Annie Ernaux Extérieurs. pptx. Exposition basée sur un livre .
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LA LITTÉRATURE COMPARÉE EN ESPAGNE
Bulletin de Littérature Générale et Comparée (Paris), 19 (1996), p. 39-47.
ISSN: 1260-7835.
C’est lors d’une toute récente conférence donnée par le Professeur del Prado que je me suis
posé la question; à savoir: les Espagnols, ont-ils vraiment la science comparatiste? Qui plus est: peut-
on dire qu’ils ont la conscience comparatiste? Repliés sur eux-mêmes à la suite des avatars de l’histoire,
comme le poisson qui se mord la queue, comme Narcisse se regardant dans l’eau, les universitaires
espagnols ont du mal, ils l’ont presque toujours eu –tout au moins pour une grande majorité–, à
s’ouvrir sur l’extérieur, conscients qu’ils étaient de leur suffisance et d’un certain préjugé des idées
venues de l’étranger.
Certes, les temps ont changé, notamment au cours du vingtième siècle et plus encore depuis
les années 70; tout a changé, cependant, pour demeurer comme auparavant. C’est, je m’en rends
parfaitement compte, un tableau noir que je dresse ici; je précise: un tableau où il y a beaucoup
d’ombres mais où ne manquent pas non plus quelques éclaircis et rayons de lumière que j’essaierai de
démontrer dans les pages qui suivent.
Les débuts de la littérature comparée en Espagne
Après les efforts des critiques du XIXe siècle –je ne peux m’attarder à les considérer ici1– il aura
fallu attendre le XXe siècle pour que l’Espagne prenne connaissance des premières études de littérature
comparée. Elles arrivaient, comme d’habitude, de ce côté-ci des Pyrénées: la discipline comparatiste
allait prendre les devants sous la direction de quelques figures célèbres de la critique littéraire française.
À ce propos, il faut signaler les études d’Alfred Morel-Fatio, de Guillaume Huszar, d’Ernest
Martinenche et de Raymond Foulché-Delbosc, tous de grands connaisseurs de la littérature et de la
mentalité espagnoles. Postérieurement à ces critiques, on ne peut ignorer les travaux de Van Tieghem.
Les apports de ce critique sont considérables, surtout si l’on tient compte de ses considérations sur
les études de synchronisme littéraire dans le domaine international.
Aidées par le développement de la littérature comparée, les études sur la littérature espagnole,
il est vrai, ont suivi leur chemin depuis lors. La critique française, à laquelle certaines études suisses
ont su leur emboîter le pas avec adresse, a contribué considérablement à rendre plus accessible la
littérature espagnole. Il faut remarquer toutefois que ces études appartiennent pour la plupart au
domaine de l’histoire de la littérature. Ceci est tout à leur honneur, et il fallait le faire, mais ce fait
éveille le besoin péremptoire d’autres approches comparatistes; le temps viendra, je l’espère, où nous
les aurons enfin sous les yeux.
En Espagne les travaux de critique littéraire, comme ceux de Castro, Maravall ou Domínguez
Ortiz, facilitent beaucoup la compréhension de la littérature espagnole et ses rapports avec d’autres
littératures. Grâce à eux, l’explication des textes littéraires et des circonstances historiques est devenue
une réalité. Sur le terrain de la littérature comparée, quelques critiques espagnols ont donné une
nouvelle impulsion aux études de la spécialité outre-Pyrénées. À ce propos, il faut mentionner –ne
serait-ce que dans les relations bilatérales hispano-françaises– les études extrêmement lucides de
Cioranescu. D’une étonnante capacité informative, Cioranescu a indiqué plus nettement qu’aucun
1 Vid. l’introduction à notre ouvrage L’Honneur au théâtre. La Conception de l’honneur dans le théâtre espagnol et
français au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1994.
2. 2
autre les véritables rapports d’intertextualité existant entre les littératures française et espagnole du
XVIIe siècle. Ses catalogues et ses analyses scientifiques échappent à toute approche superficielle, d’où
leur surprenante actualité. C’est d’ailleurs lui-même qui a publié le premier manuel de littérature
comparée2. Il en va de même pour Claudio Guillén, dont le beau livre suppose un pas de géant dans
les études hispanophones de littérature comparée3. Or, ne nous laissons pas tromper si facilement:
Le Roumain Alexandre Cioranescu, définitivement installé aux Îles Canaries, a apporté sa science
après un long parcours à travers l’Europe et notamment la France; quant à Guillén, c’est aux États-
Unis, il ne faut pas l’oublier, qu’il a puisé son érudition pour ensuite la déverser sur son pays natal.
Déboires administratifs
Mais il serait naïf de dire que l’on a parcouru une grande partie du chemin; il faut également
évoquer les problèmes que connaît aujourd’hui cette discipline dans la mentalité espagnole et, surtout,
dans l’engrenage administratif. Disons-le brièvement: en Europe, en Amérique et même en Asie
orientale, notre discipline connaît actuellement un essor et une reconnaissance sans précédent. Or, ce
n’est pas là le cas de l’Espagne; certes, il existe des efforts pour combler cette lacune; mais on regrette
l’absence d’une école qui tracerait quelques lignes à suivre dans les recherches de littérature comparée.
Contrairement à l’exemple d’autres pays qui comprennent cette discipline dans la liste de leurs
matières universitaires –France, Suisse, Canada, Autriche, Allemagne (Vergleichende
Literaturwissenschaft), Royaume-Uni et États-Unis (Comparative Literature), etc.–, les études de littérature
comparée ne paraissent se frayer un chemin authentiquement scientifique qu’au prix d’immenses
efforts. En effet, cette discipline paraît avoir une allure quelque peu timide au-delà des Pyrénées, loin
des efforts que connaissent d’autres pays –citons à titre d’exemple la Belgique, ou l’Italie, qui vient de
voir paraître trois revues de littérature comparée.
Ce n’est pas par un effet de désenchantement que je viens d’écrire ces derniers mots. J’ai
actuellement sous les yeux un livre daté de 1988 et issu de Conseil Espagnol des Universités dont le
titre est (je traduis): “Licence et Maîtrise en Théorie de la Littérature et Littérature Comparée.
Propositions, alternatives, observations et suggestions formulées au compte-rendu technique”. Les
propositions ont été effectuées par un grand nombre d’Universités espagnoles afin d’être tenues en
considération par le Ministère de l’Éducation Nationale. Une remarque s’impose avant tout: le fait
qu’en Espagne on ne conçoit la littérature comparée que comme une discipline ancillaire de la théorie
de la littérature: toutes les matières qui la concernent –prenons les exemples de “Principes de
littérature comparée”, de “Méthodologie du comparatisme littéraire”, ou celui encore de “La
Littérature espagnole en rapport avec d’autres littératures”–, ne sont acceptées que dans le domaine
administratif (Área de conocimiento) de la théorie littéraire (on sait bien ce que nos collègues allemands
diraient à ce propos: “Mais ce sont deux paires de chaussures différentes!”)4. Je connais bien ce
qu’Adrian Marino aurait à dire à ce propos; cependant il me semble qu’il faut bien distinguer dès le
début les compétences des uns et des autres, les intérêts scientifiques –je dis bien “scientifiques”–,
sans que cela impiète sur le principe même de la littérature comparée, principe fondé, comme on le
voit au fur et à mesure que les chercheurs prennent conscience de leur rôle, sur le travail en équipe
2 Principios de literatura comparada, Tenerife, Servicio de Publicaciones de la Universidad de la Laguna, 1964.
3 Entre lo uno y lo diverso. Introducción a la literatura comparada, Barcelona, Editorial Crítica, 1985. Les Estudios de literatura
española y comparada de María Rosa Lida de Malkiel, Buenos Aires, Editorial Universitaria de Buenos Aires, 1966, se tiennent
rigoureusement au titre: malgré les intéressantes approches ponctuelles, aucun apport n’est fait concernant la théorie et la
démarche de la littérature comparée.
4 D’après ce livre du Conseil des Universités, la “théorie de la littérature comparée” fait elle-même partie non pas de la
littérature comparée mais de la théorie de la littérature (cfr. p. 38).
3. 3
avec les théoriciens de la littérature, les spécialistes en d’autres littératures et même les linguistes. Je
comprends bien que la littérature comparée n’est pas une discipline autonome, mais elle n’est pas non
plus ancillaire: je la vois plutôt comme une discipline indispensable –“un complément indispensable”
me disait en juin 1993 mon ami Daniel-Henri Pageaux– pour la compréhension de la littérature elle-
même, de la littérature universelle et des littératures nationales.
Après cette brève digression sur le caractère co-adjuvant de notre discipline, je reprends le fil
des démarches auprès des instances administratives. Quelle a été la suite de ces propositions,
alternatives, observations et suggestions formulées au compte-rendu technique en vue d’une
éventuelle mise en place de la “Licence et Maîtrise en Théorie de la Littérature et Littérature
Comparée”? Le Bulletin Officiel de l’État espagnol, dans son numéro 278 (p. 34391) publiait les
“Lignes directrices générales des plans d’études pour l’obtention du titre officiel de Maîtrise en théorie
de la littérature et littérature comparée”. Il y est signalé que ces enseignements sont seulement admis
en deuxième cycle et avec une durée de deux ans. Je passe outre le nombre des crédits exigés pour
chacune des matières (celui de l’ensemble ne peut être inférieur à 120) afin d’attirer l’attention sur les
matières obligatoires prévues: “Anthropologie culturelle”, “Critique littéraire”, “Littératures
comparées”, “Principes et méthodes de littérature comparée”, “Théorie du langage littéraire” et
“Théorie et structure des genres littéraires”. Il n’est pas superfétatoire de remarquer que toutes ces
matières –à l’exception de l’anthropologie culturelle– sont comprises dans le domaine plus haut cité
de la théorie de la littérature. Voici donc le cadre administratif des études de littérature comparée en
Espagne; c’est à lui qu’il faut toujours s’adresser comme point de repère. Effectivement, le 28 janvier
1993 a été rendu public le premier plan d’études de “Maîtrise en théorie de la littérature et littérature
comparée”; je fais référence à celui de l’Université Autonome de Barcelone (vid. Bulletin Officiel de
l’État espagnol numéro 24, p. 2376). Outre les matières propres à l’anthropologie, à la théorie de la
littérature et à la critique littéraire, ce plan contemple, parmi ses matières obligatoires, un total de 40
crédits consacrés exclusivement à des sujets comparatistes: les contenus de ces matières comprennent
l’étude et l’analyse de thèmes et de textes littéraires, le comparatisme comme théorie et comme
pratique, histoire de la discipline, principales méthodes d’analyse comparée de textes littéraires, etc.
On peut encore souligner que l’on inclut –disons-le clairement: pour des raisons d’ordre strictement
politique– la possibilité d’obtenir certains de ces crédits par le biais des études de traduction et
d’interprétation; études qui connaissent actuellement un essor important en Espagne.
Lueurs d’espoir
C’est en 1978 que vit le jour le premier numéro de la revue 1616 –titre spécialement relevant
pour le monde hispanique car il signale le décès de Cervantès–, organe de publication de la Sociedad
Española de Literatura General y Comparada5. Le dit numéro publiait les Actes du Ier Colloque de
Littérature Comparée dont les séances eurent eu lieu à Madrid du 3 au 4 mai 1974. Lors de la
présentation de ces Actes, Francisco López Estrada soulignait déjà les handicaps de notre discipline
outre-Pyrénées: “[Cette] réunion a été la première célébrée en Espagne (…) où les études de littérature
comparée n’ont pas encore trouvé leur endroit spécifique pour la diffusion et le développement dans
les milieux universitaires”6. Il ne faisait que reprendre très judicieusement les paroles adressées par
Marcel Bataillon lors de son discours d’inauguration: face aux chaires de Littérature Comparée,
5 L’adresse est Secretaría de la SELGYC, Paseo de la Castellana, 198, 28046 Madrid. Le “conseil de publications” est
présidé par M. Carlos García Gual avec la collaboration de Claudio Guillén, Margarita Smerdou Altolaguirre, Carlos Alvar,
Milagros Arizmendi, María Hernández et Mercedes Rolland.
6 1616, I, 1978, p. 9.
4. 4
Comparative Literature, Vergleichende Literatur, ce dernier critique avouait ne pas être surpris par
l’absence de chaires correspondantes en Espagne: dès 1920, lors de ses entretiens avec Américo
Castro: l’hispaniste français avait remarqué chez ce dernier l’indignation face à un refus administratif
qui –en dépit du souhait maintes fois exprimé par les universitaires espagnols– considérait cette tâche
comme superflue et propre seulement des académies de langues (cfr. ibid., p. 12-13). De son côté,
Menéndez Pelayo, conscient de ce rejet institutionnel, proposait la scission de l’histoire de la
littérature espagnole en quatre chaires bien distinctes: une de “nationalité” hispano-latine, une autre
de littérature hispano-sémite, une autre encore de littérature catalane, une dernière, enfin, de
littérature galaïco-portugaise; ces propositions ne virent pas le jour mais aidèrent considérablement à
faire que les philologues espagnols firent de la littérature comparée sans le savoir…
Je rédige cet article en mai 1994, vingt ans après ce premier colloque espagnol de littérature
comparée; que s’est-il passé depuis cet effort mené par la Société Espagnole de Littérature Générale
et Comparée? Le dernier numéro de 1616 date de 1992 (il s’agit du numéro VIII spécifiquement
centré, outre les conférences de l’insigne érudit Alexandre Cioranescu et de Francisco Ynduráin, sur
deux versants très précis: philosophie et littérature et cinéma et littérature). Je serais trop dur si je
disais qu’on a presque rien fait; pourtant les faits sont là et les chiffres m’amènent à faire un simple
calcul: la fréquence de la revue est d’un numéro tous les deux ans et demi; un espace de temps, me
semble-t-il, trop étendu entre la parution de ces numéros, un espace de temps qui dénote une
démarche par trop languissante.
Laissons toutefois une voie ouverte à l’espoir: d’autres tentatives ont réussi malgré les
difficultés; citons quelques exemples: tout d’abord le symposium tenu à l’Université de Navarre en
1989, sous la présidence de Enrique Banús et de Hugo Dyserinck portant sur L’Europe et l’Espagne.
L’Espagne en Europe (publié aux PPU de Barcelone en 1990), colloque auquel ont participé d’insignes
universitaires espagnols (Francisco Lafarga, Francisco Ynduráin), italiens (Enzo Caramaschi), français
(Daniel-Henri Pageaux, Paul Gorceix, Jacqueline Izquierdo-Hombrecher) et allemands (Hans Felten,
Dietrich Briesemeister). Ensuite, je ne saurais ne pas nommer le colloque de littérature comparée
ayant pour titre La France au carrefour de l’Europe, tenu à l’Université Complutense de Madrid du 11 au
15 avril 1993 sous la direction de M. Javier del Prado et le patronage de l’Ambassade de France et la
Casa de Velázquez. Les séances de ce dernier colloque, très bien organisé d’ailleurs, ont compté avec
la participation –cela s’imposait– de certains collègues français que je nomme dans l’ordre de
participation: Yves Chevrel (pour la séance consacrée à la réception des littératures étrangères), Pierre
Brunel et Daniel-Henri Pageaux (séances consacrées à la mythocritique, à la thématologie et à
l’imagologie), Georges Molinié et Marc-Mathieu Münch (séances de poétique comparée) et,
finalement, Francis Vanoye et Camille Dumoulié (séance que je qualifierais de “syncrétique”, sous le
titre “Les Frontières du littéraire”: on y a mis le cinéma côte-à-côte avec la philosophie)7.
Puis, il faut faire appel aux UFR des langues étrangères8: on y voit l’intérêt qu’ils prennent à la
littérature comparée: de leur côté, les universitaires italianistes, dans leur Ve congrès (publié par les
soins de l’Université d’Oviedo en 1990) ont fait quelques études concernant les contrastes, par
exemple, entre la littérature fasciste en Espagne et en Italie; les universitaires germanistes, dans leurs
revues (par exemple, La Revista Alemana de l’année 1993, contient des approfondissements sur l’axe
Nord / Sud dans les récits de voyage allemands; les universitaires anglicistes développent les études
de réception des romans espagnols –tel Dom Quichotte– dans la littérature romantique de la Grande-
7 Les Actes de ce colloque paraîtront dans le numéro de printemps 1995 de la Revista de Filología Francesa, dont voici
l’adresse: Departamento de Francés, Universidad Complutense de Madrid, 28040 Madrid.
8 Nous tenons à remercier la collaboration de Mlle María-José Risquez dans l’élaboration de ces lignes.
5. 5
Bretagne; les universitaires “francisistes” ont tendance à creuser dans les rapports entre la floraison
des cultures espagnoles et françaises spécialement aux XVIIe et XIXe siècles…
Évidemment, cet espoir auquel je fais allusion nous est également offert par la Société
Espagnole de Littérature Générale et Comparée laquelle n’a cessé de convoquer ses membres à des
colloques périodiques qui se sont tenus dans de diverses villes de l’Espagne; grâce aux soins des
membres du conseil de direction –notamment M. García Gual, et Mmes Smerdou et Rolland–, grâce
aussi à la collaboration de certaines institutions publiques et privées, les Actes de ces colloques ont
vu le jour, comme par exemple ceux du VIe symposium, tenu à Grenade il y a une dizaine d’années
et dont les Actes sont parus aux presses de ladite Université en 1989 sous la direction de Juan Paredes
Núñez et d’Andrés Soria Olmedo. En l’occurrence on a accordé une importance toute spéciale aux
rapports entre l’Orient et l’Europe, à l’esprit de la Modernité et, encore une fois, à la traduction et à
l’historie littéraire. Ces symposia (puisqu’on a opté pour ce nom), ont lieu tous les deux ans. En
novembre 1992 j’ai pu assister à celui de Saragosse dont les thèmes, parmi d’autres, étaient la parodie
et la femme; en octobre 1994 (quelques mois avant, par conséquent, la parution de ce numéro du
Bulletin de Liaison et d’Information), aura eu lieu à Saint-Jacques de Compostelle, sous la coordination de
M. Darío Villanueva, le Xe symposium de ladite société. Il est centré cette fois sur trois domaines bien
distincts: littérature et multilinguisme, le paysage dans la littérature et, finalement, la littérature et le
jeu. Outre les quatre-vingt quatre communications prévues, les séances et conférences plénières
seront prises en charge par Jean-Pierre Étienvre, Gerard Gillespie et Mihai Spariosu. Je tiens à
souligner ici une donnée fondamentale: ayant tenu à me renseigner auprès du Directeur du
symposium, j’ai appris à ce jour que pas moins de cinq cents universitaires et étudiants s’y sont déjà
inscrits; c’est dire, malgré tout, la prégnance d’une discipline qui a du mal à se frayer un passage à
travers les structures (me sera-t-il permis de dire “sclérosées”) de l’Administration ou des intérêts
particuliers des uns et des autres.
Ce n’est pas que les examens des critiques espagnols deviennent stériles, mais ces exemples
ponctuels ne peuvent que nous faire prendre conscience du travail qui nous reste à faire. Ce manque
est d’autant plus important qu’est criant le besoin ressenti par l’Université espagnole de compter sur
une discipline qui répondrait avec tant de succès à l’historique passage de l’intégration plénière de
l’Espagne en Europe. En conséquence, la Société Espagnole de Littérature Générale et Comparée
n’a pu faire encore ses premiers pas décisifs. Le contraste avec la réalité littéraire est net, voire
disproportionné, si l’on pense à l’élan que connaissent aujourd’hui d’autres institutions et associations
attachées à l’étude de la littérature espagnole dans le monde entier. En attendant surtout la formation
progressive de noyaux qui permettent d’orienter avec succès et rigueur scientifique les études de
littérature comparée, on est nécessairement voué à recourir aux apports de la critique traditionnelle –
ce qui est parfois beaucoup plus enrichissant qu’on ne le croit. Loin de nous décourager, nous devons,
nous, les Espagnols, épaulés par nos collègues étrangers –mais je fais ici un appel précis à mes chers
collègues français–, faire avancer les études précédentes tout en essayant de rendre plus aisés la
compréhension d’une discipline littéraire et le chemin vers une démarche comparative qui aurait tout
à apprendre.
Appendice
Après ce qu’on vient de souligner, il m’est tout à fait difficile de signaler les lignes directrices
de thèses et de recherches et littérature comparée en Espagne: on vient de constater qu’il n’y en a pas.
Il est vrai que les universitaires approfondissent des questions fondamentales sur la théorie de la
littérature comparée, et il en est de même en ce qui concerne les études de traduction (théorie y
comprise) et de médiation. Pourtant, étant donné l’absence des programmes d’agrégation, étant
6. 6
donné aussi le manque d’un bulletin périodique de liaison et d’information, il faut avoir un peu de
patience. Certes, la science comparatiste est plutôt absente à cause des structures administratives et
universitaires, nous l’avons vu; en revanche, on décèle, à travers tous ces barrages et tous ces
inconvénients, une conscience comparatiste qui veut à se frayer un chemin à n’importe quel prix. Le
jour viendra où l’Espagne et les universitaires espagnols, épaulés par leurs collègues étrangers, feront,
j’en suis persuadé, l’assemblage idéal de science et de conscience comparatistes.