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going out
of drawing
by drawing
“Figuration numérique en architecture, sortir du dessin par le dessin
janvier 2018 Colloque « Le dessin entre maîtrise et incertitude »
par Daniel Estevez
professeur HDR au LRA ENSA Toulouse, Université de Toulouse Jean Jaurès
information science :
“science of the
rational processing of
information
considered as the
support of human
knowledge”cnrtl http://www.cnrtl.fr/definition/informatique
NRZ-L
NRZ-M
NRZ-S
RZ
Biphase-L
Biphase-M
Biphase-S
Differential
Manchester
Bipolar
binary line code formats in
digital signal processing
for the word 1010110010
https://fr.wikibooks.org/wiki/Fonctionnement_d
%27un_ordinateur/Encodage,_traitement,_d
%C3%A9codage
Ce texte propose quelques
réflexions sur la figuration
en architecture dans ses re-
lations avec le numérique.
Je crois qu’il est nécessaire
d’envisager ce mot de “nu-
mérique” à partir de certains
concepts spécifiques des
sciences de l’information.
Partons de la définition of-
ficielle de l’informatique («
information science »). C’est
la “science du traitement
rationnel, notamment par
des machines automatiques,
de l’information considé-
rée comme le support des
connaissances humaines”.
Cette définition académique
introduit trois concepts fon-
damentaux (traitement, in-
formation et support). Elle
établit également une dis-
tinction entre information et
connaissance comme étant
deux choses séparées.
Penchons nous brièvement
sur le concept d’informa-
tion. Concrètement, qu’est-
ce qu’une information ? Le
premier niveau de définition
d’une information est la
transcription garantie d’un
phénomène donné dans un
code donné. Dans les tech-
nologies numériques on
parle de codage de l’informa-
tion. Ici le phénomène maté-
riel choisi pour le codage est
le phénomène des tensions
électriques. Ces tensions (de
faible voltage) permettent de
coder des informations sous
forme de nombres dans des
composants électroniques
(c’est à dire des registres).
On utilise différentes mé-
thodes pour coder un bit
(c’est à dire un nombre bi-
naire). Par exemple, dans le
codage en NRZ, lorsque la
tension passe en-dessous
d’un seuil donné on consi-
dère que l’information co-
dée est un 0. Au dessus de
ce seuil la tension représente
un 1.
Dans tous les cas on observe
que le codage est un pro-
cédé de discrétisation. C’est
à dire qu’on passe d’un phé-
nomène fluctuant et continu
(les tensions représentées
par des courbes) à un en-
semble d’états finis et stables
(l’information représentée
par des nombres).
Information : une infor-
mation est un phénomène
physique mesurable (par
exemple une tension élec-
trique mesurée en bits) sus-
ceptible de coder un message
numérique en annulant toute
possibilité d’écart entre le
support physique et le code
numérique associé (prin-
cipe des codes correcteurs
d’erreur). C’est ce message
formel codé numériquement
qui peut subir un traitement,
c’est à dire une opération
matérielle portant sur une
forme indépendamment de
son interprétation possible.
e x a m p l e o f Q u i c k
Response Code (QR
C o d e ) u s i n g R e e d -
Solomon error correction
code
h t t p s : / / e n . w i k i v e r s i t y. o r g / w i k i / R e e d
%E2%80%93Solomon_codes_for_coders
examples of bit shifts in
bitwise operations
https://en.wikipedia.org/wiki/Bitwise_operation
00010111 (+23)
left-shift
00101110 (+46)
00010111 (+23)
right-shift
00001011(+11)
Penchons nous à présent sur
le concept de support. Pour
garantir la correspondance
non ambigüe entre un signal
électrique et une informa-
tion numérique, on introduit
des procédures de contrôle
et de correction automa-
tique des erreurs du codage:
les codes correcteurs d’er-
reurs. Il s’agit d’une redon-
dance d’information dans
le codage du signal. Celle-ci
garantit la fiabilité du co-
dage pour un traitement
donné (par exemple l’ajout
systématique d’un bit sup-
plémentaire dans un mot).
On observera ici un para-
doxe intéressant. Ce pro-
cédé efficace garantit la rela-
tion univoque et stable entre
support matériel du codage
et information codée. Mais
cette fusion logique entre
support et information,
rend in fine l’information
elle même indépendante
de son support physique.
C’est ce qu’illustre l’exemple
bien connu des QR codes.
Ces dispositifs de codifica-
tion graphique utilisent des
Codes Correcteurs d’Er-
reurs assez puissants. Dans
l’image présentée ici par
exemple l’information nu-
mérique codée est en effet
identique dans chaque cas
malgré les altérations que
subit le support (couleur,
forme, bruit). On peut le vé-
rifier en lisant ces codes avec
un smartphone, ils renver-
rons tous à la même adresse
internet (celle qui contient le
texte de cette conférence).
Penchons nous enfin sur la
notion de traitement. Il faut
remarquer que c’est unique-
ment l’information en tant
que codage formel d’un si-
gnal physique, qui fait l’objet
de traitements. Or qu’est-
ce qu’un traitement ? Par
le terme de traitement on
désigne des calculs formels.
Ce sont des combinaisons
d’opérations élémentaires
sans signification intrinsèque
(duplications, décalages, ver-
rous, bascules…). Ces opé-
rations sont essentiellement
des déplacements de valeurs
de bit dans des registres ré-
cepteurs. Dans l’exemple
présenté ici l’opération de
décalage d’une position per-
met de coder un multiplica-
tion ou bien une division.
Bien entendu pour être traité
et stockée toute information
doit respecteur des conven-
tions de mise en forme, c’est
à dire à un format. Dans
notre exemple le format de
l’information est un octet
(huit bit classés de la droite
vers la gauche selon leur
poids).
Je livre ces remarques géné-
rales afin de souligner trois
propriétés fondamentales
des technologies informa-
tionnelles, trois propriétés
qui ont des conséquences
précises sur les activités de
figuration.
1/ une séparation fonda-
mentale entre information et
signification
2/ une désactivation du sup-
port dans la représentation
de l’information
3/ une structuration for-
melle de l’accès à l’informa-
tion en vue de son traite-
ment, le format.
a journey into
architectural design :
from information to
fact,
from operation to
action
http://www.tschumi.com/publications/
Ce contexte lexical propre à
la théorie de l’information
étant rapidement énoncé, je
peux en arriver au thème de
notre rencontre : “le dessin
entre matrîse et incertitude”.
Alors maîtriser quelque
chose c’est d’abord en avoir
une connaissance précise.
Je dirais que la maîtrise
concerne donc la précision
des faits et des actions.
Être dans l’incertitude à pro-
pos de quelque chose c’est
être dans l’impossibilité d’en
avoir une connaissance pré-
visible. Je dirais donc que
l’incertitude concerne l’indé-
termination des faits ou des
actions.
Dans la petite traversée ré-
flexive que je propose, les
questions d’information et
de traitement vont donc se
transformer. Les situations
de conception que j’évoque
déplacent en effet ces no-
tions vers celles de “fait” et
“d’action”. Elles déplaceront
également le couple maîtrise
/ incertitude vers celui de
précision / indétermination.
Je prendrais comme point
de départ de cet exposé ce
diagramme que présente
Bernard Tshumi dans son
ouvrage « Praxis ». Il servira
de guide à mon intervention.
Comme on le voit, ce dessin
illustre des principes d’orga-
nisation généraux en archi-
tecture. Il met en relation un
terme relatif à la précision
(“structural “) et un autre
relatif à l’indétermination
(“random”). A partir de là,
il croise la notion dynamique
de déplacement (“flow” fi-
gurés par des flèches) et la
notion statique d’espace
(“void” représentée par des
figures).
program strategy
convention tactics
1 design as program :
determinate actions
on
structured data
2 design as strategy :
specific facts
for
undeterminate actions
3 design as convention :
unspecified facts
and
determinate action
4 design as tactics :
unplanned facts
for
undeterminate actions
1.  design as program
determinate actions
on
structured data
Alors si on s’amuse à rap-
porter le terme “flow” au
concept d’action et celui de
“void” au concept de fait
alors on peut utiliser le ta-
bleau de Tshumi pour illus-
trer quatre situations type de
conception en architecture
(paradigmes) :
1. le programme dont les
actions sont déterminées
(opérations programmées)
et portent sur des faits struc-
turés (données)
2. la stratégie dont les ac-
tions sont indéterminées a
priori et s’actualisent à partir
des structures de faits (clas-
sement, catégorie)
3. la convention dont les
actions sont déterminées
(règles tacites, habitudes) et
portent sur des faits non dé-
crits (implicites)
4. la tactique dont les actions
se déterminent au cas par cas
selon des faits non structu-
rés (improvisation)
L’hypothèse de mon in-
tervention est que chacun
de ces quatre registres de
conception entrainent la
pratique contemporaine de
figuration vers ce que j’ap-
pelle une sortie possible du
dessin.
Mais, si cette sortie peut
dans certains cas se com-
prendre comme un aban-
don pratique et effectif de
la forme dessin (sa dispari-
tion), dans d’autres cas en
revanche, il s’agit d’une sor-
tie critique, c’est à dire d’un
dépassement qui respecte le
dessin comme l’un des pa-
radigmes fondamentaux de
la pratique de conception
contemporaine. Ce sont ces
dépassements que je vou-
drais parcourir brièvement
aujourd’hui.
La première situation que je
voudrais évoquer elle celle
où la conception entre dans
le schéma général du pro-
gramme. Il est bien clair que
cette situation touche direc-
tement le contexte numé-
rique. Un programme, c’est à
dire un système d’opérations
déterminées portant sur des
faits structurés (des informa-
tions).
drawing in a digital
context :
“augmented drawing”
Design as a tree of
diagrams. Determination
of Components for an
I n d i a n Vi l l a g e f r o m
« notes on the synthesis
of form » Christopher
Alexander, 1966
http://misri470umd.blogspot.fr/
Dans le contexte numérique,
le dessin doit assumer les
concepts fondamentaux des
systèmes d’information. Et
je voudrais montrer en quoi
il peut alors être redéfini
comme un dessin augmenté.
En 1966, avec son livre
“Notes on the synthesis of
form”, l’architecte Christo-
pher Alexander fut proba-
blement l’un des premiers
architectes à tenter d’intégrer
la structure informationnelle
données/programme dans la
conception architecturale.
La conception qu’il modélise
est un processus formel fon-
dée sur l’analyse, la synthèse
et la structure en arbre de
données. Il écrit :
“le point de départ de dé-
part de l’analyse ce sont les
données, le produit final de
l’analyse est le programme
qui est un arbre hiérarchique
de données. Le point de dé-
part de la synthèse est le dia-
gramme. La produit final de
la synthèse est la réalisation
du problème qui est une ar-
borescence de diagrammes.”
p.84) En assumant la sépara-
tion entre information et si-
gnification dans son modèle
de conception, Alexander
assume l’hypothèse opéra-
tionnelle fondamentale de
la théorie de l’information.
Ses premières recherches,
tout comme celles de Noam
Chomsky à la même époque,
s’inscrivent dans le projet gé-
néral d’une l’intelligence arti-
ficielle. Il s’agit précisément
de formaliser de façon syn-
taxique des éléments séman-
tiques. Cette modélisation
repose elle-même en grande
partie sur des schémas hié-
rarchiques, des arbres (voir
les arbres de dérivation des
grammaires générative chez
Chomsky).
On cherche donc en quelque
sorte à procéder à une « sé-
mantisation » automatique
de l’information. En fait, cela
revient à tenter d’automati-
ser les processus interpré-
tatifs (qui relèvent norma-
lement des sujets humains)
en les formalisant dans un
cadre logique (hypothético-
déductif).
Ces modèles totalisants
fondés sur des structures
d’arbre, n’ont pas connu
d’aboutissement opératoires
réels en architecture. C’est
que, comme l’a montré Gil-
bert Silmondon, le prin-
cipe d’automatisme ne peut
conduire qu’à la production
de machines fermées. Fer-
mées c’est à dire détermi-
nées et inaccessibles à des
usages non programmés. Ce
que Simondon appelle les
machines ouvertes sont au
contraire des systèmes fai-
sant place à des marges d’in-
détermination.
Machine ouverte : Le philo-
sophe de la technique Gilbert
Simondon oppose automa-
tisme et indétermination. Il
observe que «pour rendre une
machine automatique, il faut
sacrifier bien des possibilités
de fonctionnement, bien des
usages possibles.» Pour lui l’au-
tomatisme peut conduire à la
réduction des capacités d’usage
des objets techniques, c’est à
dire à leur fermeture. Une ma-
chine ouverte est caractérisée
au contraire par son indéter-
mination. L’indétermination
s’oppose à l’automatisme. Il
écrit: «le véritable perfectionne-
ment des machines, celui dont
on peut dire qu’il élève le degré
de technicité, correspond non
pas à un accroissement de l’au-
tomatisme, mais au contraire
au fait que le fonctionnement
d’une machine recèle une cer-
taine marge d’indétermination.»
Inference engine in a CAD
model
https://help.sketchup.com/fr/article/3000223
Student’s exercise of
visual programming
http://misri470umd.blogspot.fr/
Ainsi les systèmes d’IA ont
ils bel et bien pénétrés les
pratiques de conception
mais sous une forme acces-
soire, ou additionnelle.
Pour la figuration par
exemple, de tels systèmes in-
fèrent des informations géo-
métriques pertinentes impli-
cites dans le dessin et puis
les affichent. Ils augmentent
ainsi le nombre d’informa-
tions accessibles par l’utili-
sateur. C’est une réalité bien
connue des infographistes.
Car on rencontre désormais
des modules inférentiels
dans la plupart des logiciels
graphiques. Ceux-ci ont été
rendus populaires par le lo-
giciel Sketchup d’où est tirée
cette image. Le dessin est
donc désormais prolongé
par des traitements automa-
tisés intégrés aux machines
logicielles.
Alors pour que la machine à
dessin contemporaine, le lo-
giciel graphique notamment,
soit une machine ouverte
comment faire ?
Pour Simondon, il faut sim-
plement maintenir le prin-
cipe d’automatisme à un
niveau précis par lequel il
augmente la capacité d’usage
du concepteur au lieu de la
diminuer et de la refermer. Il
faut parvenir à un équilibre
par lequel la machine logi-
cielle devient incitative pour
l’utilisateur. Une machine
ouverte.
Machine incitative : Le socio-
logue de la pratique Richard
Sennett souligne lui aussi que
l’augmentation des possibilités
d’action constitue un objec-
tif fondamental de l’environ-
nement technique : « La façon
éclairée d’utiliser une machine
consiste à juger de ses pouvoirs,
à façonner ses usages, à la lu-
mière de nos limites. Nous ne
devons pas rivaliser avec elle.
Une machine, comme tout mo-
dèle, devrait proposer plutôt
qu’ordonner […]. »
Dans ces conditions, le tra-
vail de “dessin en contexte
informatique” peut s’orien-
ter vers des activités de
contrôle et de commande.
Ce dessin consiste alors
moins en des gestes gra-
phiques qu’en l’organisation
de séquences d’opérations
automatiques déterminées
proposées par les outils et
portant sur des modèles pré-
définis. C’est là par exemple
l’une des caractéristiques de
ce que l’on nomme l’archi-
tecture paramétrique.
Ce qui est intéressant en défi-
nitive, c’est que les capacités
des machines actuelles, en
tant que machines ouvertes,
permettent à certains égards
de ré-explorer la question
de la série dans le dessin de
conception. Or il s’agit d’une
propriété inhérente au dessin
de tradition en architecture
(voir les schémas sériels de
Palladio au XVIème siècle
présentés plus loin). C’est
pourquoi la sortie du dessin
proposée par les dispositifs
numériques se fait par un
saut strictement quantitatif.
En dépit des apparences,
cette augmentation ne dé-
place pas fondamentalement
le paradigme du dessin de
conception. Car le numé-
rique peut parfaitement as-
sumer, soutenir, voire même
augmenter les propriétés sé-
rielles du dessin d’architec-
ture.
IFC specification of a door
in a BIM model
(from ANR research project “inhabitable
skins”) https://issuu.com/daniel-estevez/
docs/h_a_b_i_t_a_b_l_e_s_k_i_n_s
IFC BIM
2. design as strategy
specific facts
for
undeterminate actions
On sait, par définition,
que tout programme exige
une précision des données
comme des opérations. Cela
conduit à agir sur des objets
formatés et suffisamment
détaillés, suffisamment défi-
nis. Le thème de la définition
des objets, de la définition
des représentations, est de-
venu un pôle intentionnel
central du travail de figura-
tion numérique contempo-
rain. C’est que la puissance
d’action d’un programme
dépend de la richesse de la
structure de donnée associée
à un objet : ce qu’on appelle
sa définition.
A partir de là, les pratiques
figuratives en architecture
tendent vers un usage de
représentations possèdant
une définition maximum,
une haute définition. Cela
débouche logiquement sur
la manipulation de modèles
à l’échelle un pour un. C’est
à dire sur la manipulation de
maquettes numériques (au
sens BIM). Une maquette
numérique peut être vue
comme une explicitation
numérique totale de la repré-
sentation d’un projet. C’est
un modèle complet, instan-
cié ou non, un prototype
numérique conforme à un
format standard de donnée
(IFC).
Les conséquences métho-
dologiques de ce dispositif
d’explicitation sont impor-
tantes pour la conception.
Apparemment, elles peuvent
correspondre à des ruptures
culturelles. C’est que le tra-
vail de conception prend
désormais pour point de dé-
part des objets entièrement
prédéfinis et des actions élé-
mentaires prédéterminées
(nous sommes bien dans le
paradigme de la conception
comme programme). Mais
ce point ouvre aussi des
pistes intéressantes.
Par exemple, l’idée reçue
d’une conception architectu-
rale comprise comme activi-
té de résolution de problème
allant du flou vers le précis
(Descartes) est concrè-
tement invalidée dans ce
contexte. Cela constitue cer-
tainement un progrès car au
fond ces outils programma-
tiques fournissent peut être
l’occasion de penser et de
pratiquer la conception en
dehors du mythe de la créa-
tion ex-nihilo. Il semble que
toute la recherche architec-
turale qui s’est penchée sur
l’idée d’une «conception par
précédent» doit désormais
investir ce nouveau champ
de pratiques.
Une question méthodolo-
gique demeure cependant.
Car si des objets formels
précis pré-existent à toute
démarche de conception en
architecture alors comment
maintenir l’indétermination
des actions sur ces objets ?
En matière de conception
la connaissance n’est pas
toujours formalisable par
explicitation formelle. Le
travail interprétatif du sujet
concepteur n’est pas tou-
jours déterminé comme
peut l’être un calcul formel
qui suppose une séparation
entre information et signifi-
cation.
C’est ce que montre par
exemple l’approche pragma-
tiste de la conception.
Cette approche pragmatiste
intègre le travail graphique
de conception dans un autre
cadre cognitif. Un cadre qui
privilégie non pas la déduc-
tion descendante hiérar-
chique propre au schéma du
programme mais le principe
inductif propre au schéma
de l’enquête.
Tout projet est indéterminé
dans ses actions mais porte
sur des faits précis insépa-
rables de leurs significa-
tions. Pour le pragmatiste
John Dewey on ne peut pas
admettre en pratique de sé-
paration absolue entre in-
formation et signification :
« sans une certaine sorte de
symbole, il n’y a pas d’idée.
[…] puisqu’une existence [i.e
information] est le support
et le véhicule d’une significa-
tion […] les significations ou
idées incorporées peuvent
être examinées et dévelop-
pées objectivement.
Examiner une idée n’est pas
une simple façon de parler. »
(John Dewey, Logique, Une
théorie de l’enquête. p.175)
strategic drawing :
“drawings as
operational
facts-meanings”
“Embodied meanings are
capable of objective
development. To look at
an idea is not a mere
literary figure of speech”
h t t p s : / / a r c h i v e . o r g / d e t a i l s /
JohnDeweyLogicTheTheoryOfInquiry
set of patterns from
Christopher Alexander’s
b o o k « A P a t t e r n
Language »
http://www.iwritewordsgood.com/apl/set.htm
L’approche pramatiste subs-
titue le concept de “fait
opérationnel” à celui d’in-
formation. Elle considère
la signification comme ré-
sultant d’une interpréta-
tion/classification des faits.
Qu’est-ce qu’un fait ? La
définition de John Dewey
indique qu’un fait existe, en
dehors de nous, comme «
élément constitutif d’une
situation donnée que nous
pouvons organiser dans
l’observation » (p.173).
Dans le schéma de l’enquête,
la notion de fait correspond
à un outil de la dynamique
inductive de recherche. Ain-
si, la valeur d’un fait en cours
d’enquête dépend de son uti-
lité pour le concepteur. Un
fait est valable s’il constitue
un appui temporaire du tra-
vail d’interprétation. Cela au
détriment parfois même de
sa réalité mesurable (validité,
vérité).
Lors d’une enquête les faits
sont choisis, décrits, exami-
nés, arrangés, organisés, ca-
tégorisés et classés avec une
intention projectuelle, “ils ne
sont pas simplement les ré-
sultats d’opérations d’obser-
vation” (p.178) mais relèvent
d’une tâche interprétative
méthodique que l’on peut
apparenter à une tâche de
conception.
Qu’est-ce qu’un fait opéra-
tionnel ? C’est un fait por-
tant une signification en
soi (notion de monde chez
Goodman). Mais c’est aussi
un fait qui s’articule avec
d’autres pour produire une
fin définie. Cette finalité, en
architecture par exemple,
est la transformation d’une
situation donnée qu’on ap-
pelle un projet.
Faits provisoires : c’est ainsi que
John Dewey caractérise le fait dans
l’enquête, les contenus factuels ont
un caractère provisoire et opéra-
tionnel, c’est à dire fonctionnel: «
Il est reconnu qu’une hypothèse
ne doit pas être vraie pour être
très utile à la conduite de l’enquête
[…] la même chose vaut pour les
faits. Ils étaient utiles non parce
qu’ils étaient vrais ou faux mais
parce que, quand ils étaient consi-
dérés comme instruments de tra-
vail provisoire pour faire avancer
les recherches, ils conduisaient à la
découverte d’autres faits plus adé-
quats et solides. » (p.212)
Il s’agt alors de produire des faits
nouveaux susceptibles d’alimenter
le travail de formulation (énoncia-
tion, nomination…) et de mainte-
nir le processus d’interprétation de
ces faits ! L’enquête repose sur une
continuité récursive où les conclu-
sions obtenues à un stade devien-
nent des moyens matériels de me-
ner une nouvelle enquête (Dewey).
Un fait opérationnel n’est
jamais isolé. Pour Dewey les
faits « prouvent et éprouvent
une idée dans la mesure où
ils peuvent être organisés
les uns avec les autres. Il n’y
a organisation que s’ils sont
en interaction réciproque. »
(p.178). Le travail d’enquête
consiste donc à transformer
les situations existantes par
l’organisation et la classifica-
tion des faits significatifs.
Christopher Alexander, en-
core une fois, servira d’il-
lustration de cette approche
pragmatiste de la représen-
tation en architecture. Dans
son deuxième ouvrage phare,
intitulé A pattern language et
publié en 1977, la concep-
tion n’est plus appréhen-
dée comme un programme
de résolution de problème
mais comme une tâche d’ex-
pression. La conception ne
repose pas sur l’usage d’in-
formations et de traitements,
mais sur l’interprétation par
le lecteur humain de séries
de motifs linuistiques-archi-
tecturaux précis et décrits
sous forme de “patterns”.
Tous les motifs proposés
sont des sortes de fragments
d’architecture vécue, des
faits significatifs, ce sont des
unités indépendantes sans
lien déterminé entre elles et
sont décrites sous la forme
d’une liste non hiérarchisée,
elle-même inachevée car
le lecteur est invité à pour-
suivre cet inventaire. Aucun
programme général ne pré-
side à l’utilisation de ces 243
motifs combinables. Les pat-
terns sont des descriptions
de faits-types considérés
comme les mots d’un lan-
gage.
Redescriptions :: Nous pourrions évo-
quer ici les positions du pédagogue
pragmatiste Syemour Papert lorsqu’il
écrit : “La conception comme l’ensei-
gnement ne peuvent-elles être considé-
rés comme des tentatives permanente
de redescription de la réalité” c’est
aussi la compétence d’un enseignant
expérimenté que de savoir produire les
images critiques susceptibles de res-
tructurer temporairement la situation
de conception par des ruptures signi-
fiantes pour l’étudiant. Comme l’écrit
Seymour Papert lui-même, la capacité
de redescription de l’action est le propre
du bon formateur qui « sait capturer la
complexité d’une action dans des mé-
taphores qui aident à transmettre la
sensation d’une performance à réaliser.
(par exemple ‘affrontez la pente !’ dans
l’apprentissge du ski). C’est un travail
analogique et relationnel.
Le dessin peut entrer dans la produc-
tion de «métaphores génératives». On
citera le cas du « paintbrush as a pump
» (Donald Shön, “the reflective practi-
tionner”, p.184) ou bien “le théâtre est
un archipel” métaphore utilisée dans
la négociation du collectif d’action (ré-
gisseur, public, habitant, etc.) lors d’un
workshop de construction de notre
atelier Learning From dans le Gers
en France. (voir http://learning-from.
over-blog.fr)
student’s inventory of
inhabited situations in the
Florence House – 2011
http://learning-from.over-blog.fr/tag/learning
%20from%20the%20florence%20house/
workshop Learning From The Florence House, Johannesburg, SA
SOUTH CORRIDOR
 WEST CORRIDOR
 NORTH CORRIDOR
FLORENCE HOUSE 
 
 
 FIRST FLOOR - INVENTORY #1
strategic drawing :
“drawings as
immediate facts”
” A r t i t ’ s n o t a b o u t
reproducing or inventing
forms, but it’s to grasp
forces. In that meaning no
art is figurative."
Gille Deleuze, Logique de la sensation, La
différence, Paris, 1981, p.39
“Examiner une idée n’est pas
une simple façon de parler”.
Selon Dewey les faits dépen-
dent de leur description re-
présentationnelle pour être
opérationnels. Or cette des-
cription n’est pas univoque,
un fait peut en effet être dé-
crit et redécrit de différentes
façons. Redécrire des faits,
voilà le travail de concep-
tion. C’est cette possibilité
de descriptions multiples qui
donne à un fait son caractère
d’hypothèse provisoire dans
le processus de l’enquête.
Ainsi des faits seront opéra-
tionnels s’ils peuvent être in-
dexés/renommés, dessinés/
redessinés, photographiés/
catégorisés, comparés, énu-
mérés, mis en relation etc.
Ce concept de faits opéra-
tionnels induit par consé-
quent une fragmentation des
représentations et une hybri-
dation des descriptions. Il
conduit aussi vers un usage
de l’inventaire comme un
outil de conception-enquête
notamment en architecture.
Je donnerai une illustration
(non-détaillée) de l’usage de
cet outil en citant certains tra-
vaux de nos ateliers d’ensei-
gnement de master Learning
From à l’ENSA Toulouse en
France. Nous y menons des
projets en contexte critique
(squat, bidonville) comme
ici dans un hôpital désaffecté
du centre de Johannesburg
occupé par 247 familles de
façon informelle.
Les outils d’inventaire du
contexte permettent de
produire des répertoires
explicites de situation de
cet habitat spontané sous
forme d’ensemble de pattern
structurés. Ces patterns sont
des multi-description qua-
litatives utilisant plusieurs
procédés représentationnel.
Ce sont ces multiplicités de
représentations détaillées
qui permettent de décrire
le système socio-spatial de
l’hôpital squatté comme un
ensemble complexe de “faits
opérationnels” (de situa-
tions).
Le projet d’architecture se
présentera alors comme un
agencement nouveau de
ces données existantes, une
transformation. Il va opèrer
sur ce système de faits-si-
gnifications (pattern). Ici
l’un des rôles du dessin est
alors de décrire, consigner,
noter, annoter, cartogra-
phier (openstreetmap), ar-
penter… il doit contribuer
à construire les faits, c’est à
dire ces patterns significatifs.
Inventaires : De nombreux archi-
tectes adoptent aujourd’hui des
méthodes de représentation frag-
mentée mettant en œuvre de véri-
table travaux d’inventaires actifs. Il
s’agit d’engager une représentation
raisonnée de la réalité physique
destinée affronter la complexité
des contextes de projet instables.
Le groupe d’architectes japonais
Bow-Wow a notamment illustré
cette approche dans plusieurs ou-
vrages dont le plus connu s’inti-
tule «Made in Tokyo». On y voit à
l’œuvre une lecture systématique
des architectures spontanées de
la capitale japonaise et cette lec-
ture construit une vraie stratégie
opératoire d’architecte. Ce genre
d’action n’a rien de commun avec
une analyse urbaine. On sépare,
on distingue pour agir, et cette
séparation est elle-même une ac-
tion projectuelle, le classement est
conception.
Une autre propriété du des-
sin stratégique de projet est
de se constituer comme un
fait expérienciel, c’est à dire
un fait dont on peut faire
l’expérience directe. (imme-
diate facts)
Cette notion rompt appa-
remment avec l’approche
informationnelle de la repré-
sentation sans support car
elle fait précisément interve-
nir le matériau spécifique de
dessin comme élément actif
de représentation (en pein-
ture : “le subjectile”).
http://www.philippe-lamy.net/philippe-lamy-
dessins
Philippe Lamy,
sketches (excerpt)
http://www.philippe-lamy.net/philippe-lamy-
dessins
Dans son livre “papier ma-
chine”, Jacques Derrida écri-
vait : “Le papier résonne.
Sous l’apparence d’une sur-
face, il tient en réserve un vo-
lume, des plis, un labyrinthe
dont les parois renvoient les
échos de la voix qu’il porte
lui-même”. Ce paradigme de
la « feuille de papier » fait en-
trer le subjectile dans la figu-
ration comme élément à part
entière.
Dans le modèle communica-
tionnel élaboré en 1948 par
Claude Shannon (“A Ma-
thematical Theory of Com-
munication”) une informa-
tion correspond à un signal
envoyé par un émetteur et
reçue par un récepteur par
l’intermédiaire d’un support,
nommé le canal. Les sys-
tèmes de codage du signal et
de correction d’erreurs que
nous avons déjà soulignés
visent alors à supprimer tout
bruit provenant du canal, à
supprimer les interférences,
à rendre le support transpa-
rent vis à vis du message.
Avec le paradigme de la
«feuille de papier» il en va
tout autrement. Ici le sup-
port du dessin est parfois
producteur de faits percep-
tifs imprévus, de bruits qui
opacifient le message infor-
mationnel émis, mais qui
peuvent pourtant être por-
teurs de significations valides
pour le concepteur.
L’activité de dessin dont il
est question ici répond pour
partie à la formule de Gilles
Deleuze lorsqu’il écrivait
dans Logique de la sensa-
tion : « En art, et en peinture
comme en musique, il ne
s’agit pas de reproduire ou
d’inventer des formes, mais
de capter des forces.» (Gille
Deleuze, Logique de la sen-
sation, La différence, Paris,
1981, p.39).
Je citerai ce travail graphique
de l’artiste Philippe Lamy qui
propose ici un déplacement
du dessin signifiant vers un
dessin a-signifiant à partir de
faits expérienciels provoqués
par le tracé : tâches, lignes,
hachures, aspérités… (Phi-
lippe Boudon a bien observé
l’importance de ces phéno-
mènes graphiques qu’il avait
dénommés des plusieurs pu-
blications des “dromies”)
Ici tout se passe comme si
l’artiste empruntait un che-
min qui le conduit de l’ob-
jet signifié (les coquillages)
vers le dessin comme phé-
nomène graphique spéci-
fique (le mode de tracé de
la coquille d’huitre). Le des-
sin issu de ce processus est
une sorte de prolifération
des micros-phénomènes de
tracés prélevés dans le des-
sin figuratif initial. Ces faits
graphiques sont donnés à
voir pour eux même, en tant
qu’expérience.
Sol Lewitt,
no title
http://www.tate.org.uk/art/artworks/lewitt-no-
title-p07061
Peter Zumthor, Atelier,
Haldenstein, Graubünden,
1986
http://zumthor.tumblr.com/post/
121927206368/peter-zumthor-atelier-
haldenstein-graub%C3%BCnden
Nous parlons donc d’une
figuration a-signifiante mais
ayant une valeur opératoire
en tant qu’espace d’expé-
rience où l’on fait jouer des
forces graphiques. Cette idée
ne concerne pas seulement
les pratiques artistiques.
On pourrait souligner par
exemple la similitude entre
les 2 dessins suivants. Celui
de l’artiste Sol Lewitt et le
second dessiné par l’archi-
tecte Peter Zumthor. Dans
les deux cas des effets per-
ceptifs provenant du sup-
port de tracé sont recher-
chés : irrégularités dans un
dessin régulier, variations
dans un dessin répétitif. Ici
on voit comment l’architecte
met finalement ces effets ex-
périenciels au service d’un
dessin informationnel codi-
fié (il s’agit d’une élévation).
Yves Brunier, trois jardins
particuliers à Brasschat,
1991
3. design as
convention
unspecified facts
and
convergent action
La figuration stratégique ne
relève donc pas de la commu-
nication transparente shan-
nonienne. Elle concerne une
communication comportant
des opacités, des artefacts,
qui retardent ou détournent
la réception des messages
sans pour autant les détruire
ou les annuler.
C’est pourquoi cette figura-
tion peut accepter et même
provoquer complètement
des accidents, des colli-
sions, des dislocations, des
bouleversements donnant
lieu à des confrontations de
faits hétérogènes (comme
le montrait parfaitement
l’énergie du travail figuratif
de Yves Brunier dans les an-
nées 1990)
Les processus de conception
par collage répondent à une
telle attente. Il ne s’agit pas
d’une procédure mimétique
déterminée mais d’un prin-
cipe général de montage,
d’un assemblage de données.
Et d’une certaine façon on
peut parler de traitement
formel : déplacement, dupli-
cation.
Ces processus offrent aux
systèmes informatiques ac-
tuels, de par leurs capacités
de stockage, leur opérateurs
d’assemblage et de combi-
natoire, une possibilité de
remettre le dessin numérique
à l’intérieur du paradigme de
la “feuille de papier” qu’évo-
quait Derrida. Le montage,
voilà alors peut être une
autre sortie possible du des-
sin par le dessin.
La troisième situation de
conception que je voudrais
commenter est celle de la
convention. La conven-
tion est un phénomène très
ancien dans les processus
d’édification. Ainsi, comme
l’ont montré Alain Dupire
et Bernard Hamburger, dès
le XVIe siècle l’architecte
classique s’appuyait dans
son travail graphique sur sa
connaissance de la pratique
constructive commune aux
gens de métier. Il n’était pas
tenu de décrire lui-même ces
questions implicitement ad-
mises.
Il en va de même pour la plu-
part des projets ordinaires
dans l’architecture vernacu-
laire (architecture paysanne
en milieu rural par exemple).
Tout se passe comme si les
projets ne soulèvaient aucun
problème de mise en oeuvre
dans la mesure où ils s’ap-
puient sur des données et
des savoirs implicites non
formalisés mais supposés
connus de tous. Ces don-
nées communément admises
n’ont pas lieu d’être à chaque
fois redéfinies par des des-
sins spécifiques (détails tech-
niques, plans d’exécution...).
Il s’établit alors un consen-
sus, un accord entre les ac-
teurs de l’édification qu’on
peut appeler une situation
conventionnelle.
drawing in
conventional
situations :
“drawings as
performative facts”
d r a w i n g i n s i t u ,
experimental workshop in
Soweto, South Africa,
2012
http://learning-from.over-blog.fr/tag/learning
%20from%20soweto%20kliptown%20youth/
Une situation de conven-
tion repose sur des données
admises a priori mais non
explicitées. Dans une telle
situation, l’action d’édifi-
cation entreprise converge
vers un but connu comme
par exemple un archétype,
ou bien une réalisation que
l’on a l’habitude de pro-
duire. Le rôle du dessin est
alors ponctuel, fonctionnel,
opérationnel. Il est littéra-
lement un fait opérationnel
pour l’action. C’est à dire
qu’il est le support tempo-
raire de décision d’action qui
sont prises in situ. Ces dé-
cisions concernent simple-
ment l’adaptation de l’action
au contexte. Notamment il
renseigne et soutien les actes
de construction dans un un
contexte physique particulier
(pente, orientation, dimen-
sions, nombre de travées
etc.).
Les processus de décision
concernant les adaptations
des actes constructifs au
contexte physique du projet
peuvent donner lieu à des
négocations et des délibé-
rations collective. C’est ce
que nous avons souvent ex-
périmenté dans nos travaux
d’atelier en milieu informel.
Les images montrées ici par
exemple concernent une
opération de réhabilitation
d’un orphelinat dans un bi-
donville de Soweto en 2013.
Ces formules de workshop
de projet-réalisation in-situ
peuvent être rapprochés
sous bien des aspects à une
situation conventionnelle
contemporaine. Les tech-
niques engagées sont simples
et les procédés constructifs
élémentaires. Le dessin inter-
vient ponctuellement alors
comme outil de délibéra-
tion. Il permet de s’accorder
collectivement sur les choix
adaptatifs (implantations, di-
mensions, orientations…).
S t u d e n t ’ s f i n a l
experimental project in
ENSA Toulouse, France,
2016
http://www.quaternion.fr/testimonials/95-
ekilaya/32-cathedrale-de-carton-4
4. design as tactics
unplanned facts
and
undeterminate action
Bricolage means that
when acting “each fact
represents a set of
concrete and virtual
relations, they are
operators that can be
used for any operations”
h t t p s : / / b o o k s . g o o g l e . f r / b o o k s ?
id=WIcBBQAAQBAJ&printsec=frontcover&dq
=inauthor:%22Claude+LEVI-STRAUSS
%22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiD6NaLqMH
YAhXLbVAKHcMBAG0Q6AEISDAF#v=onepa
ge&q&f=false
On pourrait indiquer enfin
que les outils informatiques
de production (CFAO) peu-
vent parfois entrer dans ces
processus conventionnels.
Ici un travail de diplôme de
construction expérimentale
autour des gridshell sorte
d’archétype contemporain.
Travail qui s’est largement
appuyé sur les fablab, ma-
chine low-cost et groupes de
“open makers”.
La dernière figure de
conception que je voudrais
évoquer (schéma de Bernard
Tshumi) est celle de la tac-
tique. Cette figure provient
comme on sait de l’art de la
guerre, elle concerne l’indé-
termination de toute action
face à des faits entièrement
contingents. On peut plus
pacifiquement se rapprocher
ici du concept de jeu, d’im-
provisation, de navigation
ou de bricolage dans le sens
que l’anthropologue Claude
Levi-Strauss donnait à ce
terme dans son ouvrahe «La
pensée sauvage».
Dans l’action de bricolage
en effet chaque fait est un
élément de la situation de
conception. Un fait “repré-
sente un ensemble de re-
lations, à la fois concrètes
et virtuelles”. Levi-Strauss
ajoute que “[ces faits] sont
des opérateurs mais utili-
sables en vue d’opérations
quelconques.»
De tels opérateurs concrets
et virtuels laissent donc place
à l’action libre du concepteur
dans un contexte instrumen-
tal entièrement incertain,
divergent et indéterminé.
Qu’en est-il alors pour la re-
présentation ? Le dessin ?
tactical drawing :
“drawings as
dissensus facts”
Rem Koolhaas, drawing
for the project “Parc de La
Villette”
h t t p : / /
laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.f
r / 2 0 11 / 0 5 / r e m - k o o l h a a s - u n - g e n i e -
reactionnaire.html
Dans son ouvrage “Le spec-
tateur émancipé” le phi-
losophe Jacques Rancière
propose une distinction non
pas entre information et si-
gnification mais entre re-
présentation consensuelle et
dissensuelle.
La représentation consen-
suelle instaure une conver-
gence entre information et
signification. L’interpréta-
tion s’apparente alors au
décodage. Rancière parle
d’un “accord entre sens et
sensible, entre un mode de
présentation sensible et un
régime d’interprétation de
ses données » (p.75) La re-
présentation de consensus
repose sur une certaine uni-
vocité des messages. Elle
suppose l’absence d’ambi-
guïté dans leur décodage
informationnel (modèle de
Shannon).
Dans le dissensus au
contraire, les éléments de la
représentation ne sont par
convergents mais contra-
dictoires, hétérogènes. Leur
interprétation n’est pas im-
médiate mais indéterminée.
Elle peut produire des diver-
gences et des conflits de sens.
Mais ces conflits doivent
stimuler le travail interpré-
tatif. Ce sont donc des faits
déclencheurs qui activent le
concepteur et élargissent sa
perception de la situation
de projet. L’architecte Rem
Koolhaas avait emprunté à
Salvador Dali la notion de
“paranoïa-critique” pour dé-
signer ce phénomène. Une
figuration active qui organise
des faits dissensuels pour les
interpréter voire les sur-in-
terpréter.
Sixteen study drawings for
a villa by Andrea Palladio
XVI century
https://journal.eahn.org/articles/10.5334/ah.ck/
Aldo Rossi, project’s
drawing for the monument
to resistance in Cuneo,
1971
http://w3.toulouse.archi.fr/li2a/ac/
axonometr/exoaxono1.html
Je préciserais ces réflexions
un peu abstraites par
quelques exemples, en ci-
tant le le cas du dessin en
géométral. Le géométral
est comme on sait l’un des
outils fondamentaux de la
figuration architecturale de
tradition. C’est Julien Gua-
det qui affirmait “Le dessin
d’architecture est le dessin
géométral. Le géométral est
le dessin exact, on peut dire
le dessin par excellence.” Or
l’observation de l’usage de ce
dessin montre qu’il peut être
mis en oeuvre de façon fon-
damentalement dissensuelle
au sens de Rancière.
Je présente ici un dessin très
connu emprunté à Aldo
Rossi. Il s’agit du géométral
pour le monument à la résis-
tance de Cuneo en Italie. Ici
chaque vue du dessin codifié
est présentée comme une
figure isolée. Chaque vue
se focalise sur un aspect de
l’objet. Le dessin est simple
et précis. Pourtant il com-
porte des contradictions
projectives entre les vues. Ici
la signification peut contre-
dire l’information.
En réalité, dans leur usage
du géométral les architectes
privilégient le principe de
focalisation sur celui de la
cohérence (notamment pro-
jective). Aussi chaque pièce
(plan, coupe, élévation) pos-
sède une opérationnalité en
soi. Chaque vue constitue un
fait, une focalisation sur un
élément de la réalité, voire
sur un registre d’action. Or
ces fragments, (ces “faits-
signification”), peuvent très
souvent être contradictoires,
hétérogènes ou imcomplets.
L’opérationnalité concep-
tuelle du dessin n’en est pas
amoindrie. Tout au contraire
elle ressort renforcée par
ces effets de fragmentation
dissensuelle. Ils stimulent le
processus d’enquête.
Signification contre information :
La composition graphique insiste
sur la géométrie du carré. Chaque
figure est aussi centrée sur sa si-
gnification allégorique. L’ascension
souterraine, la porte étroite, le tra-
jet dont le but est invisible quand
on s’y engage, la porte donnant sur
une cours nue ou bien sur le ciel,
l’horizon étroit, le mur aveugle, le
bunker etc. tous ces faits architec-
toniques représentés dans le dessin
peuvent en effet être pris dans un
sens métaphorique, symbolique.
Ces niveaux de significations de
chaque vue contredisent parfois le
niveau projectif de l’objet dessiné.
Ils entrainent par exemple des in-
cohérences, des contradictions
dans le dessin.
workshop City Movie,
Cagliari, Italie, 2008
http://aeroports-airspaces.over-blog.com/tag/
workshop%20cag/
workshop City Movie,
Cagliari, Italie, 2008
http://aeroports-airspaces.over-blog.com/tag/
workshop%20cag/
En assumant les propriétés
dissensuelles du géométral
d’architecte, il est possible de
transposer ce mode de des-
sin dans d’autres media. Une
autre sortie du dessin. Ainsi
en va-t-il dans cet exemple
de travail d’étudiant lors d’un
workshop de relevé vidéo
de l’aéroport de Caliari en
Italie en 2008. Nous avons
utilisé la représentation vi-
déographique comme outil
d’échantillonnage selon des
modalités de prise de vue
directement issues des règles
du géométral (association
entre plan fixe vidéo et plan
de géométral, travelling et
coupe, panoramique et élé-
vation…)
Dans ce workshop de Ca-
liari, la mise en espace par
multiprojection des diffé-
rents échantillons prélévés
constituait la dernière étape
du travail. Cette opération
est d’abord d’ordre diagram-
matique. En effet, l’assem-
blage spatial d’échantillons
vidéographiques peut être
envisagée comme une opéra-
tion diagrammatique in-situ.
Les vidéogrammes sont re-
configurés dans l’espace de la
salle de projection. On pou-
vait alors faire voisiner des
éléments qui étaient séparés
sur les lieux réels ou séparer
des espaces urbains pourtant
adjacents dans la réalité. En
spatialisant la projection des
échantillons, la multipro-
jection transforme l’espace
de projection lui-même en
un échantillon équivalent à
l’espace étudié, un espace à
l’échelle 1 qui ne soit pas une
reproduction. Dans ce sens,
elle remplit le rôle assigné
à la représentation dissen-
suelle par Jacques Rancière
lorsqu’il écrit : « Représenter
c’est donner un équivalent,
l’image n’est pas le double
d’une chose. »
Le dessin dissensuel est re-
descriptif. Il ne communique
pas une information à pro-
pos d’une signification. Il est
au contraire producteur d’un
« surplus de signification »
chez le concepteur (Francas-
tel).
Le géométral vidéo : On propose
de prélever dans l’espace étudié des
échantillons vidéo anarratifs selon
certains protocoles précis de prise de
vue. Il sont parallèlement catégorisés
et classés en collections. Ce travail de
prélèvement vidéo doit fournir le ma-
tériel de lecture des usages de l’espace
: événements, situations, mouvements,
parcours sont captés sans intentions
préalables mais selon des règles et des
formats identifiés. Les représentations
vidéo s’effectuent en respectant trois
modes uniques de prise de vues : le
plan fixe, le travelling avant et le tra-
velling latéral. Nous les considérons
comme trois modalités de la pensée
en géométral de l’espace. Le plan-fixe
opère comme un plan, il a pour fonc-
tion de fixer les éléments physiques de
l’environnement (immobilité) et d’en
révéler les mouvements et variations
(mobilités). Le travelling-avant est
apparenté à la coupe (section verti-
cale), il opère comme un instrument
de pénétration de l’espace, décrit les
intériorités et met en scène les épais-
seurs, les profondeurs. Le travelling-
latéral organise la visibilité de l’archi-
tecture et, tout comme une élévation,
il exprime la visibilité de l’architecture.
Par ailleurs ces opérateurs de relevé vi-
déo sont combinables et peuvent être
coordonnés. Ils constituent des dia-
grammes par échantillonnage.
Diagrammes : La dimension diagrammatique
du dessin lui procure des avantages opéra-
toires connus (vitesse computationnelle,
lecture indicielle, outil performatif, topolo-
gie, voisinages, analogies non modélisables,
mémoires de cas, base de données : informa-
tions implicites) par rapport aux représenta-
tions linguistiques (schéma linéaire, conca-
ténation, séquences ordonnées, succession
d’états discrets : informations explicites).
Larkin et Simon dans leurs recherches sur les
stratégies de résolution de problème (Why a
Diagmm is Sometimes Worth Ten Thousand
Words en 1987) opposaient la représentation
sentencielle (« sentential ») fondée sur des
séquences linguistiques à la représentation
diagrammatique basée sur une organisation
spatiale graphique. La sentence indexe les in-
formations par leur positions dans une liste
en séquence tandis que le diagramme le fait
par localisation dans un espace (plan).
Ces travaux pionniers dans le domaine du
traitement automatique de l’information
montraient déjà que pour un acteur humain
la représentation sententielle présente bien
l’avantage de restituer une hiérarchie ordon-
née des éléments du problème, et d’autres
caractéristiques comme des relations tempo-
relles ou logiques des composants du pro-
blème. La représentation diagrammatique
en revanche est beaucoup plus efficiente
pour les actions de recherche et d’identifi-
cation de données (exemple de problèmes
de géométrie) et dans une moindre mesure
pour les actions inférentielles, toutes tâches
justement cruciales dans le champ de la créa-
tion et de la conception. Mais le diagramme
n’est pas une modélisation et n’offre pas de
certitude sur sa productivité inférentielle : «
although every diagram supports some easy
perceptual inferences, nothing ensures that
these inferences must be useful in the pro-
blem-solving process. » (p.99).
tactical drawing :
“drawings as
empowering facts”
Le terme de partition sert à désigner
une structure ouverte, visant à attirer
l’attention sur les conditions de
l’assemblage. Elle a pour vocation
de notamment placer des fragments
et des structures minimales au coeur
de l’attention et d’en tirer partie.
Ch. Dell p.105
«Spacial Events pour flûte
e t v i b r a p h o n e » ,
composed by Christopher
Dell, p.1 & p.4
http://www.christopher-dell.de/en/
Le dessin tactique serait
donc un dessin capable
d’augmenter les capacités
interprétatives mais nous
pouvons peut-être aller plus
loin et imaginer pour finir
un type de représentation
contemporaine, n’excluant
pas le dessin numérique et
qui se fixe réellement un but
émancipateur en accrois-
sant nos capacités d’action
humaine sur notre environ-
nement en tant que concep-
teur, habitant ou utilisateur
de l’espace.
Le domaine de la création
musicale contemporaine
peut nous inspirer. Je citerais
ici le musicien et urbaniste
Christopher Dell qui pro-
pose d’aborder la représen-
tation musicale ou urbaine à
partir de la notion de « par-
tition ouverte ». Il s’agit de
considérer le travail de nota-
tion musicale sous un angle
performatif éloigné d’un
fonctionnement prescriptif
de l’exécution instrumentale.
La partition ouverte utilise
le diagramme dans une lo-
gique de notation relation-
nelle désormais constituée
« d’assemblages, de cut-ups,
de tissus de relation, de
connexions sérielles » qui
entraine un élargissement
des lectures possibles de la
musique et produit donc un
effet performatif. (p.56).
Dans la partition présentée
ici des indications qualita-
tives sont fournies avec un
réservoir de notes et des
thèmes possibles pouvant
être transformés.
Prescription : Classiquement la no-
tation musicale est prescriptive et
vise à l’exécution pure de l’oeuvre
et non pas au jeu (p.37) elle est
donc « organisée selon le modèle
émetteur (compositeur) et récep-
teur (musicien)». C’est la notation
mode d’emploi qui est réduite à
un « vecteur de transmission ». Au
Xxème siècle, on passe d’une no-
tation prescriptive à une notation
performative. Pour Dell ces nou-
velles partitions ouvertes “offrent
un cadre plus ou moins structuré
qui confie aux performeurs de la
pièce musicale, de l’événement ou
d’une situation concrète, une part
importante du résultat d’une parti-
tion. Les partitions ouvertes favori-
sent des expériences. » (p.104)
Diagram for the Fun
Palace, Cedric Price,
1961
https://megaestructuras.tumblr.com/page/15
A calculated uncertainty
approach : « Les hauts-
plateaux, lotissement
vertical », Christophe
H u t i n a n d S a s k i a
Frankenberger, 2015,
Bègles, France
http://www.christophehutin.com/CH/
Projet_HP_2.html
Une analogie peut être faite
avec le projet de Fun Palace
imaginé par Cédric Price et
souvent cité comme un cas
d’architecture performative.
Les représentations gra-
hiques de ce projet sont tou-
jours hybrides et puisent lar-
gement dans la notation par
diagramme. Cette figuration
proliférante, saturée, exerce
également un effet perfor-
matif à l’aide de ses repré-
sentations imagées d’expé-
riences concrètes.
Dans cette approche tactique
de la conception, l’édifice
constitue une performance
sociale plutôt qu’une réalisa-
tion formelle, un processus
évolutif plutôt qu’un objet
statique. Les dessins alors
sont provisoires, ce sont des
faits hétérogènes mais uti-
lisables comme des images
hypothèses, des suggestions
à interpréter.
Dans ce dessin qui intègre
l’indétermination comme
une donnée fondamentale,
la représentation est alors
plus proche d’un discours
ou d’une fiction que de des-
criptions ou de prescriptions
techniques. C’est ce que
montre ici par exemple la
représentation du projet de
lotissement vertical intitulé
Les Hauts Plateaux par l’ar-
chitecte Christophe Hutin
à Bègles (France). Il s’agit
d’un projet structuraliste
inspiré de la démarche de
Frei Otto à Berlin dans son
Eco-House. Il propose un
processus d’autoconstruc-
tion libre et non planifiée sur
une structure physique com-
mune (plateaux et rampes
d’escaliers).
Sketch for « Les hauts-
plateaux, lotissement
v e r t i c a l » , S a s k i a
F r a n k e n b e r g e r ,
Christophe Hutin 2010,
Bordeaux, France
http://www.christophehutin.com/CH/
Projet_HP_2.html
Dans ce contexte, la repré-
sentation concerne des scé-
narios possibles imprédic-
tibles au moment du projet.
L’objectif du dessin est de
figurer un processus plu-
tôt qu’un état. De montrer
la capacité d’une structure
à recevoir les compétences
d’action des habitants. De
stimuler l’interprétation pro-
jective des habitants. De re-
présenter des histoires pos-
sibles mais qui n’arriveront
pas, des fictions.
Ces techniques de représen-
tation offrent alors peut-etre
une autre sortie du dessin.
Une sortie qui reprendrait
à son compte la capacité
narrative du dessin comme
paradigme. Une sortie qui
serait en quelque sorte dis-
cursive et fictionnelle. Une
sortie vers un dessin-objet.
Un dessin qui fonctionne
à la fois comme poème et
comme catalogue.
«[...]
Le catalogue du poète est
donc un contre-catalogue
qui annule la différence
entre valeur d’usage et va-
leur d’échange en restituant
à chaque chose à sa place.
Cette place nie la hiérarchie
des anciennes positions. [...]
Et le vertige même des noms
communs de choses com-
munes suit l’indication don-
née par Emerson sur le rôle
du poète comme donneur de
noms, la valeur suggestives
de simples listes de mots em-
pruntées à un dictionnaire
pour un «esprit imaginatif et
en état d’excitation», et le fait
que ce qui serait vulgaire ou
obscène pour les gens obs-
cènes devient glorieux quand
on l’énonce dans un nouvel
enchaînement de pensées.
Le «catalogue» est enchaîne-
ment et c’est l’enchaînement
qui rachète toute laideur et
toute vulgarité :
«Comme c’est leur sépa-
ration et leur arrachement
à la vie qui rend les choses
laides, le poète qui ré-ajointe
les choses à la nature et au
tout dispose à son gré des
faits les plus disgracieux. Le
lecteurs de poésie, quand
ils voient l’usine de village
et le chemin de fer, s’imagi-
nent que ceux-ci détruisent
la poésie du paysage, car
ces oeuvres de l’art ne sont
pas encore consacrées dans
leurs lectures ; mais le poète
les voit tomber sous la loi
du grand ordre non moins
que la ruche ou que la toile
géométrique de l’araignée.»
R.W.Emerson The poet
«For, as it is dislocation and
detachment from the life, that
makes things ugly, the poet,
who re-attaches things to nature
and the whole, — re-attaching
even artificial things, and viola-
tions of nature, to nature, by a
deeper insight — disposes very
easily of the most disagreeable
facts. Readers of poetry see the
factory-village, and the railway,
and fancy that the poetry of the
landscape is broken up by these;
for these works of art are not
yet consecrated in their reading;
but the poet sees them fall within
the great order not less than the
beehive, or the spider’s geometrical
web. « R.W.Emerson The poet
[...] Jacques Rancière, Aisthesis,
Scènes du régime esthétique de
l’art, Ed. Galilée, 2011

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Disegno 2018 daniel estevez lecture

  • 1. going out of drawing by drawing “Figuration numérique en architecture, sortir du dessin par le dessin janvier 2018 Colloque « Le dessin entre maîtrise et incertitude » par Daniel Estevez professeur HDR au LRA ENSA Toulouse, Université de Toulouse Jean Jaurès
  • 2. information science : “science of the rational processing of information considered as the support of human knowledge”cnrtl http://www.cnrtl.fr/definition/informatique NRZ-L NRZ-M NRZ-S RZ Biphase-L Biphase-M Biphase-S Differential Manchester Bipolar binary line code formats in digital signal processing for the word 1010110010 https://fr.wikibooks.org/wiki/Fonctionnement_d %27un_ordinateur/Encodage,_traitement,_d %C3%A9codage
  • 3. Ce texte propose quelques réflexions sur la figuration en architecture dans ses re- lations avec le numérique. Je crois qu’il est nécessaire d’envisager ce mot de “nu- mérique” à partir de certains concepts spécifiques des sciences de l’information. Partons de la définition of- ficielle de l’informatique (« information science »). C’est la “science du traitement rationnel, notamment par des machines automatiques, de l’information considé- rée comme le support des connaissances humaines”. Cette définition académique introduit trois concepts fon- damentaux (traitement, in- formation et support). Elle établit également une dis- tinction entre information et connaissance comme étant deux choses séparées. Penchons nous brièvement sur le concept d’informa- tion. Concrètement, qu’est- ce qu’une information ? Le premier niveau de définition d’une information est la transcription garantie d’un phénomène donné dans un code donné. Dans les tech- nologies numériques on parle de codage de l’informa- tion. Ici le phénomène maté- riel choisi pour le codage est le phénomène des tensions électriques. Ces tensions (de faible voltage) permettent de coder des informations sous forme de nombres dans des composants électroniques (c’est à dire des registres). On utilise différentes mé- thodes pour coder un bit (c’est à dire un nombre bi- naire). Par exemple, dans le codage en NRZ, lorsque la tension passe en-dessous d’un seuil donné on consi- dère que l’information co- dée est un 0. Au dessus de ce seuil la tension représente un 1. Dans tous les cas on observe que le codage est un pro- cédé de discrétisation. C’est à dire qu’on passe d’un phé- nomène fluctuant et continu (les tensions représentées par des courbes) à un en- semble d’états finis et stables (l’information représentée par des nombres). Information : une infor- mation est un phénomène physique mesurable (par exemple une tension élec- trique mesurée en bits) sus- ceptible de coder un message numérique en annulant toute possibilité d’écart entre le support physique et le code numérique associé (prin- cipe des codes correcteurs d’erreur). C’est ce message formel codé numériquement qui peut subir un traitement, c’est à dire une opération matérielle portant sur une forme indépendamment de son interprétation possible.
  • 4. e x a m p l e o f Q u i c k Response Code (QR C o d e ) u s i n g R e e d - Solomon error correction code h t t p s : / / e n . w i k i v e r s i t y. o r g / w i k i / R e e d %E2%80%93Solomon_codes_for_coders examples of bit shifts in bitwise operations https://en.wikipedia.org/wiki/Bitwise_operation 00010111 (+23) left-shift 00101110 (+46) 00010111 (+23) right-shift 00001011(+11)
  • 5. Penchons nous à présent sur le concept de support. Pour garantir la correspondance non ambigüe entre un signal électrique et une informa- tion numérique, on introduit des procédures de contrôle et de correction automa- tique des erreurs du codage: les codes correcteurs d’er- reurs. Il s’agit d’une redon- dance d’information dans le codage du signal. Celle-ci garantit la fiabilité du co- dage pour un traitement donné (par exemple l’ajout systématique d’un bit sup- plémentaire dans un mot). On observera ici un para- doxe intéressant. Ce pro- cédé efficace garantit la rela- tion univoque et stable entre support matériel du codage et information codée. Mais cette fusion logique entre support et information, rend in fine l’information elle même indépendante de son support physique. C’est ce qu’illustre l’exemple bien connu des QR codes. Ces dispositifs de codifica- tion graphique utilisent des Codes Correcteurs d’Er- reurs assez puissants. Dans l’image présentée ici par exemple l’information nu- mérique codée est en effet identique dans chaque cas malgré les altérations que subit le support (couleur, forme, bruit). On peut le vé- rifier en lisant ces codes avec un smartphone, ils renver- rons tous à la même adresse internet (celle qui contient le texte de cette conférence). Penchons nous enfin sur la notion de traitement. Il faut remarquer que c’est unique- ment l’information en tant que codage formel d’un si- gnal physique, qui fait l’objet de traitements. Or qu’est- ce qu’un traitement ? Par le terme de traitement on désigne des calculs formels. Ce sont des combinaisons d’opérations élémentaires sans signification intrinsèque (duplications, décalages, ver- rous, bascules…). Ces opé- rations sont essentiellement des déplacements de valeurs de bit dans des registres ré- cepteurs. Dans l’exemple présenté ici l’opération de décalage d’une position per- met de coder un multiplica- tion ou bien une division. Bien entendu pour être traité et stockée toute information doit respecteur des conven- tions de mise en forme, c’est à dire à un format. Dans notre exemple le format de l’information est un octet (huit bit classés de la droite vers la gauche selon leur poids). Je livre ces remarques géné- rales afin de souligner trois propriétés fondamentales des technologies informa- tionnelles, trois propriétés qui ont des conséquences précises sur les activités de figuration. 1/ une séparation fonda- mentale entre information et signification 2/ une désactivation du sup- port dans la représentation de l’information 3/ une structuration for- melle de l’accès à l’informa- tion en vue de son traite- ment, le format.
  • 6. a journey into architectural design : from information to fact, from operation to action http://www.tschumi.com/publications/
  • 7. Ce contexte lexical propre à la théorie de l’information étant rapidement énoncé, je peux en arriver au thème de notre rencontre : “le dessin entre matrîse et incertitude”. Alors maîtriser quelque chose c’est d’abord en avoir une connaissance précise. Je dirais que la maîtrise concerne donc la précision des faits et des actions. Être dans l’incertitude à pro- pos de quelque chose c’est être dans l’impossibilité d’en avoir une connaissance pré- visible. Je dirais donc que l’incertitude concerne l’indé- termination des faits ou des actions. Dans la petite traversée ré- flexive que je propose, les questions d’information et de traitement vont donc se transformer. Les situations de conception que j’évoque déplacent en effet ces no- tions vers celles de “fait” et “d’action”. Elles déplaceront également le couple maîtrise / incertitude vers celui de précision / indétermination. Je prendrais comme point de départ de cet exposé ce diagramme que présente Bernard Tshumi dans son ouvrage « Praxis ». Il servira de guide à mon intervention. Comme on le voit, ce dessin illustre des principes d’orga- nisation généraux en archi- tecture. Il met en relation un terme relatif à la précision (“structural “) et un autre relatif à l’indétermination (“random”). A partir de là, il croise la notion dynamique de déplacement (“flow” fi- gurés par des flèches) et la notion statique d’espace (“void” représentée par des figures).
  • 8. program strategy convention tactics 1 design as program : determinate actions on structured data 2 design as strategy : specific facts for undeterminate actions 3 design as convention : unspecified facts and determinate action 4 design as tactics : unplanned facts for undeterminate actions 1.  design as program determinate actions on structured data
  • 9. Alors si on s’amuse à rap- porter le terme “flow” au concept d’action et celui de “void” au concept de fait alors on peut utiliser le ta- bleau de Tshumi pour illus- trer quatre situations type de conception en architecture (paradigmes) : 1. le programme dont les actions sont déterminées (opérations programmées) et portent sur des faits struc- turés (données) 2. la stratégie dont les ac- tions sont indéterminées a priori et s’actualisent à partir des structures de faits (clas- sement, catégorie) 3. la convention dont les actions sont déterminées (règles tacites, habitudes) et portent sur des faits non dé- crits (implicites) 4. la tactique dont les actions se déterminent au cas par cas selon des faits non structu- rés (improvisation) L’hypothèse de mon in- tervention est que chacun de ces quatre registres de conception entrainent la pratique contemporaine de figuration vers ce que j’ap- pelle une sortie possible du dessin. Mais, si cette sortie peut dans certains cas se com- prendre comme un aban- don pratique et effectif de la forme dessin (sa dispari- tion), dans d’autres cas en revanche, il s’agit d’une sor- tie critique, c’est à dire d’un dépassement qui respecte le dessin comme l’un des pa- radigmes fondamentaux de la pratique de conception contemporaine. Ce sont ces dépassements que je vou- drais parcourir brièvement aujourd’hui. La première situation que je voudrais évoquer elle celle où la conception entre dans le schéma général du pro- gramme. Il est bien clair que cette situation touche direc- tement le contexte numé- rique. Un programme, c’est à dire un système d’opérations déterminées portant sur des faits structurés (des informa- tions).
  • 10. drawing in a digital context : “augmented drawing” Design as a tree of diagrams. Determination of Components for an I n d i a n Vi l l a g e f r o m « notes on the synthesis of form » Christopher Alexander, 1966 http://misri470umd.blogspot.fr/
  • 11. Dans le contexte numérique, le dessin doit assumer les concepts fondamentaux des systèmes d’information. Et je voudrais montrer en quoi il peut alors être redéfini comme un dessin augmenté. En 1966, avec son livre “Notes on the synthesis of form”, l’architecte Christo- pher Alexander fut proba- blement l’un des premiers architectes à tenter d’intégrer la structure informationnelle données/programme dans la conception architecturale. La conception qu’il modélise est un processus formel fon- dée sur l’analyse, la synthèse et la structure en arbre de données. Il écrit : “le point de départ de dé- part de l’analyse ce sont les données, le produit final de l’analyse est le programme qui est un arbre hiérarchique de données. Le point de dé- part de la synthèse est le dia- gramme. La produit final de la synthèse est la réalisation du problème qui est une ar- borescence de diagrammes.” p.84) En assumant la sépara- tion entre information et si- gnification dans son modèle de conception, Alexander assume l’hypothèse opéra- tionnelle fondamentale de la théorie de l’information. Ses premières recherches, tout comme celles de Noam Chomsky à la même époque, s’inscrivent dans le projet gé- néral d’une l’intelligence arti- ficielle. Il s’agit précisément de formaliser de façon syn- taxique des éléments séman- tiques. Cette modélisation repose elle-même en grande partie sur des schémas hié- rarchiques, des arbres (voir les arbres de dérivation des grammaires générative chez Chomsky). On cherche donc en quelque sorte à procéder à une « sé- mantisation » automatique de l’information. En fait, cela revient à tenter d’automati- ser les processus interpré- tatifs (qui relèvent norma- lement des sujets humains) en les formalisant dans un cadre logique (hypothético- déductif). Ces modèles totalisants fondés sur des structures d’arbre, n’ont pas connu d’aboutissement opératoires réels en architecture. C’est que, comme l’a montré Gil- bert Silmondon, le prin- cipe d’automatisme ne peut conduire qu’à la production de machines fermées. Fer- mées c’est à dire détermi- nées et inaccessibles à des usages non programmés. Ce que Simondon appelle les machines ouvertes sont au contraire des systèmes fai- sant place à des marges d’in- détermination. Machine ouverte : Le philo- sophe de la technique Gilbert Simondon oppose automa- tisme et indétermination. Il observe que «pour rendre une machine automatique, il faut sacrifier bien des possibilités de fonctionnement, bien des usages possibles.» Pour lui l’au- tomatisme peut conduire à la réduction des capacités d’usage des objets techniques, c’est à dire à leur fermeture. Une ma- chine ouverte est caractérisée au contraire par son indéter- mination. L’indétermination s’oppose à l’automatisme. Il écrit: «le véritable perfectionne- ment des machines, celui dont on peut dire qu’il élève le degré de technicité, correspond non pas à un accroissement de l’au- tomatisme, mais au contraire au fait que le fonctionnement d’une machine recèle une cer- taine marge d’indétermination.»
  • 12. Inference engine in a CAD model https://help.sketchup.com/fr/article/3000223 Student’s exercise of visual programming http://misri470umd.blogspot.fr/
  • 13. Ainsi les systèmes d’IA ont ils bel et bien pénétrés les pratiques de conception mais sous une forme acces- soire, ou additionnelle. Pour la figuration par exemple, de tels systèmes in- fèrent des informations géo- métriques pertinentes impli- cites dans le dessin et puis les affichent. Ils augmentent ainsi le nombre d’informa- tions accessibles par l’utili- sateur. C’est une réalité bien connue des infographistes. Car on rencontre désormais des modules inférentiels dans la plupart des logiciels graphiques. Ceux-ci ont été rendus populaires par le lo- giciel Sketchup d’où est tirée cette image. Le dessin est donc désormais prolongé par des traitements automa- tisés intégrés aux machines logicielles. Alors pour que la machine à dessin contemporaine, le lo- giciel graphique notamment, soit une machine ouverte comment faire ? Pour Simondon, il faut sim- plement maintenir le prin- cipe d’automatisme à un niveau précis par lequel il augmente la capacité d’usage du concepteur au lieu de la diminuer et de la refermer. Il faut parvenir à un équilibre par lequel la machine logi- cielle devient incitative pour l’utilisateur. Une machine ouverte. Machine incitative : Le socio- logue de la pratique Richard Sennett souligne lui aussi que l’augmentation des possibilités d’action constitue un objec- tif fondamental de l’environ- nement technique : « La façon éclairée d’utiliser une machine consiste à juger de ses pouvoirs, à façonner ses usages, à la lu- mière de nos limites. Nous ne devons pas rivaliser avec elle. Une machine, comme tout mo- dèle, devrait proposer plutôt qu’ordonner […]. » Dans ces conditions, le tra- vail de “dessin en contexte informatique” peut s’orien- ter vers des activités de contrôle et de commande. Ce dessin consiste alors moins en des gestes gra- phiques qu’en l’organisation de séquences d’opérations automatiques déterminées proposées par les outils et portant sur des modèles pré- définis. C’est là par exemple l’une des caractéristiques de ce que l’on nomme l’archi- tecture paramétrique. Ce qui est intéressant en défi- nitive, c’est que les capacités des machines actuelles, en tant que machines ouvertes, permettent à certains égards de ré-explorer la question de la série dans le dessin de conception. Or il s’agit d’une propriété inhérente au dessin de tradition en architecture (voir les schémas sériels de Palladio au XVIème siècle présentés plus loin). C’est pourquoi la sortie du dessin proposée par les dispositifs numériques se fait par un saut strictement quantitatif. En dépit des apparences, cette augmentation ne dé- place pas fondamentalement le paradigme du dessin de conception. Car le numé- rique peut parfaitement as- sumer, soutenir, voire même augmenter les propriétés sé- rielles du dessin d’architec- ture.
  • 14. IFC specification of a door in a BIM model (from ANR research project “inhabitable skins”) https://issuu.com/daniel-estevez/ docs/h_a_b_i_t_a_b_l_e_s_k_i_n_s IFC BIM 2. design as strategy specific facts for undeterminate actions
  • 15. On sait, par définition, que tout programme exige une précision des données comme des opérations. Cela conduit à agir sur des objets formatés et suffisamment détaillés, suffisamment défi- nis. Le thème de la définition des objets, de la définition des représentations, est de- venu un pôle intentionnel central du travail de figura- tion numérique contempo- rain. C’est que la puissance d’action d’un programme dépend de la richesse de la structure de donnée associée à un objet : ce qu’on appelle sa définition. A partir de là, les pratiques figuratives en architecture tendent vers un usage de représentations possèdant une définition maximum, une haute définition. Cela débouche logiquement sur la manipulation de modèles à l’échelle un pour un. C’est à dire sur la manipulation de maquettes numériques (au sens BIM). Une maquette numérique peut être vue comme une explicitation numérique totale de la repré- sentation d’un projet. C’est un modèle complet, instan- cié ou non, un prototype numérique conforme à un format standard de donnée (IFC). Les conséquences métho- dologiques de ce dispositif d’explicitation sont impor- tantes pour la conception. Apparemment, elles peuvent correspondre à des ruptures culturelles. C’est que le tra- vail de conception prend désormais pour point de dé- part des objets entièrement prédéfinis et des actions élé- mentaires prédéterminées (nous sommes bien dans le paradigme de la conception comme programme). Mais ce point ouvre aussi des pistes intéressantes. Par exemple, l’idée reçue d’une conception architectu- rale comprise comme activi- té de résolution de problème allant du flou vers le précis (Descartes) est concrè- tement invalidée dans ce contexte. Cela constitue cer- tainement un progrès car au fond ces outils programma- tiques fournissent peut être l’occasion de penser et de pratiquer la conception en dehors du mythe de la créa- tion ex-nihilo. Il semble que toute la recherche architec- turale qui s’est penchée sur l’idée d’une «conception par précédent» doit désormais investir ce nouveau champ de pratiques. Une question méthodolo- gique demeure cependant. Car si des objets formels précis pré-existent à toute démarche de conception en architecture alors comment maintenir l’indétermination des actions sur ces objets ? En matière de conception la connaissance n’est pas toujours formalisable par explicitation formelle. Le travail interprétatif du sujet concepteur n’est pas tou- jours déterminé comme peut l’être un calcul formel qui suppose une séparation entre information et signifi- cation. C’est ce que montre par exemple l’approche pragma- tiste de la conception. Cette approche pragmatiste intègre le travail graphique de conception dans un autre cadre cognitif. Un cadre qui privilégie non pas la déduc- tion descendante hiérar- chique propre au schéma du programme mais le principe inductif propre au schéma de l’enquête. Tout projet est indéterminé dans ses actions mais porte sur des faits précis insépa- rables de leurs significa- tions. Pour le pragmatiste John Dewey on ne peut pas admettre en pratique de sé- paration absolue entre in- formation et signification : « sans une certaine sorte de symbole, il n’y a pas d’idée. […] puisqu’une existence [i.e information] est le support et le véhicule d’une significa- tion […] les significations ou idées incorporées peuvent être examinées et dévelop- pées objectivement. Examiner une idée n’est pas une simple façon de parler. » (John Dewey, Logique, Une théorie de l’enquête. p.175)
  • 16. strategic drawing : “drawings as operational facts-meanings” “Embodied meanings are capable of objective development. To look at an idea is not a mere literary figure of speech” h t t p s : / / a r c h i v e . o r g / d e t a i l s / JohnDeweyLogicTheTheoryOfInquiry set of patterns from Christopher Alexander’s b o o k « A P a t t e r n Language » http://www.iwritewordsgood.com/apl/set.htm
  • 17. L’approche pramatiste subs- titue le concept de “fait opérationnel” à celui d’in- formation. Elle considère la signification comme ré- sultant d’une interpréta- tion/classification des faits. Qu’est-ce qu’un fait ? La définition de John Dewey indique qu’un fait existe, en dehors de nous, comme « élément constitutif d’une situation donnée que nous pouvons organiser dans l’observation » (p.173). Dans le schéma de l’enquête, la notion de fait correspond à un outil de la dynamique inductive de recherche. Ain- si, la valeur d’un fait en cours d’enquête dépend de son uti- lité pour le concepteur. Un fait est valable s’il constitue un appui temporaire du tra- vail d’interprétation. Cela au détriment parfois même de sa réalité mesurable (validité, vérité). Lors d’une enquête les faits sont choisis, décrits, exami- nés, arrangés, organisés, ca- tégorisés et classés avec une intention projectuelle, “ils ne sont pas simplement les ré- sultats d’opérations d’obser- vation” (p.178) mais relèvent d’une tâche interprétative méthodique que l’on peut apparenter à une tâche de conception. Qu’est-ce qu’un fait opéra- tionnel ? C’est un fait por- tant une signification en soi (notion de monde chez Goodman). Mais c’est aussi un fait qui s’articule avec d’autres pour produire une fin définie. Cette finalité, en architecture par exemple, est la transformation d’une situation donnée qu’on ap- pelle un projet. Faits provisoires : c’est ainsi que John Dewey caractérise le fait dans l’enquête, les contenus factuels ont un caractère provisoire et opéra- tionnel, c’est à dire fonctionnel: « Il est reconnu qu’une hypothèse ne doit pas être vraie pour être très utile à la conduite de l’enquête […] la même chose vaut pour les faits. Ils étaient utiles non parce qu’ils étaient vrais ou faux mais parce que, quand ils étaient consi- dérés comme instruments de tra- vail provisoire pour faire avancer les recherches, ils conduisaient à la découverte d’autres faits plus adé- quats et solides. » (p.212) Il s’agt alors de produire des faits nouveaux susceptibles d’alimenter le travail de formulation (énoncia- tion, nomination…) et de mainte- nir le processus d’interprétation de ces faits ! L’enquête repose sur une continuité récursive où les conclu- sions obtenues à un stade devien- nent des moyens matériels de me- ner une nouvelle enquête (Dewey). Un fait opérationnel n’est jamais isolé. Pour Dewey les faits « prouvent et éprouvent une idée dans la mesure où ils peuvent être organisés les uns avec les autres. Il n’y a organisation que s’ils sont en interaction réciproque. » (p.178). Le travail d’enquête consiste donc à transformer les situations existantes par l’organisation et la classifica- tion des faits significatifs. Christopher Alexander, en- core une fois, servira d’il- lustration de cette approche pragmatiste de la représen- tation en architecture. Dans son deuxième ouvrage phare, intitulé A pattern language et publié en 1977, la concep- tion n’est plus appréhen- dée comme un programme de résolution de problème mais comme une tâche d’ex- pression. La conception ne repose pas sur l’usage d’in- formations et de traitements, mais sur l’interprétation par le lecteur humain de séries de motifs linuistiques-archi- tecturaux précis et décrits sous forme de “patterns”. Tous les motifs proposés sont des sortes de fragments d’architecture vécue, des faits significatifs, ce sont des unités indépendantes sans lien déterminé entre elles et sont décrites sous la forme d’une liste non hiérarchisée, elle-même inachevée car le lecteur est invité à pour- suivre cet inventaire. Aucun programme général ne pré- side à l’utilisation de ces 243 motifs combinables. Les pat- terns sont des descriptions de faits-types considérés comme les mots d’un lan- gage. Redescriptions :: Nous pourrions évo- quer ici les positions du pédagogue pragmatiste Syemour Papert lorsqu’il écrit : “La conception comme l’ensei- gnement ne peuvent-elles être considé- rés comme des tentatives permanente de redescription de la réalité” c’est aussi la compétence d’un enseignant expérimenté que de savoir produire les images critiques susceptibles de res- tructurer temporairement la situation de conception par des ruptures signi- fiantes pour l’étudiant. Comme l’écrit Seymour Papert lui-même, la capacité de redescription de l’action est le propre du bon formateur qui « sait capturer la complexité d’une action dans des mé- taphores qui aident à transmettre la sensation d’une performance à réaliser. (par exemple ‘affrontez la pente !’ dans l’apprentissge du ski). C’est un travail analogique et relationnel. Le dessin peut entrer dans la produc- tion de «métaphores génératives». On citera le cas du « paintbrush as a pump » (Donald Shön, “the reflective practi- tionner”, p.184) ou bien “le théâtre est un archipel” métaphore utilisée dans la négociation du collectif d’action (ré- gisseur, public, habitant, etc.) lors d’un workshop de construction de notre atelier Learning From dans le Gers en France. (voir http://learning-from. over-blog.fr)
  • 18. student’s inventory of inhabited situations in the Florence House – 2011 http://learning-from.over-blog.fr/tag/learning %20from%20the%20florence%20house/ workshop Learning From The Florence House, Johannesburg, SA SOUTH CORRIDOR WEST CORRIDOR NORTH CORRIDOR FLORENCE HOUSE FIRST FLOOR - INVENTORY #1 strategic drawing : “drawings as immediate facts” ” A r t i t ’ s n o t a b o u t reproducing or inventing forms, but it’s to grasp forces. In that meaning no art is figurative." Gille Deleuze, Logique de la sensation, La différence, Paris, 1981, p.39
  • 19. “Examiner une idée n’est pas une simple façon de parler”. Selon Dewey les faits dépen- dent de leur description re- présentationnelle pour être opérationnels. Or cette des- cription n’est pas univoque, un fait peut en effet être dé- crit et redécrit de différentes façons. Redécrire des faits, voilà le travail de concep- tion. C’est cette possibilité de descriptions multiples qui donne à un fait son caractère d’hypothèse provisoire dans le processus de l’enquête. Ainsi des faits seront opéra- tionnels s’ils peuvent être in- dexés/renommés, dessinés/ redessinés, photographiés/ catégorisés, comparés, énu- mérés, mis en relation etc. Ce concept de faits opéra- tionnels induit par consé- quent une fragmentation des représentations et une hybri- dation des descriptions. Il conduit aussi vers un usage de l’inventaire comme un outil de conception-enquête notamment en architecture. Je donnerai une illustration (non-détaillée) de l’usage de cet outil en citant certains tra- vaux de nos ateliers d’ensei- gnement de master Learning From à l’ENSA Toulouse en France. Nous y menons des projets en contexte critique (squat, bidonville) comme ici dans un hôpital désaffecté du centre de Johannesburg occupé par 247 familles de façon informelle. Les outils d’inventaire du contexte permettent de produire des répertoires explicites de situation de cet habitat spontané sous forme d’ensemble de pattern structurés. Ces patterns sont des multi-description qua- litatives utilisant plusieurs procédés représentationnel. Ce sont ces multiplicités de représentations détaillées qui permettent de décrire le système socio-spatial de l’hôpital squatté comme un ensemble complexe de “faits opérationnels” (de situa- tions). Le projet d’architecture se présentera alors comme un agencement nouveau de ces données existantes, une transformation. Il va opèrer sur ce système de faits-si- gnifications (pattern). Ici l’un des rôles du dessin est alors de décrire, consigner, noter, annoter, cartogra- phier (openstreetmap), ar- penter… il doit contribuer à construire les faits, c’est à dire ces patterns significatifs. Inventaires : De nombreux archi- tectes adoptent aujourd’hui des méthodes de représentation frag- mentée mettant en œuvre de véri- table travaux d’inventaires actifs. Il s’agit d’engager une représentation raisonnée de la réalité physique destinée affronter la complexité des contextes de projet instables. Le groupe d’architectes japonais Bow-Wow a notamment illustré cette approche dans plusieurs ou- vrages dont le plus connu s’inti- tule «Made in Tokyo». On y voit à l’œuvre une lecture systématique des architectures spontanées de la capitale japonaise et cette lec- ture construit une vraie stratégie opératoire d’architecte. Ce genre d’action n’a rien de commun avec une analyse urbaine. On sépare, on distingue pour agir, et cette séparation est elle-même une ac- tion projectuelle, le classement est conception. Une autre propriété du des- sin stratégique de projet est de se constituer comme un fait expérienciel, c’est à dire un fait dont on peut faire l’expérience directe. (imme- diate facts) Cette notion rompt appa- remment avec l’approche informationnelle de la repré- sentation sans support car elle fait précisément interve- nir le matériau spécifique de dessin comme élément actif de représentation (en pein- ture : “le subjectile”).
  • 21. Dans son livre “papier ma- chine”, Jacques Derrida écri- vait : “Le papier résonne. Sous l’apparence d’une sur- face, il tient en réserve un vo- lume, des plis, un labyrinthe dont les parois renvoient les échos de la voix qu’il porte lui-même”. Ce paradigme de la « feuille de papier » fait en- trer le subjectile dans la figu- ration comme élément à part entière. Dans le modèle communica- tionnel élaboré en 1948 par Claude Shannon (“A Ma- thematical Theory of Com- munication”) une informa- tion correspond à un signal envoyé par un émetteur et reçue par un récepteur par l’intermédiaire d’un support, nommé le canal. Les sys- tèmes de codage du signal et de correction d’erreurs que nous avons déjà soulignés visent alors à supprimer tout bruit provenant du canal, à supprimer les interférences, à rendre le support transpa- rent vis à vis du message. Avec le paradigme de la «feuille de papier» il en va tout autrement. Ici le sup- port du dessin est parfois producteur de faits percep- tifs imprévus, de bruits qui opacifient le message infor- mationnel émis, mais qui peuvent pourtant être por- teurs de significations valides pour le concepteur. L’activité de dessin dont il est question ici répond pour partie à la formule de Gilles Deleuze lorsqu’il écrivait dans Logique de la sensa- tion : « En art, et en peinture comme en musique, il ne s’agit pas de reproduire ou d’inventer des formes, mais de capter des forces.» (Gille Deleuze, Logique de la sen- sation, La différence, Paris, 1981, p.39). Je citerai ce travail graphique de l’artiste Philippe Lamy qui propose ici un déplacement du dessin signifiant vers un dessin a-signifiant à partir de faits expérienciels provoqués par le tracé : tâches, lignes, hachures, aspérités… (Phi- lippe Boudon a bien observé l’importance de ces phéno- mènes graphiques qu’il avait dénommés des plusieurs pu- blications des “dromies”) Ici tout se passe comme si l’artiste empruntait un che- min qui le conduit de l’ob- jet signifié (les coquillages) vers le dessin comme phé- nomène graphique spéci- fique (le mode de tracé de la coquille d’huitre). Le des- sin issu de ce processus est une sorte de prolifération des micros-phénomènes de tracés prélevés dans le des- sin figuratif initial. Ces faits graphiques sont donnés à voir pour eux même, en tant qu’expérience.
  • 22. Sol Lewitt, no title http://www.tate.org.uk/art/artworks/lewitt-no- title-p07061 Peter Zumthor, Atelier, Haldenstein, Graubünden, 1986 http://zumthor.tumblr.com/post/ 121927206368/peter-zumthor-atelier- haldenstein-graub%C3%BCnden
  • 23. Nous parlons donc d’une figuration a-signifiante mais ayant une valeur opératoire en tant qu’espace d’expé- rience où l’on fait jouer des forces graphiques. Cette idée ne concerne pas seulement les pratiques artistiques. On pourrait souligner par exemple la similitude entre les 2 dessins suivants. Celui de l’artiste Sol Lewitt et le second dessiné par l’archi- tecte Peter Zumthor. Dans les deux cas des effets per- ceptifs provenant du sup- port de tracé sont recher- chés : irrégularités dans un dessin régulier, variations dans un dessin répétitif. Ici on voit comment l’architecte met finalement ces effets ex- périenciels au service d’un dessin informationnel codi- fié (il s’agit d’une élévation).
  • 24. Yves Brunier, trois jardins particuliers à Brasschat, 1991 3. design as convention unspecified facts and convergent action
  • 25. La figuration stratégique ne relève donc pas de la commu- nication transparente shan- nonienne. Elle concerne une communication comportant des opacités, des artefacts, qui retardent ou détournent la réception des messages sans pour autant les détruire ou les annuler. C’est pourquoi cette figura- tion peut accepter et même provoquer complètement des accidents, des colli- sions, des dislocations, des bouleversements donnant lieu à des confrontations de faits hétérogènes (comme le montrait parfaitement l’énergie du travail figuratif de Yves Brunier dans les an- nées 1990) Les processus de conception par collage répondent à une telle attente. Il ne s’agit pas d’une procédure mimétique déterminée mais d’un prin- cipe général de montage, d’un assemblage de données. Et d’une certaine façon on peut parler de traitement formel : déplacement, dupli- cation. Ces processus offrent aux systèmes informatiques ac- tuels, de par leurs capacités de stockage, leur opérateurs d’assemblage et de combi- natoire, une possibilité de remettre le dessin numérique à l’intérieur du paradigme de la “feuille de papier” qu’évo- quait Derrida. Le montage, voilà alors peut être une autre sortie possible du des- sin par le dessin. La troisième situation de conception que je voudrais commenter est celle de la convention. La conven- tion est un phénomène très ancien dans les processus d’édification. Ainsi, comme l’ont montré Alain Dupire et Bernard Hamburger, dès le XVIe siècle l’architecte classique s’appuyait dans son travail graphique sur sa connaissance de la pratique constructive commune aux gens de métier. Il n’était pas tenu de décrire lui-même ces questions implicitement ad- mises. Il en va de même pour la plu- part des projets ordinaires dans l’architecture vernacu- laire (architecture paysanne en milieu rural par exemple). Tout se passe comme si les projets ne soulèvaient aucun problème de mise en oeuvre dans la mesure où ils s’ap- puient sur des données et des savoirs implicites non formalisés mais supposés connus de tous. Ces don- nées communément admises n’ont pas lieu d’être à chaque fois redéfinies par des des- sins spécifiques (détails tech- niques, plans d’exécution...). Il s’établit alors un consen- sus, un accord entre les ac- teurs de l’édification qu’on peut appeler une situation conventionnelle.
  • 26. drawing in conventional situations : “drawings as performative facts” d r a w i n g i n s i t u , experimental workshop in Soweto, South Africa, 2012 http://learning-from.over-blog.fr/tag/learning %20from%20soweto%20kliptown%20youth/
  • 27. Une situation de conven- tion repose sur des données admises a priori mais non explicitées. Dans une telle situation, l’action d’édifi- cation entreprise converge vers un but connu comme par exemple un archétype, ou bien une réalisation que l’on a l’habitude de pro- duire. Le rôle du dessin est alors ponctuel, fonctionnel, opérationnel. Il est littéra- lement un fait opérationnel pour l’action. C’est à dire qu’il est le support tempo- raire de décision d’action qui sont prises in situ. Ces dé- cisions concernent simple- ment l’adaptation de l’action au contexte. Notamment il renseigne et soutien les actes de construction dans un un contexte physique particulier (pente, orientation, dimen- sions, nombre de travées etc.). Les processus de décision concernant les adaptations des actes constructifs au contexte physique du projet peuvent donner lieu à des négocations et des délibé- rations collective. C’est ce que nous avons souvent ex- périmenté dans nos travaux d’atelier en milieu informel. Les images montrées ici par exemple concernent une opération de réhabilitation d’un orphelinat dans un bi- donville de Soweto en 2013. Ces formules de workshop de projet-réalisation in-situ peuvent être rapprochés sous bien des aspects à une situation conventionnelle contemporaine. Les tech- niques engagées sont simples et les procédés constructifs élémentaires. Le dessin inter- vient ponctuellement alors comme outil de délibéra- tion. Il permet de s’accorder collectivement sur les choix adaptatifs (implantations, di- mensions, orientations…).
  • 28. S t u d e n t ’ s f i n a l experimental project in ENSA Toulouse, France, 2016 http://www.quaternion.fr/testimonials/95- ekilaya/32-cathedrale-de-carton-4 4. design as tactics unplanned facts and undeterminate action Bricolage means that when acting “each fact represents a set of concrete and virtual relations, they are operators that can be used for any operations” h t t p s : / / b o o k s . g o o g l e . f r / b o o k s ? id=WIcBBQAAQBAJ&printsec=frontcover&dq =inauthor:%22Claude+LEVI-STRAUSS %22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiD6NaLqMH YAhXLbVAKHcMBAG0Q6AEISDAF#v=onepa ge&q&f=false
  • 29. On pourrait indiquer enfin que les outils informatiques de production (CFAO) peu- vent parfois entrer dans ces processus conventionnels. Ici un travail de diplôme de construction expérimentale autour des gridshell sorte d’archétype contemporain. Travail qui s’est largement appuyé sur les fablab, ma- chine low-cost et groupes de “open makers”. La dernière figure de conception que je voudrais évoquer (schéma de Bernard Tshumi) est celle de la tac- tique. Cette figure provient comme on sait de l’art de la guerre, elle concerne l’indé- termination de toute action face à des faits entièrement contingents. On peut plus pacifiquement se rapprocher ici du concept de jeu, d’im- provisation, de navigation ou de bricolage dans le sens que l’anthropologue Claude Levi-Strauss donnait à ce terme dans son ouvrahe «La pensée sauvage». Dans l’action de bricolage en effet chaque fait est un élément de la situation de conception. Un fait “repré- sente un ensemble de re- lations, à la fois concrètes et virtuelles”. Levi-Strauss ajoute que “[ces faits] sont des opérateurs mais utili- sables en vue d’opérations quelconques.» De tels opérateurs concrets et virtuels laissent donc place à l’action libre du concepteur dans un contexte instrumen- tal entièrement incertain, divergent et indéterminé. Qu’en est-il alors pour la re- présentation ? Le dessin ?
  • 30. tactical drawing : “drawings as dissensus facts” Rem Koolhaas, drawing for the project “Parc de La Villette” h t t p : / / laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.f r / 2 0 11 / 0 5 / r e m - k o o l h a a s - u n - g e n i e - reactionnaire.html
  • 31. Dans son ouvrage “Le spec- tateur émancipé” le phi- losophe Jacques Rancière propose une distinction non pas entre information et si- gnification mais entre re- présentation consensuelle et dissensuelle. La représentation consen- suelle instaure une conver- gence entre information et signification. L’interpréta- tion s’apparente alors au décodage. Rancière parle d’un “accord entre sens et sensible, entre un mode de présentation sensible et un régime d’interprétation de ses données » (p.75) La re- présentation de consensus repose sur une certaine uni- vocité des messages. Elle suppose l’absence d’ambi- guïté dans leur décodage informationnel (modèle de Shannon). Dans le dissensus au contraire, les éléments de la représentation ne sont par convergents mais contra- dictoires, hétérogènes. Leur interprétation n’est pas im- médiate mais indéterminée. Elle peut produire des diver- gences et des conflits de sens. Mais ces conflits doivent stimuler le travail interpré- tatif. Ce sont donc des faits déclencheurs qui activent le concepteur et élargissent sa perception de la situation de projet. L’architecte Rem Koolhaas avait emprunté à Salvador Dali la notion de “paranoïa-critique” pour dé- signer ce phénomène. Une figuration active qui organise des faits dissensuels pour les interpréter voire les sur-in- terpréter.
  • 32. Sixteen study drawings for a villa by Andrea Palladio XVI century https://journal.eahn.org/articles/10.5334/ah.ck/ Aldo Rossi, project’s drawing for the monument to resistance in Cuneo, 1971 http://w3.toulouse.archi.fr/li2a/ac/ axonometr/exoaxono1.html
  • 33. Je préciserais ces réflexions un peu abstraites par quelques exemples, en ci- tant le le cas du dessin en géométral. Le géométral est comme on sait l’un des outils fondamentaux de la figuration architecturale de tradition. C’est Julien Gua- det qui affirmait “Le dessin d’architecture est le dessin géométral. Le géométral est le dessin exact, on peut dire le dessin par excellence.” Or l’observation de l’usage de ce dessin montre qu’il peut être mis en oeuvre de façon fon- damentalement dissensuelle au sens de Rancière. Je présente ici un dessin très connu emprunté à Aldo Rossi. Il s’agit du géométral pour le monument à la résis- tance de Cuneo en Italie. Ici chaque vue du dessin codifié est présentée comme une figure isolée. Chaque vue se focalise sur un aspect de l’objet. Le dessin est simple et précis. Pourtant il com- porte des contradictions projectives entre les vues. Ici la signification peut contre- dire l’information. En réalité, dans leur usage du géométral les architectes privilégient le principe de focalisation sur celui de la cohérence (notamment pro- jective). Aussi chaque pièce (plan, coupe, élévation) pos- sède une opérationnalité en soi. Chaque vue constitue un fait, une focalisation sur un élément de la réalité, voire sur un registre d’action. Or ces fragments, (ces “faits- signification”), peuvent très souvent être contradictoires, hétérogènes ou imcomplets. L’opérationnalité concep- tuelle du dessin n’en est pas amoindrie. Tout au contraire elle ressort renforcée par ces effets de fragmentation dissensuelle. Ils stimulent le processus d’enquête. Signification contre information : La composition graphique insiste sur la géométrie du carré. Chaque figure est aussi centrée sur sa si- gnification allégorique. L’ascension souterraine, la porte étroite, le tra- jet dont le but est invisible quand on s’y engage, la porte donnant sur une cours nue ou bien sur le ciel, l’horizon étroit, le mur aveugle, le bunker etc. tous ces faits architec- toniques représentés dans le dessin peuvent en effet être pris dans un sens métaphorique, symbolique. Ces niveaux de significations de chaque vue contredisent parfois le niveau projectif de l’objet dessiné. Ils entrainent par exemple des in- cohérences, des contradictions dans le dessin.
  • 34. workshop City Movie, Cagliari, Italie, 2008 http://aeroports-airspaces.over-blog.com/tag/ workshop%20cag/ workshop City Movie, Cagliari, Italie, 2008 http://aeroports-airspaces.over-blog.com/tag/ workshop%20cag/
  • 35. En assumant les propriétés dissensuelles du géométral d’architecte, il est possible de transposer ce mode de des- sin dans d’autres media. Une autre sortie du dessin. Ainsi en va-t-il dans cet exemple de travail d’étudiant lors d’un workshop de relevé vidéo de l’aéroport de Caliari en Italie en 2008. Nous avons utilisé la représentation vi- déographique comme outil d’échantillonnage selon des modalités de prise de vue directement issues des règles du géométral (association entre plan fixe vidéo et plan de géométral, travelling et coupe, panoramique et élé- vation…) Dans ce workshop de Ca- liari, la mise en espace par multiprojection des diffé- rents échantillons prélévés constituait la dernière étape du travail. Cette opération est d’abord d’ordre diagram- matique. En effet, l’assem- blage spatial d’échantillons vidéographiques peut être envisagée comme une opéra- tion diagrammatique in-situ. Les vidéogrammes sont re- configurés dans l’espace de la salle de projection. On pou- vait alors faire voisiner des éléments qui étaient séparés sur les lieux réels ou séparer des espaces urbains pourtant adjacents dans la réalité. En spatialisant la projection des échantillons, la multipro- jection transforme l’espace de projection lui-même en un échantillon équivalent à l’espace étudié, un espace à l’échelle 1 qui ne soit pas une reproduction. Dans ce sens, elle remplit le rôle assigné à la représentation dissen- suelle par Jacques Rancière lorsqu’il écrit : « Représenter c’est donner un équivalent, l’image n’est pas le double d’une chose. » Le dessin dissensuel est re- descriptif. Il ne communique pas une information à pro- pos d’une signification. Il est au contraire producteur d’un « surplus de signification » chez le concepteur (Francas- tel). Le géométral vidéo : On propose de prélever dans l’espace étudié des échantillons vidéo anarratifs selon certains protocoles précis de prise de vue. Il sont parallèlement catégorisés et classés en collections. Ce travail de prélèvement vidéo doit fournir le ma- tériel de lecture des usages de l’espace : événements, situations, mouvements, parcours sont captés sans intentions préalables mais selon des règles et des formats identifiés. Les représentations vidéo s’effectuent en respectant trois modes uniques de prise de vues : le plan fixe, le travelling avant et le tra- velling latéral. Nous les considérons comme trois modalités de la pensée en géométral de l’espace. Le plan-fixe opère comme un plan, il a pour fonc- tion de fixer les éléments physiques de l’environnement (immobilité) et d’en révéler les mouvements et variations (mobilités). Le travelling-avant est apparenté à la coupe (section verti- cale), il opère comme un instrument de pénétration de l’espace, décrit les intériorités et met en scène les épais- seurs, les profondeurs. Le travelling- latéral organise la visibilité de l’archi- tecture et, tout comme une élévation, il exprime la visibilité de l’architecture. Par ailleurs ces opérateurs de relevé vi- déo sont combinables et peuvent être coordonnés. Ils constituent des dia- grammes par échantillonnage. Diagrammes : La dimension diagrammatique du dessin lui procure des avantages opéra- toires connus (vitesse computationnelle, lecture indicielle, outil performatif, topolo- gie, voisinages, analogies non modélisables, mémoires de cas, base de données : informa- tions implicites) par rapport aux représenta- tions linguistiques (schéma linéaire, conca- ténation, séquences ordonnées, succession d’états discrets : informations explicites). Larkin et Simon dans leurs recherches sur les stratégies de résolution de problème (Why a Diagmm is Sometimes Worth Ten Thousand Words en 1987) opposaient la représentation sentencielle (« sentential ») fondée sur des séquences linguistiques à la représentation diagrammatique basée sur une organisation spatiale graphique. La sentence indexe les in- formations par leur positions dans une liste en séquence tandis que le diagramme le fait par localisation dans un espace (plan). Ces travaux pionniers dans le domaine du traitement automatique de l’information montraient déjà que pour un acteur humain la représentation sententielle présente bien l’avantage de restituer une hiérarchie ordon- née des éléments du problème, et d’autres caractéristiques comme des relations tempo- relles ou logiques des composants du pro- blème. La représentation diagrammatique en revanche est beaucoup plus efficiente pour les actions de recherche et d’identifi- cation de données (exemple de problèmes de géométrie) et dans une moindre mesure pour les actions inférentielles, toutes tâches justement cruciales dans le champ de la créa- tion et de la conception. Mais le diagramme n’est pas une modélisation et n’offre pas de certitude sur sa productivité inférentielle : « although every diagram supports some easy perceptual inferences, nothing ensures that these inferences must be useful in the pro- blem-solving process. » (p.99).
  • 36. tactical drawing : “drawings as empowering facts” Le terme de partition sert à désigner une structure ouverte, visant à attirer l’attention sur les conditions de l’assemblage. Elle a pour vocation de notamment placer des fragments et des structures minimales au coeur de l’attention et d’en tirer partie. Ch. Dell p.105 «Spacial Events pour flûte e t v i b r a p h o n e » , composed by Christopher Dell, p.1 & p.4 http://www.christopher-dell.de/en/
  • 37. Le dessin tactique serait donc un dessin capable d’augmenter les capacités interprétatives mais nous pouvons peut-être aller plus loin et imaginer pour finir un type de représentation contemporaine, n’excluant pas le dessin numérique et qui se fixe réellement un but émancipateur en accrois- sant nos capacités d’action humaine sur notre environ- nement en tant que concep- teur, habitant ou utilisateur de l’espace. Le domaine de la création musicale contemporaine peut nous inspirer. Je citerais ici le musicien et urbaniste Christopher Dell qui pro- pose d’aborder la représen- tation musicale ou urbaine à partir de la notion de « par- tition ouverte ». Il s’agit de considérer le travail de nota- tion musicale sous un angle performatif éloigné d’un fonctionnement prescriptif de l’exécution instrumentale. La partition ouverte utilise le diagramme dans une lo- gique de notation relation- nelle désormais constituée « d’assemblages, de cut-ups, de tissus de relation, de connexions sérielles » qui entraine un élargissement des lectures possibles de la musique et produit donc un effet performatif. (p.56). Dans la partition présentée ici des indications qualita- tives sont fournies avec un réservoir de notes et des thèmes possibles pouvant être transformés. Prescription : Classiquement la no- tation musicale est prescriptive et vise à l’exécution pure de l’oeuvre et non pas au jeu (p.37) elle est donc « organisée selon le modèle émetteur (compositeur) et récep- teur (musicien)». C’est la notation mode d’emploi qui est réduite à un « vecteur de transmission ». Au Xxème siècle, on passe d’une no- tation prescriptive à une notation performative. Pour Dell ces nou- velles partitions ouvertes “offrent un cadre plus ou moins structuré qui confie aux performeurs de la pièce musicale, de l’événement ou d’une situation concrète, une part importante du résultat d’une parti- tion. Les partitions ouvertes favori- sent des expériences. » (p.104)
  • 38. Diagram for the Fun Palace, Cedric Price, 1961 https://megaestructuras.tumblr.com/page/15 A calculated uncertainty approach : « Les hauts- plateaux, lotissement vertical », Christophe H u t i n a n d S a s k i a Frankenberger, 2015, Bègles, France http://www.christophehutin.com/CH/ Projet_HP_2.html
  • 39. Une analogie peut être faite avec le projet de Fun Palace imaginé par Cédric Price et souvent cité comme un cas d’architecture performative. Les représentations gra- hiques de ce projet sont tou- jours hybrides et puisent lar- gement dans la notation par diagramme. Cette figuration proliférante, saturée, exerce également un effet perfor- matif à l’aide de ses repré- sentations imagées d’expé- riences concrètes. Dans cette approche tactique de la conception, l’édifice constitue une performance sociale plutôt qu’une réalisa- tion formelle, un processus évolutif plutôt qu’un objet statique. Les dessins alors sont provisoires, ce sont des faits hétérogènes mais uti- lisables comme des images hypothèses, des suggestions à interpréter. Dans ce dessin qui intègre l’indétermination comme une donnée fondamentale, la représentation est alors plus proche d’un discours ou d’une fiction que de des- criptions ou de prescriptions techniques. C’est ce que montre ici par exemple la représentation du projet de lotissement vertical intitulé Les Hauts Plateaux par l’ar- chitecte Christophe Hutin à Bègles (France). Il s’agit d’un projet structuraliste inspiré de la démarche de Frei Otto à Berlin dans son Eco-House. Il propose un processus d’autoconstruc- tion libre et non planifiée sur une structure physique com- mune (plateaux et rampes d’escaliers).
  • 40. Sketch for « Les hauts- plateaux, lotissement v e r t i c a l » , S a s k i a F r a n k e n b e r g e r , Christophe Hutin 2010, Bordeaux, France http://www.christophehutin.com/CH/ Projet_HP_2.html
  • 41. Dans ce contexte, la repré- sentation concerne des scé- narios possibles imprédic- tibles au moment du projet. L’objectif du dessin est de figurer un processus plu- tôt qu’un état. De montrer la capacité d’une structure à recevoir les compétences d’action des habitants. De stimuler l’interprétation pro- jective des habitants. De re- présenter des histoires pos- sibles mais qui n’arriveront pas, des fictions. Ces techniques de représen- tation offrent alors peut-etre une autre sortie du dessin. Une sortie qui reprendrait à son compte la capacité narrative du dessin comme paradigme. Une sortie qui serait en quelque sorte dis- cursive et fictionnelle. Une sortie vers un dessin-objet. Un dessin qui fonctionne à la fois comme poème et comme catalogue. «[...] Le catalogue du poète est donc un contre-catalogue qui annule la différence entre valeur d’usage et va- leur d’échange en restituant à chaque chose à sa place. Cette place nie la hiérarchie des anciennes positions. [...] Et le vertige même des noms communs de choses com- munes suit l’indication don- née par Emerson sur le rôle du poète comme donneur de noms, la valeur suggestives de simples listes de mots em- pruntées à un dictionnaire pour un «esprit imaginatif et en état d’excitation», et le fait que ce qui serait vulgaire ou obscène pour les gens obs- cènes devient glorieux quand on l’énonce dans un nouvel enchaînement de pensées. Le «catalogue» est enchaîne- ment et c’est l’enchaînement qui rachète toute laideur et toute vulgarité : «Comme c’est leur sépa- ration et leur arrachement à la vie qui rend les choses laides, le poète qui ré-ajointe les choses à la nature et au tout dispose à son gré des faits les plus disgracieux. Le lecteurs de poésie, quand ils voient l’usine de village et le chemin de fer, s’imagi- nent que ceux-ci détruisent la poésie du paysage, car ces oeuvres de l’art ne sont pas encore consacrées dans leurs lectures ; mais le poète les voit tomber sous la loi du grand ordre non moins que la ruche ou que la toile géométrique de l’araignée.» R.W.Emerson The poet «For, as it is dislocation and detachment from the life, that makes things ugly, the poet, who re-attaches things to nature and the whole, — re-attaching even artificial things, and viola- tions of nature, to nature, by a deeper insight — disposes very easily of the most disagreeable facts. Readers of poetry see the factory-village, and the railway, and fancy that the poetry of the landscape is broken up by these; for these works of art are not yet consecrated in their reading; but the poet sees them fall within the great order not less than the beehive, or the spider’s geometrical web. « R.W.Emerson The poet [...] Jacques Rancière, Aisthesis, Scènes du régime esthétique de l’art, Ed. Galilée, 2011