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LA LITTÉRATURE COMPARÉE ET L’INTERCULTUREL.
L’EXEMPLE FRANCO-ESPAGNOL
José Manuel losada
Récits du Sud. Relatos del Norte.
Textes réunis par Jean-Marie Chassagne,
Bordeaux: La Nef, 1992, p. 73-86.
ISBN: 2-85276-054-1.
1. Quelques thèmes interculturels
Toute approche interculturelle peut se préciser de multiples manières tout au long de la
littérature. Il nous a paru pertinent de faire le point sur quelques manifestations dont la portée, on le
verra, atteint plusieurs pays: étant donné le caractère universel du fait littéraire, les aspects
spécifiquement humains se matérialisent en phénomènes langagiers qui dépassent toute sorte de
frontières.
a) Certains éléments retiennent notre attention par leur force emblématique. Pensons par
exemple à l’eau. Certes, notre civilisation ne lui accorde pas la même importance que les pays
désertiques; mais elle demeure un liquide à haute valeur symbolique. Source de vie et de fécondité,
l’eau représente le progrès, la fraîcheur et la pureté. De plus, nous ne pouvons ignorer les principaux
origines de notre culture: non pas qu’il ne reste un substrat des primitives populations de nos pays –
et à plus forte raison des peuplades barbares (francs ou goths) qui envahirent ces terres–, mais l’apport
d’autres cultures se révèle capital dans la formation de notre système occidental. C’est par la mer
qu’arrivèrent les phéniciens, les grecs et les romains dont la mentalité allait irriguer les plus riches
contrées du bassin méditerranéen; le droit et les institutions qui ont gouverné nos pays, ne doivent-
ils pas une grande partie de leur héritage à ces peuples venus “d’outre-mer”? Ainsi l’eau démontre
son rôle positif dans le ralliement des cultures.
On pourrait s’étendre sur de nombreux aspects du symbolique de nos cultures: l’étrange,
l’exotique, le monstrueux, trouvent toujours une cristallisation dans la littérature. Il nous vient
immédiatement à l’esprit une longue série d’êtres difformes, comme le Quasimodo hugolien, qui
hantent les imaginations des jeunes. Le dragon est un monstre assez singulier. Sans nous en
approprier l’exclusivité –Tristan, Sigfrid ou saint Olav terrassant le dragon sont une preuve que le
thème appartient aussi à la tradition du nord et du centre de l’Europe–, nous dirons que c’est dans
nos littératures que ce monstre acquiert sa spécificité la plus répandue: un être, oiseau ou reptile, qui
représente le mal et combat contre les aliés de Dieu. Cette tradition biblique (qui a aussi ses
manifestations correspondantes en Orient), remonte au Léviathan d’Isaïe et au serpent de l’Apocalypse.
C’est aussi une modalité morphologique de l’ange déchu qui, lui, connaîtra une évolution différente
selon que la dérive soit orthodoxe ou hétérodoxe. Nommons à titre d’exemple Dante, Milton,
Klopstock, Blake, Hugo ou Vigny parmi les écrivains qui ornèrent d’une grande beauté esthétique ce
thème qui ne tient pas compte des considérations frontalières.
b) La nature sociale de l’homme n’est plus à démontrer lorsque nous étudions d’autres thèmes
tels que la religion, la langue ou les nationalismes. S’il est vrai que l’excessive systématisation peut
porter préjudice à l’identité anthropologique, il ne l’est pas moins qu’aucune classification ne serait
2
opérationnelle sans le recours à l’encadrement des individus par leurs affinités ou leurs coutumes.
Dans la religion le contact dépasse la simple matérialité pour atteindre la capacité spirituelle de
l’homme. Mais il serait illusoire de penser que ce versant spécifiquement humain peut se restreindre
au for intérieur de la personne: le surnaturel sous diverses formes fait ainsi irruption dans la vie sociale
et ne tarde pas à produire ses manifestations littéraires. Pensons, par exemple, à la littérature du Siècle
d’Or espagnol. Après l’unification du territoire sous la monarchie catholique, la situation des juifs et
des musulmans devenait de plus en plus difficile. L’uniformité de nation et de religion s’était étendue
à toutes les couches de la société, de sorte qu’il ne suffisait d’être espagnol pour jouir d’une bonne
réputation dans la société: il fallait en plus être “vieux chrétien”. Cette conjoncture trouve un fidèle
écho dans la littérature, où sont nombreux les exemples de cette animosité que durent endurer les
“nouveaux chrétiens”. Pensons, par exemple, à Caldéron, Solórzano, Lope Vega ou Rojas Zorrilla
qui écrivirent des pièces où se dévoile cet aspect de l’imaginaire espagnol transposé par des auteurs
français comme Scarron.
La langue parlée devient aussi un point de repère dans l’ensemble des systèmes culturels d’un
peuple. Principal moyen de communication, elle ne se restreint pas à la forme: la langue est surtout
l’outil pour la transmission d’un contenu significatif entre les individus d’un même groupe
linguistique. Or, les groupes peuvent adopter une démarche d’ouverture ou de fermeture par rapport
à l’Autre. Heureusement, les moyens mis en œuvre au sein de la communauté européenne paraissent
aller dans le sens de l’idéale ouverture entre nos différents systèmes linguistiques. En effet, la
claustration volontaire dans ce domaine peut dégénérer, on le sait, en un ostracisme de regrettables
conséquences stérilisantes. On ne saurait trop souligner le besoin que l’homme ressent de faire
défendre sa spécificité; pourtant l’isolement n’a jamais été synonyme d’identité. Ce qu’on a appelé “la
génération de 98” –avec ses réflexions pénétrantes sur “le problème de l’Espagne”– est une preuve
sans discussion des extrêmes que peut atteindre un esseulement contre toute nature. À quel point
sont intimement unis tous ces éléments dont nous venons de parler, on peut le constater quand on
considère le statut de la langue française dans les pays du Maghreb. Dans ces pays où le français passe
pour le principal moyen d’expression littéraire, du moi le plus intime et de l’esprit critique, il rencontre
quelques-uns des conditionnements religieux et politiques dont nous avons parlé. Ainsi, dans une
société fortement marquée par la religion ou par l’héritage politique récent, il n’est pas rare qu’il
apparaisse comme la langue par excellence de la transgression1. On pourrait en tirer quelques
conclusions en ce qui concerne les langues de nos pays: le catalan, le basque, le galicien ou le corse,
entre autres, ont expérimenté dans les dernières décennies un élan assez considérable. La poussée des
nationalismes et des regionalismes ne saurait être pour rien dans cette recherche de la propre identité.
Le résultat en est l’évincement qu’endure la langue représentative de l’administration central au profit
d’autres systèmes linguistiques autrefois méprisés; et cela aussi bien dans la conversation que dans les
moyens de communication ou encore dans la littérature… Il est aisé d’apercevoir –nous l’annoncions
plus haut– l’imbrication de tous ces aspects anthropologiques qui devront attirer l’attention du
chercheur intéressé par les multiples thèmes de l’interculturel.
2. L’exemple franco-espagnol
À propos de paramètres taxonomiques propres à la littérature comparée, il est habituel de
prendre en considération ceux de Van Tieghem, ou encore ceux de Poggioli, qui classifiaient les
domaines spécifiques à la discipline. Depuis lors on souligne l’importance des études de thématique,
1 Jacques CHEVRIER, “Francophonie et littérature comparée: vers de nouvelles littératures?”, dans Bulletin de Liaison et
d’Information de la Société Française de Littérature Générale et Comparée, n 12, printemps 1992, p. 15.
3
morphologie, crénologie, traductologie, réception comparée…2. Dans les lignes qui suivent nous
allons prêter une spéciale attention aux rapports littéraires franco-espagnols.
Étant donné l’absence de bases méthodologiques adéquates, certains comparatistes se sont
limités à un prélèvement de documents qui prouvaient l’existence des contacts entre deux ou plusieurs
pays; il fallait faire cela sans oublier une “formulation des principes de l’assimilation de phénomènes
littéraires”. D’où les dénominations, peu flatteuses, de “traqueurs de rapports de fait” ou de
“douaniers de la littérature” qu’on a souvent adressées à l’égard des critiques comparatistes3. Ce n’est
pas ici l’endroit pour procéder à l’élaboration détaillée des hypothèses de travail nous permettant ce
genre d’approche. Nous tiendrons compte cependant de quelques schémas méthodologiques qui se
révèlent indispensables à l’heure d’étudier plusieurs exemples des échanges littéraires entre nos deux
pays. En l’ocurrence, il nous faudra profiter des appréciations tenant de la théorie de la réception
comparée et de l’imaginaire.
Nous partons du principe, déjà énoncé, qu’aucune littérature ne s’est jamais développée, d’une
manière générale, en vase clos. Si cette affirmation peut être soutenue pour la plupart des productions
littéraires, à plus forte raison nous pouvons l’appliquer aux rapports hispano-français. En effet, la
littérature est une manifestation vivante de l’espèce humaine; quoi qu’on puisse supposer, elle ne
connaît point de frontières et franchit, plus facilement qu’on ne le pense, tous les obstacles qu’elle
trouve à son passage. Il est hors de doute que les rapports entre les différents pays qui composent la
communauté internationale vont s’accroissant au fur et à mesure que se développent les moyens de
communication. Nous ne pensons pas seulement à la véhiculisation écrite –les télécopieurs suffiraient
à eux seuls pour rendre bon compte des progrès atteints dans les dernières décennies–: le transport
des personnes rend possibles des déplacements que seuls des voyants comme Cyrano de Bergerac ou
Hugo annonçaient tout en provocant –soit dit en passant– des regards plus que sceptiques.
Mais cela serait fausser la réalité que de défendre l’ouverture rien qu’en constatant le
développement technique de notre siècle. Cela voudrait dire que ces contacts ne se sont presque
jamais produits auparavant, que jamais un européen n’a visité la Chine au XIVe siècle, ou qu’on n’a eu
en Europe aucune notion des cosmogonies hindoues avant notre époque; ce dévoilerait, à tous égards,
une méconnaissance des faits: “chaque langue a son génie, mais, depuis qu’il y a des hommes sur la
terre, les langues se contaminent”4. Certes, de nos jours il est plus aisé de mettre en œuvre ces
connexions, mais la difficulté n’implique pas toujours l’impossibilité; la meilleure preuve en est
l’empreinte qu’elles ont laissée à travers les âges. Celle-ci est la confirmation des contacts qui ont eu
lieu entre nos deux pays dans le domaine littéraire. Ceux-ci présentent en général des caractéristiques
communes dont nous énumerons succinctement celles qui nous sont les plus utiles en l’occurrence5.
1. Les contacts entre nos littératures se sont réalisés en général de manière successivement unilatérale,
et le plus souvent en fonction de principes de prestige et de dominance. 2. C’est la littérature-cible
qui favorise ou contrarie ces contacts selon les besoins, impérieux ou pas, qu’elle éprouve à l’egard
de la littérature regardée. 3. Finalement, les éléments importés subissent fréquemment une
simplification, une schématisation, ce qui nous introduit de plain-pied sur le terrain de l’imaginaire.
En effet, dans la plupart des orientations qui vont suivre, l’approche fondée sur l’imaginaire
paraît l’une des plus pertinentes. Un imaginaire qui ne soit pas le résultat de nos extrapolations ou
2 Vid. GUILLÉN, op. cit., p. 122 et sq.
3 Vid. LAMBERT, op. cit., p. 49-51.
4 ÉTIEMBLE, Comparaison n’est pas raison, op. cit., p. 87.
5 À cette fin, nous avons recours à quelques universaux possibles qu’EVEN-ZOHAR fournissait dans Papers in Historical
Poetics, The Porter Institute for Poetics and Semiotics, Tel Aviv, Tel Aviv University, 1978 (Papers on Poetics & Semiotics); cité par
LAMBERT, op. cit., p. 53.
4
nos stéréotypes: autrement nous aurions perdu ce fer de lance de la littérature comparée qu’est
l’objectivité. Ce qu’il nous faut lors des recherches dans ce domaine, c’est de garder l’impartialité
nécessaire pour n’émettre que des jugements ayant une consistance dans la réalité; il nous faut, somme
toute, faire usage de l’heureuse formule d’un grand étudieux du comparatisme: décrire “l’étranger tel
qu’on le voit”6.
L’appel à une adaptation aux circonstances spécifiques des deux pays, ainsi qu’aux
coordonnées spatiales et temporelles des textes soumis à étude semble superfétatoire. Maurois en
rend bon compte dans l’un de ses livres où il nous offre une enrichissante image de l’Espagne que
Hugo apporta de son séjour outre-Pyrénées7. C’est seulement de la sorte qu’on parviendra à
construire cette “image” de l’étranger tel qu’on le voit, ou tel qu’on le voyait à cette époque précise
de l’histoire. Il faut, par exemple, programmer l’outillage conceptuel, plaider pour une histoire des
idées, se servir des transpositions littéraires, des phénomènes d’opinion, des attitudes mentales…,
bref, il faut toujours redéfinir les éléments de base grâce auxquels se construit l’imaginaire d’une
littérature8.
Pour en venir aux moments cruciaux de notre histoire, aussi mouvementée que commune, il
suffit de constater l’incroyable prolifération d’écrits espagnols qui entrèrent en France pendant la
première moitié du XVIIe siècle9. Des romans de chevalerie, des pièces de théâtre, des recueils de
poésie, des récits de voyages10, des traités de religion…: on peut les compter par milliers. Comment
peut-on expliquer cela, alors qu’à cette époque-là se déroulaient, sur les champs de bataille, les
combats les plus acharnés?, alors que les moyens de communication étaient si rudimentaires, les
chemins coupés et les frontières soigneusement survéillées?, alors, surtout, que la connaissance des
langues étrangères était beaucoup moins développée qu’aujourd’hui? Jamais l’empire du roi très-
catholique n’a été si vilipendé, et jamais, paradoxalement, on ne pourra trouver une époque où les
productions littéraires espagnoles aient été si abondantes en-decà des Pyrénées. S’il est vrai, toutefois,
que les résultats d’alors peuvent avoir été dépassés en chiffres absolus, compte tenu des moyens de
l’époque –imprimerie, monnaie, transports, etc.–, les chiffres relatifs donnent un bilan hautement
positif en faveur de ces décennies.
Un bon exemple de ces échanges est celui du Cid. Alors que les troupes battaient la mesure de
la Guerre de Trente Ans, Pierre Corneille n’hésitait pas à donner au public son immortal ouvrage sur
un héros castillan! On n’attirera jamais trop l’attention sur ce fait. Mais on sera encore plus surpris à
la constatation du favorable accueil réservé à cette pièce. Quoiqu’elle dût blessser les règles du goût
6 L’expression est de GUYARD, cité par WEISSTEIN, op. cit., p. 31.
7 Vid. André MAUROIS, Olympio ou la Vie de Victor Hugo, Paris, Hachette, 1958, p. 28-40.
8 Vid. PAGEAUX, “Littérature comparée et sciences humaines. Pour un renouveau des études comparatistes”, op. cit., p.
66.
9 Pour des raisons d’espace nous ne pouvons aborder ici la période allant jusqu’au XVIe siècle. Sans atteindre la relevance
des rapports entre le Siècle d’Or et le Grand Siècle, les contacts effectués à l’époque du moyen âge ou de la Renaissance ne
doivent pas être négligés; qu’on songe aux chansons de geste, aux romans ou aux traités d’ascétique et de mystique
chrétienne.
10 Ceux, par exemple, d’Antoine de Brunel ou de Mme d’Aulnoy. L’Espagne a toujours été un pays qui a vivement attiré
les poètes européens; cela ne tient pas qu’à un moment précis de l’histoire, et même en plein fin de siècle se poursuivaient
ces récits qui peuvent tant apporter à une histoire comparée des idées: Verhaeren et Darío de Regoyos publiaient en 1888
leur España Negra; vid. Paul GORCEIX, “L’image pathétique de l’Espagne à travers le récit de voyage España Negra d’Émile
de Verhaeren et de Darío de Regoyos”, dans Europa en España, España en Europa, Simposio Internacional de Literatura Comparada,
op. cit., p. 105-121 et Ángeles EZAMA GIL, “La España Negra de Verhaeren y Regoyos: mucho más que un libro de viaje”,
dans Boletín de la Real Academia Española, année LXXVI, t. LXX, n CCL, p. 317-351.
5
et des bienséances, disait-on, elle avait remporté l’un des plus grands succès de l’histoire du théâtre.
Son héros pouvait passer pour un amant un peu gauche, et sa héroïne devait souffrir qu’on la traite
de fille impudique et de prostituée; n’empêche, une fois de plus le public avait tranché sur la question
en saluant Le Cid comme une pièce hors pair. Cela nous montre à quel point le spectateur ne s’attardait
pas sur les circonstances politiques et militaires du moment. Et Corneille lui-même, tout en acceptant
de corriger quelques passages qui tenaient de l’esthétique en vigueur à l’époque, affirmait qu’il n’avait
aucune crainte de la supposée connivence avec l’ennemi en mettant sur la scène le paradigme du
héros pour les Espagnols. Outre ces attaques politiques, il devait en subir une autre plus grave encore,
celle d’être traité de plagiaire. Il ne s’ensouciait guère; mieux, il n’avait douté le moins du monde au
moment de dévoiler et le nom de l’auteur et celui de la pièce qui lui avait servi comme modèle. Il
tenait même à le dire, conscient qu’il était –et voilà qui est important– que cette donnée n’allait pas
nuire à l’acceptation de son œuvre: preuve que la littérature a des frontières autres que celles de la
Bidassoa… À un autre niveau, c’est la preuve que les contacts dépendent en grande mesure de
l’attitude favorable ou contrariante de la littérature ciblée: la française, en l’occurrence.
Il serait long d’étendre notre étude sur la réception du théâtre espagnol en France au XVIIe
siècle: Molière, Boisrobert, Scarron, D’Ouville, Quinault, Hardy, Rotrou… Tous ont accepté –à un
moment ou à un autre, en petites ou en grandes doses– de s’adapter à la mode et aux goûts de la
comedia espagnole; à ce propos, Roger Guichemerre a magnifiquement bien montré les effets positifs
de revitalisation que celle-ci a produits sur la comédie française11. Partout apparaissaient des valets
qui tombaient en promiscuité avec leurs maîtres, des filles intrigantes qui, à l’aide des astuces les plus
incroyables, évitaient la surveillance de leurs pères, des quiproquos débouchant sur des
reconnaissances inattendues… Telle était la conception du théâtre espagnol de l’époque, et telle devait
être la réplique française des “comédies à l’espagnole”. Le tout, basé sur la conception que l’on se
faisait à l’époque de l’homme espagnol: un personnage pointilleux à l’extrême, exagérément soucieux
de son honneur, de sa pureté de sang, de son esprit chevaleresque. Aussi n’est-il pas rare de trouver
cette image dans les pièces françaises de l’époque qui sont un témoignage sans pareil de l’imagerie
culturelle à l’époque de Louis XIII ou du Roi Soleil.
Mais ce qui a été dit pour le théâtre concerne aussi bien la nouvelle ou le roman. Depuis les
livres de La Diana, en passant par les nouvelles de María de Zayas ou de Solórzano, jusqu’à aboutir
sur le Gil Blas de Lesage qui reprend la tradition picaresque, l’apport de la production narrative
espagnole a été sans interruption. Prenons un exemple, celui de Mme de Lafayette: quand cet auteur
décide d’écrire un roman sentimental sur une belle femme musulmane, il a recours aux descriptions,
qui circulaient abondantes alors, sur l’histoire de la péninsule Ibérique. Dans son Zaïde nous avons
aussi la fidèle copie de la manière dont était conçue, en plein XVIIe siècle, la société espagnole. C’est
un cas patent de l’image faite littérature, où le stéréotype12 joue le rôle de la simplification
généralisatrice de l’imaginaire.
Le moment arrivé où l’Espagne devient une communauté regardante –on a signalée plus haut
que la réception se déroule habituellement de manière unilatérale–, il ne faudrait pas atteindre
longtemps pour vérifier ce transvase dans l’autre direction. Dès le dernier tiers du XVIIe siècle, nous
assistons à une floraison inouïe d’œuvres espagnoles qui prennent leurs modèles parmi les
productions des lettres françaises. Il suffit de feuilleter les catalogues des traductions et adaptations
des ouvrages français pour réaliser le prestige, croissant une année après l’autre, que représentait la
11 Vid. par exemple, La Comédie avant Molière, 1640-1660, Paris, Armand Colin, 1972 et La tragi-comédie, Paris, Presses
Universitaires de France, 1981.
12 Pour une profondisation sur ce clichet si propre à l’image de l’Autre, vid. PAGEAUX, “De l’imagerie culturelle à
l’imaginaire”, dans Précis de littérature comparée, op. cit., p. 139 et sq.
6
République des lettres françaises pour les Espagnols13. Plusieurs travaux ont été menés à bout dans
ce domaine, et l’on peut souhaiter qu’il y ait d’autres qui viennent grossir les files des recherches sur
les manifestations littéraires franco-espagnoles au XVIIIe siècle. Le rayonnement de la France régnait
dans la plupart de l’Europe, et il est logique que les écrivains –d’habitude beaucoup plus ouverts que
les mentalités politiques et populaires à tout genre d’innovations– aient été vite influencés par les
nouveaux courants concernant, mettons pour cas, la poétique. Cándido María Trigueros, Cañizares
et Jovellanos publiaient leurs pièces pétries dans le moule de L’Art Poétique de Boileau, Cadalso écrit
ses Cartas marruecas à la façon des Lettres persanes de Montesquieu, et Moratín passe pour un écrivain
qui a su assimiler ce nouveau goût importé des terres gauloises…
Il est vrai, toutefois, que les “incursions” de la littérature française en Espagne devraient tôt
ou tard se plier aux conditionnements historiques et politiques. Les airs de l’Illustration, la philosophie
des lumières et les flèches qu’on décochait plus ou moins sournoisement contre la conception de
l’État, devraient trouver une forte opposition dans une Espagne orthodoxe en matière de religion et
absolutiste comme peu l’auront été. Ces appréciations atteignent leur plus haute valeur dans la période
qui allait suivre et qui serait marquée par la mise en cause de l’ordre établi, la destitution des
monarchies et l’exportation d’un nouveau modèle de société au monde entier. D’où que l’on puisse,
à plus d’un titre, se poser la question sur la disparition des frontières pour les phénomènes littéraires.
Pourtant, des études fort bien documentées ont montré que le passage des idées se faisait: des libraires
avides de gain, des ambassadeurs qui échappaient au contrôle douannier, des voyageurs intrépides
qui passaient subrepticement des livres interdits, tous ces personnages constituaient des réseaux plus
efficaces que beaucoup de moyens de communication actuels14. Certes, le passage en nombre avait
été coupé “a radice”, mais le contact était assuré.
Des mouvements comme le romantisme se développant des deux côtés des Pyrénées, la
période qui allait suivre n’attire pas moins notre attention. Ici les questions d’imagologie et de
réception comparée ont un rôle très important à jouer: il faut ici avoir recours aux histoires littéraires
et recueils de théâtre ou de romances qui furent alors publiés en France15. L’exotisme et la couleur
locale qui exerçaient un grand attrait sur l’écrivain français du Grand Siècle, vont se renouveler
presque deux cents ans plus tard. Nombreux sont les poètes romantiques qui se sentent attirés par
cette Espagne qui, par son écartement progressif de l’Europe, acquiert jour après jour une identité
qui éclatera avec ce qu’on a appelé la “génération de 98”16. Mais, comme l’a très judicieusement
rappelé van Tieghem, l’imitation de l’âme espagnole répondait surtout “au besoin qu’avait le premier
romantisme de chercher de nouvelles sources d’inspiration qui puissent lui permettre de montrer sa
liberté et même d’en affirmer l’outrance. Les textes espagnols sont donc choisis très spécifiquement
pour justifier la tendance romantique à l’excès passionnel”17; c’était donc aux auteurs français que
13 Vid. par exemple, Francisco LAFARGA, Las Traducciones españolas del teatro francés (1700-1835), Barcelona, Universidad
de Barcelona, 1983-1988, 2 vol.
14 Sur ses rapports vid. par exemple, Paul MÉRIMÉE, L’Art dramatique en Espagne dans la première moitié du XVIIIe siècle,
Toulouse, France-Ibérie Recherche, Université de Toulouse-le-Mirail, 1983.
15 Citons, par exemple, l’Histoire de la littérature espagnole de BOUTERWERK (traduite en français en 1812), dont cinq
volumes sont consacrés au théâtre espagnol, la vaste collection des Chefs-d’œuvre des théâtres étrangers de LADVOCAT (1822-
1823), ou encore les Romances historiques, traduites de l’espagnol d’Abel HUGO (1822); vid. Paul van TIEGHEM, Les Influences
étrangères sur la littérature française (1550-1880), Paris, Presses Universitaires de France, 1967, p. 206-209.
16 Jean-René AYMES en cite plusieurs; vid. “Doce viajeros románticos franceses ante la irreductible hispanidad
idiomática”, dans Traducción y adaptación cultural: España-Francia, Oviedo, Servicio de Publicaciones de la Universidad de
Oviedo, 1991, p. 61-77.
17 Op. cit., p. 209-210.
7
revenait la tâche de “recevoir” –comme le montrent tant d’études sur la réception comparée– et de
donner à leurs personnages une certaine armature morale propre de l’imaginaire espagnol, quelque
chose de noble et d’austère, d’ardent et de sombre18. Victor Hugo sera l’une des figures françaises qui
aient le plus apprécié l’âme espagnole: Hernani et Ruy Blas sont là pour le prouver, la belle Esméralda
de Notre-Dame de Paris a l’allure d’une véritable gitane espagnole19, et La Légende des Siècles respire la
plus pure atmosphère médiévale du Romancéro; des études sérieuses et détaillées faites sur les
différentes sources où a bu ce génie du XIXe siècle sont un outil de premier ordre pour réaliser un
approfondissement assez fructueux dans ce sens20. Mais non seulement Hugo, d’autres poètes comme
Musset (Contes d’Espagne et d’Italie, 1830), Mérimée (Carmen, Les Âmes du Purgatoire, 1836) ou Gautier
(Tra los montes, 1840, España, 1845), rendent volontiers la couleur et la psychologie locale de cette
“sauvage contrée”21.
Les années passant, nous rencontrons les poètes symbolistes. Si les nouvelles conceptions
littéraires s’inspiraient des doctrines philosophiques et littéraires venues de l’Allemagne ou de
l’Angleterre, elles ne paraissaient rien devoir à l’influence espagnole, à tout le moins en ce qui
concerne l’esthétique et le nouveau statut de la parole. Passés le laps de la fin du siècle et les idées
esthétiques du décadentisme et du naturalisme, le symbolisme allait trouver une réponse hispanique.
L’on a étudié l’influence que sur certains auteurs espagnols –peuvent servir comme exemple
Machado, Juan Ramón Jiménez ou Guillén–, a exercé l’école symboliste; il reste cependant à faire des
études poussées et approfondies sur la réception du mouvement –et du Parnasse– en Espagne… et
en Amérique. En effet, il faut déjà compter sur l’apport, de plus en plus relevant, de la production
littéraire de l’Amérique hispanophone. Par rapport à ce mouvement, des auteurs comme Martí, Rubén
Darío ou Amado Nervo, passent pour être des écrivains qui ont su le mieux accueillir ces doctrines
et, il est vrai, les adapter à l’indigénisme et aux mentalités de leur continent.
On pourrait prolonger à l’infini la liste des échanges entre nos deux pays; nous n’allons pas le
faire22; il suffit de nommer la période de l’Avant-garde ou celle, si problématique, qui suit: une étape
où les conditionements politiques se font à nouveau valoir. Pourtant nous sommes déjà en état
d’affirmer que ceux-ci n’arriveront jamais jusqu’à l’étouffement des rapports littéraires: après tout ce
qui précède il est clair qu’il n’existe pas de littérature se développant en vase clos; sans doute, entre
autres, parce qu’il n’est pas évident de parvenir à s’épanouir de la sorte…
18 Vid. ibid., p. 213.
19 Le prof. LÓPEZ-JIMÉNEZ l’a montré tout recemment dans un colloque tenu à Madrid en avril 1992 sur Los Estudios
de Filología Francesa en la Universidad Española.
20 Vid. par exemple, celle de Paul BERRET, Le Moyen Age dans La Légende des Siècles et les sources de Victor Hugo, Paris,
Henry Paulin, s. d. L’auteur renvoie, notamment dans le chapitre consacré au Romancéro espagnol, aux publications que le
poète a maniées au moment d’écrire son épopée. Il serait intéressant de mener une étude sur les conditions de production,
de tradition et d’importation qui régnaient alors; pour un approfondissement sur ces conditions, vid. LAMBERT, op. cit., p. 55
et sq.
21 Vid. van TIEGHEM, op. cit., p. 209-211.
22 Sur ce sujet se révéleront fort utiles quelques publications récentes: Francisco LAFARGA, Imágenes de Francia en las letras
hispánicas, Barcelona, Promociones y Publicaciones Universitarias, 1989; Mª Luisa DONAIRE et Francisco LAFARGA,
Traducción y adaptación cultural: España-Francia, op. cit.; finalement, on ne saurait trop louer l’effort mené à bien par la publication
périodique Investigación Franco-española, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Córdoba.

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  • 1. 1 LA LITTÉRATURE COMPARÉE ET L’INTERCULTUREL. L’EXEMPLE FRANCO-ESPAGNOL José Manuel losada Récits du Sud. Relatos del Norte. Textes réunis par Jean-Marie Chassagne, Bordeaux: La Nef, 1992, p. 73-86. ISBN: 2-85276-054-1. 1. Quelques thèmes interculturels Toute approche interculturelle peut se préciser de multiples manières tout au long de la littérature. Il nous a paru pertinent de faire le point sur quelques manifestations dont la portée, on le verra, atteint plusieurs pays: étant donné le caractère universel du fait littéraire, les aspects spécifiquement humains se matérialisent en phénomènes langagiers qui dépassent toute sorte de frontières. a) Certains éléments retiennent notre attention par leur force emblématique. Pensons par exemple à l’eau. Certes, notre civilisation ne lui accorde pas la même importance que les pays désertiques; mais elle demeure un liquide à haute valeur symbolique. Source de vie et de fécondité, l’eau représente le progrès, la fraîcheur et la pureté. De plus, nous ne pouvons ignorer les principaux origines de notre culture: non pas qu’il ne reste un substrat des primitives populations de nos pays – et à plus forte raison des peuplades barbares (francs ou goths) qui envahirent ces terres–, mais l’apport d’autres cultures se révèle capital dans la formation de notre système occidental. C’est par la mer qu’arrivèrent les phéniciens, les grecs et les romains dont la mentalité allait irriguer les plus riches contrées du bassin méditerranéen; le droit et les institutions qui ont gouverné nos pays, ne doivent- ils pas une grande partie de leur héritage à ces peuples venus “d’outre-mer”? Ainsi l’eau démontre son rôle positif dans le ralliement des cultures. On pourrait s’étendre sur de nombreux aspects du symbolique de nos cultures: l’étrange, l’exotique, le monstrueux, trouvent toujours une cristallisation dans la littérature. Il nous vient immédiatement à l’esprit une longue série d’êtres difformes, comme le Quasimodo hugolien, qui hantent les imaginations des jeunes. Le dragon est un monstre assez singulier. Sans nous en approprier l’exclusivité –Tristan, Sigfrid ou saint Olav terrassant le dragon sont une preuve que le thème appartient aussi à la tradition du nord et du centre de l’Europe–, nous dirons que c’est dans nos littératures que ce monstre acquiert sa spécificité la plus répandue: un être, oiseau ou reptile, qui représente le mal et combat contre les aliés de Dieu. Cette tradition biblique (qui a aussi ses manifestations correspondantes en Orient), remonte au Léviathan d’Isaïe et au serpent de l’Apocalypse. C’est aussi une modalité morphologique de l’ange déchu qui, lui, connaîtra une évolution différente selon que la dérive soit orthodoxe ou hétérodoxe. Nommons à titre d’exemple Dante, Milton, Klopstock, Blake, Hugo ou Vigny parmi les écrivains qui ornèrent d’une grande beauté esthétique ce thème qui ne tient pas compte des considérations frontalières. b) La nature sociale de l’homme n’est plus à démontrer lorsque nous étudions d’autres thèmes tels que la religion, la langue ou les nationalismes. S’il est vrai que l’excessive systématisation peut porter préjudice à l’identité anthropologique, il ne l’est pas moins qu’aucune classification ne serait
  • 2. 2 opérationnelle sans le recours à l’encadrement des individus par leurs affinités ou leurs coutumes. Dans la religion le contact dépasse la simple matérialité pour atteindre la capacité spirituelle de l’homme. Mais il serait illusoire de penser que ce versant spécifiquement humain peut se restreindre au for intérieur de la personne: le surnaturel sous diverses formes fait ainsi irruption dans la vie sociale et ne tarde pas à produire ses manifestations littéraires. Pensons, par exemple, à la littérature du Siècle d’Or espagnol. Après l’unification du territoire sous la monarchie catholique, la situation des juifs et des musulmans devenait de plus en plus difficile. L’uniformité de nation et de religion s’était étendue à toutes les couches de la société, de sorte qu’il ne suffisait d’être espagnol pour jouir d’une bonne réputation dans la société: il fallait en plus être “vieux chrétien”. Cette conjoncture trouve un fidèle écho dans la littérature, où sont nombreux les exemples de cette animosité que durent endurer les “nouveaux chrétiens”. Pensons, par exemple, à Caldéron, Solórzano, Lope Vega ou Rojas Zorrilla qui écrivirent des pièces où se dévoile cet aspect de l’imaginaire espagnol transposé par des auteurs français comme Scarron. La langue parlée devient aussi un point de repère dans l’ensemble des systèmes culturels d’un peuple. Principal moyen de communication, elle ne se restreint pas à la forme: la langue est surtout l’outil pour la transmission d’un contenu significatif entre les individus d’un même groupe linguistique. Or, les groupes peuvent adopter une démarche d’ouverture ou de fermeture par rapport à l’Autre. Heureusement, les moyens mis en œuvre au sein de la communauté européenne paraissent aller dans le sens de l’idéale ouverture entre nos différents systèmes linguistiques. En effet, la claustration volontaire dans ce domaine peut dégénérer, on le sait, en un ostracisme de regrettables conséquences stérilisantes. On ne saurait trop souligner le besoin que l’homme ressent de faire défendre sa spécificité; pourtant l’isolement n’a jamais été synonyme d’identité. Ce qu’on a appelé “la génération de 98” –avec ses réflexions pénétrantes sur “le problème de l’Espagne”– est une preuve sans discussion des extrêmes que peut atteindre un esseulement contre toute nature. À quel point sont intimement unis tous ces éléments dont nous venons de parler, on peut le constater quand on considère le statut de la langue française dans les pays du Maghreb. Dans ces pays où le français passe pour le principal moyen d’expression littéraire, du moi le plus intime et de l’esprit critique, il rencontre quelques-uns des conditionnements religieux et politiques dont nous avons parlé. Ainsi, dans une société fortement marquée par la religion ou par l’héritage politique récent, il n’est pas rare qu’il apparaisse comme la langue par excellence de la transgression1. On pourrait en tirer quelques conclusions en ce qui concerne les langues de nos pays: le catalan, le basque, le galicien ou le corse, entre autres, ont expérimenté dans les dernières décennies un élan assez considérable. La poussée des nationalismes et des regionalismes ne saurait être pour rien dans cette recherche de la propre identité. Le résultat en est l’évincement qu’endure la langue représentative de l’administration central au profit d’autres systèmes linguistiques autrefois méprisés; et cela aussi bien dans la conversation que dans les moyens de communication ou encore dans la littérature… Il est aisé d’apercevoir –nous l’annoncions plus haut– l’imbrication de tous ces aspects anthropologiques qui devront attirer l’attention du chercheur intéressé par les multiples thèmes de l’interculturel. 2. L’exemple franco-espagnol À propos de paramètres taxonomiques propres à la littérature comparée, il est habituel de prendre en considération ceux de Van Tieghem, ou encore ceux de Poggioli, qui classifiaient les domaines spécifiques à la discipline. Depuis lors on souligne l’importance des études de thématique, 1 Jacques CHEVRIER, “Francophonie et littérature comparée: vers de nouvelles littératures?”, dans Bulletin de Liaison et d’Information de la Société Française de Littérature Générale et Comparée, n 12, printemps 1992, p. 15.
  • 3. 3 morphologie, crénologie, traductologie, réception comparée…2. Dans les lignes qui suivent nous allons prêter une spéciale attention aux rapports littéraires franco-espagnols. Étant donné l’absence de bases méthodologiques adéquates, certains comparatistes se sont limités à un prélèvement de documents qui prouvaient l’existence des contacts entre deux ou plusieurs pays; il fallait faire cela sans oublier une “formulation des principes de l’assimilation de phénomènes littéraires”. D’où les dénominations, peu flatteuses, de “traqueurs de rapports de fait” ou de “douaniers de la littérature” qu’on a souvent adressées à l’égard des critiques comparatistes3. Ce n’est pas ici l’endroit pour procéder à l’élaboration détaillée des hypothèses de travail nous permettant ce genre d’approche. Nous tiendrons compte cependant de quelques schémas méthodologiques qui se révèlent indispensables à l’heure d’étudier plusieurs exemples des échanges littéraires entre nos deux pays. En l’ocurrence, il nous faudra profiter des appréciations tenant de la théorie de la réception comparée et de l’imaginaire. Nous partons du principe, déjà énoncé, qu’aucune littérature ne s’est jamais développée, d’une manière générale, en vase clos. Si cette affirmation peut être soutenue pour la plupart des productions littéraires, à plus forte raison nous pouvons l’appliquer aux rapports hispano-français. En effet, la littérature est une manifestation vivante de l’espèce humaine; quoi qu’on puisse supposer, elle ne connaît point de frontières et franchit, plus facilement qu’on ne le pense, tous les obstacles qu’elle trouve à son passage. Il est hors de doute que les rapports entre les différents pays qui composent la communauté internationale vont s’accroissant au fur et à mesure que se développent les moyens de communication. Nous ne pensons pas seulement à la véhiculisation écrite –les télécopieurs suffiraient à eux seuls pour rendre bon compte des progrès atteints dans les dernières décennies–: le transport des personnes rend possibles des déplacements que seuls des voyants comme Cyrano de Bergerac ou Hugo annonçaient tout en provocant –soit dit en passant– des regards plus que sceptiques. Mais cela serait fausser la réalité que de défendre l’ouverture rien qu’en constatant le développement technique de notre siècle. Cela voudrait dire que ces contacts ne se sont presque jamais produits auparavant, que jamais un européen n’a visité la Chine au XIVe siècle, ou qu’on n’a eu en Europe aucune notion des cosmogonies hindoues avant notre époque; ce dévoilerait, à tous égards, une méconnaissance des faits: “chaque langue a son génie, mais, depuis qu’il y a des hommes sur la terre, les langues se contaminent”4. Certes, de nos jours il est plus aisé de mettre en œuvre ces connexions, mais la difficulté n’implique pas toujours l’impossibilité; la meilleure preuve en est l’empreinte qu’elles ont laissée à travers les âges. Celle-ci est la confirmation des contacts qui ont eu lieu entre nos deux pays dans le domaine littéraire. Ceux-ci présentent en général des caractéristiques communes dont nous énumerons succinctement celles qui nous sont les plus utiles en l’occurrence5. 1. Les contacts entre nos littératures se sont réalisés en général de manière successivement unilatérale, et le plus souvent en fonction de principes de prestige et de dominance. 2. C’est la littérature-cible qui favorise ou contrarie ces contacts selon les besoins, impérieux ou pas, qu’elle éprouve à l’egard de la littérature regardée. 3. Finalement, les éléments importés subissent fréquemment une simplification, une schématisation, ce qui nous introduit de plain-pied sur le terrain de l’imaginaire. En effet, dans la plupart des orientations qui vont suivre, l’approche fondée sur l’imaginaire paraît l’une des plus pertinentes. Un imaginaire qui ne soit pas le résultat de nos extrapolations ou 2 Vid. GUILLÉN, op. cit., p. 122 et sq. 3 Vid. LAMBERT, op. cit., p. 49-51. 4 ÉTIEMBLE, Comparaison n’est pas raison, op. cit., p. 87. 5 À cette fin, nous avons recours à quelques universaux possibles qu’EVEN-ZOHAR fournissait dans Papers in Historical Poetics, The Porter Institute for Poetics and Semiotics, Tel Aviv, Tel Aviv University, 1978 (Papers on Poetics & Semiotics); cité par LAMBERT, op. cit., p. 53.
  • 4. 4 nos stéréotypes: autrement nous aurions perdu ce fer de lance de la littérature comparée qu’est l’objectivité. Ce qu’il nous faut lors des recherches dans ce domaine, c’est de garder l’impartialité nécessaire pour n’émettre que des jugements ayant une consistance dans la réalité; il nous faut, somme toute, faire usage de l’heureuse formule d’un grand étudieux du comparatisme: décrire “l’étranger tel qu’on le voit”6. L’appel à une adaptation aux circonstances spécifiques des deux pays, ainsi qu’aux coordonnées spatiales et temporelles des textes soumis à étude semble superfétatoire. Maurois en rend bon compte dans l’un de ses livres où il nous offre une enrichissante image de l’Espagne que Hugo apporta de son séjour outre-Pyrénées7. C’est seulement de la sorte qu’on parviendra à construire cette “image” de l’étranger tel qu’on le voit, ou tel qu’on le voyait à cette époque précise de l’histoire. Il faut, par exemple, programmer l’outillage conceptuel, plaider pour une histoire des idées, se servir des transpositions littéraires, des phénomènes d’opinion, des attitudes mentales…, bref, il faut toujours redéfinir les éléments de base grâce auxquels se construit l’imaginaire d’une littérature8. Pour en venir aux moments cruciaux de notre histoire, aussi mouvementée que commune, il suffit de constater l’incroyable prolifération d’écrits espagnols qui entrèrent en France pendant la première moitié du XVIIe siècle9. Des romans de chevalerie, des pièces de théâtre, des recueils de poésie, des récits de voyages10, des traités de religion…: on peut les compter par milliers. Comment peut-on expliquer cela, alors qu’à cette époque-là se déroulaient, sur les champs de bataille, les combats les plus acharnés?, alors que les moyens de communication étaient si rudimentaires, les chemins coupés et les frontières soigneusement survéillées?, alors, surtout, que la connaissance des langues étrangères était beaucoup moins développée qu’aujourd’hui? Jamais l’empire du roi très- catholique n’a été si vilipendé, et jamais, paradoxalement, on ne pourra trouver une époque où les productions littéraires espagnoles aient été si abondantes en-decà des Pyrénées. S’il est vrai, toutefois, que les résultats d’alors peuvent avoir été dépassés en chiffres absolus, compte tenu des moyens de l’époque –imprimerie, monnaie, transports, etc.–, les chiffres relatifs donnent un bilan hautement positif en faveur de ces décennies. Un bon exemple de ces échanges est celui du Cid. Alors que les troupes battaient la mesure de la Guerre de Trente Ans, Pierre Corneille n’hésitait pas à donner au public son immortal ouvrage sur un héros castillan! On n’attirera jamais trop l’attention sur ce fait. Mais on sera encore plus surpris à la constatation du favorable accueil réservé à cette pièce. Quoiqu’elle dût blessser les règles du goût 6 L’expression est de GUYARD, cité par WEISSTEIN, op. cit., p. 31. 7 Vid. André MAUROIS, Olympio ou la Vie de Victor Hugo, Paris, Hachette, 1958, p. 28-40. 8 Vid. PAGEAUX, “Littérature comparée et sciences humaines. Pour un renouveau des études comparatistes”, op. cit., p. 66. 9 Pour des raisons d’espace nous ne pouvons aborder ici la période allant jusqu’au XVIe siècle. Sans atteindre la relevance des rapports entre le Siècle d’Or et le Grand Siècle, les contacts effectués à l’époque du moyen âge ou de la Renaissance ne doivent pas être négligés; qu’on songe aux chansons de geste, aux romans ou aux traités d’ascétique et de mystique chrétienne. 10 Ceux, par exemple, d’Antoine de Brunel ou de Mme d’Aulnoy. L’Espagne a toujours été un pays qui a vivement attiré les poètes européens; cela ne tient pas qu’à un moment précis de l’histoire, et même en plein fin de siècle se poursuivaient ces récits qui peuvent tant apporter à une histoire comparée des idées: Verhaeren et Darío de Regoyos publiaient en 1888 leur España Negra; vid. Paul GORCEIX, “L’image pathétique de l’Espagne à travers le récit de voyage España Negra d’Émile de Verhaeren et de Darío de Regoyos”, dans Europa en España, España en Europa, Simposio Internacional de Literatura Comparada, op. cit., p. 105-121 et Ángeles EZAMA GIL, “La España Negra de Verhaeren y Regoyos: mucho más que un libro de viaje”, dans Boletín de la Real Academia Española, année LXXVI, t. LXX, n CCL, p. 317-351.
  • 5. 5 et des bienséances, disait-on, elle avait remporté l’un des plus grands succès de l’histoire du théâtre. Son héros pouvait passer pour un amant un peu gauche, et sa héroïne devait souffrir qu’on la traite de fille impudique et de prostituée; n’empêche, une fois de plus le public avait tranché sur la question en saluant Le Cid comme une pièce hors pair. Cela nous montre à quel point le spectateur ne s’attardait pas sur les circonstances politiques et militaires du moment. Et Corneille lui-même, tout en acceptant de corriger quelques passages qui tenaient de l’esthétique en vigueur à l’époque, affirmait qu’il n’avait aucune crainte de la supposée connivence avec l’ennemi en mettant sur la scène le paradigme du héros pour les Espagnols. Outre ces attaques politiques, il devait en subir une autre plus grave encore, celle d’être traité de plagiaire. Il ne s’ensouciait guère; mieux, il n’avait douté le moins du monde au moment de dévoiler et le nom de l’auteur et celui de la pièce qui lui avait servi comme modèle. Il tenait même à le dire, conscient qu’il était –et voilà qui est important– que cette donnée n’allait pas nuire à l’acceptation de son œuvre: preuve que la littérature a des frontières autres que celles de la Bidassoa… À un autre niveau, c’est la preuve que les contacts dépendent en grande mesure de l’attitude favorable ou contrariante de la littérature ciblée: la française, en l’occurrence. Il serait long d’étendre notre étude sur la réception du théâtre espagnol en France au XVIIe siècle: Molière, Boisrobert, Scarron, D’Ouville, Quinault, Hardy, Rotrou… Tous ont accepté –à un moment ou à un autre, en petites ou en grandes doses– de s’adapter à la mode et aux goûts de la comedia espagnole; à ce propos, Roger Guichemerre a magnifiquement bien montré les effets positifs de revitalisation que celle-ci a produits sur la comédie française11. Partout apparaissaient des valets qui tombaient en promiscuité avec leurs maîtres, des filles intrigantes qui, à l’aide des astuces les plus incroyables, évitaient la surveillance de leurs pères, des quiproquos débouchant sur des reconnaissances inattendues… Telle était la conception du théâtre espagnol de l’époque, et telle devait être la réplique française des “comédies à l’espagnole”. Le tout, basé sur la conception que l’on se faisait à l’époque de l’homme espagnol: un personnage pointilleux à l’extrême, exagérément soucieux de son honneur, de sa pureté de sang, de son esprit chevaleresque. Aussi n’est-il pas rare de trouver cette image dans les pièces françaises de l’époque qui sont un témoignage sans pareil de l’imagerie culturelle à l’époque de Louis XIII ou du Roi Soleil. Mais ce qui a été dit pour le théâtre concerne aussi bien la nouvelle ou le roman. Depuis les livres de La Diana, en passant par les nouvelles de María de Zayas ou de Solórzano, jusqu’à aboutir sur le Gil Blas de Lesage qui reprend la tradition picaresque, l’apport de la production narrative espagnole a été sans interruption. Prenons un exemple, celui de Mme de Lafayette: quand cet auteur décide d’écrire un roman sentimental sur une belle femme musulmane, il a recours aux descriptions, qui circulaient abondantes alors, sur l’histoire de la péninsule Ibérique. Dans son Zaïde nous avons aussi la fidèle copie de la manière dont était conçue, en plein XVIIe siècle, la société espagnole. C’est un cas patent de l’image faite littérature, où le stéréotype12 joue le rôle de la simplification généralisatrice de l’imaginaire. Le moment arrivé où l’Espagne devient une communauté regardante –on a signalée plus haut que la réception se déroule habituellement de manière unilatérale–, il ne faudrait pas atteindre longtemps pour vérifier ce transvase dans l’autre direction. Dès le dernier tiers du XVIIe siècle, nous assistons à une floraison inouïe d’œuvres espagnoles qui prennent leurs modèles parmi les productions des lettres françaises. Il suffit de feuilleter les catalogues des traductions et adaptations des ouvrages français pour réaliser le prestige, croissant une année après l’autre, que représentait la 11 Vid. par exemple, La Comédie avant Molière, 1640-1660, Paris, Armand Colin, 1972 et La tragi-comédie, Paris, Presses Universitaires de France, 1981. 12 Pour une profondisation sur ce clichet si propre à l’image de l’Autre, vid. PAGEAUX, “De l’imagerie culturelle à l’imaginaire”, dans Précis de littérature comparée, op. cit., p. 139 et sq.
  • 6. 6 République des lettres françaises pour les Espagnols13. Plusieurs travaux ont été menés à bout dans ce domaine, et l’on peut souhaiter qu’il y ait d’autres qui viennent grossir les files des recherches sur les manifestations littéraires franco-espagnoles au XVIIIe siècle. Le rayonnement de la France régnait dans la plupart de l’Europe, et il est logique que les écrivains –d’habitude beaucoup plus ouverts que les mentalités politiques et populaires à tout genre d’innovations– aient été vite influencés par les nouveaux courants concernant, mettons pour cas, la poétique. Cándido María Trigueros, Cañizares et Jovellanos publiaient leurs pièces pétries dans le moule de L’Art Poétique de Boileau, Cadalso écrit ses Cartas marruecas à la façon des Lettres persanes de Montesquieu, et Moratín passe pour un écrivain qui a su assimiler ce nouveau goût importé des terres gauloises… Il est vrai, toutefois, que les “incursions” de la littérature française en Espagne devraient tôt ou tard se plier aux conditionnements historiques et politiques. Les airs de l’Illustration, la philosophie des lumières et les flèches qu’on décochait plus ou moins sournoisement contre la conception de l’État, devraient trouver une forte opposition dans une Espagne orthodoxe en matière de religion et absolutiste comme peu l’auront été. Ces appréciations atteignent leur plus haute valeur dans la période qui allait suivre et qui serait marquée par la mise en cause de l’ordre établi, la destitution des monarchies et l’exportation d’un nouveau modèle de société au monde entier. D’où que l’on puisse, à plus d’un titre, se poser la question sur la disparition des frontières pour les phénomènes littéraires. Pourtant, des études fort bien documentées ont montré que le passage des idées se faisait: des libraires avides de gain, des ambassadeurs qui échappaient au contrôle douannier, des voyageurs intrépides qui passaient subrepticement des livres interdits, tous ces personnages constituaient des réseaux plus efficaces que beaucoup de moyens de communication actuels14. Certes, le passage en nombre avait été coupé “a radice”, mais le contact était assuré. Des mouvements comme le romantisme se développant des deux côtés des Pyrénées, la période qui allait suivre n’attire pas moins notre attention. Ici les questions d’imagologie et de réception comparée ont un rôle très important à jouer: il faut ici avoir recours aux histoires littéraires et recueils de théâtre ou de romances qui furent alors publiés en France15. L’exotisme et la couleur locale qui exerçaient un grand attrait sur l’écrivain français du Grand Siècle, vont se renouveler presque deux cents ans plus tard. Nombreux sont les poètes romantiques qui se sentent attirés par cette Espagne qui, par son écartement progressif de l’Europe, acquiert jour après jour une identité qui éclatera avec ce qu’on a appelé la “génération de 98”16. Mais, comme l’a très judicieusement rappelé van Tieghem, l’imitation de l’âme espagnole répondait surtout “au besoin qu’avait le premier romantisme de chercher de nouvelles sources d’inspiration qui puissent lui permettre de montrer sa liberté et même d’en affirmer l’outrance. Les textes espagnols sont donc choisis très spécifiquement pour justifier la tendance romantique à l’excès passionnel”17; c’était donc aux auteurs français que 13 Vid. par exemple, Francisco LAFARGA, Las Traducciones españolas del teatro francés (1700-1835), Barcelona, Universidad de Barcelona, 1983-1988, 2 vol. 14 Sur ses rapports vid. par exemple, Paul MÉRIMÉE, L’Art dramatique en Espagne dans la première moitié du XVIIIe siècle, Toulouse, France-Ibérie Recherche, Université de Toulouse-le-Mirail, 1983. 15 Citons, par exemple, l’Histoire de la littérature espagnole de BOUTERWERK (traduite en français en 1812), dont cinq volumes sont consacrés au théâtre espagnol, la vaste collection des Chefs-d’œuvre des théâtres étrangers de LADVOCAT (1822- 1823), ou encore les Romances historiques, traduites de l’espagnol d’Abel HUGO (1822); vid. Paul van TIEGHEM, Les Influences étrangères sur la littérature française (1550-1880), Paris, Presses Universitaires de France, 1967, p. 206-209. 16 Jean-René AYMES en cite plusieurs; vid. “Doce viajeros románticos franceses ante la irreductible hispanidad idiomática”, dans Traducción y adaptación cultural: España-Francia, Oviedo, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Oviedo, 1991, p. 61-77. 17 Op. cit., p. 209-210.
  • 7. 7 revenait la tâche de “recevoir” –comme le montrent tant d’études sur la réception comparée– et de donner à leurs personnages une certaine armature morale propre de l’imaginaire espagnol, quelque chose de noble et d’austère, d’ardent et de sombre18. Victor Hugo sera l’une des figures françaises qui aient le plus apprécié l’âme espagnole: Hernani et Ruy Blas sont là pour le prouver, la belle Esméralda de Notre-Dame de Paris a l’allure d’une véritable gitane espagnole19, et La Légende des Siècles respire la plus pure atmosphère médiévale du Romancéro; des études sérieuses et détaillées faites sur les différentes sources où a bu ce génie du XIXe siècle sont un outil de premier ordre pour réaliser un approfondissement assez fructueux dans ce sens20. Mais non seulement Hugo, d’autres poètes comme Musset (Contes d’Espagne et d’Italie, 1830), Mérimée (Carmen, Les Âmes du Purgatoire, 1836) ou Gautier (Tra los montes, 1840, España, 1845), rendent volontiers la couleur et la psychologie locale de cette “sauvage contrée”21. Les années passant, nous rencontrons les poètes symbolistes. Si les nouvelles conceptions littéraires s’inspiraient des doctrines philosophiques et littéraires venues de l’Allemagne ou de l’Angleterre, elles ne paraissaient rien devoir à l’influence espagnole, à tout le moins en ce qui concerne l’esthétique et le nouveau statut de la parole. Passés le laps de la fin du siècle et les idées esthétiques du décadentisme et du naturalisme, le symbolisme allait trouver une réponse hispanique. L’on a étudié l’influence que sur certains auteurs espagnols –peuvent servir comme exemple Machado, Juan Ramón Jiménez ou Guillén–, a exercé l’école symboliste; il reste cependant à faire des études poussées et approfondies sur la réception du mouvement –et du Parnasse– en Espagne… et en Amérique. En effet, il faut déjà compter sur l’apport, de plus en plus relevant, de la production littéraire de l’Amérique hispanophone. Par rapport à ce mouvement, des auteurs comme Martí, Rubén Darío ou Amado Nervo, passent pour être des écrivains qui ont su le mieux accueillir ces doctrines et, il est vrai, les adapter à l’indigénisme et aux mentalités de leur continent. On pourrait prolonger à l’infini la liste des échanges entre nos deux pays; nous n’allons pas le faire22; il suffit de nommer la période de l’Avant-garde ou celle, si problématique, qui suit: une étape où les conditionements politiques se font à nouveau valoir. Pourtant nous sommes déjà en état d’affirmer que ceux-ci n’arriveront jamais jusqu’à l’étouffement des rapports littéraires: après tout ce qui précède il est clair qu’il n’existe pas de littérature se développant en vase clos; sans doute, entre autres, parce qu’il n’est pas évident de parvenir à s’épanouir de la sorte… 18 Vid. ibid., p. 213. 19 Le prof. LÓPEZ-JIMÉNEZ l’a montré tout recemment dans un colloque tenu à Madrid en avril 1992 sur Los Estudios de Filología Francesa en la Universidad Española. 20 Vid. par exemple, celle de Paul BERRET, Le Moyen Age dans La Légende des Siècles et les sources de Victor Hugo, Paris, Henry Paulin, s. d. L’auteur renvoie, notamment dans le chapitre consacré au Romancéro espagnol, aux publications que le poète a maniées au moment d’écrire son épopée. Il serait intéressant de mener une étude sur les conditions de production, de tradition et d’importation qui régnaient alors; pour un approfondissement sur ces conditions, vid. LAMBERT, op. cit., p. 55 et sq. 21 Vid. van TIEGHEM, op. cit., p. 209-211. 22 Sur ce sujet se révéleront fort utiles quelques publications récentes: Francisco LAFARGA, Imágenes de Francia en las letras hispánicas, Barcelona, Promociones y Publicaciones Universitarias, 1989; Mª Luisa DONAIRE et Francisco LAFARGA, Traducción y adaptación cultural: España-Francia, op. cit.; finalement, on ne saurait trop louer l’effort mené à bien par la publication périodique Investigación Franco-española, Servicio de Publicaciones de la Universidad de Córdoba.