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Svalbard
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res dans ce climat maritime, les réponses
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fluence sur la science, mais avec de la
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père pouvoir influencer la politique.»
Le Conseil de l’Arctique, avec son se-
crétariat permanent à Tromsø en Nor-
vège, est un des cénacles où les cher-
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appelle à un dialogue constructif entre
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devons veiller à ne pas polariser le débat
ni désigner des boucs émissaires. On ne
peut pas dire: «c’est la faute à l’industrie,
ou à la Chine, ou aux Etats-Unis.» En tant
que consommateur, chaque individu fait
ses choix selon ses connaissances. Au-
jourd’hui, on se noie sous un torrent d’in-
formations, alors quelle est la bonne in-
formation qui doit guider nos politiques
et nos choix? Atteindre une confiance
mutuelle accrue serait précieux.»
Le parc climatique Mimisbrunnr
SurlemontGaldhøpiggen,plushautsom-
met de la Norvège, la fonte de la plaque
de glace Juvfonna a libéré des objets ar-
chéologiques reliés à des activités humai-
nes datant de l’âge du bronze. Alarmés
par la rapidité de la fonte de la glace dont
les plus anciennes parties datent d’il y a
6000 ans, les Norvégiens y ont installé un
parc climatique baptisé Mimisbrunnr.
C’est une référence à la source de sagesse
de la mythologie norvégienne. Le sym-
bole ne peut pas être plus clair: ce Mimis-
brunnr moderneavocationde distillerun
peu de sagesse contemporaine.
Déviation de température de la normale
En °C, aéroport du Svalbard, Longyearbyen
L. PORTIER SOURCE: NORWEGIAN METEOROLOGICAL INSTITUTE
6
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1900 202020001980196019401920
Plus chaud
Plus froid
U Pour les météorologues du Meteorolo-
gisk Institutt (MET), le début du
printemps au Svalbard coïncide à la
première phase de sept jours consécutifs
avec des températures moyennes
journalières supérieures à zéro degré.
La tendance montre une arrivée du
printemps de plus en plus précoce. En
2016, avec les mois de janvier, février,
mars, avril et mai qui ont, globalement,
tous été les plus chauds depuis le début
des mesures, le printemps au Svalbard a
commencé le 7 mai: un mois plus tôt
que d’habitude.
Reidun Gangstø Skaland et Ketil
Isaksen, du MET, ont des données de
température au Svalbard qui remontent
jusqu’à l’année 1900. «On observe une
hausse de la température dans les
masses d’air venant de toutes les
directions. Cependant, celles circulant en
provenance du nord et de l’est sont les
plus concernées par cette hausse. C’est le
résultat de la fonte de la banquise, avec
plus d’eaux libres au nord et à l’est du
Svalbard.» La disparition de la banquise
participe aussitôt à la hausse accélérée
des températures typiques de l’Arctique.
En effet, la radiation solaire auparavant
réfléchie par la glace est absorbée par
l’océan, qui chauffe à son tour la glace et
l’air. Un mécanisme implacable!
Quant à l’évolution des quantités de
précipitations, il est plus difficile d’y
déceler une tendance. La mesure des
précipitations solides (neige) est
compliquée par l’influence du vent. Une
éventuelle hausse des précipitations
peut être due à une élévation du
nombre d’événements de pluie, dont la
mesure est moins affectée par le vent.
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Avec la couche de glace qui se crée au
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Spectacle à la fois impressionnant et désolant. «Quinzeansplustôt, le front duglacier était encore à la hauteur de notre ba- teau», explique le matelot du Polargirl, la voix grave. Le Nordenskiöldbreen est un Surging Tidewater Glacier, soit un glacier dont les cycles d’avancée et de recul sont aussi extrêmes qu’imprévisibles. Comme c’est souvent le cas, le lien entre les mou- vements de ces glaciers et les change- ments climatiques sont beaucoup plus complexes qu’on l’imagine. Ce qui pose une autre question: comment communi- quer les résultats inquiétants des recher- ches scientifiques sur le climat, de façon à la fois crédible et convaincante? Quatre jours après notre départ du Svalbard, le secrétaire d’Etat américain John Kerry visitait lui aussi l’archipel nor- végien. Cinq petites heures pour voir de ses propres yeux les effets spectaculaires du réchauffement et pour écouter les scientifiques au chevet de l’Arctique. Ar- tistes, politiciens, scientifiques, journalis- tes et touristes, tous se pressent au Sval- bard. Qu’attendre de cette attention maximale portée à l’archipel très exposé aux changements climatiques? La porte d’entrée sur l’Arctique Effectivement, le réchauffement est plus important en Arctique que partout ailleurs. Ses effets y sont donc aussi plus visibles. Depuis 1980, l’augmentation de la température moyenne annuelle y a été deux fois plus importante qu’ailleurs sur terre. Au Svalbard, on en observe les ef- fets partout, assure Kim Holmèn, direc- teur de l’Institut polaire norvégien: «Des fjords ne gèlent plus, les glaciers fondent, de nouvelles espèces arrivent. Il y a deux ans, le maquereau a frayé dans nos fjords pour la première fois.» On l’a aussi observé pendant notre séjour. Le 11 juin, sur l’Isfjorden, une ba- leine bleue surgit devant notre bateau. En admiration devant le plus gros animal ayant jamais vécu sur Terre, nous oublions presque qu’elle est remontée si loin au nord trois mois plus tôt que d’ha- bitude. Un effet du réchauffement. Le Svalbard a deux atouts pour la re- cherche.Bien que situé dans les confins arctiques, l’archipel est facile d’accès et l’on s’y installe sans obstacles. L’autre atout est scientifique, explique Kim Hol- mèn: «Les principaux flux d’énergie, d’air et d’eau entrant et sortant de l’Arcti- que passent par le Svalbard. Sa position centrale est cruciale pour comprendre toute une série de mécanismes impliqués dans le changement climatique.» Au sud du Svalbard, les vents domi- nants du sud-ouest et la «dérive nord at- lantique» (branche du Gulf Stream) trans- Artistes, politiciens, scientifiques et journalistes, tous courent au Svalbard, au chevet du climat déréglé. Où conduit cette mobilisation internationale? Kim Holmèn, directeur de l’Institut polaire norvégien, a quarante ans d’expérience avec le changement climatique. Il appelle à «un dialogue constructif». D v i n a Pechora Nouve lle-Zemble Svalbard M er de Barents Mer du Nord M er Baltique Mourmansk Tromsø Pyramiden Arkhangelsk Oslo Copenhague Stockholm Saint- Pétersbourg Amderma Minsk Kaunas Riga Salekhard NORVÈGE R U S S I E FINLANDE SUÈDE Cerclepolairearctique Cerclepolairearctique 2 Longyearbyen portent de l’air et de l’eau chauds – ainsi que des polluants – depuis le sud-ouest vers les régions arctiques. Au nord du Svalbard, les vents polaires soufflant de l’est et le courant du Groenland oriental font l’inverse. Quand on ajoute la flore et la faune arctiques ainsi que la diversité géologique du Svalbard, on comprend pourquoi des chercheurs se sont intéres- sés à cette terre isolée depuis deux siè- cles. Une ancienne station météorologi- que sur le sommet du Nordenskiöldfjellet (1050 m) témoigne de cet intérêt ancien. 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En revanche, tout le monde a une opinion sur les change- ments climatiques. Kim Holmèn, avec ses quarante ans d’expérience et une grande sagesse, l’a constaté: «Nous recevons beaucoup de visiteurs, et nombreux sont ceuxquiontunagenda.Lesidéesprécon- çues peuvent être un problème pour la science.» Il sourit: «La politique a de l’in- fluence sur la science, mais avec de la bonne science, basée sur les faits, on es- père pouvoir influencer la politique.» Le Conseil de l’Arctique, avec son se- crétariat permanent à Tromsø en Nor- vège, est un des cénacles où les cher- cheurs sont entendus. Mais il lui manque un réel pouvoir décisionnel. Kim Holmèn appelle à un dialogue constructif entre tous les acteurs: «Il n’y a pas de conflit entre environnement et économie. Nous devons veiller à ne pas polariser le débat ni désigner des boucs émissaires. 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Déviation de température de la normale En °C, aéroport du Svalbard, Longyearbyen L. PORTIER SOURCE: NORWEGIAN METEOROLOGICAL INSTITUTE 6 4 2 0 –2 –4 –6 1900 202020001980196019401920 Plus chaud Plus froid U Pour les météorologues du Meteorolo- gisk Institutt (MET), le début du printemps au Svalbard coïncide à la première phase de sept jours consécutifs avec des températures moyennes journalières supérieures à zéro degré. La tendance montre une arrivée du printemps de plus en plus précoce. En 2016, avec les mois de janvier, février, mars, avril et mai qui ont, globalement, tous été les plus chauds depuis le début des mesures, le printemps au Svalbard a commencé le 7 mai: un mois plus tôt que d’habitude. Reidun Gangstø Skaland et Ketil Isaksen, du MET, ont des données de température au Svalbard qui remontent jusqu’à l’année 1900. «On observe une hausse de la température dans les masses d’air venant de toutes les directions. 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