devoir trouver ses propres repères, ses réponses à la question identitaire, de savoir qui il est, pourquoi il est là. Si l’enfant adhérait aux valeurs parentales, l’adolescent, lui va les remettre en question. L’enjeu de la fonction parentale est donc de survivre à la destructivité dont l’enfant fait preuve, sans
  • 9. 7 changer, ni renoncer à leurs principes importants. Les adolescents ont besoin de la confrontation aux adultes. Pour Albert Ciccone, résister ce n’est pas tout accepter, ce n’est pas laisser tomber. Par ailleurs, chaque parent est traversé par un sentiment de perte à l’adolescence de leurs enfants, ces derniers se rapprochant de l’autonomie. Cela va donc impliquer pour certains adolescents de faire face à un surmoi anti-autonome, une notion introduite par Boszormenyi-Nagy, 1962, pour décrire l’intériorisation inconsciente du mal qu’ils font à leurs parents en les quittant. En d’autres termes, pour ces adolescents tout pas qu’ils font vers l’autonomie engendre de la culpabilité. 2.4. La schizophrénie et relations intrafamiliales Ensuite, les seconds questionnements qui m’ont traversé sont à propos de la maladie du père et ainsi de l’impact que cela pouvait avoir sur les relations familiales et notamment sur la relation père-fils. De même, en sachant que la maladie de la schizophrénie puisse être héréditaire dans certains cas, est ce que l’identification du fils sur son père peut être troublée ? Quel moment Louis prend-t-il pour souffler ailleurs qu’au domicile familial ? Comment gère-t-il le stress que cette maladie peut engendrer ? Quelle place a-t-il au sein de la famille ? On sait que la schizophrénie apporte beaucoup de stress aux personnes qui entourent la personne malade, cette dernière devient une priorité pour les membres de la famille, ce qui pousse à s’oublier soi- même. Avec le temps, un sentiment d’épuisement peut rapidement s’instaurer, donnant lieu à un sentiment de fatigue chronique et ou même d’épuisement total, une perte d’intérêt, d’estime de soi et d’empathie à l’égard de la personne étant atteinte de schizophrénie. Cela pourrait expliquer la violence dont Louis peut faire preuve à certains moments et notamment envers certains comportements que peut avoir son père. Nous pouvons également penser que quelque chose se joue au niveau de l’idéalisation du père avec une confrontation du père idéal au père réel. Il ne faut pas non plus négliger le fait que l’ambivalence des sentiments pour son père peut être extrême étant donné sa maladie, il peut tout à fait l’aimer tout en le détestant lorsque ses crises surviennent. Le fait que Louis se mette à l’écart dans sa chambre lors des crises de son père peut laisser penser à un sentiment d’isolement ou bien d’effacement, dû à la place centrale que la maladie du père prend dans la situation familiale. Au contraire le fait que le père entre dans la chambre de Louis sans frapper lorsqu’il accueille un ami chez lui peut probablement être perçu par l’adolescent comme un manque d’intimité. Le système familial est rigide et sans ouverture vers l’extérieur. Il est compliqué pour les membres de la famille d’entrer en relation avec des personnes extérieures au cercle familial. L’enjeu de la pathologie est de remettre la famille en contact avec le monde extérieur.
  • 10. 8 2.5. Le placement, une décision judicieuse ? Pour finir l’enjeu de cet entretien était tout de même le choix du placement ou non. Une décision n’étant pas sans incidence. De ce fait on peut discuter ce choix en se demandant s’il est favorable ou non, ainsi quel impact cela aurait sur l’adolescent ? De même la peur du placement n’est pas à écarter pour Louis. Il s’est de suite refermé lorsque le placement a été abordé dans la discussion. Comme cité précédemment le conflit de loyauté est très présent chez les enfants placés ou comme dans ce cas, dans le cadre d’un possible placement. Malgré de bonnes conditions de prise en charge les enfants ne peuvent pas grandir sans avoir l’impression de trahir leurs parents. De plus, le placement est une mesure pour prévenir ou cesser le danger pour l’enfant, malgré cela elle est vécue par ce dernier comme une pure injustice. Par ailleurs, cette décision est source de souffrance et d’angoisse pour l’enfant ou l’adolescent, notamment du fait de la séparation avec ses parents pouvant être très douloureuse. Une fois placé, le risque pour l’adolescent est qu’il puisse alterner entre provocations envers autrui au sein de l’institution ou mise en danger de sa propre personne, ce qui mènerait à un placement inefficient. Il est tout à fait possible que le placement soit potentiellement la bonne solution, et que l’angoisse éprouvée par l’adolescent puisse le mettre davantage en danger au sein du milieu familial. 2.6. Le dessin en tant qu’épreuve projective Le dessin est dans cette situation une bonne solution d’expression, l’adolescent n’est pas forcé de mettre des mots sur ce qu’il ressent mais peut l’exprimer à travers son art. Le dessin est une manière de communiquer ou même de raconter, tout comme le permet le langage. Le fait de dessiner permet d’exprimer ses difficultés et ses souffrances, ses angoisses, particulièrement en donnant du contenu à son dessin. Cela lui permet alors de se décharger de ses émotions lorsque la parole ne le permet pas ou ne le permet plus. Dans le dessin il est possible d’inscrire sa réalité, relevant le plus souvent de la réalité socioaffective dans laquelle il évolue. Ainsi, cela me laisse penser que le dessin peut être une épreuve projective congruente dans un futur entretien. Dans l’examen psychologique le dessin constitue un outil fondamental permettant l’évaluation des potentialités cognitives, l’appréhension des irruptions fantasmatiques et la compréhension des aménagements défensifs (Debray, 2000). Ici, on pourrait penser que le dessin de la famille serait approprié pour l’adolescent, en effet, ce dernier a sûrement acquis la notion de représentativité. De plus, l’adolescent va être imprégner de ses relations familiales dans la construction de ses modèles internes opérants, le dessin témoignera donc de son système d’attachement, hyperactivé, inhibé ou sécurisé (Vinay, 2020).
  • 11. 9 3. De la place de stagiaire à celle de psychologue Dans cette situation, il fallait réagir vite avant que la situation familiale ne s’aggrave en prenant donc la décision d’une demande de placement ou non. L’enjeu de cet entretien était important, le placement n’étant pas anodin dans la vie d’un enfant, l’avis du psychologue avait un rôle fondamental et non sans conséquence. La peur de porter le mauvais diagnostic était considérable. En tant que psychologue, dans ce genre de situation, la question substantielle est de se demander ce qui est le mieux pour l’enfant ? Mais d’un autre côté peut-on savoir ce qui est le mieux pour lui en si peu de temps ? Ainsi, le psychologue n’avait pas réellement le temps d’évaluer correctement la situation, toutefois, j’aurais trouvé plus judicieux, si le temps et la localisation le permettait, de mettre en place plusieurs entretiens à un intervalle proche tout en liant cela aux différents dispositifs sur l’extérieur du domicile, déjà préconisé par le psychologue. Ainsi cela aurait surement donné un aperçu plus clair de ce qu’apporterait ces solutions afin d’éviter le placement. De cette manière la décision à propos de la demande de placement aurait été plus juste. Dans notre situation le psychologue a écouté les besoins de l’enfant, ainsi que sa souffrance, en essayant de comprendre ce qui l’aiderait à sortir de ce climat tumultueux et s’investir à nouveau dans sa vie scolaire. En ce qui me concerne je partageais son avis, le fait d’écouter l’enfant me paraissait la meilleure chose à faire afin de faire évoluer la situation, tout en gardant l’enfant au sein de son domicile familial pour de ne pas créer de traumatisme avec un changement familial soudain. Il était tout de même essentiel que l’adolescent puisse trouver un endroit où s’exprimer sur ses ressentis, où il puisse s’y rendre seul et au moment qu’il le souhaitait. En tant que psychologue j’aurais préféré ne rien savoir sur la situation de l’adolescent, afin d’être tout à fait neutre envers lui, en effet la première chose que l’on doit à un sujet en tant que professionnel lors de la rencontre est l’honnêteté clinique. A cela j’ajouterai que le cadre occupe une place fondamentale dans la rencontre clinique avec le sujet, ici le lieu chaleureux dans lequel nous nous trouvions a permis un appui pour le déploiement de la parole de l’adolescent. Pour finir le psychologue doit savoir contrôler le contretransfert, afin de contenir et supposer. Ici l’adolescent m’a fait ressentir que le placement était tout sauf ce qu’il souhaitait, que cela l’angoissait énormément et ce tout au long de l’entretien, ce qui m’a énormément touché. De plus, contrairement à ce que l’on avait pu me dire auparavant cet enfant était pour moi calme et quelque peu réserver. Aussi, il semblait important de le rassurer en lui montrant de ce que l’on pouvait ressentir comme l’a fait le psychologue à un moment de l’entretien en lui disant qu’il avait l’impression qu’il aimait être en famille et que les séparer n’était pas la bonne solution.
  • 12. 10 Bibliographie Bocciarelli, É. (2012). Le juge des enfants, le placement et la mecs. Empan, 85, 80- 83. https://doi.org/10.3917/empa.085.0080 De Souza Campos Paiva, M. & Gomes, I. (2007). Violence familiale, transgénérationnel et pacte dénégatif. Le Divan familial, 18, 139-152. https://doi.org/10.3917/difa.018.0139 Ducommun-Nagy, C. (2012). Comprendre les loyautés familiales à travers l'œuvre d'Ivan Boszormenyi-Nagy. Enfances & Psy, 56, 15-25. https://doi.org/10.3917/ep.056.0015 Havet, J. M. (2004). Famille et schizophrénie : une brève histoire des concepts. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), 5. https://www.edimark.fr/Front/frontpost/getfiles/9439.pdf Joubert, C. (2004). Psychanalyse du lien familial. Le Divan familial, 12, 161- 176. https://doi.org/10.3917/difa.012.0161 Joubert, C., Ravit, M., Gaillard, G., Grange-Ségéral, É. & Vacheret, C. (2013). Clinique de la violence transgénérationnelle... à partir d'un dispositif de thérapie familiale psychanalytique. Cliniques méditerranéennes, 87, 113-126. https://doi.org/10.3917/cm.087.0113 Pirson, O. P., Delatte, B. D., Masson, A. M. M., de Naye, A. R. N., Domken, M. A. D., Dubois, V. D., Gillain, B. G., Floris, M. F., Mallet, L. M., Stillemans, E. S., & Detraux, J. D. (2012). La schizophrénie dans la famille. Supplément à Neurone, 17(6). Vinay, A. (2020). Conclusion. Les apports du dessin dans l’examen psychologique de l’enfant et de l’adolescent. Dans : , A. Vinay, Le dessin dans l'examen psychologique de l'enfant et de l'adolescent (pp. 151-155). Paris: Dunod. Wenderickx, V. (2009). L'adolescence : de l'héritage familial à la liberté individuelle. Cahiers de psychologie clinique, 33, 85-100. https://doi.org/10.3917/cpc.033.0085