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abramson
1. M Le magazine du Monde — 15 octobre 2016
Jill
Abramson,
la reine
déchue du
“New York
Times”.
112
2. n peine à savoir si Jill Abramson est plus
célèbre pour avoir été la première femme à
accéder au fauteuil de patronne du New York Times, ou pour
avoir été la première à s’en être fait virer au bout d’à peine
trois ans d’exercice. Une violente claque, aujourd’hui digérée.
Abramsonl’atransforméeenopportunitéd’unretouràl’essence
du métier. Que faire d’autre ? « Le bon côté d’avoir été virée
du Times,explique-t-elle, est que je me concentre maintenant
sur ce que je préfère et fais de mieux dans le journalisme, à
savoir écrire et partir en reportage. »
Tout s’est passé vite.En un claquement de doigts,à l’échelle de
l’histoireduTimes.En2011,Abramsonbrisaitunplafonddeverre
enétantnomméedirectriceexécutiveduquotidiennew-yorkais.
L’aboutissement d’une carrière opiniâtre, dans un milieu
d’hommes,rappelle-t-elle souvent.C’est à cette époque que M
Le magazine du Monde l’avait rencontrée. Notre couverture
montre une femme au regard froid,déterminé,qui pose debout
devantdespagesdujournalleplusinfluentdelaplanète.« C’est
l’honneurdemavie »,avait-ellecommentélorsdelapassationde
pouvoir avec Bill Keller au siège de la VIIIe
Avenue, « comme
accéder au Valhalla ». Son nouveau poste est aussi stratégique
que le précédent,chef du bureau deWashington.Mais médiati-
quementplusexposé.Etl’oxygènes’yfaitrare.Forbesladésigne
alors comme la cinquième femme la plus puissante du monde.
Plus dure fut la chute. En mai 2014, Jill Abramson est remer-
ciée et remplacée par son second, Dean Baquet, premier
Afro-Américain à occuper le fauteuil. Une décision sèche et
embarrassante pour le journal.Chaque soubresaut à la tête du
quotidien est sondé avec gourmandise par les confrères.
Enquêter sur les manœuvres à l’intérieur du Times est une
discipline compliquée, pratiquée à grands renforts de sources
internes et anonymes, qui rappelle la kremlinologie.
Le premier problème semble avoir été l’argent. Abramson
n’aurait pas supporté d’être moins bien payée que son prédé-
cesseur,et aurait embauché,dès sa nomination,un avocat pour
défendre ses intérêts.Une initiative considérée comme hostile
et déplacée par Arthur Sulzberger Jr., propriétaire du journal
depuis plus de quarante ans.Une analyse du New Yorker sug-
gère qu’Abramson était effectivement moins bien payée,mais
pas à cause de son sexe, plutôt de son ancienneté au journal
– transfuge du Wall Street Journal, elle n’est entrée au
New York Times qu’en 1997, soit treize ans après Keller.
C’est surtout son comportement de directrice aux commandes
du quotidien qui semble l’avoir desservie. Des manières
décrites comme autoritaires, clivantes, parfois humiliantes.
C’estaujourd’huienpartieconfirméparAbramsonelle-même.
Dans une interview le mois dernier pour l’édition américaine
d’Elle, elle revient avec franchise sur ses erreurs.Elle les attri-
bue à des décennies de difficultés à se faire entendre dans des
conférences de rédaction dominées par les hommes.« Je pense
que j’ai compensé, une fois à des postes de management, en
interrompant les collègues, et en ne les écoutant pas assez. Ce
fut une énorme erreur. Il est ridicule d’interrompre un collè
gue ou quelqu’un qui travaille pour vous. Le message envoyé,
c’est : “Ça ne vaut pas le coup que je t’écoute.” Même si ce
n’était pas mon intention, j’ai donné l’impression de sures
timer l’importance de ma propre opinion. »
Abramson a rebondi en retournant à Harvard, où elle fut
diplômée de la promotion 1976 – celle du violoncelliste Yo-Yo
Ma et du président de la Cour suprême John Roberts. Elle y
dispense un cours d’initiation au journalisme, dans le même
bâtiment où elle signa ses premiers articles pour le Harvard
Independent il y a plus de quarante ans.« En tant que membre
de la faculté, dit-elle à M, j’essaie d’inspirer mes étudiants.
Je les encourage à lire ce que je considère comme la crème du
journalisme, à coller aux standards les plus stricts de notre
profession, et à écrire des histoires qui interpellent. »
Jill Abramson partage aujourd’hui son temps entre Boston et
New York où elle habite avec sa fille, chirurgienne diplômée
de l’université en 2005.L’an dernier,la journaliste écrivait dans
les colonnes de la Harvard Gazette : « Maintenant, c’est moi
qui aide mes étudiants à décrocher des stages et un premier
emploi. Ils semblent aimer le métier autant que moi… Je
meurs d’envie de lire leurs premières enquêtes. (...) Je produis
aussi de longs articles en parallèle. » Une allusion à un projet
de start-up en ligne,annoncé en grande pompe quelques mois
après son licenciement.Le principe :publier une fois par mois
« une histoire parfaite », sous un format très long,rémunérée
100 000 dollars. Le projet est en suspens. Son associé, le jour-
naliste Steven Brill, a déclaré en mai au site Poynter.org qu’il
n’était « pas totalement abandonné », mais que Jill et lui
« travaillent sur l’écriture de livres, et d’autres projets en ce
moment ». Depuis le mois de mars,Abramson prête sa plume
au Guardian britannique comme éditorialiste politique.Elle y
offre sa grille de lecture des élections américaines : « J’essaie
d’y inclure des éléments de reportage et de tirer profit de mes
quarante ans d’expérience dans l’arène politique. » Libérée
du devoir de réserve qu’impliquaient ses plus hautes respon-
sabilités, elle prend parti. Même si elle « ne se voit pas en
éditorialiste très tranchée », elle soutient dans tous ses textes
la candidature d’Hillary Clinton.Comme elle,une femme qui
a l’ambition de briser un épais plafond. Maxime Robin
à lire sur le Web « Jill Abramson,
la première dame du New York
Times », paru dans M Le magazine
du Monde le 26 novembre 2011
www.lemonde.fr/m-le-mag
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