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Entreprendre et investir dans la culture :
        de l’intuition à la décision
Remerciements
Nous tenons à remercier les personnes suivantes qui ont accepté       n baudouin MICHIelS, Président et Administrateur délégué
de répondre à nos questions :                                          de la Fondation, belgacom Art Foundation asbl, belgique
n Peter AAlbAek JeNSeN, Producteur de film, Zentropa,                 n Marc MOSSe, Directeur des Affaires Publiques et Juridiques,
  Danemark                                                             Microsoft, France
n Alain AbeCASSIS, Délégué général de la Conférence                   n Michel OUeDRAOGO, Délégué général, Festival Panafricain
  des Présidents d’Universités, France                                 du cinéma (FeSPACO), burkina Faso
n Hammou AllAlI, Directeur du département Investissement              n Robert PAlMeR, Chef de la Division Culture, Conseil de l’europe
  Immobilier et logement, Caisse des Dépôts et Consignation,          n Marie-Pierre PeIllON, Directrice de l’Analyse financière et
  France                                                               extra-financière, Groupama Asset Management, France
n S. ANAND, Directeur de la maison d’édition Navayana, Inde           n Philippe PeYRAT, Directeur du mécénat, GDF-Suez, France
n Ibon AReSO, Premier adjoint au Maire, bilbao, espagne               n Jean-Paul PHIlIPPOT, Administrateur général RTbF, belgique
n Christine de bAAN, Directrice du Programme, DUTCH Design            n lydie POlFeR, echevin de la Culture, luxembourg,
  Fashion Architecture, Pays-bas                                       luxembourg
n laurent bIZOT, Directeur général, label No Format!, France
                                                                      n Aline PUJO, Conservatrice de la Fondation de la banque
n Valérie bOAGNO, Directrice générale, Journal le Temps, Suisse        Neuflize ObC, France
n eric COMPTe, Directeur administratif et financier, Culturespaces,   n Jacek PURCHlA, Directeur, International Cultural Centre,
  France                                                               Cracovie, Pologne
n Renaud DONNeDIeU de VAbReS, Conseiller pour la stratégie,           n Philippe ReYNAeRT, Journaliste et Directeur de Wallimage,
  le développement et la culture, Groupe Allard, ancien Ministre       belgique
  de la Culture, France                                               n Jean-Michel ROSeNFelD, Conseiller de Pierre MAUROY
n kurt eICHleR, kulturbetriebe Dortmund, Allemagne                     (ancien Maire de lille), France
n Hamza FASSI-FIHRI, echevin de la Culture et de l’emploi-            n Oliver SCHeYTT, Directeur général, Ruhr 2010, Allemagne
  Formation, bruxelles, belgique
                                                                      n Amit SOOD, Chef de projet Google Art, Google, etats-Unis
n bernd FeSel, Directeur délégué, european Center for Creative
                                                                      n Alain STeINHOFF, Président, Fédération des commerçants
  economy (eCCe), Allemagne
                                                                       de Metz, France
n bernard FOCCROUlle, Directeur général, Festival d’art lyrique
                                                                      n kjetil THORSeN, Architecte, Norvège
  d’Aix-en-Provence, France
                                                                      n barthélémy TOGUO, Artiste plasticien, Cameroun
n Xavier FOURNeYRON, Directeur général adjoint en charge
  de la Culture, Communauté urbaine du Grand lyon, France             n David THROSbY, Professeur, University Macquarie, Australie
n Divina FRAU – MeIGS, Professeur agrégée, Sociologue                 n Xavier TROUSSARD, Chef d’unité, Unité « Politique culturelle,
  des médias, Université Sorbonne Nouvelle, France                      Diversité et dialogue interculturel », Direction Générale
                                                                        education & Culture, Commission européenne
n Didier FUSIllIeR, Directeur de lille 3000 et de la Maison
  de la Culture de Créteil, France                                    n Androulla VASSIlIOU, Commissaire européenne pour
                                                                        l’education, la Culture, le Multilinguisme, le Sport, les Médias
n Antoine GOSSeT-GRAINVIlle, Directeur général adjoint,
                                                                        et la Jeunesse, Commission européenne
  Caisse des Dépôts et Consignation, France
                                                                      n Philippe VAYSSeTTeS, Président du Directoire, banque Neuflize
n Jérôme GOUADAIN, Secrétaire général de l’association
  Diversum, France                                                      ObC, France
                                                                      n Prof. Peter VeRMeUleN, Chef du Département Culture,
n Xavier GReFFe, Professeur de Sciences économiques et
  Directeur du Mastère Produits Culturels, Université de Paris I        Mülheim, Allemagne
  Panthéon-Sorbonne, France                                           n Aline VIDAl, Galeriste d’art contemporain à Paris, France
n Nizan GUANAeS, Président, Group AbC, brésil                         n Christian WUlFING, e.ON Ruhrgas AG, Allemagne
n Florence et Daniel GUeRlAIN, Fondateurs de la Fondation             n Patrick ZelNIk, PDG, label Naïve, France
  Guerlain, France
n Scott HUTCHeSON, Conseiller auprès du Maire pour l’economie
  culturelle, Nouvelle-Orléans, etats-Unis
                                                                      et les personnes suivantes qui ont œuvré à la réalisation
n Steve INCH, ancien Directeur exécutif pour le développement
                                                                      de cette étude :
  de la ville de Glasgow, Royaume-Uni
                                                                      n le Conseil d’Administration et le Conseil d’Orientation du
n José Ramón INSA AlbA, co-président du réseau
                                                                        Forum d’Avignon et en particulier Axel GANZ, Vice-Président
  INTeRlOCAl : réseau sud-américain des villes pour la culture,
                                                                        du Forum d’Avignon
  Saragosse, espagne
                                                                      n l’équipe du Forum d’Avignon : Rebecca AMSelleM, chargée
n Thierry JeAN, Président de Metz Métropole Développement,
                                                                        de mission, Alexandre JOUX, directeur au Forum d’Avignon,
  Adjoint au Maire, Metz, France
                                                                        laure kAlTeNbACH, Directeur général du Forum d’Avignon
n Michael kOH, PDG, National Heritage board, Singapour
                                                                      n Claudia AMbRUOSI, Développement durable, Vivendi, France
n Amit kHANNA, PDG, Reliance entertainment, Inde
                                                                      n laurent beNZONI, professeur à l’Université Paris 2 Panthéon-
n Reihnard kRAeMeR, Directeur adjoint du département                    Assas, France,
  de la Culture, Gouvernement du land de Nord-Rhénanie
                                                                      n Irène bRAAM, Vice President Government Relations,
  de Westphalie, Allemagne
                                                                        bertelsmann brussels liaison Office, bertelsmann, belgique
n Alexandra lAFeRRIeRe, Directrice des Relations
                                                                      n Anne FlAMANT, directeur, banque Neuflize-ObC, France
  institutionnelles, Google, France
                                                                      n Carolina lOReNZON, Directrice des Affaires internationales,
n bernard lANDRY, ancien Premier ministre du Québec, Canada
                                                                        Mediaset, Italie
n Comte Jean-Pierre de lAUNOIT, Président, Concours Reine
                                                                      n emmanuel MAHe, Responsable projets digital et culturel,
  elisabeth, belgique
                                                                        Orange - France Télécom, France
n laurent lebON, Secrétaire général du Centre Pompidou-Metz,
                                                                      n Stéphane MATHelIN-MOReAU, directeur de la banque
  France
                                                                        Neuflize-ObC entreprises, France
n Jacques leGeNDRe, Sénateur et Président, Commission
  de la culture, de l’éducation et de la communication, France        n Marie SellIeR, Responsable Affaires Publiques Corporate
                                                                        & Propriété Intellectuelle, Vivendi, France
n Jean-bernard leVY, Président du Directoire, Vivendi, France
                                                                      n Pascale THUMeRelle, Directrice du Développement durable,
n Michel MAIGReT, Chef de la Mission Renaissance, Communauté
                                                                        Vivendi, France
  urbaine du Grand Nancy, France
n emmanuel MARTINeZ, Secrétaire général du Centre Pompidou-
  Metz, France
n bénédicte MeNANTeAU, Déléguée générale, Admical, France             et les consultants kurt Salmon ayant participé aux entretiens
n Philippe MeTTeNS, Président du Comité de Direction de               et à la rédaction de l’étude :
  la Politique Scientifique et Culturelle Fédérale de belgique        n Monica bOSI, Arnaud bReTON, Anne MAGNUS,
  (belSPO), belgique                                                    Alexandre MOeNS.
Avant-propos
Crise financière, sociétale, rigueur budgé-
taire partout dans le monde… rarement un
environnement aura été aussi fortement
tendu, impactant l’ensemble des activités
économiques. et pourtant, dans ce contexte
morose, la consommation culturelle aug-
mente, l’offre culturelle disponible grâce
à Internet explose… Comme si la culture
pouvait devenir un élément de réponse aux
interrogations et attentes des citoyens ou
des consommateurs, plus encore dans ce
contexte de crise.
Mais ce climat oblige les « investisseurs »
culturels à se poser, de plus en plus, de nou-
velles questions :
                                                                                                                        Jeff WAll, Children, 1988, © of the artist.
n  Dans quel projet investir ?
n  Quels sont les critères qualitatifs et quantitatifs d’évaluation d’un investissement dans la culture ?
n  Comment valoriser les projets « immatériels » ?
n  en quoi ces investissements sont-ils porteurs pour l’avenir ?…
le tout, dans un contexte où, même si l’investissement s’inscrit dans le long terme, les cycles d’inno-
vation et de décisions se raccourcissent sans cesse, et où de nouveaux modèles d’affaires et de nou-
velles offres culturelles apparaissent, notamment grâce aux nouvelles technologies.
C’est à condition de relever ces défis que les investisseurs ou entrepreneurs culturels, qu’ils soient
dans la sphère publique ou privée, pourront bénéficier de cette période charnière : celle où la culture
change de statut, et est amenée à être considérée comme un investissement rentable ou générateur
de retombées positives tant pour l’entreprise que pour l’économie et l’ensemble de la société.
en 2009 et 2010, nous avions étudié les liens entre culture et attractivité des territoires. Pour cette
édition 2011, nous avons choisi d’investiguer les modèles de décision liés à l’investissement dans un
projet culturel. Notre objectif : définir un cadre de référence utile aux décideurs, montrer les différents
indicateurs - économiques et qualitatifs - à prendre en compte, et comment les utiliser.
Notre ambition ici n’est pas d’établir une matrice décisionnelle stricto sensu. Il s’agit plus de tracer un
cadre général d’aide à la décision, chaque situation restant au final unique puisque liée à une structure,
un territoire, à un contexte et à la nature même du projet.
Pour la réalisation de cette étude internationale, nous nous sommes appuyés sur les interviews de
près de soixante décideurs publics et privés, de porteurs de projet, d’artistes et de créateurs, mais
aussi d’experts, mobilisés autour d’un investissement de nature « culturelle » (infrastructure, événe-
ments, industries…) et confrontés à un moment ou un autre à cette prise de décision.
bonne lecture.

Vincent FOSTY, Marco lOPINTO, Marie-Joëlle THeNOZ, Jean-Pascal VeNDeVIlle




Crédits photos : © Fotolia - p. 1 : Dora Percherancier - p. 4-6 : Virtua73 - p. 4-16 : Minerva Studio - p. 5-22 : Denis babenko - p. 5-30 : Jose Alves - p. 5-36 :
gemini62 - p. 8 : Mike Thomas - p. 11 : HaywireMedia - p. 13 : AlcelVision - p. 14a : Andy - p. 14b : Julien Tromeur - p. 15 : PinkShot - p. 18 : Sashkin - p. 20a :
Giordano Aita - p. 20b : beboy - p. 25 : Surub - p. 27 : barbara Helgason - p. 29 : Artcop - p. 32 : i3alda - p. 33 : Jeancliclac - p. 34 : lvnel - p. 35 : N-Media-
Images - p. 45 : Sgursozlu - p. 47 : Pei ling Hoo.




                                                                                 3
Sommaire


 Toujours plus de culture !
 Vivante et ancrée dans son époque, la culture
                                                                       6
 accueille sans cesse de nouvelles disciplines.
 Cette ouverture est indispensable au maintien
 du contact avec les publics.

 7    Tout devient culture
 8    Un impact économique majeur
 10   Nouveaux investisseurs et nouveaux projets
 12   Industrialisation, professionnalisation : les exigences
      de la culture moderne
 14   Comment la technologie a tout changé, y compris
      dans la culture « classique »




16                                          Investir dans la culture :
                                            un investissement comme les autres ?
                                            Comment se prend la décision d’un investissement
                                            culturel ? Pour bon nombre des acteurs interrogés,
                                            le processus de décision débute comme pour
                                            n’importe quel autre type d’investissement.

                                            17   ROI, part de risque, durabilité de l’investissement :
                                                 quand les règles classiques de la finance s’appliquent
                                                 aussi, en partie, aux projets culturels
                                            18   les nouveaux mécènes de la culture ou comment
                                                 trouver des financements inédits
                                            19   Imprimer sa marque : comment entreprises ou
                                                 collectivités cherchent à séduire leurs publics grâce
                                                 à la culture
                                            21   les salariés plus motivés grâce à la culture ? l’expérience
                                                 de grands groupes privés




                                                    4
Comment investit-on dans la culture ?
De l’intuition à la prise de décision :
cycle et cadre de référence des projets
de nature culturelle




                                                                     22
Les projets culturels voient le jour dans une tension
bénéfique entre passion et rationalité, objectifs
sociétaux et économiques, création et gestion.

22 Artiste/gestionnaire : le dialogue permanent
     et obligatoire
24 Quand le secteur public se soucie de rentabilité, que le privé s’attache
     au non-économique… les lignes bougent
25 A l’heure des évaluations : comment mesurer l’impact non-économique ?
27 De la créativité dans les modèles de financement
28 l’impératif commun : une gouvernance exemplaire




30                                           Entreprendre et investir
                                             dans la culture : et demain ?
                                             La crise financière n’épargne pas la culture :
                                             mécènes et donateurs réduisent leurs apports,
                                             tout comme de nombreux pays engagés
                                             dans des politiques d’assainissement
                                             de leurs finances publiques.
                                             Notre conviction : c’est le moment d’investir.




                                                                                   36
Annexes
                                        42   le Festival d’Aix-en-Provence :
36   Axes de réflexion et objectifs          un exemple d’investissement
     de l’étude 2011                         dans un événement culturel
37   Définitions et périmètre           44   Projet de numérisation de la
     de l’étude 2011                         bibliothèque royale de belgique :
                                             un exemple d’investissement
39   Méthodologie retenue                    dans la production de contenus
     pour l’étude 2011                       numériques
40   etudes de cas : des exemples…      46   DUTCH Design Fashion
     à suivre ?                              Architecture : un exemple
40   le Centre Pompidou-Metz :               d’investissement dans la mise en
     un exemple d’investissement             place des conditions d’installation
     dans la création d’un équipement        des industries culturelles et
     culturel                                créatives aux Pays-bas




                                                         5
entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision




Toujours plus de culture !

Vivante et ancrée dans son époque, la            Dans ce contexte porteur de valeurs posi-
culture accueille sans cesse de nouvelles dis-   tives, la culture voit apparaître de nouveaux
ciplines : derniers entrants en date dans ce     investisseurs, tournés vers de nouveaux
« champ culturel », les jeux vidéo ou la gas-    types de projets ; en particulier, les actions
tronomie. Tous nos experts soulignent l’im-      visant à attirer les industries créatives sur
portance de cette ouverture, indispensable       un territoire se multiplient. Des partenariats
pour garder le contact avec les publics.         public-privé se créent, pour des projets
Cette culture au sens large démontre, en         d’une ampleur inédite. Dans le même temps,
outre, son intérêt économique, direct et         travailler dans le domaine culturel est de
indirect : si tant de nouveaux projets se        facto une affaire de professionnels : à la
développent, c’est parce que les investis-       nécessaire sensibilité artistique s’ajoutent
seurs, publics comme privés, savent qu’un        des capacités de gestion et de manage-
projet culturel bien mené peut non seule-        ment qui s’avèrent indispensables… Autres
ment dégager des bénéfices, mais permet          nouvelles compétences requises par cette
également de développer l’ensemble d’un          évolution : toutes celles qui touchent au
système économique et d’un territoire.           numérique. Bon nombre d’acteurs de la
                                                 scène culturelle ont placé le numérique au
                                                 cœur de leur stratégie de développement,
                                                 et obtiennent déjà des résultats remar-
                                                 quables. Même si, bien sûr, le talent est tou-
                                                 jours l’ingrédient le plus essentiel…
l   out devient culture
  T
Qu’est-ce que la culture ? La réponse à cette                  Ainsi, en Allemagne, Bernd FESEL, Directeur
question n’est pas la même aujourd’hui                         délégué de l’Agence régionale de soutien
qu’au siècle dernier, et évoluera encore sans                  aux industries créatives (ECCE1), s’appuie
doute en profondeur à l’avenir. Sans renier                    sur une étude de 2009 menée par le gou-
l’importance des disciplines classiques                        vernement fédéral allemand pour délimiter
(peinture, musique, littérature, théâtre…),                    le périmètre d’intervention de sa structure.
tous les experts notent que de nouvelles                       Cette étude définit aujourd’hui 11 branches
disciplines se voient régulièrement attribuer                  dans l’économie créative : disques, livres,
le label « culture ». Un exemple récent ?                      arts, films, radio, spectacle vivant, design,
Le secteur du jeu vidéo, qui d’industrie du                    architecture, presse, publicité et jeux vidéo/
divertissement a progressivement acquis                        multimédia. Pour lui, cette liste pourrait
le statut d’industrie culturelle, à partir de                  encore s’allonger : notamment, parce qu’elle
la moitié des années 2000. La consécra-                        n’intègre pas la gastronomie, alors que
tion est venue en 2009, lorsque l’Unesco a                     pour bon nombre d’acteurs, elle appartient
inscrit cette activité dans le périmètre de                    déjà au secteur culturel. En effet, depuis
ses statistiques culturelles.                                  novembre 2010, le repas gastronomique
C’est cette capacité à intégrer la nou-                        français et le régime méditerranéen figu-
veauté qui rend la culture vivante et assure                   rent sur la liste représentative du patri-
sa pérennité. La frise chronologique ci-                       moine culturel immatériel de l’Humanité de
dessous illustre comment ce champ culturel                     l’Unesco : preuve – s’il en était besoin – que
a su s’ouvrir en permanence à de nouvelles                     la notion même de champ culturel n’a pas
activités.                                                     fini d’évoluer.

Cet élargissement est vécu au quotidien
par les acteurs que nous avons interviewés.                    1- European Centre for Creative Economy.



 L’élargissement du champ culturel par l’intégration des industries culturelles et créatives

                        l Stylisme

           l Cinéma                                         l Jeux vidéo                            l Gastronomie
                       l Radio, TV et vidéo

      l Photographie           l Publicité               l Design et graphisme


             Arts visuels (peinture, sculpture) - Artisanat d’art - Arts du spectacle


                            Architecture - Patrimoine - Edition et livres


       XIXe siècle   1959                         1986           2007          2009          fin 2011

                   Création                 Première         Premières        Révision    Approfondissement
               du ministère             nomenclature       statistiques       du cadre    des statistiques
               de la Culture              statistique       culturelles     statistique   culturelles de l’UE27
                  en France                  Unesco           Eurostat         Unesco     ESSnet/Eurostat




                                                           7
entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision




l Un impact économique majeur
Economiquement, le poids de la culture                de la population active soit 11,32 millions
s’amplifie partout dans le monde.                     d’emplois et contribue au PIB à hauteur de
Au sein de l’Union européenne, le secteur             2,45 %, soit un chiffre d’affaires de 47,6 mil-
culturel employait, en 2005, 3,1 % de la              liards d’euros.
population active totale de l’Union. Soit             Ces chiffres, logiquement, inspirent les
environ 7,2 millions de personnes, c’est-             décideurs du secteur public et du secteur
à-dire plus que les populations actives               privé : pour bon nombre de ceux que nous
réunies de l’Autriche et du Danemark ! Et             avons interviewés, investir dans la culture
le mouvement va en s’amplifiant : alors que           constitue un moyen efficace d’atteindre des
l’emploi total diminuait dans l’Union euro-           objectifs de développement ou de relance
péenne entre 2002 et 2004, l’emploi dans              économique.
le secteur augmentait de 1,85 % durant la
                                                      Car il ne s’agit pas seulement de créer des
même période.
                                                      emplois directs : la culture engendre aussi
La production du secteur prend aussi de               des effets de levier considérables.
l’ampleur : il représentait, en 2005 toujours,
                                                      C’est ce que souligne par exemple l’analyse
2,6 % du PIB de l’Union européenne, soit
                                                      économétrique menée cette année pour
plus de 654 milliards d’euros. C’est plus que
                                                      le Forum d’Avignon, par le cabinet Tera
l’industrie des produits chimiques, du caout-
                                                      Consultants à partir de la base de données
chouc et du plastique (2,3 % du PIB).
                                                      constituée en 2009 et 2010 par Kurt Salmon
                                                      pour un panel international de 47 villes de
                                                      21 pays. Cette analyse montre que si les
                                                      « dépenses culturelles publiques des villes
                                                      ne représentent en moyenne que 0,7 %
                                                      du PIB par habitant, pourtant ces seules
                                                      dépenses sont statistiquement corrélées à
                                                      environ 9 % du PIB par habitant », cette cor-
                                                      rélation ne signifiant pas, bien évidemment,
                                                      qu’il s’agit d’un strict lien de cause à effet,
                                                      de multiples autres facteurs étant à prendre
                                                      en compte pour expliquer la performance
                                                      de l‘investissement culturel. Reste que l’ana-
                                                      lyse économétrique révèle sans aucun doute
                                                      l’effet de levier de l’investissement culturel
                                                      sur la hausse du PIB. Pour une ville, investir
                                                      dans la culture ne sert donc pas uniquement
                                                      à améliorer le bien-être de ses habitants, ou
                                                      à développer la vie sociale : c’est aussi un
Et ce phénomène se ressent encore d’avan-             moyen de dynamiser son économie.
tage dans le reste du monde ; aux Etats-              L’exemple bien connu de Bilbao, avec son
Unis, les industries culturelles occupaient           Musée Guggenheim, illustre bien cet effet
8,41 % des actifs en 2002, et produisaient            de levier. En effet, les 132 millions d’euros
la même année 12 % du PIB soit 1,25 trillions         investis dans le projet ont été entièrement
de dollars. Tandis qu’au Canada, elles                amortis dès la première année, puisque les
contribuaient à 3,8 % du PIB en générant              dépenses directes réalisées par les visiteurs
40 millions de dollars de chiffre d’affaires en       ont permis d’augmenter le PIB de la ville de
2002, soit davantage que le secteur minier,           144 millions d’euros. 10 ans après, l’effet de
du gaz et du pétrole ou encore celui de               levier s’amplifie. C’est désormais 210 millions
l’agriculture et de la forêt. En Chine enfin,         d’euros que le Musée Guggenheim apporte
le secteur culturel occupe, en 2006, 1,48 %           chaque année à la ville.




                                                  8
Ce cas n’est pas isolé. La
ville de Metz est en train de
connaître la même dynamique
suite à l’ouverture du Centre
Pompidou-Metz. Les coûts
d’investissement (achat du
terrain, construction…) se sont
chiffrés à 70 millions d’euros,
co-financés par des acteurs
publics (10 millions par le
Département, 10 par la Région,
4 par l’Etat, 2 par l’Europe et
le reste par Metz Métropole),
tandis que le budget de fonc-
tionnement de l’année 2009
s’est monté à 12 millions (9
financés par des subventions
et 3 par des recettes propres).
Un an après l’ouverture, les pre-
mières retombées du Centre
                                                                           Pilier tulipe ©Centre Pompidou-Metz.
Pompidou-Metz sont :
  n le développement du tourisme qui se              (restauration, hôtellerie, parking), et ont,
  traduit par une progression importante             dès l’origine, pensé ces projets comme des
  des nuitées et de l’hôtellerie ;                   leviers de développement, intégrés à une
  n les commerçants de Metz estiment par             stratégie économique plus globale.
  ailleurs que 35 à 40 % des visiteurs du            Mais les effets positifs de ces investisse-
  musée sont venus ensuite visiter la ville au       ments culturels dépassent largement la
  profit donc des commerces mais surtout             sphère économique ; ils deviennent aussi,
  des restaurateurs ;                                fréquemment, de vrais catalyseurs de créa-
  n l’accélération de l’aménagement urbain           tivité. Ce qui influe sur l’ensemble de la
  avec notamment la réhabilitation du                société, tous secteurs confondus.
  quartier de l’Amphithéâtre qui comptera            « La créativité est indispensable à la promo-
  1 600 logements et 40 commerces pour               tion de l’innovation au sein du secteur écono-
  des investissements privés d’un montant            mique », relève David THROSBY, Professeur
  de 460 millions d’euros et publics de              d’Economie à l’Université Macquarie
  160 millions ;                                     (Australie). « Les idées créatives sont un
  n le changement d’image de la ville, plus          ingrédient essentiel de l’innovation, qu’elle
  difficile à évaluer à court terme, mais            s’applique à un produit ou à un processus.
  néanmoins ressenti par les habitants et            Ces innovations conduisent à un change-
  les acteurs économiques de la ville et qui         ment technologique, qui, à son tour, alimente
  se traduit d’ores et déjà par une augmen-          la croissance économique. Il existe un lien
  tation de la demande de locaux profes-             indéniable entre la créativité et la perfor-
  sionnels et de permis de construire.               mance économique des entreprises, et des
                                                     économies en général. » A un niveau plus
L’« effet Bilbao » n’a donc rien d’une excep-        institutionnel, la stratégie de la Commission
tion. Il présente même bon nombre de                 européenne pour la période 2010-2020,
similitudes avec Metz : dans les deux cas,           intitulée « Europe 2020 : une stratégie pour
on parle de villes de taille moyenne, qui            une croissance intelligente, durable et inclu-
ne possédaient jusqu’alors aucune ins-               sive » développe cette même idée et se
titution culturelle de renom. Toutes deux,           donne pour objectif de promouvoir la culture
pour accompagner ces projets culturels,              comme levier de l’innovation, sur le plan
ont développé des infrastructures annexes            technologique, societal et organisationnel.




                                                 9
entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision




l   ouveaux investisseurs et nouveaux projets
  N
Les entretiens menés nous ont permis d’iden-                           contact entre la riche culture traditionnelle
tifier plusieurs natures d’investissement :                            de la région et l’art contemporain, conserver
                                                                       sur le territoire africain cette culture et per-
 Quatre natures d’investissement culturel                              mettre sa rencontre avec des artistes venus
                                                                       du monde entier. Mais il s’agit avant tout
  Les investissements      Les investissements                         d’un lieu de vie, d’expression et d’échange,
  dans les                 dans les événements
  équipements              culturels, le soutien
                                                                       visant à accueillir la population locale dans
  culturels et le          à la création et aux                        un cadre culturel.
  patrimoine bâti          collections
                                                                       A une autre échelle, ce type d’investis-
                                                                       sement dans les événements culturels
                                                                       attire de plus en plus les initiatives. Didier
  Les investissements      Les investissements                         FUSILLIER, Directeur en charge du projet
  dans la mise en          dans les industries
  place de conditions      culturelles et la                           de Lille Capitale Européenne de la Culture
  d’attractivité et        production de                               en 2004, remarque ainsi que « cet événe-
  d’installation           contenus                                    ment attirait assez peu de candidats avant
  des acteurs des
  industries culturelles                                               les années 2000 ». Aujourd’hui, au contraire,
                                                                       l’engouement est tel que les villes sont de
                                                                       plus en plus nombreuses à faire acte de can-
                                                                       didature pour organiser cet événement.
Les investissements dans
les équipements culturels et le bâti                                   Les investissements
Il s’agit ici de préserver et de mettre en
                                                                       dans les industries culturelles
valeur le patrimoine et les équipements                                et la production de contenus
culturels existants (musées, monuments…)                               Les industries culturelles et créatives
mais aussi construire de nouveaux lieux. Le                            connaissent un foisonnement important ces
secteur public garde un rôle important dans                            20 dernières années et investissent princi-
ce domaine, mais le privé s’empare lui aussi                           palement les filières à production de conte-
de ces sujets. Ainsi, Culturespaces, filiale de                        nus via les technologies et le numérique.
GDF-Suez, anime et gère les monuments                                  Le secteur du disque est ainsi une activité
et musées qui lui sont confiés via des délé-                           emblématique de cette production, dans
gations de service public, en France et en                             lequel se côtoient des sociétés de grande
Europe. La société a décidé fin 2010 de                                envergure internationale à des producteurs
se diversifier et de se lancer, pour la pre-
mière fois dans l’acquisition d’un patrimoine
classé, en rachetant l’Hôtel de Caumont,
conservatoire actuel d’Aix-en-Provence.
L’objectif est de transformer le lieu en un
espace d’expositions temporaires dès 2014,
ce qui satisfait aussi aux exigences de la
ville puisque le lieu restera ouvert au public,
et enrichira l’offre culturelle.

Les investissements dans
les événements culturels, le soutien
à la création et aux collections
De plus en plus d’artistes ou de porteurs
                                                    ©Forum d’Avignon




de projet se lancent dans la création d’en-
treprises individuelles. Ainsi, Barthélémy
TOGUO, artiste plasticien, a choisi de créer
une Maison des Artistes à Bandjoun Station,
à l’Ouest du Cameroun. Son idée : établir le


                                                   10
de taille plus modeste. Ces derniers cher-            Les investissements dans la
chent à se démarquer par la production                mise en place de conditions
d’un contenu moins commercial mais misant             d’attractivité et d’installation des
davantage sur la diversité culturelle des             acteurs des industries culturelles
artistes.
                                                      Ce type d’investissement connaît une ap-
« C’est la mission que s’est donné le label           proche nouvelle. Des structures, publiques,
No Format! », explique Laurent BIZOT, son             privées ou mixtes, se créent, afin d’appor-
Directeur et fondateur. Créée en 2004, cette          ter aux acteurs des industries culturelles
maison de production se positionne en                 l’accompagnement, le soutien, voire des
découvreur de talents et pilier de la diver-          espaces et infrastructures adaptés à leur dé-
sité musicale. A l’origine du projet, le choix        veloppement. C’est l’ambition par exemple
d’un refus du conformisme dans l’indus-               de l’Agence régionale de soutien aux indus-
trie du disque. No Format! donne ainsi une            tries créatives (ECCE), en Allemagne, suite
place aux artistes proposant des œuvres               au projet « Ruhr, capitale européenne de la
atypiques, métissées, ne s’inscrivant pas             culture en 2010 ».
dans les formats des grandes sociétés de
                                                      Pour soutenir ainsi les industries culturelles
production. Depuis 2004, 18 albums ont été
                                                      et créatives de la région, l’agence a arti-
produits avec 15 artistes différents. L’enjeu
                                                      culé ses activités autour de quatre grandes
pour ce type de structure est d’assurer une           orientations :
viabilité économique. C’est pourquoi No
Format! a misé sur un modèle minimisant                 n le développement des lieux de créa-
les frais de production. En complément,                 tion existants et la création de nouveaux
elle propose également des prestations de               espaces ;
conseil en matière juridique à des produc-              n l’intensification et la structuration des
teurs et artistes (ce qui représente 30 % de            échanges entre les acteurs, leur mise en
son chiffre d’affaires).                                réseau ;


                                                 11
entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision




  n l’organisation d’événements annuels à                                                     et financé essentiellement par des subven-
  résonance internationale ;                                                                  tions publiques, affiche le même type d’am-
  n le développement d’une forte commu-                                                       bition : renforcer la position internationale
  nication.                                                                                   de trois secteurs d’activité (design, mode,
                                                                                              architecture) grâce à des partenariats
Avant de soutenir ou de financer un projet,                                                   avec les acteurs nationaux (organisations,
ECCE attend des entrepreneurs l’élabo-                                                        associations professionnelles, entreprises)
ration d’une stratégie régionale à moyen                                                      et internationaux. Parmi la multitude de
terme pour leur secteur, dans laquelle                                                        projets initiés, l’ouverture en septembre
le projet doit constituer la pierre angu-                                                     2010 d’un incubateur d’entreprises, le
laire. Le rôle d’ECCE est d’animer et de                                                      DUTCH Design Workspace à Shanghaï, est
faciliter le processus de construction de                                                     l’un des plus significatifs. Le but : aider les
la stratégie avec l’ensemble des parties                                                      entrepreneurs hollandais issus de l’une de
prenantes du projet et par la suite de son                                                    ces trois disciplines à s’installer en Chine ou
exécution, mais non de mener les projets                                                      y étendre leurs activités. Au programme,
directement.                                                                                  évaluation de business plan, conseil pour
De son côté, aux Pays-Bas, le programme                                                       l’installation d’une entreprise, information
interministériel, DUTCH Design Fashion                                                        légale et administrative, introduction dans
Architecture (DUTCH DFA), créé en 2009                                                        des réseaux de haut niveau…



l  ndustrialisation, professionnalisation : les exigences
  I
  de la culture moderne
Le secteur de la culture reste très atomisé,                                                  Au final, le degré d’industrialisation varie
les petites et moyennes entreprises y sont                                                    fortement selon les filières :
surreprésentées. A noter, une forte dyna-                                                       n certaines restent encore relativement
mique entrepreneuriale avec un nombre                                                           peu structurées ou avec une multitude
important de PME se lançant en mode                                                             d’acteurs en présence (ex. : spectacle
« start up ». L’entrepreneuriat culturel                                                        vivant) ;
cherche à innover aussi bien en termes de                                                       n d’autres en revanche se concentrent
création de produits ou d’œuvres, qu’en                                                         autour de conglomérats industriels (ex. : les
termes de processus de création.                                                                majors de l’industrie cinématographique).

 Taille des entreprises des industries culturelles et créatives (ICC) par filière


       %
     100
      90                                                                                                                                       Nombre
      80                                                                                                                                       de salariés
      70
      60                                                                                                                                         250 et plus
      50                                                                                                                                         50 à 249
      40
      30                                                                                                                                         10 à 49
      20                                                                                                                                         4à9
      10
       0                                                                                                                                         1à3
                         é          e            n         n       e
                                                                           éo             e                     TV            el         els
                 i   cit       t  ur      i  tio       sig      od       id          siqu            cle     o/           ici         u
            bl               ec         Ed           De        M
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                                                                                                                                   vis
       Pu                 hit                                                   Mu            pe
                                                                                                 c
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  Source : étude La dimension entrepreneuriale des industries culturelles et créatives en Europe (2010),
  Ecole des Arts d’Utrecht pour la Commission européenne




                                                                                      12
Lorsqu’elles se concentrent, les industries             Pour réussir son évolution, le secteur a
culturelles et créatives mettent en œuvre               besoin de recruter de nouveaux talents,
une dynamique industrielle de plus en plus              aux profils polyvalents. Au-delà des compé-
structurée. On voit par exemple émerger                 tences artistiques traditionnellement atten-
des concentrations géographiques et/ou des              dues, de nouvelles exigences apparaissent :
pôles d’excellence sous forme de clusters. Le             n plus le secteur s’industrialise et attire
but : atteindre une taille critique en termes             des entrepreneurs, plus il a besoin de
de moyens, mais aussi créer des synergies                 compétences économiques. D’abord pour
en matière de compétences et savoir-faire,                mener à bien les projets, en termes de
notamment, en matière de capitalisation                   gestion, commerce, marketing, manage-
sur des marques ou la création de produits                ment… Mais aussi pour gérer les parte-
dérivés. C’est ainsi que s’est constitué à titre          nariats, financiers notamment, liés aux
d’exemple le cluster Imaginove en Rhône-                  projets culturels : ce qui suppose de
Alpes (France), autour du cinéma, de l’audio-             maîtriser les mécanismes de finance-
visuel, des jeux vidéo et de l’animation, du              ment (banques et institutions financières,
multimédia. Il fédère aujourd’hui plus de 200             mécénat et donations…) ;
entreprises rhône-alpines autour d’un objec-
tif commun : développer les synergies entre               n de leur côté, les avancées technolo-
ces filières en favorisant l’anticipation et en           giques continues nécessitent de recruter
stimulant l’innovation des professionnels.                et de former en permanence des spécia-
                                                          listes techniques, en matière numérique
Autre évolution majeure :                                 notamment. Ce dernier domaine de
  n la professionnalisation des acteurs de                compétences devient crucial pour bon
  la culture. Avec, pour corollaire, l’appari-            nombre de projets.
  tion de nouveaux métiers et de nouvelles
  filières de formation.




l   omment la technologie a tout changé, y compris
  C
  dans la culture « classique »
Le numérique investit l’ensemble de la                  Le Château de Versailles a également investi
culture, au fur et à mesure des progrès                 dans les réseaux sociaux et la blogosphère
technologiques, notamment à travers deux                pour toucher un public plus jeune et conduit
objectifs :                                             une politique offensive de valorisation
                                                        de ses actifs immatériels, notamment la
Le numérique, moyen de valoriser                        « marque » Château de Versailles grâce à de
le patrimoine                                           multiples partenariats.
Le Château de Versailles : un exemple de
valorisation du patrimoine et de développe-
ment de marque grâce au numérique.
L’établissement a fait des nouvelles tech-
nologies un axe majeur de sa stratégie de
développement. Outre un site Internet qui
attire quelque cinq millions de visiteurs
virtuels par an, le Château de Versailles se
présente comme un véritable laboratoire
d’innovation : géolocalisation, visite virtuelle
et réalité augmentée avec « Versailles en
direct », réalisé avec Orange, reconnais-
sance d’images, vidéos 3D… de nouvelles
idées sont sans cesse expérimentées.




                                                   13
entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision




L’objectif initial du projet du Grand
Versailles numérique, lancé en 2005, était
très pragmatique : tester puis déployer des
applications numériques utiles à la visite et
à la diffusion des connaissances, dans un
enjeu global d’amélioration de l’accueil du
public. Mais aujourd’hui, avec le renforce-
ment du numérique en tant qu’axe majeur
de son développement, le Château se posi-
tionne en véritable laboratoire de l’utilisa-
tion des nouvelles technologies.
En outre, le Château de Versailles est le
premier musée français à avoir rejoint
le « Google Art project », un réseau de
17 musées dans le monde qui propose une
visite virtuelle de salles d’expositions, avec
accès aux œuvres en très haute définition
et dont la phase deux devrait être lancée              modèle incontournable d’industrialisation
au printemps 2012. Ce projet a été, pour le            du cinéma. Néanmoins, face au développe-
musée, une source de visibilité importante             ment de nouveaux schémas de production
grâce aux retombées dans les médias. Pas               (en particulier avec le cinéma indépendant),
moins d’un million de visiteurs, le premier            la baisse de la fréquentation dans les salles
mois, ont ainsi visité le Château de Versailles        et l’émergence de nouveaux modes de
virtuellement.                                         consommation (tels que DVD, VOD, télé-
Enfin, le musée a fortement investi dans               chargement sur Internet), cette filière doit
la mobilité, aspect essentiel des nouveaux             se réinventer pour répondre à ces enjeux et
usages. Le site mobile du Château de                   assurer son avenir.
Versailles accueille à lui seul près de 15 % de        Pour ce faire, Hollywood mise désormais sur
la fréquentation globale des outils en ligne.          les technologies numériques, avec le déve-
L’application Orange d’aide à la visite des            loppement de la 3D, afin de faire face au
jardins propose au visiteur un outil de géo-           piratage et proposer des contenus cultu-
localisation, qui s’applique également aux             rels enrichis et de nouvelles expériences
contenus. A la pointe de l’innovation, elle            visuelles aux spectateurs.
se fonde sur la technologie de réalité aug-                La nouvelle technologie en trois dimen-
mentée, avec la mise en valeur d’es-                        sions bouleverse ainsi les données de
paces cachés. Ainsi, à partir de                             la filière cinématographique :
ces jardins présentant un défi en
termes de médiation, le musée                               n les entrées pour les films en 3D pro-
et Orange ont conçu ensemble un                            posés en Amérique du Nord ont permis
outil interactif, allant jusqu’à offrir au                  à elles seules de générer 11 % de la
visiteur des contenus exclusifs tels que                    croissance ces dernières années ;
des interviews vidéos des conservateurs,                    n le nombre de salles à projection
architectes, fontainiers et jardiniers.                  numérique dans le monde a augmenté
                                                         de 86 % sur la seule année 2009 (16 000
Le numérique, outil de développement
                                                         salles équipées en 2010).
de produits et services culturels
                                                       En parallèle, on assiste également à un
Los Angeles : une réorganisation de la filière
                                                       décloisonnement entre les filières du
cinéma misant sur les technologies numé-
                                                       cinéma et des jeux vidéo vers un pôle d’ex-
riques comme levier de stratégie culturelle.
                                                       cellence élargi visant à profiter des tech-
L’industrie cinématographique américaine               nologies et des compétences réciproques.
est un exemple emblématique d’industrie                Pour Hollywood, une alliance plus forte
culturelle et créative, qui a développé un             avec les jeux vidéo est source d’innovation




                                                  14
technologique, notamment dans les arts                  n d’accompagner les nouveaux usages
graphiques. Tandis que les jeux vidéo profi-            (mobilité, accès à l’information, dévelop-
tent du style visuel développé par le cinéma.           pement du web 2.0, 3.0, géolocalisation,
                                                        services à valeur ajoutée…) ;
De nouvelles stratégies commerciales et
marketing sont ainsi développées afin d’ac-             n de pérenniser les effets d’une initia-
célérer le transfert d’un film populaire en             tive culturelle (faire vivre un événement
jeu vidéo ou inversement à produire un                  au-delà de l’événement lui-même par de
film à partir du scénario d’un jeu, l’objectif          la captation vidéo, permettre aux inter-
étant de pouvoir proposer une gamme de                  nautes de s’exprimer à son propos…) ;
produits plus qualitative et complète à un              n de faire évoluer les pratiques profes-
public de masse fidélisé. Exemple de mise               sionnelles (par exemple, la restauration
en œuvre de cette stratégie : l’adaptation de           des œuvres d’art à Florence utilise désor-
« Harry Potter » en jeu vidéo par Electronic            mais le laser) ;
Arts, qui a enregistré plus de 9 millions de            n de créer de nouveaux biens culturels
copies du jeu vendues en 5 mois.                        (introduction de la 3D au cinéma, dans les
Si, plus globalement, le numérique permet               jeux vidéo, arts visuels…).
de renouveler les pratiques culturelles et les        Il n’en demeure pas moins que le talent des
manières de concevoir de nouvelles œuvres,            artistes et des créateurs reste toujours à
et en particulier :                                   l’origine des innovations culturelles.




                                                 15
entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision




I
  nvestir dans la culture :
un investissement comme les autres ?

Comment se prend la décision d’un inves-             Cette première étape s’avère indispensable
tissement culturel ? Pour bon nombre des             afin de convaincre les investisseurs et de
acteurs interrogés, le processus de décision         pouvoir ensuite rendre concret le projet.
débute comme pour n’importe quel autre               C’est grâce à cette approche que les por-
type d’investissement ; études préalables,           teurs de projets parviennent à trouver, de
réalisation de business plan, objectifs chif-        plus en plus, de nouveaux partenaires. Car,
frés, évaluation du risque, mise en place de         même si l’Etat ou les grandes entreprises,
systèmes de pilotage et de suivi… On passe           conservent un rôle de mécènes culturels
ainsi d’une logique de moyens – investir             prépondérant, leur apport tend à diminuer,
dans la Culture par « passion et intuition »         ce qui contraint les porteurs de projets à
plus que par stratégie – à une logique d’ob-         diversifier leurs sources de revenus. De
jectifs à atteindre.                                 leur côté, les entreprises privées cherchent
                                                     de plus en plus à estimer l’impact indirect
                                                     de leurs investissements culturels, que ce
                                                     soit sur leurs clients, sur leurs partenaires,
                                                     sur leurs actionnaires ou sur leurs salariés
                                                     et cadres dirigeants. Public comme privé
                                                     évoluent donc dans leur mode de décision,
                                                     chacun intégrant des éléments nouveaux
                                                     dans leur réflexion.




                                                16
l ROI, part de risque, durabilité de l’investissement :
  quand les règles classiques de la finance s’appliquent
  aussi, en partie, aux projets culturels
Réfléchir d’abord en termes économiques,                   n la crédibilité du producteur et de son
trouver des arguments chiffrés : tel est                   équipe ;
aujourd’hui, dans le public comme dans                     n les crédits budgétaires disponibles.
le privé, le mode de décision dominant en
matière d’investissement culturel. C’est la             Une gouvernance structurée a également
démarche qu’a suivi, par exemple, la ville              été mise en place afin d’analyser les candi-
de Glasgow. Au cours des années 80, cette               datures et de choisir les projets à financer,
cité a subi de plein fouet le déclin de ses             en cohérence avec les objectifs du Fonds.
industries traditionnelles (acier, textile…), et        Les candidats viennent défendre leur projet
le chômage de masse qui s’en est ensuivi.               devant un comité qui lui-même rapporte
« Nous nous sommes alors lancés dans                    au conseil d’administration. Enfin, chaque
l’analyse des opportunités de développe-                projet est noté, sur la base des critères de
ment qui pouvaient exister afin de redyna-              sélection listés ci-dessus, afin d’aboutir à un
miser l’économie », explique Steve INCH,                choix rationnel.
ancien Directeur Exécutif pour le dévelop-
pement de la ville de Glasgow. « Les études
préalables menées à l’époque ont montré
que la ville avait un intérêt à développer,
entre autres, la culture sur son territoire. Un
programme de développement a été établi,
dotant la ville d’objectifs mesurables (le plus
souvent d’ordre économique) et une feuille
de route fixant les résultats à atteindre ».
C’est grâce à cette méthode objectivée
que les décideurs ont pu être convaincus
de lancer ces investissements, et que les
projets ont pu être efficacement pilotés et
suivis dans le temps.
Cette approche a également été poursuivie
en Belgique par Wallimage, fonds public,
agissant par délégation de service public               Guillaume Canet et Marion Cotillard à liège pour le tournage de « Jeux
pour structurer l’industrie de l’audiovisuel            d’enfants » ©Wallimage

en Région Wallonne. Philippe REYNAERT,
son Directeur, nous indiquait que pour                  Dans le secteur privé, Renaud DONNEDIEU
sélectionner les projets à financer, l’institu-         DE VABRES, conseiller pour la stratégie,
tion vérifiait2 :                                       le développement et la culture du Groupe
                                                        Allard affirme que « les projets culturels
  n le caractère culturel de l’œuvre ;                  dans lesquels le groupe a investi ont été
  n son effet structurant sur le secteur                montés, non pas par simple goût artistique
  audiovisuel en Région(s) ;                            ou esthétique mais avec une vraie conviction
  n la viabilité du projet et le retour sur             2- Source : brochure du règlement 2010 de Wallimage,
  investissement pour Wallimage ;                       approuvé en décembre 2009



                                                   17
entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision




qu’existe un nouveau modèle économique              rencontré des décideurs ou porteurs de
où la création de valeur se fonde sur l’ex-         projets s’affranchissant de toute logique de
cellence culturelle. C’est une logique d’en-        résultats et restant dans un engagement
trepreneur, qui essaie de développer une            purement lié à leurs convictions et sensibi-
activité dans les lieux emblématiques du            lités culturelles.
patrimoine en recherchant une stratégie de          Par ailleurs, et même pour ceux qui mention-
valorisation fondée sur la culture. Tout en         nent explicitement le besoin d’objectivation
devant nécessairement trouver un modèle             de leurs investissements par des critères
économique rentable, ce qui sera l’apport           économiques, une grande majorité d’entre
d’un partenariat privé supplémentaire. »            eux évoquent également des critères quali-
C’est donc la rencontre du projet culturel          tatifs, fondés pour certains sur leur sensibi-
associé à des objectifs économiques qui             lité, pour évoquer les investissements dans
draine l’investissement du groupe.                  la culture. Porteurs de valeurs positives et
Bien sûr, il existe des exceptions à cette          de liens entre les individus, ces « investis-
exigence en voie de généralisation de               sements » ne sauraient, en effet, s’analyser
rationalité économique ; nous avons aussi           selon les seuls indices économiques.




l Les nouveaux mécènes de la culture ou comment
  trouver des financements inédits
Investir dans la culture constitue une pra-         classique, qui trouve ses ressources essen-
tique courante pour les banques, les finan-         tiellement auprès de mécènes et donateurs
ceurs publics et bon nombre de grandes              privés (Belgacom, Delhaize, BNP, Loterie
entreprises.                                        nationale…). La fidélité de ces investisseurs a
Le mécénat culturel, avec ce qu’il implique         garanti la pérennité du concours et son indé-
en termes de stratégie d’entreprise (image          pendance vis-à-vis de subventions publiques.
de marque, cohésion des salariés, fiscalité)        Mais cette situation évolue : en France par
reste une source importante de financement          exemple, le mécénat s’oriente aujourd’hui
de projets culturels. Parmi les très nom-           bien d’avantage vers l’éducation ou la santé.
breux exemples de recours au mécénat, on            C’est ce que révèle la dernière enquête de
peut citer, en Belgique, le Concours Reine          l’Admical – CSA « Le mécénat d’entreprise
Elisabeth, créé en 1937 et visant à récom-          en France ». La culture et le patrimoine ne
penser les jeunes talents de la musique             représentent plus que 380 millions d’euros
                                                    en 2010 contre 975 en 2008. Et perdent
                                                    ainsi leur 3e place de secteur financé par le
                                                    mécénat.
                                                    Les Etats et les collectivités territoriales, eux
                                                    aussi, réduisent leurs engagements finan-
                                                    ciers. Aux porteurs de projets culturels de
                                                    trouver de nouveaux investisseurs et de
                                                    développer des modèles économiques inno-
                                                    vants. C’est par exemple ce qu’ont réussi
                                                    les organisateurs du Festival d’Aix-en-Pro-
                                                    vence : l’événement a su diversifier ses
                                                    sources de financement en misant fortement
                                                    sur un mécénat de particuliers et d’entre-
                                                    prises nationales et locales. Les recettes
                                                    de mécénat représentent ainsi plus de
                                                    17 % du budget global, soit 3,35 Me sur un
                                                    budget global de 19,3 M€. Cela représente
                                                    autant que l’apport de l’Etat (17,4 %) et des



                                               18
collectivités publiques locales (16,6 %). 85 %           son apport en recettes de mécénat grâce
des recettes de mécénat proviennent des                  à une animation très forte de ce réseau et
entreprises nationales et régionales, 15 %               à un ancrage local important. Cet exemple
du mécénat individuel. Le Festival compte                vient montrer qu’il existe, dans le spectacle
ainsi une communauté de 260 mécènes                      vivant, des voies permettant d’accompagner
individuels dont 120 français, 90 américains             le soutien des collectivités publiques par
et 50 d’autres nationalités. Pour parvenir à             d’autres sources de financement.
ce résultat, le Festival a créé un club d’en-
treprises, afin de mobiliser les entreprises             Pour certains acteurs, la difficulté au jour-
régionales, pour des montants allant de                  d’hui réside donc dans le fait de trouver des
6 500 à 50 000 euros. Malgré le recul du                 financements, et de rassurer/convaincre les
mécénat culturel, l’événement a su préserver             investisseurs/mécènes.




l Imprimer sa marque : comment entreprises
  ou collectivités cherchent à séduire leurs publics
  grâce à la culture
Pour bon nombre d’acteurs, la « culture »
devient de plus en plus un moyen de se dif-
férencier en répondant à des besoins nou-
veaux du consommateur, du client ou du
citoyen. Territoires comme entreprises privi-
légient volontiers la culture comme vecteur
de communication et de valorisation de leur
image.
Dans un contexte de sortie du commu-
nisme, le nouveau gouvernement démocra-
tique polonais a décidé, en 1990-1991, de
créer une institution culturelle à Cracovie, le
Centre Culturel International (ICC), rattaché
au Ministère de la Culture et du Patrimoine,
explique Jacek PURCHLA, Directeur du
Centre. L’activité de l’ICC est axée sur une
approche multidimensionnelle du patrimoine
culturel. Ses centres d’intérêts sont : l’héri-
tage de la civilisation européenne, le multicul-
turalisme en Europe centrale, la mémoire et
l’identité, le dialogue entre les cultures et les
sociétés, la préservation des sites historiques,
les politiques culturelles, la dynamique d’une           Adrian SCHIeSS, Malerei, 2005 @ SAbAM belgium 2011;
ville historique, mais aussi les origines et le          Ann Veronica JANSSeNS, Yellow yellow skyblue, 2005

développement de l’art moderne. Son objec-
tif est de renouveler l’image de la Pologne              des chercheurs et de la jeunesse en propo-
sur la scène internationale et de fournir un             sant des bourses de recherche, des sémi-
espace de rencontre culturelle entre l’Est et            naires, des cours de 3e cycle, des stages
l’Ouest dans le domaine du patrimoine. Le                d’été, et des programmes liés aux exposi-
Centre accueille ainsi des représentants de              tions pour les enfants et les jeunes. Des
la culture, de la politique, de l’économie, et           ouvrages en plusieurs langues sont publiés
des médias du monde entier. Il organise des              par l’ICC pour toucher le lectorat internatio-
conférences et séminaires et joue un rôle                nal. La programmation d’expositions dans la
éducatif auprès des experts en patrimoine,               galerie du Centre permet de familiariser le



                                                    19
entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision




                                                                         central de cette stratégie :
                                                                         soutenir les entrepreneurs,
                                                                         dans le cadre de leur acti-
                                                                         vité professionnelle, qui
                                                                         seront demain, à la vente
                                                                         de leurs entreprises ou par
                                                                         la cession de leurs catalo-
                                                                         gues, les clients privés de
                                                                         la banque. C’est notam-
                                                                         ment pour cette raison
                                                                         q u e N e u f l i ze O B C e st
                                                                         devenue le premier finan-
                                                                         ceur du cinéma français
                                                                         avec 8 films sur 10 financés
                                                                         par la banque et 70 % de
                                                                         parts de marché dans ce
                                                                         secteur. La banque a éga-
                                                                         lement fait valoir son enga-
                                                                         gement dans le monde de
                                                                         la culture auprès de ses
                                                                         clients, pour l’essentiel des
public aux derniers développements de l’art            particuliers souvent amateurs d’art. « Notre
et de l’architecture. L’interdisciplinarité est        rôle aujourd’hui, en tant que banquier et
donc le maitre mot des activités de l’ICC.             entreprise citoyenne, est d’aider à protéger
                                                       l’héritage construit dans le passé et déve-
Côté privé, la banque Neuflize OBC a opté              lopper la richesse de demain. La culture, sur
pour un positionnement transversal dans le             les aspects patrimoniaux ou de création de
monde de la culture parce qu’elle vise une             richesse, est fortement associée à ces objec-
clientèle qui investit dans l’art, mais égale-         tifs, d’où notre volonté d’associer l’image
ment parce qu’elle accompagne les entre-               de la culture à la banque, notamment vis
preneurs du secteur culturel, une spécialité           à vis de nos clients » explique Philippe
qui lui permet de se distinguer des grandes            VAYSSETTES, Président du Directoire de
banques d’investissement ou de détail. Point           la Banque Neuflize OBC. Une offre spéci-
                                                       fique existe aussi, depuis 2001, pour soute-
                                                       nir les vendeurs d’art (galeries, antiquaires,
                                                       maisons de vente) dans leurs projets entre-
                                                       preneuriaux. Les clients privés sont éga-
                                                       lement accompagnés dans leurs achats
                                                       d’art. Neuflize OBC leur propose des finan-
                                                       cements adossés sur leur patrimoine artis-
                                                       tique, et non immobilier, ce qui représente
                                                       une rupture par rapport aux pratiques habi-
                                                       tuelles du secteur. La banque a développé
                                                       un marketing clients original, orienté autour
                                                       de leurs centres d’intérêt culturels au travers
                                                       d’événements culturels ou en adossant la
                                                       représentation d’une œuvre d’art photogra-
                                                       phique aux chéquiers de leurs clients.
                                                       Dans un autre domaine Google a imaginé
                                                       le projet « Art Project » pour témoigner de
                                                       son attachement à la culture et des pos-
                                                       sibilités offertes par la technologie, qui
                                                       permet de renforcer le lien entre les œuvres
                                                       et leur public. L’investissement repose ici



                                                  20
sur des considérations liées tant aux affaires        explique Amit SOOD, Directeur du projet.
publiques qu’à la marque Google, aux per-             « Art Project » présente en effet en ligne
formances attendues de ses ingénieurs et à            les œuvres sélectionnées par les musées
la cohérence de son management. En effet,             en très haute résolution, et crée un espace
le projet a été initialement pensé sur les            virtuel de visite, s’appuyant sur la techno-
périodes de « temps libre créatif » autori-           logie Google. Chacun peut créer sa propre
sées pour les salariés de l’entreprise. Avec          galerie virtuelle. Une initiative grand public,
Google Art Project, « il s’agit de démon-             dans un contexte où le numérique investit
trer que la technologie peut être au service          toujours plus le domaine de la culture, et où
de l’art, mais surtout de donner un accès             les internautes sont toujours plus enclins à
à la culture à ceux qui en sont privés »,             de nouvelles expériences culturelles.




l Les salariés plus motivés grâce à la culture ?
  L’expérience de grands groupes privés
Pour un nombre croissant d’entreprises, la            (photos, peintures, sculptures, vidéos,
culture peut aussi servir de support de com-          impressions) réparties dans les divers bâti-
munication interne ; il s’agit ici de fédérer         ments du groupe. « Belgacom a souhaité
les salariés, et de développer leur fierté            rendre ce lieu plus humain et proposer à
d’appartenance.                                       tous ses collaborateurs de vivre au quotidien
En Belgique, le groupe de télécommunica-              entourés d’œuvres d’art, et de se familia-
tions Belgacom a ainsi créé, en 1996, une             riser ainsi à la création artistique contem-
fondation : Belgacom Art. Sa mission ?                poraine », explique Baudouin MICHIELS,
Intégrer l’art contemporain, sous toutes ses          Président et Administrateur délégué de la
formes, à l’environnement de travail des              Fondation. Des visites guidées, suivies d’ate-
salariés du groupe. Aujourd’hui, la fondation         liers créatifs, sont également proposées aux
présente 450 œuvres d’art contemporain                enfants des collaborateurs pendant l’été.




                                                                                                        Francesco CleMeNTe, by fire or by water, 1990




                                                 21
entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision




Comment investit-on dans la culture ?
De l’intuition à la prise de décision :
cycle et cadre de référence
des projets de nature culturelle

l Artiste/gestionnaire : le dialogue permanent
  et obligatoire
Pour décider d’investir dans un projet lié à la        un autre élément joue un rôle majeur : l’in-
culture, les acteurs que nous avons interro-           tuition, voire la passion que provoque l’idée
gés procèdent, en général, comme pour tout             initiale chez le décideur, en fonction de sa
projet innovant : en suivant le cycle idée-            sensibilité. Par la suite, celui-ci doit ressentir
concept-faisabilité-réalisation-évaluation.            la conviction que l’investissement aura des
Mais, comme il s’agit d’un projet culturel,            conséquences positives, et pas uniquement
                                                       sur le plan financier : il peut s’agir d’attrac-
                                                       tivité ou de notoriété, de cohésion sociale
                                                       ou de développement humain… Le décideur
                                                       doit donc, outre la rationalité économique,
                                                       prendre en compte d’autres signaux. C’est
                                                       à cette condition que son investissement
                                                       pourra avoir des effets positifs sur l’en-
                                                       semble de l’écosystème, au-delà d’une
                                                       logique purement liée au marché.




                                                  22
Cycle de développement des projets innovants                              investissements ne sont pas uni-
                                                                           quement soumis à la loi de l’offre
                                                                           et de la demande.
                                                        Evaluation
                                                                           Cette protection partielle n’em-
                                             Distribution                  pêche pas les projets culturels
                                                                           d’être encore perçus par les déci-
                                   Réalisation                             deurs comme plus risqués que des
                     Faisabilité
                                                                           investissements « classiques ».
                                                                           En effet, évaluer les retom-
           Concept
                                                                           bées d’un projet culturel reste
    Idée                                                                   difficile car il s’inscrit toujours
                                                                           dans un logique de prototype :
                                                                           Didier FUSILLIER, Directeur en
      INTuITIoN                          DéCISIoN
                                                                           charge du projet de Lille Capitale
                                                                           Européenne de la Culture en
                                                                           2004, raconte ainsi qu’une fête
Compte tenu du caractère de plus en plus                         inaugurale avait été organisée pour lancer
innovant des projets de nature culturelle,                       l’événement. La fréquentation attendue
notamment ceux faisant appel à la R&D, le                        devait être faible, de l’ordre de 40 000 per-
cycle de décision et le cycle de développe-                      sonnes. Au final, 700 000 personnes ont
ment (du concept à la réalisation) tendent                       participé à cette manifestation. Les organi-
à se raccourcir. Ceci est notamment avéré                        sateurs et partenaires n’avaient simplement
dans le cadre de projets « technologiques »,                     pas su ou pu estimer l’engouement des
où les risques d’obsolescence restreignent                       habitants et leur envie de célébrer la ville
le cycle de vie du service/produit. D’où la                      ensemble. De même, lors de la l’élaboration
mise en place de processus de co-construc-                       budgétaire de l’événement, les pouvoirs
tion des projets, mixant les équipes et les                      publics avaient misé sur un bilan déficitaire.
compétences, pour accélérer la mise en                           Et pourtant, l’investissement (74 millions
œuvre de ces projets.                                            d’euros, dont 20 % financés par le privé)
                                                                 s’est avéré rentable : il a dégagé 2,5 millions
Cette spécificité de l’objet culturel, sa fonc-
                                                                 d’euros de bénéfices après impôts.
tion de porteur d’un message – identité,
culture, valeurs – est largement reconnue.                       Autre impératif, souligné par nos experts :
C’est d’ailleurs pourquoi ces investissements                    prendre en compte le long terme. En effet,
bénéficient parfois d’un cadre législatif                        un projet culturel s’inscrit généralement
particulier : c’est par exemple le cas pour                      dans la durée, car :
certains pays, avec le principe d’excep-                           n il requiert un temps long, de l’idée à la
tion culturelle, débattu dans le cadre des                         livraison du projet. Celui d’un équipement
accords de libre échange sous l’égide de                           culturel, par exemple, prend 8 à 10 ans. Le
l’Organisation Mondiale du Commerce. Ce                            Centre Pompidou de Metz a été construit
principe permet de protéger les industries                         en 7 ans, du choix de Metz en 2003 pour
culturelles en leur appliquant des obliga-                         accueillir un nouveau Centre Pompidou
tions et protections spécifiques. Ainsi, ces                       à l’ouverture au public en mai 2010,


                                                            23
entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision




  comme le rappelle Emmanuel MARTINEZ,                la candidature à ses retombées, s’inscrit sur
  Secrétaire Général de l’établissement ;             plus de 10 ans.
  n il s’inscrit dans une logique de réitéra-         Notre conviction aujourd’hui - et celle des
  tion. Prendre en compte cette dimension             interviewés - est qu’il est nécessaire de favo-
  dès le départ est essentiel, pour aborder           riser le dialogue permanent entre toutes les
  la question de la pérennité, et prévoir             parties prenantes d’un projet d’investisse-
  comment les ressources et l’organisation            ment plutôt que de mettre en opposition
  devront évoluer dans le futur ;                     la dimension culturelle des projets et leur
  n il s’inscrit dans un programme de déve-           appréciation économique.
  loppement de plus grande envergure et               Dans ce sens, Aline VIDAL, galeriste d’art
  de plus longue durée.                               contemporain à Paris, constate que le rapport
Les retombées ne seront mesurables qu’à               entre les artistes et les autres acteurs a consi-
moyen ou long terme. En particulier s’il              dérablement évolué en 25 ans. « Avec le déve-
s’agit d’un projet fortement innovant, qui            loppement d’un monde plus global, et des
peut mettre du temps à susciter l’adhé-               outils de communication, une nouvelle géné-
sion des publics. Ainsi, le projet de Capitale        ration d’artistes, très informés, ayant acquis
Européenne de la Culture, de l’élaboration de         des habitudes d’entrepreneur, est apparue. »



l Quand le secteur public se soucie de rentabilité,
  que le privé s’attache au « non-économique »…
  les lignes bougent
Chacun de leur côté, décideurs publics                  des industries culturelles et de l’économie
et privés ont changé de posture face aux                créative (par exemple par la création de
investissements culturels. Le terrain de jeu            pôles d’excellence, comme à Lille, le pôle
évolue, et les intérêts de ces deux mondes              image-culture-média, porté par le biais
peuvent converger, notamment en réponse                 de Pôle image et Plaine image dévelop-
à l’évolution des modes de consommation                 pement), et une approche beaucoup plus
de la culture par les publics.                          transversale de la Culture avec les autres
Un certain nombre de tendances émergent :               politiques ou volets de l’entreprise ;

  n les stratégies mises en place dans le               n la nécessité de prendre en compte la
  secteur culturel s’inscrivent au sein d’une           dimension économique des investisse-
  stratégie plus globale. Ainsi, on constate            ments culturels est de plus de plus en
  un accroissement des initiatives en faveur            plus affirmée, notamment par les acteurs
                                                                   publics. Ceux-ci recherchent
 Convergence des intérêts
                                                                   également un équilibre finan-
                                                                   cier à leurs projets, via d’autres
                                                                   sources que les subventions ;
                                                                    n la cohésion sociale et la
    Acteurs publics                  Zone de
                                   convergence                      création du lien social (au
    Donateurs et mécènes
                                                                    s e i n d ’ u n e co m m u n a u t é )
                                             Evaluation
                                                                    sont mises en exergue dans
                                             qualitative
                                                                    les projets, y compris par les
                                                                    acteurs privés ;
    Collectifs d’investisseurs               Evaluation
                                             économi-               n l’importance de la culture
    Acteurs privés                           que                    dans l’environnement est recon-
                                                                    nue tant par le privé qui l’utilise
                                                                    comme levier pour recruter et
                                                                    fidéliser ses collaborateurs que



                                                 24
dans le public pour proposer un cadre de              projets d’investissement culturel. Dans ce
  vie agréable aux habitants d’un territoire ;          contexte, leurs intérêts peuvent converger.
  n les nouvelles pratiques et le « besoin              L’exemple de DUTCH Design Fashion
  de culturel » par les clients/usagers sont            Architecture, programme de soutien aux
  pleinement ressentis par les différents               acteurs des trois branches, cité précédem-
  acteurs. Une meilleure compréhension                  ment, illustre ce changement de posture
  entre public et privé apparaît, permet-               des acteurs publics. Cette initiative a été
  tant de mieux coordonner compétences                  conçue davantage dans une logique de
  et moyens pour atteindre les objectifs de             mise en capacité et d’incubateur de projets
  chacun.                                               et moins dans une logique de « guichet » de
Globalement, les acteurs publics et privés              subventions. Elle illustre le fait qu’une stra-
évoluent vers des modes de fonctionnement               tégie concertée entre les différents acteurs
analogues. Tous deux doivent investir de                concernés, sur un marché cible et avec des
nouveaux territoires, et rechercher de nou-             objectifs communs, fonctionne dans l’intérêt
veaux partenaires pour mener à bien leurs               de tous.




l A l’heure des évaluations : comment mesurer l’impact
  non-économique ?
Les retombées qualitatives d’un projet, y
compris pour les acteurs privés, prennent
une importance croissante.
En complément de ses démarches cultu-
relles à destination de ses clients, la banque
Neuflize OBC a créé en 1997 une Fondation
pour la Photographie. Chaque année, un
comité de sélection propose aux 1 000 col-
laborateurs de la banque une série d’œuvres
de photographes contemporains. Les col-
laborateurs sont invités à élire leur préféré,
dont les œuvres seront ensuite achetées par
la Fondation. Un système original, à la fois
élément de cohésion sociale pour les sala-              conception du projet, définir ce que doivent
riés et moyen de promouvoir des artistes                être ces retombées qualitatives ? Et, dans
peu connus.                                             certains cas, puisqu’on ne peut pas les quan-
                                                        tifier, comment déterminer si elles ont été
Dans le secteur public, la ville de Bruxelles           atteintes, lors de l’évaluation et du bilan ? Il
a créé NO KAO, festival des Cultures                    n’existe aucune grille d’analyse universelle
Urbaines. Il s’agit à la fois d’offrir une scène        qui permettrait de synthétiser ce type d’in-
à la culture urbaine musicale, et de renfor-            formations et les standardiser. Ce qui est
cer la cohésion sociale, notamment grâce                ressenti comme un manque par les acteurs
à la reconnaissance des expressions musi-               confrontés à la décision d’investissement.
cales issues des importantes communau-
                                                        Sans prétendre à l’exhaustivité, nos entre-
tés congolaises et marocaines, qui trouvent
                                                        tiens nous ont permis d’identifier de
ainsi une « scène » dans le cadre de la pro-
                                                        grandes typologies d’enjeux auxquels les
grammation du festival.
                                                        projets culturels permettent de répondre et
Il est donc entendu, pour la majorité des               d’identifier des critères d’évaluation. Pour
acteurs, que les investissements culturels              chacun de ces thèmes, nous avons formulé
doivent également produire des résultats                des propositions de critères permettant
autres qu’économiques. Reste une vraie                  d’évaluer leur atteinte.
difficulté : comment, au moment de la


                                                   25
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Kurt Salmon : Entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision

  • 1. Entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision
  • 2. Remerciements Nous tenons à remercier les personnes suivantes qui ont accepté n baudouin MICHIelS, Président et Administrateur délégué de répondre à nos questions : de la Fondation, belgacom Art Foundation asbl, belgique n Peter AAlbAek JeNSeN, Producteur de film, Zentropa, n Marc MOSSe, Directeur des Affaires Publiques et Juridiques, Danemark Microsoft, France n Alain AbeCASSIS, Délégué général de la Conférence n Michel OUeDRAOGO, Délégué général, Festival Panafricain des Présidents d’Universités, France du cinéma (FeSPACO), burkina Faso n Hammou AllAlI, Directeur du département Investissement n Robert PAlMeR, Chef de la Division Culture, Conseil de l’europe Immobilier et logement, Caisse des Dépôts et Consignation, n Marie-Pierre PeIllON, Directrice de l’Analyse financière et France extra-financière, Groupama Asset Management, France n S. ANAND, Directeur de la maison d’édition Navayana, Inde n Philippe PeYRAT, Directeur du mécénat, GDF-Suez, France n Ibon AReSO, Premier adjoint au Maire, bilbao, espagne n Jean-Paul PHIlIPPOT, Administrateur général RTbF, belgique n Christine de bAAN, Directrice du Programme, DUTCH Design n lydie POlFeR, echevin de la Culture, luxembourg, Fashion Architecture, Pays-bas luxembourg n laurent bIZOT, Directeur général, label No Format!, France n Aline PUJO, Conservatrice de la Fondation de la banque n Valérie bOAGNO, Directrice générale, Journal le Temps, Suisse Neuflize ObC, France n eric COMPTe, Directeur administratif et financier, Culturespaces, n Jacek PURCHlA, Directeur, International Cultural Centre, France Cracovie, Pologne n Renaud DONNeDIeU de VAbReS, Conseiller pour la stratégie, n Philippe ReYNAeRT, Journaliste et Directeur de Wallimage, le développement et la culture, Groupe Allard, ancien Ministre belgique de la Culture, France n Jean-Michel ROSeNFelD, Conseiller de Pierre MAUROY n kurt eICHleR, kulturbetriebe Dortmund, Allemagne (ancien Maire de lille), France n Hamza FASSI-FIHRI, echevin de la Culture et de l’emploi- n Oliver SCHeYTT, Directeur général, Ruhr 2010, Allemagne Formation, bruxelles, belgique n Amit SOOD, Chef de projet Google Art, Google, etats-Unis n bernd FeSel, Directeur délégué, european Center for Creative n Alain STeINHOFF, Président, Fédération des commerçants economy (eCCe), Allemagne de Metz, France n bernard FOCCROUlle, Directeur général, Festival d’art lyrique n kjetil THORSeN, Architecte, Norvège d’Aix-en-Provence, France n barthélémy TOGUO, Artiste plasticien, Cameroun n Xavier FOURNeYRON, Directeur général adjoint en charge de la Culture, Communauté urbaine du Grand lyon, France n David THROSbY, Professeur, University Macquarie, Australie n Divina FRAU – MeIGS, Professeur agrégée, Sociologue n Xavier TROUSSARD, Chef d’unité, Unité « Politique culturelle, des médias, Université Sorbonne Nouvelle, France Diversité et dialogue interculturel », Direction Générale education & Culture, Commission européenne n Didier FUSIllIeR, Directeur de lille 3000 et de la Maison de la Culture de Créteil, France n Androulla VASSIlIOU, Commissaire européenne pour l’education, la Culture, le Multilinguisme, le Sport, les Médias n Antoine GOSSeT-GRAINVIlle, Directeur général adjoint, et la Jeunesse, Commission européenne Caisse des Dépôts et Consignation, France n Philippe VAYSSeTTeS, Président du Directoire, banque Neuflize n Jérôme GOUADAIN, Secrétaire général de l’association Diversum, France ObC, France n Prof. Peter VeRMeUleN, Chef du Département Culture, n Xavier GReFFe, Professeur de Sciences économiques et Directeur du Mastère Produits Culturels, Université de Paris I Mülheim, Allemagne Panthéon-Sorbonne, France n Aline VIDAl, Galeriste d’art contemporain à Paris, France n Nizan GUANAeS, Président, Group AbC, brésil n Christian WUlFING, e.ON Ruhrgas AG, Allemagne n Florence et Daniel GUeRlAIN, Fondateurs de la Fondation n Patrick ZelNIk, PDG, label Naïve, France Guerlain, France n Scott HUTCHeSON, Conseiller auprès du Maire pour l’economie culturelle, Nouvelle-Orléans, etats-Unis et les personnes suivantes qui ont œuvré à la réalisation n Steve INCH, ancien Directeur exécutif pour le développement de cette étude : de la ville de Glasgow, Royaume-Uni n le Conseil d’Administration et le Conseil d’Orientation du n José Ramón INSA AlbA, co-président du réseau Forum d’Avignon et en particulier Axel GANZ, Vice-Président INTeRlOCAl : réseau sud-américain des villes pour la culture, du Forum d’Avignon Saragosse, espagne n l’équipe du Forum d’Avignon : Rebecca AMSelleM, chargée n Thierry JeAN, Président de Metz Métropole Développement, de mission, Alexandre JOUX, directeur au Forum d’Avignon, Adjoint au Maire, Metz, France laure kAlTeNbACH, Directeur général du Forum d’Avignon n Michael kOH, PDG, National Heritage board, Singapour n Claudia AMbRUOSI, Développement durable, Vivendi, France n Amit kHANNA, PDG, Reliance entertainment, Inde n laurent beNZONI, professeur à l’Université Paris 2 Panthéon- n Reihnard kRAeMeR, Directeur adjoint du département Assas, France, de la Culture, Gouvernement du land de Nord-Rhénanie n Irène bRAAM, Vice President Government Relations, de Westphalie, Allemagne bertelsmann brussels liaison Office, bertelsmann, belgique n Alexandra lAFeRRIeRe, Directrice des Relations n Anne FlAMANT, directeur, banque Neuflize-ObC, France institutionnelles, Google, France n Carolina lOReNZON, Directrice des Affaires internationales, n bernard lANDRY, ancien Premier ministre du Québec, Canada Mediaset, Italie n Comte Jean-Pierre de lAUNOIT, Président, Concours Reine n emmanuel MAHe, Responsable projets digital et culturel, elisabeth, belgique Orange - France Télécom, France n laurent lebON, Secrétaire général du Centre Pompidou-Metz, n Stéphane MATHelIN-MOReAU, directeur de la banque France Neuflize-ObC entreprises, France n Jacques leGeNDRe, Sénateur et Président, Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, France n Marie SellIeR, Responsable Affaires Publiques Corporate & Propriété Intellectuelle, Vivendi, France n Jean-bernard leVY, Président du Directoire, Vivendi, France n Pascale THUMeRelle, Directrice du Développement durable, n Michel MAIGReT, Chef de la Mission Renaissance, Communauté Vivendi, France urbaine du Grand Nancy, France n emmanuel MARTINeZ, Secrétaire général du Centre Pompidou- Metz, France n bénédicte MeNANTeAU, Déléguée générale, Admical, France et les consultants kurt Salmon ayant participé aux entretiens n Philippe MeTTeNS, Président du Comité de Direction de et à la rédaction de l’étude : la Politique Scientifique et Culturelle Fédérale de belgique n Monica bOSI, Arnaud bReTON, Anne MAGNUS, (belSPO), belgique Alexandre MOeNS.
  • 3. Avant-propos Crise financière, sociétale, rigueur budgé- taire partout dans le monde… rarement un environnement aura été aussi fortement tendu, impactant l’ensemble des activités économiques. et pourtant, dans ce contexte morose, la consommation culturelle aug- mente, l’offre culturelle disponible grâce à Internet explose… Comme si la culture pouvait devenir un élément de réponse aux interrogations et attentes des citoyens ou des consommateurs, plus encore dans ce contexte de crise. Mais ce climat oblige les « investisseurs » culturels à se poser, de plus en plus, de nou- velles questions : Jeff WAll, Children, 1988, © of the artist. n  Dans quel projet investir ? n  Quels sont les critères qualitatifs et quantitatifs d’évaluation d’un investissement dans la culture ? n  Comment valoriser les projets « immatériels » ? n  en quoi ces investissements sont-ils porteurs pour l’avenir ?… le tout, dans un contexte où, même si l’investissement s’inscrit dans le long terme, les cycles d’inno- vation et de décisions se raccourcissent sans cesse, et où de nouveaux modèles d’affaires et de nou- velles offres culturelles apparaissent, notamment grâce aux nouvelles technologies. C’est à condition de relever ces défis que les investisseurs ou entrepreneurs culturels, qu’ils soient dans la sphère publique ou privée, pourront bénéficier de cette période charnière : celle où la culture change de statut, et est amenée à être considérée comme un investissement rentable ou générateur de retombées positives tant pour l’entreprise que pour l’économie et l’ensemble de la société. en 2009 et 2010, nous avions étudié les liens entre culture et attractivité des territoires. Pour cette édition 2011, nous avons choisi d’investiguer les modèles de décision liés à l’investissement dans un projet culturel. Notre objectif : définir un cadre de référence utile aux décideurs, montrer les différents indicateurs - économiques et qualitatifs - à prendre en compte, et comment les utiliser. Notre ambition ici n’est pas d’établir une matrice décisionnelle stricto sensu. Il s’agit plus de tracer un cadre général d’aide à la décision, chaque situation restant au final unique puisque liée à une structure, un territoire, à un contexte et à la nature même du projet. Pour la réalisation de cette étude internationale, nous nous sommes appuyés sur les interviews de près de soixante décideurs publics et privés, de porteurs de projet, d’artistes et de créateurs, mais aussi d’experts, mobilisés autour d’un investissement de nature « culturelle » (infrastructure, événe- ments, industries…) et confrontés à un moment ou un autre à cette prise de décision. bonne lecture. Vincent FOSTY, Marco lOPINTO, Marie-Joëlle THeNOZ, Jean-Pascal VeNDeVIlle Crédits photos : © Fotolia - p. 1 : Dora Percherancier - p. 4-6 : Virtua73 - p. 4-16 : Minerva Studio - p. 5-22 : Denis babenko - p. 5-30 : Jose Alves - p. 5-36 : gemini62 - p. 8 : Mike Thomas - p. 11 : HaywireMedia - p. 13 : AlcelVision - p. 14a : Andy - p. 14b : Julien Tromeur - p. 15 : PinkShot - p. 18 : Sashkin - p. 20a : Giordano Aita - p. 20b : beboy - p. 25 : Surub - p. 27 : barbara Helgason - p. 29 : Artcop - p. 32 : i3alda - p. 33 : Jeancliclac - p. 34 : lvnel - p. 35 : N-Media- Images - p. 45 : Sgursozlu - p. 47 : Pei ling Hoo. 3
  • 4. Sommaire Toujours plus de culture ! Vivante et ancrée dans son époque, la culture 6 accueille sans cesse de nouvelles disciplines. Cette ouverture est indispensable au maintien du contact avec les publics. 7 Tout devient culture 8 Un impact économique majeur 10 Nouveaux investisseurs et nouveaux projets 12 Industrialisation, professionnalisation : les exigences de la culture moderne 14 Comment la technologie a tout changé, y compris dans la culture « classique » 16 Investir dans la culture : un investissement comme les autres ? Comment se prend la décision d’un investissement culturel ? Pour bon nombre des acteurs interrogés, le processus de décision débute comme pour n’importe quel autre type d’investissement. 17 ROI, part de risque, durabilité de l’investissement : quand les règles classiques de la finance s’appliquent aussi, en partie, aux projets culturels 18 les nouveaux mécènes de la culture ou comment trouver des financements inédits 19 Imprimer sa marque : comment entreprises ou collectivités cherchent à séduire leurs publics grâce à la culture 21 les salariés plus motivés grâce à la culture ? l’expérience de grands groupes privés 4
  • 5. Comment investit-on dans la culture ? De l’intuition à la prise de décision : cycle et cadre de référence des projets de nature culturelle 22 Les projets culturels voient le jour dans une tension bénéfique entre passion et rationalité, objectifs sociétaux et économiques, création et gestion. 22 Artiste/gestionnaire : le dialogue permanent et obligatoire 24 Quand le secteur public se soucie de rentabilité, que le privé s’attache au non-économique… les lignes bougent 25 A l’heure des évaluations : comment mesurer l’impact non-économique ? 27 De la créativité dans les modèles de financement 28 l’impératif commun : une gouvernance exemplaire 30 Entreprendre et investir dans la culture : et demain ? La crise financière n’épargne pas la culture : mécènes et donateurs réduisent leurs apports, tout comme de nombreux pays engagés dans des politiques d’assainissement de leurs finances publiques. Notre conviction : c’est le moment d’investir. 36 Annexes 42 le Festival d’Aix-en-Provence : 36 Axes de réflexion et objectifs un exemple d’investissement de l’étude 2011 dans un événement culturel 37 Définitions et périmètre 44 Projet de numérisation de la de l’étude 2011 bibliothèque royale de belgique : un exemple d’investissement 39 Méthodologie retenue dans la production de contenus pour l’étude 2011 numériques 40 etudes de cas : des exemples… 46 DUTCH Design Fashion à suivre ? Architecture : un exemple 40 le Centre Pompidou-Metz : d’investissement dans la mise en un exemple d’investissement place des conditions d’installation dans la création d’un équipement des industries culturelles et culturel créatives aux Pays-bas 5
  • 6. entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision Toujours plus de culture ! Vivante et ancrée dans son époque, la Dans ce contexte porteur de valeurs posi- culture accueille sans cesse de nouvelles dis- tives, la culture voit apparaître de nouveaux ciplines : derniers entrants en date dans ce investisseurs, tournés vers de nouveaux « champ culturel », les jeux vidéo ou la gas- types de projets ; en particulier, les actions tronomie. Tous nos experts soulignent l’im- visant à attirer les industries créatives sur portance de cette ouverture, indispensable un territoire se multiplient. Des partenariats pour garder le contact avec les publics. public-privé se créent, pour des projets Cette culture au sens large démontre, en d’une ampleur inédite. Dans le même temps, outre, son intérêt économique, direct et travailler dans le domaine culturel est de indirect : si tant de nouveaux projets se facto une affaire de professionnels : à la développent, c’est parce que les investis- nécessaire sensibilité artistique s’ajoutent seurs, publics comme privés, savent qu’un des capacités de gestion et de manage- projet culturel bien mené peut non seule- ment qui s’avèrent indispensables… Autres ment dégager des bénéfices, mais permet nouvelles compétences requises par cette également de développer l’ensemble d’un évolution : toutes celles qui touchent au système économique et d’un territoire. numérique. Bon nombre d’acteurs de la scène culturelle ont placé le numérique au cœur de leur stratégie de développement, et obtiennent déjà des résultats remar- quables. Même si, bien sûr, le talent est tou- jours l’ingrédient le plus essentiel…
  • 7. l   out devient culture T Qu’est-ce que la culture ? La réponse à cette Ainsi, en Allemagne, Bernd FESEL, Directeur question n’est pas la même aujourd’hui délégué de l’Agence régionale de soutien qu’au siècle dernier, et évoluera encore sans aux industries créatives (ECCE1), s’appuie doute en profondeur à l’avenir. Sans renier sur une étude de 2009 menée par le gou- l’importance des disciplines classiques vernement fédéral allemand pour délimiter (peinture, musique, littérature, théâtre…), le périmètre d’intervention de sa structure. tous les experts notent que de nouvelles Cette étude définit aujourd’hui 11 branches disciplines se voient régulièrement attribuer dans l’économie créative : disques, livres, le label « culture ». Un exemple récent ? arts, films, radio, spectacle vivant, design, Le secteur du jeu vidéo, qui d’industrie du architecture, presse, publicité et jeux vidéo/ divertissement a progressivement acquis multimédia. Pour lui, cette liste pourrait le statut d’industrie culturelle, à partir de encore s’allonger : notamment, parce qu’elle la moitié des années 2000. La consécra- n’intègre pas la gastronomie, alors que tion est venue en 2009, lorsque l’Unesco a pour bon nombre d’acteurs, elle appartient inscrit cette activité dans le périmètre de déjà au secteur culturel. En effet, depuis ses statistiques culturelles. novembre 2010, le repas gastronomique C’est cette capacité à intégrer la nou- français et le régime méditerranéen figu- veauté qui rend la culture vivante et assure rent sur la liste représentative du patri- sa pérennité. La frise chronologique ci- moine culturel immatériel de l’Humanité de dessous illustre comment ce champ culturel l’Unesco : preuve – s’il en était besoin – que a su s’ouvrir en permanence à de nouvelles la notion même de champ culturel n’a pas activités. fini d’évoluer. Cet élargissement est vécu au quotidien par les acteurs que nous avons interviewés. 1- European Centre for Creative Economy. L’élargissement du champ culturel par l’intégration des industries culturelles et créatives l Stylisme l Cinéma l Jeux vidéo l Gastronomie l Radio, TV et vidéo l Photographie l Publicité l Design et graphisme Arts visuels (peinture, sculpture) - Artisanat d’art - Arts du spectacle Architecture - Patrimoine - Edition et livres XIXe siècle 1959 1986 2007 2009 fin 2011 Création Première Premières Révision Approfondissement du ministère nomenclature statistiques du cadre des statistiques de la Culture statistique culturelles statistique culturelles de l’UE27 en France Unesco Eurostat Unesco ESSnet/Eurostat 7
  • 8. entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision l Un impact économique majeur Economiquement, le poids de la culture de la population active soit 11,32 millions s’amplifie partout dans le monde. d’emplois et contribue au PIB à hauteur de Au sein de l’Union européenne, le secteur 2,45 %, soit un chiffre d’affaires de 47,6 mil- culturel employait, en 2005, 3,1 % de la liards d’euros. population active totale de l’Union. Soit Ces chiffres, logiquement, inspirent les environ 7,2 millions de personnes, c’est- décideurs du secteur public et du secteur à-dire plus que les populations actives privé : pour bon nombre de ceux que nous réunies de l’Autriche et du Danemark ! Et avons interviewés, investir dans la culture le mouvement va en s’amplifiant : alors que constitue un moyen efficace d’atteindre des l’emploi total diminuait dans l’Union euro- objectifs de développement ou de relance péenne entre 2002 et 2004, l’emploi dans économique. le secteur augmentait de 1,85 % durant la Car il ne s’agit pas seulement de créer des même période. emplois directs : la culture engendre aussi La production du secteur prend aussi de des effets de levier considérables. l’ampleur : il représentait, en 2005 toujours, C’est ce que souligne par exemple l’analyse 2,6 % du PIB de l’Union européenne, soit économétrique menée cette année pour plus de 654 milliards d’euros. C’est plus que le Forum d’Avignon, par le cabinet Tera l’industrie des produits chimiques, du caout- Consultants à partir de la base de données chouc et du plastique (2,3 % du PIB). constituée en 2009 et 2010 par Kurt Salmon pour un panel international de 47 villes de 21 pays. Cette analyse montre que si les « dépenses culturelles publiques des villes ne représentent en moyenne que 0,7 % du PIB par habitant, pourtant ces seules dépenses sont statistiquement corrélées à environ 9 % du PIB par habitant », cette cor- rélation ne signifiant pas, bien évidemment, qu’il s’agit d’un strict lien de cause à effet, de multiples autres facteurs étant à prendre en compte pour expliquer la performance de l‘investissement culturel. Reste que l’ana- lyse économétrique révèle sans aucun doute l’effet de levier de l’investissement culturel sur la hausse du PIB. Pour une ville, investir dans la culture ne sert donc pas uniquement à améliorer le bien-être de ses habitants, ou à développer la vie sociale : c’est aussi un Et ce phénomène se ressent encore d’avan- moyen de dynamiser son économie. tage dans le reste du monde ; aux Etats- L’exemple bien connu de Bilbao, avec son Unis, les industries culturelles occupaient Musée Guggenheim, illustre bien cet effet 8,41 % des actifs en 2002, et produisaient de levier. En effet, les 132 millions d’euros la même année 12 % du PIB soit 1,25 trillions investis dans le projet ont été entièrement de dollars. Tandis qu’au Canada, elles amortis dès la première année, puisque les contribuaient à 3,8 % du PIB en générant dépenses directes réalisées par les visiteurs 40 millions de dollars de chiffre d’affaires en ont permis d’augmenter le PIB de la ville de 2002, soit davantage que le secteur minier, 144 millions d’euros. 10 ans après, l’effet de du gaz et du pétrole ou encore celui de levier s’amplifie. C’est désormais 210 millions l’agriculture et de la forêt. En Chine enfin, d’euros que le Musée Guggenheim apporte le secteur culturel occupe, en 2006, 1,48 % chaque année à la ville. 8
  • 9. Ce cas n’est pas isolé. La ville de Metz est en train de connaître la même dynamique suite à l’ouverture du Centre Pompidou-Metz. Les coûts d’investissement (achat du terrain, construction…) se sont chiffrés à 70 millions d’euros, co-financés par des acteurs publics (10 millions par le Département, 10 par la Région, 4 par l’Etat, 2 par l’Europe et le reste par Metz Métropole), tandis que le budget de fonc- tionnement de l’année 2009 s’est monté à 12 millions (9 financés par des subventions et 3 par des recettes propres). Un an après l’ouverture, les pre- mières retombées du Centre Pilier tulipe ©Centre Pompidou-Metz. Pompidou-Metz sont : n le développement du tourisme qui se (restauration, hôtellerie, parking), et ont, traduit par une progression importante dès l’origine, pensé ces projets comme des des nuitées et de l’hôtellerie ; leviers de développement, intégrés à une n les commerçants de Metz estiment par stratégie économique plus globale. ailleurs que 35 à 40 % des visiteurs du Mais les effets positifs de ces investisse- musée sont venus ensuite visiter la ville au ments culturels dépassent largement la profit donc des commerces mais surtout sphère économique ; ils deviennent aussi, des restaurateurs ; fréquemment, de vrais catalyseurs de créa- n l’accélération de l’aménagement urbain tivité. Ce qui influe sur l’ensemble de la avec notamment la réhabilitation du société, tous secteurs confondus. quartier de l’Amphithéâtre qui comptera « La créativité est indispensable à la promo- 1 600 logements et 40 commerces pour tion de l’innovation au sein du secteur écono- des investissements privés d’un montant mique », relève David THROSBY, Professeur de 460 millions d’euros et publics de d’Economie à l’Université Macquarie 160 millions ; (Australie). « Les idées créatives sont un n le changement d’image de la ville, plus ingrédient essentiel de l’innovation, qu’elle difficile à évaluer à court terme, mais s’applique à un produit ou à un processus. néanmoins ressenti par les habitants et Ces innovations conduisent à un change- les acteurs économiques de la ville et qui ment technologique, qui, à son tour, alimente se traduit d’ores et déjà par une augmen- la croissance économique. Il existe un lien tation de la demande de locaux profes- indéniable entre la créativité et la perfor- sionnels et de permis de construire. mance économique des entreprises, et des économies en général. » A un niveau plus L’« effet Bilbao » n’a donc rien d’une excep- institutionnel, la stratégie de la Commission tion. Il présente même bon nombre de européenne pour la période 2010-2020, similitudes avec Metz : dans les deux cas, intitulée « Europe 2020 : une stratégie pour on parle de villes de taille moyenne, qui une croissance intelligente, durable et inclu- ne possédaient jusqu’alors aucune ins- sive » développe cette même idée et se titution culturelle de renom. Toutes deux, donne pour objectif de promouvoir la culture pour accompagner ces projets culturels, comme levier de l’innovation, sur le plan ont développé des infrastructures annexes technologique, societal et organisationnel. 9
  • 10. entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision l   ouveaux investisseurs et nouveaux projets N Les entretiens menés nous ont permis d’iden- contact entre la riche culture traditionnelle tifier plusieurs natures d’investissement : de la région et l’art contemporain, conserver sur le territoire africain cette culture et per- Quatre natures d’investissement culturel mettre sa rencontre avec des artistes venus du monde entier. Mais il s’agit avant tout Les investissements Les investissements d’un lieu de vie, d’expression et d’échange, dans les dans les événements équipements culturels, le soutien visant à accueillir la population locale dans culturels et le à la création et aux un cadre culturel. patrimoine bâti collections A une autre échelle, ce type d’investis- sement dans les événements culturels attire de plus en plus les initiatives. Didier Les investissements Les investissements FUSILLIER, Directeur en charge du projet dans la mise en dans les industries place de conditions culturelles et la de Lille Capitale Européenne de la Culture d’attractivité et production de en 2004, remarque ainsi que « cet événe- d’installation contenus ment attirait assez peu de candidats avant des acteurs des industries culturelles les années 2000 ». Aujourd’hui, au contraire, l’engouement est tel que les villes sont de plus en plus nombreuses à faire acte de can- didature pour organiser cet événement. Les investissements dans les équipements culturels et le bâti Les investissements Il s’agit ici de préserver et de mettre en dans les industries culturelles valeur le patrimoine et les équipements et la production de contenus culturels existants (musées, monuments…) Les industries culturelles et créatives mais aussi construire de nouveaux lieux. Le connaissent un foisonnement important ces secteur public garde un rôle important dans 20 dernières années et investissent princi- ce domaine, mais le privé s’empare lui aussi palement les filières à production de conte- de ces sujets. Ainsi, Culturespaces, filiale de nus via les technologies et le numérique. GDF-Suez, anime et gère les monuments Le secteur du disque est ainsi une activité et musées qui lui sont confiés via des délé- emblématique de cette production, dans gations de service public, en France et en lequel se côtoient des sociétés de grande Europe. La société a décidé fin 2010 de envergure internationale à des producteurs se diversifier et de se lancer, pour la pre- mière fois dans l’acquisition d’un patrimoine classé, en rachetant l’Hôtel de Caumont, conservatoire actuel d’Aix-en-Provence. L’objectif est de transformer le lieu en un espace d’expositions temporaires dès 2014, ce qui satisfait aussi aux exigences de la ville puisque le lieu restera ouvert au public, et enrichira l’offre culturelle. Les investissements dans les événements culturels, le soutien à la création et aux collections De plus en plus d’artistes ou de porteurs ©Forum d’Avignon de projet se lancent dans la création d’en- treprises individuelles. Ainsi, Barthélémy TOGUO, artiste plasticien, a choisi de créer une Maison des Artistes à Bandjoun Station, à l’Ouest du Cameroun. Son idée : établir le 10
  • 11. de taille plus modeste. Ces derniers cher- Les investissements dans la chent à se démarquer par la production mise en place de conditions d’un contenu moins commercial mais misant d’attractivité et d’installation des davantage sur la diversité culturelle des acteurs des industries culturelles artistes. Ce type d’investissement connaît une ap- « C’est la mission que s’est donné le label proche nouvelle. Des structures, publiques, No Format! », explique Laurent BIZOT, son privées ou mixtes, se créent, afin d’appor- Directeur et fondateur. Créée en 2004, cette ter aux acteurs des industries culturelles maison de production se positionne en l’accompagnement, le soutien, voire des découvreur de talents et pilier de la diver- espaces et infrastructures adaptés à leur dé- sité musicale. A l’origine du projet, le choix veloppement. C’est l’ambition par exemple d’un refus du conformisme dans l’indus- de l’Agence régionale de soutien aux indus- trie du disque. No Format! donne ainsi une tries créatives (ECCE), en Allemagne, suite place aux artistes proposant des œuvres au projet « Ruhr, capitale européenne de la atypiques, métissées, ne s’inscrivant pas culture en 2010 ». dans les formats des grandes sociétés de Pour soutenir ainsi les industries culturelles production. Depuis 2004, 18 albums ont été et créatives de la région, l’agence a arti- produits avec 15 artistes différents. L’enjeu culé ses activités autour de quatre grandes pour ce type de structure est d’assurer une orientations : viabilité économique. C’est pourquoi No Format! a misé sur un modèle minimisant n le développement des lieux de créa- les frais de production. En complément, tion existants et la création de nouveaux elle propose également des prestations de espaces ; conseil en matière juridique à des produc- n l’intensification et la structuration des teurs et artistes (ce qui représente 30 % de échanges entre les acteurs, leur mise en son chiffre d’affaires). réseau ; 11
  • 12. entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision n l’organisation d’événements annuels à et financé essentiellement par des subven- résonance internationale ; tions publiques, affiche le même type d’am- n le développement d’une forte commu- bition : renforcer la position internationale nication. de trois secteurs d’activité (design, mode, architecture) grâce à des partenariats Avant de soutenir ou de financer un projet, avec les acteurs nationaux (organisations, ECCE attend des entrepreneurs l’élabo- associations professionnelles, entreprises) ration d’une stratégie régionale à moyen et internationaux. Parmi la multitude de terme pour leur secteur, dans laquelle projets initiés, l’ouverture en septembre le projet doit constituer la pierre angu- 2010 d’un incubateur d’entreprises, le laire. Le rôle d’ECCE est d’animer et de DUTCH Design Workspace à Shanghaï, est faciliter le processus de construction de l’un des plus significatifs. Le but : aider les la stratégie avec l’ensemble des parties entrepreneurs hollandais issus de l’une de prenantes du projet et par la suite de son ces trois disciplines à s’installer en Chine ou exécution, mais non de mener les projets y étendre leurs activités. Au programme, directement. évaluation de business plan, conseil pour De son côté, aux Pays-Bas, le programme l’installation d’une entreprise, information interministériel, DUTCH Design Fashion légale et administrative, introduction dans Architecture (DUTCH DFA), créé en 2009 des réseaux de haut niveau… l  ndustrialisation, professionnalisation : les exigences I de la culture moderne Le secteur de la culture reste très atomisé, Au final, le degré d’industrialisation varie les petites et moyennes entreprises y sont fortement selon les filières : surreprésentées. A noter, une forte dyna- n certaines restent encore relativement mique entrepreneuriale avec un nombre peu structurées ou avec une multitude important de PME se lançant en mode d’acteurs en présence (ex. : spectacle « start up ». L’entrepreneuriat culturel vivant) ; cherche à innover aussi bien en termes de n d’autres en revanche se concentrent création de produits ou d’œuvres, qu’en autour de conglomérats industriels (ex. : les termes de processus de création. majors de l’industrie cinématographique). Taille des entreprises des industries culturelles et créatives (ICC) par filière % 100 90 Nombre 80 de salariés 70 60 250 et plus 50 50 à 249 40 30 10 à 49 20 4à9 10 0 1à3 é e n n e éo e TV el els i cit t ur i tio sig od id siqu cle o/ ici u bl ec Ed De M /V ta di g vis Pu hit Mu pe c Ra Lo ts rc ilm Ar A F ets ts Ar Source : étude La dimension entrepreneuriale des industries culturelles et créatives en Europe (2010), Ecole des Arts d’Utrecht pour la Commission européenne 12
  • 13. Lorsqu’elles se concentrent, les industries Pour réussir son évolution, le secteur a culturelles et créatives mettent en œuvre besoin de recruter de nouveaux talents, une dynamique industrielle de plus en plus aux profils polyvalents. Au-delà des compé- structurée. On voit par exemple émerger tences artistiques traditionnellement atten- des concentrations géographiques et/ou des dues, de nouvelles exigences apparaissent : pôles d’excellence sous forme de clusters. Le n plus le secteur s’industrialise et attire but : atteindre une taille critique en termes des entrepreneurs, plus il a besoin de de moyens, mais aussi créer des synergies compétences économiques. D’abord pour en matière de compétences et savoir-faire, mener à bien les projets, en termes de notamment, en matière de capitalisation gestion, commerce, marketing, manage- sur des marques ou la création de produits ment… Mais aussi pour gérer les parte- dérivés. C’est ainsi que s’est constitué à titre nariats, financiers notamment, liés aux d’exemple le cluster Imaginove en Rhône- projets culturels : ce qui suppose de Alpes (France), autour du cinéma, de l’audio- maîtriser les mécanismes de finance- visuel, des jeux vidéo et de l’animation, du ment (banques et institutions financières, multimédia. Il fédère aujourd’hui plus de 200 mécénat et donations…) ; entreprises rhône-alpines autour d’un objec- tif commun : développer les synergies entre n de leur côté, les avancées technolo- ces filières en favorisant l’anticipation et en giques continues nécessitent de recruter stimulant l’innovation des professionnels. et de former en permanence des spécia- listes techniques, en matière numérique Autre évolution majeure : notamment. Ce dernier domaine de n la professionnalisation des acteurs de compétences devient crucial pour bon la culture. Avec, pour corollaire, l’appari- nombre de projets. tion de nouveaux métiers et de nouvelles filières de formation. l   omment la technologie a tout changé, y compris C dans la culture « classique » Le numérique investit l’ensemble de la Le Château de Versailles a également investi culture, au fur et à mesure des progrès dans les réseaux sociaux et la blogosphère technologiques, notamment à travers deux pour toucher un public plus jeune et conduit objectifs : une politique offensive de valorisation de ses actifs immatériels, notamment la Le numérique, moyen de valoriser « marque » Château de Versailles grâce à de le patrimoine multiples partenariats. Le Château de Versailles : un exemple de valorisation du patrimoine et de développe- ment de marque grâce au numérique. L’établissement a fait des nouvelles tech- nologies un axe majeur de sa stratégie de développement. Outre un site Internet qui attire quelque cinq millions de visiteurs virtuels par an, le Château de Versailles se présente comme un véritable laboratoire d’innovation : géolocalisation, visite virtuelle et réalité augmentée avec « Versailles en direct », réalisé avec Orange, reconnais- sance d’images, vidéos 3D… de nouvelles idées sont sans cesse expérimentées. 13
  • 14. entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision L’objectif initial du projet du Grand Versailles numérique, lancé en 2005, était très pragmatique : tester puis déployer des applications numériques utiles à la visite et à la diffusion des connaissances, dans un enjeu global d’amélioration de l’accueil du public. Mais aujourd’hui, avec le renforce- ment du numérique en tant qu’axe majeur de son développement, le Château se posi- tionne en véritable laboratoire de l’utilisa- tion des nouvelles technologies. En outre, le Château de Versailles est le premier musée français à avoir rejoint le « Google Art project », un réseau de 17 musées dans le monde qui propose une visite virtuelle de salles d’expositions, avec accès aux œuvres en très haute définition et dont la phase deux devrait être lancée modèle incontournable d’industrialisation au printemps 2012. Ce projet a été, pour le du cinéma. Néanmoins, face au développe- musée, une source de visibilité importante ment de nouveaux schémas de production grâce aux retombées dans les médias. Pas (en particulier avec le cinéma indépendant), moins d’un million de visiteurs, le premier la baisse de la fréquentation dans les salles mois, ont ainsi visité le Château de Versailles et l’émergence de nouveaux modes de virtuellement. consommation (tels que DVD, VOD, télé- Enfin, le musée a fortement investi dans chargement sur Internet), cette filière doit la mobilité, aspect essentiel des nouveaux se réinventer pour répondre à ces enjeux et usages. Le site mobile du Château de assurer son avenir. Versailles accueille à lui seul près de 15 % de Pour ce faire, Hollywood mise désormais sur la fréquentation globale des outils en ligne. les technologies numériques, avec le déve- L’application Orange d’aide à la visite des loppement de la 3D, afin de faire face au jardins propose au visiteur un outil de géo- piratage et proposer des contenus cultu- localisation, qui s’applique également aux rels enrichis et de nouvelles expériences contenus. A la pointe de l’innovation, elle visuelles aux spectateurs. se fonde sur la technologie de réalité aug- La nouvelle technologie en trois dimen- mentée, avec la mise en valeur d’es- sions bouleverse ainsi les données de paces cachés. Ainsi, à partir de la filière cinématographique : ces jardins présentant un défi en termes de médiation, le musée n les entrées pour les films en 3D pro- et Orange ont conçu ensemble un posés en Amérique du Nord ont permis outil interactif, allant jusqu’à offrir au à elles seules de générer 11 % de la visiteur des contenus exclusifs tels que croissance ces dernières années ; des interviews vidéos des conservateurs, n le nombre de salles à projection architectes, fontainiers et jardiniers. numérique dans le monde a augmenté de 86 % sur la seule année 2009 (16 000 Le numérique, outil de développement salles équipées en 2010). de produits et services culturels En parallèle, on assiste également à un Los Angeles : une réorganisation de la filière décloisonnement entre les filières du cinéma misant sur les technologies numé- cinéma et des jeux vidéo vers un pôle d’ex- riques comme levier de stratégie culturelle. cellence élargi visant à profiter des tech- L’industrie cinématographique américaine nologies et des compétences réciproques. est un exemple emblématique d’industrie Pour Hollywood, une alliance plus forte culturelle et créative, qui a développé un avec les jeux vidéo est source d’innovation 14
  • 15. technologique, notamment dans les arts n d’accompagner les nouveaux usages graphiques. Tandis que les jeux vidéo profi- (mobilité, accès à l’information, dévelop- tent du style visuel développé par le cinéma. pement du web 2.0, 3.0, géolocalisation, services à valeur ajoutée…) ; De nouvelles stratégies commerciales et marketing sont ainsi développées afin d’ac- n de pérenniser les effets d’une initia- célérer le transfert d’un film populaire en tive culturelle (faire vivre un événement jeu vidéo ou inversement à produire un au-delà de l’événement lui-même par de film à partir du scénario d’un jeu, l’objectif la captation vidéo, permettre aux inter- étant de pouvoir proposer une gamme de nautes de s’exprimer à son propos…) ; produits plus qualitative et complète à un n de faire évoluer les pratiques profes- public de masse fidélisé. Exemple de mise sionnelles (par exemple, la restauration en œuvre de cette stratégie : l’adaptation de des œuvres d’art à Florence utilise désor- « Harry Potter » en jeu vidéo par Electronic mais le laser) ; Arts, qui a enregistré plus de 9 millions de n de créer de nouveaux biens culturels copies du jeu vendues en 5 mois. (introduction de la 3D au cinéma, dans les Si, plus globalement, le numérique permet jeux vidéo, arts visuels…). de renouveler les pratiques culturelles et les Il n’en demeure pas moins que le talent des manières de concevoir de nouvelles œuvres, artistes et des créateurs reste toujours à et en particulier : l’origine des innovations culturelles. 15
  • 16. entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision I   nvestir dans la culture : un investissement comme les autres ? Comment se prend la décision d’un inves- Cette première étape s’avère indispensable tissement culturel ? Pour bon nombre des afin de convaincre les investisseurs et de acteurs interrogés, le processus de décision pouvoir ensuite rendre concret le projet. débute comme pour n’importe quel autre C’est grâce à cette approche que les por- type d’investissement ; études préalables, teurs de projets parviennent à trouver, de réalisation de business plan, objectifs chif- plus en plus, de nouveaux partenaires. Car, frés, évaluation du risque, mise en place de même si l’Etat ou les grandes entreprises, systèmes de pilotage et de suivi… On passe conservent un rôle de mécènes culturels ainsi d’une logique de moyens – investir prépondérant, leur apport tend à diminuer, dans la Culture par « passion et intuition » ce qui contraint les porteurs de projets à plus que par stratégie – à une logique d’ob- diversifier leurs sources de revenus. De jectifs à atteindre. leur côté, les entreprises privées cherchent de plus en plus à estimer l’impact indirect de leurs investissements culturels, que ce soit sur leurs clients, sur leurs partenaires, sur leurs actionnaires ou sur leurs salariés et cadres dirigeants. Public comme privé évoluent donc dans leur mode de décision, chacun intégrant des éléments nouveaux dans leur réflexion. 16
  • 17. l ROI, part de risque, durabilité de l’investissement : quand les règles classiques de la finance s’appliquent aussi, en partie, aux projets culturels Réfléchir d’abord en termes économiques, n la crédibilité du producteur et de son trouver des arguments chiffrés : tel est équipe ; aujourd’hui, dans le public comme dans n les crédits budgétaires disponibles. le privé, le mode de décision dominant en matière d’investissement culturel. C’est la Une gouvernance structurée a également démarche qu’a suivi, par exemple, la ville été mise en place afin d’analyser les candi- de Glasgow. Au cours des années 80, cette datures et de choisir les projets à financer, cité a subi de plein fouet le déclin de ses en cohérence avec les objectifs du Fonds. industries traditionnelles (acier, textile…), et Les candidats viennent défendre leur projet le chômage de masse qui s’en est ensuivi. devant un comité qui lui-même rapporte « Nous nous sommes alors lancés dans au conseil d’administration. Enfin, chaque l’analyse des opportunités de développe- projet est noté, sur la base des critères de ment qui pouvaient exister afin de redyna- sélection listés ci-dessus, afin d’aboutir à un miser l’économie », explique Steve INCH, choix rationnel. ancien Directeur Exécutif pour le dévelop- pement de la ville de Glasgow. « Les études préalables menées à l’époque ont montré que la ville avait un intérêt à développer, entre autres, la culture sur son territoire. Un programme de développement a été établi, dotant la ville d’objectifs mesurables (le plus souvent d’ordre économique) et une feuille de route fixant les résultats à atteindre ». C’est grâce à cette méthode objectivée que les décideurs ont pu être convaincus de lancer ces investissements, et que les projets ont pu être efficacement pilotés et suivis dans le temps. Cette approche a également été poursuivie en Belgique par Wallimage, fonds public, agissant par délégation de service public Guillaume Canet et Marion Cotillard à liège pour le tournage de « Jeux pour structurer l’industrie de l’audiovisuel d’enfants » ©Wallimage en Région Wallonne. Philippe REYNAERT, son Directeur, nous indiquait que pour Dans le secteur privé, Renaud DONNEDIEU sélectionner les projets à financer, l’institu- DE VABRES, conseiller pour la stratégie, tion vérifiait2 : le développement et la culture du Groupe Allard affirme que « les projets culturels n le caractère culturel de l’œuvre ; dans lesquels le groupe a investi ont été n son effet structurant sur le secteur montés, non pas par simple goût artistique audiovisuel en Région(s) ; ou esthétique mais avec une vraie conviction n la viabilité du projet et le retour sur 2- Source : brochure du règlement 2010 de Wallimage, investissement pour Wallimage ; approuvé en décembre 2009 17
  • 18. entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision qu’existe un nouveau modèle économique rencontré des décideurs ou porteurs de où la création de valeur se fonde sur l’ex- projets s’affranchissant de toute logique de cellence culturelle. C’est une logique d’en- résultats et restant dans un engagement trepreneur, qui essaie de développer une purement lié à leurs convictions et sensibi- activité dans les lieux emblématiques du lités culturelles. patrimoine en recherchant une stratégie de Par ailleurs, et même pour ceux qui mention- valorisation fondée sur la culture. Tout en nent explicitement le besoin d’objectivation devant nécessairement trouver un modèle de leurs investissements par des critères économique rentable, ce qui sera l’apport économiques, une grande majorité d’entre d’un partenariat privé supplémentaire. » eux évoquent également des critères quali- C’est donc la rencontre du projet culturel tatifs, fondés pour certains sur leur sensibi- associé à des objectifs économiques qui lité, pour évoquer les investissements dans draine l’investissement du groupe. la culture. Porteurs de valeurs positives et Bien sûr, il existe des exceptions à cette de liens entre les individus, ces « investis- exigence en voie de généralisation de sements » ne sauraient, en effet, s’analyser rationalité économique ; nous avons aussi selon les seuls indices économiques. l Les nouveaux mécènes de la culture ou comment trouver des financements inédits Investir dans la culture constitue une pra- classique, qui trouve ses ressources essen- tique courante pour les banques, les finan- tiellement auprès de mécènes et donateurs ceurs publics et bon nombre de grandes privés (Belgacom, Delhaize, BNP, Loterie entreprises. nationale…). La fidélité de ces investisseurs a Le mécénat culturel, avec ce qu’il implique garanti la pérennité du concours et son indé- en termes de stratégie d’entreprise (image pendance vis-à-vis de subventions publiques. de marque, cohésion des salariés, fiscalité) Mais cette situation évolue : en France par reste une source importante de financement exemple, le mécénat s’oriente aujourd’hui de projets culturels. Parmi les très nom- bien d’avantage vers l’éducation ou la santé. breux exemples de recours au mécénat, on C’est ce que révèle la dernière enquête de peut citer, en Belgique, le Concours Reine l’Admical – CSA « Le mécénat d’entreprise Elisabeth, créé en 1937 et visant à récom- en France ». La culture et le patrimoine ne penser les jeunes talents de la musique représentent plus que 380 millions d’euros en 2010 contre 975 en 2008. Et perdent ainsi leur 3e place de secteur financé par le mécénat. Les Etats et les collectivités territoriales, eux aussi, réduisent leurs engagements finan- ciers. Aux porteurs de projets culturels de trouver de nouveaux investisseurs et de développer des modèles économiques inno- vants. C’est par exemple ce qu’ont réussi les organisateurs du Festival d’Aix-en-Pro- vence : l’événement a su diversifier ses sources de financement en misant fortement sur un mécénat de particuliers et d’entre- prises nationales et locales. Les recettes de mécénat représentent ainsi plus de 17 % du budget global, soit 3,35 Me sur un budget global de 19,3 M€. Cela représente autant que l’apport de l’Etat (17,4 %) et des 18
  • 19. collectivités publiques locales (16,6 %). 85 % son apport en recettes de mécénat grâce des recettes de mécénat proviennent des à une animation très forte de ce réseau et entreprises nationales et régionales, 15 % à un ancrage local important. Cet exemple du mécénat individuel. Le Festival compte vient montrer qu’il existe, dans le spectacle ainsi une communauté de 260 mécènes vivant, des voies permettant d’accompagner individuels dont 120 français, 90 américains le soutien des collectivités publiques par et 50 d’autres nationalités. Pour parvenir à d’autres sources de financement. ce résultat, le Festival a créé un club d’en- treprises, afin de mobiliser les entreprises Pour certains acteurs, la difficulté au jour- régionales, pour des montants allant de d’hui réside donc dans le fait de trouver des 6 500 à 50 000 euros. Malgré le recul du financements, et de rassurer/convaincre les mécénat culturel, l’événement a su préserver investisseurs/mécènes. l Imprimer sa marque : comment entreprises ou collectivités cherchent à séduire leurs publics grâce à la culture Pour bon nombre d’acteurs, la « culture » devient de plus en plus un moyen de se dif- férencier en répondant à des besoins nou- veaux du consommateur, du client ou du citoyen. Territoires comme entreprises privi- légient volontiers la culture comme vecteur de communication et de valorisation de leur image. Dans un contexte de sortie du commu- nisme, le nouveau gouvernement démocra- tique polonais a décidé, en 1990-1991, de créer une institution culturelle à Cracovie, le Centre Culturel International (ICC), rattaché au Ministère de la Culture et du Patrimoine, explique Jacek PURCHLA, Directeur du Centre. L’activité de l’ICC est axée sur une approche multidimensionnelle du patrimoine culturel. Ses centres d’intérêts sont : l’héri- tage de la civilisation européenne, le multicul- turalisme en Europe centrale, la mémoire et l’identité, le dialogue entre les cultures et les sociétés, la préservation des sites historiques, les politiques culturelles, la dynamique d’une Adrian SCHIeSS, Malerei, 2005 @ SAbAM belgium 2011; ville historique, mais aussi les origines et le Ann Veronica JANSSeNS, Yellow yellow skyblue, 2005 développement de l’art moderne. Son objec- tif est de renouveler l’image de la Pologne des chercheurs et de la jeunesse en propo- sur la scène internationale et de fournir un sant des bourses de recherche, des sémi- espace de rencontre culturelle entre l’Est et naires, des cours de 3e cycle, des stages l’Ouest dans le domaine du patrimoine. Le d’été, et des programmes liés aux exposi- Centre accueille ainsi des représentants de tions pour les enfants et les jeunes. Des la culture, de la politique, de l’économie, et ouvrages en plusieurs langues sont publiés des médias du monde entier. Il organise des par l’ICC pour toucher le lectorat internatio- conférences et séminaires et joue un rôle nal. La programmation d’expositions dans la éducatif auprès des experts en patrimoine, galerie du Centre permet de familiariser le 19
  • 20. entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision central de cette stratégie : soutenir les entrepreneurs, dans le cadre de leur acti- vité professionnelle, qui seront demain, à la vente de leurs entreprises ou par la cession de leurs catalo- gues, les clients privés de la banque. C’est notam- ment pour cette raison q u e N e u f l i ze O B C e st devenue le premier finan- ceur du cinéma français avec 8 films sur 10 financés par la banque et 70 % de parts de marché dans ce secteur. La banque a éga- lement fait valoir son enga- gement dans le monde de la culture auprès de ses clients, pour l’essentiel des public aux derniers développements de l’art particuliers souvent amateurs d’art. « Notre et de l’architecture. L’interdisciplinarité est rôle aujourd’hui, en tant que banquier et donc le maitre mot des activités de l’ICC. entreprise citoyenne, est d’aider à protéger l’héritage construit dans le passé et déve- Côté privé, la banque Neuflize OBC a opté lopper la richesse de demain. La culture, sur pour un positionnement transversal dans le les aspects patrimoniaux ou de création de monde de la culture parce qu’elle vise une richesse, est fortement associée à ces objec- clientèle qui investit dans l’art, mais égale- tifs, d’où notre volonté d’associer l’image ment parce qu’elle accompagne les entre- de la culture à la banque, notamment vis preneurs du secteur culturel, une spécialité à vis de nos clients » explique Philippe qui lui permet de se distinguer des grandes VAYSSETTES, Président du Directoire de banques d’investissement ou de détail. Point la Banque Neuflize OBC. Une offre spéci- fique existe aussi, depuis 2001, pour soute- nir les vendeurs d’art (galeries, antiquaires, maisons de vente) dans leurs projets entre- preneuriaux. Les clients privés sont éga- lement accompagnés dans leurs achats d’art. Neuflize OBC leur propose des finan- cements adossés sur leur patrimoine artis- tique, et non immobilier, ce qui représente une rupture par rapport aux pratiques habi- tuelles du secteur. La banque a développé un marketing clients original, orienté autour de leurs centres d’intérêt culturels au travers d’événements culturels ou en adossant la représentation d’une œuvre d’art photogra- phique aux chéquiers de leurs clients. Dans un autre domaine Google a imaginé le projet « Art Project » pour témoigner de son attachement à la culture et des pos- sibilités offertes par la technologie, qui permet de renforcer le lien entre les œuvres et leur public. L’investissement repose ici 20
  • 21. sur des considérations liées tant aux affaires explique Amit SOOD, Directeur du projet. publiques qu’à la marque Google, aux per- « Art Project » présente en effet en ligne formances attendues de ses ingénieurs et à les œuvres sélectionnées par les musées la cohérence de son management. En effet, en très haute résolution, et crée un espace le projet a été initialement pensé sur les virtuel de visite, s’appuyant sur la techno- périodes de « temps libre créatif » autori- logie Google. Chacun peut créer sa propre sées pour les salariés de l’entreprise. Avec galerie virtuelle. Une initiative grand public, Google Art Project, « il s’agit de démon- dans un contexte où le numérique investit trer que la technologie peut être au service toujours plus le domaine de la culture, et où de l’art, mais surtout de donner un accès les internautes sont toujours plus enclins à à la culture à ceux qui en sont privés », de nouvelles expériences culturelles. l Les salariés plus motivés grâce à la culture ? L’expérience de grands groupes privés Pour un nombre croissant d’entreprises, la (photos, peintures, sculptures, vidéos, culture peut aussi servir de support de com- impressions) réparties dans les divers bâti- munication interne ; il s’agit ici de fédérer ments du groupe. « Belgacom a souhaité les salariés, et de développer leur fierté rendre ce lieu plus humain et proposer à d’appartenance. tous ses collaborateurs de vivre au quotidien En Belgique, le groupe de télécommunica- entourés d’œuvres d’art, et de se familia- tions Belgacom a ainsi créé, en 1996, une riser ainsi à la création artistique contem- fondation : Belgacom Art. Sa mission ? poraine », explique Baudouin MICHIELS, Intégrer l’art contemporain, sous toutes ses Président et Administrateur délégué de la formes, à l’environnement de travail des Fondation. Des visites guidées, suivies d’ate- salariés du groupe. Aujourd’hui, la fondation liers créatifs, sont également proposées aux présente 450 œuvres d’art contemporain enfants des collaborateurs pendant l’été. Francesco CleMeNTe, by fire or by water, 1990 21
  • 22. entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision Comment investit-on dans la culture ? De l’intuition à la prise de décision : cycle et cadre de référence des projets de nature culturelle l Artiste/gestionnaire : le dialogue permanent et obligatoire Pour décider d’investir dans un projet lié à la un autre élément joue un rôle majeur : l’in- culture, les acteurs que nous avons interro- tuition, voire la passion que provoque l’idée gés procèdent, en général, comme pour tout initiale chez le décideur, en fonction de sa projet innovant : en suivant le cycle idée- sensibilité. Par la suite, celui-ci doit ressentir concept-faisabilité-réalisation-évaluation. la conviction que l’investissement aura des Mais, comme il s’agit d’un projet culturel, conséquences positives, et pas uniquement sur le plan financier : il peut s’agir d’attrac- tivité ou de notoriété, de cohésion sociale ou de développement humain… Le décideur doit donc, outre la rationalité économique, prendre en compte d’autres signaux. C’est à cette condition que son investissement pourra avoir des effets positifs sur l’en- semble de l’écosystème, au-delà d’une logique purement liée au marché. 22
  • 23. Cycle de développement des projets innovants investissements ne sont pas uni- quement soumis à la loi de l’offre et de la demande. Evaluation Cette protection partielle n’em- Distribution pêche pas les projets culturels d’être encore perçus par les déci- Réalisation deurs comme plus risqués que des Faisabilité investissements « classiques ». En effet, évaluer les retom- Concept bées d’un projet culturel reste Idée difficile car il s’inscrit toujours dans un logique de prototype : Didier FUSILLIER, Directeur en INTuITIoN DéCISIoN charge du projet de Lille Capitale Européenne de la Culture en 2004, raconte ainsi qu’une fête Compte tenu du caractère de plus en plus inaugurale avait été organisée pour lancer innovant des projets de nature culturelle, l’événement. La fréquentation attendue notamment ceux faisant appel à la R&D, le devait être faible, de l’ordre de 40 000 per- cycle de décision et le cycle de développe- sonnes. Au final, 700 000 personnes ont ment (du concept à la réalisation) tendent participé à cette manifestation. Les organi- à se raccourcir. Ceci est notamment avéré sateurs et partenaires n’avaient simplement dans le cadre de projets « technologiques », pas su ou pu estimer l’engouement des où les risques d’obsolescence restreignent habitants et leur envie de célébrer la ville le cycle de vie du service/produit. D’où la ensemble. De même, lors de la l’élaboration mise en place de processus de co-construc- budgétaire de l’événement, les pouvoirs tion des projets, mixant les équipes et les publics avaient misé sur un bilan déficitaire. compétences, pour accélérer la mise en Et pourtant, l’investissement (74 millions œuvre de ces projets. d’euros, dont 20 % financés par le privé) s’est avéré rentable : il a dégagé 2,5 millions Cette spécificité de l’objet culturel, sa fonc- d’euros de bénéfices après impôts. tion de porteur d’un message – identité, culture, valeurs – est largement reconnue. Autre impératif, souligné par nos experts : C’est d’ailleurs pourquoi ces investissements prendre en compte le long terme. En effet, bénéficient parfois d’un cadre législatif un projet culturel s’inscrit généralement particulier : c’est par exemple le cas pour dans la durée, car : certains pays, avec le principe d’excep- n il requiert un temps long, de l’idée à la tion culturelle, débattu dans le cadre des livraison du projet. Celui d’un équipement accords de libre échange sous l’égide de culturel, par exemple, prend 8 à 10 ans. Le l’Organisation Mondiale du Commerce. Ce Centre Pompidou de Metz a été construit principe permet de protéger les industries en 7 ans, du choix de Metz en 2003 pour culturelles en leur appliquant des obliga- accueillir un nouveau Centre Pompidou tions et protections spécifiques. Ainsi, ces à l’ouverture au public en mai 2010, 23
  • 24. entreprendre et investir dans la culture : de l’intuition à la décision comme le rappelle Emmanuel MARTINEZ, la candidature à ses retombées, s’inscrit sur Secrétaire Général de l’établissement ; plus de 10 ans. n il s’inscrit dans une logique de réitéra- Notre conviction aujourd’hui - et celle des tion. Prendre en compte cette dimension interviewés - est qu’il est nécessaire de favo- dès le départ est essentiel, pour aborder riser le dialogue permanent entre toutes les la question de la pérennité, et prévoir parties prenantes d’un projet d’investisse- comment les ressources et l’organisation ment plutôt que de mettre en opposition devront évoluer dans le futur ; la dimension culturelle des projets et leur n il s’inscrit dans un programme de déve- appréciation économique. loppement de plus grande envergure et Dans ce sens, Aline VIDAL, galeriste d’art de plus longue durée. contemporain à Paris, constate que le rapport Les retombées ne seront mesurables qu’à entre les artistes et les autres acteurs a consi- moyen ou long terme. En particulier s’il dérablement évolué en 25 ans. « Avec le déve- s’agit d’un projet fortement innovant, qui loppement d’un monde plus global, et des peut mettre du temps à susciter l’adhé- outils de communication, une nouvelle géné- sion des publics. Ainsi, le projet de Capitale ration d’artistes, très informés, ayant acquis Européenne de la Culture, de l’élaboration de des habitudes d’entrepreneur, est apparue. » l Quand le secteur public se soucie de rentabilité, que le privé s’attache au « non-économique »… les lignes bougent Chacun de leur côté, décideurs publics des industries culturelles et de l’économie et privés ont changé de posture face aux créative (par exemple par la création de investissements culturels. Le terrain de jeu pôles d’excellence, comme à Lille, le pôle évolue, et les intérêts de ces deux mondes image-culture-média, porté par le biais peuvent converger, notamment en réponse de Pôle image et Plaine image dévelop- à l’évolution des modes de consommation pement), et une approche beaucoup plus de la culture par les publics. transversale de la Culture avec les autres Un certain nombre de tendances émergent : politiques ou volets de l’entreprise ; n les stratégies mises en place dans le n la nécessité de prendre en compte la secteur culturel s’inscrivent au sein d’une dimension économique des investisse- stratégie plus globale. Ainsi, on constate ments culturels est de plus de plus en un accroissement des initiatives en faveur plus affirmée, notamment par les acteurs publics. Ceux-ci recherchent Convergence des intérêts également un équilibre finan- cier à leurs projets, via d’autres sources que les subventions ; n la cohésion sociale et la Acteurs publics Zone de convergence création du lien social (au Donateurs et mécènes s e i n d ’ u n e co m m u n a u t é ) Evaluation sont mises en exergue dans qualitative les projets, y compris par les acteurs privés ; Collectifs d’investisseurs Evaluation économi- n l’importance de la culture Acteurs privés que dans l’environnement est recon- nue tant par le privé qui l’utilise comme levier pour recruter et fidéliser ses collaborateurs que 24
  • 25. dans le public pour proposer un cadre de projets d’investissement culturel. Dans ce vie agréable aux habitants d’un territoire ; contexte, leurs intérêts peuvent converger. n les nouvelles pratiques et le « besoin L’exemple de DUTCH Design Fashion de culturel » par les clients/usagers sont Architecture, programme de soutien aux pleinement ressentis par les différents acteurs des trois branches, cité précédem- acteurs. Une meilleure compréhension ment, illustre ce changement de posture entre public et privé apparaît, permet- des acteurs publics. Cette initiative a été tant de mieux coordonner compétences conçue davantage dans une logique de et moyens pour atteindre les objectifs de mise en capacité et d’incubateur de projets chacun. et moins dans une logique de « guichet » de Globalement, les acteurs publics et privés subventions. Elle illustre le fait qu’une stra- évoluent vers des modes de fonctionnement tégie concertée entre les différents acteurs analogues. Tous deux doivent investir de concernés, sur un marché cible et avec des nouveaux territoires, et rechercher de nou- objectifs communs, fonctionne dans l’intérêt veaux partenaires pour mener à bien leurs de tous. l A l’heure des évaluations : comment mesurer l’impact non-économique ? Les retombées qualitatives d’un projet, y compris pour les acteurs privés, prennent une importance croissante. En complément de ses démarches cultu- relles à destination de ses clients, la banque Neuflize OBC a créé en 1997 une Fondation pour la Photographie. Chaque année, un comité de sélection propose aux 1 000 col- laborateurs de la banque une série d’œuvres de photographes contemporains. Les col- laborateurs sont invités à élire leur préféré, dont les œuvres seront ensuite achetées par la Fondation. Un système original, à la fois élément de cohésion sociale pour les sala- conception du projet, définir ce que doivent riés et moyen de promouvoir des artistes être ces retombées qualitatives ? Et, dans peu connus. certains cas, puisqu’on ne peut pas les quan- tifier, comment déterminer si elles ont été Dans le secteur public, la ville de Bruxelles atteintes, lors de l’évaluation et du bilan ? Il a créé NO KAO, festival des Cultures n’existe aucune grille d’analyse universelle Urbaines. Il s’agit à la fois d’offrir une scène qui permettrait de synthétiser ce type d’in- à la culture urbaine musicale, et de renfor- formations et les standardiser. Ce qui est cer la cohésion sociale, notamment grâce ressenti comme un manque par les acteurs à la reconnaissance des expressions musi- confrontés à la décision d’investissement. cales issues des importantes communau- Sans prétendre à l’exhaustivité, nos entre- tés congolaises et marocaines, qui trouvent tiens nous ont permis d’identifier de ainsi une « scène » dans le cadre de la pro- grandes typologies d’enjeux auxquels les grammation du festival. projets culturels permettent de répondre et Il est donc entendu, pour la majorité des d’identifier des critères d’évaluation. Pour acteurs, que les investissements culturels chacun de ces thèmes, nous avons formulé doivent également produire des résultats des propositions de critères permettant autres qu’économiques. Reste une vraie d’évaluer leur atteinte. difficulté : comment, au moment de la 25