Par François Bousquet - Éléments n°166 (juin-juillet 2017) - À l’occasion du colloque de l’Institut Iliade « Européens : transmettre ou disparaître », Thibaud Cassel a réuni une anthologie poétique, Le chant des alouettes, publiée par les éditions Pierre-Guillaume de Roux. Un condensé de la civilisation européenne.
Comment définir une civilisation d’un trait, et d’un trait qui n’ait ni l’approximation d’une formule alchimique ni l’aridité d’une équation mathématique ? Rien de tel que la poésie. Et quel continent a tout jeté dans ses vers, dans sa littérature – son âme, son élan vital, sa physionomie ? L’Europe. Depuis Homère. Les livres en sont le dépôt vivant. Le grand John Cowper Powys disait d’eux qu’ils renferment « la parole de l’homme opposée au silence de la nature et au mutisme cosmique ; ils représentent la vie de l’homme face à la mort planétaire, la révélation faite à l’homme par le dieu qui l’habite, et la réponse de l’homme au dieu extérieur. Quiconque touche un livre, ne touche pas seulement “un homme”, mais touche l’Homme avec une majuscule. L’homme est l’animal qui pleure, qui rit, et qui écrit. Si le premier Prométhée a volé le feu du ciel dans une tige de fenouil, le dernier l’y rapportera dans un livre ». C’est plus vrai encore de l’homme européen. Thibaut Cassel s’en est souvenu. Il a enfermé l’Europe dans un écrin de papier: une anthologie poétique, une soixantaine de textes reliés les uns aux autres par un même patrimoine, historique ou génétique, qu’importe, pour l’essentiel français. Pari audacieux, pari tenu.
Ils tracent le limes culturel de l’Europe. Un « vaste poème identitaire », résume l’auteur dans une introduction limpide dont il faudrait tout citer. « L’Europe, c’est l’expression de nos peuples à la clarté des astres parents et successifs de la Grèce, de Rome, de la chrétienté puis des nations. » Elle doit ce qu’elle est au génie grec, à la romanitas et à la Respublica christiana qui, à travers les Universités médiévales, diffusa sur le continent une langue et une philosophie communes, le latin et l’aristotélisme. Les cités, l’empire, les nations, longue chaîne ininterrompue.
La légende par-dessus les siècles Le grand poème identitaire européen
1. éléments N°166
I36-37
La légende par-dessus les siècles
Le grand poème identitaire européen
Poésie
C
omment définir une civilisation
d’un trait, et d’un trait qui n’ait ni
l’approximation d’une formule al-
chimiquenil’ariditéd’uneéquationmathé-
matique? Rien de tel que la poésie. Et quel
continent a tout jeté dans ses vers, dans sa
littérature – son âme, son élan vital, sa phy-
sionomie?L’Europe.DepuisHomère.Lesli-
vres en sont le dépôt vivant. Le grand John
Cowper Powys disait d’eux qu’ils renfer-
ment « la parole de l’homme opposée au si-
lencedelanatureetaumutismecosmique;
ils représentent la vie de l’homme face à la
mort planétaire, la révélation faite à
l’homme par le dieu qui l’habite, et la ré-
ponse de l’homme au dieu extérieur. Qui-
conque touche un livre, ne touche pas
seulement “un homme”, mais touche
l’Hommeavecunemajuscule.L’hommeest
l’animal qui pleure, qui rit, et qui écrit. Si le
premierProméthéeavolélefeuducieldans
unetigedefenouil,ledernierl’yrapportera
dans un livre ». C’est plus vrai encore de
l’homme européen. Thibaut Cassel s’en est
souvenu. Il a enfermé l’Europe dans un
écrin de papier: une anthologie poétique,
une soixantaine de textes reliés les uns aux
autresparunmêmepatrimoine,historique
ou génétique, qu’importe, pour l’essentiel
français. Pari audacieux, pari tenu.
Ils tracent le limes culturel de l’Europe.
Un«vastepoèmeidentitaire»,résumel’au-
teur dans une introduction limpide dont il
faudrait tout citer. « L’Europe, c’est l’ex-
pression de nos peuples à la clarté des as-
tres parents et successifs de la Grèce, de
Rome, de la chrétienté puis des nations. »
Elle doit ce qu’elle est au génie grec, à la ro-
manitas et à la Respublica christiana qui, à
travers les Universités médiévales, diffusa
surlecontinentunelangueetunephiloso-
phie communes, le latin et l’aristotélisme.
Les cités, l’empire, les nations, longue
chaîne ininterrompue.
Rompre le sortilège
de la dormition
Il n’est pas anodin que la tradition et la
transmissionaientlamêmeétymologiela-
tine,traditio,l’«actedetransmettre».C’est
le patrimoine écrit reçu en indivision par
tous les Européens qui ne « sont [que] l’ex-
pressionpassagèred’unêtrecollectif,fruit
d’un héritage et d’une volonté ». Une Eu-
ropedélestéedujargontechnocratique,où
lesseulesnormesquiprévalentsontlesrè-
gles de versification. Une tapisserie et une
marqueterie qui dessinent un continent
littéraire, lequel enjambe les siècles pour
n’en former plus qu’un. La grammaire
d’unecivilisation,diraitBraudel.Autantde
jalonsetdepharesquifontétatd’unconti-
nuum en dépit des lignes de brisure. Vir-
gile, du Bellay, Corneille, Musset, Hugo,
Vigny,Nerval,etc.,jusqu’àDominiqueVen-
ner et Maurice Rollet.
L’auteurasouhaitédonneràsonflorilège
une unité de style. C’est le classicisme qui
laluiprocure,maisunclassicismedansle-
quel les romantiques se taillent la part du
lion. Tout choix est arbitraire; on veut dire
par là qu’il est le résultat d’un arbitrage. Le
compilateur fait jouer ses dilections per-
sonnelles – les affinités électives chères à
Goethe: elles le poussent vers Chénier et
Chateaubriand.
Chemin faisant, il a élevé un temple et
une cathédrale dont ces poèmes sont
comme les murs porteurs. Les pièces de la
maison peuvent être redistribuées et
mêmedisparaître,euxperdurentàtravers
lesâges,duSiècledePériclèsauGrandSiè-
cle, du Siècle d’or espagnol au Sturm und
Drang. C’est cette continuité plurimillé-
naire qui frappe. De Théophraste à La
Bruyère,d’ÉsopeàLaFontaine,d’Eschyleà
Racine,d’HoraceàBoileau,dePlauteàMo-
lière. Et on pourrait poursuivre la liste.
« Thibaud Cassel, précise Christopher
Gérard dans sa préface, fait partie de ces
hoplites et de ces amazones qui, groupés
autour de l’Institut Iliade, entendent rede-
venir les acteurs de leur destin et refusent
la mortelle résignation. » Ainsi en est-il du
chant des alouettes, augure favorable que
guettaient les Anciens pour se concilier les
grâces des Dieux et qui fera peut-être que
l’actuelle dormition des Européens ne soit
pas leur agonie. Q
Thibaud Cassel, Le chant des alouettes. Anthologie
poétique, Pierre-Guillaume de Roux-Institut Iliade,
176 p., 16 €.
Par François Bousquet
À l’occasion du colloque de l’Institut Iliade « Européens: transmettre ou disparaître », Thibaud Cassel a réuni une an-
thologie poétique, Le chant des alouettes, publiée par les éditions Pierre-Guillaume de Roux. Un condensé de la civi-
lisation européenne.
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