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ean Pierson est un artiste triste.
Jean Pierson est un peintre qui
rase les murs de Béziers, lui qui
rêvait de les sublimer. La moro-
sité, ce n’est pourtant pas la nature
de ce quinquagénaire, juste la consé-
quence d’une grande déception et
d’un combat qu’il mène contre Ro-
bert Ménard. Une bataille engagée
depuis que la municipalité a confié,
après appel d’offres, à une société
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cours de fresques en ville. Projet
dont il revendique la paternité. Le
tribunal de grande instance de Mar-
seille étudiera le dossier en référé le
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lasse », répond Jean Pierson. Expli-
cations.
Jean Pierson, les Biterrois qui ne
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cette fresque qui orne le faubourg
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au plateau des Poètes, propose à Ro-
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Jean Pierson
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sais un vrai travail social avec les
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ziers sur l’histoire de la ville, sur
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jet s’est évaporé, en revanche le
peintre reconnaît son projet, sa
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Béziers le 26 mai 2015. C’est donc
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D’ailleurs, les deux fresques réali-
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ziers reprennent les personnages,
les thématiques créées par Jean
Pierson, et la deuxième fresque a
été réalisée sur une façade repérée
par mon client. Son œuvre est donc
utilisée sans son accord et au mé-
pris de ses droits. »
Une vision que, évidemment, ne par-
tage pas du tout Robert Ménard (li-
re ci-dessous). La justice se penche-
ra sur le dossier le 25 avril, si aucun
renvoi n’est demandé d’ici là.
ARNAUD GAUTHIER
A.FRESCO
La société
s’explique
A.Fresco est une société iséroise.
Son patron, Patrick Commecy, nous
a expliqué sa méthode de travail
depuis l’étranger où il est en
voyage : « Le contenu des fresques
est de notre initiative, dans le cadre
posé par l’appel d’offres. A.Fresco
propose contenu et maquette, par
exemple pour l’Arlésienne, avec une
mise en scène dans un trompe l’œil
architectural reprenant
les caractéristiques
haussmanniennes des immeubles
biterrois. » Quant à la réalisation
des toiles, le patron est
catégorique : « Elles sont peintes
dans notre atelier d’Eyzin-Pinet
(Isère), en peintures acryliques
bâtiment, par mes soins, assisté de
peintres muralistes dont le nombre
et la spécialité dépendent de la
taille, du motif, de la complexité
de la fresque, ainsi que du délai
imposé. »
Ménard : «Un parcours de
fresques n’a rien d’original»
Contacté au sujet de la
procédure judiciaire engagée
par Jean Pierson contre la
Ville de Béziers, le maire,
Robert Ménard, a réagi
d’abord avec une légère
ironie: « Cette personne est
venue présenter un parcours
de fresques mais je ne vois
pas trop où est l’originalité!
De tels parcours, il y en a
dans toutes les villes de
France!» Avant d’asseoir son
argumentaire en trois points:
« Je n’engage pas la
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plusieurs années comme ça.
Je l’ai fait dans le cadre strict
de l’appel d’offres (mais pas
obligatoire dans ce cas,
NDLR). Ensuite, la société
qui a remporté l’appel d’offres
réalise tout de A à Z et était
deux fois moins chère que M.
Pierson. Enfin, d’un point de
vue esthétique, je crois que
les Biterrois peuvent juger par
eux-mêmes. Entre la fresque
réalisée au Faubourg par
M. Pierson et les nouvelles,
comme celle de L’Arlésienne
sur les Allées, il n’y a pas
photo.» Des propos sans
concession. La méthode pour
faire taire les critiques qui
reprochent à Robert Ménard
d’affirmer « vouloir donner la
priorité aux Biterrois » mais
d’en rester aux déclarations.
Le premier magistrat y
répond : « Je le fais mais
dans le respect des règles
des marchés publics et pas à
n’importe quel prix. » Les
réalisations d’A.Fresco vont
en tout cas se poursuivre
puisqu’après L’Arlésienne
des Allées, le Jean Moulin de
la place Lavabre et la fresque
de la place des Casernes,
deux autres œuvres vont être
posées : une en l’honneur
d’Injalbert place des
Bons-Amis... et une en clin
d’œil à la pièce de Molière Le
dépit amoureux, avenue Mas.
Une fresque qui était aussi
dans le projet que Jean
Pierson a présenté à Robert
Ménard.
L’artiste qui estime qu’on
lui a sucré ses fresques
Litige ❘ Les trompe-l’œil se multiplient en ville. Un artiste biterrois revendique la paternité du projet.
■ Jean Pierson se sent floué par la Ville de Béziers et a décidé d’attaquer en justice. PIERRE SALIBA
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VENDREDI 15 AVRIL 2016 3O2---
■ Béziers

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L’artiste qui estime qu’on lui a sucré ses fresques

  • 1. J ean Pierson est un artiste triste. Jean Pierson est un peintre qui rase les murs de Béziers, lui qui rêvait de les sublimer. La moro- sité, ce n’est pourtant pas la nature de ce quinquagénaire, juste la consé- quence d’une grande déception et d’un combat qu’il mène contre Ro- bert Ménard. Une bataille engagée depuis que la municipalité a confié, après appel d’offres, à une société iséroise, la réalisation d’un par- cours de fresques en ville. Projet dont il revendique la paternité. Le tribunal de grande instance de Mar- seille étudiera le dossier en référé le 25 avril. Banal ? « Injuste et dégueu- lasse », répond Jean Pierson. Expli- cations. Jean Pierson, les Biterrois qui ne connaissent pas son nom ont tous vu au moins l’une de ses œuvres: cette fresque qui orne le faubourg depuis 2013 et où trônent les per- sonnages historiques de Béziers. Alors quand Robert Ménard mène campagne puis est élu avec un pro- jet fort pour le centre-ville, l’artiste, installé à Béziers depuis 2005, pen- se avoir trouvé une oreille attentive pour son dessein artistique. Le pein- tre, qui avait déjà réalisé une pre- mière maquette de fresque animaliè- re pour le tunnel reliant les Allées au plateau des Poètes, propose à Ro- bert Ménard un projet plus ambi- tieux : la réalisation d’un parcours de fresques déambulant dans la vil- le. « Dans son bureau, le maire m’apprend qu’un appel d’offres sera lancé » Jean Pierson L’artiste est reçu dans le bureau du maire à quelques jours de Noël 2014, le 22 décembre. En mars 2015, il remet à Élisabeth Pis- sarro, adjointe à la culture, et à sa demande, un devis définitif pour la réalisation de la fresque du tunnel du plateau des Poètes. Les choses semblent aller bon train. « J’étais vraiment en confiance, d’autant que la mairie m’a proposé d’emmé- nager dans l’atelier du moulin de Bagnols », explique Jean Pierson. Puis le 26 mai 2015, en présence d’un témoin, douche froide pour l’ar- tiste, venu remettre à Robert Mé- nard un dossier complet détaillant la proposition de parcours (un prin- cipal et un secondaire), la sélection des façades, l’estimation du coût... Bref, le résultat de plusieurs mois de travail. Un rendez-vous qui se ter- mine mal pour Jean Pierson : « Dans son bureau, le maire m’ap- prend, à ce moment-là, qu’un appel d’offres sera lancé pour ce projet. Je suis pour le moins surpris. Je reste sans voix. » Un étonnement couché sur papier dans une lettre envoyée à Robert Ménard et à laquelle le maire répon- dra le 29 juin. Une missive où il se veut rassurant : « Il ne s’agit nulle- ment d’un évincement, notamment d’artistes biterrois (...) La société qui emportera cet appel d’offres aura tout loisir de travailler avec vous si votre travail retient leur at- tention. » Et de conclure en le re- merciant « pour le travail artisti- que fourni depuis tant d’années et dont notre ville bénéficie ». Jean Pierson hésitera, prendra conseil puis finira par candidater à l’appel d’offres. En vain. Fin août 2015, la nouvelle tombe : le projet est confié à A.Fresco, une so- ciété basée en Isère et qui livrera tout clef en main. Des fresques réali- sées sur toiles en atelier, avant d’être posées sur les façades en question. Une technique appelée le marouflage. Une hérésie pour l’artis- te : « On ne sait rien sur ces bâ- ches. Ni où elles sont faites, ni par qui. Moi, je suis biterrois, je propo- sais un vrai travail social avec les gens du quartier, les écoles de Bé- ziers sur l’histoire de la ville, sur mon art... Tout cela a disparu avec cette société. » Si un pan de son pro- jet s’est évaporé, en revanche le peintre reconnaît son projet, sa création artistique dans la réalisa- tion que la société iséroise affiche désormais sur les murs de la ville, et qui se base, selon lui, sur ses pro- pres maquettes remises à la Ville. L’Arlésienne à l’angle des Allées et de la rue Boeïldieu ou le Jean Mou- lin (écharpe rouge autour du cou et derrière une fenêtre) de la rue Mai- ran figuraient sur le projet initial présenté par Jean Pierson. « À tel point que des Biterrois sont convaincus que je suis l’auteur de ces fresques », s’insurge-t-il. L’artiste décide donc d’attaquer en justice. Son avocat, Me Stanley Clais- se, retient plusieurs points : « Le do- cument même de l’appel d’offres qui présente le parcours de fres- ques est à l’évidence une reprise du travail que mon client a proposé dès 2014 et fourni à la mairie de Béziers le 26 mai 2015. C’est donc une contrefaçon. Pour mener à bien ce projet, il a effectué un repé- rage minutieux des façades suscep- tibles d’accueillir les fresques. D’ailleurs, les deux fresques réali- sées depuis par la commune de Bé- ziers reprennent les personnages, les thématiques créées par Jean Pierson, et la deuxième fresque a été réalisée sur une façade repérée par mon client. Son œuvre est donc utilisée sans son accord et au mé- pris de ses droits. » Une vision que, évidemment, ne par- tage pas du tout Robert Ménard (li- re ci-dessous). La justice se penche- ra sur le dossier le 25 avril, si aucun renvoi n’est demandé d’ici là. ARNAUD GAUTHIER A.FRESCO La société s’explique A.Fresco est une société iséroise. Son patron, Patrick Commecy, nous a expliqué sa méthode de travail depuis l’étranger où il est en voyage : « Le contenu des fresques est de notre initiative, dans le cadre posé par l’appel d’offres. A.Fresco propose contenu et maquette, par exemple pour l’Arlésienne, avec une mise en scène dans un trompe l’œil architectural reprenant les caractéristiques haussmanniennes des immeubles biterrois. » Quant à la réalisation des toiles, le patron est catégorique : « Elles sont peintes dans notre atelier d’Eyzin-Pinet (Isère), en peintures acryliques bâtiment, par mes soins, assisté de peintres muralistes dont le nombre et la spécialité dépendent de la taille, du motif, de la complexité de la fresque, ainsi que du délai imposé. » Ménard : «Un parcours de fresques n’a rien d’original» Contacté au sujet de la procédure judiciaire engagée par Jean Pierson contre la Ville de Béziers, le maire, Robert Ménard, a réagi d’abord avec une légère ironie: « Cette personne est venue présenter un parcours de fresques mais je ne vois pas trop où est l’originalité! De tels parcours, il y en a dans toutes les villes de France!» Avant d’asseoir son argumentaire en trois points: « Je n’engage pas la commune sur un chantier de plusieurs années comme ça. Je l’ai fait dans le cadre strict de l’appel d’offres (mais pas obligatoire dans ce cas, NDLR). Ensuite, la société qui a remporté l’appel d’offres réalise tout de A à Z et était deux fois moins chère que M. Pierson. Enfin, d’un point de vue esthétique, je crois que les Biterrois peuvent juger par eux-mêmes. Entre la fresque réalisée au Faubourg par M. Pierson et les nouvelles, comme celle de L’Arlésienne sur les Allées, il n’y a pas photo.» Des propos sans concession. La méthode pour faire taire les critiques qui reprochent à Robert Ménard d’affirmer « vouloir donner la priorité aux Biterrois » mais d’en rester aux déclarations. Le premier magistrat y répond : « Je le fais mais dans le respect des règles des marchés publics et pas à n’importe quel prix. » Les réalisations d’A.Fresco vont en tout cas se poursuivre puisqu’après L’Arlésienne des Allées, le Jean Moulin de la place Lavabre et la fresque de la place des Casernes, deux autres œuvres vont être posées : une en l’honneur d’Injalbert place des Bons-Amis... et une en clin d’œil à la pièce de Molière Le dépit amoureux, avenue Mas. Une fresque qui était aussi dans le projet que Jean Pierson a présenté à Robert Ménard. L’artiste qui estime qu’on lui a sucré ses fresques Litige ❘ Les trompe-l’œil se multiplient en ville. Un artiste biterrois revendique la paternité du projet. ■ Jean Pierson se sent floué par la Ville de Béziers et a décidé d’attaquer en justice. PIERRE SALIBA MidiLibre midilibre.fr VENDREDI 15 AVRIL 2016 3O2--- ■ Béziers