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DU MeME AUTEUR
Hegel, philosophe de l'histoire vivante, 1966, PUF, coll. ' Eplméthée •
(2' éd., 1987), traduction espagnole, Buenos Aires, 1971.
Hegel, sa vie, son œuvre, sa philosophie, 1967, PUY, coll. • Sup­
Philosophie' (2' éd., 1975), traduction portup;aise, Lisbonne, 198!.
Hegel secret. Recherches sur les sources caêhf:es de la pensée de Hegel,
1968, PUF, coll.• Epiméthée '(2·R., f986), traduction allemande,
Berlin, 1972 et 1983 ; traduction japonaise, Tokyo, 1980; traduc­
tion espagnole, Buenos Aires, 1976; traduction italienne, :Iilan,
1989.
Hegel en .,on temps, Paris, 1968, Editions Sociales, coll. , Problè­
mes " traduction allemande, Berlin, 1973 et 1984; traduction
italienne, Naples, 1979; traduction japonaise, Tokyo, 1983 ; tra­
duction anglaise, Petcrborough, 1988.
De Hegel à .farx, 1972, PUF, coll.• Bibliothèque de philosophie
contemporaine " traduction espagnole, Buenos Aires, 1974.
L'idéologie de la rupture, 1978, PUY, coll, , Philosophie d'aujour­
d'hui " traduction espagnole Mexico, 1983.
Hegel et l'hégélianisme, 1982, PUP. coll.• Que sHis-je ? (2' éd., 1986),
traduction portugaise, Lisbonne, 1984; traduction japonaise (en
préparation).
Hegel, le_philosophe du débat et du combat, 1984, LOP, coll.• Le livre
- de pocnè '. . -­
ISBN 2 t3 043761 S
Dépôt légal- 1" édition: 1982
S' édition corrigée: 1991, avril
© Presses Universitaires de France, 1982
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
AVANT·PROPOS
Avec Hegel, on n'en a jamais fini. L'hégélianisme est tout un
monde, et le spectacle de ce monde change avec les points de
vue. En conséquence, l'hégélianisme et son histoire offrent à
l'observateur des surprises instructives et réjouissantes.
Voilà une doctrine d'une technicité extrême! L'auteur ne
dissimule pas son désir de s'adresser à des spécialistes, à ceux
qu'il tient, dans ce domaine, pour une élite. Il se rétpera
même à n'être compris que par une sortI! de « clergé ». sou­
tient des thèses qui défient le bon sens.
Or, tout le monde parle de lui, non sans abondance parfois.
Parmi les œuvres philosophiques, au sens classique de ce mot, il
n'en est guère qui, de nos jours, connaisse un tel succès, dont
on prétende tirer autant d'enseignements populaires, dont cer­
tains thèmes privilégiés se répandent aussi largement dans le
public, au prix léger de quelques contresens. Ces idées, avec les
images qui les illustrent, débordent l'audience purement philo­
sophique, contaminent les activités et les doctrines. On met
l'hégélianisme à toutes les sauces.
Après que M!tx, et quelques autres, aient gmtesté le.!!!!1it
~ionnel de la philosophie, cette permanence, ou plutôt
cette extension de l'influence hégélienne, peut étonner. D'au­
tant plus que l'hégélianisme se trouve à l'origine de cette con­
testation, à la fois comme instigateur et comme première
victime. La doctrine de Hegel recélait une puissance éruptive
que le philosophe lui-même ne soupçonnait pas.
Cent cinquante ans après la mort de Hegel, il convient de
faire le point, de dresser le bilan de tout ce développement, de
rappeler ce qu'était l'hégélianisme originaire, d'examiner ce
qu'il est devenu, d'évoqueilêëquestions que l'on ne cesse de
poser à son sujet.
Un petit livre ne peut laisser espérer que des indications sché­
matiques, lacunaires, fragmentaires et donc quelque peu défor­
mantes. nne s'agit ici que de donner une vue d'ensemhle, d'in­
duire et d'orienter peut-être un effort ultérieur d'information
L
3
•••
et de lecture, de susciter une première impression et d'ouvrir
des perspectives. Chacun saura fonder lui-même son propre
jugement, après avoir tiré parti de l'aide qu'on lui offre.
Le .Jlhilosophe qui se présente avec le plus d'obstination
Jcomme spéculatif, systématique et défiIillif n'aurait-peut="être
paSété fâché, malgré tout, de savoir que cent cinquante ans
après sa mort il provoquerait encore des recherches actives,
des interrogations fiévreuses, des interprétations téméraires
et des querelles: même pour un dialecticien, c'est une per­
formance!
Certains lecteurs désireront des informations complémen-.
taires, des précisions, le contexte de quelque citation, une
introduction plus détaillée ou plus spéciale à certains thèmes
importants de l'hégélianisme. Des renvois, entre parenthèses
dans le texte, les orienteront dans leurs recherches. Le chiffre
romain indique l'un des ouvrages répertoriés dans la-tnbÎio­
g!9ElJie qui complète ce petit volume. Un deuxième chiffre
romain indique, éventuellement, le tome du livre signalé.
Des chiffres ~ désignent, dans l'ouvrage aiqsi indiqué,
la page particulièrement visée. Il a fallu se référer, parfois, à
des textes de Hegel qui n'ont pas encore été traduits en
français. D'autre part, on a donné, entre parenthèses aussi, la
~ [référence complète des livres auxquels il n'est fait appel
qu'incidemment.
4
CHAPITRE PREMIER
L'ŒUVRE ET SON DESTIN
J. - Hegel le grand
Sans l'hégélianisme, à notre époque, pas de phi.
losophie vivante! Maurice Merleau-Ponty avait su
~le dire : « He~est à l'origine de tout ce ~~st
JIfait de grand en philoso~hie depuis un sIècle. »
Formule aisément réversilîe : tout ce qui aspire à
Jl
la grandeur, en philosophie, et aussi parfois ailleurs,
à notre époque, revendique le patronage de Hegel.
Et maintenant, on ne peut feuiUëter un quotidien
sans y rencontrer, souvent dans un contexte surpre·
nant, le nom de Hegel. Mais quel Hegel? Un Hegel
irritant : les parents y ont goûté et les enfants en
ont les dents agacées...
L'autorité et la fécondité d'une œuvre, et en
particulier d'une œuvre philosophique ne relèvent
pas du seul contenu théorique. Il y faut des condi·
tions multiples et diverses. Mais l'œuvre reste ce­
pendant le centre, la source et la référence obliga.
toires. L'hégélianisme se déverse comme un flux de
pensée torrentueux et orienté. Un tel déluge, qui
porte à de hauts rivages, dénonce une source géné.
reuse : ph,!!o.!.ophie majestueuse, et pourtant seerè·
te~tourmentée, qui laisse confluer en elle tous
les courants de pensée qui l'avaient précédée. Elle
les fait aboutir tous à l'idéalisme absolu, une d?c­
5
~ ~
trine stupéfiante, à la fois intolérable et fascinante,
engendrée par une manière de penser inhahituelle :
aboutissement et culmination. La plupart des lec­
teurs ne la comprennent qu'à moitié, mais c'est
déjà, pour eux, le comble!
Hegel l'a élaborée par reprises successives, au
cours d'une vie relativement brève et dans des
conditions souvent pénibles (XXI, 5). On avait
longtemps pensé que son existence s'était déroulée
comme celle d'un fonctionnaire docile, sans inci­
dents ni traverses. Mais une recherche plus minu­
tieuse révèle qu'elle ne manqua ni de drames in­
tim.!s ni de conflits avec les autorités (XXII).)
L'état misérable de rAlIemagne dans laquelle il
vécut, ce que l'on a appelé « la misère allemande Il,
ne permit pas à Hegel de réaliser ses aspirations de J
jeunesse, particulièrement hardies. Mais il sut tou­
1jours garder une gr~nde dignité, manifester une
b_onté {!rQ.fonde, et cette vie, finalement, compte
tenu des circonstances, et dans le genre qui lui est
propre, n~CI!!.~as d'all-!U'e. Elle mériterait un
récit détaillé et même une mise en scène romanesque.
Mûrie dans la difficulté, la pensée hégélienne ne
s'offre pas au curieux sous forme d'u.ne intuition
immédiate, simple et facile à saisir. On ne peut
l'aborder sans initiation préalable, sans préparation,
sans information extérieure sur le texte et le con­
texte. C'est bien au texte hégélien qu'il faut s'adres­
ser, pour la saisir·dans son authenticité, mais il
reste hermétique à ceux qui n'ont pas recouru
d'ahord aux commentateurs ou qui n~ se sontpas
d'abord imprégnés de l'histoire des grands pro­
blèmes philosophiques. Ici, le dilettante n'ira pas
loin. Ici, on ne trouve pas une pensée de tout repos,
ni une pensée que l'on pourrait savourer en se
reposant.
6
L'œuvre frappe d'abord par son ampleur. Certes,
le nombre des pages écrites ne mesure pas, à lui
seul, la grandeur d'un écrivain. Mais, associé à
d'autres signes, il contribue à son estimation. Par
lui, en tout cas, Hegel surpasse beaucoup de ses
semblables : question de taille !
Cette œuvre se présente comme une masse d'im­
primés, sous des formes d'ailleurs fort diverses, à
quoi s'ajoutent des manuscrits inédits, des brouil­
lons rédigés par le philosophe lui-même ou des
notes consciencieusement prises par les auditeurs
de ses leçons changeantes et presque interminables.
Une telle quantité impressionne etinquiète. A
moins de consacrer sa vie à Hegel, on ne pourra
tout lire. Or il faudrait avoir tout lu pour repérer
les résumés et les commentaires fidèles, les critiques
pertinentes. On s'en remettra à l'autorité des « spé­
cialistes ». Mais, surtout concernant Hegel, le spé­
cialiste n'évite pas toujours l'unilatéralité d'inter­
prétation, la partialité et même l'erreur. Pour s'en
défendre, on en sera réduit à procéder empirique­
ment, par prises de contact successives, par tâton­
nements, par comparaisons et rectifications. On
finira bien par trouver, du point de vue auquel o~
aura choisi de se placer, le texte synthétique
décisif.
Autre sujet d'inquiétude: l'œuvre de Hegel reste,
pour une part, incertaine et problématique. Ce qui
nous en est donné requiert par sa présentation
même une mise en question. Hegel ne désirait sans
doute pas créer une telle situation : elle a été
rendue inévitable par les conditions dans lesquelles
il a pensé, écrit et publié, par sa manière propre
de communiquer ses idées et d'enseigner, par l'am­
biance dans laquelle la doctrine s'est élaborée, par
sa mort prématw;ée.
7
6
TI faut incriminer aussi l'insouciance coupable et
l'incompréhension de la postérité immédiate du
philos!?phe. Mais Hegel lui-mêmeest pour cjiièlque
chô8e dans le destin singulier de son œuvre. La
nature profonde de sa philosophie impliquait peut­
être ces avatars étranges que connurent les livres
qui en livraient la substance en même temps qu'ils
la 'masquaient partiellement.
~ Quel contraste! He~el se voulait et S6 ~royait
JI~us systématique es philosophes. Mais, d'une
part, une œuvre si vaste, si ramifiée, composée et
publiée pendant tant d'années dans des conditions
diverses et parfois précaires, ne pouvait se garder
pure d'additions, de ratures, de modifications et,
d'autre part, on connait peu d'exemples d'une édi­
..tÎQn posthume aussi désordonnée et rhapsodique
(XXI, 61).
L'œuvre de Hegel ne se présente pas aux lecteurs
éventuels dans un état d'achèvement, même ap­
proximatif, comme celle de Kant ou de Bergson.
Elle attend encore sa publication complète, et ce
chantier, sur lequel tant de travailleurs conscien­
cieux s'affairent, contÎnJIe d'offrir le spectacle.-<C.un
and désordre, rendu plus pénible par des retards
qui suscitent la désespérance.
Ce philosophe dont.!out le monde par.k,~nde
t n~as encore tout c.e qu'iL! dit.
Comment ne pas s'interroger sur les causes d'une
si profonde carence?
La première d'entre elles tient aux fluctuations
extraordinaires de la popularité ou de la notoriété
de Hegel. A la mode aujourd'hui, il a subi, pendant
toute la deuxième moitié du XIXe siècle et au début
'fdu xxe siècle, le mépps et l'oubli. OJ!..le traitait en"6 « chien crevé l>, comme ce fut jadis le cas de Spinoza,
selOn le mot de Lessing. Puisqu'on le croyait négli­
8
geable, on ne se soucia guère, sauf exception, de
reoueillir soigneusement son héritage. On laissa l~s
~rit8 et les témoi~~s p-artir à la dérive. )
Maintenant que l'intérêt se réveille, on s'efforce de
repêcher les épaves. T!,op tard pour une parti~.~e
la car~n, qu! s'e~ abtmée défiiUtivemeJÏÏ.­
A ce naufrage s'ajilüieïrtles conséquences fâ­
cheuses d'entrTri~8'41dividuelles de8truc~ces, ani­
mées parfois es meilleures intentions. Hegel s:gp­
)lprima lui-même, semble-t-il, des papiersj'1és com­
promettants. Une-veuve inquiète, illl fils l'~~t
•( - ~é, des éditeurs prudents, des amis mal inspirés,
des ennemis radicaux ont fait dis~araitreun manus-J
crÎt, un fragment, un dossier, une lettre dont la
tëieur-;-T des titresdivers, les indispOSait.
-Certains manuscrits de Hegel; dont l'existence fut
atte~tée aunèfois,-semnIêiii donc perd,!s pour tou­
~ jours. Peut-être ne fournissaient-ils pas de « clef»
) pOUr la compréhension de l'hégélianisme dans son
1ensemble. Mais on ne détruit pa~, en ~éJ.!é!:..al, ~ ,
est .in~iant, et comment obtenir sur ce point
une certitude, en leur absence? D'ailleurs, des tra­
vaux parcellaires, spécialisés, ou même marginaux
de Hegel ne sauraient manquer d'intérêt pour l'in- ,
terprétation d'une philosophie aussi volontairement J
By!.té.lJlatique. -­
Ainsi, par exemple, dans le droit fil des préoccu­
pations de notre temps, il serait bien agréable de
détenir le commentaire des œuvres de l'économiste
Ja.P!.es Steuart, que Hegel rédigea en 17J9. L'éta­
blissement de ce commentaire, d'un côté, et, de
l'autre, sa disparition, témoignent de l'intérê~o­
lôïl.a-de Hegel pour l'économie - il ne cessa jamais
d;}ë lui accorder -, et de la totale incompréhension
de ses premiers disciples à l'égard de telles préoc­
cupations. Ils imaginaient sans doute que la philo-
r-
Il•
&
'1
9
sophie n'entretient aucun rapport d'aucune sorte
avec rtll.Q!loIJ!Ïe, et ils supposaient en conséquence
que Hegel n'avait dû en traiter que superficielle­
ment, fugitivement et comme par hasard. Ce que
nous savons maintenant de Hegel, et la manière
~ moderne d'envisager la philosophie, nous interdi­
" sent de nous en tenir à une telle appréciation. Nous
I/voudrions bien savoir ce que Hegel pensait _de
Steuart. Mais son commentaire a été" détruit ou
égaré...
Editeurs, historiens, archivistes poursuivent leurs
efforts pour retrouver et rendre accessibles tous les
textes de Hegel, pour récupérer ce qui a été jusqu'à
maintenant négligé et dispersé, pour cerner, autant
que ~sible, l'étendue de...!l!Lq.~~r8ïlaru:---
-Lë pUblic-se procure plus facilement, bren sûr, les
textes publiés par Hegel lui-même, de son vivant, et
qui remplissent de nombreux volumes. Mais ces
écrits rebutent d'abord les lecteurs, par leur carac­
tère compact, condensé, tendu, comme si leur au­
teur avait voulu les réserver aux bénéficiaires de
ses explications orales. On les publie maintenant,
d'ailleurs, avec toutes les additions orales dont on
parvient à retrouver trace.
Chacun pourra se convaincre de cette difficulté
en parcourant les prÇPlÏ.ers essais de Hegel, publiés
en 1801-1803, pour la plupart dans le Journal cri­
tique de philosophie qu'il éditait alors en collabo­
ration avec SchellingjJà Iéna. Leurs titres découra­
gent beaucoup de velléitaires : Difftrence entre les
systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling par
rapport aux contributions de Reinhold à une vue
d'ensemble plus aisée sur l'état de la philosophie au
commencement du dix-neuvième siècle! - Foi et
sovoir ou philosophie de la réflexion de la subjectivité
dBm l'intégralité de ses formes en tant que philoso­
10
phies de Kant, de Jacobi, de Fichte! Quelles pro-
messes de germanicité, de technicité, d'érudition,
d'obscurité! Hegel traita, dans les mêmes condi-
tions, de l'Essence de la critique philosophique; du
Rapport du scepticisme à la philosophie; des Di-
verses manières de traiter scientifiquement du Droit
naturel... (IV).
De tels débuts laissent pressentir la profusion de
pensée profonde qui s'épanchera dans ce que l'on
peut appeler les « livres canoniques ) de la doctpne
hégélienne.
Le premier de ceux-ci, la Phénoménologie de l'es-
prit, n'a gagné qu'assez récemment la célébrité. Au
moment de sa parution, en 1807, il n'avait trouvé
qu'une audience limitée et réticente : œuvre ex-
traordinaire, incomparable, bar0.!Iue à bien des
égaras, touffue,PJantureuse, déconcertante, elle ra·
conte à sa manière, abstraitement dramatique, al-
ternativement spéculative et imagée, l'e:lÇpérie~ce
typique de la conscience humaine qui, partant de
la fausse nalveté première, accède par degrés re-
marquables au niveau ultime du savoir absolu (VIII).
Certaines des étapes de cette ascension jouissent
à notre époque d'un prestige peut-être excessif
parce que trop exclusif : la dialectique du maitre
et du valet (dite im~roprement « dialectique du
maitre et d~ l~esclave »), la consomption de la «belfe-
âme », la dialectique du mal et de son pardon, le
désarroi de la Il conscience malheureuse ll, etc.
En 1812 et 1816 parurent les deux volumes de la
Science de la Logique (X), qui contiennent trois
grandes parties : la doctrine de l'Etre, la doctrine
de l'Essence, la doctrine du Concept. On y trouve
l'exposé le plus étendu et le plus détaillé de l~n.sée
spéculative de Hegel et de sa dialectique. Beaucoup
d'hégéliens tiennent cette Science de la Logique,
11
-<.
améliorée par Hegel lui-même dans une seconde
édition (1831), pour le centre ou le sommet de sa
philosophie. Si tout le reste disparaissait, ce livre
suffirait, à leurs yeux, à nous restituer l'originalité,
l'importance, la profondeur de Hegel.
En 1817 surgit l'Eneyclop~die tks sciences philo­
sophiques en abr~8~, dans laquelle seule, selon
certains interprètes, Hegel développe son l( sys­
tème », le système entier du savoir dans toute
l'étendue et la complexité de ses articulations
fondamentales.
La dernière grande œuvre publiée par Hegel lui­
1même sera les Principes tk la philosophie du droit
l
 ou droit naturel et science tk "Etat en abr~8~ (1821,
publication retardée d'un an par la censure) (XII),
où les idées juridiques et politiqu~s ~ Hegel s'ex­
priment d'une manière qui, malgré toutes les pré­
cautions prises par l'auteur, éveilla aussitÔt de vives
polémiques.
La lecture consciencieuse des «livres canoniques»
représente une entreprise méritoire et, bien sûr, elle
livre l'essentiel de la pensée de Hegel, mais, comme
il tenait à le préciser pour certains d'entre eux :
« en abrégé ».
Celui qui veut la saisir dans toute son extension
n'est pas au bout de ses peines. Hegel, professeur
exemplaire, a enseigné pendant de nombreuses
années les matières qu'il résumait dans ses livres, et
aussi d'autres disciplines sur lesquelles il ne publia
rien. Des esquisses préparatoires à ses cours, sou­
vent fort longues, et de nombreux cahiers de notes
d'étudiants ou d'auditeurs libres, apparemment très
attentifs, subsistent. Si l'on prend en considération
1ces documents, on constate que l'enseignement oral
de Hegel ajoute beaucoup à ses écrits et qu'il en
modifie, en certains cas, le contenu. TI varie d'ail­
12
leurs lui-même consid6rablement selon les années
universitaires où il a été donné.
Alors se posent des questions délicates : Hegel
jugeait-il plus importantes ses publicatiolls - sou­
vent composées explicitement « à l'usage de ses
auditeurs» -, ou bien ses leçons orales? L'abrégé
prémédité, d'apparellce rigoureuse,l'emporte-t-il ell
valeur philosophique sur la conférellce relativement
prolixe et sur l'improvisation chaleureuse ? La voix
est-elle plus sincère que la plume ? En cas de cOlltra­
diction ou de différence entre le dit et l'écrit, à quel
critère recourra-t-on ?
Bien des motifs incitellt, comme on le verra plus
loin, à accorder une importance au mow égale aux
leçons données par Hegel tout au long de sa vie,
puisqu'elles peuvent être restituées dans des condi­
tions suffisantes de fidélité. En leur faveur, on doit
alléguer leur étendue et leur diversité.
Un exemple permettra d'apprécier cette étendue.
Les Principes de la philosophie du droi', tels qu'ils
Ollt été publiés par Hegel, comptaient ellviron
335 pages. Complétés par Gans, ils atteignaient,
en 1840, 432 pages. Récemment, K.-H. llting a
procuré une édition qui recueille le contenu de divers
cahiers d'auditeurs. En comptant, il est vrai, bien
des répétitiolls, ainsi que des textes critiques, elle
atteint plus de 3 000 pages, ell quatre volumes. Elle
1permet de compléter et de comparer. Elle met en
évidence des variations d'opinion. Comment se
dispenser d'en tenir compte? Commellt se résigner
à ne pas publier Hegel tout entier ?
Pourtant, un tel projet suscite des appréhensions.
L'une d'elles se fonde sur le respect d'une tra­
1dition. A la mort de Hegel, son œuvre se trouvait
• en grande partie ÏDaccessible : il n'en avait lui-même
fait paraltre que des fragments et les llditioll8 étaient
13
en général épuisées. Alors, quelques amis et disciples
de celui qui venait de mourir entreprirent une
(c édition complète )J.
Ds étaient de bonne volonté, compétents pour la
plupart, parfois bien informés. Ils disposaient de
moyens efficaces et plusieurs d'entre eux n'étaient
pas trop mal en cour. Ds menèrent rapidement leur
projet à bonne fin. L'édition de 1832-1845 comprit
18 volumes. Elle reprenait les «œuvres canoniques »,
enrichies d'additions, et elle offrait pour la première
~ 1 fois aux lecteurs les Leçons, si importantes, si éclai­
rantes, si révélatrices, sur l'Esthétique, la Philosophie
de l·'histoire, l'Histoire de la philosophie, la Philo­
sophie de la religion. De ces cours, elle ne retenait en
général qu'une seule version, « bricolée » parfois
éclectiquement, et il lui arrivait d'en édulcorer
intentionnellement le contenu. Du moins, elle le
transmettait, si fragilement que ce fût. Les Lef.~ns,
enseignées d'abord à un auditoire hétérogène, se
révèlent beaucoup plus accessibles au public cultivé
que les « livres canoniques ». Aussi connurent-elles
un notable succès et contribuèrent-elles grandement
à répandre la doctrine du maître.
Les circonstances firent de cette édition des
Œuvres, après la mort de Hegel, et pour longtemps,
la seule référence possible pour tous ceux qui vou­
lurent s'initier à l'hégélianisme, la base de toutes les
exégèses et de toutes les critiques. C'est elle seule
qu'ont connue et étudiée des penseurs aussi consi­
dérables que Stirne~ Schopenhaue}.', Marx, Enge~,
Kierkegaar4. Nietzsche, Lénine...
Si d'aventure ce monument érigé à la gloire de
Hegel par les « amis du défunt » ne répondait pas
au modèle authentique, alors cent ans de philo­
sophie mondiale vacilleraient avec lui. Certains
hégéliens en déduisent qu'il vaudrait mieux s'en
14
tenir à cette édition ancienne : elle pose le H~e1
historique, tel qu'il est intervenu dans le drame de la
pensée moderne, tel qu'il a succombé et triomphé
alternativement dans les reprises de la guerre des
idées. Que l'on ne nous vole pas notre Hegel, tel
qu'en lui-même cette édition le fige! Des décou­
vertes étonnantes peuvent avoir lieu, des nouvelles
troublantes peuvent nous parvenir, mais, comme
disait l'abbé V~rt?t : cc Mon siège est fait! 1)
Position intenable! TI faut bien en prendre son
parti: quels que soient son rôle, ses mérites incontes­ 1
tables, son prestige, l'édition de 1832-1845 n'est ni b
complète ni exacte. Même si les compléments et les
rectifications nécessaires ne concernaient que des
détails ou des nuances, il serait peu judicieux d'en
faire fi. A un certain niveau de notoriété historique
et de consistance théorique, les détails et les nuances
deviennent l'essentiel.
S'il a donc été utile que cette édition fût reprise,
en 1927-1930, dans ce que l'on a appelé cc l'édition
du Jubilé n, il fut encore plus heureux qu'ensuite
Georg Lasson et ses successeurs aient entrepris une
nouvelle édition qui ne craignait pas de revenir aux
manuscrits de Hegel et aux sources diverses, com·
piétant certaines œuvres publiées antérieurement
de manière trop sommaire et révélant des textes
jusqu'alors inédits. Ainsi lui doit-on, par exemple,
entre autres révélations remarquables, les Co,.yrs
d'Iéna, ardus, mais désormais fameux (logique,
métaphysique, philosophie de la nature, philosophie
de l'esprit) (VI et VII).
Entre-temps, d'autres textes de Hegel furent
découverts et reproduits séparément, sans être inté·
I
gréS à des « œuvres complètes ). On se trouve main­
1
tenant devant un incroyable amas choatiqüë de
livres prestigieux.
15
En notre fin de siècle, un grand espoir de mise au
point et de structuration se lève. Le Hegel-Arcfliv
procède à un vaste travail de publication critique,
scientifique et intégrale. Douze volumes ont déjà
paru, d'une facture excellente. Mais quand cette
entreprise parviendra-t-elle à son terme?
Hegel est-il trop grand pour se laisser capter
tout entier?
Une de ses images préférées était celle de l'oiseau
de Minerve, la chouette, symbole de la connaissance,
«qui ne prend son vol qu'au crépuscule ». Pour Hegel
lui-même, la chouette s'est attardée plus que de cou­
tume : elle s'envole quand la nuit s'achève.
II. - Ce qui s'appelle Hegel
En quoi le philosophe est-il la c2!1science de son
temps ? Comment les contemporains perçoivent:ils,
en son œuvre, le reflet théorisé de leur vie ? Quelle
place la philosophie prend-elle dans l'histoire?
Ces problèmes ont inquiété Hegel, et il en traite
à plusieurs reprises; par exemple, à la fin de la Pré­
face de la Phénoménologie de l'esprit (IX, 164-169).
Là, il élucide la relation de l'écrivain et de son pu­
blic, et cela le conduit à examiner plus généralement
la relation de l'écrivain et de son temps.
On remarque, dans ce texte comme dans beau­
coup d'autres, la référence insistante de Hegel à
l'époque: celle-ci porte toujours des hommes - et
donc un public -, caractéristiques. A chaque
époque son public, doté d'un état d'esprit parti­
culier et qui, en conséquence, voit à sa manière
propre les philosophies et les autres œuvres spiri­
tuelles du pa!lsé 1 Hegel décrit des variations de
l'opinion selon les dates, à propos de Platon, d'Aris­
tote, des néo-platoniciens. Aux hommes du passé
16
il oppose les contemporains et la postérité, comme à
ce qui est mort l'on compare ce· qui continue de
vivre et ce qui prospère.
Faisant retour sur la Phénoménolo8ie dont il
vient d'achever la rédaction tourmentée, il met en
balance les circonstances favorables et les circons­
tances défavorables à l'accueil de cet ouvrage par
le public. Le 7n()ment Qù parait la Phénoménolo8ie
lui semble décisif.
Il s'agit-là, bien sûr, d'une inquiétude personnelle
de l'auteur, soucieux d'être lu et compris, reconnu
à sa juste valeur, estimé.
Mais Hegel s'élève bien au-dessus de ce souci
égolste, d'ailleurs légitime : il proclame l'intérêt
universel de son œuvre, issue d'une convictil?~qui
a su se hausser à l'universalité et se placer « au point
de vue », si l'on ose s'exprimer ainsi, de l'absolu.
Le point de vue de l'alJsolu consiste précisément
dans l'exclusion de tout point de vue particulier,
partiel,relatif...
Cette métamorphose d'une inquiétude personnelle
Jen problème universel révèle une conception très
remarquable de la place et du rôle de la pensée de
l'individu, une définition singulière, par un auteur,
de ce qu'est un auteur.
N'importe quel écrivain ne peut ni ne veut envi­
sager de cette façon son rapport au public. Il faut
que l'œuvre elle-même la rende admissible et accep­
table. Cela suppose que l'auteur ne vise pas à ex­
primer son opinion sur ce qui est vrai ou faux - et
le lecteUJ' fera alors de celle-ci ce .que bon lui
semble -, mais qu'il énonce quelque chose de
supérieur à l'individualité et au jugement indivi­
duel de l'auteur et du lecteur : la réalité profonde
et ultime dans son mouvement et sa vie propres, le
développement libre de ce que Hegel nomme le
17
concept, et ceci dans la perspective philosophique
d'un idéalisme objectif: tout est idée, mais l'Idée
I"n!..doit pas être comprise commë ùxie petite pensée
dans la têJ!l JkLipdividus. L'Idée, pour Hegel,
c'est la réalité totale, et donc ellë' ne dépend pas
de la pensée limitée des individus, mais, inverse­
ment, les individus, et Hegel lui-même, relèvent de
l'Idée.
{::et. idéalisme fantastique, on peut l'admettre
ou le refuser. Si on l'admet, ne serait-ce que pro­
visoirement et, en quelque sorte, pour y goûter,
alors il faut en accepter cette conséquence: l'objet
d'une œuvre philosophique ne peut être autre que
l'Idée, mais l'auteur véritable de l'œuvre est aussi
l'Idée. Dans l'œuvre, l'Idée prend conscience d'elle­
même, se connait elle-même, par le truchement
1 d'un philosophe particu1ier, et dans les modalités
que le lieu, l'époque et les circonstances lui imposent
accessoirement. En somme, l'auteur, le philosophe,
Hegel, prête sa plume au concept pour qu'il puisse
se comIIluniquer d'une manière éminente aux sujets
individuels que sont les lecteurs.
De même, le physicien, dans son domaine, ne
fait-il qu'énoncer en fin de compte des lois et des
propriétés qui sont celles de la nature elle-même.
La nature par sa bouche, et lui-même, avant de la
traduire, a lu en elle, pour employer un mot célèbre,
comme dans un grand livre.
La prétention du philosophe idéaliste est du même
ordre, mais plus éclatante: c'est de l'absolu qu'il se
fait l'interprète. Dans ces conditions, la confiance
en son œuvre, dont Hegel témoigne toujours, ne
paraît pas présomptueuse: il s'agit moins de son
œuvre que de l'œuvre universelle dont il ne veut
être que le modeste serviteur. La vérité des choses
sait toujours se frayer un chemin jusqu'à la cons­
18
cience des hommes et, cette fois. elle a choisi le
nommé Hegel pour ouvrir la piste.
En même temps, la présomption du philosophe
parait exorbitante: il se targue d'être le porte-parole
assermenté de son peuple, de son époque, d'une
période de l'histoire de l'Esprit mondial, de l'absolu!
Toutefois, le chemin ne s'ouvre pas pour la vérité
dans n'importe quelles conditions. Il est de la nature
du vrai de ne percer que « quand son temps est
venu ». La réussite ne dépend alors que secondaire­
ment du talent de l'auteur et de l'arbitraire du
lecteur. Une nécessité, d'abord secrète, régit leur
rencontre : le public parvient à la maturité indis­
pensable lorsque le philosophe effectue opportuné­
ment la découverte. Une correspondance profonde
les rapproche. Ils sont portés tous deux, chacun à sa
manière, par un même esprit nouveau, une même
manière nouvelle de penser, une même aspiration de
l'époque. De plus, autre harmonie, le philosophe
s'élève à l'absolu en même temps que celui-ci descend
en quelque sorte en lui pour obéir à son précepte :
« Connais-toi toi-même! »
Ainsi(Ü-;geI"I)hilo8op~e l'absolu - on pourrait
dire : (aU Dieu lalcisé ~, et décidément convaincu
que le savoir de fâbsolu par lui-même est possible,
que le « savoir absolu » est possible, admet-il simul·
tanément un conditionnement historique des formes
successives de la manifestation temporelle de l'ab·
solu : elles naissent et s'affichent lorsque les condi·
tions historiques nécessaires se trouvent réunies
(IX, 167).
On peut d'ailleurs se tromper sur la nature et
l'originalité de l'apparente nouveauté. A l'époque
 de Hegel, beaucoup de jeunes philosophes jettent
, des nouveautés sur le marché des idées. Mais ils
lsuccombent à bien des illusions. Certains d'entre
19
eux, romantiques, qui se croient en pleine extase, ou
en plein mythe, ou d'autres, qui se confient pru­
demment à l'empirisme, se situent en réalité dans le
concept que, simplement, ils ne parviennent pas à
identifier. Le concept triomphe en eux sans qu'ils
le sachent. Ds disent leur temps en croyant le fuir.
ILç,~~en~ de les démas~~r.
Un génie ou un fou qui découvrirait prématuré­
ment une vérité inédite ne saurait se faire entendre:
, « Jamais trop tôt 1 » Cette contrainte se renverse
négativement: « Jamais trop tard » (IX, 167) 1
Hegel, lui, apparatt au bon moment.
Cela implique qu'on lui ait fait place sur la
scène: une nouvelle forme de la vérité, une manière
originale de penser, une vision du monde novatrice
ne s'exhibent que quand d'au..tr~s formes « ont f!it
leur temps Il, après avoir joui de leur maturité, après
«avoir fait époque ». En philosophie comme ailleurs,
le nouveau se substitue continuellement à l'ancien
selon une implacable loi de désuétude.
Mais cette substitution ne se ramène pas à un
mouvement local, un glissement, une migration, un
déménagement. En science, dans l'art, en philo­
sophie, une théorie, un style, un système ne s'éva­
nouissent pas simplement pour laisser autre chose
surgir du néant. Ce qui apparatt s'enchalne à ce qui
disparatt, s'en sert comme d'une matière première
pour l'élaborer, s'en nourrit (XIV, 54-55).
En oonséquence, dans le traitement philosophique
d'une question, quelle que soit sa nature, on ne se
contente pas de juger simplement, d'une manière
dogmatique, ni de décider du vrai et du faux, selon la
formule habituelle : ceci est vrai, juste, bon... ou
bien faux, injuste, mauvais. On n'accepte pas non
plus écleaiquement les options différentes ou oppo­
sées : ceci est vrai, juste, bon, et cela l'est oussi. Mais
20
l'exposition philosophique d'une question, d'une doc-
trine, d'une période historique, d'un mouvement
logique décrit le passage nécessaire d'une forme à
l'autre, d'un épisode à l'autre, d'un moment logique
à l'autre - et le véritable objet, c'est l~_ pr_()~e~!.us
embrass6 dans sa totalité et inséré lui-même dans le
Tout~- -qûi--ïnclut l!!!~~LJ~§'iivain-'----Cel1ù-:'cClaisse
s'exprimer les choses elles-mêmes, et la totalité des
choses dans leur mouvement autonome.
De cette manière, les objets de l'étude scienti-
fique, historique ou logique n'apparaissent plus, jus-
tement, comme des choses effectivement isolées,
définitivement définissables, absolument indépen-
dantes les unes des autres, mais comme des étapes
d'une histoire, des phases d'un développement, des
éléments abstraitement détachés de l'ensemble ou
du Tout aUql1el ils appartiennent organiquement et
qui constitue leur unité supérieure, plus concrète
que chacun d'entre eux.
Concernant les phénomènes, les événements, les
structures de toutes sortes qui s'offrent à l'observa-
tion et à l'analyse, Hegel s'abstiendra donc de dire
qu'ils sont Il vrais ou faux », « bons ou mauvais ».
Mais il annoncera plutôt : «Aux suivants !» Chaque
(époque, avec sa mentalité propre, réclame autre
1chose que ce dont se contentaient les époques précé-
dentes. « Conformez-vous aux temps », conseillait
déjà Voltaire (Mélanges, « Pléiade », 1961, p. 709) !
( Hegel croit donc répondre à l'appel de son temps!
Comme la seule fonction du temps est de passer,
il est facile de prévoir que chaque manière de vivre,
chaque institution, ch~e constitution, plusgé~é­
ralement-chaque «chose ~ira. Ceux qui prédisent
la révolution ne peuvënt jamais se tromper. TI n'y
a que les délais qui restent incertains: Hegel n'en a
jamais fixé!
21
En 1807, il pense que l'heure a sonné pour lui.
Sans vergogne il adresse donc aux autres philo­
l'sophies le faire-part de leur décès, et il ouvre leur
.tes.!ament. Pour donner de l'autorité à cette opé­
ration sinistre, il s'arme de formules consacrées :
« Suis-moi, et laisse les morts ensevelir les morts »
(IX, 169) !
TI trouve toujours dans l'Ecriture un verset qui
justifie ses initiatives.
L'apparition d'une philosophie sonne le glas des
autres. Hegel insiste avec cruauté sur ce qui va
de soi. A des auteurs encore vivants et hautement
considérés, il ose parler avec la même brutalité que
Pierre à la veuve d'Ananias: «Les pieds de ceux qui
ont enseveli ton mari sont devant la porte, et ils
t'emporteront aussi! » Hegel visait des penseurs
tels que Krug, Reinhold, Jacobi, Fichte, et même
l'ami Schelling. ns ne tombèrent pas raides morts,
mais ils conçurent du ressentiment. Kant s'était
épargné l'injure en s'éclipsant trois ans plus tôt.
Ici, l'aspect, ou, pour mieux dire, le _moment
rupturaliste et révolutionnaire de la manière hégé­
lienne de penser, de la dialectique, laisse éclater
toute sa violence. Devant ce tribunal de la désué­
tude, qu'il intronise si impavidement, Hegel songe­
t-il à sa propre caducité?
Du moins ne cherche-t-il pas à défendre sa peau.
Si on l'en croit, ce n'est pas l'individu Hegel qui
tente de faire carrière en expulsant les concurrents.
n valide audacieusement, pour les doctrines aussi,
le critère de la désuétude, mais il ne refuse pas la
dévaluation des doctrinaires.
n fait mine de s'effacer derrière « la chose même»
dont il traite, et qui est en même temps la cause
pour laquelle il se bat, chose qui s'exhibe en ses
œuvres, en même temps qu'elle se défend.
22
Si l'auteur souhaite un succès public, ce n'est
pas pour ériger son propre monument et instituer
le culte de sa personnalité. On devrait dire : au
contraire! Il se fait oublier pour que resl!l~dis.se
l'absolu, dans sa nécessité et dans sa liberté, vers
qui tout culte s'oriente, et aussi tout a~ll!.. in­
tellectuel.
Quel personnage modeste, ce Hegel! Dans cette
entreprise pour saisir et laisser parler l'absolu,
Il il devient - comme il le dit lui-même - ce ~'illl
peut, et il fait ce qu'il peut » (IX, 169) ! Ne tirez
pas sur le pianiste, ce n'est pas lui qui compose!
Cette modestie sonnerait faux et produirait une
bien fâcheuse impression, si elle ne préfaçai.t une
œuvre aussi profonde que la Phénoménologie, et
plus généralement, une philosophie aussi bien ac­
cordée à son temps !
Ceux qui, aux yeux de Hegel, passent pour des
Il attardés », ne comprennent ni n'acceptent cette
thèse : le système philosophique ne dépend pas de
l'individualité du philosophe.
Leurs protestations, leurs quolibets aident à
mieux saisir, par contraste, l'attitude de Hegel et
l'enjeu du débat. Le nécessitarisme universaliste de
~	 Hf!gel les effraie. L'un d'entre eux, Koeppen, bien
ouhliê maintenant, croyait qu'il suffisait de pré­
senter clairement et brièvement l'opinion de Hegel,
telle que celui-ci l'avait glissée dans un article, Foi
et savoir (IV), pour la tourner immédiatement ~n
ridicule: Il Selon la spéculation (hégélienne), ce n'est
pas le système que nous dérivons (ou déduisons) de
l'individu; ni la philosophie, de l'homme; ni le
livre, de l'écrivain. Mais au contraire, c'est l'indi­
vidualité que nous dérivons du système; l'hoJ!!!!le,
de la philosophie; l'écrivain, du livre; et le livre, à
son tour, nous le dérivons du système... »
23
Il tirait les conclusions cocasses de cette procé­
dure: « Quel est l'auteur de cet article du Journal
critique, c'est en soi complètement indifférent (...). Il
Si nous admettons que l'auteur est M. Hegel, nous
obtenons ainsi un nom déterminé, et, par lui, une
personne, mais dont la découverte n'est pourtant
absolument pas requise. Le point principal consiste
toujours à montrer que l'auteur de cet article,
M. Hegel ou un autre, devait nécessairelD;.ent (...)
écrire de la manière dont il a écrit (Koeppen,
Schellings Lehre, 1803, p. 144).
Ces propos contiennent en germe bien des cri­
tiques qui se développeront ultérieurement contre
l'hégélianisme. Mais Hegel maintiendra sa concep­
tion du rôle de l'auteur. Dans l'Histoire de la phi­
losophie, il caricaturera l'opinion contraire, celle de
ses adversaires, celle du philosophe FrieS): « On ne
peut penser pour un autre; c'est la pensée per­
sonnelle qui est probante; il faut donner son essor
à toute particularité singulièrc, autrement on n'a
pas pensé par soi·même. »
Lui, il obéit à la maxime de Gœthe : cc Cultive tes
qualités, tu ne garderas que trop tes singularités. Il
Et il précise: « Le plus mauvais tableau, c'est
celui où le peintre se montre lui-même. L:origi­
nalité, cela consiste à produire quelque c!tose de
t~ut-à-fait universel. La marotte de penser par soi­1
même, elle consiste en ce que chacun produit quelque
chose de plus inepte que ne le fait l'autre Il...
(XIX, 645).
Cet effacement du sujet individuel, Hegel ne
l'exige paSëD. philosophie seulement. Il lç con~tate
dans l'histoire entière : « Les buts mond~!!X géné­
raux (u.) s'acc2,.mplissen!--p_ar .~1pC=.même.s, .sgit avec
la volonté dëbeaucoup d'liommes, s<Ùt.contre leur
co"iJ.science ou sans ellê Il... (XVII, III, nO 2, 277).
24
La mission du philosophe ne s'accommode cepen·
dant pas de la passivité ou de l'insignifiance de
celui qui s'en croit inv~sti. On ne devient pas, sur
simple demànde, le secrétaire de l'Idée absolue.
Il faut gagner durement ses grades.
Le philosophe a l'ambition de conna1tre la chose
même, de faire colncider sa pensée avec la peI!Ye
de l'absolu. Il ne veut que lui être fidèle, mais cette
1 fidélité exige des sacrifices. S'il y parvient, akJrs
éclate son triomphe personnel qui le distingue des
autres hommes, englués dans l'empirique et le par·
ticulier. La connaissance absolue à laquelle il ~ède
ne saurait aucunement être assimilée à üiï reflet
passif, comme si l'absolu s'y mirait. Miroir certes,
mais très spécial : actif, astucieux, rusé parfois,
instruit. Il sait s'y prendre pour capter les rayons
lumineux. La pen.sée spéculative.' c'est la pe~~JI!.li
s~ense ~e'I!l~' L'individ!l parvient a faire'
qu elle se pense elle-même en lui : mais au terme
d~immense effort et d'l!ne longueasc~ Rares
ceux qui savent immoler -à ~oint leur iii'd!Yl.
dualifé sensible,leurs aliénatIOns cliêries! Rares
cêuX"qui dépassent leurs limites! Mais, par là, ils
s'individualisent paradoxalement, se distinguent.
E~.$agnant l'universalité, on ...QQ..I!9uiert de haute
'lutte l'individualité véritable.
Lé renoncemënt philosophique à ce qu'il y a de
plus individuel, au sens ordinaire de ce mot - et
qui en reste d'ailleurs plutôt à la simple pensée du
renoncement - résultait d'une des aspirations pro­
fondes de l'époque, et Hegel ne l'ignorait pas.
l( Ni trop tôt, ni trop tard» : on pourrait énumérer
de nombreux témoignages d'une suif d'anonymat,
d'un dégoût de la personnalité abusive, d'un objec­
tivisme passionné, au début du XIXe siècle, en Alle­
magne et hors d'Allemagne.
2S
Mais une sorte de ruse de l'auteur, ou une ruse
de la raison, déploie ici ses artifices. Hegel se fait
un nom en répudiant le sujet. Il figure en bonne
place dans le Panthéon des philosophes, aux côtés
de Platon, d'Aristote, de Descartes, de Spinoza, de
Leibniz, de Kant. Parmi ces dieux, il cède même à
la tentation de se croire Jupiter. L'esprit mondial
assure à ses secrétaires une retraite heureuse.
III. - Hegel l'obscur
L'absolu - ou l'IdéeA ou Dieu -, dicte un peu
vite, et revient parfois sur ce qu'il a dit. Les con­
tours de la philosophie de Hegel gardent, malgré
tout, quelque indécision. L'intérêt qu'elle suscite se
voit périodiquement ravivé par des commentaires
changeants. Pourquoi cette diversité des. ÙlteI.pré­
ta!!~ns et, corrélativement, des critiques ?
L'une de ses causes, c'est une certaine perplexité
à laquelle les lecteurs échappent difficilement, même
quand ils ne l'avouent pas. Peuvent-ils se flatter de
réussir à surmonter toujours la proverbiale obscurité
de cet auteur, - un trait, singulier celui-là, et qu'on
ne peut .lui contester ? On doit la constater et la
subir. Mais Haering, auteur d'un volumineux ou­
vrage sur Hegel, exagérait certainement lorsqu'il
écrivait: «C'est un secret de Polichinelle que jusqu'à
maintenant presque tous les exposés ou introduc­
tions à la pensée de Hegel laissent complètement
démuni le lecteur qui veut s'attaquer ensuite à la
lecture de ses œuvres, et même que parmi les inter­
prètes de Hegel bien peu seraient capables de faire
le mot-à-mot intégral d'une page de son œuvre. l)
Ne voulait-il pas faire mieux ressortir la qualité de
sa propre tentative d'explication de Hegel, comparée
à celles de ses prédécesseurs ?
26
Il n'en reste pas moins que, si l'on ne se dispense
pas de pénétrer dans le texte de Hegel, l'entrée
coûte cher!
Que veut donc dire, que peut donc bien dire
cette bouche d'ombre?
Un premier obstacle fait écran et empêche de
l'entendre bien : c'est l'accumulation d'erreurs
graves commises par Hegel dans le domaine des
sciences de la nature. On peut s'en indigner à peu
de frais, car elles s'étalent nalvement, par exemple
dans la Philosophie de la nature, la deuxième partie
de l'Encyclopédie. Mais elles gâtent aussi tous les
passages où Hegel traite, ailleurs, de questions scien­
tifiques, et cela depuis sa Dissertation doctorale (1).
De leur excès, certains critiques sévères tirent des
conclusions radicales : un homme qui commet de
pareilles bévues dans des domaines où chacun peut
lui-même vérifier, ne mérite pas qu'on lui fasse
confiance dans les régions éthérées de la pensée oùil se
hasarde et où l'on n'a plus le moyen de le contrôler.
Des savants se laissen! emporter par l'indigna­
. tion. Le génial et célèbre GausJl, à peu près contem­
Il porain de Hegel, s'exclame: « Noé ne s'était enivré
qu'une fois, pour devenir ensuite, selon l'Ecriture,
un homme sensé, tandis que les insanités de Hegel
dans la Dissertation de doctorat où il critique
Newton et conteste l'utilité d'une recherche de nou­
velles planètes sont encore de la sagesse si on les
compare à ses propos ultérieurs ! »)
Bien sûr, les amis de Hegel l'admireraient encore
davantage s'il n'avait pas connu de telles défail­
lances. Et tous les développements philosophiques
dont il environne ses extravagances scientifiques
se couvrent COmme d'un voile de brume. Il aurait
pu faire mieux, ou, du moins, avec un peu de chance,
enfourcher un moins mauvais cheval!
27
Toutefois, cette défaillance étant reconnue, il
convient de n'en pas exagérer la portée. En ce qui
concerne l'incompétence scientifique, l'aveuglement
anti-newtonien, et plus généralement l'extravagance
par rapport aux derniers résultats de la recherche
scientifique~ on pouvait trouver, à l'époque de
Hegel, bien pis que lui. Sans parler de ces savants
qui, sans autre précaution, acceptaient d'un côté
des données scientifiques et, de l'autre, des tradi­
tions religieuses, malgré leur radicale incompati­
bilité, et sans même tenter de les~ccorder spécula­
tivement, comme le fit Hegel...
Si Hegel, dans sa Dissertation, se trompait si
lourdement et si ridiculement, il ne se sentait du
moins pas seul : la Dissertation ne scandalisa pas le
jury, et grâce à elle il obtint le doctorat. Si le can­
didat était mauvais, que valaient les juges?
La question de la validité des options scienti­
fiques de Hegel reste d'ailleurs ouverte. Le procès
continue. li n'est pas exclu que, sur certains points,
on s'aperçoive, à plus fine analyse, que ce que l'on
tenait d'abord pour erreur monstrueuse - et dont
la présence à ce titre dans le texte de Hegel reste
alors difficilement explicable - n'apparaisse co~me
le pressentiment de nouveaux progrès scientifiques,
pressentiment exprimé obscurément, mais décelable
par des lecteurs plus subtils (XLI, 27).
La cause d'incompréhension et d'embarras que
constituent les erreurs scientifiques de Hegel trouve
aussi en elle-même sa contrepartie. Elles témoignent
du moins de l'intérêt exceptionnel de Hegel pour la
science et de son respect pour elle. Il n'a voulu ni
la négliger, ni l'éloigner des considérations philo­
sophiques, comme le firent tant de ses contempo­
rains et de ses successeurs. L'hégélianisme, même s'il
lui arrive d'errer dans le détail, ne sépare jamais
28
1
en principe la sci~n,.!le et la philos~phie, il ne les
oppose pas.
Les choix de Hegel furent parfois heureux. Il sut
prendre courageusement position, et avec quelle
vigueur! contre de fausses sciences qui obtenaient
pourtant une large approbation, et même de la
part de certains savants : la physiognomonie de
Lavater, la phrénologie de Gall (VIII, 1, 256), le
magnétisme de Mesmer...
Plus fondamentalement, on peut dire que ce qui
était vérité scientifique à l'époque de Hegel se
trouve maintenant aussi périmé que les erreurs du
philosophe. La science de Newton ne disait évi­
f demment pas le dernier mot. Pour le croire, il eftt
1fallu être kantien, et accepter bien d'autres fadaises.
Les rapports de la philosophie et de la science,
étroits certes, ne sont pas simples, ni unilatéraux.
Elles ne vieillissent pas toujours ensemble. Leurs
liens concernent moins leurs résultats momentanés
que les modalités de leurs progressions respectives.
Les acquis scientifiques s'épuisent vite, et si les
acquis philosophiques devaient dépendre mécani­
quement et exclusivement d'eux, alors les philo­
sophies de Plaion ou d'Aristote ne conserveraient
absolument aucun intérêt.
La philosophie considère plutôt la manière dont
les théories scientifiques se font et se défont, l'acti­
vité scientifique polémique et militante, le niveau
épistémologique où se situe la lutte entre les erreurs
et les vérités scientifiques momentanées. Une phi­
losophie qui « colle » étroitement à la science
triomphante rend parfois bien mal compte de la
science militante. Alors qu'une autre philosophie,
qui a pris ses distances, et qui a passé à côté de
découvertes récentes importantes, mainti~nt les
droits et la liberté de la recherche et de la décou­
29
verte. La méthode hégélienne, illustrée parfois par
des exemples erronés, permet peut-être de mieux
comprendre le mouvement de la pensée scientifique
qu'une philosophie qui recueillerait fidèlement les
vérités scientifiques de son temps, mais ne se sou­
cierait pas d'explication et de justification.
- Autre cause d'obscurité: Hegel crée une philo­
sophie d'une vitalité exceptionnellement durable,
mais il l'élabore cependant en confrontation cons­
tante et précise, non seulement avec la science, mais
aussi avec les philosophies de son époque. L'œuvre
de Hegel comporte des polémiques acerbes avec les
"philosophes qui jouissaient alors de la plus grande
considération : Kant, Fichte, Schelling et Jacobi,
sans doute, mais aussi des penseurs qui ont perdu
depuis toute notoriété : Bardili, Reinhold, Krug,
Solger, Haller, Fries... Cela implique de très sub­
tiles disputes d'école, et ces « philosophes» eux­
mêmes ne se signalaient pas toujours par la clarté
de leurs propos l'Bien des passages du texte hégélien
restent inintelligibles, au plus haut niveau d'exi·
gence, si l'on ne les réfere pas aux doctrines de ces
otihliés, de ces méprisés, auxquelles ils apportent
une réfutation, ou une correction, ou un complément.
Cela ne facilite pas la tâche d'un lecteur de la
fin du Xxe siècle...
Mais même les contemporains cultivés, plus ou
moins. avertis de l'existence et de la portée de ces
courants philosophiques divers et entrecroisés, ne
parvenaient que bien rarement, et non sans peine,
à comprendre Hegel. ns ne comprenaient pas mieux
les autres: c'était l'ère des (1 génies» romantiques,
qui vaticinent dans les ténèbres, qui congédient les
(1 Lumières l) du XVIIIe siècle, et qui préfèrent l'lîër­
mêtisme et l'élitisme. Bien que se séparant d'eux,
Hegel ne sut peut-être pas toujours distinguer pro­
30
fondeur et difficulté. Il ne travailla guère à atténuer
celle-ci.
Il se démarque nettement de ses contemporains,
à cet égard, et même de ses amis. Il ne veut pas
passer pour romantique, il dénonce les ridicules du
romantisme et ses échecs, il se moque, avec un peu
de pitié cependant, de la « belle-âme » roman-
tique (VIII, 1, 168 et XXIX, 19). Il critique sou-
vent de manière tout à fait explicite, et conforme
à l'orientation générale de sa pensée systématique,
le génialisme.. l'hermétisme, l'élitisme. Mais peut-
être, ici, subit·il un certain échec : à la fin de sa
vie, il se résigne à considérer la philosophie comme
une sorte de « sanctuaire Il où ne pénètrent que
quelques élus. Il n'est pas douteux que, par coquet-
terie d'érudit, ou pour d'autres raisons, il s'exprime
' ça et là avec une concision excessive, dans une for-
mulation étrange, une abstraction échevelée.
Sans doute ne dut-il pas se forcer beaucoup pour
refuser des concessions démagogiques à unpublic mal
préparé, paresseux ou incapable. Comme tant a'iu-
tres, il fit de nécessité vertu. Divers témoignages
de ses familiers, et ses propres aveux, confirment
qu'il ne s'exprimait pas spontanément de manière
claire et élégante. On lui a reproché constamment
la lourdeur de son style, ses tournures alamhiquées,
 son vocabulaire surprenant. Les étudiants devaient
s'accoutumer longuement à l'entendre, avant de
commencer à le comprendre un peu.
Pourtant - le lecteur en fait l'expérience récon-
fortante -, Hegel sait rédiger des pages d'une
admirable clarté, d'une grande simplicité et, on
peut le dire, d'une surprenante beauté (VIII, II, 261).
ULa tradition conserve et exalte les images lumineuses
Il que l'on y peut prélever.
Avec le temps, l'effort et la patience - il a tout
31
,	 de même fallu tout cela! - on s'est aperçu <}!le
l'obllCurité hégélienne n'était pas aussi insondable
 qu'~n l'avait cru d'abord. Grâce à une documen­
tation étendue et précise, à des recoupements de
textes et d'œuvres, à une réflexion armée d'érudi­
dition, des commentateurs parviennent à donner la
, traduction, en langage clair et commun, de chaque
page, de chaque phrase de Hegel (XI, XXXVI,
) XXXVII). Une part de l'obscurité de l'auteur pro­
vient certainement de la cécité des lecteurs. Chez lui,
tout a un sens, mais qui ne se découvre pas d'emblée.
Quant à la véritable obscurité de Hegel, elle se
situe ailleurs, elle tient à d'autres causes. On pour­
rait lui appliquer ce que Paul Valéry disait en une
'II autre occasion: «On l'accusait d'obscurité, reproche
que s'attirent toujours les esprits les plus clairs, qui
ne trouvent pas ordinairement leur clarté dans
l'expression commune» (Œuvres, coll. Pléiade, l,
p. 113). Un penseur ne parait jamais clair à qui
n'entre pas dans ses vues. Les vues de Hegel sur­
prenaient, dérangeaient, choquaient.
Non qu'il ait maÎÏ~é 1e précurseurs! Il les dé­
signe lui-même: tOûte-l'histoire de la philosopliie
et de Ii cûlture. Dans les plus claSSIques, - Platon,
11 Aristote, Spinoza, et tous les autres -, il décou~ce
Jt Cl!!e personne avant lui n'avait su déceler !
Mais il recourt -aussi aaes personnages moins
connus, suspects, inquiétants :&éracli~ lProclu
,!Johm> des marginaux de la pensêe mon~A
propos d'Héraclite, il proclame: « TI D'~t pas une
p~os~on d'Héraclite qu~aireprise dans ma
~~e » (XV;!, 154) 1
Mais, précisément, Héraclite est surnommé :
« L'Obscur 1 »
Dans l'histoire de la philosophie, les dialecticiens
les plus décidés, et les œuvres les plus décidément
32
dialectiques (le Parménide, le Théétête de Platon !)
ne passent en général ni pour faciles ni pour immé­
diatement limpides. Non que la dialectique, en tant
que manière de penser, soit plus obscure ou plus
confuse, en elle-même, que les pensers dogmatiques
qu'elle dissout et assimile: mais elle rompt avec des
habitudes invétérées, elle nuit à des pratiques insti­
tutionnalisées. Chacun a bien une expérience de la
pensée dialectique, mais inconsciente souvent, re­
foulée, occultée, et l'usage délibéré de celle-ci se
trouve réprimé par la puissance, parfaitement expli­
cahle, d'un autre mode de pensée, parcellaire, fixa­
teur, immédiatement pragmatique.
Les mauvaises habitudes des lecteurs leur rendent
difficile la lecture de Hegel. Il leur faut s'initier à )
des f!.çons de penser que le sens commun réprouve (
et qu'ifdénonce ordinairement comme mystiques ou
sauvageS'. Le système moderne de pensée s'est édifié,
dans l'ensemble, contre la dialectique, - bien
qu'il en constitue lui-même, à contrecœur, un
moment. Heg~l va à contre-courant, et peut-être
ne le fait-il pas toujours avec la plus grande habi­
lité. Pendant des millénaires, tout en étant dialec­
ticiens sans le savoir, les plus grands esprits ont été
antidialecticiens en intention, ils ont préconisé et
cultivé le « bon sens )J, la raison ordinaire, ce que
Hegel appelle plus précisément l'entendêment (Ver­
stand) et dont il trace les limites (XI, 510-512).
Et lui, il exhorte à franchir ces limites, grâce à
l'exercice et à la cultUl'e d'autres aptitudes spiri­
tuelles, par des procédés ou des efforts qui relèvent
alors de ce à quoi seul il accorde le titre de raison
(Vernunft) (XI, 502-503).
Les non-initiés s'y reconnaissent difficilement.
D'autant plus que le dialecticien. dans son com­
bat, se voit obligé d'utiliser les armes forgées par
33
J. D'HOMM 2
l'entendement, les outils du hon sens, en particulier
le langage. Il entre en conflit avec les préjugés, la
coutume, la partialité (X, I, 13,61). Il lèse peut-être
aussi des intérêts sociaux qui tirent avantage de(
l'usage exclusif du « bon sens ». L'entendement,
quand il opère pratiquement aussi· hien que lors-
qu'il juge intellectuellement, coupe par ahstraction
les relations des choses et des êtres entre eux, dissi­
mule les exigences et les conséquences de leur de­
venir. En général il sépare, isole et il oppose les uns
aux autres, inconciliablement, les êtres et les choses
qu'il a isolés. Il perpétue l'isolement, la division,
l'opposition; ilstahilise, autant que possible, chaque
étape du devenir (X, I, 6). Ces procédures et ces
opérations répondent évidemment aux désirs, plua
ou moins conscients, des individus et des groupes
qui participent à un statut social établi, avantageux,
et dont ils souhaitent la pérennité. Aucune société
constituée, aucun ordre établi ne voit d'un bon œil
le développement d'une dialectique consciente, qui
révèle à toute chose sa relativité et lui annonce sa
fin inéluctable. Voilà un ohstacle « épistémologique»
que le lecteur de Hegel doit franchir. Voilà la source
d'une suspicion instinctive dont souffre toujours la
philosophie de Hegel, malgré les concessions et les
justifications, plus ou moins sincères, de son auteur,
malgré les alibis qu'il s'est évertué à inventer. La
'dialectique .inquiète. Et tout est obscur à qui ne
Jveut pas VOIr.
- t'ôhscurité de Hegel nait d'un ensemble de
causes hétérogènes. On les énumère aisément :
paresse et ignorance des lecteurs, préjugés sociaux
et culturels, nouveauté et agressivité propres de la
dialectique consciente, audaces de la pensée spéc~a-
_	 tive, lourdeur naturelle au style, circonstances
aëëidentelles, tout s'en mêle!
M
..

l
Ajoutons encore une donnée que tous les ( hégé­

liens» ne voudront certes pas enregistrer. En général

ils font confiance à l'auteur, et croient qu'il a fait

ce qu'il visait. Mais les adeptes du soupçon pensent,

et par principe, qu~~~cun phil2.S2phe, si exception­

nellement lucide qu'il ait été - et c'est le cas de

Hegel- ne..discerne tous les tenants et aboutissants

de sa doctrine. Peut-être, dans le meilleur des cas,

parvient-irà se comprendre lui-même: il nous re­
vient encore de l'expliquer. Hegel ne serait pas si

obscur aux autres, s'il avait été parfaitement trans­

parent pour lui-même.

Réduite, expliquée, pardonnée, l'obscurité per­

siste. Elle rend partiellement compte d'une réti- )

1Vrsc~e p~~istante des milieux philosophiques à

l'éi!!1'd de Hegel, paradoxalement opposée à un

succès populaire équivoque : scrupules de travail­

leurs consciencieux à l'égard d'une pensée et d'un

système si difficiles à saisir que l'on peut les suspec­

ter d'être insaisissables; crainte, chez les descen­

dants intellectuels de Descutes, d'avoir affaire à

une sorte de grJP1~e_mystific!tionspéculative - et ...

il s'agit alors de ne pas se laisser flouer; d6fj~ce

en'y'~ une doctrin~ntles lointains rejetons, qui I~

se réclament hauteme!!:t_d'elle, sU8c!tent l'~p...QuvanteJ {~

pE leurs pr~~s irréljgieuses ou révolution-.

naJres.

. ~tte obscurité, la perplexité et les réserves qu'elle

engendre, créent une situation exceptionnelle : la·}

possibilité des interpré~a.lion8Je.s plus Qp.po~é~s, qui

profitent aussi de la complexité et de l'extrême rami­

fication de la doctrine hégélienne. A propos de Hegel,

que ne peut-on soutenir, avec quelque vraisem­

blance?

Ces richesses entassées dans la pénombre offrent

à la recherche universitaire un champ d'exploitation

3S
presque inépuisable. Quand un jeune esprit, avide
de briller et d'avancer, cherche le sujet d'un essai,
d'un mémoire, d'une thèse - quoerens quem th­
varat -, quelle proie meilleure que l'hégélianisme
pourrait.OIl lui indiquer? Chaque bribe que ron
détache de celui-ci est un trésorpour quis'en empare.
Les contresens sur Hegel offrent souvent beaucoup
plus d'intérêt que les idées par ailleurs sensées de
ceux qui les commettent. Les appréciations, ~es
opinions les plus extravagantes paraissent naturelles
quand elles le concernent.
.',' Hegel disait que la philosophie peint toujours en
- t gri~aille. M.ais, le concernant, elle choisit parfois le
1noll' sur noll'.
Des causes réelles et profondes de la difficulté et
de l'obscurité de certaines parties de son œuvre,
Hegel était d'ailleurs parfaitement conscient. En
1812, il écrivait à l'un de ses disciples, à propos de sa
Logique: (( Je regrette que l'on se plaigne de la dif·
ficulté de l'exposé. La nature même de ces questions
abstraites fait que, lorsqu'on en traite, on ne peut
donner à son travailla facilité d'un livre de lecture
ordinaire; la véritable philosophie spéculative ne
peut non plus revêtir le vêtement et le style de celle
de Locke ou de la philosophie française o~aire.
•Pour les non·initiés, elle doit alœ.l!!.aftre, en c_~
(touche son contenu, comme le monde à l'envers,
comme en contradiction avec tous les concepts aux­
quels ils sont habitués et avec ce qui leur paraissait
valable selon ce que l'on appelle le sens commun».
Regrettant de n'avoir pas matériellement la pos­
sibilité d'améliorer la présentation de sa Logique
'/avantde l'offrir au public,il ajoutait: «J'ai confi.ance
1dans ce dernier, et ~crois que tout au moins les
idées principales trouveront accès auprès dë lui »
(XVIII, l, 377).
36
Mais, concernant des idées moins fondamentales,
quoique significatives, Hegel ne rendait-ilpasvolon­
tairement leur accès encore plus difficile au public,
pour d'autres raisons?
IV. - Hegel secret
La plupart des obscurités du texte hégélien disponible se ré­
duisent à des difficultés qu'il s'agit, pour le lecteur, de surmon­
ter. Toutefois, dans certains cas, on ne peut s'empêcher de
penser que Hegel, malgré toutes les causes objectives d'obscu­
rité que l'on allègue, aurait pu s'exprimer plus clairement et
plus nettement, s'ill'avail voulu (XXVI). Le souci de rigueur
et de précision ne prohibe pas absolument les exposés brefs et
synthétiques, éventuellement didactiques, qui peuvent ensuite
recevoir les nuances convenables, ni, surtout, les réponses
sans équivoque à certaines questions précises.
L'embarras naît souvent d'un style réticent, ambigu, com­
pliqué de clausules interminables et d'incidentes, ainsi que de
termes à double sens. Hegel excelle à enchaîner de longues
périodes dans lesquelles la deuxième partie annule presque
totalement ce que disait la première. La nouveauté et la
complexité des problèmes ne justifient pas toujours l'ambi­
guïté des solutions proposées. Des interrogations parcellaires
n'exigent pas que les réponses soient données sous la forme dé­
routante de la « proposition spéculative ", elles tolèrent ou
même appellent des réponses univoques : l'âme humaine
jouit-elle d'une immortalité personnelle? Le monde résulte-t-il
d'une création divine? La censure de presse remplit-elle une
fonction légitime et indispensable ? Le roy!tume dçJ>russe
réalise-t-ill'Etat rationnel ? Le système économique qui s~vit
en 1830 mérite-t-il de durer? On aurait aimé obtenir à de
telles questions des réponses par oui ou non. Mais des
répo!!ses négatives auraient conduit He~l à la prison ou à la
révolllLtion...
Même en ce qui touche à sa philosophie fondamentale, spécu­
lative, on doit tout de même s'étonner de la manière inadéquate
et peu satisfaisante avec laquelle Hegel l'expose. De nos jours,
on perçoit un contraste frappant entre la clarté, la systéma-j
ticité englobante et la relative brièveté de la présentiiïion
qu'en donnent certains commentateurs, certes particulière­
ment compétents (XXXVI et XXXVIII), et l'embarras, les
longueurs, la dispersion et la variation des textes qu'ils
37
commentent. Hegel aurait·il donc été incapable d'élaborer lui·
même de telles synthèses accessibles, sWlceptibles d'informer
leurs lecteurs dans une première approximation, et de leur
permettre un premier jngement global ?
Ilse"plaignait de l'incompréhension de sea dilciples. MIlÎJ le
poète Henri Hein~ qui le connaiNait bien et qui avait suivi
quelquel-unl de lea cours, incriminait le maitre lui-même, dans
une boutade: u Je crois qu'il ne tenait pas du tout à être
compris : de là provient son langage compliqué, et aussi,
peut-être, sa préférence pour les personnes dont il savait
qu'elles ne le comprenaient pas... »
Il ne s'agit nullement de confirmer, à cause de cela, la thèse
parfois audacieusement avancée d'un ésotérisme hégélien glo­
bal : Hegel aurait décidé de garder secrète sa doctrine, et de ne
la communiquer qu'à quelques fidèles triés sur le volet; ou
même de confier à la postérité le soin de la deviner! En fait,
la doctrine fondamentale de Hegel se trouve dans les « livres
canoniques D, elle reçoit des enrichissements et des c1éve1oppe­
ments dans les Leçom. Mais, ceci posé, on ne peut pas ne pas
constater la discrétion du philosophe sur certains points qui,
insignifiants aux yeux de quelques lecteurs, prennent de
l'importance si on les place dans la perspective convenable:
l'évaluation, ici, dépend de ce que l'on recherche et de la
manière dont on entend et situe la philosophie en général.
En tout cas, on a dès longtemps soupçonné Hegel de dissi­
muler certaines choses - importantes ou non, puremeiÏt 2.,.hilo­
sophiques ou non -, et de ne les lainer paraître qu'enoes oc­
<lluions choisies, à motl couvertl, pour des témoins exception­
nels. Jôhannes Hoffmeiste,r. l'un des éditeurs les plus efficaces
des œuvres de Hegel, exagérait à peine lorsqu'il assurait que
u c'est sur les choses qui le concernaient le plWl directement que
~ 1Hegel a gardé le plus obstinément le silence D (Dokumeme su
Hegel! Enttfliddung, 1936, p. 421).
La publication de ses œuvres connut des incidents surpre­
nants,1litl'01)jet d'aigres chicanes, reste inachevée. Ce dont •
nous disposons souffre d'équivoques que seule-une enquête
approfondie et qui ne récuserait a priori aucun témoignage
peut espérer dissiper. La doctrine s'enjolive de toutes sortes
d'opinions qui, apparemment, ne se relient pas d'une manière
nécessaire au noyau systématique. Et puis un philosophe
est aussi un homme, et qurne serait tenté de s'intéresser à
l'homme, quand c'est Hegel? Même sans Ion aveu, sel lingu­
laritél marquèrent sa philolophie univere;elle. Il n'est pas
non plus interdit d'eseayer d'expliquer une philolophie exil­
rieursment, en la rattachant à dei conditionl hiltoriquel,
38
--
sociales, et même biographiques. La curiosité s'aiguise dès
que l'on évoque une possible dissimulation.
Lea petits secrets de Hegel - l'appréciation de leur impor­

tance relative reste une tâche ouverte - relèvent de préoccu­

pations trèt diverses : doctrine, activité publique, opinions,

vie privée. La mise en évidence de leurs conséquences, en

ce ljuf concerne l'interprétation de la pensée hégélienne, re­

quiert la plus grande prndence (XXVI).

Par exemple, on a appris assez tardivement que ~I. d!!ls -~
I
sa jeunesse, avait eu un enfant naturel, à l'~l!!d duguelJLse
conduJsit d'ailleurs d'une mll!lièr~ irréprochable. Rien de
surprenant à ce que, compte tenu de l'opinion publique, de ses
propres projets universitaires, de sa situation familiale, le
philosophe soit resté très discret sur ce sujet. Mais le premier
éditeur de la Corr/lspondarw:e de Hegel, son fils Karl, a exclu du
recueil toutes les lettres dans lesqu~J;Jl se trouvent êvoquees
l'existence de ce fJIs naturel ainsi que les conséquences désa­
gréables qu'ene eut pour le philosophe - Jettres qui, bien sûr,
ne traitaient pas uniquement de lui. Comment refuser tout
i~térêt à cet aspect de la vie de Hegel, sil..~.ai!l~~_on
1acco!:de. à d'a~tr~s ai!.Pecte de cette vie, comme, par exemple,
lla re.!ist0.!ÙDtllW~nne,l'origine souabe, -l'éâlïëatiôn-au Stift
de"fü.};mgen, etc. ? O~rpeut assurer ~e cet incident n'exe.tça
a~cç.e influence sur te ouïëIO.ètâifae-~doctrinehégé-lienne,
par exemple surSi'ëôâceptioÎÏilïéorique dela famille, des mœurs
et des inclinations de la jeunesse, etc.
Le « secret ~ hégélien comporte des facettes très diverses. ~
Ainsi, au fur et à mesure que l'on parvint à réparer partielle­
ment la négligence dont avait d'abord pâti l'héritage textuel,
on retrouva de nombreux manuscrits que Heg!ln'ëtâlt absté..nu
depimIièr. Pourquoi cette abstention? Sans doute la mort
emporte-t-elle beaucoup d'écrivains sans leur laisser le temps
de livrer au public tous leurs écrits. Mais, pour Hegel, il s'agit
parfois de textes composés dans sa ~esse, cons.ervés t9ut
au lonLde sa:::Vie:-etaont on se rend "facilement compte,
maintenant, qu'ils étaient en son temps impubliab!./ls parce
qu'ils contrevenaient 8.UX directives de la censure, ou heur­
taient Te pouVOir ai-liittâirë, Olle S"cand:1tliSaient l'opinion
commune.
Tel est le cas, par exemple, des essais que Heg~ rédig~a entre
-1793#189.lL- ilavai!...al?~ ~.ll..~_ ~ ..!IDs. If anut attendre

jusqu en 1907, soixante-seize ans après la mort de leur auteur,

pour qu'un érudit, l!!rmann No~ les redécouvrit et les pu­

bliât enfin! Ds portent des titres « accrocheurs ~ : R~~n

populair/l /lt chm~~~m/l,La vi/l de Jé3us (II), Ù!eositivi'iTde la

39
,l
li
rel~gion chrétienne, L'esprit du christ~nisme (III), - au total
400 paKeë:"Leur contenu. quand il ile s'affirme pas épisoilique.
ment irréligieux et révolutionnaire, se montre en général auda­
cpement hétérodoxe et contestataire. Leur publication, pen­
dantli vie de Hegel, aurait attiré sur leur auteur les plus graves
'l'SUSPicions, et, à défaut de poursuites policières et judiciaires,
Ilelle n'aurait certainement pas favorisé la carrière universitaire
, à laquelle le jeune Hegel aspirait.
Résultent-ils d'une « crise d'originalité juvénile » qu'un
homme surmonte raisonnablement dans sa maturité? C'est
peu probable. Hegel....lW~chaittout de même de la trentaine
lorsqu'il les médita. Il a reiïëôntr~;o.e 1800 à lâ31:1»en Îles
prétêxtes Oüïiïême des incitations à les détruire. Or il a soi­
~ement sauvegardé ces man~ti.tsJ..encombr~t côm­
romettant.s..1l.hi~es_~ards, les léguant ainsi ala postérité
qui ne les accueillit d'abord qu'avec nonchalance et dédain.
Bien d'autres œuvres de Hegel, dont on fait maintenant grand
cas, restèrent secrètes jusqu'à une date relativement récente.
Ainsi le fameux essai sur La Constitution de l'Allemagne (V),
éCrit en 1799 et connu du public seulement en 1893! Il débute
par la formule désormais célèbre: « L'Allemagne n'est plus
[un Etat! 0
Hegel n'avait-il pas publié anonymeme!!LW 1198 sa tra­
duction, annotée e~~entée,de l'ouvrage du révolutionnaire
suisse~an.JacquesCart Lettresfamilières sur l'ancien rapport
juridique -du-Pays e aud et de la ville de Berne? Il ne s'en
vanta pas ensuite, et notamment à Berlin pendant la période
de la Sainte-Alliance. Si le Roi l'avait su...
'--­ Hegel fait souvent l'éloge, dans ses « livres canoniques 0, de
l'obéissance et même de la soumission,_tu rd~p'ect devois
et des règlements. Mais, en même temps, . ré Ige dei te~tes
2. s~sifs, il publie anonymement, il se livre à des activités
suspectes, il entretient des relations compromettantes, il
,ili
1 effectue des démarches périlleuses. A Berlin, ne va-t-il pas
111 prendre contact avec un détenu politique, à la barbe des geO­
liers,en Bateau, la nUIt, en compagiiie de quelques-uns de ses
~ étudiants (XXII, 241) ? Le vieillissement et les décentions
ne l'ass~girent jamais col!!P!èt.~n.!.ent. .-­
Faut-JI rappeler, à ce propos, ses audaces de rédacteur en chef
A	 de La Gazette de Bamberg, en 1808. Il fit imprimer dans son
journal des informations tendancieuses, à l'encontre des direc­
tives de la censure de presse, et, à cette occasion, il manqua
de bien peu, et presque uniquement par chance, de faire
counaissance avec les prisons du Royaume de Bavière...
L'abondance et la richesse de contenu des L~pn.s_d~n
40
- - -
posent un problème.: pourquoi Hegel n'en a-t-il rien publié?
Dans l'intervalle de 1818 à 1831, particulièrement fécond,
Hegel n'a fait paraître, comme œuvre nouvelle, que le usumé
de ses leçons de philosophie du DiOiI~ «a-l'usage de ses audi­
(teurs » (XII). C'est à cel demiers, en nombre limîte, qu'il
userva l'exclusivité de tout ce qu'il créait.
On s'efforce, actuellement, de restituer ces Leçons de Berlin,
grâce à des cahiers d'étudiants. Ces cahiers de notes enregis­
trent des enseignements très élaborés, très détaill~s,~ès l'récis,
dont Hegel aurait pu aisément confier le texte à un éditeur,
après une simple mise au point rédactionnelle. Pourquoi ne le
fit-il pas, alors que maintenant, dans des conditions évidem­
ment moins favorables, des savants accomplissent assez rapi­
dement cette tâche à sa place?
Eprouvait-il le sentiment d'une imperfection? Ce même
sentiment ne l'avait pas retenu de publier sa Logique en 1812.
Les Leçons ne confirmaient-elles pas assez l~~té­
maticité qui obsédait le philosophe? Envisageait-il pour plus
tard une udicti6n définitive? Mais alors, jWlqu'à quand espé­
rait-il vivre?
En fait, le contenu théorique et idéologique des Leçons, et •
déjà leurs projets fondamentaux ëtîeUY-lJttûcture géiiérale,
risquaient fort de déplaire aux autorités, de provoquer la cen­
sure, d'indiperJ'orthodoxie religieuse et..E-0liti<IUe~
Elles suscitaient déjà de vives réacbOnssoÜ8-Yeur forme orale.
Tous le.!!~titeurs--é.?!!i~arHeg~lpour l'aid~r~ansllOnensei- if
gnement ~ n~'!yccessl.ye!De~t;.arre~es,POurSWV1S et persécutés •"
par la justIce et la police prussiennes, et certes sous des pré­
textes apparemment « personnels », mais le fait qu'ils ensei-"
gnaient la doctrine hégélienne ne leur servit pas de circonstance
atténuante (XXII, 121-238)!
L'esquisse de Philosophie du droi& que Hegel se risqua à faire
paraître, en 1820, ne fut pas dispensée de censure et vit, à cause
de cela, sa publication retardée d'un an. Dans l'Italie de la
Restauration, cette œu~e rest,::~~~~~j~~r...1848 !
Après la mort de Hegel e~îa pû6Iicatlon des eçons par les
«Amis du défunt », et malgré toutes les précautions consenties
par ceux-ci, les autorités prirent des décisions de'censure qui,
de toute évidence, les visaient rétrospectivement. Les autorités J"
ne goàtaient visiblement pas la maniè!e hég!lienne d'« Înter­
pdter » philosophiquement lâ- religiqn, et~~ ïUîii~t od'empêcher toute tentative d'adopter celle-ci. Une instruction ... .de censure de 1843 prescrit: « n ne fauf pas lai.ser place à une
wt~i~e qui se présente maintenant fréquemment et lI1!!"ëi
nws le à la tenue religieuse et morale du peuple: elle consi,te
41
à attaquer les vérités religiell8es et à les remJ?lacer par des dé­
cfucti~n8..Philosophiques.;••
Certaines leçons de Hegel avaient d'ailleurs provoqué immé­
diatement des protestations auprès du ministre de l'Education
qui, relativement libéral, et favorable à Hegel, le. avait élu­
"	 déea. UU-I!.l'être_catholiqqe avait p()r:!tElainte pour outrage à
sa...xcligion contree Iâ pr68entation. effjlCtivement injurieuse,
~e Hegel avait f,!lite_dela doctrine catholique de l'eucharistie.
Leiïnitrîictions officielles, dans l'esprit de la Sainte Alliance,
interdisaient toute critique malveillante à l'égard des divenes
cQ!Ûessions chrétiennes, mais Hegel ne leur obéissait pas.
Bien sûr, le discours oral présentait moins de danger que le
texte imprimé. Les leçons de Hegel paraissent bien anodines,
à la fin du xxe siècle. Pour juger de leur audacë,Jllàüt les
( situer dansTeur époque. L'Edit de ceMure de 1819 et ses décrets
d'application se signalaient par leur brutalité et par leur préci­
sion, et la pratique policière franchissait sans vergogne les
limites juridiques.
Un écrivain, si peu non-conformiste qu'il mt, devait ou bien
•renoncer, on bien rédiger avec habileté, en laissant aux lecteurs
7) avisés le soin de lire ent~e les lignes. He~ÏlCiüvaiïêè1iapper
.àëelte sel'V1tiïde. La pOJtérité a~_devoir de rétablir sa pensée
Ilauthentique, sur les sujets brûlantS: en s'iidiiit des vestiges
J de ses propos privés, des témoignages de ses familiers, de tous
les indices disponibles. ToUll ceux qui vécurent et parlèrent
dans un régime d~p.E!e!sion comptent sur cette loyauté et cette
confiance cre l'ëurs neveux. A ceux-ci d'effectuer les recherches
patientes, d'opérer les recoupements instructifs, d'évaluer les
 faisceaux de m:gba!lilités, de ne pas se laisser berner j)araeS
stratagêÏiies-qui ~saient d'autres qu'eux.
Hegel accorde une grande importance à la filiation des doc­
trines philosophiques successives, à leur loeâ'li8âilon dansî'his­
toûe-tempo~~~ i~ées teUe qu'eUe reflète les mom~nts .du,développement étW1el dÙ'!dée. On ne connait bien une doc­
,trine que lorsque l'on saisit s~se. Hegel a lui-même dési­
gné l'enchaînement des antéc ents de sa philosophie, synthèse
;activéde tolÎt ceCJ1ll Iii. préc6da-.- - ~
• "Le bsard et la rechercTie méthodique découvrent cependant
des auteurs qui eXel'cèrent sur lui une influence décelable et
!! qu'il ne nomme jamais (XXVI). Ou bien il n'a pas conscience
de ce rôle d'information et d'orientation qu'ils jouèrent à son
égard, ou bien il les juge insignifiants, ou bien il les dissimule.
Mais, soit qu'il les oublie, soit qu'il les cache parce qu'il se
souvient trop bien d'eux, il procède d'une manière sélective:
on .'aperçoit que ceux dont il tait le nom sont des sUllpects.ou
42
des réprouvés, des hommes qui, actuellement ou rétrospecti-
vement, méritaient la haine des autorités des divers Etats alle-
mands dans lesquels Regels'est successivement établi: Giron-
d~ français, Franc-maçons progressistes, Jacobins allemanda,
héritiques et opposants. L'appréciation de l'iiDportance rela·
tive de leur influence sur Hegel est très difficile, mais cette
influence est précisément détectable, de même qu'est trè. évi-
dent l'Jntérêt ou l'estime dont Hegel les honora. L'enquête qui
les concerne reste ouverte. Elle a déjà permis de distinguer des
personnalités aussi s~renantes et significatives que, par
exemple, Georg Forster, Rabaut' de Saint-Etienne,' Volne~r-,
Camo~etc.Elle révèle que si Hegél a cru devoir taire des noms,
il a dd aussi déguiser des attitudes, agir à la dérobee,Teiïiilie. c.
Quand on réussit à éventer quelques ruses, à lever des mas-
ques, à pénétrer certains secrets - et même si ces opérations
n'exercent pas d'effet sur la représentation que l'on se donne de
 la philosophie fondamentale de Hegel -, on ne peut plus faire
confiance aux anciens portraits du philosophe, qui le présen-
taient comme une sorte d'épouvantail: un penseur servile; un
réacti0!!DaJre borné, un belliciste chauvin, et, malgié sa pro-
Condeur spéculative, un homme aveugle et lâche.
V. - Les aventures de l'hégélianisme
On distingue plusieurs sortes, ou plusieurs niveaux
de l'hégélianisme. D'abord, la doctrine de Hegel
telle qu'elle s'inscrit dans les « livres canoniques ». _
Puis celle que l'on obtient lorsque l'on ajoute à
ceux-ci les publications posthumes, les manuscrits, ••
les témoignages et documents.
Voilà l'hégélianisme de base, le bien propre de
Hegel. L'hégélianisme historique se développe en-
suite, grâce aux prop~distes et aux exégètes, t J
puis grâce aux disciples, aux utilisateurs et ~pil- if S-
lards, et finalement aussi grâce aux critiques et aux
adversaires : une immense prolifération (l'idées plus
ou moins directement et fidèlement Inspll'éës -de
Hegel.
Certains disciples consacrèrent leur vie à la pro-
pagation, à l'explication, à la paraphrase de l'œuvre
~
de Hegel: tel celui que l'on a surnommé « le."p'a­
triarche de l'hégélianisme », Karl-Ludwig Michele!.J
(1801-1893). Bien que relativement « modéré» dans
son interprétation de la doctrine, il montra par
l'exemple que le développement spontané de celle-ci
l'entralnait plutôt vers ce que l'on a appelé la «gau­
che hégélienne ».
Car cette philosophie qui se targuait d'être plus
systématique et unitaire que toute autre n'a pas
'conservé son unité plus d'un instant après la m~.de
Hegel. Cette philosophie qui se vantait d'être fon­
damentalement spéculative a éclaté aussitôt en des
tendances très mondaines et engagées : une gauche
et une droit~ !
Une sorté d' « Ecole hégélienne », minée dès le
début par les dissenssions, s'était groupée autour
du maître, à la fin de sa vie, dotée de son organe
propre, les Annales de critique scient~fique fondées
par le disciple préféré, l'ami Edouard Ganlù (1798­
1839). Celui-ci était un juriste, libéral et quelque peu
saint-simo~en, très attaché à Hegel, persécuté à
cause de cela aussi, une personnalité distinguée, mais
qui ne survécut que quelques années à son maître.
Cette « école hégélienne » se divisa rapidement
entre ce que l'on nomma une« droite» et une «gau­
che » - mais la ligne de démarcation ne se traçait
pas très nettemen.t. Grand succès pour l'hég·Hia­
nisme, car, comme Hegel l'avait noté: « Un parti
, Ine prouve qu'il est le vainqueur qu'en se scindaIlt
à son tour en deux partis (...). De cette façon, le
schisme qui naît dans un parti, et qui semble pour
lui un malheur, manifeste plutôt son bonheur »
(VIII, II, 123) 1 .
Hegel mort, l'esprit philosophique n'émigra pas
sur un autre continent. TI effectua 8a révolution à
l'intérieur de lui-même, quand les circonstances
44
extérieures l'y contraignirent. D'une manière jus­
qu'alors inédite en philosophie, cette rupture con­
cerna d'abord le p.!Ql>lèJ!le religieux (XXIV) et le
problème..p-2!itique (XXV et XXVII). « L'hégélia­
nisme de base », quelle que fût sa discrétion con­
trainte et sa prudence, s'engageait déjà dans les
controverses publiques, il se livrait délibérément
aux exigences de l'histoire réelle et vivante. La
«( droite» et la «gauche»hégéliennes, dans leurexpan­
sion, révélaient ce que 1'« hég!lianisme de base )
avait contenu en germe.
J.a « droitè») regroupait les disciples qui, ou bien
s'en tenaient étroitement à la lettre et à la forme
ostensible de la doctrine hégélienne, ou bien accen­
tuaient les apparences orthodoxes (en religion) et
conservatrices (en politique) de celle-ci, en même
temps qu'ils se perdaient encore davantage dans la
spéculation effrénée. Ils se privaient ainsi de toute
possibilité de faire œuvre originale et efficace, ils
s'attachaient à ce qui était déjà mort, ils trahisBllÎent
l'e.sprit de l'hégélianisme, ils sont maintenant com­
plètement oubliés.
7Jui, par exemple, songerait à déterrer les livres
de Gable!) (1786-1853), l'un des plus médiocres
d'entre eux, et qui, sans doute à cause de cela, fut
appelé par les autorités à succéder à Hegel dans la
chaire de philosophie de l'Université de Berlin?
Avec les meilleures intentions, il fit plus de mal àJI
l'hégélianisme, par manque d'esprit, que n'en causa J
le viewr~, appelé à s~n tour~Berlin_par le,
roi de Prusse, avec mission ex resse de « réfuter »
l'hégélianisme. clpe aUSSI, peut- tre, -cette
orient.f.tion «droitière» de l'hégélianisme, le théolo­
gien'M..arheine~(1780-1846)qui tenta de couler la))'- ­
dogmatique chrétienne (luthérienne) dans le moule
spéculatif hégélien, ce qui pourtant impliquait une
45
audacieuse fusion et une périlleuse cristallisation.
Une même entreprise fut tentée par~1781­
1861), auquel Hegel avait accordé une approbation
nuancée.
Autant en emporte le vent!
En revanche, le nom de Feuerb~(1804-1872)
attire encore l'attention, et sonœuvre garde, dans
une certaine mesure, une signification vivante,
surtout parce qu'elle est intervenue dans la forma­
tion théorique de Marx et d'Engels. D'abord dis­
ciple de Hegel, Feuerbach prit bientôt ses distances
et développa une philosophie qui se voulait et se
croyait «matérialiste » p.ar O~P9si!i~n à un idéalisme
2: 4§gélien dont il ne détachait pas la dîâlectique.
Renversant le rapport hégélien exotérique de
l'homme à Dieu (mais Hegel avait lui-même souvent
suggéré ce renversement (XXIX, 98), Feuerbach
.élabora une e29;!lication anthropologique de la r~li­
(g!~. li aboutit à une étran.~philosop1ïiëile l'a..~our
lconsidéré comme base de la vie soëiiIeeïëü1turelle
du genre humain. li arrive qu'on lise encore ses
principaux ouvrages, l'Essence du christianisme
(1841), les Principes de la philosophie de l'avenir
(1843).
Dans sa critiqu~r~dicaledu christianisme il avait
été précédé par iFrédéris.St!.a~b(1808-1894)dont
le premier ouvrage, La vie de Jésus (1835) fit scan­
'dale. En fait, celui-ci ne se montrait ni plus hété­
rodoxe, ni plus irréligieux que Hegel dans sa eropre
V~ t!e_ Jésus, dont on ignoraiCaJors l'eXIStence.
,Strauss accentua ultérieurement le caractère irré­
ligieux de sa pensée dans son livre: La doctrine chré­
tienne de la foi dans son c2..mbat contre la scf::eJlC6
!"'I	 $TJ16 (1840).
_Bruno Bauer)s'engagea dans la même voie. li
avait, en 1840, coopéré à la réédition des ~1I§..sur
46
la philosophiede 19 religion dans les Œuvres com­
plètes de Hegel procurées par les «Amis du Défunt »,

et l'accomplissement de cette tâche n'avait sans

doute pas contribué à son édification. En 1840 aussi,

il osa rendre publique sa Critique de l'histoire évan­
gélique de saint Jean, et, en 1841-1842, sa Critique

de l'histoire évangélique des Synoptiques. BaUer) Il

voit dans les Evangiles de libres créations de leurs

auteurs, semblables à des œuvres d'art. Il aboutit à .'

un athéisme_~licite. Le gouvernement prussièn

lui retira, en 1842, le droit d'enseigner.
 -====.Les livres de Feuerb~h, de 'StrauS}, de ::~

soulevèrent d'ardeIi:tes-polémiques-et-'c'est so t

à cause de ce tUl!lul~ ~e l' « hégélianisme »~s à

jour un peu rudement, fut connu du grand puhlic,

en particulier en France où l'on ne se fit pas scru­

pule d'attribuer au maître la responsabilité de

l'athéisme professé par d'insolents disciples. Le

soup,ÇQn d'athfumetfust vrai, avait pesé sur tl.e,gel
 oavàiit q!!'iÎs ne se cha~gent ainsi de le confirmer.
Les controverses théologiques, menées d'un point

de vue spéculatif, et auxquelles ces « jeunes hégéliens» )

s'abandonnaient passionnément, jouèrent un rôle

important dans l'histoire des idées, à une épo~e où

la religion joui~sait en ..Allemagne d'une -position

pr!ltique et idéol9g!que dominante. Elles paraissent

maintenant bien désuètes.

A cause de l'individualisme persistant, et même
encore exacerb~.1 de certaines cat~gories sociales,
l'œuvre de 'Marx StirnèJj(en réalit€C~~arSchmi~
1806-1856) Peut sembler moins périmee. Un non­
conformisme spectaculaire se manifeste chez cet
auteur, d'allure anarchiste et d'apparence hardie.
"1 Les jeunes hégéliens, subversifs en religion, res­
L taient parfois conservateurs en politique - comme
Strauss -, ou inversement. Chez Stirner, l'exalta­
47
tion de la révolte individualiste atteint une sorte de
paroxysme - et fournit le modèle de bien des « gau­
chismes )1 ultérieurs. Dans son livre célèbre, L'unique
et sa propriété (1844), Stirner faisait l'apologie du
moi « égolste li, critère de toute vérité et de toute
valeur, en o,.pposition au l( c~ce.pt YI ~hom~, au
règne de l'Idée, àla hiérarcliie.""Mais on peut mon­
trer que Stirner pratique, en une large mesure, la
spéculation de type hégélien.
La doctrine hégélienne imprégna aussi, en Alle­
magne, une descendance purement universitaire,
paisible, érudite et insignifiante. La liste est longue
des professeurs qui enseignèrent consciencieusement
Hegel et qui ne laissèrent de traces que dans les
annuaires.
Lorsque l'agitation «jeune ~élien~e)1, purement
intellectuelle, se fut apaisée, l'hégêlianisme subit en
Allemagne un assaut de_dénigremen!,. p'!i.s 1!!!--Jong
oubli. Ce phénomène mériterait une_a.!!ab:se soi­
gneuse. Ilreste, jusqü'à maintenant. inexpliqué. TI ne
fut interrompu véritablement qu'après la Deuxième
Guerre mondiale, par une « Hegel Renaissance 1)
J
inspirée des philosophies de la vie et de l'existence.
Entre-temps, la réputation de Hegel avait passé
les frontières, difficilement, et sa pensée inspira des
développements originaux dans beaucouy. de pays.....
En Italie, elle marqua profondément 'évolution
de la ciilture. Il suffit, pour s'en convaincre, de citer
les noms de· Spaventil} Marian~, Ercole)et, surtout,
de/Croce;
En~l$.terre,'GreeIÎl(1836-1882) se servit d'elle
pour J:estaurer_ ~ist~logiquement ï'IdêiIiSme
contre les tendances empiristes envahissantes, et
il fut suivi dans cette voie par des philosophes tels
qu~ ~l~ Caird!J JlradlefJ Bosanquet; Tagg
BaJ1h~ ­
48
En Rus~ie, le retentissement de l'hégélianisme, -
saisi wi""peu superficiellement et immédia.tement
accentué dans un sens libéral, se retrouve chez des
penseur~olutionnaires tels que Bakounine, Bié-
linski, ....Herze~ (XL). Ce dernier,JLui passa directe-
jment de l'héAélia~isme au saint-s~isme,ne p-!o-
,clamait-il pas que «la dialectIque est l'a~ la
révolution »!
Il ser~it fastidieux de suivre à la trace tous les
prolongements de l'hégélianisme dans le monde.
En France, la fortune de Hegel prend une allure - _
.SInguli::--cre.
Ici, le mOInS que l'on puisse dire c'est que Hegel
a tout d'abord été fort mal reçu. L'accueil qu'on lui
a réservé frisait la grossièreté : on détestait cet
étranger, on se méfiait de cet esprit confus, ~e}
~stigu.e bizarre, de ce penseur sandaleux.
Quell~i!!~ati!ud~~nvers UJ.:!. homme qui avait
tém.QimJ.l'égard de liïFra~d'un...!Lsi vive svm-
pathie, d'une si constante admiration!
O~ a souvent rëinarqué le rôle extraordinaire que .
jouent la France, et l'histoire de la France, dans la ,-
~bJ!!.!!...ménologie de l'esprit, comme source derHé-
rences historiques et littéraires, comme album d'il-
lustrations institutionnelles et dramatiques.
Hegel, ne l'oublions pas, né en 1770 et mort
en 1831, est enc()re, pour moitié, un homme du
XVIIIe s%cle, or le XVIIIe siècle est, plus encore que
le XVIIe, le siècle français par exce~nce. Sans doute
Hegel s'inspire-toi! très profondément des philo-
sophes grecs, et puis des grands penseurs allemands
qui l'ont précédé :,~~~~YLeibni~,Kant,'Fic~etc.
Ilconvient de ne pas exagérerrmnuencefrançaise qui
s'est exercée sur lui. Elle n'en reste pas moins éton-
nante.Ils'estintéressépassionnémentàJean-Jacques
B~ il a admiré M~ et V~
49
- Et en quels termes flatteurs ne s'est-il pa~xpri­
1 mé, .~~ g~nérâl, surLesp"rit français, la volonté, le
~sens E.liatique, l'énergie des FrançaIs (XXIX, 121) 1
Ces ommages n'ont pas été payés de retour.
C'est que longtemps a prévalu en France une
image de Hegel qui avait déjà été tracée, dès 1804,
avec une sorte de génie prémonitoire, par un jeune
homme presque inconnu, précepteur d~s un châ­
teau proche de Poitiers/Schweighaeuser~Dans un
article bien documenté, il présentait Hegel, comme
le disciple de Schelling qu'il pouvait paraftre à cette
époque, et il lui attribuait des caractères qui, pen­
dant un siècle lui restèrent indéléhilement associés:
obscurité insondable, ~j:J!p]lY,8i~~!!!:!lse,bizar­
rerie, 'Pa~éisme proche de l'athéisme, en tout cas
.suspect pour la France catholique, Spinozisme se­
cret : tout ce qu'il fallait pour que la France offi­
cielle et l'opinion publique rejetassent ce réprouvé.
Cette réputation, désor~a~récéda partout
H~el.
Bientôt s'y adjoignirent les suspicions politiques,
les idées de Hegel dans ce domaine se voyant répan­
dues en France par les Jeunes hégéliens plus ou moins
révolutionnaires, et surtout par le plus prestigieux
d'entre eux, sai~t.simoni~n d'abord, puis ami de
Marx, le poète Henri lIe~ qui résidait à Paris.
Pour illustrer la manière dont Hegel était inter­
prété en France, à l'époque de sa mort, il suffit sans
doute de citer cette appréciation, que l'on rencontre
dans une lettre de Lamennais à la comtesse de
Senfft : «Je vais tâcher maintenant de connattre un
peu I.!eg~l, qu'un Allemand de beaucoup de mérite,tyl
avec lequel nous sommes en relation, appelle l~
Il Platon de l'Antéchrist 1Il
Irfaut bIen pren<Ire conscience de l'amhiance mo­
rale dans laquelle surgissait, en France, cette présen­
50
tation de Hegel: c'était celle de la Restauration,
puis de la Monarchie de Juillet, l'ère de la pré~n.
dérance presque exclusive du spiritualisme, pnnci­
paiement catholique.
L'incompréhension française à l'égard de Hegel
u'a pas été uniquement due à l'ignorance de la
langue allemande. Elle provenait d'une méfiance et
d'une hostilité envers l'idéologie qu'on le soupçon­
nait - à tort ou à raison - de porter: une idéoloe:ie •
impie et révolutionnaire. --­
A cause de cela, la connaissance objective et rela­
tivement impartiale de l'œuvre de Hegel ne s'intro­
duisit que très lentement en France.
Elle avait été compromise, dès le départ, par les
entreprises philosophiques confuses de Victor Cousil!
(1792-1867), que Hegel avait reçu à Heidelberg
dès 1817, et auquel ilétait venu en aide plus tard, à
l'occasion de son arrestation rocambolesque lors
d'un voyage en Allemagne (XXII, 192). Cousin ne)
comprenait pas grand chose à la dialectique hégé­
lienne, mais prétendait cependant la mêler à ses
propres errements éclectiques. Ille faisait d'ailleurs
sans jamais citer expressément H~el. Il n'enseigna
donc pas la philosophie hégélienne pour elle-même,
mais il lui déroba plutôt des idées, il la mit au pil- 
lage, en se livrant parfois à de véritables plag1irts. Il
parait que Hegel lui-même, plus amusé qu'indigné,
a déclaré: Il Il m'a pris quelques poissons, mais pour
les noyer dans sa sauce à lui! 1) Et cette sauce, dont
parle Hegel, c'était la sauce d'un cc brouet éclectique»!
Cousin s'éloigna rapidement de l'hégélianisme
pour se rallier à la philosophie plus orthodoxe de
Schelling)vieillissant.
Apparurent alors des travaux modestes et sérieux
qui firent connaitre aux spécialistes le véritable sys­
tème de Hegel (on pense à Willm. à Ott! etc.), et les
51
traducteurs commencèrent à se mettre à l'ouvrage.
Les idées de Hegel purent inspirer parcellairement
quelques philosophes français : Vacherot, Taine.
Puis Hegel, en France, comme presque partout ail­
leurs, tomba dans l'oubli.
Hegel n'a jamais été vraiment bien connu et estimé
pour lui-même, en France, avant une époque toute
récente. L'Université J'ignorait. Les choses n'ont
évolué, de ce point de vue, qu'un peu avant la der­
nière guerre mondiale. Un premier signe de réveil
fut donné par le livre de Jean Wahl,}Le malheur ~
la conscience (1929). Un peu plus tard parut l'heu­
reux travail de réhabilitation de la pensée politique
de Hegel parJEric WeiD: Hegel et l'Etat.
Entre-temps s'était produite la véritable éclosion.
En 1939-1940, Jean Hyppolite procurait enfin
1aux Français une traduction de la Phénoménologie
~ l'esprit! Il l'éclairait par une interprétation magis­
trale dans sa thèse de doctorat (XXXV).
Kojève avait donné ses cours célèbres d'Intro­
duction -à la lecture ~ Hegel, qui ne gagnèrent
d'efficacité que par leur publication, après la guerre.
Koyré avait publié de brefs mais profonds articles
sur la pensée de Hegel pendant )a période de Iéna.
C'est seulement après )a Deuxième Guerre mon­
diale que ce mouvement prit toute son ampleur, et
dans des conditions très particulières.
D'une part, en effet, rexistentiaIÎs'me, dans
l'époque de son triomphe, a cherchtl à «-récuj!érer )1
plus ou moins Hegel à son profit, en insistant pour
cela sur les œuvres de jeunesse, et en s'arrêtant tout
•	 particulièrement à la Phénoménologie. Il opposait
les œuvres de jeunesse, vivantes, existentielles,
dramatiques aux œuvres de la maturité, l'Encyclo­
,	 pédie par exemple, considérées comme )es signes
d'une pensée sclérosée, vieillie, réconciliatrice.
52
D'autre part, un certain ;nombre d'interprètes de
Hegel voul!U~;nt le compremlre en le lisant av~le8  '11
'J yeux de Marx;lMais alors se produisirentlê8 plus .. -.;>
étranges glissements de pensée et les plus surpre- 1
nantes dggeries. Croyant expliquer Hegel grâce à
Marx, beaucoup d'entre eux expliquèrent, en fait, 1
Marx grâce à Hegel, le réduisirent parfois, pour
l'essentiel, à Hegel.
D'autres courants d'interprétation, très amples
et très riches se développèrent parallèlement, en
particulier dans le senè religi~ux, sous l'impulsion
de Gaston Fessar~ (s.r) et de Marcel Régni~!.ASJ)
(XXVIII). Ils continuent à se déployer. Béaucoup
d'esprits profondément religieux, et parmi les plus
éminents, se livrent en France à l'étude, à l'expli-
Ication, à la propagation de l'hégélianisme. D'autre
part, une théologie, bien transforméédepuis 1830,
prélève dans Hegel de quoi s'enrichir encore
(XXXIV). Quelques-uns espèrent peut-être dé­
co~~ en lui l'Aristo!.e d~ew.ps modernes, capable
d'lnspll'er un ~~ saint Thomas ?~es travaux,
•très minutieux et consciencieux, contribuent grande­
ment à faciliter et à approfo;ndir la connaissance de
Hegel que les Français, maintenant, commencent à
acquérir.
Mais cette situatio;n complexe, cet écartèlement de
la pensée hégélienne e;ntre plusieurs héri!Ïers con­
currents soulève de graves problèmes et de grandes
difficultés. En particulier, elle a provoqué des réac­
tions négatives très violentes, et aussi intellectuel­
lement très fructueuses, ducôté de certains marxistes
dqgLOJ1tp-I:otesté co!J,.tr.eJeJ.attachem~nt de M~ à
)l'lhIsl, cetidéaliste, ce théol~en, et contre une

réduction'excessive de la pensée de Marx à celle de

Hegel. Ils sont allés à l'excès inverse. n. ont aloJ'S

nié toute influence du second sur le premier.

53
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Mélanie-CALVAT-Bergère-de-LA-SALETTE-Lettres-au-Chanoine-DE-BRANDT-1877-1903
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Sapientia Angelica de Divino Amore, Emanuelis Swedenborg, Amstelodami 1763, N...
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Raoul-AUCLAIR-Préface-à-VIE-d'AMOUR-1979
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Abbé Guillaume OEGGER Manuel de Religion et de Morale 1827
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Abbé Guillaume OEGGER, Préface, et traduction de l'Allocution pastorale adres...
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Abbé Guillaume OEGGER, Préface, et traduction de l'Allocution pastorale adres...
 

Jacques d'Hondt-HEGEL-et-L'HEGELIANISME-qsj-1029-puf-Paris-1982

  • 1.
  • 2.
  • 5. DU MeME AUTEUR Hegel, philosophe de l'histoire vivante, 1966, PUF, coll. ' Eplméthée • (2' éd., 1987), traduction espagnole, Buenos Aires, 1971. Hegel, sa vie, son œuvre, sa philosophie, 1967, PUY, coll. • Sup­ Philosophie' (2' éd., 1975), traduction portup;aise, Lisbonne, 198!. Hegel secret. Recherches sur les sources caêhf:es de la pensée de Hegel, 1968, PUF, coll.• Epiméthée '(2·R., f986), traduction allemande, Berlin, 1972 et 1983 ; traduction japonaise, Tokyo, 1980; traduc­ tion espagnole, Buenos Aires, 1976; traduction italienne, :Iilan, 1989. Hegel en .,on temps, Paris, 1968, Editions Sociales, coll. , Problè­ mes " traduction allemande, Berlin, 1973 et 1984; traduction italienne, Naples, 1979; traduction japonaise, Tokyo, 1983 ; tra­ duction anglaise, Petcrborough, 1988. De Hegel à .farx, 1972, PUF, coll.• Bibliothèque de philosophie contemporaine " traduction espagnole, Buenos Aires, 1974. L'idéologie de la rupture, 1978, PUY, coll, , Philosophie d'aujour­ d'hui " traduction espagnole Mexico, 1983. Hegel et l'hégélianisme, 1982, PUP. coll.• Que sHis-je ? (2' éd., 1986), traduction portugaise, Lisbonne, 1984; traduction japonaise (en préparation). Hegel, le_philosophe du débat et du combat, 1984, LOP, coll.• Le livre - de pocnè '. . -­ ISBN 2 t3 043761 S Dépôt légal- 1" édition: 1982 S' édition corrigée: 1991, avril © Presses Universitaires de France, 1982 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
  • 6. AVANT·PROPOS Avec Hegel, on n'en a jamais fini. L'hégélianisme est tout un monde, et le spectacle de ce monde change avec les points de vue. En conséquence, l'hégélianisme et son histoire offrent à l'observateur des surprises instructives et réjouissantes. Voilà une doctrine d'une technicité extrême! L'auteur ne dissimule pas son désir de s'adresser à des spécialistes, à ceux qu'il tient, dans ce domaine, pour une élite. Il se rétpera même à n'être compris que par une sortI! de « clergé ». sou­ tient des thèses qui défient le bon sens. Or, tout le monde parle de lui, non sans abondance parfois. Parmi les œuvres philosophiques, au sens classique de ce mot, il n'en est guère qui, de nos jours, connaisse un tel succès, dont on prétende tirer autant d'enseignements populaires, dont cer­ tains thèmes privilégiés se répandent aussi largement dans le public, au prix léger de quelques contresens. Ces idées, avec les images qui les illustrent, débordent l'audience purement philo­ sophique, contaminent les activités et les doctrines. On met l'hégélianisme à toutes les sauces. Après que M!tx, et quelques autres, aient gmtesté le.!!!!1it ~ionnel de la philosophie, cette permanence, ou plutôt cette extension de l'influence hégélienne, peut étonner. D'au­ tant plus que l'hégélianisme se trouve à l'origine de cette con­ testation, à la fois comme instigateur et comme première victime. La doctrine de Hegel recélait une puissance éruptive que le philosophe lui-même ne soupçonnait pas. Cent cinquante ans après la mort de Hegel, il convient de faire le point, de dresser le bilan de tout ce développement, de rappeler ce qu'était l'hégélianisme originaire, d'examiner ce qu'il est devenu, d'évoqueilêëquestions que l'on ne cesse de poser à son sujet. Un petit livre ne peut laisser espérer que des indications sché­ matiques, lacunaires, fragmentaires et donc quelque peu défor­ mantes. nne s'agit ici que de donner une vue d'ensemhle, d'in­ duire et d'orienter peut-être un effort ultérieur d'information L 3
  • 7. ••• et de lecture, de susciter une première impression et d'ouvrir des perspectives. Chacun saura fonder lui-même son propre jugement, après avoir tiré parti de l'aide qu'on lui offre. Le .Jlhilosophe qui se présente avec le plus d'obstination Jcomme spéculatif, systématique et défiIillif n'aurait-peut="être paSété fâché, malgré tout, de savoir que cent cinquante ans après sa mort il provoquerait encore des recherches actives, des interrogations fiévreuses, des interprétations téméraires et des querelles: même pour un dialecticien, c'est une per­ formance! Certains lecteurs désireront des informations complémen-. taires, des précisions, le contexte de quelque citation, une introduction plus détaillée ou plus spéciale à certains thèmes importants de l'hégélianisme. Des renvois, entre parenthèses dans le texte, les orienteront dans leurs recherches. Le chiffre romain indique l'un des ouvrages répertoriés dans la-tnbÎio­ g!9ElJie qui complète ce petit volume. Un deuxième chiffre romain indique, éventuellement, le tome du livre signalé. Des chiffres ~ désignent, dans l'ouvrage aiqsi indiqué, la page particulièrement visée. Il a fallu se référer, parfois, à des textes de Hegel qui n'ont pas encore été traduits en français. D'autre part, on a donné, entre parenthèses aussi, la ~ [référence complète des livres auxquels il n'est fait appel qu'incidemment. 4
  • 8. CHAPITRE PREMIER L'ŒUVRE ET SON DESTIN J. - Hegel le grand Sans l'hégélianisme, à notre époque, pas de phi. losophie vivante! Maurice Merleau-Ponty avait su ~le dire : « He~est à l'origine de tout ce ~~st JIfait de grand en philoso~hie depuis un sIècle. » Formule aisément réversilîe : tout ce qui aspire à Jl la grandeur, en philosophie, et aussi parfois ailleurs, à notre époque, revendique le patronage de Hegel. Et maintenant, on ne peut feuiUëter un quotidien sans y rencontrer, souvent dans un contexte surpre· nant, le nom de Hegel. Mais quel Hegel? Un Hegel irritant : les parents y ont goûté et les enfants en ont les dents agacées... L'autorité et la fécondité d'une œuvre, et en particulier d'une œuvre philosophique ne relèvent pas du seul contenu théorique. Il y faut des condi· tions multiples et diverses. Mais l'œuvre reste ce­ pendant le centre, la source et la référence obliga. toires. L'hégélianisme se déverse comme un flux de pensée torrentueux et orienté. Un tel déluge, qui porte à de hauts rivages, dénonce une source géné. reuse : ph,!!o.!.ophie majestueuse, et pourtant seerè· te~tourmentée, qui laisse confluer en elle tous les courants de pensée qui l'avaient précédée. Elle les fait aboutir tous à l'idéalisme absolu, une d?c­ 5
  • 9. ~ ~ trine stupéfiante, à la fois intolérable et fascinante, engendrée par une manière de penser inhahituelle : aboutissement et culmination. La plupart des lec­ teurs ne la comprennent qu'à moitié, mais c'est déjà, pour eux, le comble! Hegel l'a élaborée par reprises successives, au cours d'une vie relativement brève et dans des conditions souvent pénibles (XXI, 5). On avait longtemps pensé que son existence s'était déroulée comme celle d'un fonctionnaire docile, sans inci­ dents ni traverses. Mais une recherche plus minu­ tieuse révèle qu'elle ne manqua ni de drames in­ tim.!s ni de conflits avec les autorités (XXII).) L'état misérable de rAlIemagne dans laquelle il vécut, ce que l'on a appelé « la misère allemande Il, ne permit pas à Hegel de réaliser ses aspirations de J jeunesse, particulièrement hardies. Mais il sut tou­ 1jours garder une gr~nde dignité, manifester une b_onté {!rQ.fonde, et cette vie, finalement, compte tenu des circonstances, et dans le genre qui lui est propre, n~CI!!.~as d'all-!U'e. Elle mériterait un récit détaillé et même une mise en scène romanesque. Mûrie dans la difficulté, la pensée hégélienne ne s'offre pas au curieux sous forme d'u.ne intuition immédiate, simple et facile à saisir. On ne peut l'aborder sans initiation préalable, sans préparation, sans information extérieure sur le texte et le con­ texte. C'est bien au texte hégélien qu'il faut s'adres­ ser, pour la saisir·dans son authenticité, mais il reste hermétique à ceux qui n'ont pas recouru d'ahord aux commentateurs ou qui n~ se sontpas d'abord imprégnés de l'histoire des grands pro­ blèmes philosophiques. Ici, le dilettante n'ira pas loin. Ici, on ne trouve pas une pensée de tout repos, ni une pensée que l'on pourrait savourer en se reposant. 6
  • 10. L'œuvre frappe d'abord par son ampleur. Certes, le nombre des pages écrites ne mesure pas, à lui seul, la grandeur d'un écrivain. Mais, associé à d'autres signes, il contribue à son estimation. Par lui, en tout cas, Hegel surpasse beaucoup de ses semblables : question de taille ! Cette œuvre se présente comme une masse d'im­ primés, sous des formes d'ailleurs fort diverses, à quoi s'ajoutent des manuscrits inédits, des brouil­ lons rédigés par le philosophe lui-même ou des notes consciencieusement prises par les auditeurs de ses leçons changeantes et presque interminables. Une telle quantité impressionne etinquiète. A moins de consacrer sa vie à Hegel, on ne pourra tout lire. Or il faudrait avoir tout lu pour repérer les résumés et les commentaires fidèles, les critiques pertinentes. On s'en remettra à l'autorité des « spé­ cialistes ». Mais, surtout concernant Hegel, le spé­ cialiste n'évite pas toujours l'unilatéralité d'inter­ prétation, la partialité et même l'erreur. Pour s'en défendre, on en sera réduit à procéder empirique­ ment, par prises de contact successives, par tâton­ nements, par comparaisons et rectifications. On finira bien par trouver, du point de vue auquel o~ aura choisi de se placer, le texte synthétique décisif. Autre sujet d'inquiétude: l'œuvre de Hegel reste, pour une part, incertaine et problématique. Ce qui nous en est donné requiert par sa présentation même une mise en question. Hegel ne désirait sans doute pas créer une telle situation : elle a été rendue inévitable par les conditions dans lesquelles il a pensé, écrit et publié, par sa manière propre de communiquer ses idées et d'enseigner, par l'am­ biance dans laquelle la doctrine s'est élaborée, par sa mort prématw;ée. 7
  • 11. 6 TI faut incriminer aussi l'insouciance coupable et l'incompréhension de la postérité immédiate du philos!?phe. Mais Hegel lui-mêmeest pour cjiièlque chô8e dans le destin singulier de son œuvre. La nature profonde de sa philosophie impliquait peut­ être ces avatars étranges que connurent les livres qui en livraient la substance en même temps qu'ils la 'masquaient partiellement. ~ Quel contraste! He~el se voulait et S6 ~royait JI~us systématique es philosophes. Mais, d'une part, une œuvre si vaste, si ramifiée, composée et publiée pendant tant d'années dans des conditions diverses et parfois précaires, ne pouvait se garder pure d'additions, de ratures, de modifications et, d'autre part, on connait peu d'exemples d'une édi­ ..tÎQn posthume aussi désordonnée et rhapsodique (XXI, 61). L'œuvre de Hegel ne se présente pas aux lecteurs éventuels dans un état d'achèvement, même ap­ proximatif, comme celle de Kant ou de Bergson. Elle attend encore sa publication complète, et ce chantier, sur lequel tant de travailleurs conscien­ cieux s'affairent, contÎnJIe d'offrir le spectacle.-<C.un and désordre, rendu plus pénible par des retards qui suscitent la désespérance. Ce philosophe dont.!out le monde par.k,~nde t n~as encore tout c.e qu'iL! dit. Comment ne pas s'interroger sur les causes d'une si profonde carence? La première d'entre elles tient aux fluctuations extraordinaires de la popularité ou de la notoriété de Hegel. A la mode aujourd'hui, il a subi, pendant toute la deuxième moitié du XIXe siècle et au début 'fdu xxe siècle, le mépps et l'oubli. OJ!..le traitait en"6 « chien crevé l>, comme ce fut jadis le cas de Spinoza, selOn le mot de Lessing. Puisqu'on le croyait négli­ 8
  • 12. geable, on ne se soucia guère, sauf exception, de reoueillir soigneusement son héritage. On laissa l~s ~rit8 et les témoi~~s p-artir à la dérive. ) Maintenant que l'intérêt se réveille, on s'efforce de repêcher les épaves. T!,op tard pour une parti~.~e la car~n, qu! s'e~ abtmée défiiUtivemeJÏÏ.­ A ce naufrage s'ajilüieïrtles conséquences fâ­ cheuses d'entrTri~8'41dividuelles de8truc~ces, ani­ mées parfois es meilleures intentions. Hegel s:gp­ )lprima lui-même, semble-t-il, des papiersj'1és com­ promettants. Une-veuve inquiète, illl fils l'~~t •( - ~é, des éditeurs prudents, des amis mal inspirés, des ennemis radicaux ont fait dis~araitreun manus-J crÎt, un fragment, un dossier, une lettre dont la tëieur-;-T des titresdivers, les indispOSait. -Certains manuscrits de Hegel; dont l'existence fut atte~tée aunèfois,-semnIêiii donc perd,!s pour tou­ ~ jours. Peut-être ne fournissaient-ils pas de « clef» ) pOUr la compréhension de l'hégélianisme dans son 1ensemble. Mais on ne détruit pa~, en ~éJ.!é!:..al, ~ , est .in~iant, et comment obtenir sur ce point une certitude, en leur absence? D'ailleurs, des tra­ vaux parcellaires, spécialisés, ou même marginaux de Hegel ne sauraient manquer d'intérêt pour l'in- , terprétation d'une philosophie aussi volontairement J By!.té.lJlatique. -­ Ainsi, par exemple, dans le droit fil des préoccu­ pations de notre temps, il serait bien agréable de détenir le commentaire des œuvres de l'économiste Ja.P!.es Steuart, que Hegel rédigea en 17J9. L'éta­ blissement de ce commentaire, d'un côté, et, de l'autre, sa disparition, témoignent de l'intérê~o­ lôïl.a-de Hegel pour l'économie - il ne cessa jamais d;}ë lui accorder -, et de la totale incompréhension de ses premiers disciples à l'égard de telles préoc­ cupations. Ils imaginaient sans doute que la philo- r- Il• & '1 9
  • 13. sophie n'entretient aucun rapport d'aucune sorte avec rtll.Q!loIJ!Ïe, et ils supposaient en conséquence que Hegel n'avait dû en traiter que superficielle­ ment, fugitivement et comme par hasard. Ce que nous savons maintenant de Hegel, et la manière ~ moderne d'envisager la philosophie, nous interdi­ " sent de nous en tenir à une telle appréciation. Nous I/voudrions bien savoir ce que Hegel pensait _de Steuart. Mais son commentaire a été" détruit ou égaré... Editeurs, historiens, archivistes poursuivent leurs efforts pour retrouver et rendre accessibles tous les textes de Hegel, pour récupérer ce qui a été jusqu'à maintenant négligé et dispersé, pour cerner, autant que ~sible, l'étendue de...!l!Lq.~~r8ïlaru:--- -Lë pUblic-se procure plus facilement, bren sûr, les textes publiés par Hegel lui-même, de son vivant, et qui remplissent de nombreux volumes. Mais ces écrits rebutent d'abord les lecteurs, par leur carac­ tère compact, condensé, tendu, comme si leur au­ teur avait voulu les réserver aux bénéficiaires de ses explications orales. On les publie maintenant, d'ailleurs, avec toutes les additions orales dont on parvient à retrouver trace. Chacun pourra se convaincre de cette difficulté en parcourant les prÇPlÏ.ers essais de Hegel, publiés en 1801-1803, pour la plupart dans le Journal cri­ tique de philosophie qu'il éditait alors en collabo­ ration avec SchellingjJà Iéna. Leurs titres découra­ gent beaucoup de velléitaires : Difftrence entre les systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling par rapport aux contributions de Reinhold à une vue d'ensemble plus aisée sur l'état de la philosophie au commencement du dix-neuvième siècle! - Foi et sovoir ou philosophie de la réflexion de la subjectivité dBm l'intégralité de ses formes en tant que philoso­ 10
  • 14. phies de Kant, de Jacobi, de Fichte! Quelles pro- messes de germanicité, de technicité, d'érudition, d'obscurité! Hegel traita, dans les mêmes condi- tions, de l'Essence de la critique philosophique; du Rapport du scepticisme à la philosophie; des Di- verses manières de traiter scientifiquement du Droit naturel... (IV). De tels débuts laissent pressentir la profusion de pensée profonde qui s'épanchera dans ce que l'on peut appeler les « livres canoniques ) de la doctpne hégélienne. Le premier de ceux-ci, la Phénoménologie de l'es- prit, n'a gagné qu'assez récemment la célébrité. Au moment de sa parution, en 1807, il n'avait trouvé qu'une audience limitée et réticente : œuvre ex- traordinaire, incomparable, bar0.!Iue à bien des égaras, touffue,PJantureuse, déconcertante, elle ra· conte à sa manière, abstraitement dramatique, al- ternativement spéculative et imagée, l'e:lÇpérie~ce typique de la conscience humaine qui, partant de la fausse nalveté première, accède par degrés re- marquables au niveau ultime du savoir absolu (VIII). Certaines des étapes de cette ascension jouissent à notre époque d'un prestige peut-être excessif parce que trop exclusif : la dialectique du maitre et du valet (dite im~roprement « dialectique du maitre et d~ l~esclave »), la consomption de la «belfe- âme », la dialectique du mal et de son pardon, le désarroi de la Il conscience malheureuse ll, etc. En 1812 et 1816 parurent les deux volumes de la Science de la Logique (X), qui contiennent trois grandes parties : la doctrine de l'Etre, la doctrine de l'Essence, la doctrine du Concept. On y trouve l'exposé le plus étendu et le plus détaillé de l~n.sée spéculative de Hegel et de sa dialectique. Beaucoup d'hégéliens tiennent cette Science de la Logique, 11 -<.
  • 15. améliorée par Hegel lui-même dans une seconde édition (1831), pour le centre ou le sommet de sa philosophie. Si tout le reste disparaissait, ce livre suffirait, à leurs yeux, à nous restituer l'originalité, l'importance, la profondeur de Hegel. En 1817 surgit l'Eneyclop~die tks sciences philo­ sophiques en abr~8~, dans laquelle seule, selon certains interprètes, Hegel développe son l( sys­ tème », le système entier du savoir dans toute l'étendue et la complexité de ses articulations fondamentales. La dernière grande œuvre publiée par Hegel lui­ 1même sera les Principes tk la philosophie du droit l ou droit naturel et science tk "Etat en abr~8~ (1821, publication retardée d'un an par la censure) (XII), où les idées juridiques et politiqu~s ~ Hegel s'ex­ priment d'une manière qui, malgré toutes les pré­ cautions prises par l'auteur, éveilla aussitÔt de vives polémiques. La lecture consciencieuse des «livres canoniques» représente une entreprise méritoire et, bien sûr, elle livre l'essentiel de la pensée de Hegel, mais, comme il tenait à le préciser pour certains d'entre eux : « en abrégé ». Celui qui veut la saisir dans toute son extension n'est pas au bout de ses peines. Hegel, professeur exemplaire, a enseigné pendant de nombreuses années les matières qu'il résumait dans ses livres, et aussi d'autres disciplines sur lesquelles il ne publia rien. Des esquisses préparatoires à ses cours, sou­ vent fort longues, et de nombreux cahiers de notes d'étudiants ou d'auditeurs libres, apparemment très attentifs, subsistent. Si l'on prend en considération 1ces documents, on constate que l'enseignement oral de Hegel ajoute beaucoup à ses écrits et qu'il en modifie, en certains cas, le contenu. TI varie d'ail­ 12
  • 16. leurs lui-même consid6rablement selon les années universitaires où il a été donné. Alors se posent des questions délicates : Hegel jugeait-il plus importantes ses publicatiolls - sou­ vent composées explicitement « à l'usage de ses auditeurs» -, ou bien ses leçons orales? L'abrégé prémédité, d'apparellce rigoureuse,l'emporte-t-il ell valeur philosophique sur la conférellce relativement prolixe et sur l'improvisation chaleureuse ? La voix est-elle plus sincère que la plume ? En cas de cOlltra­ diction ou de différence entre le dit et l'écrit, à quel critère recourra-t-on ? Bien des motifs incitellt, comme on le verra plus loin, à accorder une importance au mow égale aux leçons données par Hegel tout au long de sa vie, puisqu'elles peuvent être restituées dans des condi­ tions suffisantes de fidélité. En leur faveur, on doit alléguer leur étendue et leur diversité. Un exemple permettra d'apprécier cette étendue. Les Principes de la philosophie du droi', tels qu'ils Ollt été publiés par Hegel, comptaient ellviron 335 pages. Complétés par Gans, ils atteignaient, en 1840, 432 pages. Récemment, K.-H. llting a procuré une édition qui recueille le contenu de divers cahiers d'auditeurs. En comptant, il est vrai, bien des répétitiolls, ainsi que des textes critiques, elle atteint plus de 3 000 pages, ell quatre volumes. Elle 1permet de compléter et de comparer. Elle met en évidence des variations d'opinion. Comment se dispenser d'en tenir compte? Commellt se résigner à ne pas publier Hegel tout entier ? Pourtant, un tel projet suscite des appréhensions. L'une d'elles se fonde sur le respect d'une tra­ 1dition. A la mort de Hegel, son œuvre se trouvait • en grande partie ÏDaccessible : il n'en avait lui-même fait paraltre que des fragments et les llditioll8 étaient 13
  • 17. en général épuisées. Alors, quelques amis et disciples de celui qui venait de mourir entreprirent une (c édition complète )J. Ds étaient de bonne volonté, compétents pour la plupart, parfois bien informés. Ils disposaient de moyens efficaces et plusieurs d'entre eux n'étaient pas trop mal en cour. Ds menèrent rapidement leur projet à bonne fin. L'édition de 1832-1845 comprit 18 volumes. Elle reprenait les «œuvres canoniques », enrichies d'additions, et elle offrait pour la première ~ 1 fois aux lecteurs les Leçons, si importantes, si éclai­ rantes, si révélatrices, sur l'Esthétique, la Philosophie de l·'histoire, l'Histoire de la philosophie, la Philo­ sophie de la religion. De ces cours, elle ne retenait en général qu'une seule version, « bricolée » parfois éclectiquement, et il lui arrivait d'en édulcorer intentionnellement le contenu. Du moins, elle le transmettait, si fragilement que ce fût. Les Lef.~ns, enseignées d'abord à un auditoire hétérogène, se révèlent beaucoup plus accessibles au public cultivé que les « livres canoniques ». Aussi connurent-elles un notable succès et contribuèrent-elles grandement à répandre la doctrine du maître. Les circonstances firent de cette édition des Œuvres, après la mort de Hegel, et pour longtemps, la seule référence possible pour tous ceux qui vou­ lurent s'initier à l'hégélianisme, la base de toutes les exégèses et de toutes les critiques. C'est elle seule qu'ont connue et étudiée des penseurs aussi consi­ dérables que Stirne~ Schopenhaue}.', Marx, Enge~, Kierkegaar4. Nietzsche, Lénine... Si d'aventure ce monument érigé à la gloire de Hegel par les « amis du défunt » ne répondait pas au modèle authentique, alors cent ans de philo­ sophie mondiale vacilleraient avec lui. Certains hégéliens en déduisent qu'il vaudrait mieux s'en 14
  • 18. tenir à cette édition ancienne : elle pose le H~e1 historique, tel qu'il est intervenu dans le drame de la pensée moderne, tel qu'il a succombé et triomphé alternativement dans les reprises de la guerre des idées. Que l'on ne nous vole pas notre Hegel, tel qu'en lui-même cette édition le fige! Des décou­ vertes étonnantes peuvent avoir lieu, des nouvelles troublantes peuvent nous parvenir, mais, comme disait l'abbé V~rt?t : cc Mon siège est fait! 1) Position intenable! TI faut bien en prendre son parti: quels que soient son rôle, ses mérites incontes­ 1 tables, son prestige, l'édition de 1832-1845 n'est ni b complète ni exacte. Même si les compléments et les rectifications nécessaires ne concernaient que des détails ou des nuances, il serait peu judicieux d'en faire fi. A un certain niveau de notoriété historique et de consistance théorique, les détails et les nuances deviennent l'essentiel. S'il a donc été utile que cette édition fût reprise, en 1927-1930, dans ce que l'on a appelé cc l'édition du Jubilé n, il fut encore plus heureux qu'ensuite Georg Lasson et ses successeurs aient entrepris une nouvelle édition qui ne craignait pas de revenir aux manuscrits de Hegel et aux sources diverses, com· piétant certaines œuvres publiées antérieurement de manière trop sommaire et révélant des textes jusqu'alors inédits. Ainsi lui doit-on, par exemple, entre autres révélations remarquables, les Co,.yrs d'Iéna, ardus, mais désormais fameux (logique, métaphysique, philosophie de la nature, philosophie de l'esprit) (VI et VII). Entre-temps, d'autres textes de Hegel furent découverts et reproduits séparément, sans être inté· I gréS à des « œuvres complètes ). On se trouve main­ 1 tenant devant un incroyable amas choatiqüë de livres prestigieux. 15
  • 19. En notre fin de siècle, un grand espoir de mise au point et de structuration se lève. Le Hegel-Arcfliv procède à un vaste travail de publication critique, scientifique et intégrale. Douze volumes ont déjà paru, d'une facture excellente. Mais quand cette entreprise parviendra-t-elle à son terme? Hegel est-il trop grand pour se laisser capter tout entier? Une de ses images préférées était celle de l'oiseau de Minerve, la chouette, symbole de la connaissance, «qui ne prend son vol qu'au crépuscule ». Pour Hegel lui-même, la chouette s'est attardée plus que de cou­ tume : elle s'envole quand la nuit s'achève. II. - Ce qui s'appelle Hegel En quoi le philosophe est-il la c2!1science de son temps ? Comment les contemporains perçoivent:ils, en son œuvre, le reflet théorisé de leur vie ? Quelle place la philosophie prend-elle dans l'histoire? Ces problèmes ont inquiété Hegel, et il en traite à plusieurs reprises; par exemple, à la fin de la Pré­ face de la Phénoménologie de l'esprit (IX, 164-169). Là, il élucide la relation de l'écrivain et de son pu­ blic, et cela le conduit à examiner plus généralement la relation de l'écrivain et de son temps. On remarque, dans ce texte comme dans beau­ coup d'autres, la référence insistante de Hegel à l'époque: celle-ci porte toujours des hommes - et donc un public -, caractéristiques. A chaque époque son public, doté d'un état d'esprit parti­ culier et qui, en conséquence, voit à sa manière propre les philosophies et les autres œuvres spiri­ tuelles du pa!lsé 1 Hegel décrit des variations de l'opinion selon les dates, à propos de Platon, d'Aris­ tote, des néo-platoniciens. Aux hommes du passé 16
  • 20. il oppose les contemporains et la postérité, comme à ce qui est mort l'on compare ce· qui continue de vivre et ce qui prospère. Faisant retour sur la Phénoménolo8ie dont il vient d'achever la rédaction tourmentée, il met en balance les circonstances favorables et les circons­ tances défavorables à l'accueil de cet ouvrage par le public. Le 7n()ment Qù parait la Phénoménolo8ie lui semble décisif. Il s'agit-là, bien sûr, d'une inquiétude personnelle de l'auteur, soucieux d'être lu et compris, reconnu à sa juste valeur, estimé. Mais Hegel s'élève bien au-dessus de ce souci égolste, d'ailleurs légitime : il proclame l'intérêt universel de son œuvre, issue d'une convictil?~qui a su se hausser à l'universalité et se placer « au point de vue », si l'on ose s'exprimer ainsi, de l'absolu. Le point de vue de l'alJsolu consiste précisément dans l'exclusion de tout point de vue particulier, partiel,relatif... Cette métamorphose d'une inquiétude personnelle Jen problème universel révèle une conception très remarquable de la place et du rôle de la pensée de l'individu, une définition singulière, par un auteur, de ce qu'est un auteur. N'importe quel écrivain ne peut ni ne veut envi­ sager de cette façon son rapport au public. Il faut que l'œuvre elle-même la rende admissible et accep­ table. Cela suppose que l'auteur ne vise pas à ex­ primer son opinion sur ce qui est vrai ou faux - et le lecteUJ' fera alors de celle-ci ce .que bon lui semble -, mais qu'il énonce quelque chose de supérieur à l'individualité et au jugement indivi­ duel de l'auteur et du lecteur : la réalité profonde et ultime dans son mouvement et sa vie propres, le développement libre de ce que Hegel nomme le 17
  • 21. concept, et ceci dans la perspective philosophique d'un idéalisme objectif: tout est idée, mais l'Idée I"n!..doit pas être comprise commë ùxie petite pensée dans la têJ!l JkLipdividus. L'Idée, pour Hegel, c'est la réalité totale, et donc ellë' ne dépend pas de la pensée limitée des individus, mais, inverse­ ment, les individus, et Hegel lui-même, relèvent de l'Idée. {::et. idéalisme fantastique, on peut l'admettre ou le refuser. Si on l'admet, ne serait-ce que pro­ visoirement et, en quelque sorte, pour y goûter, alors il faut en accepter cette conséquence: l'objet d'une œuvre philosophique ne peut être autre que l'Idée, mais l'auteur véritable de l'œuvre est aussi l'Idée. Dans l'œuvre, l'Idée prend conscience d'elle­ même, se connait elle-même, par le truchement 1 d'un philosophe particu1ier, et dans les modalités que le lieu, l'époque et les circonstances lui imposent accessoirement. En somme, l'auteur, le philosophe, Hegel, prête sa plume au concept pour qu'il puisse se comIIluniquer d'une manière éminente aux sujets individuels que sont les lecteurs. De même, le physicien, dans son domaine, ne fait-il qu'énoncer en fin de compte des lois et des propriétés qui sont celles de la nature elle-même. La nature par sa bouche, et lui-même, avant de la traduire, a lu en elle, pour employer un mot célèbre, comme dans un grand livre. La prétention du philosophe idéaliste est du même ordre, mais plus éclatante: c'est de l'absolu qu'il se fait l'interprète. Dans ces conditions, la confiance en son œuvre, dont Hegel témoigne toujours, ne paraît pas présomptueuse: il s'agit moins de son œuvre que de l'œuvre universelle dont il ne veut être que le modeste serviteur. La vérité des choses sait toujours se frayer un chemin jusqu'à la cons­ 18
  • 22. cience des hommes et, cette fois. elle a choisi le nommé Hegel pour ouvrir la piste. En même temps, la présomption du philosophe parait exorbitante: il se targue d'être le porte-parole assermenté de son peuple, de son époque, d'une période de l'histoire de l'Esprit mondial, de l'absolu! Toutefois, le chemin ne s'ouvre pas pour la vérité dans n'importe quelles conditions. Il est de la nature du vrai de ne percer que « quand son temps est venu ». La réussite ne dépend alors que secondaire­ ment du talent de l'auteur et de l'arbitraire du lecteur. Une nécessité, d'abord secrète, régit leur rencontre : le public parvient à la maturité indis­ pensable lorsque le philosophe effectue opportuné­ ment la découverte. Une correspondance profonde les rapproche. Ils sont portés tous deux, chacun à sa manière, par un même esprit nouveau, une même manière nouvelle de penser, une même aspiration de l'époque. De plus, autre harmonie, le philosophe s'élève à l'absolu en même temps que celui-ci descend en quelque sorte en lui pour obéir à son précepte : « Connais-toi toi-même! » Ainsi(Ü-;geI"I)hilo8op~e l'absolu - on pourrait dire : (aU Dieu lalcisé ~, et décidément convaincu que le savoir de fâbsolu par lui-même est possible, que le « savoir absolu » est possible, admet-il simul· tanément un conditionnement historique des formes successives de la manifestation temporelle de l'ab· solu : elles naissent et s'affichent lorsque les condi· tions historiques nécessaires se trouvent réunies (IX, 167). On peut d'ailleurs se tromper sur la nature et l'originalité de l'apparente nouveauté. A l'époque de Hegel, beaucoup de jeunes philosophes jettent , des nouveautés sur le marché des idées. Mais ils lsuccombent à bien des illusions. Certains d'entre 19
  • 23. eux, romantiques, qui se croient en pleine extase, ou en plein mythe, ou d'autres, qui se confient pru­ demment à l'empirisme, se situent en réalité dans le concept que, simplement, ils ne parviennent pas à identifier. Le concept triomphe en eux sans qu'ils le sachent. Ds disent leur temps en croyant le fuir. ILç,~~en~ de les démas~~r. Un génie ou un fou qui découvrirait prématuré­ ment une vérité inédite ne saurait se faire entendre: , « Jamais trop tôt 1 » Cette contrainte se renverse négativement: « Jamais trop tard » (IX, 167) 1 Hegel, lui, apparatt au bon moment. Cela implique qu'on lui ait fait place sur la scène: une nouvelle forme de la vérité, une manière originale de penser, une vision du monde novatrice ne s'exhibent que quand d'au..tr~s formes « ont f!it leur temps Il, après avoir joui de leur maturité, après «avoir fait époque ». En philosophie comme ailleurs, le nouveau se substitue continuellement à l'ancien selon une implacable loi de désuétude. Mais cette substitution ne se ramène pas à un mouvement local, un glissement, une migration, un déménagement. En science, dans l'art, en philo­ sophie, une théorie, un style, un système ne s'éva­ nouissent pas simplement pour laisser autre chose surgir du néant. Ce qui apparatt s'enchalne à ce qui disparatt, s'en sert comme d'une matière première pour l'élaborer, s'en nourrit (XIV, 54-55). En oonséquence, dans le traitement philosophique d'une question, quelle que soit sa nature, on ne se contente pas de juger simplement, d'une manière dogmatique, ni de décider du vrai et du faux, selon la formule habituelle : ceci est vrai, juste, bon... ou bien faux, injuste, mauvais. On n'accepte pas non plus écleaiquement les options différentes ou oppo­ sées : ceci est vrai, juste, bon, et cela l'est oussi. Mais 20
  • 24. l'exposition philosophique d'une question, d'une doc- trine, d'une période historique, d'un mouvement logique décrit le passage nécessaire d'une forme à l'autre, d'un épisode à l'autre, d'un moment logique à l'autre - et le véritable objet, c'est l~_ pr_()~e~!.us embrass6 dans sa totalité et inséré lui-même dans le Tout~- -qûi--ïnclut l!!!~~LJ~§'iivain-'----Cel1ù-:'cClaisse s'exprimer les choses elles-mêmes, et la totalité des choses dans leur mouvement autonome. De cette manière, les objets de l'étude scienti- fique, historique ou logique n'apparaissent plus, jus- tement, comme des choses effectivement isolées, définitivement définissables, absolument indépen- dantes les unes des autres, mais comme des étapes d'une histoire, des phases d'un développement, des éléments abstraitement détachés de l'ensemble ou du Tout aUql1el ils appartiennent organiquement et qui constitue leur unité supérieure, plus concrète que chacun d'entre eux. Concernant les phénomènes, les événements, les structures de toutes sortes qui s'offrent à l'observa- tion et à l'analyse, Hegel s'abstiendra donc de dire qu'ils sont Il vrais ou faux », « bons ou mauvais ». Mais il annoncera plutôt : «Aux suivants !» Chaque (époque, avec sa mentalité propre, réclame autre 1chose que ce dont se contentaient les époques précé- dentes. « Conformez-vous aux temps », conseillait déjà Voltaire (Mélanges, « Pléiade », 1961, p. 709) ! ( Hegel croit donc répondre à l'appel de son temps! Comme la seule fonction du temps est de passer, il est facile de prévoir que chaque manière de vivre, chaque institution, ch~e constitution, plusgé~é­ ralement-chaque «chose ~ira. Ceux qui prédisent la révolution ne peuvënt jamais se tromper. TI n'y a que les délais qui restent incertains: Hegel n'en a jamais fixé! 21
  • 25. En 1807, il pense que l'heure a sonné pour lui. Sans vergogne il adresse donc aux autres philo­ l'sophies le faire-part de leur décès, et il ouvre leur .tes.!ament. Pour donner de l'autorité à cette opé­ ration sinistre, il s'arme de formules consacrées : « Suis-moi, et laisse les morts ensevelir les morts » (IX, 169) ! TI trouve toujours dans l'Ecriture un verset qui justifie ses initiatives. L'apparition d'une philosophie sonne le glas des autres. Hegel insiste avec cruauté sur ce qui va de soi. A des auteurs encore vivants et hautement considérés, il ose parler avec la même brutalité que Pierre à la veuve d'Ananias: «Les pieds de ceux qui ont enseveli ton mari sont devant la porte, et ils t'emporteront aussi! » Hegel visait des penseurs tels que Krug, Reinhold, Jacobi, Fichte, et même l'ami Schelling. ns ne tombèrent pas raides morts, mais ils conçurent du ressentiment. Kant s'était épargné l'injure en s'éclipsant trois ans plus tôt. Ici, l'aspect, ou, pour mieux dire, le _moment rupturaliste et révolutionnaire de la manière hégé­ lienne de penser, de la dialectique, laisse éclater toute sa violence. Devant ce tribunal de la désué­ tude, qu'il intronise si impavidement, Hegel songe­ t-il à sa propre caducité? Du moins ne cherche-t-il pas à défendre sa peau. Si on l'en croit, ce n'est pas l'individu Hegel qui tente de faire carrière en expulsant les concurrents. n valide audacieusement, pour les doctrines aussi, le critère de la désuétude, mais il ne refuse pas la dévaluation des doctrinaires. n fait mine de s'effacer derrière « la chose même» dont il traite, et qui est en même temps la cause pour laquelle il se bat, chose qui s'exhibe en ses œuvres, en même temps qu'elle se défend. 22
  • 26. Si l'auteur souhaite un succès public, ce n'est pas pour ériger son propre monument et instituer le culte de sa personnalité. On devrait dire : au contraire! Il se fait oublier pour que resl!l~dis.se l'absolu, dans sa nécessité et dans sa liberté, vers qui tout culte s'oriente, et aussi tout a~ll!.. in­ tellectuel. Quel personnage modeste, ce Hegel! Dans cette entreprise pour saisir et laisser parler l'absolu, Il il devient - comme il le dit lui-même - ce ~'illl peut, et il fait ce qu'il peut » (IX, 169) ! Ne tirez pas sur le pianiste, ce n'est pas lui qui compose! Cette modestie sonnerait faux et produirait une bien fâcheuse impression, si elle ne préfaçai.t une œuvre aussi profonde que la Phénoménologie, et plus généralement, une philosophie aussi bien ac­ cordée à son temps ! Ceux qui, aux yeux de Hegel, passent pour des Il attardés », ne comprennent ni n'acceptent cette thèse : le système philosophique ne dépend pas de l'individualité du philosophe. Leurs protestations, leurs quolibets aident à mieux saisir, par contraste, l'attitude de Hegel et l'enjeu du débat. Le nécessitarisme universaliste de ~ Hf!gel les effraie. L'un d'entre eux, Koeppen, bien ouhliê maintenant, croyait qu'il suffisait de pré­ senter clairement et brièvement l'opinion de Hegel, telle que celui-ci l'avait glissée dans un article, Foi et savoir (IV), pour la tourner immédiatement ~n ridicule: Il Selon la spéculation (hégélienne), ce n'est pas le système que nous dérivons (ou déduisons) de l'individu; ni la philosophie, de l'homme; ni le livre, de l'écrivain. Mais au contraire, c'est l'indi­ vidualité que nous dérivons du système; l'hoJ!!!!le, de la philosophie; l'écrivain, du livre; et le livre, à son tour, nous le dérivons du système... » 23
  • 27. Il tirait les conclusions cocasses de cette procé­ dure: « Quel est l'auteur de cet article du Journal critique, c'est en soi complètement indifférent (...). Il Si nous admettons que l'auteur est M. Hegel, nous obtenons ainsi un nom déterminé, et, par lui, une personne, mais dont la découverte n'est pourtant absolument pas requise. Le point principal consiste toujours à montrer que l'auteur de cet article, M. Hegel ou un autre, devait nécessairelD;.ent (...) écrire de la manière dont il a écrit (Koeppen, Schellings Lehre, 1803, p. 144). Ces propos contiennent en germe bien des cri­ tiques qui se développeront ultérieurement contre l'hégélianisme. Mais Hegel maintiendra sa concep­ tion du rôle de l'auteur. Dans l'Histoire de la phi­ losophie, il caricaturera l'opinion contraire, celle de ses adversaires, celle du philosophe FrieS): « On ne peut penser pour un autre; c'est la pensée per­ sonnelle qui est probante; il faut donner son essor à toute particularité singulièrc, autrement on n'a pas pensé par soi·même. » Lui, il obéit à la maxime de Gœthe : cc Cultive tes qualités, tu ne garderas que trop tes singularités. Il Et il précise: « Le plus mauvais tableau, c'est celui où le peintre se montre lui-même. L:origi­ nalité, cela consiste à produire quelque c!tose de t~ut-à-fait universel. La marotte de penser par soi­1 même, elle consiste en ce que chacun produit quelque chose de plus inepte que ne le fait l'autre Il... (XIX, 645). Cet effacement du sujet individuel, Hegel ne l'exige paSëD. philosophie seulement. Il lç con~tate dans l'histoire entière : « Les buts mond~!!X géné­ raux (u.) s'acc2,.mplissen!--p_ar .~1pC=.même.s, .sgit avec la volonté dëbeaucoup d'liommes, s<Ùt.contre leur co"iJ.science ou sans ellê Il... (XVII, III, nO 2, 277). 24
  • 28. La mission du philosophe ne s'accommode cepen· dant pas de la passivité ou de l'insignifiance de celui qui s'en croit inv~sti. On ne devient pas, sur simple demànde, le secrétaire de l'Idée absolue. Il faut gagner durement ses grades. Le philosophe a l'ambition de conna1tre la chose même, de faire colncider sa pensée avec la peI!Ye de l'absolu. Il ne veut que lui être fidèle, mais cette 1 fidélité exige des sacrifices. S'il y parvient, akJrs éclate son triomphe personnel qui le distingue des autres hommes, englués dans l'empirique et le par· ticulier. La connaissance absolue à laquelle il ~ède ne saurait aucunement être assimilée à üiï reflet passif, comme si l'absolu s'y mirait. Miroir certes, mais très spécial : actif, astucieux, rusé parfois, instruit. Il sait s'y prendre pour capter les rayons lumineux. La pen.sée spéculative.' c'est la pe~~JI!.li s~ense ~e'I!l~' L'individ!l parvient a faire' qu elle se pense elle-même en lui : mais au terme d~immense effort et d'l!ne longueasc~ Rares ceux qui savent immoler -à ~oint leur iii'd!Yl. dualifé sensible,leurs aliénatIOns cliêries! Rares cêuX"qui dépassent leurs limites! Mais, par là, ils s'individualisent paradoxalement, se distinguent. E~.$agnant l'universalité, on ...QQ..I!9uiert de haute 'lutte l'individualité véritable. Lé renoncemënt philosophique à ce qu'il y a de plus individuel, au sens ordinaire de ce mot - et qui en reste d'ailleurs plutôt à la simple pensée du renoncement - résultait d'une des aspirations pro­ fondes de l'époque, et Hegel ne l'ignorait pas. l( Ni trop tôt, ni trop tard» : on pourrait énumérer de nombreux témoignages d'une suif d'anonymat, d'un dégoût de la personnalité abusive, d'un objec­ tivisme passionné, au début du XIXe siècle, en Alle­ magne et hors d'Allemagne. 2S
  • 29. Mais une sorte de ruse de l'auteur, ou une ruse de la raison, déploie ici ses artifices. Hegel se fait un nom en répudiant le sujet. Il figure en bonne place dans le Panthéon des philosophes, aux côtés de Platon, d'Aristote, de Descartes, de Spinoza, de Leibniz, de Kant. Parmi ces dieux, il cède même à la tentation de se croire Jupiter. L'esprit mondial assure à ses secrétaires une retraite heureuse. III. - Hegel l'obscur L'absolu - ou l'IdéeA ou Dieu -, dicte un peu vite, et revient parfois sur ce qu'il a dit. Les con­ tours de la philosophie de Hegel gardent, malgré tout, quelque indécision. L'intérêt qu'elle suscite se voit périodiquement ravivé par des commentaires changeants. Pourquoi cette diversité des. ÙlteI.pré­ ta!!~ns et, corrélativement, des critiques ? L'une de ses causes, c'est une certaine perplexité à laquelle les lecteurs échappent difficilement, même quand ils ne l'avouent pas. Peuvent-ils se flatter de réussir à surmonter toujours la proverbiale obscurité de cet auteur, - un trait, singulier celui-là, et qu'on ne peut .lui contester ? On doit la constater et la subir. Mais Haering, auteur d'un volumineux ou­ vrage sur Hegel, exagérait certainement lorsqu'il écrivait: «C'est un secret de Polichinelle que jusqu'à maintenant presque tous les exposés ou introduc­ tions à la pensée de Hegel laissent complètement démuni le lecteur qui veut s'attaquer ensuite à la lecture de ses œuvres, et même que parmi les inter­ prètes de Hegel bien peu seraient capables de faire le mot-à-mot intégral d'une page de son œuvre. l) Ne voulait-il pas faire mieux ressortir la qualité de sa propre tentative d'explication de Hegel, comparée à celles de ses prédécesseurs ? 26
  • 30. Il n'en reste pas moins que, si l'on ne se dispense pas de pénétrer dans le texte de Hegel, l'entrée coûte cher! Que veut donc dire, que peut donc bien dire cette bouche d'ombre? Un premier obstacle fait écran et empêche de l'entendre bien : c'est l'accumulation d'erreurs graves commises par Hegel dans le domaine des sciences de la nature. On peut s'en indigner à peu de frais, car elles s'étalent nalvement, par exemple dans la Philosophie de la nature, la deuxième partie de l'Encyclopédie. Mais elles gâtent aussi tous les passages où Hegel traite, ailleurs, de questions scien­ tifiques, et cela depuis sa Dissertation doctorale (1). De leur excès, certains critiques sévères tirent des conclusions radicales : un homme qui commet de pareilles bévues dans des domaines où chacun peut lui-même vérifier, ne mérite pas qu'on lui fasse confiance dans les régions éthérées de la pensée oùil se hasarde et où l'on n'a plus le moyen de le contrôler. Des savants se laissen! emporter par l'indigna­ . tion. Le génial et célèbre GausJl, à peu près contem­ Il porain de Hegel, s'exclame: « Noé ne s'était enivré qu'une fois, pour devenir ensuite, selon l'Ecriture, un homme sensé, tandis que les insanités de Hegel dans la Dissertation de doctorat où il critique Newton et conteste l'utilité d'une recherche de nou­ velles planètes sont encore de la sagesse si on les compare à ses propos ultérieurs ! ») Bien sûr, les amis de Hegel l'admireraient encore davantage s'il n'avait pas connu de telles défail­ lances. Et tous les développements philosophiques dont il environne ses extravagances scientifiques se couvrent COmme d'un voile de brume. Il aurait pu faire mieux, ou, du moins, avec un peu de chance, enfourcher un moins mauvais cheval! 27
  • 31. Toutefois, cette défaillance étant reconnue, il convient de n'en pas exagérer la portée. En ce qui concerne l'incompétence scientifique, l'aveuglement anti-newtonien, et plus généralement l'extravagance par rapport aux derniers résultats de la recherche scientifique~ on pouvait trouver, à l'époque de Hegel, bien pis que lui. Sans parler de ces savants qui, sans autre précaution, acceptaient d'un côté des données scientifiques et, de l'autre, des tradi­ tions religieuses, malgré leur radicale incompati­ bilité, et sans même tenter de les~ccorder spécula­ tivement, comme le fit Hegel... Si Hegel, dans sa Dissertation, se trompait si lourdement et si ridiculement, il ne se sentait du moins pas seul : la Dissertation ne scandalisa pas le jury, et grâce à elle il obtint le doctorat. Si le can­ didat était mauvais, que valaient les juges? La question de la validité des options scienti­ fiques de Hegel reste d'ailleurs ouverte. Le procès continue. li n'est pas exclu que, sur certains points, on s'aperçoive, à plus fine analyse, que ce que l'on tenait d'abord pour erreur monstrueuse - et dont la présence à ce titre dans le texte de Hegel reste alors difficilement explicable - n'apparaisse co~me le pressentiment de nouveaux progrès scientifiques, pressentiment exprimé obscurément, mais décelable par des lecteurs plus subtils (XLI, 27). La cause d'incompréhension et d'embarras que constituent les erreurs scientifiques de Hegel trouve aussi en elle-même sa contrepartie. Elles témoignent du moins de l'intérêt exceptionnel de Hegel pour la science et de son respect pour elle. Il n'a voulu ni la négliger, ni l'éloigner des considérations philo­ sophiques, comme le firent tant de ses contempo­ rains et de ses successeurs. L'hégélianisme, même s'il lui arrive d'errer dans le détail, ne sépare jamais 28
  • 32. 1 en principe la sci~n,.!le et la philos~phie, il ne les oppose pas. Les choix de Hegel furent parfois heureux. Il sut prendre courageusement position, et avec quelle vigueur! contre de fausses sciences qui obtenaient pourtant une large approbation, et même de la part de certains savants : la physiognomonie de Lavater, la phrénologie de Gall (VIII, 1, 256), le magnétisme de Mesmer... Plus fondamentalement, on peut dire que ce qui était vérité scientifique à l'époque de Hegel se trouve maintenant aussi périmé que les erreurs du philosophe. La science de Newton ne disait évi­ f demment pas le dernier mot. Pour le croire, il eftt 1fallu être kantien, et accepter bien d'autres fadaises. Les rapports de la philosophie et de la science, étroits certes, ne sont pas simples, ni unilatéraux. Elles ne vieillissent pas toujours ensemble. Leurs liens concernent moins leurs résultats momentanés que les modalités de leurs progressions respectives. Les acquis scientifiques s'épuisent vite, et si les acquis philosophiques devaient dépendre mécani­ quement et exclusivement d'eux, alors les philo­ sophies de Plaion ou d'Aristote ne conserveraient absolument aucun intérêt. La philosophie considère plutôt la manière dont les théories scientifiques se font et se défont, l'acti­ vité scientifique polémique et militante, le niveau épistémologique où se situe la lutte entre les erreurs et les vérités scientifiques momentanées. Une phi­ losophie qui « colle » étroitement à la science triomphante rend parfois bien mal compte de la science militante. Alors qu'une autre philosophie, qui a pris ses distances, et qui a passé à côté de découvertes récentes importantes, mainti~nt les droits et la liberté de la recherche et de la décou­ 29
  • 33. verte. La méthode hégélienne, illustrée parfois par des exemples erronés, permet peut-être de mieux comprendre le mouvement de la pensée scientifique qu'une philosophie qui recueillerait fidèlement les vérités scientifiques de son temps, mais ne se sou­ cierait pas d'explication et de justification. - Autre cause d'obscurité: Hegel crée une philo­ sophie d'une vitalité exceptionnellement durable, mais il l'élabore cependant en confrontation cons­ tante et précise, non seulement avec la science, mais aussi avec les philosophies de son époque. L'œuvre de Hegel comporte des polémiques acerbes avec les "philosophes qui jouissaient alors de la plus grande considération : Kant, Fichte, Schelling et Jacobi, sans doute, mais aussi des penseurs qui ont perdu depuis toute notoriété : Bardili, Reinhold, Krug, Solger, Haller, Fries... Cela implique de très sub­ tiles disputes d'école, et ces « philosophes» eux­ mêmes ne se signalaient pas toujours par la clarté de leurs propos l'Bien des passages du texte hégélien restent inintelligibles, au plus haut niveau d'exi· gence, si l'on ne les réfere pas aux doctrines de ces otihliés, de ces méprisés, auxquelles ils apportent une réfutation, ou une correction, ou un complément. Cela ne facilite pas la tâche d'un lecteur de la fin du Xxe siècle... Mais même les contemporains cultivés, plus ou moins. avertis de l'existence et de la portée de ces courants philosophiques divers et entrecroisés, ne parvenaient que bien rarement, et non sans peine, à comprendre Hegel. ns ne comprenaient pas mieux les autres: c'était l'ère des (1 génies» romantiques, qui vaticinent dans les ténèbres, qui congédient les (1 Lumières l) du XVIIIe siècle, et qui préfèrent l'lîër­ mêtisme et l'élitisme. Bien que se séparant d'eux, Hegel ne sut peut-être pas toujours distinguer pro­ 30
  • 34. fondeur et difficulté. Il ne travailla guère à atténuer celle-ci. Il se démarque nettement de ses contemporains, à cet égard, et même de ses amis. Il ne veut pas passer pour romantique, il dénonce les ridicules du romantisme et ses échecs, il se moque, avec un peu de pitié cependant, de la « belle-âme » roman- tique (VIII, 1, 168 et XXIX, 19). Il critique sou- vent de manière tout à fait explicite, et conforme à l'orientation générale de sa pensée systématique, le génialisme.. l'hermétisme, l'élitisme. Mais peut- être, ici, subit·il un certain échec : à la fin de sa vie, il se résigne à considérer la philosophie comme une sorte de « sanctuaire Il où ne pénètrent que quelques élus. Il n'est pas douteux que, par coquet- terie d'érudit, ou pour d'autres raisons, il s'exprime ' ça et là avec une concision excessive, dans une for- mulation étrange, une abstraction échevelée. Sans doute ne dut-il pas se forcer beaucoup pour refuser des concessions démagogiques à unpublic mal préparé, paresseux ou incapable. Comme tant a'iu- tres, il fit de nécessité vertu. Divers témoignages de ses familiers, et ses propres aveux, confirment qu'il ne s'exprimait pas spontanément de manière claire et élégante. On lui a reproché constamment la lourdeur de son style, ses tournures alamhiquées, son vocabulaire surprenant. Les étudiants devaient s'accoutumer longuement à l'entendre, avant de commencer à le comprendre un peu. Pourtant - le lecteur en fait l'expérience récon- fortante -, Hegel sait rédiger des pages d'une admirable clarté, d'une grande simplicité et, on peut le dire, d'une surprenante beauté (VIII, II, 261). ULa tradition conserve et exalte les images lumineuses Il que l'on y peut prélever. Avec le temps, l'effort et la patience - il a tout 31
  • 35. , de même fallu tout cela! - on s'est aperçu <}!le l'obllCurité hégélienne n'était pas aussi insondable qu'~n l'avait cru d'abord. Grâce à une documen­ tation étendue et précise, à des recoupements de textes et d'œuvres, à une réflexion armée d'érudi­ dition, des commentateurs parviennent à donner la , traduction, en langage clair et commun, de chaque page, de chaque phrase de Hegel (XI, XXXVI, ) XXXVII). Une part de l'obscurité de l'auteur pro­ vient certainement de la cécité des lecteurs. Chez lui, tout a un sens, mais qui ne se découvre pas d'emblée. Quant à la véritable obscurité de Hegel, elle se situe ailleurs, elle tient à d'autres causes. On pour­ rait lui appliquer ce que Paul Valéry disait en une 'II autre occasion: «On l'accusait d'obscurité, reproche que s'attirent toujours les esprits les plus clairs, qui ne trouvent pas ordinairement leur clarté dans l'expression commune» (Œuvres, coll. Pléiade, l, p. 113). Un penseur ne parait jamais clair à qui n'entre pas dans ses vues. Les vues de Hegel sur­ prenaient, dérangeaient, choquaient. Non qu'il ait maÎÏ~é 1e précurseurs! Il les dé­ signe lui-même: tOûte-l'histoire de la philosopliie et de Ii cûlture. Dans les plus claSSIques, - Platon, 11 Aristote, Spinoza, et tous les autres -, il décou~ce Jt Cl!!e personne avant lui n'avait su déceler ! Mais il recourt -aussi aaes personnages moins connus, suspects, inquiétants :&éracli~ lProclu ,!Johm> des marginaux de la pensêe mon~A propos d'Héraclite, il proclame: « TI D'~t pas une p~os~on d'Héraclite qu~aireprise dans ma ~~e » (XV;!, 154) 1 Mais, précisément, Héraclite est surnommé : « L'Obscur 1 » Dans l'histoire de la philosophie, les dialecticiens les plus décidés, et les œuvres les plus décidément 32
  • 36. dialectiques (le Parménide, le Théétête de Platon !) ne passent en général ni pour faciles ni pour immé­ diatement limpides. Non que la dialectique, en tant que manière de penser, soit plus obscure ou plus confuse, en elle-même, que les pensers dogmatiques qu'elle dissout et assimile: mais elle rompt avec des habitudes invétérées, elle nuit à des pratiques insti­ tutionnalisées. Chacun a bien une expérience de la pensée dialectique, mais inconsciente souvent, re­ foulée, occultée, et l'usage délibéré de celle-ci se trouve réprimé par la puissance, parfaitement expli­ cahle, d'un autre mode de pensée, parcellaire, fixa­ teur, immédiatement pragmatique. Les mauvaises habitudes des lecteurs leur rendent difficile la lecture de Hegel. Il leur faut s'initier à ) des f!.çons de penser que le sens commun réprouve ( et qu'ifdénonce ordinairement comme mystiques ou sauvageS'. Le système moderne de pensée s'est édifié, dans l'ensemble, contre la dialectique, - bien qu'il en constitue lui-même, à contrecœur, un moment. Heg~l va à contre-courant, et peut-être ne le fait-il pas toujours avec la plus grande habi­ lité. Pendant des millénaires, tout en étant dialec­ ticiens sans le savoir, les plus grands esprits ont été antidialecticiens en intention, ils ont préconisé et cultivé le « bon sens )J, la raison ordinaire, ce que Hegel appelle plus précisément l'entendêment (Ver­ stand) et dont il trace les limites (XI, 510-512). Et lui, il exhorte à franchir ces limites, grâce à l'exercice et à la cultUl'e d'autres aptitudes spiri­ tuelles, par des procédés ou des efforts qui relèvent alors de ce à quoi seul il accorde le titre de raison (Vernunft) (XI, 502-503). Les non-initiés s'y reconnaissent difficilement. D'autant plus que le dialecticien. dans son com­ bat, se voit obligé d'utiliser les armes forgées par 33 J. D'HOMM 2
  • 37. l'entendement, les outils du hon sens, en particulier le langage. Il entre en conflit avec les préjugés, la coutume, la partialité (X, I, 13,61). Il lèse peut-être aussi des intérêts sociaux qui tirent avantage de( l'usage exclusif du « bon sens ». L'entendement, quand il opère pratiquement aussi· hien que lors- qu'il juge intellectuellement, coupe par ahstraction les relations des choses et des êtres entre eux, dissi­ mule les exigences et les conséquences de leur de­ venir. En général il sépare, isole et il oppose les uns aux autres, inconciliablement, les êtres et les choses qu'il a isolés. Il perpétue l'isolement, la division, l'opposition; ilstahilise, autant que possible, chaque étape du devenir (X, I, 6). Ces procédures et ces opérations répondent évidemment aux désirs, plua ou moins conscients, des individus et des groupes qui participent à un statut social établi, avantageux, et dont ils souhaitent la pérennité. Aucune société constituée, aucun ordre établi ne voit d'un bon œil le développement d'une dialectique consciente, qui révèle à toute chose sa relativité et lui annonce sa fin inéluctable. Voilà un ohstacle « épistémologique» que le lecteur de Hegel doit franchir. Voilà la source d'une suspicion instinctive dont souffre toujours la philosophie de Hegel, malgré les concessions et les justifications, plus ou moins sincères, de son auteur, malgré les alibis qu'il s'est évertué à inventer. La 'dialectique .inquiète. Et tout est obscur à qui ne Jveut pas VOIr. - t'ôhscurité de Hegel nait d'un ensemble de causes hétérogènes. On les énumère aisément : paresse et ignorance des lecteurs, préjugés sociaux et culturels, nouveauté et agressivité propres de la dialectique consciente, audaces de la pensée spéc~a- _ tive, lourdeur naturelle au style, circonstances aëëidentelles, tout s'en mêle! M
  • 38. .. l Ajoutons encore une donnée que tous les ( hégé­ liens» ne voudront certes pas enregistrer. En général ils font confiance à l'auteur, et croient qu'il a fait ce qu'il visait. Mais les adeptes du soupçon pensent, et par principe, qu~~~cun phil2.S2phe, si exception­ nellement lucide qu'il ait été - et c'est le cas de Hegel- ne..discerne tous les tenants et aboutissants de sa doctrine. Peut-être, dans le meilleur des cas, parvient-irà se comprendre lui-même: il nous re­ vient encore de l'expliquer. Hegel ne serait pas si obscur aux autres, s'il avait été parfaitement trans­ parent pour lui-même. Réduite, expliquée, pardonnée, l'obscurité per­ siste. Elle rend partiellement compte d'une réti- ) 1Vrsc~e p~~istante des milieux philosophiques à l'éi!!1'd de Hegel, paradoxalement opposée à un succès populaire équivoque : scrupules de travail­ leurs consciencieux à l'égard d'une pensée et d'un système si difficiles à saisir que l'on peut les suspec­ ter d'être insaisissables; crainte, chez les descen­ dants intellectuels de Descutes, d'avoir affaire à une sorte de grJP1~e_mystific!tionspéculative - et ... il s'agit alors de ne pas se laisser flouer; d6fj~ce en'y'~ une doctrin~ntles lointains rejetons, qui I~ se réclament hauteme!!:t_d'elle, sU8c!tent l'~p...QuvanteJ {~ pE leurs pr~~s irréljgieuses ou révolution-. naJres. . ~tte obscurité, la perplexité et les réserves qu'elle engendre, créent une situation exceptionnelle : la·} possibilité des interpré~a.lion8Je.s plus Qp.po~é~s, qui profitent aussi de la complexité et de l'extrême rami­ fication de la doctrine hégélienne. A propos de Hegel, que ne peut-on soutenir, avec quelque vraisem­ blance? Ces richesses entassées dans la pénombre offrent à la recherche universitaire un champ d'exploitation 3S
  • 39. presque inépuisable. Quand un jeune esprit, avide de briller et d'avancer, cherche le sujet d'un essai, d'un mémoire, d'une thèse - quoerens quem th­ varat -, quelle proie meilleure que l'hégélianisme pourrait.OIl lui indiquer? Chaque bribe que ron détache de celui-ci est un trésorpour quis'en empare. Les contresens sur Hegel offrent souvent beaucoup plus d'intérêt que les idées par ailleurs sensées de ceux qui les commettent. Les appréciations, ~es opinions les plus extravagantes paraissent naturelles quand elles le concernent. .',' Hegel disait que la philosophie peint toujours en - t gri~aille. M.ais, le concernant, elle choisit parfois le 1noll' sur noll'. Des causes réelles et profondes de la difficulté et de l'obscurité de certaines parties de son œuvre, Hegel était d'ailleurs parfaitement conscient. En 1812, il écrivait à l'un de ses disciples, à propos de sa Logique: (( Je regrette que l'on se plaigne de la dif· ficulté de l'exposé. La nature même de ces questions abstraites fait que, lorsqu'on en traite, on ne peut donner à son travailla facilité d'un livre de lecture ordinaire; la véritable philosophie spéculative ne peut non plus revêtir le vêtement et le style de celle de Locke ou de la philosophie française o~aire. •Pour les non·initiés, elle doit alœ.l!!.aftre, en c_~ (touche son contenu, comme le monde à l'envers, comme en contradiction avec tous les concepts aux­ quels ils sont habitués et avec ce qui leur paraissait valable selon ce que l'on appelle le sens commun». Regrettant de n'avoir pas matériellement la pos­ sibilité d'améliorer la présentation de sa Logique '/avantde l'offrir au public,il ajoutait: «J'ai confi.ance 1dans ce dernier, et ~crois que tout au moins les idées principales trouveront accès auprès dë lui » (XVIII, l, 377). 36
  • 40. Mais, concernant des idées moins fondamentales, quoique significatives, Hegel ne rendait-ilpasvolon­ tairement leur accès encore plus difficile au public, pour d'autres raisons? IV. - Hegel secret La plupart des obscurités du texte hégélien disponible se ré­ duisent à des difficultés qu'il s'agit, pour le lecteur, de surmon­ ter. Toutefois, dans certains cas, on ne peut s'empêcher de penser que Hegel, malgré toutes les causes objectives d'obscu­ rité que l'on allègue, aurait pu s'exprimer plus clairement et plus nettement, s'ill'avail voulu (XXVI). Le souci de rigueur et de précision ne prohibe pas absolument les exposés brefs et synthétiques, éventuellement didactiques, qui peuvent ensuite recevoir les nuances convenables, ni, surtout, les réponses sans équivoque à certaines questions précises. L'embarras naît souvent d'un style réticent, ambigu, com­ pliqué de clausules interminables et d'incidentes, ainsi que de termes à double sens. Hegel excelle à enchaîner de longues périodes dans lesquelles la deuxième partie annule presque totalement ce que disait la première. La nouveauté et la complexité des problèmes ne justifient pas toujours l'ambi­ guïté des solutions proposées. Des interrogations parcellaires n'exigent pas que les réponses soient données sous la forme dé­ routante de la « proposition spéculative ", elles tolèrent ou même appellent des réponses univoques : l'âme humaine jouit-elle d'une immortalité personnelle? Le monde résulte-t-il d'une création divine? La censure de presse remplit-elle une fonction légitime et indispensable ? Le roy!tume dçJ>russe réalise-t-ill'Etat rationnel ? Le système économique qui s~vit en 1830 mérite-t-il de durer? On aurait aimé obtenir à de telles questions des réponses par oui ou non. Mais des répo!!ses négatives auraient conduit He~l à la prison ou à la révolllLtion... Même en ce qui touche à sa philosophie fondamentale, spécu­ lative, on doit tout de même s'étonner de la manière inadéquate et peu satisfaisante avec laquelle Hegel l'expose. De nos jours, on perçoit un contraste frappant entre la clarté, la systéma-j ticité englobante et la relative brièveté de la présentiiïion qu'en donnent certains commentateurs, certes particulière­ ment compétents (XXXVI et XXXVIII), et l'embarras, les longueurs, la dispersion et la variation des textes qu'ils 37
  • 41. commentent. Hegel aurait·il donc été incapable d'élaborer lui· même de telles synthèses accessibles, sWlceptibles d'informer leurs lecteurs dans une première approximation, et de leur permettre un premier jngement global ? Ilse"plaignait de l'incompréhension de sea dilciples. MIlÎJ le poète Henri Hein~ qui le connaiNait bien et qui avait suivi quelquel-unl de lea cours, incriminait le maitre lui-même, dans une boutade: u Je crois qu'il ne tenait pas du tout à être compris : de là provient son langage compliqué, et aussi, peut-être, sa préférence pour les personnes dont il savait qu'elles ne le comprenaient pas... » Il ne s'agit nullement de confirmer, à cause de cela, la thèse parfois audacieusement avancée d'un ésotérisme hégélien glo­ bal : Hegel aurait décidé de garder secrète sa doctrine, et de ne la communiquer qu'à quelques fidèles triés sur le volet; ou même de confier à la postérité le soin de la deviner! En fait, la doctrine fondamentale de Hegel se trouve dans les « livres canoniques D, elle reçoit des enrichissements et des c1éve1oppe­ ments dans les Leçom. Mais, ceci posé, on ne peut pas ne pas constater la discrétion du philosophe sur certains points qui, insignifiants aux yeux de quelques lecteurs, prennent de l'importance si on les place dans la perspective convenable: l'évaluation, ici, dépend de ce que l'on recherche et de la manière dont on entend et situe la philosophie en général. En tout cas, on a dès longtemps soupçonné Hegel de dissi­ muler certaines choses - importantes ou non, puremeiÏt 2.,.hilo­ sophiques ou non -, et de ne les lainer paraître qu'enoes oc­ <lluions choisies, à motl couvertl, pour des témoins exception­ nels. Jôhannes Hoffmeiste,r. l'un des éditeurs les plus efficaces des œuvres de Hegel, exagérait à peine lorsqu'il assurait que u c'est sur les choses qui le concernaient le plWl directement que ~ 1Hegel a gardé le plus obstinément le silence D (Dokumeme su Hegel! Enttfliddung, 1936, p. 421). La publication de ses œuvres connut des incidents surpre­ nants,1litl'01)jet d'aigres chicanes, reste inachevée. Ce dont • nous disposons souffre d'équivoques que seule-une enquête approfondie et qui ne récuserait a priori aucun témoignage peut espérer dissiper. La doctrine s'enjolive de toutes sortes d'opinions qui, apparemment, ne se relient pas d'une manière nécessaire au noyau systématique. Et puis un philosophe est aussi un homme, et qurne serait tenté de s'intéresser à l'homme, quand c'est Hegel? Même sans Ion aveu, sel lingu­ laritél marquèrent sa philolophie univere;elle. Il n'est pas non plus interdit d'eseayer d'expliquer une philolophie exil­ rieursment, en la rattachant à dei conditionl hiltoriquel, 38
  • 42. -- sociales, et même biographiques. La curiosité s'aiguise dès que l'on évoque une possible dissimulation. Lea petits secrets de Hegel - l'appréciation de leur impor­ tance relative reste une tâche ouverte - relèvent de préoccu­ pations trèt diverses : doctrine, activité publique, opinions, vie privée. La mise en évidence de leurs conséquences, en ce ljuf concerne l'interprétation de la pensée hégélienne, re­ quiert la plus grande prndence (XXVI). Par exemple, on a appris assez tardivement que ~I. d!!ls -~ I sa jeunesse, avait eu un enfant naturel, à l'~l!!d duguelJLse conduJsit d'ailleurs d'une mll!lièr~ irréprochable. Rien de surprenant à ce que, compte tenu de l'opinion publique, de ses propres projets universitaires, de sa situation familiale, le philosophe soit resté très discret sur ce sujet. Mais le premier éditeur de la Corr/lspondarw:e de Hegel, son fils Karl, a exclu du recueil toutes les lettres dans lesqu~J;Jl se trouvent êvoquees l'existence de ce fJIs naturel ainsi que les conséquences désa­ gréables qu'ene eut pour le philosophe - Jettres qui, bien sûr, ne traitaient pas uniquement de lui. Comment refuser tout i~térêt à cet aspect de la vie de Hegel, sil..~.ai!l~~_on 1acco!:de. à d'a~tr~s ai!.Pecte de cette vie, comme, par exemple, lla re.!ist0.!ÙDtllW~nne,l'origine souabe, -l'éâlïëatiôn-au Stift de"fü.};mgen, etc. ? O~rpeut assurer ~e cet incident n'exe.tça a~cç.e influence sur te ouïëIO.ètâifae-~doctrinehégé-lienne, par exemple surSi'ëôâceptioÎÏilïéorique dela famille, des mœurs et des inclinations de la jeunesse, etc. Le « secret ~ hégélien comporte des facettes très diverses. ~ Ainsi, au fur et à mesure que l'on parvint à réparer partielle­ ment la négligence dont avait d'abord pâti l'héritage textuel, on retrouva de nombreux manuscrits que Heg!ln'ëtâlt absté..nu depimIièr. Pourquoi cette abstention? Sans doute la mort emporte-t-elle beaucoup d'écrivains sans leur laisser le temps de livrer au public tous leurs écrits. Mais, pour Hegel, il s'agit parfois de textes composés dans sa ~esse, cons.ervés t9ut au lonLde sa:::Vie:-etaont on se rend "facilement compte, maintenant, qu'ils étaient en son temps impubliab!./ls parce qu'ils contrevenaient 8.UX directives de la censure, ou heur­ taient Te pouVOir ai-liittâirë, Olle S"cand:1tliSaient l'opinion commune. Tel est le cas, par exemple, des essais que Heg~ rédig~a entre -1793#189.lL- ilavai!...al?~ ~.ll..~_ ~ ..!IDs. If anut attendre jusqu en 1907, soixante-seize ans après la mort de leur auteur, pour qu'un érudit, l!!rmann No~ les redécouvrit et les pu­ bliât enfin! Ds portent des titres « accrocheurs ~ : R~~n populair/l /lt chm~~~m/l,La vi/l de Jé3us (II), Ù!eositivi'iTde la 39 ,l
  • 43. li rel~gion chrétienne, L'esprit du christ~nisme (III), - au total 400 paKeë:"Leur contenu. quand il ile s'affirme pas épisoilique. ment irréligieux et révolutionnaire, se montre en général auda­ cpement hétérodoxe et contestataire. Leur publication, pen­ dantli vie de Hegel, aurait attiré sur leur auteur les plus graves 'l'SUSPicions, et, à défaut de poursuites policières et judiciaires, Ilelle n'aurait certainement pas favorisé la carrière universitaire , à laquelle le jeune Hegel aspirait. Résultent-ils d'une « crise d'originalité juvénile » qu'un homme surmonte raisonnablement dans sa maturité? C'est peu probable. Hegel....lW~chaittout de même de la trentaine lorsqu'il les médita. Il a reiïëôntr~;o.e 1800 à lâ31:1»en Îles prétêxtes Oüïiïême des incitations à les détruire. Or il a soi­ ~ement sauvegardé ces man~ti.tsJ..encombr~t côm­ romettant.s..1l.hi~es_~ards, les léguant ainsi ala postérité qui ne les accueillit d'abord qu'avec nonchalance et dédain. Bien d'autres œuvres de Hegel, dont on fait maintenant grand cas, restèrent secrètes jusqu'à une date relativement récente. Ainsi le fameux essai sur La Constitution de l'Allemagne (V), éCrit en 1799 et connu du public seulement en 1893! Il débute par la formule désormais célèbre: « L'Allemagne n'est plus [un Etat! 0 Hegel n'avait-il pas publié anonymeme!!LW 1198 sa tra­ duction, annotée e~~entée,de l'ouvrage du révolutionnaire suisse~an.JacquesCart Lettresfamilières sur l'ancien rapport juridique -du-Pays e aud et de la ville de Berne? Il ne s'en vanta pas ensuite, et notamment à Berlin pendant la période de la Sainte-Alliance. Si le Roi l'avait su... '--­ Hegel fait souvent l'éloge, dans ses « livres canoniques 0, de l'obéissance et même de la soumission,_tu rd~p'ect devois et des règlements. Mais, en même temps, . ré Ige dei te~tes 2. s~sifs, il publie anonymement, il se livre à des activités suspectes, il entretient des relations compromettantes, il ,ili 1 effectue des démarches périlleuses. A Berlin, ne va-t-il pas 111 prendre contact avec un détenu politique, à la barbe des geO­ liers,en Bateau, la nUIt, en compagiiie de quelques-uns de ses ~ étudiants (XXII, 241) ? Le vieillissement et les décentions ne l'ass~girent jamais col!!P!èt.~n.!.ent. .-­ Faut-JI rappeler, à ce propos, ses audaces de rédacteur en chef A de La Gazette de Bamberg, en 1808. Il fit imprimer dans son journal des informations tendancieuses, à l'encontre des direc­ tives de la censure de presse, et, à cette occasion, il manqua de bien peu, et presque uniquement par chance, de faire counaissance avec les prisons du Royaume de Bavière... L'abondance et la richesse de contenu des L~pn.s_d~n 40
  • 44. - - - posent un problème.: pourquoi Hegel n'en a-t-il rien publié? Dans l'intervalle de 1818 à 1831, particulièrement fécond, Hegel n'a fait paraître, comme œuvre nouvelle, que le usumé de ses leçons de philosophie du DiOiI~ «a-l'usage de ses audi­ (teurs » (XII). C'est à cel demiers, en nombre limîte, qu'il userva l'exclusivité de tout ce qu'il créait. On s'efforce, actuellement, de restituer ces Leçons de Berlin, grâce à des cahiers d'étudiants. Ces cahiers de notes enregis­ trent des enseignements très élaborés, très détaill~s,~ès l'récis, dont Hegel aurait pu aisément confier le texte à un éditeur, après une simple mise au point rédactionnelle. Pourquoi ne le fit-il pas, alors que maintenant, dans des conditions évidem­ ment moins favorables, des savants accomplissent assez rapi­ dement cette tâche à sa place? Eprouvait-il le sentiment d'une imperfection? Ce même sentiment ne l'avait pas retenu de publier sa Logique en 1812. Les Leçons ne confirmaient-elles pas assez l~~té­ maticité qui obsédait le philosophe? Envisageait-il pour plus tard une udicti6n définitive? Mais alors, jWlqu'à quand espé­ rait-il vivre? En fait, le contenu théorique et idéologique des Leçons, et • déjà leurs projets fondamentaux ëtîeUY-lJttûcture géiiérale, risquaient fort de déplaire aux autorités, de provoquer la cen­ sure, d'indiperJ'orthodoxie religieuse et..E-0liti<IUe~ Elles suscitaient déjà de vives réacbOnssoÜ8-Yeur forme orale. Tous le.!!~titeurs--é.?!!i~arHeg~lpour l'aid~r~ansllOnensei- if gnement ~ n~'!yccessl.ye!De~t;.arre~es,POurSWV1S et persécutés •" par la justIce et la police prussiennes, et certes sous des pré­ textes apparemment « personnels », mais le fait qu'ils ensei-" gnaient la doctrine hégélienne ne leur servit pas de circonstance atténuante (XXII, 121-238)! L'esquisse de Philosophie du droi& que Hegel se risqua à faire paraître, en 1820, ne fut pas dispensée de censure et vit, à cause de cela, sa publication retardée d'un an. Dans l'Italie de la Restauration, cette œu~e rest,::~~~~~j~~r...1848 ! Après la mort de Hegel e~îa pû6Iicatlon des eçons par les «Amis du défunt », et malgré toutes les précautions consenties par ceux-ci, les autorités prirent des décisions de'censure qui, de toute évidence, les visaient rétrospectivement. Les autorités J" ne goàtaient visiblement pas la maniè!e hég!lienne d'« Înter­ pdter » philosophiquement lâ- religiqn, et~~ ïUîii~t od'empêcher toute tentative d'adopter celle-ci. Une instruction ... .de censure de 1843 prescrit: « n ne fauf pas lai.ser place à une wt~i~e qui se présente maintenant fréquemment et lI1!!"ëi nws le à la tenue religieuse et morale du peuple: elle consi,te 41
  • 45. à attaquer les vérités religiell8es et à les remJ?lacer par des dé­ cfucti~n8..Philosophiques.;•• Certaines leçons de Hegel avaient d'ailleurs provoqué immé­ diatement des protestations auprès du ministre de l'Education qui, relativement libéral, et favorable à Hegel, le. avait élu­ " déea. UU-I!.l'être_catholiqqe avait p()r:!tElainte pour outrage à sa...xcligion contree Iâ pr68entation. effjlCtivement injurieuse, ~e Hegel avait f,!lite_dela doctrine catholique de l'eucharistie. Leiïnitrîictions officielles, dans l'esprit de la Sainte Alliance, interdisaient toute critique malveillante à l'égard des divenes cQ!Ûessions chrétiennes, mais Hegel ne leur obéissait pas. Bien sûr, le discours oral présentait moins de danger que le texte imprimé. Les leçons de Hegel paraissent bien anodines, à la fin du xxe siècle. Pour juger de leur audacë,Jllàüt les ( situer dansTeur époque. L'Edit de ceMure de 1819 et ses décrets d'application se signalaient par leur brutalité et par leur préci­ sion, et la pratique policière franchissait sans vergogne les limites juridiques. Un écrivain, si peu non-conformiste qu'il mt, devait ou bien •renoncer, on bien rédiger avec habileté, en laissant aux lecteurs 7) avisés le soin de lire ent~e les lignes. He~ÏlCiüvaiïêè1iapper .àëelte sel'V1tiïde. La pOJtérité a~_devoir de rétablir sa pensée Ilauthentique, sur les sujets brûlantS: en s'iidiiit des vestiges J de ses propos privés, des témoignages de ses familiers, de tous les indices disponibles. ToUll ceux qui vécurent et parlèrent dans un régime d~p.E!e!sion comptent sur cette loyauté et cette confiance cre l'ëurs neveux. A ceux-ci d'effectuer les recherches patientes, d'opérer les recoupements instructifs, d'évaluer les faisceaux de m:gba!lilités, de ne pas se laisser berner j)araeS stratagêÏiies-qui ~saient d'autres qu'eux. Hegel accorde une grande importance à la filiation des doc­ trines philosophiques successives, à leur loeâ'li8âilon dansî'his­ toûe-tempo~~~ i~ées teUe qu'eUe reflète les mom~nts .du,développement étW1el dÙ'!dée. On ne connait bien une doc­ ,trine que lorsque l'on saisit s~se. Hegel a lui-même dési­ gné l'enchaînement des antéc ents de sa philosophie, synthèse ;activéde tolÎt ceCJ1ll Iii. préc6da-.- - ~ • "Le bsard et la rechercTie méthodique découvrent cependant des auteurs qui eXel'cèrent sur lui une influence décelable et !! qu'il ne nomme jamais (XXVI). Ou bien il n'a pas conscience de ce rôle d'information et d'orientation qu'ils jouèrent à son égard, ou bien il les juge insignifiants, ou bien il les dissimule. Mais, soit qu'il les oublie, soit qu'il les cache parce qu'il se souvient trop bien d'eux, il procède d'une manière sélective: on .'aperçoit que ceux dont il tait le nom sont des sUllpects.ou 42
  • 46. des réprouvés, des hommes qui, actuellement ou rétrospecti- vement, méritaient la haine des autorités des divers Etats alle- mands dans lesquels Regels'est successivement établi: Giron- d~ français, Franc-maçons progressistes, Jacobins allemanda, héritiques et opposants. L'appréciation de l'iiDportance rela· tive de leur influence sur Hegel est très difficile, mais cette influence est précisément détectable, de même qu'est trè. évi- dent l'Jntérêt ou l'estime dont Hegel les honora. L'enquête qui les concerne reste ouverte. Elle a déjà permis de distinguer des personnalités aussi s~renantes et significatives que, par exemple, Georg Forster, Rabaut' de Saint-Etienne,' Volne~r-, Camo~etc.Elle révèle que si Hegél a cru devoir taire des noms, il a dd aussi déguiser des attitudes, agir à la dérobee,Teiïiilie. c. Quand on réussit à éventer quelques ruses, à lever des mas- ques, à pénétrer certains secrets - et même si ces opérations n'exercent pas d'effet sur la représentation que l'on se donne de la philosophie fondamentale de Hegel -, on ne peut plus faire confiance aux anciens portraits du philosophe, qui le présen- taient comme une sorte d'épouvantail: un penseur servile; un réacti0!!DaJre borné, un belliciste chauvin, et, malgié sa pro- Condeur spéculative, un homme aveugle et lâche. V. - Les aventures de l'hégélianisme On distingue plusieurs sortes, ou plusieurs niveaux de l'hégélianisme. D'abord, la doctrine de Hegel telle qu'elle s'inscrit dans les « livres canoniques ». _ Puis celle que l'on obtient lorsque l'on ajoute à ceux-ci les publications posthumes, les manuscrits, •• les témoignages et documents. Voilà l'hégélianisme de base, le bien propre de Hegel. L'hégélianisme historique se développe en- suite, grâce aux prop~distes et aux exégètes, t J puis grâce aux disciples, aux utilisateurs et ~pil- if S- lards, et finalement aussi grâce aux critiques et aux adversaires : une immense prolifération (l'idées plus ou moins directement et fidèlement Inspll'éës -de Hegel. Certains disciples consacrèrent leur vie à la pro- pagation, à l'explication, à la paraphrase de l'œuvre ~
  • 47. de Hegel: tel celui que l'on a surnommé « le."p'a­ triarche de l'hégélianisme », Karl-Ludwig Michele!.J (1801-1893). Bien que relativement « modéré» dans son interprétation de la doctrine, il montra par l'exemple que le développement spontané de celle-ci l'entralnait plutôt vers ce que l'on a appelé la «gau­ che hégélienne ». Car cette philosophie qui se targuait d'être plus systématique et unitaire que toute autre n'a pas 'conservé son unité plus d'un instant après la m~.de Hegel. Cette philosophie qui se vantait d'être fon­ damentalement spéculative a éclaté aussitôt en des tendances très mondaines et engagées : une gauche et une droit~ ! Une sorté d' « Ecole hégélienne », minée dès le début par les dissenssions, s'était groupée autour du maître, à la fin de sa vie, dotée de son organe propre, les Annales de critique scient~fique fondées par le disciple préféré, l'ami Edouard Ganlù (1798­ 1839). Celui-ci était un juriste, libéral et quelque peu saint-simo~en, très attaché à Hegel, persécuté à cause de cela aussi, une personnalité distinguée, mais qui ne survécut que quelques années à son maître. Cette « école hégélienne » se divisa rapidement entre ce que l'on nomma une« droite» et une «gau­ che » - mais la ligne de démarcation ne se traçait pas très nettemen.t. Grand succès pour l'hég·Hia­ nisme, car, comme Hegel l'avait noté: « Un parti , Ine prouve qu'il est le vainqueur qu'en se scindaIlt à son tour en deux partis (...). De cette façon, le schisme qui naît dans un parti, et qui semble pour lui un malheur, manifeste plutôt son bonheur » (VIII, II, 123) 1 . Hegel mort, l'esprit philosophique n'émigra pas sur un autre continent. TI effectua 8a révolution à l'intérieur de lui-même, quand les circonstances 44
  • 48. extérieures l'y contraignirent. D'une manière jus­ qu'alors inédite en philosophie, cette rupture con­ cerna d'abord le p.!Ql>lèJ!le religieux (XXIV) et le problème..p-2!itique (XXV et XXVII). « L'hégélia­ nisme de base », quelle que fût sa discrétion con­ trainte et sa prudence, s'engageait déjà dans les controverses publiques, il se livrait délibérément aux exigences de l'histoire réelle et vivante. La «( droite» et la «gauche»hégéliennes, dans leurexpan­ sion, révélaient ce que 1'« hég!lianisme de base ) avait contenu en germe. J.a « droitè») regroupait les disciples qui, ou bien s'en tenaient étroitement à la lettre et à la forme ostensible de la doctrine hégélienne, ou bien accen­ tuaient les apparences orthodoxes (en religion) et conservatrices (en politique) de celle-ci, en même temps qu'ils se perdaient encore davantage dans la spéculation effrénée. Ils se privaient ainsi de toute possibilité de faire œuvre originale et efficace, ils s'attachaient à ce qui était déjà mort, ils trahisBllÎent l'e.sprit de l'hégélianisme, ils sont maintenant com­ plètement oubliés. 7Jui, par exemple, songerait à déterrer les livres de Gable!) (1786-1853), l'un des plus médiocres d'entre eux, et qui, sans doute à cause de cela, fut appelé par les autorités à succéder à Hegel dans la chaire de philosophie de l'Université de Berlin? Avec les meilleures intentions, il fit plus de mal àJI l'hégélianisme, par manque d'esprit, que n'en causa J le viewr~, appelé à s~n tour~Berlin_par le, roi de Prusse, avec mission ex resse de « réfuter » l'hégélianisme. clpe aUSSI, peut- tre, -cette orient.f.tion «droitière» de l'hégélianisme, le théolo­ gien'M..arheine~(1780-1846)qui tenta de couler la))'- ­ dogmatique chrétienne (luthérienne) dans le moule spéculatif hégélien, ce qui pourtant impliquait une 45
  • 49. audacieuse fusion et une périlleuse cristallisation. Une même entreprise fut tentée par~1781­ 1861), auquel Hegel avait accordé une approbation nuancée. Autant en emporte le vent! En revanche, le nom de Feuerb~(1804-1872) attire encore l'attention, et sonœuvre garde, dans une certaine mesure, une signification vivante, surtout parce qu'elle est intervenue dans la forma­ tion théorique de Marx et d'Engels. D'abord dis­ ciple de Hegel, Feuerbach prit bientôt ses distances et développa une philosophie qui se voulait et se croyait «matérialiste » p.ar O~P9si!i~n à un idéalisme 2: 4§gélien dont il ne détachait pas la dîâlectique. Renversant le rapport hégélien exotérique de l'homme à Dieu (mais Hegel avait lui-même souvent suggéré ce renversement (XXIX, 98), Feuerbach .élabora une e29;!lication anthropologique de la r~li­ (g!~. li aboutit à une étran.~philosop1ïiëile l'a..~our lconsidéré comme base de la vie soëiiIeeïëü1turelle du genre humain. li arrive qu'on lise encore ses principaux ouvrages, l'Essence du christianisme (1841), les Principes de la philosophie de l'avenir (1843). Dans sa critiqu~r~dicaledu christianisme il avait été précédé par iFrédéris.St!.a~b(1808-1894)dont le premier ouvrage, La vie de Jésus (1835) fit scan­ 'dale. En fait, celui-ci ne se montrait ni plus hété­ rodoxe, ni plus irréligieux que Hegel dans sa eropre V~ t!e_ Jésus, dont on ignoraiCaJors l'eXIStence. ,Strauss accentua ultérieurement le caractère irré­ ligieux de sa pensée dans son livre: La doctrine chré­ tienne de la foi dans son c2..mbat contre la scf::eJlC6 !"'I $TJ16 (1840). _Bruno Bauer)s'engagea dans la même voie. li avait, en 1840, coopéré à la réédition des ~1I§..sur 46
  • 50. la philosophiede 19 religion dans les Œuvres com­ plètes de Hegel procurées par les «Amis du Défunt », et l'accomplissement de cette tâche n'avait sans doute pas contribué à son édification. En 1840 aussi, il osa rendre publique sa Critique de l'histoire évan­ gélique de saint Jean, et, en 1841-1842, sa Critique de l'histoire évangélique des Synoptiques. BaUer) Il voit dans les Evangiles de libres créations de leurs auteurs, semblables à des œuvres d'art. Il aboutit à .' un athéisme_~licite. Le gouvernement prussièn lui retira, en 1842, le droit d'enseigner. -====.Les livres de Feuerb~h, de 'StrauS}, de ::~ soulevèrent d'ardeIi:tes-polémiques-et-'c'est so t à cause de ce tUl!lul~ ~e l' « hégélianisme »~s à jour un peu rudement, fut connu du grand puhlic, en particulier en France où l'on ne se fit pas scru­ pule d'attribuer au maître la responsabilité de l'athéisme professé par d'insolents disciples. Le soup,ÇQn d'athfumetfust vrai, avait pesé sur tl.e,gel oavàiit q!!'iÎs ne se cha~gent ainsi de le confirmer. Les controverses théologiques, menées d'un point de vue spéculatif, et auxquelles ces « jeunes hégéliens» ) s'abandonnaient passionnément, jouèrent un rôle important dans l'histoire des idées, à une épo~e où la religion joui~sait en ..Allemagne d'une -position pr!ltique et idéol9g!que dominante. Elles paraissent maintenant bien désuètes. A cause de l'individualisme persistant, et même encore exacerb~.1 de certaines cat~gories sociales, l'œuvre de 'Marx StirnèJj(en réalit€C~~arSchmi~ 1806-1856) Peut sembler moins périmee. Un non­ conformisme spectaculaire se manifeste chez cet auteur, d'allure anarchiste et d'apparence hardie. "1 Les jeunes hégéliens, subversifs en religion, res­ L taient parfois conservateurs en politique - comme Strauss -, ou inversement. Chez Stirner, l'exalta­ 47
  • 51. tion de la révolte individualiste atteint une sorte de paroxysme - et fournit le modèle de bien des « gau­ chismes )1 ultérieurs. Dans son livre célèbre, L'unique et sa propriété (1844), Stirner faisait l'apologie du moi « égolste li, critère de toute vérité et de toute valeur, en o,.pposition au l( c~ce.pt YI ~hom~, au règne de l'Idée, àla hiérarcliie.""Mais on peut mon­ trer que Stirner pratique, en une large mesure, la spéculation de type hégélien. La doctrine hégélienne imprégna aussi, en Alle­ magne, une descendance purement universitaire, paisible, érudite et insignifiante. La liste est longue des professeurs qui enseignèrent consciencieusement Hegel et qui ne laissèrent de traces que dans les annuaires. Lorsque l'agitation «jeune ~élien~e)1, purement intellectuelle, se fut apaisée, l'hégêlianisme subit en Allemagne un assaut de_dénigremen!,. p'!i.s 1!!!--Jong oubli. Ce phénomène mériterait une_a.!!ab:se soi­ gneuse. Ilreste, jusqü'à maintenant. inexpliqué. TI ne fut interrompu véritablement qu'après la Deuxième Guerre mondiale, par une « Hegel Renaissance 1) J inspirée des philosophies de la vie et de l'existence. Entre-temps, la réputation de Hegel avait passé les frontières, difficilement, et sa pensée inspira des développements originaux dans beaucouy. de pays..... En Italie, elle marqua profondément 'évolution de la ciilture. Il suffit, pour s'en convaincre, de citer les noms de· Spaventil} Marian~, Ercole)et, surtout, de/Croce; En~l$.terre,'GreeIÎl(1836-1882) se servit d'elle pour J:estaurer_ ~ist~logiquement ï'IdêiIiSme contre les tendances empiristes envahissantes, et il fut suivi dans cette voie par des philosophes tels qu~ ~l~ Caird!J JlradlefJ Bosanquet; Tagg BaJ1h~ ­ 48
  • 52. En Rus~ie, le retentissement de l'hégélianisme, - saisi wi""peu superficiellement et immédia.tement accentué dans un sens libéral, se retrouve chez des penseur~olutionnaires tels que Bakounine, Bié- linski, ....Herze~ (XL). Ce dernier,JLui passa directe- jment de l'héAélia~isme au saint-s~isme,ne p-!o- ,clamait-il pas que «la dialectIque est l'a~ la révolution »! Il ser~it fastidieux de suivre à la trace tous les prolongements de l'hégélianisme dans le monde. En France, la fortune de Hegel prend une allure - _ .SInguli::--cre. Ici, le mOInS que l'on puisse dire c'est que Hegel a tout d'abord été fort mal reçu. L'accueil qu'on lui a réservé frisait la grossièreté : on détestait cet étranger, on se méfiait de cet esprit confus, ~e} ~stigu.e bizarre, de ce penseur sandaleux. Quell~i!!~ati!ud~~nvers UJ.:!. homme qui avait tém.QimJ.l'égard de liïFra~d'un...!Lsi vive svm- pathie, d'une si constante admiration! O~ a souvent rëinarqué le rôle extraordinaire que . jouent la France, et l'histoire de la France, dans la ,- ~bJ!!.!!...ménologie de l'esprit, comme source derHé- rences historiques et littéraires, comme album d'il- lustrations institutionnelles et dramatiques. Hegel, ne l'oublions pas, né en 1770 et mort en 1831, est enc()re, pour moitié, un homme du XVIIIe s%cle, or le XVIIIe siècle est, plus encore que le XVIIe, le siècle français par exce~nce. Sans doute Hegel s'inspire-toi! très profondément des philo- sophes grecs, et puis des grands penseurs allemands qui l'ont précédé :,~~~~YLeibni~,Kant,'Fic~etc. Ilconvient de ne pas exagérerrmnuencefrançaise qui s'est exercée sur lui. Elle n'en reste pas moins éton- nante.Ils'estintéressépassionnémentàJean-Jacques B~ il a admiré M~ et V~ 49
  • 53. - Et en quels termes flatteurs ne s'est-il pa~xpri­ 1 mé, .~~ g~nérâl, surLesp"rit français, la volonté, le ~sens E.liatique, l'énergie des FrançaIs (XXIX, 121) 1 Ces ommages n'ont pas été payés de retour. C'est que longtemps a prévalu en France une image de Hegel qui avait déjà été tracée, dès 1804, avec une sorte de génie prémonitoire, par un jeune homme presque inconnu, précepteur d~s un châ­ teau proche de Poitiers/Schweighaeuser~Dans un article bien documenté, il présentait Hegel, comme le disciple de Schelling qu'il pouvait paraftre à cette époque, et il lui attribuait des caractères qui, pen­ dant un siècle lui restèrent indéléhilement associés: obscurité insondable, ~j:J!p]lY,8i~~!!!:!lse,bizar­ rerie, 'Pa~éisme proche de l'athéisme, en tout cas .suspect pour la France catholique, Spinozisme se­ cret : tout ce qu'il fallait pour que la France offi­ cielle et l'opinion publique rejetassent ce réprouvé. Cette réputation, désor~a~récéda partout H~el. Bientôt s'y adjoignirent les suspicions politiques, les idées de Hegel dans ce domaine se voyant répan­ dues en France par les Jeunes hégéliens plus ou moins révolutionnaires, et surtout par le plus prestigieux d'entre eux, sai~t.simoni~n d'abord, puis ami de Marx, le poète Henri lIe~ qui résidait à Paris. Pour illustrer la manière dont Hegel était inter­ prété en France, à l'époque de sa mort, il suffit sans doute de citer cette appréciation, que l'on rencontre dans une lettre de Lamennais à la comtesse de Senfft : «Je vais tâcher maintenant de connattre un peu I.!eg~l, qu'un Allemand de beaucoup de mérite,tyl avec lequel nous sommes en relation, appelle l~ Il Platon de l'Antéchrist 1Il Irfaut bIen pren<Ire conscience de l'amhiance mo­ rale dans laquelle surgissait, en France, cette présen­ 50
  • 54. tation de Hegel: c'était celle de la Restauration, puis de la Monarchie de Juillet, l'ère de la pré~n. dérance presque exclusive du spiritualisme, pnnci­ paiement catholique. L'incompréhension française à l'égard de Hegel u'a pas été uniquement due à l'ignorance de la langue allemande. Elle provenait d'une méfiance et d'une hostilité envers l'idéologie qu'on le soupçon­ nait - à tort ou à raison - de porter: une idéoloe:ie • impie et révolutionnaire. --­ A cause de cela, la connaissance objective et rela­ tivement impartiale de l'œuvre de Hegel ne s'intro­ duisit que très lentement en France. Elle avait été compromise, dès le départ, par les entreprises philosophiques confuses de Victor Cousil! (1792-1867), que Hegel avait reçu à Heidelberg dès 1817, et auquel ilétait venu en aide plus tard, à l'occasion de son arrestation rocambolesque lors d'un voyage en Allemagne (XXII, 192). Cousin ne) comprenait pas grand chose à la dialectique hégé­ lienne, mais prétendait cependant la mêler à ses propres errements éclectiques. Ille faisait d'ailleurs sans jamais citer expressément H~el. Il n'enseigna donc pas la philosophie hégélienne pour elle-même, mais il lui déroba plutôt des idées, il la mit au pil- lage, en se livrant parfois à de véritables plag1irts. Il parait que Hegel lui-même, plus amusé qu'indigné, a déclaré: Il Il m'a pris quelques poissons, mais pour les noyer dans sa sauce à lui! 1) Et cette sauce, dont parle Hegel, c'était la sauce d'un cc brouet éclectique»! Cousin s'éloigna rapidement de l'hégélianisme pour se rallier à la philosophie plus orthodoxe de Schelling)vieillissant. Apparurent alors des travaux modestes et sérieux qui firent connaitre aux spécialistes le véritable sys­ tème de Hegel (on pense à Willm. à Ott! etc.), et les 51
  • 55. traducteurs commencèrent à se mettre à l'ouvrage. Les idées de Hegel purent inspirer parcellairement quelques philosophes français : Vacherot, Taine. Puis Hegel, en France, comme presque partout ail­ leurs, tomba dans l'oubli. Hegel n'a jamais été vraiment bien connu et estimé pour lui-même, en France, avant une époque toute récente. L'Université J'ignorait. Les choses n'ont évolué, de ce point de vue, qu'un peu avant la der­ nière guerre mondiale. Un premier signe de réveil fut donné par le livre de Jean Wahl,}Le malheur ~ la conscience (1929). Un peu plus tard parut l'heu­ reux travail de réhabilitation de la pensée politique de Hegel parJEric WeiD: Hegel et l'Etat. Entre-temps s'était produite la véritable éclosion. En 1939-1940, Jean Hyppolite procurait enfin 1aux Français une traduction de la Phénoménologie ~ l'esprit! Il l'éclairait par une interprétation magis­ trale dans sa thèse de doctorat (XXXV). Kojève avait donné ses cours célèbres d'Intro­ duction -à la lecture ~ Hegel, qui ne gagnèrent d'efficacité que par leur publication, après la guerre. Koyré avait publié de brefs mais profonds articles sur la pensée de Hegel pendant )a période de Iéna. C'est seulement après )a Deuxième Guerre mon­ diale que ce mouvement prit toute son ampleur, et dans des conditions très particulières. D'une part, en effet, rexistentiaIÎs'me, dans l'époque de son triomphe, a cherchtl à «-récuj!érer )1 plus ou moins Hegel à son profit, en insistant pour cela sur les œuvres de jeunesse, et en s'arrêtant tout • particulièrement à la Phénoménologie. Il opposait les œuvres de jeunesse, vivantes, existentielles, dramatiques aux œuvres de la maturité, l'Encyclo­ , pédie par exemple, considérées comme )es signes d'une pensée sclérosée, vieillie, réconciliatrice. 52
  • 56. D'autre part, un certain ;nombre d'interprètes de Hegel voul!U~;nt le compremlre en le lisant av~le8 '11 'J yeux de Marx;lMais alors se produisirentlê8 plus .. -.;> étranges glissements de pensée et les plus surpre- 1 nantes dggeries. Croyant expliquer Hegel grâce à Marx, beaucoup d'entre eux expliquèrent, en fait, 1 Marx grâce à Hegel, le réduisirent parfois, pour l'essentiel, à Hegel. D'autres courants d'interprétation, très amples et très riches se développèrent parallèlement, en particulier dans le senè religi~ux, sous l'impulsion de Gaston Fessar~ (s.r) et de Marcel Régni~!.ASJ) (XXVIII). Ils continuent à se déployer. Béaucoup d'esprits profondément religieux, et parmi les plus éminents, se livrent en France à l'étude, à l'expli- Ication, à la propagation de l'hégélianisme. D'autre part, une théologie, bien transforméédepuis 1830, prélève dans Hegel de quoi s'enrichir encore (XXXIV). Quelques-uns espèrent peut-être dé­ co~~ en lui l'Aristo!.e d~ew.ps modernes, capable d'lnspll'er un ~~ saint Thomas ?~es travaux, •très minutieux et consciencieux, contribuent grande­ ment à faciliter et à approfo;ndir la connaissance de Hegel que les Français, maintenant, commencent à acquérir. Mais cette situatio;n complexe, cet écartèlement de la pensée hégélienne e;ntre plusieurs héri!Ïers con­ currents soulève de graves problèmes et de grandes difficultés. En particulier, elle a provoqué des réac­ tions négatives très violentes, et aussi intellectuel­ lement très fructueuses, ducôté de certains marxistes dqgLOJ1tp-I:otesté co!J,.tr.eJeJ.attachem~nt de M~ à )l'lhIsl, cetidéaliste, ce théol~en, et contre une réduction'excessive de la pensée de Marx à celle de Hegel. Ils sont allés à l'excès inverse. n. ont aloJ'S nié toute influence du second sur le premier. 53