“Principes méthodologiques pour les bibliographies comparées”, La Littérature comparée à l’heure actuelle. Théories et réalisations. Contributions choisies du Congrès de l’Association Internationale de Littérature Comparée, Steven Tötösy de Zepetnek & Milan V. Dimić (eds.), and Irene Sywenky, París, Honoré Champion, 1999, pp. 141-151. ISBN: 978-2852036055.
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PRINCIPES MÉTHODOLOGIQUES POUR LES BIBLIOGRAPHIES COMPARÉES
La Littérature comparée à l’heure actuelle. Théories et réalisations
Actes du Congrès de l’Association Internationale de Littérature Comparée
(Edmonton, 1994). Steven Tötösy de Zepetnek, Milan V. Dimić & Irene Sywenky (eds.),
Paris: Honoré Champion, 1999, p. 141-151.
ISBN: 978-2852036055.
Bibliographie et comparatisme
Introduction
Si le fait d’établir la bibliographie d’une littérature est un travail ardu et digne d’admiration,
celui d’oser la réalisation d’une bibliographie comparée est une entreprise aussi originale que
prétentieuse. Les épithètes qui ont été attribuées à notre tentative n’ont pu, néanmoins, nous
dissuader d’en entreprendre l’exécution. Beaucoup de chercheurs clameront au ciel en invectivant
une si grande audace, mais il y a peut-être quelques collègues qui comprendront cette hasardeuse
prospection; nous présentons nos excuses aux premiers et notre plus sincère reconnaissance aux
derniers.
Conscients d’une petite partie seulement des multiples reproches dont ce sujet fera l’objet,
nous voulons avec ces lignes faire connaître les principes méthodologiques qui ont guidé un travail
commencé maintenant il y a huit ans. Parmi ces principes, quelques-uns méritent une spéciale estime
parce qu’ils font partie du legs d’insignes érudits; d’autres attireront sans doute la réprobation de
quelques personnes. Néanmoins nous pensons qu’un procès intellectuel de sédimentation au cours
de nouvelles recherches pourra contribuer à l’élaboration de bibliographies comparées postérieures.
Les grandes bibliographies, aussi bien les générales que les spécialisées, rendent compte –mais
seulement d’une manière progressive– des phénomènes de réception qui s’objectivent dans quelques
œuvres littéraires. Il arrive parfois d’offrir des références secondaires (éditions postérieures, préfaces,
cotes dans les principales bibliothèques) aux renseignements principaux (auteur, titre, date, tome,
pagination…). Ce n’est que très ponctuellement qu’on signale des phénomènes d’influence ou de
réception tels que traductions, imitations, adaptations et emprunts. Notre désir est, entre autres, de
remplir cette lacune qui se faisait sentir depuis longtemps et qui peut contribuer en grande mesure,
nous semble-t-il, à l’histoire de la littérature. Cependant, il ne faut pas penser qu’avec ceci nous
prétendions uniquement remplir un vide dans les relations internationales: de nos jours personne ne
met en doute que les études comparées entre deux ou plusieurs littératures nationales sont un chapitre
indispensable dans celles-ci.
Objectifs des bibliographies comparées
Le premier objectif d’une bibliographie doit être surtout celui de fournir à son usager une base
initiale qui lui révèle tout ce qui a été écrit auparavant sur le sujet de son intérêt; c’est sans doute une
intention assez louable qui lui évitera d’inutiles démarches. Autrement dit et avec des mots de
Lalmette, toute bibliographie doit permettre au lecteur de réunir sur un point donné les éléments
épars qui le concernent dans la production intellectuelle. Elle seule fournit la possibilité de répondre
aux inévitables questions qui obsèdent, dès l’abord, quiconque s’attelle à un labeur historique: qu’a
écrit tel auteur? qu’a-t-on écrit à son sujet?
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Ce point ne manque absolument pas d’intérêt; et cela à double titre. D’une part, il faut souligner
que de la précision de l’objectif dépend une chose aussi importante que la délimitation du corpus
bibliographique. Dans ce sens, le matériel peut aussi bien renfermer n’importe quel type de
manifestation scripturale que se limiter à un champ défini. Pour ce qui est du ressort du domaine
strictement littéraire, il est nécessaire de préciser le sens du terme “œuvre littéraire”. Dans un sens
plus étendu, nous rappelle Arbour, il désigne un texte écrit selon les critères d’ordre esthétique
appliqués à la structure du texte ou à l’écriture elle-même (1977: IX). D’autre part, il convient de
remarquer une malheureuse expérience maintes fois constatée: la répétition du traitement identique
d’un même sujet par des critiques différents dans des pays différents –ce qui est plus grave encore
lorsque la redondance a lieu dans le même pays et dans la même langue!; c’est le résultat, hélas trop
souvent éprouvé par ces chercheurs, même en ces temps-ci où les moyens de communication dont
disposent les universitaires sont suffisamment développés pour éviter un tel gâchis des ressources
humaines et matérielles qu’on pourrait orienter vers d’autres horizons non encore explorés. Une
bibliographie comparée efficace serait celle qui éviterait cette perte d’énergie et qui, établissant tout
ce qui a été fait dans la matière précise, éveille de nouveaux champs de recherche.
Comparatisme et jugements de valeur
Dans le comparatisme bibliographique il convient d’avancer une autre ligne directrice. Aucune
bibliographie ne saurait que faire des jugements de valeur. Les conséquences de ce principe
méthodologique sont doubles. D’un côté, il faut dire que les jugements de valeur sont pour la plupart
susceptibles d’une juste méfiance scientifique: si ceci est vrai pour n’importe quel répertoire, il doit
être spécialement appliqué à une bibliographie comparée. La compréhension de l’autre, la mise en
valeur de ses qualités, la reconnaissance de nos défauts et l’enrichissement mutuel sont le véritable
résultat d’une authentique littérature comparée et, par voie de conséquence, d’une bibliographie à
teneur comparatiste (Losada, 1994, passim). La littérature comparée n’a que faire des mises en exergue
ou en ridicule, des intimidations, somme toute, par suite d’une méprise sur le sens exact du mot
“influence”; bref, la littérature comparée, si elle veut être authentiquement scientifique et
universitaire, ne connaît point les “rapports de forces” dans leur sens traditionnel. Certes, ils ont
existé, mais il n’ont fait que fourvoyer les chercheurs dans leur investigation: la force existe, de même
que le rapport entre deux littératures ou plus, mais l’on ne fait pas de littérature comparée objective
et valable dès qu’on l’utilise pour imposer telle ou telle soi-disant suprématie. Nous tenons donc à
dire que nos démarches ont tâché, à chaque instant, d’adopter une neutralité qui garantisse le sérieux
de nos investigations. Il faut cependant rappeler qu’il est possible que la passion réclame ses prétendus
droits –de même qu’on ne passe pas impunément les Fourches Caudines, on n’est pas indistinctement
né dans tel ou tel pays: le bibliographe comparatiste saura gré à ses lecteurs lorsqu’ils constateront
certains chauvinismes ou provincialismes qui ne soient pas délibérés.
Le rejet de ce parti pris par rapport aux jugements de valeur suppose, nous ne le savons que
trop, des réticences de la part de certains chercheurs, mais il nous semble qu’on doit toujours tenir
compte des conditionnements culturels et historiques; ce sont ceux-ci qui expliquent les succès et les
échecs d’un ouvrage tout au long de l’histoire littéraire, mais les coupes synchroniques doivent aussi
être respectées: sans elles, on n’entrerait pas sans grande peine dans les moments privilégiés que l’on
a choisis comme objets de recherche.
La deuxième conséquence de ce principe méthodologique n’atteint pas les rapports de force
en tant qu’évaluation de la supériorité d’une littérature par rapport à une autre dans une époque
précise mais à la prétendue supériorité d’un auteur ou d’un ouvrage d’un pays sur un autre et,
finalement, le dédain de certains auteurs à l’intérieur d’une même littérature. Une étude approfondie
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n’aurait aucune peine à démontrer que ces prétendues supériorités d’un auteur quelconque sur un
auteur d’une autre littérature découlent assez souvent des préjugés que nous avons soulignés: on
soutient que “tel” auteur du pays émetteur dépasse en originalité ou en profondeur “tel” auteur du
pays récepteur parce qu’en dernier ressort on veut appuyer un préjugé absolutiste.
Il n’en va pas de même pour ce qui est du dédain de certains auteurs à l’intérieur d’une même
littérature. L’histoire de la littérature prouve qu’il y en eut toujours qui connurent un grand succès
parmi leurs contemporains mais qui furent aussitôt oubliés; il y en eut aussi qui, ne jouissant pas de
l’éclat du succès à leur époque, furent réhabilités par la suite. Or, ce n’est pas là le point qui représente
un véritable intérêt dans une bibliographie comparée. S’il est vrai que l’on doit tenir compte de l’aspect
diachronique, les coupures synchroniques faites successivement tout au long d’une période nous
montrent aussi bien le rôle que tel ou tel auteur, aujourd’hui méconnu, a pu jouer lors de l’élaboration
d’un ouvrage que notre culture contemporaine peut juger comme un chef-d’œuvre. C’est le cas des
salons, des cabales, des gazettes et de l’ascendance des pouvoirs politiques et religieux en place; c’est
aussi le cas des registres –pensons aux registres des recettes des représentations théâtrales; c’est encore
le cas des catalogues de libraires, des ventes aux enchères, des répertoires d’époque, de tous les
éléments, somme toute, qui ont contribué peu ou prou aussi bien dans la naissance d’un ouvrage qui
a fait date que dans l’oubli d’un autre qui pourtant aurait pu être, mettons pour cas, considéré comme
un chef-d’œuvre aujourd’hui s’il n’avait pas été perdu à la suite de la déchéance où il est tombé après
sa parution.
Comparatisme et périodisation
Les études sur la périodisation ont connu dans la critique littéraire contemporaine une optique
complètement différente de celle qu’on leur avait accordée à d’autres époques. Ainsi, nombreux sont
les auteurs qui ont contesté les périodisations fondées sur des critères propres à l’historiographie. La
classification séculaire n’est pas rare, loin de là; de nombreuses bibliographies ont, par égard à la
tradition, choisi cette division propre de ce que d’autres ont dénommé l’histoire événementielle.
Néanmoins, nous pouvons faire une petite incise qui fasse ressortir l’un des problèmes de ce
rapprochement; mettons, par exemple, l’existence d’auteurs à cheval sur deux siècles qui, comme
Anatole France (1844-1924), se trouvent défavorisés face à un tel traitement.
Le critère du simple événement historique rejeté, on peut alors découler vers d’autres critères
strictement littéraires. Parmi ceux-ci, l’un des plus commodes est, sans doute, celui de prendre une
œuvre cruciale comme point de départ. Les avantages sont, de toute évidence, patents: la tendance à
la mnémotechnie et la capacité vulgarisatrice de ce genre de démarcations. Cependant on peut
objecter qu’une époque littéraire ne se définit pas seulement par ses œuvres majeures; d’autres facteurs
interviennent tels que le nombre d’œuvres, la variété de sujets, l’évolution du goût, les incidences du
réel, la prolifération des formes, la réception des littératures étrangères… et même les œuvres
mineures: “It will not do to underestimate the «dominated» style, any more than a true critic will
neglect a minor poem” (Guillén, 1971: 428).
Toute une série de notions fondamentales, qu’il faut utiliser avec la rigueur convenable si l’on
ne veut pas entrer dans une ambiguïté contre-indiquée, peuvent être litigieuses. “Époque” et “style
d’époque”, “génération”, “école”, “courant”, “mouvement” et “période” ne sont, en aucune façon,
des termes synonymes.
Il faut rappeler malgré tout que les critères ne sont pas toujours aussi définitifs qu’on le
souhaiterait; nous ajoutons volontiers, avec Rousset lui-même, qu’“en histoire de l’art comme en
histoire littéraire, c’est la diversité des tendances qui frappe autant que les similitudes, et les résistances
au Baroque [mais d’autres exemples seraient également valables en l’occurrence] presque autant que
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les consentements” (1962: 173). Il est parfaitement possible d’opter pour une tendance et de constater
postérieurement que cette inflexion ne présente pas un environnement nettement défini. En effet,
toutes les périodes littéraires –conséquence directe de la même essence humaine qui les informe– se
caractérisent par leur résistance au moule dans lequel on voudrait les fixer. Le résultat généralement
veut que l’on admette les limitations de toute définition humaine et que l’on explique, le mieux
possible, les raisons que conseillent l’une ou l’autre attitude.
L’établissement comparé des matériaux
Si dans toute bibliographie spécialisée mais individuelle ou unilatérale la disposition des
matériaux suppose des problèmes d’une certaine ampleur, lorsqu’il s’agit d’une bibliographie
comparée on peut imaginer tous les problèmes que peut poser l’établissement des multiples
matériaux.
En ce qui concerne l’historiographie, personne ne doute de ce que l’histoire est, par définition,
diachronique; c’est pourquoi les répertoires bibliographiques qui préfèrent établir leur listes de façon
progressive sont abondants. Le motif est évident: le développement rétrospectif tout au long des
années permet sans doute d’évaluer facilement et simultanément, selon des groupes chronologiques
plus ou moins proches, la totalité des œuvres et leur degré de diffusion. Qui plus est: il arrivera un
jour où nous serons témoins d’authentiques travaux statistiques, fondés sur des chiffres et des
graphiques, qui rendront encore plus évidente cette évolution de la littérature.
D’un autre côté, ce modèle d’indexation est particulièrement utile dans un rapprochement
synchronique de la littérature comparée. Les coupures synchroniques peuvent présenter, et en fait
elles présentent, un grand intérêt dans un même système culturel. Nous serions alors en train d’étudier
le “présent de la culture” (Jakobson), c’est-à-dire, ce que chaque époque produit, importe ou élimine
des œuvres étrangères. Les “biopsies” transversales ne manquent pas non plus; elles nous permettent
d’étudier la tendance respective d’un certain groupe de littératures selon les écoles et les mouvements;
l’œuvre dirigée par Brion-Guerry sur l’année 1913 nous vient maintenant à l’esprit; mais on peut
penser aussi bien à d’autres dates non moins importantes: 1616, 1637, 1715, 1857, 1936, etc. Pourtant
il faut dire que ce genre de “biopsies” doit être réalisé avec rigueur et ne peut être exercé sur n’importe
quel objet ou centre d’intérêt: lorsqu’on ne respecte un minimum de critères vraiment scientifiques,
ces études se réduisent excessivement et risquent de perdre de vue le but pour lequel elles ont été
conçues.
Il nous semble pertinent de faire une courte digression concernant une méthode spécifique
selon laquelle le bibliographe préférerait disposer les matériaux d’une période choisie par ordre
diachronique progressive. On trouve assez souvent des bibliographies ayant opté pour cette
possibilité. Aussi respectable que toute autre, elle ne nous semble cependant pas idéale pour une
bibliographie comparée. S’il est vrai qu’elle offre la possibilité de montrer l’empreinte laissée par une
littérature étrangère tout au long d’une année, cette méthode ne saurait rendre dûment compte des
traces laissées par un auteur ou une œuvre précis tout au long d’une période. Outre que la méthode
annuelle n’aide pas beaucoup à avoir une vue d’ensemble des rapports en question, le bibliographe a
toujours la possibilité d’aborder, dans son introduction ou sous forme d’appendice, une brève étude
où est rendu compte du bilan –même sous forme de graphique statistique– de l’importance des
relations internationales.
Une autre question qui vient à l’esprit du bibliographe est celle de savoir comment disposer les
matériaux selon certains critères. Ceux-ci doivent être, à notre avis, considérés selon une échelle de
valeurs où la première échelon est celle de se présenter comme un document de travail éminemment
fonctionnel: il faut absolument aider le lecteur, lui faciliter la tâche en sorte qu’il parvienne presque
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immédiatement à la notice qu’il cherche. Il va de soit que la meilleure méthode pour y parvenir est de
disposer les rubriques par ordre alphabétique; mais il revient au bibliographe de choisir l’emplacement
des auteurs et des œuvres respectives. Nous ne descendrons point jusqu’au détail de lui signaler qu’il
convient, si le format le permet, d’utiliser plutôt un cadre vertical qu’un autre horizontal, par colonnes
ou par paragraphes: mais il convient que l’établissement soit clair et simple: ce n’est que dans des
rubriques supplémentaires qu’il conviendra par la suite d’entrer dans les menus détails.
Un autre problème est celui des éditions des œuvres séparées et des œuvres diverses et même
des œuvres complètes. Leur importance n’est pas égale pour le comparatiste. Une pièce de théâtre,
mettons pour cas, qui a été représentée pendant deux ou trois saisons est enfin publiée. Si nous ne
connaissons pas le nombre de représentations dont elle a été l’objet ou la recette qu’elle a eue lors
des successives représentations, le fait d’être publiée séparément au lieu d’être insérée dans un volume
regroupant plusieurs pièces d’un ou de plusieurs auteurs est un signe évident du succès que le public
a réservé à la pièce en question. D’ailleurs on évite ainsi un problème: le recensement de certains
ouvrages –romans, pièces ou poésies– dans des recueils d’œuvres complètes a conduit à des erreurs
simplement parce que trop souvent manquent les points de repère qui nous renseignent sur le succès
réel de tel ou tel ouvrage plutôt que d’un autre inséré dans le même recueil.
Pour une bibliographie de la littérature franco-espagnole du XVIIe
siècle
Objectif de cette bibliographie
Compte tenu de ce principe classificateur, nous pouvons donc passer à la délimitation précise
du but de notre bibliographie: celui d’établir l’influence, positivement quantifiable, de la littérature
espagnole jusqu’au XVIIIe siècle sur la littérature française du XVIIe siècle.
On pourrait nous rétorquer, non sans raison, que le titre de notre bibliographie “franco-
espagnole” ne regroupe donc pas tout le spectre qu’il annonce. En effet, il manque le travail dans le
sens inverse, c’est-à-dire, l’influence de la littérature française sur la littérature espagnole au XVIIe
siècle. Certes notre bibliographie ne sera complète que lorsqu’elle tentera de constater les présences
des relations bilatérales. La littérature comparée exige pour le moins un effort pour l’établissement
des imbrications réciproques existantes entre deux ou plusieurs littératures. En raison des études que
nous avons réalisées, notre point de départ a été la façon dont la littérature espagnole a été reçue en
France pendant la période concernée. Le défi que supposait la difficulté de la tâche, l’immense
appareil bibliographique dont nous disposions, et surtout la conviction que le moment était venu de
dresser le bilan d’un siècle et demi de recherches sur ce thème nous ont persuadé de mener ce travail
à terme.
Il est vrai que la présence de la littérature française dans la littérature espagnole est nettement
inférieure, notamment avant les dernières décennies du XVIIe siècle –les temps viendraient où la
floraison de la culture française serait abondante en Espagne: et nous souhaitons beaucoup voir le
jour où nous aurons sous les yeux des bibliographes semblables concernant les siècles postérieurs et
même antérieurs! Ce premier travail fait le constat du mouvement exercé dans un sens; nous laissons
pour d’autres l’étude du flux existant dans le sens inverse: une influence qui a sans doute existé –pour
certains travaux centrés dans ce domaine, on voudra bien se reporter au troisième appendice de notre
bibliographie (1996).
Selon le principe que nous avons cité plus haut, il est évident qu’il ne s’agit ici que de littérature
au sens strict du terme; la conséquence est que nous avons écarté consciemment et délibérément un
grand nombre de texte sans intérêt pour nous: plus précisément les sciences empiriques et les sciences
non centrées dans la valeur esthétique de l’écriture. Bien qu’il n’y ait aucun doute sur la juste exclusion
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des premières, néanmoins il est convenable d’expliquer pourquoi dans cette étude nous ne tenons
pas en considération les secondes.
Dans notre cas précis, l’option obéit à la logique du devenir historique de la littérature. En
effet, au XVIIe siècle, par suite de l’énorme production et de la nouvelle mentalité esthétique, les belles-
lettres se définissent sans l’ambiguïté des siècles précédents. Cette modification à tendance
quantitative et qualitative est suffisamment notoire pour pouvoir individualiser, sans crainte de nous
tromper, les œuvres dont le message est primordialement littéraire. Si le lecteur accepte –comme nous
l’y invitons à présent– ce point de départ, il se sentira alors plus incliné à comprendre que nous
n’ayons pas inclus des œuvres didactiques (travaux d’histoire, de géographie ou de pédagogie
linguistique) ni théologiques (traités d’ascétique, de mystique ou de morale). Une telle option
méthodologique ne suppose, en aucune sorte, une discrimination envers une partie aussi importante
de la Littérature (avec un grand L) mais un pis-aller en faveur d’une rapide exécution de ce premier
travail: dans l’obligation de choisir, nous pensons qu’il est licite de réserver pour une étude ultérieure
les écrits dont le but premier, qui n’échappera à aucun chercheur impartial, n’est pas simplement
esthétique. Nous faisons donc appel –et offrons volontiers notre collaboration– à ceux qui voudraient
entreprendre cette autre entreprise comparatiste qui cache des secrets insoupçonnés.
Nous n’avons admis qu’une exception: les sciences de l’esprit qui représentent une place
prépondérante dans la production humaniste et qui, au cours des années, se sont montrées très
fructueuses dans le domaine littéraire grâce à un échange de type transversal. Nous faisons allusion
aux traités et aux essais qui, à cause des motifs qu’ont démontrés des comparatistes expérimentés,
n’ont pas passé par l’histoire sans laisser au préalable une profonde trace dans la mentalité du XVIIe
siècle et, par conséquent, dans sa littérature. En effet, nous ne devons pas restreindre à l’excès la
production littéraire d’un pays. A côté des œuvres de création littéraire, celles qui rendent compte des
différents courants de sensibilité et de pensée présentent un spécial intérêt: dans ce sens, de nombreux
traités sont indubitablement liés à la littérature puisque les écrivains les ont utilisés comme source
directe pour leur inspiration: c’est le cas, par exemple, de certaines œuvres de Guevara.
Valeur accordée aux divers auteurs
Nous avons fait référence aux jugements de valeur; on verra que dans notre bibliographie nous
avons essayé de respecter le principe plus haut indiqué en ce qui concerne les rapports de force. On
pourrait nous objecter que nous avons accordé la même valeur documentaire à un auteur de premier
ordre qu’à un autre moins important. Nous sommes conscient des éventuels reproches qui peuvent
naître de ce choix; malgré tout, nous ne cesserons pas de défendre l’importance de tous les textes
répertoriés. L’éminence d’un auteur n’est pas la même selon les époques où il a été étudié. Deux
exemples de la littérature nationale française au XVIIe siècle suffiront: aucun chercheur ne peut ignorer
la querelle que produisit l’œuvre de Pradon vis-à-vis de celle de Racine ou, moins encore, le succès
sans précédents que connut Le Timocrate de Thomas Corneille. Ainsi va-t-il pour d’autres auteurs dans
le domaine de la bibliographie comparée franco-espagnole: La Geneste ou Mme de Sablé, oubliés de
nos jours, ont fait avancer à pas de géant la diffusion de Quevedo et de Gracián en France. Il s’ensuit
que personne n’osera ignorer ce traducteur aujourd’hui oublié ni cette dame dont le salon ne présente
de nos jours presque aucune valeur face aux coteries de Mme de Scudéry ou de Mme de Sévigné si
vraiment il veut connaître les relations, par exemple, entre Cyrano de Bergerac ou la Rochefoucauld
et leurs sources espagnoles.
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Périodisation de cette bibliographie
Dans les pages liminaires nous avions posé le problème de la périodisation. Il nous faut
expliquer la raison pour laquelle nous avons choisi “le XVIIe siècle”; la question a deux versants:
pourquoi avons-nous utilisé la période séculaire plutôt qu’une autre? Et que suppose le XVIIe dans ce
cas concret? Nous ne sommes pas les premiers à nous être posé ce genre de questions; d’autres l’ont
fait avant nous. Sans doute leurs réflexions pourront-elles nous aider en quelque sens. Prenons
l’exemple du volumineux Répertoire chronologique des éditions de textes littéraires de Roméo Arbour, dont le
titre général de l’œuvre est L’Ère baroque en France. En nous limitant seulement au premier tome, où
commence le baroque français? Peut-on déterminer où commencent la mentalité baroque et ses
manifestations littéraires, et faire débuter le répertoire comme l’érudit l’a fait, en 1585? Déclarer de
manière catégorique que cette date est inamovible relèverait d’un aveuglement intellectuel de grand
calibre. Arbour lui-même reconnaît les limites de son choix: “Notion mouvante par essence, le
baroque n’a jamais été absent de la littérature du XVIe siècle, surtout à partir de la Pléiade. Il a existé
longtemps sous la forme de phénomènes épisodiques avant de devenir la tendance majeure d’une
mentalité et d’une écriture” (1977: VIII).
Établir dès le début le critère qui prédomine dans chaque option définie ne manque pas
d’importance, nous dirions même que c’est là un geste absolument indispensable car c’est là que le
lecteur attend un premier point de repère; dès que ce lecteur a compris les lignes directrices d’une
étude quelconque, l’utilisation d’une bibliographie à la suite de toutes les expectatives que l’auteur a
créées. Dans le cas que nous voyions, l’auteur dédaigne la délimitation événementielle –même si 1585
marque une date aussi importante que peut l’être la mort de Ronsard– parce qu’il pense qu’il n’est
pas conséquent de confirmer un phénomène littéraire de ce genre dans ce type de motifs.
Arbour a donc repoussé les paramètres événementiels et a préféré choisir un programme
différent; plus précisément, il penche pour un critère d’ordre primordialement générique: le début de
la prose romanesque moderne et du théâtre baroque dont la première manifestation est Les Bergeries
de Juliette de Nicolas de Montreux, en cette même année 1585. Néanmoins, remarquons qu’Arbour
doit reconnaître le caractère certainement arbitraire de son option: “C’est sans raison bien précise,
écrit-il, que j’ai fixé en 1585 le début de la période baroque… [J’ai] opté pour une date (…) facile à
retenir…”; ce qui nous fait preuve, une fois de plus, que la tolérance doit régir toute approche d’une
science de l’esprit.
Prenons un autre cas explicatif: la célèbre délimitation du fameux XVIIe siècle. Peut-être les
paradigmes suivis par nos prédécesseurs nous aideront à mieux concevoir les problèmes qu’on nous
a projeté. Guibert, dans sa Bibliographie des œuvres de Molière publiées au XVIIe siècle, n’a pas hésité à arrêter
“délibérément” –dit-il– son étude “à la date de 1700 […] car les découvertes intéressant Molière et
ses œuvres ne peuvent logiquement se situer qu’au XVIIe siècle, après la formation en 1643 de l’Illustre
Théâtre”, ce qu’il fait tout en étant conscient qu’il rejette la précieuse valeur bibliographique de
certaines éditions du XVIIIe siècle comme celle de Boucher et de Bret (1961: 6). Il en est de même
pour Cioranescu qui, dans sa Bibliographie de la littérature française du XVIIe siècle, admet que le siècle en
question s’étend de 1601 à 1700. Or, précisément au moment où nous avons fait une option générale,
commencent les entraves particulières: que faire avec les auteurs qui sont à cheval sur deux siècles?
Même s’il décide de faire une série d’accommodations –par rapport à Malherbe, Fontenelle au Saint-
Simon, par exemple–, il n’est pas pour autant à l’abri, c’est lui-même qui l’avoue, de multiples
reproches.
Douze ans plus tard, le même érudit roumain est confronté au même problème et le résout
d’une façon différente: dans la Bibliografía francoespañola citée plus haut, Cioranescu procède au
recensement des œuvres comprises tout le long du XVIIe siècle et des quinze premières années du
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XVIIIe siècle. Il est évident qu’à cette occasion l’insigne chercheur n’a pas voulu se laisser guider
uniquement par des critères fondés dans l’événement historique: en fait, une bibliographie franco-
espagnole du XVIIe siècle ne devrait qu’inclure les œuvres comprises entre 1600 et 1699.
Si Cioranescu a opté pour cette “naturelle prolongation jusqu’à 1715”, il n’y a pas le moindre
doute que les motifs qui l’ont mené à cela sont tout autres: de nos jours personne ne débat l’énorme
importance que la mort de Louis XIV a eu dans le domaine des idées –et, par conséquent, dans
l’histoire littéraire–; nous ne pouvons pas en dire autant du choix de la date du début de son répertoire.
Or, entièrement enfoncés dans le domaine purement comparatif, nous ne pouvons pas suivre
des modèles identiques à ceux choisis par ces érudits qui nous ont précédés: si les datations prioritaires
d’un pays, comme c’est le cas de la France en 1715, sont d’ordre univoque, toute analyse doit
présupposer le caractère éminemment ambigu ou, si l’on préfère, équivoque, des relations
“bilatérales”: il est, de toute évidence, patent que les événements historiques d’un pays ne répercutent
pas de façon homogène à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières: le décès de Philippe II en 1598
a à peine un écho strictement littéraire au-delà des Pyrénées même si l’un des axes de son règne a été
la consolidation du catholicisme en France et dans les Pays-Bas méridionaux –et nous pouvons en
avancer autant, dans le sens inverse, avec le décès du Roi Soleil. Ces critères, donc, ne sont pas ceux
qui doivent conduire notre recherche au moment de considérer la réception de la production littéraire
espagnole en France.
Comme nous le constatons, il y a de multiples appréciations à ce sujet. Quoi qu’il en soit, le
principal problème avec lequel nous nous trouvons est la délimitation chronologique de l’“influence”
exercée par un pays sur un autre –qu’il nous soit permis d’utiliser ici ce terme sans pour cela vouloir
encourager aucun type de rivalité ou de rapport de force. D’un autre côté, les relations littéraires entre
ces deux pays ont été si fréquentes depuis des temps immémoriaux, que la possibilité de nous
remonter indéfiniment vers des dates aussi révolues que les débuts de la poésie épique française ou
du Romancero, est rejetée. Étant donné que celui que nous présentons est un premier travail qui ne
dispose pas de précédents dans le domaine de la littérature comparée franco-espagnole, nous
considérons que l’option la plus sensée est la délimitation séculaire –cela dit, avec le frivole “caprice”
esthétique de l’élargissement à l’an 1700.
Sources bibliographiques
Il convient, à présent, de donner des informations au sujet des instruments préexistants et de
leur traitement. Parmi les bibliographies nationales, nous disposons d’utiles instruments de travail.
Dans le milieu castillan on trouve les catalogues de Chorley et La Barrera (malheureusement trop
anciens et restreints au domaine dramaturgique), la volumineuse Bibliografía de la literatura hispánica et
le Manual de bibliografía de la literatura española de Simón Díaz. On peut comprendre que ce manuel ait
été vite périmé: alors des actualisations l’ont successivement mis à jour; il convient toutefois de
souligner que la Revista de literatura a su prendre la relève et donne à présent une importante base de
renseignements qu’on ne saurait négliger. Dans le domaine français ressortent la Bibliographie de la
littérature française du dix-septième siècle de Cioranescu et le Répertoire chronologique des éditions de textes
littéraires d’Arbour. En ce qui concerne la première, nous pouvons heureusement remarquer que la
conscience comparatiste de l’érudit l’a encore trahit une fois, de sorte que les informations que l’on
peut obtenir, en recourant aux rubriques des sources et des influences, ne sont point négligeables;
quant à la seconde, nous ne pouvons que le remercier d’être exhaustif en même temps que nous
regrettons sa logique limitation temporelle. A ces bibliographies on doit ajouter le poids indiscutable
des bibliographies particulières prenant pour sujet les œuvres de tel ou tel auteur espagnol ou français.
9. 9
Les bibliographies internationales ont aussi contribué, en grande mesure, à la réalisation de
cette bibliographie comparée. D’illustres antécédents sont, sans aucun doute, la méritoire Bibliographie
hispano-française de Raymond Foulché-Delbosc; même si elle date de 1912-1914 (reprographiée
postérieurement), l’œuvre de l’éminent bibliographe français continue à être utile et, nous ajoutons
avec Cioranescu, indispensable pour notre recherche. Le Répertoire chronologique des littératures modernes
de Paul van Tieghem (1937) est lui aussi important; malheureusement il ne l’est pas autant qu’on s’y
attendait dans notre domaine étant donné le déséquilibre dans l’intérêt porté aux différentes
littératures, notamment l’espagnole pour cette période. Il n’y a pas de doute cependant que son
ouvrage a représenté un pas de géant dans le domaine des études de la Weltliteratur. La Bibliografía
francoespañola (1600-1715) d’Alexandre Cioranescu (1977), mérite aussi une spéciale mention. Ses
principes méthodologiques s’appuient, en grande partie, sur ceux qu’encourageaient Foulché-
Delbosc: à une sensible réduction de l’éventail spatio-temporel (exclusion du XVIe siècle et du monde
littéraire portugais) il faut ajouter un agrandissement du spectre fonctionnel (inclusion de l’activité
développée en France par des auteurs espagnols). Si l’objectif recherché par Foulché-Delbosc était le
repérage des publications hispaniques où il y a eu intervention d’un Français, la devise de Cioranescu
a été le prélèvement de la “pénétration espagnole dans le milieu culturel de la France”. A ces deux
louables désirs nous en avons ajouté un troisième: la signalisation positive de la réception d’œuvres
littéraires espagnoles en France pendant le XVIIe siècle. En effet, si le travail accompli par Cioranescu
représentait une démarche sans précédents, il s’imposait de procéder par la suite selon la démarche
subséquente; cette tâche ne pouvait être que l’objet d’une bibliographie comparée.
Établissement et optimisation des matériaux
Il est urgent de préciser ce que nous considérons ou pas comme édition. Ce qui, de prime
abord, nous semble superfétatoire, ne l’est pas tellement après avoir confronté les nombreux tirages
d’une même œuvre à ce point semblables entre eux qu’ils ne varient que dans le nom du libraire ou
dans la date de l’édition; il est nécessaire alors de distinguer entre les vraies rééditions, les contrefaçons
et les simples réimpressions: dans ces dernières on ne modifiait seulement que la page du titre,
généralement. Nous coïncidons pleinement avec Cioranescu et Arbour sur l’établissement du nombre
d’éditions selon les libraires et les éditeurs. De nos jours nous savons, par exemple, que pour écouler
leurs invendus les libraires changeaient parfois leur page de titre pour une autre annonçant une
nouvelle édition, et que, d’autre part, une page de titre, qui est un carton, ne fait pas partie du premier
cahier d’ouvrage. Qui plus est, il peut arriver que nombre d’œuvres soient parues sous diverses
formes. C’est le cas, entre autres, de l’Étourdi de Molière: la pièce fut publiée séparément en petit in-
12 par le libraire Elzevier en 1679; afin d’écouler avec plus de facilité les exemplaires, elle fut jointe
au recueil factice de toutes les pièces de l’auteur précédées cependant d’un titre général (Œuvres de
Monsieur Molière, Amsterdam, J. le Jeune et D. Elzevier, 5 vol., t. I) à cette même date de 1679 (vid.
Guibert, 1961: 100). Il faut, donc, procéder à un examen qui relève de la bibliographie matérielle.
Pour cela, quand les tirages d’une même œuvre ne se différencient que par le nom et l’adresse du
libraire, nous avons préféré considérer qu’il s’agit d’une unique édition: on les trouvera donc, mettons
pour cas, assemblés à côté du titre de l’œuvre en question: Paris, Augustin Courbé et Étienne Ribou…
Or, il nous semble que ce fait a son importance du point de vue de la réception comparée: un tirage
fait par plusieurs libraires suppose, en principe, un certain horizon d’expectatives du livre en question;
cela explique que nous ayons procédé par conséquent à faire le relevé de tous les libraires qui l’ont
publié. Il ne faut pas oublier non plus le problème des tirages dont la date est différente; même si le
reste de l’œuvre ne varie pas du tout, en principe il est évident que des tirages successifs d’une même
œuvre manifestent aussi son succès. Nous disons en principe, car il aurait pu s’agir aussi d’éditions
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moins remarquables du point de vue quantitatif, un rafraîchissement des éditions invendues, pourrait-
on dire. Malheureusement, et surtout dans le milieu espagnol, l’information sur le nombre
d’exemplaires que chaque tirage comprenait est minime. Ce qui demeure indiscutable dans ces cas,
c’est qu’il y a eu des tirages postérieurs que nous avons voulu noter étant donné leur importance pour
l’histoire de la fortune d’une œuvre concrète.
Nous avions parlé des éditions d’œuvres séparées ou insérées dans des recueils; compte tenu
du principe qui nous a inspiré, il nous a paru préférable de noter seulement les pièces publiées
séparément: leurs successives réimpressions sous cette forme d’édition rendent un immense service
à la littérature comparée. Lorsque cela n’a pas été possible, mettons pour cas La Fausse Apparence –
pièce de Scarron parue posthume dans un même volume avec deux autres pièces inachevées–, nous
avons tenu à le signaler.
Venons-en maintenant au type de classification: synchronique, diachronique, générique ou
alphabétique? En ce qui concerne les “biopsies” commentées plus haut, nous considérons que cette
coupure synchronique, certainement adéquate pour l’étude de périodes littéraires ou de littérature
générale (van Tieghem, 1937: 5; Chevrel, 1989: 35; Œuvres & Critiques, XII / 2, 1987), n’est pas celle
qui convient le mieux dans notre cas parce qu’elle favorise une confusion d’ordre purement théorique;
en effet, étant donné les conditions de distribution de la littérature entre la France et l’Espagne –
phénomène que Cioranescu (Le Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français) et Mérimée
(L’Influence française en Espagne au dix-huitième siècle) ont expliqué brillamment– un laps de temps trop
étriqué ne serait guère représentatif –sauf quelques exceptions très ponctuelles– dans le domaine de
la réception comparée. Prenons un exemple tiré au hasard du répertoire de van Tieghem. Sans doute
1656 est-elle une date comme une autre, mais elle indique la publication d’une tragi-comédie qui allait
connaître un succès sans précédents (86 représentations consécutives): il s’agit du Timocrate de
Thomas Corneille. Simultanément apparaissait La Belle Invisible de Boisrobert, comédie inspirée de
Los efectos que hace amor (1640) de Castillo Solórzano. Or, même si nous ne tenons pas compte de la
spécificité de l’édition espagnole du XVIIe siècle –les comédies, quand elles étaient publiées, ce qui ne
fut pas toujours le cas, étaient, généralement, déjà jouées depuis plusieurs années, les foisonnantes
copies manuscrites jouant le rôle d’une véritable édition–, il ne faut pas oublier qu’un espace de temps
considérable s’est écoulé entre la première impression de l’œuvre espagnole et celle de l’œuvre
française; ce qui, de nos jours, dure plusieurs mois tant sont rapides et faciles les communications, à
cette époque avait exigé dix-sept ans: en général, quand certaines œuvres de théâtre acquièrent une
importance en France, leurs respectifs auteurs –lorsqu’ils ne sont pas décédés– ont à peine encore
l’influence des débuts. Voilà la raison principale pour laquelle nous n’avons fait ni d’étude
synchronique ni d’étude diachronique. Quant au classement générique, quoique nous l’avions
considéré comme valable pendant un certain espace de temps, il s’est bientôt révélé inopérant à cause
de la confusion des genres: on pourrait, en effet, s’attendre à ce qu’une œuvre espagnole, fût à l’origine
d’une œuvre française appartenant au même genre; pourtant ce n’est pas le cas: il est assez fréquent
de constater qu’une pièce est aussi bien à la source d’inspiration d’une pièce française que d’un roman
ou d’un épigramme; bref, le lecteur aurait été fourvoyé.
Il nous restait donc une quatrième possibilité; celle que nous avons choisie étant donné son
efficacité. En effet, nous avons répertorié les auteurs et les livres de façon alphabétique pour de
multiples raisons. La première d’entre elles est d’ordre purement fonctionnel: rien n’est plus facile
que le recours à la classification alphabétique latine pour tomber immédiatement sur l’œuvre ou
l’auteur recherchés. Parmi les multiples possibilités qui nous ont été offertes –traitement
chronologique, généalogique, thématique…– il nous semble que celle-ci est celle qui réunit le plus de
garanties d’efficacité. En effet, le but qui a guidé notre démarche étant celui de la clarté et de la facilité
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de manipulation par les critiques littéraires qui voudront bien se faire aider de cette bibliographie:
quoi de plus simple et efficace qu’un classement alphabétique?
Une autre raison fondamentale est le caractère même de cette bibliographie comparée: la
réception d’une littérature étrangère passe principalement par l’intermédiaire d’œuvres définies et ces
œuvres ont toujours un auteur, identifiable, en fait, la plupart du temps. Ceci dit avec un exemple
graphique, nous aurions pu éditer la réception de la production espagnole en 1636-1637 (privilèges,
publication et représentation du Cid); il faut aussi présenter le matériel nécessaire pour étudier les
transvasements culturels franco-espagnols pendant la guerre de Trente ans; néanmoins nous avons
préféré que l’usager parvienne immédiatement à la réception française de l’œuvre de Cervantes.
Il nous reste à dire qu’étant donné le sens choisi pour ce premier essai –du sud vers le nord–,
le lecteur comprendra que ce classement commence par les auteurs espagnols; critère d’autant plus
raisonnable qu’une seule œuvre espagnole était à la source de nombreuses œuvres françaises. Un bon
exemple est celui du Don Quijote de la Mancha de Cervantès, dont nous avons compté quatre-vingt-
deux récurrences dans la littérature française du XVIIe siècle. Si nous avions classifié nos entrées en
commençant par les auteurs français, il aurait été épuisant pour le lecteur de voir citées, à quatre-
vingt-deux reprises, à côté de chaque ouvrage français, les données du roman espagnol. Néanmoins,
et en vue de l’optimisation de cet instrument de travail, nous avons ajouté une relation des auteurs
français et de leurs ouvrages qui puisse nous aider le lecteur dans ses études de réception. De plus,
nous pensons que cette disposition n’empêche pas une certaine étude chronologique; en fait, dans un
même auteur, nous avons placé ses œuvres diachroniquement.
Un problème qu’on trouvera partout dans toutes les littératures est celui de l’anonymat. Lever
explique avec assez de lucidité et de rigueur les raisons de cette prise de position au XVIIe siècle (1973:
passim): beaucoup ont été sortis et rebaptisés après de nombreuses recherches; cependant, lorsque
nous avons manqué de clés suffisantes ou le nombre d’abréviations ou de sigles envoient à plusieurs
auteurs, nous avons préféré les laisser, comme ils l’ont voulu, dans l’anonymat.
Une section supplémentaire qui exige d’être expliquée est le traitement des renseignements
fournis. A cet égard nous coïncidons pleinement avec les personnes qui distinguent entre une tâche
aussi importante que celle des bibliographes et un travail aussi péremptoire que celui que nous
présentons. Si ceux-là exigent une multitude énorme de détails –signatures de cahiers, contenu de
pièces liminaires, vignettes, gravures, ornements et autres particularités typographiques–, ceux-ci
réclament la totalité et la sécurité des renseignements pertinents. S’il est vrai qu’ils sont tous utiles, il
en est de même que les premiers ont élargi excessivement les dimensions de notre travail à la fois
qu’ils ont retardé considérablement son apparition. Puisque plus haut nous avons parlé de rééditions,
nous devons à présent expliquer leurs dispositions dans notre bibliographie. Pour les œuvres
espagnoles, nous avons considéré indispensable de donner des détails uniquement de la première
édition: nous n’avons pas transcrit, étant donné son peu d’importance dans ce travail, les éditions
postérieures. Ce critère nous a paru le plus logique et efficace même s’il n’élimine pas le problème, si
traditionnel, de la difficulté existante pour identifier ces éditions en castillan. Nous sommes conscient
de n’avoir pas résolu toutes les questions de littérature comparée: l’idéal aurait été de rendre compte
des éditions en castillan ou des versions en français utilisées par leurs auteurs français respectifs pour
leurs traductions et leurs adaptations, mais nous ne cachons pas l’impossibilité de cette entreprise.
Cependant, nous avons considéré opportun de remarquer les différentes éditions en castillan publiées
en France dont nous sommes informés. Quant aux œuvres françaises, nous transcrivons toujours,
aussi bien la première édition que toutes les éditions publiées tout au long du XVIIe siècle et leur cote
(autant qu’il nous a été possible) dans les principales bibliothèques: les dix-septiémistes français seront
reconnaissants, nous en sommes certain, de ce traitement de faveur… Tout en considérant
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irréalisables certains travaux, il nous semble indispensable de rendre compte de ces éditions qui se
révèlent si utiles –par leurs références diachroniques, leurs valeurs statistiques…– pour les études de
réception comparée. Même s’il n’aurait pas été inutile d’offrir dans chaque information tous les
renseignements, nous avons préféré le faire seulement quand cette exhaustivité réunit un avantage
explicatif; par exemple, quand une œuvre réapparaît insérée dans une autre ou quand elle est publiée
sous un nom différent. Pour le reste, nous avons supprimé les renseignements secondaires afin de
gagner de l’espace et de ne pas alourdir la tâche du lecteur.
Pour conclure, un seul mot. Le lecteur a entre ses mains une bibliographie élémentaire qu’il
pourra augmenter –et même corriger– selon ses nécessités en ayant recours aux bibliographies
nationales spécialisées. Évidemment, cette première bibliographie comparée ne peut se vanter d’être
exhaustive: il reste à faire beaucoup de découvertes, à démasquer certaines erreurs et à préciser de
multiples renseignements. Nous reconnaissons nos limites et souhaitons que les collègues intéressés
par le XVIIe siècle nous aident à améliorer ce travail.
Bibliographie sommaire
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1615, tome I, Genève: Droz, 1977.
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Nendeln / Liechtenstein, Kraus Reprint, 1971.
CHEVREL (Yves), La Littérature comparée, Paris: Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je?, 1989.
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por Don Juan Eugenio Hartzenbusch, t. IV, Madrid, M. Rivadeneyra, 1860 (Biblioteca de Autores Españoles,
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– Catálogo de Comedias y Autos de Lope de Vega. Por J. R. C., Impreso en Madrid: con adiciones y notas de Barrera.
Año de 1861. Adicionado y corregido en ms. por su redactor original. Año de 1864.
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Hispanic Society of America, première partie: 1477-1610 (1912); deuxième partie: 1611-1660 (1913);
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13. 13
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