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LE FOOTBALL COMME FACTEUR D’INTEGRATION
ET D’UNITE AU CAMEROUN
Présenté par Claude KANA
Docteur en Droit International Economique de l’Université de Genève
Diplômé (DEF) de l’Association Suisse de Football et Entraîneur de l’AS. OKAPI et du
FC. BOVERESSES Junior
Débat organisé par la CAMSA à l’occasion de la 36e fête nationale de l'unité du
Cameroun
1
INTRODUCTION
Il est difficile de déterminer avec exactitude à quelle époque remontent les premières compétitions
sportives. A en croire les historiens, elles remonteraient à la Grèce Antique. Périodiquement, les
athlètes se réunissaient sur le Mont Olympe pour rivaliser dans des disciplines comme la lutte, le lancer
de disque et de javelot, le saut en hauteur et en longueur, les courses de fond et de vitesse... Selon le
baron Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux Olympiques de l’ère moderne, « les jeux olympiques
antiques constituaient une puissante source d’inspiration. La description faite dans les extraits des
poèmes d’Homère, l’Iliade et l’Odyssée donne une idée du lien entre les performances sportives de
l’élite des guerriers et la célébration du sport en temps que partie intégrante de la culture hellénique ».
Homère met en évidence l’importance accordée au développement de l’esprit et du corps fondé sur les
valeurs morales et intellectuelles. A cette époque, la pratique du sport a pour vertu principale la
préservation d’un esprit saint dans un corps saint. Comme le fait remarquer McNTOSH « Il ne fait
aucun doute que le sport était noble à l’époque des héros homériques ». Malheureusement, ces valeurs
vont peu à peu disparaître pour que l’enjeu finisse par prendre le pas sur le jeu. Désormais, les
compétiteurs sont prêts à tout pour remporter des victoires. Les régimes politiques en mal de légitimité
vont très vite comprendre ce que représente le sport dans le détournement et l’instrumentalisation des
victoires à des fins politiques.
Le Cameroun, bien qu’il soit, en tant qu’entité Etatique indépendante relativement jeune (indépendant
depuis 48 ans seulement), n’est pas resté longtemps en dehors de cette logique. Très tôt, le régime
d’Ahmadou AHIDJO a compris quel rôle pouvait jouer le sport et plus particulièrement le football dans la
mobilisation des masses et la préservation de l’unité nationale. A la suite du Canon, du Tonnerre et de
l’Union de Douala qui se sont très tôt imposés dans les compétitions africaines, il a entamé la
construction d’une équipe nationale à la dimension du dynamisme et de la vitalité de la jeunesse
camerounaise. C’est dans cette optique qu’a été organisée la Coupe d’Afrique des Nations de 1972 au
Cameroun, qui bien que s’étant achevée sur une élimination en demi-finale, a constitué le
soubassement de la légende qui a sauté aux yeux du monde durant l’été 90. Et pour comprendre
comment aujourd’hui, le football, mieux que la tribu, mieux que la religion et mieux que les partis reste
le seul facteur d’unité, nous remonterons à la genèse même de l’instrumentalisation du sport par les
politiques, en essayant de comprendre comment s’est construit le mythe « Lions Indomptables ».
1 – L’INSTRUMENTALISATION PAR LES REGIMES EN MAL DE LEGITIMITE
A partir des années 1930 et sous l’impulsion des régimes totalitaires, la fonction du sport et des
compétitions internationales a fondamentalement changé. Les activités physiques sont alors mises au
service de la cause nationale. Cette instrumentalisation du sport vise à atteindre le paroxysme des
Etats totalitaires. Le fascisme italien a inauguré cette pratique en exploitant politiquement, à outrance le
football. Comme le rappelle Ignacio RAMONET, les fascistes ont pensé que le football permettait de
rassembler dans « un espace propice à la mise en scène, des foules considérables; d’exercer sur
celles-ci une forte pression et d’entretenir les pulsions nationalistes des masses ». Dans les années 20
et 30, les stades fleurissent dans toute l’Italie, comme celui de Turin qui fut nommé Benito MUSSOLINI.
HITLER avait compris l’intérêt que pouvait représenter le sport dans la mobilisation des masses, la
culture du chauvinisme et l’orientation de l’action politique. Il écrivait dans Mein kampf : « des millions
de corps entraînés au sport, imprégnés d’amour pour la patrie et remplis d’esprit offensif pourraient se
transformer, en l’espace de deux ans, en une armée ». Les conservateurs attendent cette victoire
inespérée pour montrer la puissance de leur idéologie. Funk, un assistant de Goebbels déclarait :
« Les jeux sont une occasion de propagande qui n’a jamais connu d’équivalent dans l’histoire du
2
monde ». Après la Seconde guerre mondiale, la défaite du fascisme et du nazisme n’entérine pas la fin
de l’instrumentalisation du sport. Eric Honecker (secrétaire général du Parti communiste de la RDA)
déclarait : « Le sport n’est pas un but en soi; il est un moyen d’atteindre d’autres buts. Le sport sert de
caisse de résonance au pouvoir en place, et permet d’accéder à une reconnaissance internationale. La
croissante médiatisation du sport a favorisé sa politisation ».
Les pays du bloc soviétique avaient aussi saisi l’enjeu des victoires sportives. Ils se donnèrent les
moyens de réussir, et toute une partie de la jeunesse fut embrigadée dans les bataillons d’athlètes qui
servirent la propagande. Les régimes staliniens comme le souligne Ignacio RAMONET n’hésiteront pas
« à se livrer aux pires pratiques de sélection, de dressage, de conditionnement et de dopage pour
fabriquer des champions et en faire les porte-drapeaux de leur politique ». Désormais, les athlètes
courent, rament et luttent pour affirmer la vigueur et la puissance de leur peuple.
2 – LE CAS DU CAMEROUN : LA CONSTRUCTION DU MYTHE « LIONS INDOMPTABLES »
La Fédération camerounaise de football est fondée en 1959. Le premier match du Cameroun
indépendant se déroula le 13 avril 1960, contre la Somalie. Ce match est historique, puisqu’il s’agit en
même temps du premier match et de la plus large victoire des Camerounais, sur le score de 9 buts à 2.
La FECAFOOT est affiliée à la FIFA depuis 1962 et est membre de la CAF depuis 1963. Pour sa
première participation à la Coupe d‘Afrique des Nations en 1970, le Cameroun est éliminé au premier
tour. Se servant de cette première expérience, il créa la sensation, en 1972 en terminant troisième.
L'équipe du Cameroun fait parler d'elle pour la première fois, sur le plan international en se qualifiant
pour la Coupe du monde 82 en Espagne. Coaché par le français Jean Vincent, il terminera le premier
tour invaincu, mais éliminé après trois matches nuls contre le Pérou, la Pologne et l'Italie, futur
vainqueur de l'épreuve.
Deux ans plus tard, il remporte sa première Coupe d'Afrique des Nations, en battant le Nigéria en finale
3-1, à Abidjan. Après la finale perdue à la CAN en 1986, les Lions Indomptables remportèrent la Coupe
d'Afrique des Nations en 1988 avec comme entraîneur, Claude Le Roy. Le Cameroun participe à sa
deuxième Coupe du monde en 1990, en Italie. Les Lions, entraînés par le russe Valery Nepomniachi,
vont causer une des plus grosses surprises de l'histoire de la Coupe du monde en s'imposant, à 9
contre 11, lors du match d'ouverture contre le tenant du titre, l'Argentine de Diego Maradona. Après une
deuxième victoire obtenue contre la Roumanie, ils se qualifient pour les huitièmes de finale, où ils
battent la Colombie. À cette occasion, Roger Milla, 38 ans, inscrit 2 nouveaux buts. Le Cameroun
devient le premier pays africain à atteindre les quarts de finale d'une Coupe du monde. Au Stade San
Paolo de Naples, ils sont éliminés de justesse par l'Angleterre le 1er
juillet 1990 (2-3 après prolongations
après avoir mené 2-1). De là, s'est construit le mythe des Lions Indomptables.
Malheureusement, cette formidable campagne ne sera pas capitalisée. Les infrastructures continuent
de tomber en ruine. La cacophonie et l’improvisation qui règnent dans la gestion font causer un
passage à vide qui durera jusqu’en 2000. 2000 sonne un réveil brutal sur l'Afrique et le Monde. Les
Lions indomptables obtiennent leur consécration internationale avec une médaille d'or, aux Jeux
Olympiques de Sydney 2000. Après avoir battu le Brésil en quart de finale, à 9 contre 11, les Lions,
emmenés par Patrick M'Boma et un jeune attaquant de 19 ans Samuel Eto'o, s'imposent en finale
contre l'Espagne aux tirs au but. L’équipe A remporte la CAN en 2000, aux tirs aux buts, contre le pays
organisateur, le Nigéria et réussi au Stade de France un match mémorable avec un but anthologique de
Patrick Mboma. En 2002, ils remportent une deuxième fois de suite la CAN, avec zéro but encaissé, et
se qualifient pour la Coupe du Monde 2002. L’équipe, gérée par le ministre Bidoung montre une face
honteuse au monde à travers les grèves, les primes non payées et un voyage entre Paris et Tokyo qui
durera 4 jours. En 2003, le Cameroun est endeuillé par la mort en plein match de Marc-Vivien Foé,
3
contre la Colombie, alors qu’il est la première équipe africaine à etteindre la finale de la Coupe des
Confédérations.
3 - L’EVOLUTION DE LA PLACE DU FOOTBALL DANS LA SOCIETE CAMEROUNAISE
Le football est indissociable de la politique au Cameroun, et ce depuis l'époque coloniale. Si on essaie
de relire l'histoire du Cameroun des années 1950 à 1960, on constate que c'est l'époque où le
nationalisme camerounais gagne du terrain. Le sport devient une tribune qui va permettre aux
nationalistes de rendre public leur programme politique. Contrairement à ce que pensent nombre de
camerounais, l'instrumentalisation du sport au Cameroun par le politique ne date pas d'aujourd'hui.
Malgré la misère ambiante, la baisse croissante du pouvoir d’achat depuis la dévaluation du franc CFA
en 1992, la flambée des prix des produits de première nécessité et l’exacerbation du tribalisme comme
mode de gestion par l’Etat-RDPC, le football réveille les accents patriotiques. Tous les pouvoirs publics
sont mobilisés1
, la nation entière doit être rangée comme un seul homme derrière l’équipe nationale de
football. Débats populaires houleux, pressions présidentielles, incidents politiques émaillent la
controverse passionnante que retrace la gestion des Lions. L’enjeu se concentre ainsi sur la lutte qui
oppose la fédération camerounaise de football, partisane d’une indépendance dans la gestion du
football, au ministère des sports, fer de lance du mouvement de la mainmise de l’Etat sur la
récupération politique et financière des victoires. Parallèlement, l’indignation est grande auprès des
opposants, déterminés à se saisir de l’occasion pour marquer avec force leur rejet de la politique
nauséabonde de Biya.
Le sport et plus particulièrement le football est le creuset de l'unité nationale et par conséquent très
important au regard de la montée grandissante du tribalisme au Cameroun. Les succès des Lions
indomptables leur ont valu une certaine notoriété sur la scène internationale. En Europe par exemple on
ne connaît le Cameroun que grâce à cette équipe. Ce qu’elle a apporté au Cameroun depuis la Coupe
du Monde 1982 en terme d’image, la diplomatie, depuis l’indépendance n’a pas pu et ne pourra pas le
réussir. Il est donc plus intéressant de prendre les lions comme un modèle d'unité, de courage et
d'abnégation pour la jeunesse Camerounaise.
Sur le plan politique, la relative sérénité qui caractérisait la scène camerounaise a été ébranlée depuis
les fameux vents d’Est du début des années 90, qui ont emporté le monopartisme avec eux. Pour faire
face aux assauts de l’opposition et au désir d’alternance, le RDPC a inventé l’arme tribale qui consiste à
se blottir derrière l’argument tribal dès la moindre difficulté. Et depuis lors, le football et plus
particulièrement les Lions Indomptables rentent le seul facteur qui unit encore tous les Camerounais. A
ce titre, ils sont régulièrement pris pour modèle.
Plusieurs exemples viennent confirmer cet état des faits :
- En 1994 lorsque les Lions se qualifient pour la Coupe du Monde aux Etats-Unis, le
gouvernement, sous la conduite du Premier Ministre Achidi ACHU initie une quête gigantesque
sur le plan national baptisée « OPERATION COUP DE CŒUR ». Malgré le fait que le peuple
avait déjà perdu toute confiance en ce gouvernement depuis, dans un élan formidable, il a tout
de même cotisé un montant total de plus d’un milliard. Personne ne saura jamais comment il a
été dépensé.
1
Une réunion ad hoc du premier ministre a été tenue pour interdire la coupure d’électricité durant la coupe
africaine des nations, qui se déroulait au Ghana en janvier 2008, la première dame a envoyé un charter de
nourriture à l’équipe nationale....etc.
4
- En 1990, lors du match des 8e
de finale de la Coupe du Monde contre la Colombie, à cause
d’une coupure d’électricité les populations de Bamenda n’ont pas pu regarder le match. La
leçon de cet incident c’est le fait que les leaders secessionites ont expliqué que le pouvoir les a
privés du match parce qu’il ne les considère pas comme camerounais à part entière.
- Le 31 octobre 1992 à Yaoundé le match Canon-Racing, considéré comme le 2e
tour des
présidentielles, avec une atmosphère à couper au couteau est le théâtre d’incidents tribalistes.
- La mort de Marc-Vivien FOE en 2003 lors de la demi-finale de la Coupe des confédérations en
France a aussi été une démonstration de l’attachement de tous les camerounais à leur équipe
nationale. Définitivement, on a compris, si on en doutait encore que le football était au dessus
des partis, des religions et des ethnies.
- Lorsque le Canon des ABEGA, MBIDA et AOUDOU a remporté la Coupe d’Afrique des Clubs
Champions contre AS Bilima, tous les joueurs ont été reçus et bénis dans une église
catholique, musulmans y compris.
MAKÉNÉNÉ2
est une preuve de ce paradoxe. Cette ville a été maintes fois le théâtre de conflits ouverts
avec mort d’hommes et pour cause : Chacun se dit être chez soi et tous les autres étrangers, sur la
base des termes honteux d’autochtones et allogènes intégrés dans la nouvelle constitution de 1996.
Interrogés sur autant d’antipathie, les uns et les autres se rejettent les responsabilités.
Un jeune de MAKÉNÉNÉ estime, à propos des autres: " Ce ne sont pas nos frères, ils ne disent pas
que nous sommes des étrangers ? Nous voulons leur montrer qu’ils sont incapables de nous faire quoi
que ce soit ici même si c’est chez eux. "
Toutefois quand les lions Indomptables jouent, tout le Cameroun fait corps avec son équipe; c’est une
vérité de Lapalisse que de dire que le sport est un facteur d’intégration nationale qui plus est au sein de
la jeunesse. Cette attitude se remarque donc depuis le tréfonds local avec le cas de MAKÉNÉNÉ.
Grâce au football, nos différences créent l’harmonie. Les uns et les autres oublient les querelles tribales
pour se concentrer sur les Lions Indomptables qui favorisent à l’occasion l’intégration au sein des
populations en général. Toutefois, il est déplorable de constater que, quand ces activités s’éloignent, le
climat revient à la normale comme le cas de MAKÉNÉNÉ. D’où vient-il donc que des jeunes puissent
être aussi ignominieux, qu’ils n’acceptent pas ceux avec qui ils partagent la passion du foot ?
Les politiciens véreux qui nous gouvernent ayant perdu toutes les bataille (économique, idéologique)
qui pouvaient les lier au peuple, sont allés chercher l´arme du désespoir qu´est le favoritisme teinté de
tribalisme. Ceci leur a permis de récupérer, (du moins momentanément) une partie du peuple qu´ils
avaient perdue, lui donnant une raison d´être pour enfoncer le pays encore plus profondément dans des
maux tels que la pauvreté, la corruption, la criminalité, et autres écarts sociaux culturels comme l
´homosexualité, la prostitution, la montée effervescente des MST et l´exode massif des populations.
Aujourd´hui nous en sommes a un point ou les Camerounais ont pour unique valeur commune les Lions
Indomptables, c´est dangereux mais c´est un acquis pour le moment, c´est une preuve que nous
pouvons faire des choses ensemble si nous voulons. C´est une preuve qu´il existe un potentiel humain
exploitable et prêt a batailler car ces lions sortent comme de nulle part. Dans leur pays il n´y a même
pas un stade de foot normal, ils sont mal payés, ils passent des mois sans entraîneur, pourtant ils
reviennent toujours et essayent avec le maximum d´énergie de défendre des couleurs nationales. En
définitive, les Camerounais ne sont pas foncièrement tribalistes, ils sont manipulés par ces politiques.
2
Ville située à cheval entre les provinces du centre et de l’Ouest Cameroun.
5
Heureusement, les institutions humaines, qu’elles soient politiques, économiques, sociales ou sportives,
sont appelées à changer, à évoluer indépendamment du niveau de maturation des peuples assujettis.
Chaque peuple doit s’affirmer dans le concert des nations, et le football en est l’un des grands moyens,
au-delà d’autres facteurs tels que : l’économie, la technologie ou la politique, etc.
Entretien avec André KANA BIYIK
Réalisé par Jean-Baptiste ONANA pour Outre-Terre (Revue française de géopolitique, 2004).
Outre-Terre : Avez-vous, à l’époque où vous étiez en activité, constaté des pratiques inspirées de
près ou de loin par le tribalisme ou le régionalisme ? Avez-vous vous-même souffert de
semblables pratiques ?
A.K.B. : Bien sûr que cela existait. Quand j’évoluais au Cameroun dans les années 1980, toutes les
équipes pratiquaient ouvertement la préférence ethnique et régionale. Concrètement, cela signifiait
qu’une majorité des effectifs de joueurs devait absolument appartenir à une ethnie donnée,
subsidiairement à une région donnée. Je n’en ai pas souffert à titre personnel : après avoir quitté les
deux clubs où j’avais été formé en région bassa, ma région d’origine, j’ai eu le bonheur de jouer dans
deux des meilleures formations de notre championnat, l’Union sportive de Douala, majoritairement
bamiléké, et le Diamant de Yaoundé, un peu plus cosmopolite mais dominé par l’ethnie béti.
En sélection nationale, il était fréquent que les hautes autorités sportives, voire politiques, exercent des
pressions sur l’entraîneur pour imposer tel ou tel joueur à cause de son appartenance ethnique et au
mépris de la valeur sportive. Ce qui fut notamment le cas alors que le sélectionneur français Claude
Leroy présidait aux destinées des Lions indomptables. On lui reprocha de faire la part belle aux joueurs
bassas. Or, ceux-ci devaient leur présence dans la sélection à leurs seules performances sportives.
Fallait-il les sacrifier sur l’autel d’un équilibre ethnique au sein de l’équipe ? Il y avait, outre les pressions
des dirigeants, celles du public.
Pour résumer : chaque ethnie et chaque région voulaient être représentées dans la sélection nationale.
C’était une question d’honneur et de fierté. Alors qu’en sport, l’une des premières exigences, c’est
d’aligner les meilleurs sur le terrain.
Outre-Terre : Et la situation actuelle ? A-t-elle évolué dans un sens favorable ou au contraire
empiré ?
A.K.B. : Elle a évolué dans le bon sens. Aujourd’hui, les clubs camerounais font passer les résultats et
les performances avant les considérations ethniques et régionalistes. Les recrutements s’effectuent en
conséquence, avec le souci de composer l’équipe la plus compétitive possible. Les équipes du Nord et
de l’Ouest peuvent ne pas aller au-delà de 10 % de joueurs originaires des régions concernées. Il est
même devenu fréquent que le capitanat soit confié à un joueur issu d’une ethnie extérieure. Mais la
mentalité des supporters, elle aussi, a évolué. Le fanatisme ethnique a reculé ; au point qu’un Bamiléké
de l’Ouest ou un Haoussa du Nord peut être fan d’un club du Centre ou du Littoral, par amour du sport
et du beau jeu. En somme, il est difficile aujourd’hui de coller une étiquette ethnique à un club quel qu’il
soit et quand bien même une ethnie y serait prédominante.
Outre-Terre : Le football serait donc un facteur d’unification au Cameroun ?
A.K.B. : Absolument ! Davantage encore que dans le cas des clubs, cela se voit avec l’équipe
nationale. L’attachement des Camerounais aux Lions indomptables est indéfectible. Il transcende les
6
considérations ethniques et tribales et fédère au-delà des régions et des provinces. Il pacifie et
réconcilie, le temps d’une compétition, quelque 250 ethnies avec autant de dialectes dans un pays où
l’unité nationale a toujours été mise à mal. Quel joli pied de nez aux politiques qui ont souvent joué de
cette mosaïque ethnique et linguistique pour diviser les Camerounais au lieu de les unir !
Outre-Terre : Mais l’unité du pays ne saurait être d’ordre conjoncturel et varier en fonction des
prestations, aussi probantes qu’elles soient, de l’équipe nationale !
A.K.B. : C’est aussi mon avis. Les Camerounais ont besoin de se retrouver et de vivre ensemble dans
la permanence. Indépendamment des prestations et des exploits de leur équipe nationale. Par ailleurs,
si le sport contribue à l’unité nationale, il ne saurait en être l’unique, ni même le principal vecteur. Il doit
seulement avoir valeur d’exemple, valeur pédagogique, pour ceux qui nous gouvernent. À eux de s’en
inspirer de façon à ce que les Camerounais vivent leur unité dans la permanence, par-delà leurs
différences et leurs particularismes. À quoi servirait de nous mobiliser un jour pour notre équipe
nationale si c’est pour nous combattre le lendemain, quelle qu’en soit la raison ?
Outre-Terre : Comment voyez-vous l’avenir du sport camerounais, et en particulier du football ?
A.K.B. : Je veux être optimiste et croire au rayonnement croissant du sport camerounais sur la scène
internationale. Débarrassé du carcan ethnique, il conserve, malgré la faiblesse de ses moyens, une
bonne marge de progression. En particulier, le football devrait pouvoir bénéficier de l’apport de nos
joueurs expatriés aux quatre coins du monde. Nos centres de formation, quoique insuffisants en
nombre, sont performants, au point qu’on peut parler aujourd’hui, en la matière, d’école camerounaise.
Force est cependant de constater que les récentes performances des Lions indomptables, sortis
prématurément de la dernière édition de la Coupe d’Afrique des nations en Tunisie, suscitent quelques
inquiétudes. Tout se passe comme si nos footballeurs avaient décidé de se reposer sur leurs lauriers
après nous avoir gratifiés de belles victoires au cours de la décennie précédente. Par ailleurs, je
m’inquiète d’une corruption grandissante dans le sport camerounais, soit de la principale hypothèque, à
mes yeux, dans l’avenir immédiat.
Source : http://www.cairn.info/revue-outre-terre-2004-3-page-65.htm
BIBLIOGRAPHIE
Elias MBENGALACK, La gouvernementalité du sport en Afrique : le sport et le politique au Cameroun,
Lausanne, Centre d’études et de recherches olympiques, 1995.
Antoine SOCPA, Démocratisation et autochtonie au Cameroun ; trajectoires régionales différentes
Publié 2003 LIT Verlag Berlin-Hamburg-Münster.
Marie-Louise ETEKI-OTABELA, Le totalitarisme des Etats africains, le cas du Cameroun, Publié 2001,
aux Editions L'Harmattan
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Le football comme facteur d'intégration et d'unité au Cameroun

  • 1. LE FOOTBALL COMME FACTEUR D’INTEGRATION ET D’UNITE AU CAMEROUN Présenté par Claude KANA Docteur en Droit International Economique de l’Université de Genève Diplômé (DEF) de l’Association Suisse de Football et Entraîneur de l’AS. OKAPI et du FC. BOVERESSES Junior Débat organisé par la CAMSA à l’occasion de la 36e fête nationale de l'unité du Cameroun 1
  • 2. INTRODUCTION Il est difficile de déterminer avec exactitude à quelle époque remontent les premières compétitions sportives. A en croire les historiens, elles remonteraient à la Grèce Antique. Périodiquement, les athlètes se réunissaient sur le Mont Olympe pour rivaliser dans des disciplines comme la lutte, le lancer de disque et de javelot, le saut en hauteur et en longueur, les courses de fond et de vitesse... Selon le baron Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux Olympiques de l’ère moderne, « les jeux olympiques antiques constituaient une puissante source d’inspiration. La description faite dans les extraits des poèmes d’Homère, l’Iliade et l’Odyssée donne une idée du lien entre les performances sportives de l’élite des guerriers et la célébration du sport en temps que partie intégrante de la culture hellénique ». Homère met en évidence l’importance accordée au développement de l’esprit et du corps fondé sur les valeurs morales et intellectuelles. A cette époque, la pratique du sport a pour vertu principale la préservation d’un esprit saint dans un corps saint. Comme le fait remarquer McNTOSH « Il ne fait aucun doute que le sport était noble à l’époque des héros homériques ». Malheureusement, ces valeurs vont peu à peu disparaître pour que l’enjeu finisse par prendre le pas sur le jeu. Désormais, les compétiteurs sont prêts à tout pour remporter des victoires. Les régimes politiques en mal de légitimité vont très vite comprendre ce que représente le sport dans le détournement et l’instrumentalisation des victoires à des fins politiques. Le Cameroun, bien qu’il soit, en tant qu’entité Etatique indépendante relativement jeune (indépendant depuis 48 ans seulement), n’est pas resté longtemps en dehors de cette logique. Très tôt, le régime d’Ahmadou AHIDJO a compris quel rôle pouvait jouer le sport et plus particulièrement le football dans la mobilisation des masses et la préservation de l’unité nationale. A la suite du Canon, du Tonnerre et de l’Union de Douala qui se sont très tôt imposés dans les compétitions africaines, il a entamé la construction d’une équipe nationale à la dimension du dynamisme et de la vitalité de la jeunesse camerounaise. C’est dans cette optique qu’a été organisée la Coupe d’Afrique des Nations de 1972 au Cameroun, qui bien que s’étant achevée sur une élimination en demi-finale, a constitué le soubassement de la légende qui a sauté aux yeux du monde durant l’été 90. Et pour comprendre comment aujourd’hui, le football, mieux que la tribu, mieux que la religion et mieux que les partis reste le seul facteur d’unité, nous remonterons à la genèse même de l’instrumentalisation du sport par les politiques, en essayant de comprendre comment s’est construit le mythe « Lions Indomptables ». 1 – L’INSTRUMENTALISATION PAR LES REGIMES EN MAL DE LEGITIMITE A partir des années 1930 et sous l’impulsion des régimes totalitaires, la fonction du sport et des compétitions internationales a fondamentalement changé. Les activités physiques sont alors mises au service de la cause nationale. Cette instrumentalisation du sport vise à atteindre le paroxysme des Etats totalitaires. Le fascisme italien a inauguré cette pratique en exploitant politiquement, à outrance le football. Comme le rappelle Ignacio RAMONET, les fascistes ont pensé que le football permettait de rassembler dans « un espace propice à la mise en scène, des foules considérables; d’exercer sur celles-ci une forte pression et d’entretenir les pulsions nationalistes des masses ». Dans les années 20 et 30, les stades fleurissent dans toute l’Italie, comme celui de Turin qui fut nommé Benito MUSSOLINI. HITLER avait compris l’intérêt que pouvait représenter le sport dans la mobilisation des masses, la culture du chauvinisme et l’orientation de l’action politique. Il écrivait dans Mein kampf : « des millions de corps entraînés au sport, imprégnés d’amour pour la patrie et remplis d’esprit offensif pourraient se transformer, en l’espace de deux ans, en une armée ». Les conservateurs attendent cette victoire inespérée pour montrer la puissance de leur idéologie. Funk, un assistant de Goebbels déclarait : « Les jeux sont une occasion de propagande qui n’a jamais connu d’équivalent dans l’histoire du 2
  • 3. monde ». Après la Seconde guerre mondiale, la défaite du fascisme et du nazisme n’entérine pas la fin de l’instrumentalisation du sport. Eric Honecker (secrétaire général du Parti communiste de la RDA) déclarait : « Le sport n’est pas un but en soi; il est un moyen d’atteindre d’autres buts. Le sport sert de caisse de résonance au pouvoir en place, et permet d’accéder à une reconnaissance internationale. La croissante médiatisation du sport a favorisé sa politisation ». Les pays du bloc soviétique avaient aussi saisi l’enjeu des victoires sportives. Ils se donnèrent les moyens de réussir, et toute une partie de la jeunesse fut embrigadée dans les bataillons d’athlètes qui servirent la propagande. Les régimes staliniens comme le souligne Ignacio RAMONET n’hésiteront pas « à se livrer aux pires pratiques de sélection, de dressage, de conditionnement et de dopage pour fabriquer des champions et en faire les porte-drapeaux de leur politique ». Désormais, les athlètes courent, rament et luttent pour affirmer la vigueur et la puissance de leur peuple. 2 – LE CAS DU CAMEROUN : LA CONSTRUCTION DU MYTHE « LIONS INDOMPTABLES » La Fédération camerounaise de football est fondée en 1959. Le premier match du Cameroun indépendant se déroula le 13 avril 1960, contre la Somalie. Ce match est historique, puisqu’il s’agit en même temps du premier match et de la plus large victoire des Camerounais, sur le score de 9 buts à 2. La FECAFOOT est affiliée à la FIFA depuis 1962 et est membre de la CAF depuis 1963. Pour sa première participation à la Coupe d‘Afrique des Nations en 1970, le Cameroun est éliminé au premier tour. Se servant de cette première expérience, il créa la sensation, en 1972 en terminant troisième. L'équipe du Cameroun fait parler d'elle pour la première fois, sur le plan international en se qualifiant pour la Coupe du monde 82 en Espagne. Coaché par le français Jean Vincent, il terminera le premier tour invaincu, mais éliminé après trois matches nuls contre le Pérou, la Pologne et l'Italie, futur vainqueur de l'épreuve. Deux ans plus tard, il remporte sa première Coupe d'Afrique des Nations, en battant le Nigéria en finale 3-1, à Abidjan. Après la finale perdue à la CAN en 1986, les Lions Indomptables remportèrent la Coupe d'Afrique des Nations en 1988 avec comme entraîneur, Claude Le Roy. Le Cameroun participe à sa deuxième Coupe du monde en 1990, en Italie. Les Lions, entraînés par le russe Valery Nepomniachi, vont causer une des plus grosses surprises de l'histoire de la Coupe du monde en s'imposant, à 9 contre 11, lors du match d'ouverture contre le tenant du titre, l'Argentine de Diego Maradona. Après une deuxième victoire obtenue contre la Roumanie, ils se qualifient pour les huitièmes de finale, où ils battent la Colombie. À cette occasion, Roger Milla, 38 ans, inscrit 2 nouveaux buts. Le Cameroun devient le premier pays africain à atteindre les quarts de finale d'une Coupe du monde. Au Stade San Paolo de Naples, ils sont éliminés de justesse par l'Angleterre le 1er juillet 1990 (2-3 après prolongations après avoir mené 2-1). De là, s'est construit le mythe des Lions Indomptables. Malheureusement, cette formidable campagne ne sera pas capitalisée. Les infrastructures continuent de tomber en ruine. La cacophonie et l’improvisation qui règnent dans la gestion font causer un passage à vide qui durera jusqu’en 2000. 2000 sonne un réveil brutal sur l'Afrique et le Monde. Les Lions indomptables obtiennent leur consécration internationale avec une médaille d'or, aux Jeux Olympiques de Sydney 2000. Après avoir battu le Brésil en quart de finale, à 9 contre 11, les Lions, emmenés par Patrick M'Boma et un jeune attaquant de 19 ans Samuel Eto'o, s'imposent en finale contre l'Espagne aux tirs au but. L’équipe A remporte la CAN en 2000, aux tirs aux buts, contre le pays organisateur, le Nigéria et réussi au Stade de France un match mémorable avec un but anthologique de Patrick Mboma. En 2002, ils remportent une deuxième fois de suite la CAN, avec zéro but encaissé, et se qualifient pour la Coupe du Monde 2002. L’équipe, gérée par le ministre Bidoung montre une face honteuse au monde à travers les grèves, les primes non payées et un voyage entre Paris et Tokyo qui durera 4 jours. En 2003, le Cameroun est endeuillé par la mort en plein match de Marc-Vivien Foé, 3
  • 4. contre la Colombie, alors qu’il est la première équipe africaine à etteindre la finale de la Coupe des Confédérations. 3 - L’EVOLUTION DE LA PLACE DU FOOTBALL DANS LA SOCIETE CAMEROUNAISE Le football est indissociable de la politique au Cameroun, et ce depuis l'époque coloniale. Si on essaie de relire l'histoire du Cameroun des années 1950 à 1960, on constate que c'est l'époque où le nationalisme camerounais gagne du terrain. Le sport devient une tribune qui va permettre aux nationalistes de rendre public leur programme politique. Contrairement à ce que pensent nombre de camerounais, l'instrumentalisation du sport au Cameroun par le politique ne date pas d'aujourd'hui. Malgré la misère ambiante, la baisse croissante du pouvoir d’achat depuis la dévaluation du franc CFA en 1992, la flambée des prix des produits de première nécessité et l’exacerbation du tribalisme comme mode de gestion par l’Etat-RDPC, le football réveille les accents patriotiques. Tous les pouvoirs publics sont mobilisés1 , la nation entière doit être rangée comme un seul homme derrière l’équipe nationale de football. Débats populaires houleux, pressions présidentielles, incidents politiques émaillent la controverse passionnante que retrace la gestion des Lions. L’enjeu se concentre ainsi sur la lutte qui oppose la fédération camerounaise de football, partisane d’une indépendance dans la gestion du football, au ministère des sports, fer de lance du mouvement de la mainmise de l’Etat sur la récupération politique et financière des victoires. Parallèlement, l’indignation est grande auprès des opposants, déterminés à se saisir de l’occasion pour marquer avec force leur rejet de la politique nauséabonde de Biya. Le sport et plus particulièrement le football est le creuset de l'unité nationale et par conséquent très important au regard de la montée grandissante du tribalisme au Cameroun. Les succès des Lions indomptables leur ont valu une certaine notoriété sur la scène internationale. En Europe par exemple on ne connaît le Cameroun que grâce à cette équipe. Ce qu’elle a apporté au Cameroun depuis la Coupe du Monde 1982 en terme d’image, la diplomatie, depuis l’indépendance n’a pas pu et ne pourra pas le réussir. Il est donc plus intéressant de prendre les lions comme un modèle d'unité, de courage et d'abnégation pour la jeunesse Camerounaise. Sur le plan politique, la relative sérénité qui caractérisait la scène camerounaise a été ébranlée depuis les fameux vents d’Est du début des années 90, qui ont emporté le monopartisme avec eux. Pour faire face aux assauts de l’opposition et au désir d’alternance, le RDPC a inventé l’arme tribale qui consiste à se blottir derrière l’argument tribal dès la moindre difficulté. Et depuis lors, le football et plus particulièrement les Lions Indomptables rentent le seul facteur qui unit encore tous les Camerounais. A ce titre, ils sont régulièrement pris pour modèle. Plusieurs exemples viennent confirmer cet état des faits : - En 1994 lorsque les Lions se qualifient pour la Coupe du Monde aux Etats-Unis, le gouvernement, sous la conduite du Premier Ministre Achidi ACHU initie une quête gigantesque sur le plan national baptisée « OPERATION COUP DE CŒUR ». Malgré le fait que le peuple avait déjà perdu toute confiance en ce gouvernement depuis, dans un élan formidable, il a tout de même cotisé un montant total de plus d’un milliard. Personne ne saura jamais comment il a été dépensé. 1 Une réunion ad hoc du premier ministre a été tenue pour interdire la coupure d’électricité durant la coupe africaine des nations, qui se déroulait au Ghana en janvier 2008, la première dame a envoyé un charter de nourriture à l’équipe nationale....etc. 4
  • 5. - En 1990, lors du match des 8e de finale de la Coupe du Monde contre la Colombie, à cause d’une coupure d’électricité les populations de Bamenda n’ont pas pu regarder le match. La leçon de cet incident c’est le fait que les leaders secessionites ont expliqué que le pouvoir les a privés du match parce qu’il ne les considère pas comme camerounais à part entière. - Le 31 octobre 1992 à Yaoundé le match Canon-Racing, considéré comme le 2e tour des présidentielles, avec une atmosphère à couper au couteau est le théâtre d’incidents tribalistes. - La mort de Marc-Vivien FOE en 2003 lors de la demi-finale de la Coupe des confédérations en France a aussi été une démonstration de l’attachement de tous les camerounais à leur équipe nationale. Définitivement, on a compris, si on en doutait encore que le football était au dessus des partis, des religions et des ethnies. - Lorsque le Canon des ABEGA, MBIDA et AOUDOU a remporté la Coupe d’Afrique des Clubs Champions contre AS Bilima, tous les joueurs ont été reçus et bénis dans une église catholique, musulmans y compris. MAKÉNÉNÉ2 est une preuve de ce paradoxe. Cette ville a été maintes fois le théâtre de conflits ouverts avec mort d’hommes et pour cause : Chacun se dit être chez soi et tous les autres étrangers, sur la base des termes honteux d’autochtones et allogènes intégrés dans la nouvelle constitution de 1996. Interrogés sur autant d’antipathie, les uns et les autres se rejettent les responsabilités. Un jeune de MAKÉNÉNÉ estime, à propos des autres: " Ce ne sont pas nos frères, ils ne disent pas que nous sommes des étrangers ? Nous voulons leur montrer qu’ils sont incapables de nous faire quoi que ce soit ici même si c’est chez eux. " Toutefois quand les lions Indomptables jouent, tout le Cameroun fait corps avec son équipe; c’est une vérité de Lapalisse que de dire que le sport est un facteur d’intégration nationale qui plus est au sein de la jeunesse. Cette attitude se remarque donc depuis le tréfonds local avec le cas de MAKÉNÉNÉ. Grâce au football, nos différences créent l’harmonie. Les uns et les autres oublient les querelles tribales pour se concentrer sur les Lions Indomptables qui favorisent à l’occasion l’intégration au sein des populations en général. Toutefois, il est déplorable de constater que, quand ces activités s’éloignent, le climat revient à la normale comme le cas de MAKÉNÉNÉ. D’où vient-il donc que des jeunes puissent être aussi ignominieux, qu’ils n’acceptent pas ceux avec qui ils partagent la passion du foot ? Les politiciens véreux qui nous gouvernent ayant perdu toutes les bataille (économique, idéologique) qui pouvaient les lier au peuple, sont allés chercher l´arme du désespoir qu´est le favoritisme teinté de tribalisme. Ceci leur a permis de récupérer, (du moins momentanément) une partie du peuple qu´ils avaient perdue, lui donnant une raison d´être pour enfoncer le pays encore plus profondément dans des maux tels que la pauvreté, la corruption, la criminalité, et autres écarts sociaux culturels comme l ´homosexualité, la prostitution, la montée effervescente des MST et l´exode massif des populations. Aujourd´hui nous en sommes a un point ou les Camerounais ont pour unique valeur commune les Lions Indomptables, c´est dangereux mais c´est un acquis pour le moment, c´est une preuve que nous pouvons faire des choses ensemble si nous voulons. C´est une preuve qu´il existe un potentiel humain exploitable et prêt a batailler car ces lions sortent comme de nulle part. Dans leur pays il n´y a même pas un stade de foot normal, ils sont mal payés, ils passent des mois sans entraîneur, pourtant ils reviennent toujours et essayent avec le maximum d´énergie de défendre des couleurs nationales. En définitive, les Camerounais ne sont pas foncièrement tribalistes, ils sont manipulés par ces politiques. 2 Ville située à cheval entre les provinces du centre et de l’Ouest Cameroun. 5
  • 6. Heureusement, les institutions humaines, qu’elles soient politiques, économiques, sociales ou sportives, sont appelées à changer, à évoluer indépendamment du niveau de maturation des peuples assujettis. Chaque peuple doit s’affirmer dans le concert des nations, et le football en est l’un des grands moyens, au-delà d’autres facteurs tels que : l’économie, la technologie ou la politique, etc. Entretien avec André KANA BIYIK Réalisé par Jean-Baptiste ONANA pour Outre-Terre (Revue française de géopolitique, 2004). Outre-Terre : Avez-vous, à l’époque où vous étiez en activité, constaté des pratiques inspirées de près ou de loin par le tribalisme ou le régionalisme ? Avez-vous vous-même souffert de semblables pratiques ? A.K.B. : Bien sûr que cela existait. Quand j’évoluais au Cameroun dans les années 1980, toutes les équipes pratiquaient ouvertement la préférence ethnique et régionale. Concrètement, cela signifiait qu’une majorité des effectifs de joueurs devait absolument appartenir à une ethnie donnée, subsidiairement à une région donnée. Je n’en ai pas souffert à titre personnel : après avoir quitté les deux clubs où j’avais été formé en région bassa, ma région d’origine, j’ai eu le bonheur de jouer dans deux des meilleures formations de notre championnat, l’Union sportive de Douala, majoritairement bamiléké, et le Diamant de Yaoundé, un peu plus cosmopolite mais dominé par l’ethnie béti. En sélection nationale, il était fréquent que les hautes autorités sportives, voire politiques, exercent des pressions sur l’entraîneur pour imposer tel ou tel joueur à cause de son appartenance ethnique et au mépris de la valeur sportive. Ce qui fut notamment le cas alors que le sélectionneur français Claude Leroy présidait aux destinées des Lions indomptables. On lui reprocha de faire la part belle aux joueurs bassas. Or, ceux-ci devaient leur présence dans la sélection à leurs seules performances sportives. Fallait-il les sacrifier sur l’autel d’un équilibre ethnique au sein de l’équipe ? Il y avait, outre les pressions des dirigeants, celles du public. Pour résumer : chaque ethnie et chaque région voulaient être représentées dans la sélection nationale. C’était une question d’honneur et de fierté. Alors qu’en sport, l’une des premières exigences, c’est d’aligner les meilleurs sur le terrain. Outre-Terre : Et la situation actuelle ? A-t-elle évolué dans un sens favorable ou au contraire empiré ? A.K.B. : Elle a évolué dans le bon sens. Aujourd’hui, les clubs camerounais font passer les résultats et les performances avant les considérations ethniques et régionalistes. Les recrutements s’effectuent en conséquence, avec le souci de composer l’équipe la plus compétitive possible. Les équipes du Nord et de l’Ouest peuvent ne pas aller au-delà de 10 % de joueurs originaires des régions concernées. Il est même devenu fréquent que le capitanat soit confié à un joueur issu d’une ethnie extérieure. Mais la mentalité des supporters, elle aussi, a évolué. Le fanatisme ethnique a reculé ; au point qu’un Bamiléké de l’Ouest ou un Haoussa du Nord peut être fan d’un club du Centre ou du Littoral, par amour du sport et du beau jeu. En somme, il est difficile aujourd’hui de coller une étiquette ethnique à un club quel qu’il soit et quand bien même une ethnie y serait prédominante. Outre-Terre : Le football serait donc un facteur d’unification au Cameroun ? A.K.B. : Absolument ! Davantage encore que dans le cas des clubs, cela se voit avec l’équipe nationale. L’attachement des Camerounais aux Lions indomptables est indéfectible. Il transcende les 6
  • 7. considérations ethniques et tribales et fédère au-delà des régions et des provinces. Il pacifie et réconcilie, le temps d’une compétition, quelque 250 ethnies avec autant de dialectes dans un pays où l’unité nationale a toujours été mise à mal. Quel joli pied de nez aux politiques qui ont souvent joué de cette mosaïque ethnique et linguistique pour diviser les Camerounais au lieu de les unir ! Outre-Terre : Mais l’unité du pays ne saurait être d’ordre conjoncturel et varier en fonction des prestations, aussi probantes qu’elles soient, de l’équipe nationale ! A.K.B. : C’est aussi mon avis. Les Camerounais ont besoin de se retrouver et de vivre ensemble dans la permanence. Indépendamment des prestations et des exploits de leur équipe nationale. Par ailleurs, si le sport contribue à l’unité nationale, il ne saurait en être l’unique, ni même le principal vecteur. Il doit seulement avoir valeur d’exemple, valeur pédagogique, pour ceux qui nous gouvernent. À eux de s’en inspirer de façon à ce que les Camerounais vivent leur unité dans la permanence, par-delà leurs différences et leurs particularismes. À quoi servirait de nous mobiliser un jour pour notre équipe nationale si c’est pour nous combattre le lendemain, quelle qu’en soit la raison ? Outre-Terre : Comment voyez-vous l’avenir du sport camerounais, et en particulier du football ? A.K.B. : Je veux être optimiste et croire au rayonnement croissant du sport camerounais sur la scène internationale. Débarrassé du carcan ethnique, il conserve, malgré la faiblesse de ses moyens, une bonne marge de progression. En particulier, le football devrait pouvoir bénéficier de l’apport de nos joueurs expatriés aux quatre coins du monde. Nos centres de formation, quoique insuffisants en nombre, sont performants, au point qu’on peut parler aujourd’hui, en la matière, d’école camerounaise. Force est cependant de constater que les récentes performances des Lions indomptables, sortis prématurément de la dernière édition de la Coupe d’Afrique des nations en Tunisie, suscitent quelques inquiétudes. Tout se passe comme si nos footballeurs avaient décidé de se reposer sur leurs lauriers après nous avoir gratifiés de belles victoires au cours de la décennie précédente. Par ailleurs, je m’inquiète d’une corruption grandissante dans le sport camerounais, soit de la principale hypothèque, à mes yeux, dans l’avenir immédiat. Source : http://www.cairn.info/revue-outre-terre-2004-3-page-65.htm BIBLIOGRAPHIE Elias MBENGALACK, La gouvernementalité du sport en Afrique : le sport et le politique au Cameroun, Lausanne, Centre d’études et de recherches olympiques, 1995. Antoine SOCPA, Démocratisation et autochtonie au Cameroun ; trajectoires régionales différentes Publié 2003 LIT Verlag Berlin-Hamburg-Münster. Marie-Louise ETEKI-OTABELA, Le totalitarisme des Etats africains, le cas du Cameroun, Publié 2001, aux Editions L'Harmattan 7