Une bataille engagée depuis que la municipalité a confié, après appel d’offres, à une société iséroise, la réalisation d’un parcours de fresques en ville. Projet dont il revendique la paternité. Le tribunal de grande instance de Marseille étudiera le dossier en référé le 25 avril.
L’artiste qui estime qu’on lui a sucré ses fresques
1. J
ean Pierson est un artiste triste.
Jean Pierson est un peintre qui
rase les murs de Béziers, lui qui
rêvait de les sublimer. La moro-
sité, ce n’est pourtant pas la nature
de ce quinquagénaire, juste la consé-
quence d’une grande déception et
d’un combat qu’il mène contre Ro-
bert Ménard. Une bataille engagée
depuis que la municipalité a confié,
après appel d’offres, à une société
iséroise, la réalisation d’un par-
cours de fresques en ville. Projet
dont il revendique la paternité. Le
tribunal de grande instance de Mar-
seille étudiera le dossier en référé le
25 avril. Banal ? « Injuste et dégueu-
lasse », répond Jean Pierson. Expli-
cations.
Jean Pierson, les Biterrois qui ne
connaissent pas son nom ont tous
vu au moins l’une de ses œuvres:
cette fresque qui orne le faubourg
depuis 2013 et où trônent les per-
sonnages historiques de Béziers.
Alors quand Robert Ménard mène
campagne puis est élu avec un pro-
jet fort pour le centre-ville, l’artiste,
installé à Béziers depuis 2005, pen-
se avoir trouvé une oreille attentive
pour son dessein artistique. Le pein-
tre, qui avait déjà réalisé une pre-
mière maquette de fresque animaliè-
re pour le tunnel reliant les Allées
au plateau des Poètes, propose à Ro-
bert Ménard un projet plus ambi-
tieux : la réalisation d’un parcours
de fresques déambulant dans la vil-
le.
« Dans son bureau,
le maire m’apprend
qu’un appel d’offres
sera lancé »
Jean Pierson
L’artiste est reçu dans le bureau du
maire à quelques jours de
Noël 2014, le 22 décembre. En
mars 2015, il remet à Élisabeth Pis-
sarro, adjointe à la culture, et à sa
demande, un devis définitif pour la
réalisation de la fresque du tunnel
du plateau des Poètes. Les choses
semblent aller bon train. « J’étais
vraiment en confiance, d’autant
que la mairie m’a proposé d’emmé-
nager dans l’atelier du moulin de
Bagnols », explique Jean Pierson.
Puis le 26 mai 2015, en présence
d’un témoin, douche froide pour l’ar-
tiste, venu remettre à Robert Mé-
nard un dossier complet détaillant
la proposition de parcours (un prin-
cipal et un secondaire), la sélection
des façades, l’estimation du coût...
Bref, le résultat de plusieurs mois
de travail. Un rendez-vous qui se ter-
mine mal pour Jean Pierson :
« Dans son bureau, le maire m’ap-
prend, à ce moment-là, qu’un appel
d’offres sera lancé pour ce projet.
Je suis pour le moins surpris. Je
reste sans voix. »
Un étonnement couché sur papier
dans une lettre envoyée à Robert
Ménard et à laquelle le maire répon-
dra le 29 juin. Une missive où il se
veut rassurant : « Il ne s’agit nulle-
ment d’un évincement, notamment
d’artistes biterrois (...) La société
qui emportera cet appel d’offres
aura tout loisir de travailler avec
vous si votre travail retient leur at-
tention. » Et de conclure en le re-
merciant « pour le travail artisti-
que fourni depuis tant d’années et
dont notre ville bénéficie ».
Jean Pierson hésitera, prendra
conseil puis finira par candidater à
l’appel d’offres. En vain. Fin
août 2015, la nouvelle tombe : le
projet est confié à A.Fresco, une so-
ciété basée en Isère et qui livrera
tout clef en main. Des fresques réali-
sées sur toiles en atelier, avant
d’être posées sur les façades en
question. Une technique appelée le
marouflage. Une hérésie pour l’artis-
te : « On ne sait rien sur ces bâ-
ches. Ni où elles sont faites, ni par
qui. Moi, je suis biterrois, je propo-
sais un vrai travail social avec les
gens du quartier, les écoles de Bé-
ziers sur l’histoire de la ville, sur
mon art... Tout cela a disparu avec
cette société. » Si un pan de son pro-
jet s’est évaporé, en revanche le
peintre reconnaît son projet, sa
création artistique dans la réalisa-
tion que la société iséroise affiche
désormais sur les murs de la ville,
et qui se base, selon lui, sur ses pro-
pres maquettes remises à la Ville.
L’Arlésienne à l’angle des Allées et
de la rue Boeïldieu ou le Jean Mou-
lin (écharpe rouge autour du cou et
derrière une fenêtre) de la rue Mai-
ran figuraient sur le projet initial
présenté par Jean Pierson. « À tel
point que des Biterrois sont
convaincus que je suis l’auteur de
ces fresques », s’insurge-t-il.
L’artiste décide donc d’attaquer en
justice. Son avocat, Me
Stanley Clais-
se, retient plusieurs points : « Le do-
cument même de l’appel d’offres
qui présente le parcours de fres-
ques est à l’évidence une reprise du
travail que mon client a proposé
dès 2014 et fourni à la mairie de
Béziers le 26 mai 2015. C’est donc
une contrefaçon. Pour mener à
bien ce projet, il a effectué un repé-
rage minutieux des façades suscep-
tibles d’accueillir les fresques.
D’ailleurs, les deux fresques réali-
sées depuis par la commune de Bé-
ziers reprennent les personnages,
les thématiques créées par Jean
Pierson, et la deuxième fresque a
été réalisée sur une façade repérée
par mon client. Son œuvre est donc
utilisée sans son accord et au mé-
pris de ses droits. »
Une vision que, évidemment, ne par-
tage pas du tout Robert Ménard (li-
re ci-dessous). La justice se penche-
ra sur le dossier le 25 avril, si aucun
renvoi n’est demandé d’ici là.
ARNAUD GAUTHIER
A.FRESCO
La société
s’explique
A.Fresco est une société iséroise.
Son patron, Patrick Commecy, nous
a expliqué sa méthode de travail
depuis l’étranger où il est en
voyage : « Le contenu des fresques
est de notre initiative, dans le cadre
posé par l’appel d’offres. A.Fresco
propose contenu et maquette, par
exemple pour l’Arlésienne, avec une
mise en scène dans un trompe l’œil
architectural reprenant
les caractéristiques
haussmanniennes des immeubles
biterrois. » Quant à la réalisation
des toiles, le patron est
catégorique : « Elles sont peintes
dans notre atelier d’Eyzin-Pinet
(Isère), en peintures acryliques
bâtiment, par mes soins, assisté de
peintres muralistes dont le nombre
et la spécialité dépendent de la
taille, du motif, de la complexité
de la fresque, ainsi que du délai
imposé. »
Ménard : «Un parcours de
fresques n’a rien d’original»
Contacté au sujet de la
procédure judiciaire engagée
par Jean Pierson contre la
Ville de Béziers, le maire,
Robert Ménard, a réagi
d’abord avec une légère
ironie: « Cette personne est
venue présenter un parcours
de fresques mais je ne vois
pas trop où est l’originalité!
De tels parcours, il y en a
dans toutes les villes de
France!» Avant d’asseoir son
argumentaire en trois points:
« Je n’engage pas la
commune sur un chantier de
plusieurs années comme ça.
Je l’ai fait dans le cadre strict
de l’appel d’offres (mais pas
obligatoire dans ce cas,
NDLR). Ensuite, la société
qui a remporté l’appel d’offres
réalise tout de A à Z et était
deux fois moins chère que M.
Pierson. Enfin, d’un point de
vue esthétique, je crois que
les Biterrois peuvent juger par
eux-mêmes. Entre la fresque
réalisée au Faubourg par
M. Pierson et les nouvelles,
comme celle de L’Arlésienne
sur les Allées, il n’y a pas
photo.» Des propos sans
concession. La méthode pour
faire taire les critiques qui
reprochent à Robert Ménard
d’affirmer « vouloir donner la
priorité aux Biterrois » mais
d’en rester aux déclarations.
Le premier magistrat y
répond : « Je le fais mais
dans le respect des règles
des marchés publics et pas à
n’importe quel prix. » Les
réalisations d’A.Fresco vont
en tout cas se poursuivre
puisqu’après L’Arlésienne
des Allées, le Jean Moulin de
la place Lavabre et la fresque
de la place des Casernes,
deux autres œuvres vont être
posées : une en l’honneur
d’Injalbert place des
Bons-Amis... et une en clin
d’œil à la pièce de Molière Le
dépit amoureux, avenue Mas.
Une fresque qui était aussi
dans le projet que Jean
Pierson a présenté à Robert
Ménard.
L’artiste qui estime qu’on
lui a sucré ses fresques
Litige ❘ Les trompe-l’œil se multiplient en ville. Un artiste biterrois revendique la paternité du projet.
■ Jean Pierson se sent floué par la Ville de Béziers et a décidé d’attaquer en justice. PIERRE SALIBA
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VENDREDI 15 AVRIL 2016 3O2---
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