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- 1. LES MEULES ROMAINES DE SEPT CHEFS-LIEUX DE CITÉ DE GAULE
BELGIQUE OCCIDENTALE, ÉTUDE DU MATÉRIEL ET SYNTHÈSE
BIBLIOGRAPHIQUE
Paul Picavet, Gilles Fronteau, François Boyer
Association Revue du Nord | « Revue du Nord »
2011/5 N° 393 | pages 167 à 226
ISSN 0035-2624
DOI 10.3917/rdn.393.0167
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- 2. 1. INTRODUCTION
1.1. Du moulin va-et-vient au moulin hydraulique
Les premières traces de moulin rotatif sont obser-
vées, dans le nord de la France, dans la première moi-
tié du IIe s. av. J.-C., alors que d’importants change-
ments interviennent dans la société. Avec les
premières formes de regroupement de l’habitat, de
nouvelles techniques sont introduites, comme le tour-
nage de la céramique. C’est alors que le moulin rotatif
prend progressivement la place du moulin va-et-vient
utilisé depuis le Paléolithique Supérieur pour le
broyage minéral et la mouture des céréales1. D’un
broyage provoqué par un mouvement alternatif appli-
qué à une molette en pierre sur une dalle fixe, l’on
passe à une mouture opérée par la rotation autour d’un
axe vertical d’une meule supérieure circulaire, le
catillus, sur une meule dormante, la meta. Le grain est
introduit dans le moulin par le centre du catillus percé
d’un œil, son enveloppe est brisée par l’action d’une
meule sur l’autre, et le produit s’échappe à la périphé-
rie du dispositif sous forme de farine. Les rendements
sont accrus, et le temps et la pénibilité du travail sont
réduits. Diverses estimations ont été proposées,
basées sur des reconstitutions expérimentales ou sur
des observations ethnographiques; les résultats obte-
nus divergent beaucoup, mais donnent un ordre de
grandeur du bénéfice apporté par le mouvement rota-
tif. Ainsi, en une heure, un moulin rotatif pourrait
moudre, selon les estimations, de deux à dix fois plus
de blé qu’un moulin va-et-vient2.
L’origine géographique de la transition entre mou-
lin va-et-vient et moulin rotatif a longtemps fait
débat3, se déplaçant selon les découvertes entre l’est,
le centre et l’ouest du bassin méditerranéen. Si cette
transition est actuellement établie au début du IIe s. av.
J.-C. dans le nord de la Gaule, des découvertes effec-
tuées ces vingt dernières années montrent qu’elle s’ef-
fectue trois siècles plus tôt dans le nord-est de la
péninsule ibérique, dès le début du Ve, voire la fin du
VIe s. avant notre ère4. Dans la première moitié du IIe s.
av. J.-C., Caton désigne d’ailleurs les meules rotatives
manuelles sous le terme de molas hispanienses (Cat.,
De agr., 10, 4). Cela n’y fixe pourtant pas de manière
définitive l’origine du moulin rotatif; ce qui pourrait
être un fragment de meule rotative a été mis au jour
dans une sépulture datée du dernier quart du VIe s.
*. — Paul PICAVET, membre d’ABG et du Groupe Meule, courriel :
paul.picavet@gmail.com; Gilles FRONTEAU, GEGENA, Université de
Reims Champagne-Ardenne; François BOYER, professeur émérite de
géologie, Université de Paris IV — La Sorbonne. Ce travail étant
adapté d’un mémoire de master (Université Lille 3, 2011), mes remer-
ciements vont en premier lieu à Xavier Deru et Javier Arce pour leurs
relectures, leurs réflexions et leurs précieux conseils à tous les niveaux
de sa réalisation. Par ailleurs, les analyses et conclusions proposées
n’auraient pu être élaborées sans l’aide des membres du Groupe Meule.
Le catalogue a pu être constitué grâce à l’aimable autorisation des res-
ponsables des musées et services archéologiques qui conservent le
mobilier, ainsi que des responsables d’opération d’archéologie préven-
tive qui ont découvert des meules ces dernières décennies.
Mentionnons l’accueil chaleureux de Véronique Beirnaert-Mary et
d’Isabelle Bollard-Raineau au musée/site archéologique départemental
de Bavay, de Noël Mahéo au musée de Picardie à Amiens, d’Angélique
Demon et de Séverine Leclerc au Service archéologique municipal de
Boulogne, d’Alain Jacques au Service archéologique municipal
d’Arras, de Dominique Roussel à Soissons, et de l’équipe du Service
archéologique municipal de Beauvais, sous la direction de Jean-Marc
Fémolant. Pour l’accès aux collections et la documentation relative aux
fouilles récentes, merci à Eric Binet et Dominique Gemehl, respon-
sables d’opérations à l’Inrap Picardie, à Agnès Balmelle et Philippe
Rollet de l’Inrap Champagne-Ardenne. Enfin, merci à Florent Jodry
(Inrap Alsace) pour l’étude des meules de la ZAC du Vieux Port à
Reims.
1. — POMMEPUY 1999, p. 125, 131-132; ARCAMBAULT DE BEAUNE
2000, p. 12; TREUIL 2002; POMMEPUY 2003, p. 378.
2. — DEMBINSKA 1985; PY 1992, p. 227; GAST 1968, p. 350.
3. — LINDET 1899, p. 424-427; CURWEN 1937; 1944; CHILDE 1943;
MORITZ 1958; PEACOCK 1989, p. 213.
4. — ALONSO-MARTINEZ 1995, p. 15; ALONSO-MARTINEZ 1997.
PAUL PICAVET avec la coll. de
GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER*
Les meules romaines de sept chefs-lieux de cité
de Gaule Belgique occidentale,
étude du matériel et synthèse bibliographique
ARCHEOLOGIE DE LA PICARDIE ET DU NORD DE LA FRANCE (REVUE DU NORD, T. 93, 2011, N° 393, P. 167-226)
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- 3. avant notre ère sur la colline de Byrsa à Carthage5.
L’auteur de la publication de cette découverte parle
d’une innovation ibéro-punique qui pourrait trouver
sa place dans le monde punique en Méditerranée occi-
dentale. Mais en Angleterre, la fouille du site de
Danebury (Hampshire) a fourni des meules datées du
IIIe voire même du IVe s. av. J.-C.6, et celle du site de
Gussage-all-Saints (Dorset) du Ve s. av. J.-C.7, alors
qu’aucun exemplaire n’est connu dans le nord de la
France avant le IIe s. av. J.-C. Même s’il ne faut pas
ignorer les nombreux contacts qui ont lieu entre des
territoires parfois éloignés, il faut peut-être supposer
une innovation survenue à différents endroits à peu de
temps d’écart, comme le suggère l’apparition du mou-
lin rotatif en Chine au Ier s. avant notre ère8. Toutefois,
et malgré cette innovation, les meules va-et-vient res-
tent parfois en usage dans le monde romain où elles
sont employées pour le broyage de produits non
céréaliers comme le sel et les pigments, ou le décorti-
cage des légumineuses9, et même jusqu’au XXe s. dans
certaines régions du monde10.
Parallèlement au moulin rotatif développé dans la
péninsule ibérique, et à la même période, un moulin à
trémie dit de type « Olynthe », du nom du site qui en a
fourni les plus nombreux exemplaires, applique le
mouvement alternatif pour le broyage céréalier et
minéral en Méditerranée orientale11. Constitué d’une
dalle supérieure rectangulaire percée d’une longue
fente axiale par laquelle le grain est introduit, et
entraînée sur un axe horizontal avec un mouvement de
va-et-vient sur une autre dalle rectangulaire immobile,
ce type de moulin est attesté dans tout le monde grec
classique pendant la deuxième moitié du premier mil-
lénaire avant notre ère12. Il est même présent dans la
zone d’influence des cités grecques du sud de la
Gaule jusqu’à la conquête romaine, alors qu’autour
d’elles semble se diffuser le moulin rotatif à partir du
IVe s.13, et plus massivement au IIIe s. avant notre ère14.
Par ailleurs, des meules rotatives de forme haute,
mais à actionnement manuel, dites de type
« Morgantina », sont attestées pour le IVe s. avant
notre ère sur plusieurs sites de la Sicile punique et
pourraient avoir été adaptées à la traction animale par
les Romains15. C’est ainsi, de nouveau, une origine
punique qui est avancée pour comprendre le dévelop-
pement à Rome, à partir du début du IIe s. av. J.-C.16,
du grand moulin biconique à traction animale appelé
mola asinaria par Caton (Cat., De agr., 10, 4), et dit
de type « Pompéi » d’après le nom du site où il est le
plus représenté. Jusqu’à la multiplication des moulins
à eau sur les rivières, ces grandes meules produisent
de la farine à des fins commerciales dans les boulan-
geries de l’Italie romaine17 et de la majeure partie du
monde romain18, et jusque dans les agglomérations de
Gaule Belgique que sont Amiens, Reims et
Soissons19.
Enfin, la bibliographie s’enrichit de plus en plus de
publications de fouilles de moulins à eau et de
réflexions sur la place de l’énergie hydraulique et de
l’innovation technique dans l’Antiquité20. C’est ce
type de moulin, décrit par Vitruve au début du Ier s.
(Vitr., De arch., X, 5, 2), et capable de moudre à
grande échelle, hors du cadre domestique, qui connaît
une forte postérité dès le Haut Moyen Âge21 et par-
tage ensuite l’activité avec les moulins à vent d’inven-
tion médiévale, jusqu’à l’introduction de la meunerie
industrielle au XIXe s.
1.2. Enjeux et problématique
Si les publications traitant de la meunerie antique
sont nombreuses et variées, les références manquaient
pour les régions du nord de la France. Des études
locales existent, mais elles sont souvent anciennes22,
et restent cantonnées à un territoire très restreint23, ou
à une période différente de celle traitée ici24. Ces
divers travaux sont pourtant primordiaux pour enri-
chir cette synthèse, fournissant des repères à fins de
comparaisons, et un point de départ à la réflexion. Il
faut mentionner de manière particulière l’important
travail de recherche mené dans les années 1990 par
Claudine Pommepuy dans la vallée de l’Aisne et por-
tant sur les meules d’époque protohistorique, dont une
part est constituée par les premiers moulins rotatifs de
La Tène finale. La typologie proposée est aujourd’hui
largement utilisée par les archéologues picards et nor-
distes travaillant sur la fin du second Âge du Fer.
5. — MOREL 2001.
6. — CUNLIFFE 1984; BOYER, BUCHSENSCHUTZ 1998, p. 199.
7. — WAINRIGHT 1979; BOYER, BUCHSENSCHUTZ 1998, p. 199.
8. — AMOURETTI 1986, p. 146.
9. — ALONSO-MARTINEZ 2002, p. 112; AMOURETTI 1995, p. 37.
10. — GAST 1968, p. 347-350.
11. — AMOURETTI 1986, p. 140; AMOURETTI 1995, p. 39.
12. — AMOURETTI 1985, p. 135.
13. — GARCIA 1995, p. 28; REILLE 2000 p. 264, 266, 269.
14. — PY 1992, p. 195.
15. — WHITE 1963, p. 205-206; PEACOCK 1989, p. 213; PY 1992,
p. 213.
16. — MORITZ 1958, p. 74; AMOURETTI 1986, p. 246; PY 1992, p. 213;
LUCAS 2006, p. 11.
17. — PEACOCK 1989; BAKKER 1999; DE RUYT 2002.
18. — LINDET 1900, p. 20; MORITZ 1958, p. 91; LUQUET 1966; DRINE
2001.
19. — BÉAL 1996; JACCOTTEY, LONGEPIERRE et alii 2011.
20. — CURWEN 1944; MORITZ 1956; MORITZ 1958; WIKANDER 1984.
21. — LORQUET 1994.
22. — ROGINE 1876; LINDET 1900.
23. — CHAMBON 1954; LANGEDOCK 1976; COLONVAL 2009.
24. — POMMEPUY 1999; POMMEPUY 2003.
168 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
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- 4. Pour la période romaine, plusieurs régions fran-
çaises sont couvertes par les activités du « Groupe
Meule », créé à l’occasion du colloque de Grenoble
sur les meulières (22-25 septembre 2005), puis ras-
semblé autour d’un Programme collectif de recherche
sur « l’évolution typologique et technique des meules
du Néolithique à l’an mille sur le territoire fran-
çais »25. Ce groupe de recherche a pour objectif prin-
cipal de recenser les meules mises au jour et conser-
vées en France, dans une base de données accessible à
tous ses membres et exploitée dans le cadre de syn-
thèses nationales, sans pourtant s’enfermer dans son
territoire puisque des chercheurs des pays limitrophes
(Belgique, Allemagne, Suisse, Espagne) y sont asso-
ciés.
Le choix a été fait ici de n’aborder que les meules
des chefs-lieux de cités de Gaule Belgique occiden-
tale, en vue d’obtenir une cartographie générale de la
répartition des meules sur une région large selon leur
matériau et leur forme. Les meules faisant l’objet
d’une dispersion à longue distance, il semblait inté-
ressant dans un premier temps d’obtenir cette distri-
bution, afin de faciliter les études locales à venir dans
un futur proche. Ainsi, le but de ce travail sera d’iden-
tifier les roches constitutives des meules et leurs car-
rières d’extraction, et de discerner des types de
meules dont la détermination sera basée sur l’étude
morphométrique et technique des individus. Par
ailleurs, au-delà de ces approches pétrographiques et
morphologiques, l’importance de l’activité de meune-
rie dans l’économie des villes gallo-romaines du nord
de la Gaule sera précisée, et les questions de l’utilisa-
tion des meules et des traditions culturelles relatives à
leur conception et à leur usage seront abordées, sans
pour autant pouvoir être beaucoup développées car la
documentation disponible est peu abondante.
1.3. Problèmes de datation
La composition du corpus choisi a posé un sérieux
problème pour l’acquisition des données et le posi-
tionnement d’une typologie dans le temps. Ces objets
en pierre, bien que préservés à travers le temps sur les
sites archéologiques, ont souvent été maltraités après
leur mise au jour, quand il s’agissait de découvertes
anciennes. Et même lorsqu’ils ont été conservés au
sein des collections de musées, ils n’ont pas toujours
été inventoriés, et sont donc privés de provenance pré-
cise, et encore plus de datation. Il est souvent néces-
saire de rechercher leur trace dans les archives afin de
reconstituer le parcours effectué depuis leur décou-
verte. En l’absence de datation, il faudra accepter la
supposition que certains sites, ici ceux des villes
d’Amiens, de Bavay, d’Arras, de Soissons et de
Beauvais, n’ont pas été occupés antérieurement à la
conquête romaine. Ainsi, lorsque l’on connaît la pro-
venance du matériel, il semble permis, grâce à la com-
paraison des critères de forme et de dimensions, de
l’attribuer à la période romaine. Pour les objets
dépourvus de provenance, il sera impossible de tran-
cher entre une présence résiduelle d’instruments de
forme protohistorique et une origine extérieure à
l’emplacement de l’agglomération.
Dans le cas du mobilier issu de fouilles récentes,
l’inventaire, la conservation, et parfois l’étude, sont de
bien meilleure qualité, et les informations concernant
les objets sont généralement plus précises, voire com-
plètes.
Cependant, les indices de datation sont trop diffus
et de nature trop différente pour que toutes les meules
puissent être positionnées harmonieusement les unes
par rapport aux autres, et la création d’une chrono-
typologie est impossible dans l’état actuel des choses.
1.4. Constitution du corpus
Les mots catillus et meta sont, par convention,
invariables et utilisés pour désigner respectivement la
meule tournante et la meule dormante, et sont accep-
tés par la majorité des chercheurs travaillant sur le
sujet26.
L’étude a porté sur une collection de 271 meules,
composée de 154 catillus, 106 meta, et 11 meules de
catégorie indéterminée; ces exemplaires sont conser-
vés au musée de Picardie à Amiens (110 meules), au
musée/site archéologique départemental de Bavay (76
meules), dans les Services archéologiques munici-
paux de Beauvais (20 meules), Boulogne-sur-Mer (15
meules), Soissons (14 meules), et Arras (6 meules),
dans le dépôt AFAN du musée Saint-Remi à Reims
(12 meules) (fig. 1). Dix meules conservées à la base
Inrap de Reims ont été étudiées par F. Jordy (Inrap
Alsace), et les meules de type « Pompéi » de Soissons
et Reims ont été étudiées par B. Robert (Inrap
Picardie), S. Lepareux-Couturier (Inrap Île-de-
France) et F. Jodry. Le nombre d’individus pris en
compte varie beaucoup d’une ville à l’autre, avec un
maximum de cent dix à Amiens et un minimum de six
à Arras. Cette variation s’explique par un déséquilibre
des opérations archéologiques, certaines villes ayant
fait l’objet d’un nombre de fouilles plus élevé, mais
25. — GROUPE MEULE (coll.) 2009; BUCHSENSCHUTZ et alii (dir.) 2011;
http://www.archeo.ens.fr/spip.php?rubrique44
26. — JODRY 2011a, p. 21.
LES MEULES ROMAINES DE SEPT CHEFS-LIEUX DE CITÉ DE GAULE BELGIQUE... 169
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- 5. aussi par une conservation plus ou moins attentive des
vestiges dans le passé. Dans ces conditions, il ne sera
pas possible de réaliser une étude comparative du
matériel de mouture des différents chefs-lieux de
cités, mais plutôt une mise en parallèle de leur corpus,
avec un regroupement des roches et des types iden-
tiques pour une étude d’ensemble.
2. ROCHES ET CARRIÈRES, APPROCHE
PÉTROGRAPHIQUE ET BILAN BIBLIOGRAPHIQUE
(avec la collaboration de G. Fronteau et F. Boyer)
Les meules sont présentes au quotidien dans le
monde antique car leur rôle est primordial dans la pré-
paration alimentaire. Mais, lorsqu’ils arrivent dans
leur lieu d’action, milieu domestique ou meunerie
artisanale, ces objets en pierre ont déjà parcouru un
chemin qui peut être long de plusieurs centaines de
kilomètres, et sont passés entre les mains de plusieurs
acteurs. Les sites d’extraction des meules, souvent
anciennement décrits, mériteraient une attention
poussée pour vérifier ou écarter les idées émises
autrefois, et surtout pour mieux comprendre le circuit
de production des meules.
Un panorama des carrières de meules connues en
France a déjà été dressé lors du colloque de Grenoble
(22-26 septembre 2005)27, précisé ensuite par Alain
Belmont28 pour l’époque moderne. Mais aucun des
gisements exploités à l’époque romaine pour l’extrac-
tion des meules du nord de la Gaule n’y figurait.
Depuis, l’activité de Gilles Fronteau et de François
Boyer pour le Groupe Meule a permis une avancée
considérable dans la connaissance de ces gisements.
Les carrières sont visibles dans le paysage sous
forme de trous circulaires ou de grandes levées de
débris pierreux, et ont souvent interpellé les habitants
locaux, qui les ont désignées sous des appellations qui
laissent transparaître le mystère qu’elles suscitent.
Ainsi, les lieux-dits « les Hogues » en Normandie se
rapportent souvent à des exploitations anciennes exca-
vées; et à Macquenoise, sur la frontière franco-belge,
le « Camp de Macquenoise » ou « Camp des
Sarrasins »29 révèle bien l’interprétation romantique
des immenses levées de pierre et des ruines qui bor-
dent le village.
2.1. L’arkose d’Haybes/Macquenoise
2.1.1. Description et origine géologique
L’arkose d’Haybes (fig. 2) est un grès feldspathique
grossier gris clair d’aspect homogène, parfois grano-
classé, et composé de grains de quartz à cimentation
siliceuse peu abondante mais forte. Ce grès présente,
en plus de quelques grains de feldspath plus ou moins
altérés, une petite quantité de cristaux de tourmaline
noire millimétriques à pluri-millimétriques très bien
visibles à l’œil nu et qui en font un faciès caractéris-
tique. La teinte de la roche s’altère avec son passage
au feu, provoqué par l’emploi secondaire des meules
comme pierres de foyer; en surface, les cristaux de
quartz deviennent laiteux et la phase de liaison s’obs-
curcit jusqu’au gris sombre. À l’intérieur de la roche,
le quartz prend une coloration rosée.
Le banc d’arkose d’Haybes, dont sont issues les
meules, épais de 50 m, apparaît sur la feuille d’Hirson
27. — BELMONT, MANGARTZ 2006.
28. — BELMONT 2006.
29. — CHAMBON 1954, p. 13.
170 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
Boulogne/Mer
Arras Bavay
Amiens
Beauvais
Soissons Reims
200 km
0
FIG. 1. — Sept chefs-lieux de cité de Gaule Belgique.
© ABG.
FIG. 2. — L’arkose d’Haybes/Macquenoise.
Cliché macro Picavet 2009.
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- 6. (Aisne) de la carte géologique30 dans l’étage géolo-
gique du Gédinnien, à la base du Dévonien (ère
Primaire) (fig. 3). Il affleure d’ouest en est depuis
Mondrepuis (Nord) jusque dans les alentours de
Haybes (Ardennes). Des veines de texture hétérogène
parcourent probablement la formation car on observe,
sur certaines meules, des faciès à tendance conglomé-
ratique, parfois lités ou entaillés de fissures remplies
de ciment quartzeux laiteux.
2.1.2. Origine géographique: carrières connues et
carrières supposées
Anciennement surnommée « pierre sarrazine » ou
« pierre à grains de sel » par les habitants du secteur31,
l’arkose d’Haybes est présente à la bordure méridio-
nale des Ardennes, dans la région d’Hirson et dans la
vallée de la Meuse. Elle a été exploitée pour la fabri-
cation de meules va-et-vient dès l’Âge du Bronze
final32. Des carrières sont connues pour la période
romaine, mais n’ont fait l’objet d’aucune opération
archéologique depuis l’exploration du Prince de
Chimay dans la deuxième moitié du XIXe s.33. Elles
sont situées en forêt domaniale de Saint-Michel
(Aisne), dans le secteur de Macquenoise (Momignies,
Hainaut, Belgique), à cheval sur la frontière franco-
belge34, soit à la limite des cités des Nerviens et des
Rèmes35. D’après A. Duvaux36 et R. Chambon37,
entre Macquenoise à l’est, et le nord de l’étang du
« Pas-Bayard » (Hirson, Aisne) à l’ouest, s’étend sur
4 km le long de la rive gauche de l’Oise, un talus de
débris d’arkose large de 30 m et haut de 15 m, autre-
fois interprété comme un retranchement militaire
romain38 à cause des ruines du fort médiéval qui peu-
vent y être observées. En réalité, l’affleurement est
discontinu et il existe au moins trois sites de carrières
différents mais proches, et repérables sur la carte géo-
logique et la carte IGN de la France au 1/50000. Le
premier est celui dit du « Camp de Macquenoise », ou
« Camp des Sarrasins », situé immédiatement à la sor-
tie du village de Macquenoise sur la route d’Hirson.
Dans les bois, des excavations sont entourées de talus
constitués de déchets de taille et d’ébauches de
meules rotatives39.
30. — BONTE et alii 1969.
31. — ROGINE 1876, p. 143; DESMASURES 1883, p. 12; CHAMBON 1954,
p. 5.
32. — POMMEPUY 1999, p. 119-120.
33. — CHAMBON 1954, p. 36.
34. — PICHON 2002, p. 376; BOYER, PICAVET 2010, p. 27.
35. — BRULET 2008, p. 347-348.
36. — DUVAUX 1930, p. 143.
37. — CHAMBON 1954, p. 5.
38. — ROGINE 1881, p. 200; DESMASURES 1883, p. 12.
39. — Constaté sur site à plusieurs reprises.
LES MEULES ROMAINES DE SEPT CHEFS-LIEUX DE CITÉ DE GAULE BELGIQUE... 171
Bois de Milourd
La Neuve-
Forge
Macquenoise
Anor
Mondrepuis
Forêt particulière d'Hirson
Forêt domaniale de
Saint-Michel
Le Camp-de-Macquenoise
La Houdelette
fa
il
le
L'Oise
Etang de la Lobiette
Etang de la
Neuve Forge
Etang de Milourd
Etang du
Pas-Bayard
L
'
O
i
s
e
HAINAUT
NORD
AISNE
Excavations visibles dans le paysage
Etage du Dévonien inférieur,
banc d'Arkose d'Haybes
Limites territoriales
Carrières anciennes signalées
sur la carte géologique
0 1 km
FIG. 3. — Les affleurements d’arkose d’Haybes (Dévonien), secteur de Macquenoise (Hainaut, Belgique).
D’après la carte IGN et la carte géologique de la France.
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- 7. Les deux autres carrières sont signalées à la fin du
XIXe s. par F. Rogine et E. Mennesson dans les
Bulletins de la Société archéologique de Vervins40. Ils
les repèrent en aval de l’Oise, dans le bois de Milourd,
aux lieux-dits « Neuforge » (aujourd’hui « Neuve
Forge ») et « la Houdelette », par des excavations de
même type que celles du « Camp de Macquenoise ».
E. Mennesson offre une description rapide, d’abord
de « la Houdelette », près du lieu-dit « la Passe aux
chiens », observant sur 600 m de long et 10 m de pro-
fondeur des « cavités en forme de bassins » et « une
entaille verticale à gorge droite » qui correspond pro-
bablement à un front de taille. Il parcourt ensuite le
gisement de la « Neuve Forge », décrivant des monti-
cules sur la gauche de la route conduisant de « Neuve
Forge » à « Gratte-Pierre », au lieu-dit « la Gueule du
brochet ». Là il remarque des cavités cloisonnées par
des murets transversaux, et suppose l’existence d’ate-
liers de taille séparés, toutefois sans indication chro-
nologique. J.-Cl. Carmelez41 précise que la carrière de
« la Houdelette » se trouve au nord de l’étang du
« Pas-Bayard », information reprise dans la carte
archéologique du Nord (notice d’Anor)42. Mais ces
sites sont en réalité situés dans l’Aisne, sur la rive
gauche de la rivière Oise, dans la commune
d’Hirson43. Dans cette dernière commune est en outre
mentionné, au lieu-dit « le Camp des Fumions », un
établissement gallo-romain associé à un atelier de
taille de meules signalé par des ébauches de meules et
des outils en fer44.
Le bassin carrier et les sites de production de
meules connus sont donc localisés dans un secteur
assez restreint (environs d’Hirson, Saint-Michel,
Macquenoise). Il est possible que d’autres carrière de
meules existent au sein des différents affleurements
d’arkose d’Haybes, situés plus à l’est, dans la pointe
de Givet: vallée de la Meuse (Haybes, Fépin) ou pla-
teau ardennais (Hargnies, Willerzie).
2.2. Les poudingues
2.2.1. Description et origine géologique
Les poudingues sont des roches conglomératiques
résiduelles tertiaires, dont la matrice siliceuse grise
renferme de nombreux galets de silex roulés centimé-
triques à pluri-centimétriques de couleur brune,
rouge, jaune, orangé, verdâtre, gris et gris bleuté
(fig. 4). Un faciès peu représenté et très pauvre en
galets de silex présente des lits détritiques et une
structure alvéolaire qui pourrait être donnée par des
empreintes de coquilles fossiles.
La position de ces conglomérats au sein de la strati-
graphie géologique n’est pas bien définie (fig. 5). Au
contraire, ils semblent exister à la fois dans les étages
du Paléocène supérieur et de l’Éocène inférieur (ère
Tertiaire). Ils apparaissent dans la carte géologique,
tantôt comme poudingue siliceux à galets de silex du
Thanétien supérieur (sommet du Paléocène)45, tantôt
associés à des sables fins et des grès du faciès
« Sparnacien supérieur » de l’Yprésien (base de l’Éo-
cène)46, ou encore, sous l’appellation « Poudingue de
Vaucottes », dans une formation à silex tertiaire à
l’âge mal défini et reposant au-dessus des formations
crayeuses du Crétacé47. Un autre faciès, dit « brèche à
ciment siliceux », est observé dans le secteur nord-
ouest de la feuille de Saint-André-de-l’Eure de la
carte géologique et provient probablement d’un banc
différent, voire d’une formation géologique
différente48. Il s’agit d’un conglomérat constitué de
fragments de silex anguleux millimétriques à pluri-
centimétriques en quantité plus ou moins importante
dans un ciment siliceux blanchâtre, et peut-être assi-
milé au « faciès Cuisien » de l’Yprésien (Éocène infé-
rieur)49.
2.2.2. Origine géographique et carrières connues
Le poudingue affleure de façon résiduelle en de
nombreux endroits en Normandie, où quelques sites
d’extraction sont connus ou supposés pour la fabrica-
tion de meules dans l’Antiquité. Sont utilisés des
blocs aux dimensions plus ou moins imposantes, dis-
séminés dans des sables sous forme de dalles ou de
nodules directement exploitables50. Les exploitations
anciennes de ces formations ont laissé des traces dans
le paysage, des dépressions parfois appelées
« Hogues » en Normandie.
Ainsi, dans la commune de Saint-Léonard (Seine-
Maritime), dans le « Bois des Hogues », au lieu-dit
« les Ferrières », une série d’excavations profondes
d’une vingtaine de mètres marquent le terrain. Selon
M. Rémy-Watté, qui a réalisé un inventaire des
meules et carrières de meules connues en Seine-
Maritime dans les années 198051, ces excavations
auraient constitué un « centre d’extraction et de fabri-
cation quasi industriel ». Le débitage des blocs aurait
40. — MENNESSON 1880, p. 125-126; ROGINE 1880; ROGINE 1881,
p. 198.
41. — CARMELEZ 1973, t. 1, p. 7.
42. — DELMAIRE 1996, p. 98.
43. — PICHON 2002, p. 254.
44. — DESMASURES 1883 p. 74-75; PICHON 2002, p. 254.
45. — SANGNIER 1968, p. 4.
46. — SANGNIER 1968, p. 3-4.
47. — BOLTENHAGEN et alii 1967, p. 3.
48. — GUILLIER et alii 2005.
49. — KUNTZ 1977, p. 26-28.
50. — GUILLIER et alii 2005, p. 203.
51. — RÉMY-WATTÉ 1983, p. 19 et 42.
172 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
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- 8. été favorisé par l’utilisation maîtrisée du feu, et un
fond de cabane avec foyer et outils aurait pu consti-
tuer, sinon l’atelier de taille de meules, au moins l’ha-
bitat des carriers52. Une autre exploitation est men-
tionnée dans la commune voisine, à Vattetot-sur-Mer,
entre l’église de Vattetot et « le Fond de Vaucottes »53.
Plusieurs fosses similaires sont observées à l’ouest
de la forêt de La Londe (Seine-Maritime)54, où sont
signalés des affleurements du Thanétien supérieur55.
D’autres fosses d’extraction et des déchets de taille
auraient été observées à Neufchâtel-en-Bray (Seine-
Maritime)56. Cependant, après vérification dans le
troisième tome des Bulletins de la Société normande
d’études préhistoriques57, il se trouve que tous les
toponymes cités correspondent en fait à des lieux-dits
situés dans la commune de Saint-Saëns (Seine-
Maritime); la carte géologique ne signale d’ailleurs
aucun affleurement de poudingue à Neufchâtel58.
L’erreur est cependant reprise telle quelle dans la carte
archéologique de la Seine-Maritime59.
Concernant donc la commune de Saint-Saëns, Ch.
Pinsard mentionne au XIXe s., au « Bois de l’Abbaye »
(sud du village), « des fosses et buttes très élevées où
le poudingue abonde », et remarque des ébauches de
meules60. Ces fosses, ateliers de taille et ébauches en
poudingue étaient déjà mentionnées en 1862 par la
52. — ROGERET 1997, p. 497.
53. — ROGERET 1997, p. 552.
54. — RÉMY-WATTÉ 1983, p. 40; ROGERET 1997, p. 397.
55. — SANGNIER 1968, p. 4.
56. — RÉMY-WATTÉ 1983, p. 40.
57. — COUTIL 1896, p. 8.
58. — KUNTZ 1979, p. 8.
59. — ROGERET 1997, p. 442.
60. — PINSARD, ms. 1341E, p. 222; RÉMY-WATTÉ 1983, p. 42.
LES MEULES ROMAINES DE SEPT CHEFS-LIEUX DE CITÉ DE GAULE BELGIQUE... 173
FIG. 4. — Quatre faciès de poudingue.
Cliché Picavet 2010.
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- 9. Commission départementale des Antiquités de la
Seine Inférieure61, et en 1895 par la Société des
Antiquaires de Normandie qui indique avoir prospecté
les lieux-dits du « Lihut » (nord de Saint-Saëns), du
« Bois de l’Abbaye », « ainsi que les “plateaux du
Quesnay” (sud-ouest de Saint-Saëns) et de
Montcombre »62. La dernière localité correspond
peut-être au Maucomble actuel, mais aucun affleure-
ment du faciès « Sparnacien » de l’Yprésien n’est
visible à cet endroit sur la carte géologique, alors que
les autres sites sont positionnés sur les apparitions de
ces niveaux. Ce faciès « Sparnacien » y affleure sous
forme de dépôts de poudingue montrant des galets
centimétriques de silex roulés noirs dans une matrice
siliceuse réduite63.
Enfin, à Avrilly, dans l’Eure, au lieu-dit « le Clos
des Forges », un atelier de taille a été fouillé récem-
ment au sein de l’enclos d’un établissement agricole
de la deuxième moitié du Ier s. av. J.-C.64. Les étapes
de la chaîne opératoire de la fabrication de petites
meules en poudingue ont pu y être mises en évidence.
D’après les résultats de la fouille, cependant, la pro-
duction de l’atelier serait assez réduite et sa diffusion
aurait peu d’ampleur65.
61. — COCHET 1867, p. 202.
62. — COUTIL 1896, p. 8.
63. — KUNTZ 1974, p. 11-12.
64. — GUILLIER et alii 2005.
65. — GUILLIER et alii 2005, p. 218.
174 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
Les Bosquets
L
a
V
a
r
e
n
n
e
Saint-Saëns
Le Quesnay
Les Hogues
Plaine de
Maucomble
Le Tertre
Le Lihut
Bois
de l'Abbaye
Bois de l'Hospice
Bois du
Pont du Thil
Forêt domaniale d'Eawy
0 1 km
Excavations visibles dans le paysage
Faciès "Sparnacien" de l'Yprésien,
poudingue à galets avellanaires
Forêt de La Londe
Bosc-Bénard-Commin
Les Roques
Forêt de La Londe
Sables, grès et poudingues
du Thanétien et du Sparnacien
0 1 km
EURE
SEINE MARITIME
Le Clos des Forges
Avrilly
Parc d'Avrilly
0 1 km Formations résiduelles à silex
Vaucottes
Yport
Les Hogues
Bo
is
de
s
Ho
g
ue
s
Le Gros Chêne
Le Bout
de Vattetot
Vattetot-
sur-Mer
Saint-Léonard
0 1 km
Formation à silex Tertiaire,
"Poudingue de Vaucottes"
Excavations visibles dans le paysage
FIG. 5. — Les affleurements de poudingue (tertiaire) des secteurs de Saint-Saëns (76), Saint-Léonard/Vaucottes (76),
Avrilly (27) et La Londe (76).
D’après la carte IGN et la carte géologique de la France.
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- 10. Il faudrait maintenant mener des campagnes de
prospection systématique de toutes les zones de car-
rières supposées pour repérer les sites d’extraction
antiques d’une part, et échantillonner les différents
faciès de poudingue d’autre part, dans le but de les
comparer macroscopiquement et microscopiquement
aux roches constitutives des meules.
2.3. Le grès de Fosses/Belleu
2.3.1. Description et origine géologique
Le grès dit « de Belleu » est un grès-quartzite gris
clair à grains grossiers composé d’éléments de quartz
fortement cimentés dans une matrice siliceuse, de
cristaux de feldspath blancs infra-millimétriques et de
grains de silex noir infra-millimétriques (fig. 6). Le
faciès utilisé pour la taille des meules, parfois dit
« arkose » pour sa tendance feldspathique, est facile-
ment identifiable macroscopiquement grâce à la pré-
sence des grains blancs et des grains noirs.
Une zone d’affleurement de ce grès figure sur la
feuille de l’Isle-d’Adam de la carte géologique66, dans
les environs de Fosses (Val-d’Oise) (fig. 7). Le grès
correspond à des dalles localisées au sein de la couche
de sables, dans la partie supérieure d’un niveau de
sables du Cuisien, ancien sous-étage de l’Yprésien
(Éocène inférieur, ère Tertiaire). Son appellation
« grès de Belleu » provient d’un gisement éponyme
exploité au XIXe s., situé à environ 2 km au sud-sud-est
de Soissons, et qui a pu fournir des meules pendant la
protohistoire ou dans l’Antiquité. Mais cette zone de
gisement n’offre plus aujourd’hui d’affleurement étu-
diable67.
2.3.2. Origine géographique: carrière connue
Des sites d’extraction et de fabrication de meules
en grès de Fosses/Belleu sont signalés dans la vallée
de l’Ysieux, affluent de l’Oise, entre Fosses,
Bellefontaine et Luzarches (Val-d’Oise)68 (fig. 7).
Une carrière est repérée dans le parc du château de
Bellefontaine par une série de levées et d’excava-
tions69 ; après extraction, le façonnage était exécuté
dans des ateliers éloignés de plusieurs centaines de
mètres des carrières et dispersés sur la rive droite de la
vallée de l’Ysieux70. Ces ateliers, repérés en prospec-
tion par la JPGF de Villiers-le-Bel71, sont localisés à
Bellefontaine, aux lieux-dits « le Fer à Cheval », « le
66. — MÉGNIEN, BERGER 1991, p. 9; GUADAGNIN 2000, p. 44.
67. — POMEROL 1984, p. 15.
68. — GUADAGNIN 2000, p. 44, note 78; BOYER et alii 2010, p. 2.
69. — Constaté sur site.
70. — GUADAGNIN 2000, p. 44, note 78; BOYER et alii 2010, p. 4-5.
71. — Jeunesse Préhistorique et Géologique de France, section de
Villiers-le-Bel, dirigée par R. Guadagnin.
LES MEULES ROMAINES DE SEPT CHEFS-LIEUX DE CITÉ DE GAULE BELGIQUE... 175
L'
Ys
ie
u
x
Fosses
Bellefontaine
Luzarches
Le Bois Lionnet
Le Fer à Cheval
Le Terrier aux Renards
La Miséraille
La Garenne
La Goulette
Le Grand Clos
Faciès Cuisien de l'Yprésien,
sables et "Grès de Belleu"
Zone d'extraction
0 1 km
Atelier de taille de meules supposé
Parc maison
de retraite
FIG. 6. — Le grès de Fosses/Belleu.
Cliché macro Picavet 2010.
FIG. 7. — L’affleurement de grès de Belleu (Yprésien) du secteur de Fosses/Bellefontaine/Luzarches (95).
D’après la carte IGN et la carte géologique de la France.
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- 11. Grand Clos », « Sous le Bois Lionnet », « la
Garenne », « la Miséraille », « le Terrier aux
Renards »; à Fosses, au « Buisson de la Miséraille »,
aux « Petits carreaux » et au « Cimetière Saint-
Étienne »; et sur le territoire de Luzarches, à « la
Pièce de la Carrière », aux « Petits Carreaux », et à
« la Biche »72.
2.4. Les calcaires gréseux de type « Vauxrezis » et
« Beaurieux »
2.4.1. Description et origine géologique
Les calcaires gréseux à glauconies et rares nummu-
lites, souvent surnommés « pierre à grains de sel »
dans leur région d’origine73, sont présents sous forme
de deux faciès correspondant aux types « Vauxrezis »
et « Beaurieux » de B. Robert et J.-L. Landréat74. Ces
roches sédimentaires carbonatées contiennent, dans
une matrice beige clair, de nombreux éléments détri-
tiques grossiers de quartz, de silex et de glauconie
verdâtre, ainsi qu’un type caractéristique de foramini-
fères, les Nummulites laevigatus, blanches et éparses.
Les deux faciès diffèrent par la distribution de leurs
éléments constitutifs. Le type 1, dit « Vauxrezis », est
peu cimenté, et constitué de nombreux et grossiers
grains de quartz et de glauconie, ainsi que de débris de
silex verdi roulés (fig. 8). Le type 2, dit « Beaurieux »,
est plus homogène, moins grossier et mieux cimenté
(fig. 9). Les grains de glauconie sont moins nombreux
et plus clairs, et les nummulites plus nombreuses,
accompagnées d’empreintes d’Eupsammia, un corail
solitaire conique. Deux autres types ont par ailleurs
été déterminés par B. Robert et J.-L. Landréat, carac-
térisés par la présence de fossiles particuliers. Le type
3 présente des minéraux peu nombreux et très gros-
siers fortement liés dans la matrice, ainsi que beau-
coup d’empreintes d’Eupsammia. Le type 4, plus fin,
contient quelques restes de Ditrupa strangulata.
Cependant, ces deux derniers faciès sont rares, et
n’ont pas été reconnus pour la période gallo-
romaine75.
Des calcaires affleurent dans les niveaux stratigra-
phiques lutétiens d’une large partie du centre du
Bassin de Paris. Les calcaires gréseux à rares nummu-
lites apparaissent sur la feuille de Soissons de la carte
géologique dans l’étage du Lutétien inférieur, proche
du Lutétien moyen pour le type 2 (Éocène moyen, ère
Tertiaire)76.
2.4.2. Origine géographique et carrières connues
Les faciès 1 et 2 affleurent respectivement dans les
communes éponymes de Vauxrezis et Beaurieux
(Aisne), sur le versant droit de la vallée de l’Aisne. Un
atelier d’extraction et de taille de meules a été reconnu
à l’extrémité sud-ouest de la « Butte du Gué » domi-
nant le village de Vauxrezis, 6 km au nord-ouest de
Soissons, sur la rive droite du Ru du Moulin de
Vaurezis (fig. 10). Le site a été identifié à la fin du
XIXe s. par O. Vauvillé à la suite de la découverte
d’une sépulture antique au bord d’une carrière de cal-
caire77, puis prospecté en 1995 par Cl. Pommepuy et
72. — BOYER et alii 2010, p. 12.
73. — VAUVILLÉ 1898 a, p. 43; VAUVILLÉ 1898 b, p. 45.
74. — ROBERT, LANDRÉAT 2005, p. 106-107.
75. — ROBERT, LANDRÉAT 2005, p. 112-114.
76. — POMEROL 1984, p. 16.
77. — VAUVILLÉ 1898 a et b; VAUVILLÉ 1899.
176 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
FIG. 8. — Le calcaire gréseux à rares nummulites, faciès 1.
Cliché macro Picavet 2010.
FIG. 9. — Le calcaire gréseux à rares nummulites, faciès 2.
Cliché macro Picavet 2010.
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- 12. B. Robert78. Dans la pente de la butte, un talus de
déchets de taille a livré des ébauches de meules que
rien ne permet de dater.
L’origine des autres faciès est encore inconnue, et il
serait intéressant de prospecter la butte où affleure le
matériau de type 2, au nord-est de Beaurieux, entre les
lieux-dits « l’Écouvette » et « les Bragades »79
(fig. 11).
2.5. Autres calcaires du Lutétien
De petits moulins rotatifs de La Tène moyenne et
finale sont taillés dans des calcaires du Lutétien
moyen et supérieur aussi issus du centre du Bassin de
Paris. Ces calcaires seront ici abordés rapidement car
les individus concernés sont très peu nombreux et
antérieurs à la période traitée.
2.5.1. La « pierre à liards »
Surmontant les calcaires gréseux à glauconies et
rares nummulites, la roche dite « pierre à liards », est
un calcaire essentiellement composé de Nummulites
laevigatus liées par une matrice sableuse beige clair80
(fig. 12). Ce faciès apparaît dans le niveau supérieur
de l’étage du Lutétien inférieur, avant que la dispari-
tion des nummulites détermine le passage au Lutétien
moyen.
2.5.2. Le calcaire à Ditrupa
Cette roche calcaire jaune à beige contient des
tubes calcifiés, produits par le ver Ditrupa strangu-
lata, et enfouis dans les vases calcaires du Lutétien
moyen (Éocène moyen, ère Tertiaire) (fig. 13). La très
occasionnelle présence de nummulites indique toute-
fois une strate proche du Lutétien inférieur81.
2.5.3. Le calcaire à cérithes
Prédominant à La Tène finale pour la fabrication
des meules rotatives manuelles82, ce faciès renferme,
en quantité plus ou moins importante, des empreintes
de cérithes, gastéropodes fréquents dans les niveaux
Tertiaires correspondant à des dépôts en milieu marin
littoral83 (fig. 14). Ces empreintes fossiles sont parfois
accompagnées de milioles, foraminifères déposés en
milieu marin également. Cette formation géologique
est placée au sommet du Lutétien (Éocène moyen, ère
Tertiaire), et affleure dans le Soissonnais sous forme
de bancs durs et diaclasés alternant avec des couches
de marnes et d’argile84.
La découverte d’ébauches de meules rotatives a
récemment permis la localisation d’un atelier de taille
à Vendresse-Beaulne (Aisne), au lieu-dit « le
Platis »85.
2.6. Les roches volcaniques
2.6.1. Description et origine géologique
Les meules en roche volcanique sont assez fré-
quemment observées dans le nord de la Gaule, où
elles rivalisent fortement avec les outils taillés dans
les autres roches. Le matériau exploité, issu de cou-
lées volcaniques du Quaternaire peu altérées, est
vacuolaire, gris à gris sombre (fig. 15), et présente
souvent de rares phénocristaux d’augite noire.
78. — ROBERT, LANDRÉAT 2005, p. 109-110.
79. — LAURENTIAUX et alii 1972.
80. — POMEROL 1984, p. 17.
81. — Communication personnelle de Gilles Fronteau.
82. — POMMEPUY 1999, p. 126; NAZE et alii 2011.
83. — FOUCAULT, RAOULT 2005, p. 65-66.
84. — POMEROL 1984, p. 18.
85. — NAZE et alii 2011.
LES MEULES ROMAINES DE SEPT CHEFS-LIEUX DE CITÉ DE GAULE BELGIQUE... 177
du M oulin de V auxrez is
Ru du C uru
Ru
Vauxrezis
Chavigny
Butte du Gué
0 1 km
Reliefs visibles dans le paysage
Etage du Lutétien inférieur, banc de
calcaire gréseux à glauconies grossières
L
'A
i
s
n
e
L
e
T
o
r
d
o
ir
Beaurieux
L'Ecouvette
Les Bragades
0 1 km
Reliefs visibles dans le paysage
Etage du Lutétien inférieur, banc de
calcaire gréseux à glauconies grossières
FIG. 10. — Les affleurements de calcaire gréseux à rares
nummulites (Lutétien), secteur de Vauxrezis (02).
D’après la carte IGN et la carte géologique de la France.
FIG. 11. — L’affleurement de calcaire gréseux à rares
nummulites (Lutétien), secteur de Beaurieux (02).
D’après la carte IGN et la carte géologique de la France.
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- 13. 2.6.2. Origine géographique, carrières connues et
supposées
Deux champs volcaniques principaux constituent
les possibles gîtes d’origine des meules en roche vol-
canique. Il s’agit, à l’est, du massif de l’Eifel
(Allemagne), et au sud, de la chaîne des Puys dans le
Massif central. Ils font partie du même ensemble vol-
canique, appelé province volcanique cénozoïque
européenne, et étendu au nord de l’arc alpin sur
1200 km d’ouest en est entre le Massif central, l’Eifel
(Allemagne), l’Eber graben (Rép. Tchèque) et la
basse Silésie (Pologne)86. D’après D.P.S. Peacock87,
les roches issues du Massif central et de l’Eifel se dif-
férencient par la présence de phénocristaux d’augite
noirs et de cristaux blancs inclus dans la masse de la
roche de l’Eifel et absents de celle du Massif central.
Mais T. M. Gluhak et W. Hofmeister ont récemment
affirmé qu’il n’est pas possible de différencier les
roches des deux gisements macroscopiquement88.
Leur étude des meules et carrières de meules de
l’Eifel, basée sur trois niveaux d’analyses des roches
et demandant des données fiables et précises, dis-
tingue d’abord ces deux grandes sources, pour ensuite
tenter de reconnaître l’origine exacte des meules au
sein du seul massif de l’Eifel89.
D’autres centres de production, plus lointains, ont
pu fournir le nord de la Gaule en meules. Il s’agirait
de ceux d’Orvieto en Italie, et du bassin Pannonien en
86. — MEYER, FOULGER 2007, p. 1; GLUHAK, HOFMEISTER 2008,
p. 111.
87. — PEACOCK 1980, p. 49.
88. — GLUHAK, HOFMEISTER 2011, p. 2.
89. — GLUHAK, HOFMEISTER 2008, 2009, 2011.
178 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
FIG. 12. — La « pierre à liards ».
Cliché macro Picavet 2010.
FIG. 13. — Le calcaire à ditrupa.
Cliché macro Picavet 2010.
FIG. 14. — Le calcaire à cérithes.
Cliché macro Picavet 2010.
FIG. 15. — Une roche volcanique vacuolaire.
Cliché macro Picavet 2010.
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- 14. basse Autriche90. Mais nous n’aborderons ici que les
deux origines les plus probables.
2.6.2.1. Le massif de l’Eifel
Le massif de l’Eifel est divisé en un champ volca-
nique tertiaire, l’Hocheifel, et deux champs quater-
naires, l’Eifel-ouest et l’Eifel-est. L’essentiel de l’ac-
tivité volcanique est daté du Néogène, avec un pic au
Miocène (ère Tertiaire), mais les deux champs de
l’Eifel-est et ouest marquent une reprise du volca-
nisme au Quaternaire91. Ce sont ces deux jeunes gise-
ments, aux roches basaltiques peu altérées, qui ont
accueilli des carrières de meules. À l’ouest, quatre
sites d’extraction de meules antiques sont attestés, à
« Roßbüsch », « Eichholz », « Mühlenberg » et
« Dietzenley ». Quatre autres sont supposés, à
« Römerberg », « Mosenberg », « Goosberg » et
« Rother Kopf ». Ces carrières semblent avoir fourni
une production peu importante, peut-être à destination
locale92 et le faciès du basalte de ce secteur est claire-
ment différencié microscopiquement de celui de
l’Eifel-est93.
Le champ volcanique de l’Eifel-est s’étend sur
400 km2 et a fait l’objet d’une exploitation intensive
dans la zone du volcan Bellerberg, sur une surface de
6 km2 située immédiatement au nord-est de Mayen
(Rhénanie-Palatinat, Allemagne)94. Trois grandes car-
rières y sont connues, sur les sites de « Mayener
Grubenfeld », « Ettringer Lay » et « Kottenheimer
Winfeld », et peut-être plus au nord à « Hohe Buche »
et « Mauerley ». Bien que le Bellerberg ait été
exploité sans interruption depuis le Néolithique jus-
qu’à nos jours95, des vestiges de la production de
meules antiques sont encore visibles par endroits96.
La cristallisation des coulées volcaniques en piliers
polygonaux verticaux a beaucoup facilité l’extrac-
tion97, dont les traces ont été étudiées par
F. Mangartz98. L’analyse de nombreuses ébauches de
meules lui a permis de reconstituer la chaîne opéra-
toire de la fabrication du matériel de mouture, depuis
l’arrachement du bloc de lave brut jusqu’à l’obtention
du produit fini.
2.6.2.2. Le Massif central
Bien que l’origine auvergnate de certaines meules
soit attestée99, aucune carrière d’extraction antique
n’est connue dans le Massif central100. La zone géo-
graphique est très probablement centrée sur les cou-
lées de trachy-andésite du Puy de Nugère, aux alen-
tours de Volvic (Puy-de-Dôme)101, où l’on extrait
encore la pierre actuellement102. Les massifs du
Cantal et du Mont-Dore sont aussi des sources pos-
sibles de roche pour la fabrication des meules103, mais
là encore aucune carrière antique n’est attestée.
3. ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET TECHNIQUE DES
MEULES ROTATIVES
Le moulin est le premier instrument qui peut être
défini comme une « machine » par la complexité de
l’outil assemblé par l’homme et destiné à obtenir un
produit final, la farine, par l’application d’une
force104. Il convient d’analyser les caractéristiques
morphologiques des meules, éléments principaux de
ces machines, pour saisir les aspects techniques de
leur fonctionnement.
Les dimensions représentent le premier critère dis-
criminant pour différencier les moulins à actionne-
ment manuel des moulins à entraînement mécanique.
Ce critère n’est toutefois pas suffisant, car la limite
entre le diamètre des premiers et celui des seconds est
floue. Elle peut être placée autour d’une cinquantaine
de centimètres si l’on considère la longueur du bras
humain. La différenciation entre rotation manuelle et
mécanique est en revanche rendue plus précise par
l’observation des caractères techniques des meules.
Certains types d’aménagement sont présents sur une
catégorie de meules et absents sur d’autres, et inverse-
ment. Il importe ainsi de prêter une attention particu-
lière aux dispositifs d’entraînement, qu’ils soient laté-
raux ou centraux, afin de classer les moulins par
types.
Les meules manuelles seront abordées dans un
classement prenant en compte la forme générale de la
meule, avec d’un côté les meules cylindriques plates
simples et leur variante à réglage de l’écartement; de
l’autre les meules plus trapues de forme généralement
tronconique ou hémisphérique. Parmi les meules de
grandes dimensions seront distinguées celles à rota-
tion lente mues par une traction animale latérale, de
celles à rotation potentiellement multipliée entraînées
par le centre par l’énergie hydraulique ou animale.
90. — GLUHAK, HOFMEISTER 2011, p. 10.
91. — GLUHAK, HOFMEISTER 2009, p. 1775.
92. — GLUHAK, HOFMEISTER 2009, p. 1774-1775.
93. — GLUHAK, HOFMEISTER 2009, p. 1780.
94. — GLUHAK, HOFMEISTER 2009, p. 1775; CRAWFORD, RÖDER 1955,
p. 68.
95. — CRAWFORD, RÖDER 1955, p. 68, 71; GLUHAK, HOFMEISTER 2008,
p. 111; GLUHAK, HOFMEISTER 2009, p. 1774.
96. — CRAWFORD, RÖDER 1955, p. 71; MANGARTZ 2008.
97. — GLUHAK, HOFMEISTER 2009, p. 1775.
98. — MANGARTZ 2008.
99. — CASTELLA 1994, p. 70, d’après WILLIAMS-THORPE, THORPE 1988.
100. — MANGARTZ 2008, p. 199; GLUHAK, HOFMEISTER 2011, p. 2.
101. — AUBERT et alii 2006, p. 27; GLUHAK, HOFMEISTER 2011, p. 11.
102. — CASTELLA 1994, p. 70.
103. — CASTELLA 1994, p. 70; BINET 2002, p. 444.
104. — BOYER, BUCHSENSCHUTZ 1998, p. 198.
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- 15. 3.1. Les moulins manuels
La bonne représentation des meules manuelles au
sein des collections favorise leur caractérisation, et les
analyses de séries importantes sont beaucoup plus
aisées qu’avec les meules de grandes dimensions qui
seront traitées par la suite.
3.1.1. Les moulins manuels cylindriques plats
simples (fig. 16, 1, tab. 1)
3.1.1.1. Les catillus
Ce sont des meules de forme cylindrique plate, aux
deux faces opposées concaves, et percées de deux per-
forations fonctionnelles. La première, au centre de la
meule et de forme souvent complexe, sert, d’une part
à l’introduction du grain dans le moulin, d’autre part à
centrer la rotation grâce à l’insertion d’une anille de
centrage mobile ou solidaire de l’axe. La seconde per-
foration, percée dans le flanc de la meule, est destinée
à recevoir un élément de préhension en bois, en métal
ou en matières organiques, grâce auquel le moulin est
mis en rotation.
Ces catillus sont retrouvés dans tous les chefs-lieux
de cité, dans des proportions différentes et dans des
matériaux différents (fig. 17a). L’arkose d’Haybes/
Macquenoise constitue 44,3 % des soixante-quinze
catillus cylindriques manuels pris en compte, pour
19 % de grès de Fosses/Belleu, 15,2 % de roche vol-
canique, 11,4 % de calcaire gréseux, et 1,3 % de cal-
caire à ditrupa.
Les caractéristiques morphométriques des meules
peuvent varier d’une roche à l’autre, par effet d’ate-
lier, mais la forme générale suit le même schéma.
3.1.1.1.1. La face supérieure
La face supérieure « en cuvette » de ces catillus
manuels présente une forme générale plus ou moins
concave, jusqu’à l’horizontalité, et il ne semble pas
exister de corrélation entre le diamètre de la meule et
le degré de courbure de la cuvette. En revanche, la
face supérieure n’est pas traitée exactement de la
même façon selon la roche utilisée (fig. 16, 1). Si celle
des meules en arkose d’Haybes/Macquenoise et en
calcaire gréseux est clairement concave, celle de cinq
catillus en grès de Fosses/Belleu est horizontale ou
approche l’horizontale (39, 41, 43, 45, 48). Les
meules en roche volcanique sont ici trop peu repré-
sentées pour en tirer des observations pertinentes,
mais leur face supérieure forme aussi une cuvette plus
ou moins inclinée selon les individus.
180 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
0 30 cm
1a.
1b.
1c.
2.
3a.
3b.
3c.
4a.
4b.
4c.
FIG. 16. — Schémas typologiques de moulins manuels. Éch. 1/10.
1. Moulins manuels cylindriques plats simples : 1a : en arkose d’Haybes/Macquenoise ; 1b : en grès de Fosses/Belleu ; 1c : en roche volca-
nique ; 2. Moulin manuel cylindrique plat à réglage de l’écartement ; 3. Moulins manuels en poudingue : 3a : à perforation latérale prolongée
dans l’œil ; 3b : à perforation latérale aveugle ; 3c : à encoches sur le flanc ; 4. Moulins de forme protohistorique d’après la typologie de
Cl. Pommepuy : 4a : type 1 ; 4b : type 2 ; 4c : type 3 (Pommepuy 1999).
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- 16. Amiens Arras Bavay Beauvais Boulogne Reims Soissons
Catillus manuels
Macquenoise 1 à 7 8 à 31 32 à 34 35
Fosses/Belleu 36 à 42 43 à 49 50
Calcaire gréseux 51 à 58 59
Roche volcanique 60 à 63 64 à 69 70 71 et 72 73
Calcaire à ditrupa 75
Roche indét. 80, 82 à 86 90 93
Cat. manuels réglage
Catillus 94 à 96 97 à 100 102 101
Meta manuelles
Macquenoise 103 et 104 105 à 108 109 à 131 132 133 à 136
Fosses/Belleu 137 à 146 147 à 151 152 et 153
Calcaire gréseux 156 à 158 159
Roche volcanique 160 et 161 168 169 et 170 171
Calcaire à ditrupa 173
Roche indét. 87 à 89
Poudingue
Catillus 183 à 196 205 197 à 204
Meta 177 à 182
indét. 176
Formes proto
Type 1 74 et 172
Type 2 76 et 174
Type 3 75 77 à 79, 175
Type «Pompéi»
Catillus 206 à 211 213 à 216 219
Meta 212 217 et 218
Cat. traction animale latérale
Catillus 226
Cat. type «Avenches»
Roche volcanique 227 et 228 231 233
Cat. type «Zugmantel»
Macquenoise 220 221 222 à 224
Roche volcanique 225 230 232
Calcaire gréseux 234 235 et 236
Grandes meta
Macquenoise 244 245 à 253
Roche volcanique 254 et 255 256 à 259 260 261
Calcaire gréseux 262 à 267 268 à 271
Grandes meules autres
Grès autre 237 à 239 240 et 241 242 et 243
0%
20%
40%
60%
80%
100%
A
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indét.
Calc. Ditrupa
roche volcanique
Calcaire gréseux
Fosses/Belleu
Macquenoise
0%
20%
40%
60%
80%
100%
A
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R
e
i
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s
nombre d'individus
32 28
2 7 1 9 20 5 25 5 1 9
a. b.
Tableau 1. — Les types de meules par ville.
FIG. 17. — Proportion des matériaux parmi les meules manuelles cylindriques plates.
a. Les catillus ; b. Les meta.
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- 17. De la faible inclinaison de la face supérieure de cer-
taines meules, il est possible de déduire que la cuvette
ne fait pas office de trémie105. D’ailleurs, comme il l’a
été prouvé par expérimentation, le grain doit être dis-
tribué par poignées régulières dirigées vers le centre
par la pente, et non déposé en tas sur le catillus, afin
de ne pas bourrer le moulin106. La forme concave
pourrait donc correspondre à une habitude de taille
des fabricants, destinée à alléger la meule, et qui trou-
verait son origine dans la dépression centrale des
meules protohistoriques107.
Par ailleurs, la face supérieure des catillus en grès
et en calcaire est fréquemment raccordée au flanc
directement par un rebord convexe, mais il arrive
qu’elle soit délimitée en partie distale par un bandeau
plat ou convexe large de 2 à 3 cm; il est plat et large
de 3 à 6 cm sur les meules en roche volcanique. Dans
le cas des meules en grès de Fosses/Belleu évoquées
précédemment et dont la face supérieure est horizon-
tale, le bandeau est peu marqué, parfois par une
simple incision (41). L’aspect du rebord ne semble
pas avoir de fonction précise et exprimerait plutôt un
savoir-faire artisanal, une habitude de taille108.
La face supérieure des catillus en roche volcanique
est parfois marquée de fines rainures rassemblées en
quatre secteurs perpendiculaires (68, 70). On peut,
avec d’autres caractères détaillés par la suite, définir
un modèle récurrent de meule manuelle en roche vol-
canique déjà largement connu dans les établissements
militaires romains de Germanie109, et dans des pro-
portions moindre, en Bretagne110 et en Belgique111.
3.1.1.1.2. Le flanc
Le flanc, qui représente la partie la plus haute du
catillus, est tantôt vertical, tantôt légèrement convexe
ou évasé vers le bas. Sans indications chronologiques,
ces variations de l’inclinaison du flanc ne peuvent
faire l’objet que d’hypothèses. Mais si l’on se base sur
l’étude des meules de La Tène finale de la vallée de
l’Aisne, la forme des meules tend, au moins avant la
période romaine, à évoluer d’une section tronconique
vers une section plus cylindrique112. Il est possible
que cette évolution ne soit pas interrompue par la
conquête romaine de la Gaule, et que les catillus au
flanc incliné (8 à 11, 13, 19, 20, 29, 66) aient connu
une période d’utilisation antérieure à ceux au flanc
vertical.
Une particularité des catillus en roche volcanique,
dont le flanc est ici toujours vertical, est d’avoir par-
fois fait l’objet d’une finition assez poussée avec le
creusement, de la même manière que les sillons de la
face supérieure, de rainures verticales sur le flanc à
environ 1 cm d’intervalle (67, 68, 70, 73).
3.1.1.1.3. L’œil
Dans les trente-deux cas où il peut être restitué,
l’œil des catillus manuels est souvent de forme com-
plexe, avec un centre circulaire ou ovalaire, prolongé
de part et d’autre dans la longueur par deux mortaises
(fig. 18). Ces extensions, en forme de queue d’aronde
dans 65,6 % des cas, et de portion de cercle dans
15,6 % des cas, sont assimilées à des logements
d’anille recevant un élément dit anille « boîtard »,
solidaire ou non de l’axe de rotation, et ayant pour
seule fonction le centrage de la rotation113. Sur cinq
des sept exemplaires restant (4, 6, 39, 42 59), la jonc-
tion entre œil et logement d’anille n’est pas ou peu
105. — BOYER, BUCHSENSCHUTZ 2000, p. 175.
106. — BOYER, BUCHSENSCHUTZ 1998, p. 204.
107. — POMMEPUY 1999, p. 128; POMMEPUY 2003, p. 378.
108. — BOYER, JOUIN 2001, p. 33-34.
109. — JOHNSON 1987, p. 221; MATHIS, CLOSE 1987, p. 52; JODRY
2006, p. 24, fig. 3; JUNKELMANN 2006, p. 116-118.
110. — PEACOCK 1980, p. 49; BUCKLEY, MAJOR 1998, p. 242-245;
BUXTON, HOWARD-DAVIS 2000, p. 297-300; WRIGHT 2002, p. 269;
SHAFFREY 2003, p. 155.
111. — LANGEDOCK 1976, p. 247; PICAVET dans GUBELLINI-GILLES
2010.
112. — POMMEPUY 1999, p. 134; POMMEPUY 2003, p. 378.
113. — Sur les œils de catillus, voir ROBIN, BOYER 2011.
182 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
FIG. 18. — Un catillus manuel en arkose
d’Haybes/Macquenoise (17, provenance Bavay).
Cliché macro Picavet 2009.
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- 18. visible, parfois matérialisée par de très légers ressauts.
Dans le cas de ces œils114 ovales ou rectangulaires, il
faut imaginer une anille de bois fichée par forçage
mais n’occupant pas tout l’espace disponible, afin de
laisser libre le passage du grain. Deux catillus en
roche volcanique ont un logement d’anille différent
(70, 73): autour d’un œil circulaire, deux encoches
quadrangulaires diamétralement opposées devaient
recevoir une anille sous forme de lamelle de fer scel-
lée au plomb.
3.1.1.1.4. Le dispositif d’entraînement
Les trous d’emmanchement115
Parmi les soixante-dix-neuf catillus à entraînement
manuel pris en compte, vingt-sept ont conservé au
moins un trou d’emmanchement percé dans le flanc et
prolongé en oblique dans la cuvette (1, 4, 6, 8, 9, 12 à
17, 20, 22, 23, 25, 27, 30, 35, 42, 43, 44, 55, 57, 68,
70, 73, 84). Il est fréquent que la meule soit brisée
dans l’axe de la perforation qui l’a fragilisée, et dans
ce cas, celle-ci ne nous est parvenu qu’en partie, mais
reste identifiable. Il arrive aussi que la surface active
de la meule ait atteint, à force d’usure, la partie infé-
rieure du trou d’emmanchement. Alors, et c’est obser-
vable sur deux catillus de Bavay (22 et 68), un second
trou peut avoir été creusé en position diamétralement
opposée et à un niveau plus haut que le précédent pour
le remplacer.
Les caractéristiques morphologiques des trous
d’emmanchement sont quasi identiques pour les
meules en arkose d’Haybes/Macquenoise, en grès de
Fosses/Belleu, en roche volcanique et en calcaire gré-
seux. Le flanc de la meule est percé d’un trou à l’ou-
verture circulaire, parfois quadrangulaire aux angles
arrondis, d’un diamètre de 3 à 4 cm. La masse de la
meule est traversée à l’oblique, la perforation s’éva-
sant à mi-parcours pour aboutir dans la cuvette par
une ouverture large de forme triangulaire aux côtés
plus ou moins courbes, et dont la pointe est orientée
vers l’œil (fig. 18). La base du triangle jouxte le
rebord du réceptacle. Cette ouverture dans la cuvette
est parfois adoucie jusqu’à présenter une forme de
goutte; cette variante pourrait représenter, sinon un
trait chronologique, un indice de la finition des
meules hors des sites d’extraction. En observant l’in-
térieur des manchons, on remarque par ailleurs un res-
saut de quelques millimètres enserrant le conduit à
mi-chemin entre le flanc et la cuvette. Il pourrait
s’agir d’une trace laissée au moment de la taille de la
meule, et qui témoignerait d’une technique de perce-
ment du trou d’emmanchement. Deux phases succes-
sives seraient ainsi nécessaires; un creusement partant
du flanc, et un partant du réceptacle, les deux se rejoi-
gnant avec parfois un petit défaut de raccord.
Pour la mise en rotation, on peut imaginer, insérée
dans ces trous d’emmanchements, une pièce de bois
épousant la forme particulière de la perforation et ser-
vant directement de manche (fig. 19). Cet élément
pouvait être maintenu par un clou ou une goupille
métallique qui expliquerait les traces d’oxyde de fer
déposées dans la partie supérieure du trou d’emman-
chement de la meule 15 (Bavay). Si cette possibilité
reste envisageable, une perforation aussi complexe
n’est pas indispensable pour un manche simple qui
pourrait aussi bien s’insérer dans un trou d’emman-
chement aveugle vertical ou horizontal, à l’image de
ceux observés à la protohistoire et à l’époque romaine
dans d’autres régions116.
Le profil courbe de ces trous d’emmanchement
paraît plutôt adapté à un anneau117, une bague ou
des broches en fer (fig. 19), ou encore à un lien en
114. — Orthographe actée lors de la table-ronde du Groupe Meule à
Saint-Julien-sur-Garonne en 2009: CHAUSSAT 2011, p. 359.
115. — Sur les trous d’emmanchement, voir JODRY et alii 2011.
116. — LACROIX 1963, p. 302; BUCHSENSCHUTZ, BOYER 1999, p. 213;
POMMEPUY 2003, p. 383; LAGADEC 2007, p. 31-32; JODRY et alii 2011.
117. — JODRY 2006, p. 21.
LES MEULES ROMAINES DE SEPT CHEFS-LIEUX DE CITÉ DE GAULE BELGIQUE... 183
0 30 cm
FIG. 19. — Propositions de restitution des systèmes
d’emmanchement des moulins manuels cylindriques
plats simples.
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- 19. matériaux périssables (cuir, fibres végétales)118. Deux
catillus présentent des traces d’oxyde de fer dans la
partie supérieure du manchon (1 et 15), alors que les
autres en sont dépourvues. L’usage des deux sortes de
matériaux est donc concevable. Une bague ou un lien
ne serait cependant qu’un élément intermédiaire des-
tiné à fixer un manche vertical sur le flanc du catillus
de manière à donner à la meule une rotation complète,
ce que ne permet pas un anneau simple. Le débat entre
rotation complète et semi-rotation est d’ailleurs
ouvert suite à la découverte de moulins en position
primaire placés contre les murs d’une pièce119, et à
l’observation de la dissymétrie de certaines meules
due à l’usure120. Ce débat semble s’orienter vers la
rotation complète qui offre un plus grand confort de
mouture et de meilleurs rendements121. L’usage d’un
manche serait donc favorisé par rapport à celui d’un
anneau simple.
Les cerclages métalliques
Sept catillus (1, 18, 36, 38 à 41), soit 8,9 % du total
des catillus cylindriques plats simples, présentent des
traces d’oxyde de fer sur le flanc, sous forme de bande
horizontale large de 1 à 3 cm parcourant tout le tour
de la meule. Cette bande correspond à un cerclage
métallique qui entourait le catillus afin d’y fixer un
manche vertical sans nécessairement avoir recours au
percement de la masse de la meule, ce qui la fragi-
lise122. Des traces d’allure similaire, mais non consti-
tuées d’oxyde de fer sont visibles sur le flanc des
meules 48 et 59. L’une est en calcaire gréseux, l’autre
en grès de Fosses/Belleu. Ces traces, au coloris brun
noirâtre, pourraient correspondre à un cerclage de
matière organique qui aurait laissé sa coloration sur la
surface du flanc.
Des traces d’oxyde de fer et d’usure localisées,
voire des encoches verticales sont également visibles
à certains endroits du flanc et marquent peut-être
l’emplacement du manche qui venait se fixer sur le
cerclage (1, 38 à 41).
Le catillus 38 semble avoir été doté, non seulement
d’un cerclage de fer, mais aussi d’une armature plus
complexe qui pouvait enserrer la meule et recevoir un
système d’emmanchement. On observe en effet, en
plus de la bande d’oxyde de fer horizontale qui par-
court le pourtour du flanc, quelques traces d’oxyde de
fer à la périphérie de la face supérieure: trois doubles
traces sont situées à égale distance l’une de l’autre sur
le rebord de la meule. L’une de ces trois traces est
située sur une double encoche verticale qui marque la
partie supérieure du flanc; peut-être trois doubles
broches ont-elles accroché le rebord afin d’immobili-
ser le cerclage autour du catillus, et un manche y était-
il fixé à l’emplacement de l’encoche.
Par ailleurs, la meule 1 d’Amiens a conservé un
trou d’emmanchement encadré de deux encoches ver-
ticales, une bande d’oxyde de fer sur le flanc, ainsi
qu’un dépôt d’oxyde de fer à l’intérieur du trou d’em-
manchement. Ces indices permettent de proposer une
restitution du système d’entraînement qui a pu équi-
per le catillus (fig. 20). On peut restituer deux broches
jointes à une extrémité et introduites dans le trou
d’emmanchement par l’autre extrémité. Ces broches,
aboutissant dans la cuvette, seraient repliées vers l’ex-
térieur et le long du flanc dans les encoches verticales
qui encadrent la perforation. Un manche en bois vien-
drait se fixer à l’extrémité aboutissant sur le flanc et
l’ensemble serait renforcé, peut-être postérieurement,
par le cerclage de fer123.
118. — ROGINE 1876, p. 144.
119. — PY 1992, p. 225; LAGADEC 2007, p. 38.
120. — PY 1992, p. 225.
121. — PY 1992, p. 226, d’après DEMBINSKA 1985; BOYER,
BUCHSENSCHUTZ 1998, p. 204.
122. — JACCOTTEY 2009, p. 12; JACCOTTEY, BOYER et alii 2011.
123. — Reconstitution d’après la découverte d’un moulin manuel com-
plet à Newstead (Nottinghamshire): CURLE 1911, p. 145, pl. XVII, cité
par WRIGHT 2002, p. 269.
184 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
0 30 cm
FIG. 20. — Principe d’emmanchement des moulins manuels
cylindriques plats simples, d’après les traces d’oxydes
métalliques observées sur le catillus 1 (Amiens).
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- 20. D’autres exemples d’association du trou d’emman-
chement et du cerclage sont connus124 et ont pu inspi-
rer la reconstitution du système d’emmanchement de
la meule 1. Le catillus en granit mis au jour aux
Souhesmes-Rampont (Meuse) avec son cerclage et
son anneau d’entraînement125 montre le rôle du cer-
clage dans l’actionnement du catillus, par l’associa-
tion d’un anneau horizontal directement solidaire
d’un cerclage métallique. Mais il existe probablement
une multitude d’assemblages possibles, selon la pré-
sence ou l’absence de trou d’emmanchement et selon
sa forme.
Le choix du système d’entraînement
Six meules, sur neuf qui disposent de traces de cer-
clage, sont en grès de Fosses/Belleu; deux autres sont
en arkose d’Haybes/Macquenoise et une en calcaire
gréseux (fig. 21a). En revanche, sur les vingt-sept qui
sont percées d’au moins un trou d’emmanchement
latéral prolongé dans la cuvette, dix-huit sont en
arkose d’Haybes/Macquenoise, trois sont en grès de
Fosses/Belleu, trois en roche volcanique, deux en cal-
caire gréseux, et une en roche indéterminée (fig. 21b).
Ainsi, 66,6 % des meules actionnées grâce à un cer-
clage de fer sont en grès de Fosses/Belleu, et 66,6 %
des meules qui disposent d’un trou d’emmanchement
sont en arkose d’Haybes/ Macquenoise. Si aucune
exclusivité n’est mise en évidence, on remarque tout
de même une préférence, selon le matériau, pour un
système d’entraînement ou un autre. On constate
aussi une standardisation des trous d’emmanchement
qui pourrait être le signe de la transmission d’un
savoir-faire commun aux tailleurs et dont les aspects
seront abordés plus tard.
3.1.1.2. Les meta
L’arkose d’Haybes/Macquenoise est majoritaire-
ment représenté, avec 52,3 % des meta manuelles,
suivie du grès de Fosses/Belleu avec 26,2 %. Les trois
autres roches sont peu importantes; 9,2 % pour les
roches volcaniques, 6,2 % pour le calcaire gréseux, et
1,5 % pour le calcaire à ditrupa (fig. 17b).
Les meta manuelles ont des caractéristiques mor-
phologiques à peu près identiques quelle que soit la
roche qui les constitue (fig. 16). Leur face active est
peu inclinée, et le flanc est généralement évasé vers le
haut, parfois vertical. Peu de soin est apporté à la taille
de la face inférieure, souvent grossièrement piquetée,
mais sa surface doit être régulière pour assurer la sta-
bilité du moulin. Cette face peut être horizontale, ou
légèrement concave, ce qui allège la meule et facilite
sa stabilisation.
Tous matériaux confondus, et contrairement au
reste de la Gaule126, toutes les meta ont ici un œil qui
la perfore totalement. Cette caractéristique est souvent
interprétée comme un aménagement intervenant dans
le réglage de l’écartement des meules127. Or, les
catillus qui peuvent faire l’objet d’un tel réglage et qui
seront décrits par la suite sont a priori très peu nom-
breux. La perforation totale de la meta demande un
travail double de la part des tailleurs de meules. Le
léger bourrelet que l’on peut observer à mi-hauteur à
l’intérieur de l’œil coïncide en effet avec le point de
jonction entre le creusement de l’œil par-dessus d’une
part, et par-dessous d’autre part. Les raisons d’un tel
aménagement peuvent être multiples. On peut exclure
l’entraînement par le centre puisque le trou d’emman-
chement témoigne d’un actionnement périphérique;
la perforation totale pourrait alors correspondre à une
caractéristique technique spécifique au nord de la
Gaule où, plus qu’ailleurs, on aurait besoin de faire
traverser l’axe de rotation. On peut y voir l’habitude
de fixer l’axe dans le sol ou dans une structure sous-
jacente afin de stabiliser le moulin128 ; le catillus est
124. — JACCOTTEY 2009, p. 13-14.
125. — Fouille de N. Béague-Tahon, Inrap; LAGADEC 2007, p. 22;
JACCOTTEY 2009, p. 14.
126. — CHAUSSAT 2011.
127. — MORITZ 1958, p. 119-120; AMOURIC 1997, p. 40.
128. — MORITZ 1958, p. 120.
LES MEULES ROMAINES DE SEPT CHEFS-LIEUX DE CITÉ DE GAULE BELGIQUE... 185
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a. b.
FIG. 21. — Le système d’emmanchement des meules
manuelles cylindriques plates.
a. Traces de cerclage métallique ; b. Trou d’emmanchement.
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- 21. alors indépendant de l’axe autour duquel il tourne129.
Ou encore, aspect pratique, faciliter le transport des
meules, par le commerçant ou l’utilisateur, en offrant
un point d’attache central.
Par ailleurs, qu’il soit mobile ou non, l’axe est pro-
bablement gainé d’une pièce de bois qui assure l’étan-
chéité entre lui et l’œil de la meta.
3.1.1.3. Données communes aux catillus et aux meta
3.1.1.3.1. Le diamètre
Le diamètre des catillus cylindriques plats, lors-
qu’il est restituable avec précision, est compris entre
31,8 et 55 cm, avec une médiane de 42,5 cm, et des
mesures comprises à 80 % entre 38 et 48 cm; les
mesures extrêmes sont à 10 % supérieures et 10 %
inférieures à cette fourchette (fig. 22a).
Le diamètre des meta est compris entre 31,5 et
56 cm, avec une médiane de 43 cm, et des mesures
comprises à 80 % entre 37,5 et 50 cm (fig. 22a).
Ces fourchettes de 38 à 48 et de 37,5 à 50 cm,
fixées de manière arbitraire par un calcul statistique,
s’inscrivent bien dans l’ordre de grandeur des dia-
mètres des meules d’époque romaine donné par
l’étude du Groupe Meule sur leur évolution à La Tène
finale et à l’époque romaine130. Les meules les plus
petites y sont, de tendance générale, plus anciennes
que les plus grandes, mais l’usage de petites meules
perdure à l’époque romaine, ce qui permet de ne pas
exclure cette catégorie du lot. On peut ainsi dessiner
une tendance générale, mais non définir un système
précis de correspondance entre dimensions et chrono-
logie.
3.1.1.3.2. La face active
La face active du catillus doit se superposer à celle
de la meta pour opérer la mouture ou le broyage. Il
doit donc y avoir correspondance entre la pente de
l’un et celle de l’autre. Cependant, un espace, appelé
« lumière » doit être ménagé entre les deux meules
129. — POMMEPUY 2003, p. 381. 130. — JACCOTTEY, JODRY et alii 2011.
186 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
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Pente (en °) Pente (en °)
a.
b.
c.
FIG. 22. — Morphométrie des meules manuelles cylindriques plates simples.
a. Diamètres ; b. Inclinaison de la face active des catillus ; c. Inclinaison de la face active des meta.
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- 22. pour favoriser l’introduction du produit à broyer dans
le moulin et, dans le cas d’une mouture céréalière,
dérouler le son et écraser l’amande progressivement.
Cette lumière est caractérisée, de manière théorique
pour un moulin neuf, par un écart de 2° entre l’incli-
naison de la face active du catillus et celle de la
meta131. En réalité, cette inclinaison varie au fur et à
mesure de l’usure des meules et la lumière tend à se
réduire puis à disparaître. Le ravivage des surfaces
actives intervient alors pour retrouver, d’une part les
qualités d’abrasion qui diminuent avec l’usure132,
d’autre part l’inclinaison nécessaire à une mouture
efficace. Selon la roche employée, le ravivage est
traité de manière différente. Il peut prendre la forme
d’un simple piquetage à coups perdus, ou d’un
habillage raisonné (rayonnage droit ou courbe, orga-
nisé en secteurs ou rayonnant, simples cupules « en
nid d’abeille », mixte associant rayonnage et cupules).
Il conviendra plus tard de s’interroger avec plus de
précision sur sa forme et sa fonction.
La face active des catillus manuels est inclinée de
l’ordre de 0 à 18°, celle des meta entre 0 et 14° mais
avec des fourchettes différentes selon les roches
(fig. 22 b et c). La qualité des données se rapportant
aux meules en calcaire gréseux et en roche indétermi-
née ne permet cependant pas d’obtenir de résultats
satisfaisants. Leur surface est souvent fortement
concave, rendant difficile la mesure de l’inclinaison,
et leur faible nombre rend inappropriés les calculs sta-
tistiques.
Si les fourchettes sont larges à cause d’individus
peu représentatifs qui se distinguent du lot, leur ratio-
nalisation statistique montre la tendance générale
pour chaque roche. Les meules en arkose
d’Haybes/Macquenoise et en grès de Fosses/Belleu
ont une face active très peu inclinée, peut-être héri-
tière des surfaces plates des meules protohistoriques
locales133, alors que celles en roche volcanique ont
une pente plus accusée. En outre, l’écart entre la pente
du catillus et celle de la meta se vérifie; celui des
meules en arkose d’Haybes/Macquenoise s’élève à 2°,
et celui des meules en roche volcanique atteint 1°. En
revanche, cet écart est infime pour les meules en grès
de Fosses/Belleu. Il s’agit évidemment d’approxima-
tions données par des calculs de médianes et non, en
l’absence de couples fonctionnels, de mesures pré-
cises et incontestables.
3.1.2. Les moulins manuels cylindriques plats à
réglage de l’écartement (fig. 16, 2)
Il existe une catégorie de moulins manuels qui, bien
que présentant les mêmes caractéristiques morpholo-
giques et techniques que les moulins précédents, dis-
posent d’aménagements particuliers qui méritent
d’être développés.
Le trou d’emmanchement latéral prolongé dans la
cuvette, les traces de cerclage, ou les encoches sur le
flanc en font, à l’image des meules précédentes, des
meules à entraînement périphérique manuel. Mais
leur diamètre, jusqu’à 54 cm, les place dans le haut du
classement des meules à main, juste avant les grandes
meules à entraînement mécanique.
La distinction avec les autres meules manuelles est
faite grâce au logement d’anille qui équipe ces meules
de dimensions moyennes. Il prend la forme d’en-
coches rectangulaires ou en double queue d’aronde
par-dessous sur les catillus en arkose d’Haybes/
Macquenoise, en roche volcanique et en calcaire gré-
seux, et d’une perforation verticale sur celui en grès
de Fosses/Belleu. Dans le premier type de logement
vient s’insérer une anille par-dessous solidaire de
l’axe de rotation; dans le second est scellé sur la face
supérieure, dans la perforation conservée et dans celle
qui devait se trouver en position diamétralement
opposée, une anille-crampon reliée elle aussi à l’axe
de rotation. Ce système permet, non pas l’entraîne-
ment du moulin par le centre, puisque les trous d’em-
manchement indiquent un entraînement latéral, mais
le centrage de la rotation et la suspension du catillus
sur la meta pour le réglage de l’écartement entre les
deux meules134. Cela implique alors pour le moulin
d’être disposé sur une structure en bois qui le place à
hauteur de la taille du meunier. L’axe de rotation tra-
verse le catillus, la meta dont l’œil est totalement per-
foré, et la structure elle-même, et repose sur un levier
qu’il est possible de lever ou baisser à volonté. Par
cette manipulation, le catillus est soulevé ou abattu
afin d’obtenir l’écartement désiré (fig. 23)135.
Les meules de ce type mesurant parfois plus de
50 cm de diamètre, il est possible qu’on ait eu recours,
pour rendre le mouvement rotatif plus aisé, à une
potence associée à ce dispositif, et à laquelle était
reliée une perche qui prenait place dans le système
d’emmanchement du catillus (fig. 23). Le rayon de la
131. — BOYER, BUCHSENSCHUTZ 1998, p. 203; BOYER, JOUIN 2001,
p. 37.
132. — AMOURIC 1997, p. 42.
133. — POMMEPUY 1999, p. 127.
134. — MORITZ 1958, p. 119; AMOURIC 1997, p. 43-44.
135. — MORITZ 1958, p. 118-119; AMOURIC 1997, p. 41; BOYER,
PICAVET 2010, p. 24-25.
LES MEULES ROMAINES DE SEPT CHEFS-LIEUX DE CITÉ DE GAULE BELGIQUE... 187
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- 23. rotation effectuée par le bras est ainsi réduit, le travail
de mouture rendu plus commode, et les rendements
sont accrus136. Toutefois, encore observé dans cer-
taines parties de l’Europe au XXe s.137, ce système est
appliqué ici à la période romaine sans autre indice que
ceux apportés par l’observation des meules. Il
convient donc de rester prudent face à cette interpréta-
tion. Mais les indices techniques, logement d’anille de
soutien, trou d’emmanchement et meta à œil perfo-
rant, semblent concourir à l’élaboration d’une telle
idée.
3.1.3. Les moulins manuels hémisphériques et tron-
coniques
3.1.3.1. Les meules manuelles en poudingue
Les meules en poudingue sont présentes dans les
trois chefs-lieux situés les plus à l’ouest, Boulogne,
Amiens et Beauvais. Elles sont de forme hémisphé-
rique à tronconique, ce qui leur donne un aspect
presque totalement sphérique quand le catillus et la
meta sont assemblés. Elles sont caractérisées, d’une
part par leur matériau particulier qui semble n’avoir
fourni que de petites meules manuelles, d’autre part
par leur forme et leurs petites dimensions.
L’exemplaire mis au jour à Beauvais (205) est le seul
à apparaître sous la forme d’un cylindre plat.
3.1.3.1.1. Les catillus
Le dispositif d’entraînement
Les catillus peuvent être rangés dans trois groupes,
distingués par leur dispositif d’entraînement et sou-
vent par leur profil. Le premier est caractérisé par la
présence d’un trou d’emmanchement latéral prolongé
dans l’œil et par une forme souvent tronconique plus
ou moins bombée; le deuxième par la présence d’un
trou d’emmanchement aveugle, et le troisième groupe
par la présence sur le flanc de simples encoches hori-
zontales et par une forme souvent plus basse en por-
tion de sphère. Un quatrième groupe est esquissé par
le seul représentant 205 qui, dépourvu de trou d’em-
manchement, recevait peut-être un dispositif d’entraî-
nement comparable à celui des catillus du troisième
groupe.
Quinze catillus, soit 65,2 % des catillus en pou-
dingue, ont le flanc percé.
Groupe a (fig. 16, 3a): le trou d’emmanchement
présente toujours une ouverture quadrangulaire sur le
flanc, large de 5 à 8 cm, et haute de 4,5 à 10 cm. Le
conduit se resserre en se prolongeant vers l’intérieur
de la meule, puis aboutit dans l’œil par un orifice cir-
culaire de 2 à 4 cm de diamètre. Y était probablement
inséré un élément de préhension en bois ou en métal,
peut-être solidaire de l’axe de rotation qui traversait le
catillus et la meta sous-jacente (fig. 24, 3a). Dans
deux cas (185 et 190), ce trou d’emmanchement est
accompagné d’une gorge continue qui parcourt tout le
pourtour de la partie inférieure du flanc.
Groupe b (fig. 16, 3b): le trou d’emmanchement
présente une section conique et est ouvert sur le flanc
par un goulet de 3 à 4,5 cm de diamètre. Il est orienté
vers le bas et profond de 6 à 6,5 cm sur les meules 189
et 197, et horizontal et profond de 3,5 cm sur la meule
204. Il recevait vraisemblablement un manche en bois
indépendant de l’axe de rotation (fig. 24, 3b).
Groupe c (fig. 16, 3c): sept catillus présentent, en
partie inférieure ou médiane du flanc, une série d’en-
coches horizontales peu profondes (183, 184, 189,
191, 195, 196, 201). Sur la meule 189, elles accompa-
gnent un trou d’emmanchement atteint par l’usure de
la face active, et paraissent le remplacer; mais sur la
meule 195, elles accompagnent une perforation
intacte. Si les deux types d’aménagement latéraux
sont contemporains, les encoches interviennent peut-
être alors pour renforcer le système d’emmanche-
ment. Par ailleurs, quand le catillus est dépourvu de
trou d’emmanchement, il présente une forme plus
136. — VIGNET-ZUNZ 2002, p. 251; REIGNIEZ 2003, p. 76. 137. — JODRY 2006.
188 PAUL PICAVET AVEC LA COLL. DE GILLES FRONTEAU ET FRANÇOIS BOYER
0 30 cm
FIG. 23. — Le moulin à perche et réglage de l’écartement.
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- 24. basse que les catillus des deux premiers groupes. Le
creusement d’encoches serait donc bien un aménage-
ment secondaire sur les meules perforées, mais un dis-
positif d’entraînement principal sur les meules non
percées, les deux types provenant peut-être d’ateliers
différents.
On remarque, dans la gorge et les encoches de sept
de ces catillus, des traces d’oxyde de fer qui témoi-
gnent de l’adaptation de pièces de fer dans ces creuse-
ments. Il peut s’agir, pour les gorges continues, d’un
mode d’enserrement de la meule dans un cerclage, et
pour les encoches, d’un système avec points d’an-
crage qu’il est difficile de reconstituer avec les infor-
mations disponibles. On peut imaginer un lien végétal
équipé d’éléments en fer qui viennent se bloquer dans
les encoches pour assurer le maintien du dispositif
(fig. 24, 3c)
L’œil
La forme de l’œil de ces catillus varie d’un individu
à l’autre et ne semble pas avoir de lien avec le type
d’emmanchement. Il s’agit toujours de dépressions
centrales étroites et profondes qui prennent la forme
de cylindres ou de cônes simples (183, 184, 191, 193,
194, 196, 197, 199, 202), mais parfois se resserrent en
partie inférieure, adoptant une forme de « verre à
pied » (185 à 190, 192, 195, 198, 200, 201, 203). On
peut ainsi rapprocher ces meules des catillus de type 3
décrits par Cl. Pommepuy pour La Tène finale138.
3.1.3.1.2. Les meta
Les meta, encore observées exclusivement à
Amiens, ont une forme générale en calotte sphérique
inversée. Leur face inférieure est en effet convexe, ce
qui présente l’inconvénient d’être instable sur une sur-
face plane. On peut alors supposer que le moulin était
encastré à même le sol, dans la terre battue139, et peut-
être disposé sur une natte afin de recueillir le produit
moulu.
L’œil, perforant toujours la meule verticalement,
est conique sur les meules 177, 179 et 180, et « en
verre à pied » inversé sur les trois autres individus
(178, 181 et 182). Il est facile d’imaginer la pièce de
bois qui venait probablement s’y loger par-dessous et
qui recevait l’axe de rotation du moulin, empêchant le
grain de s’introduire dans l’œil avant mouture.
3.1.3.1.3. Données communes aux catillus et aux
meta
La face active
La face active des petites meules en poudingue est
très peu inclinée, entre 0 et 8° pour les catillus, avec
une médiane de 3°, et entre 0 et 5° pour les meta, avec
une médiane de 2°. Même si ces médianes ne consti-
tuent pas des mesures exactes prises sur des couples
fonctionnels, elles montrent une tendance qui
témoigne ici encore de l’existence d’une lumière entre
la meule tournante et la meule dormante.
Le diamètre
Le diamètre des meules en poudingue est compris
entre 25 et 39,5 cm, avec une médiane de 32 cm, qui
se réduit à 31,5 cm pour les catillus et atteint 32,5 cm
pour les meta. Cette différence est néanmoins peu
significative puisque les meta sont presque quatre fois
moins nombreuses que les catillus. On peut toutefois
remarquer que les catillus d’Amiens sont générale-
ment plus grands que ceux de Boulogne. En effet, hor-
mis le catillus 198 qui mesure 33,5 cm, toutes les
meules de Boulogne ont un diamètre compris entre 25
et 30 cm, alors que les catillus d’Amiens ont un dia-
mètre compris entre 30 et 39,5 cm.
Représentation des meules en poudingue
Peut-on déduire de ces résultats que le circuit d’ap-
provisionnement n’est pas le même pour les deux
villes? Ou qu’il diffère selon le type de meule? Ou
138. — POMMEPUY 1999, p. 128. 139. — HESLOP 2008, p. 39.
LES MEULES ROMAINES DE SEPT CHEFS-LIEUX DE CITÉ DE GAULE BELGIQUE... 189
0 30 cm
3a. 3b.
3C.
FIG. 24. — Propositions de restitution des systèmes
d’emmanchement des moulins manuels en poudingue.
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- 25. s’agit-il de variations d’ordre chronologique? Des
meules de même type taillées dans la même roche
sont connues en Normandie140, mais d’autres aux
caractéristiques différentes, proches de celle de
Beauvais (205), y sont aussi observées141. Il existe
divers sites d’extraction de poudingue qui ont fourni
des meules manuelles. On peut donc imaginer une
spécialisation des ateliers de taille dans la réalisation
d’un type de meule, avec ensuite un circuit de diffu-
sion très étendu, entre le Cotentin et Boulogne-sur-
Mer, pour les catillus à trou d’emmanchement, et une
répartition plus restreinte et limitée à l’ouest pour les
meules plus plates; et les catillus à gorge et à
encoches paraissent absents des collections nor-
mandes.
Il semble communément admis que ces meules en
poudingue ont été en usage sans discontinuité à La
Tène finale et à l’époque romaine. Pour la fin de l’Âge
du Fer, trois catillus sont mentionnés par Cl.
Pommepuy142, et un exemplaire remonterait même à
La Tène moyenne sur le site de Mérignies (Nord)143.
Dans les villes d’Amiens et de Boulogne-sur-Mer, ils
sont supposés d’époque romaine d’après des décou-
vertes « très fréquentes et réparties dans toute la
ville »144. Mais cette datation reste à confirmer.
3.1.3.2. Les meules manuelles protohistoriques
(fig. 16, 4, tab. 1)
Une série de meules se distingue des moulins à
main d’époque romaine décrits jusqu’ici. Elles entrent
dans la classification des meules manuelles de La
Tène finale issues de la vallée de l’Aisne construite
par Cl. Pommepuy145. Ces meules se distinguent par
leur matériau, leur forme et leurs caractéristiques
techniques. Leur diamètre, compris entre 31,5 et
41,5 cm avec une médiane de 35,5 cm, correspond à
celui de meules rotatives protohistoriques146. Trois
groupes sont définis, connaissant une évolution chro-
nologique inverse, le type 1 étant le plus récent et le
type 3 le plus ancien147.
3.1.3.2.1. Les meules de type 1148
Le catillus se présente sous la forme d’un cylindre
dont la face supérieure, horizontale en parties distale
et mésiale, est creusée d’une dépression peu profonde
en partie proximale (fig. 16, 4a). Cette dépression des-
cend doucement vers l’œil qui est équipé d’un loge-
ment d’anille « boîtard » rectangulaire. Le flanc est
percé d’un trou d’emmanchement horizontal aveugle
dont la profondeur atteint à peine la moitié du rayon
de la meule. Sur le couple de Reims (74 et 172), la
meta est aussi cylindrique, avec un œil perforant, et sa
face active inclinée de 4° s’adapte à celle du catillus,
aussi inclinée de 4°.
Ce type de meule en calcaire à cérithes serait pré-
dominant dans la vallée de l’Aisne à La Tène D1 et à
La Tène D2.
3.1.3.2.2. Les meules de type 2149
La section du catillus est tronconique et sa face
supérieure est creusée en cuvette aboutissant à la per-
foration centrale cylindrique (fig. 16, 4b). Le trou
d’emmanchement percé dans le flanc est prolongé
jusqu’à aboutir au centre de la meule, à la jonction
entre la cuvette et l’œil. Toutefois, ce type d’aménage-
ment périphérique n’est pas caractéristique de ce
groupe de meules. Cl. Pommepuy décrit habituelle-
ment des trous aveugles, ne dépassant pas en profon-
deur la moitié du rayon de la meule150.
La meta, de forme cylindrique plate, est perforée de
part en part verticalement par l’œil. Sur le couple
conservé à Soissons (76 et 174), taillé en « pierre à
liards » la face active du catillus est inclinée de 5°,
celle de la meta de 3°, ménageant une lumière pour
l’introduction et le déroulement progressif du grain.
3.1.3.2.3. Les meules de type 3151
Comme pour les meules en poudingue, la face
supérieure est tronconique bombée, presque hémi-
sphérique, et creusée d’une dépression centrale pro-
fonde resserrée en partie inférieure (fig. 16, 4c). Ces
dépressions centrales tendraient à s’élargir entre La
Tène C2 et La Tène D1152, et seraient à l’origine des
cuvettes peu inclinées des meules romaines. Le trou
d’emmanchement latéral est quasi identique à celui
des meules en poudingue et traverse l’épaisseur de la
meule jusqu’à l’œil.
La meta est cylindrique et plate, avec des flancs
verticaux et un œil perforant. La face active est ici
inclinée de 0 à 3°.
140. — RÉMY-WATTÉ 1983; CHAUSSAT 2009, p. 82-84.
141. — CHAUSSAT 2009, p. 82-83.
142. — POMMEPUY 1999, p. 128, 131.
143. — PICAVET 2010f.
144. — BAYARD, MASSY, 1983, p. 163.
145. — POMMEPUY 1999, p. 128.
146. — POMMEPUY 2003, p. 378-379.
147. — POMMEPUY 2003, p. 380.
148. — POMMEPUY 1999, p. 127-129; POMMEPUY 2003, p. 376-378.
149. — POMMEPUY 1999, p. 128-131; POMMEPUY 2003, p. 378.
150. — POMMEPUY 1999, p. 129-131.
151. — POMMEPUY 1999, p. 128, 131; POMMEPUY 2003, p. 378.
152. — POMMEPUY 2003, p. 378.
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