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Sur le caractère hispanique de Don Juan
José Manuel Losada
Dans Revue de littérature comparée 2003/2 (n o 306),pages 197 à 208
Éditions Klincksieck
ISSN 0035-1466
DOI 10.3917/rlc.306.0197
Distribution électronique Cairn.info pour Klincksieck.
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Sur le caractère hispanique de Don Juan
Dans l’hôtellerie de Cristófano Buttarelli à Séville, on assiste au dialogue
entre le tenancier et Ciutti, le valet de Don Juan. Pendant que le protago-
niste écrit une lettre d’amour à Doña Inès, Ciutti décrit à Buttarelli le type
d’homme qu’est son maître : fort riche, franc comme un étudiant, noble
comme un infant et brave comme un pirate. Il avoue ignorer son nom et
suppose qu’il est Espagnol (Zorrilla, 1re partie, I, 1, v. 24-30). Sa supposition
devient une évidence lors de la pièce et tout au long des différentes versions
que la littérature universelle offre sur le mythe donjuanesque. Or il convient
de signaler que la croyance du valet n’est fondée que sur l’attitude d’un
homme qui ne pouvait être qu’un Espagnol. Depuis son apparition dans les
romances espagnols chantés au Moyen Âge dans les royaumes de Galice,
León et Castille, « le galant qui allait à la messe » a revêtu différentes
modalités populaires jusqu’à sa cristallisation dans la pièce L’Abuseur de
Séville attribuée à Tirso de Molina ; ces métamorphoses du mythe l’ont
montré sous des jours nouveaux depuis les toutes premières pièces espa-
gnoles jusqu’aux œuvres les plus récentes de tous pays. Il est étonnant que
la nationalité n’ait pas changé dans presque aucun cas ; force est de recon-
naître que Don Juan est resté dans l’imaginaire littéraire et social comme
un personnage espagnol. Il convient d’évoquer les principales raisons qui
exigent le caractère hispanique du plus grand séducteur de toute la terre.
Don Juan incarne en bonne partie le type traditionnel de l’Espagnol,
avec les bonnes et les mauvaises acceptions du « génie » espagnol.
L’Espagne, peut-être plus que partout ailleurs, est le pays des paradoxes et
des contrastes (on sera étonné d’apprendre que ce pays presque entière-
ment côtier a la deuxième altitude moyenne de toute l’Europe). Dans
l’amour comme dans la foi, dans le courage comme dans la pensée, per-
sonne ne saurait donner raison des incohérences innées à ce pays. Depuis
le XVIe siècle, l’Espagne est considérée dans l’imaginaire européen comme
le support de la chrétienté contre l’hérésie, indocile jusqu’à la mort face à
l’envahisseur, source de grands esprits qui ont rayonné autour d’eux de
manière peu commune ; mais l’Espagne est également considérée comme
le pays de tous les extrémismes dans la haine, dans le fanatisme religieux,
dans la fainéantise et dans la pauvreté intellectuelle : les extrêmes se tou-
chent. Il n’y a qu’en Espagne que pouvaient naître tout à la fois le Cid,
notes et documents
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Charles Quint, sainte Thérèse ; nulle part ailleurs ne pouvaient germer la
Célestine, le pícaro et Torquemada : c’est Don Quichotte chevauchant de
pair avec Sancho Pança. Don Juan est à son tour l’homme des paradoxes :
homme de grand cœur mais inconstant dans ses engagements, incroyant
ou cherchant Dieu dans un pays chrétien jusqu’à la moelle, chevaleresque
mais impuissant au travail afin de vivre noblement, logique dans ses rai-
sonnements et absurde dans ses actions : Don Juan a les stigmates du
contraste dans son âme comme le pays qui l’abrite.
Un bon exemple de Don Juan est celui d’Espronceda. Le héros de
L’Étudiant de Salamanque est d’ordinaire peu compris, peut-être parce que
trop espagnol, sans doute à cause de son intrépidité et de sa vantardise, de
son obstination enveloppée de frivolité, de son impiété face à l’évidence sur-
naturelle ; autant d’éléments qui font de lui « la synthèse ou, mieux, le
noyau le plus espagnol de tous les Don Juan » (Machado, Juan de Mairena,
XXVII). Il est aussi un autre Don Juan qui a connu son apogée à l’époque
romantique : celui du révolté qui se convertit à la fin de sa vie, celui de
Zamora, de Blaze de Bury, de Tolstoï (pour la variante de juin 1862), de
Dumas (pour la variante de 1864) et surtout celui de Zorrilla. Cet auteur,
dans Les Souvenirs du temps jadis, avouait les vertus et les défauts de son
ouvrage et de son protagoniste ; ce sont des caractéristiques qui s’appli-
quent à tous les Espagnols car il a été pétri à l’image du peuple espagnol
(XVIII, in Don Juan Tenorio, p. 239). Dans la postface de sa pièce, Frisch
affirme que « l’Espagnol […] ne connaît pas le peut-être, ni l’ambivalence ;
il ne connaît que le oui et le non. Il ne connaît ainsi que deux sortes de vin,
le rouge et le blanc ; il ne connaît pas la nuance » (p. 96). Par ce manque de
transitions, l’Espagnol devient brusque malgré la grandeur de son cœur.
Le caractère multiforme de Don Juan exige sans cesse de nouvelles
modalités, des essais et des variantes rajoutées par les auteurs sur des
œuvres qui paraissent terminées. Comme le caractère du pays qui l’a vu
naître, Don Juan est composite, l’homme des contrastes qui le font sans
cesse renaître sous un autre jour de ses propres cendres. Nombreux sont
les critiques qui ont essayé d’expliquer le caractère hispanique de Don
Juan. Didier Souiller, après avoir exposé la tendance à la représentation de
la problématique donjuanesque au XVIIe siècle, montre avec force arguments
historiques que le milieu espagnol était seul susceptible de réunir toutes
les conditions nécessaires à l’éclosion de L’Abuseur de Séville. Henri Boyer
parle à son tour des faiblesses irritantes que l’on peut détecter dans la
célèbre pièce de Zorrilla ; pourtant ce Don Juan, sans doute l’un des plus
espagnols qui soient, n’a pas cessé de connaître un succès retentissant à
cause de ses défauts comme de ses vertus : en Espagne, elle est constam-
ment jouée dans de nombreuses salles tous les ans le jour des morts. Chez
Marañón, on trouve d’intéressantes réflexions sur le mythe de Don Juan
comme sur le donjuanisme. Dans un article étranger au mythe, le poly-
graphe développe quelques notes intéressantes sur son idée de l’Espagne :
« soif d’idéalisme qui l’a souvent mise en passe de disparaître », disposition
aux deux sacrifices les plus durs : « celui de rompre […] la continuité avec
le passé et […] celui du désaccord avec le présent » (p. 354). On peut repro-
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cher à Marañón un bon nombre de poncifs sur l’idée de l’Espagne et le peu
de rigueur scientifique de certaines de ses approches ; cependant ses
réflexions apportent une explication plausible pour comprendre les modali-
tés romantiques présentant Don Juan comme chercheur d’idéal et sa rébel-
lion face aux structures politiques et religieuses. Marañón n’est pas le pre-
mier à les avoir énoncées. Déjà Grau expliquait par la bouche d’un de ses
personnages, que la soif d’idéal provient d’une curieuse juxtaposition d’un
concept germanique sur le Don Juan espagnol (3e tableau, p. 172). De son
côté, la révolte continuelle peut être expliquée par la répugnance hispa-
nique face à l’ordre pour l’ordre : « Don Juan est un Espagnol : un
Anarchiste » (Frisch, postface, p. 95).
Dans les manifestations dramaturgiques européennes, l’amour garde
généralement un respect des principes sociaux communément acceptés ; il
peut causer des troubles à l’intérieur d’un petit groupe, mais tout son mal
s’arrête là. Il est d’autres pays où le jeu dangereux de l’amour s’élève à la
hauteur d’un principe d’existence clairement défini en opposition aux valeurs
religieuses et sociales. C’était le cas de l’Espagne lors de la gestation du
mythe. À cause de son histoire, dans ce pays l’on assistait jadis à une sym-
biose extrême entre l’État, la race et la religion. De même qu’être juif ou
musulman entraînait immédiatement de mauvaises conséquences pour l’in-
dividu, l’inconstance en amour et le refus de se fixer qui caractérise Don
Juan prend dès l’abord une portée sociale et religieuse démesurée ; le
théâtre de Lope de Vega et de Calderón sont là pour le prouver. En Espagne
on ne pouvait pas accepter impunément le libertinage dans l’amour sans ris-
quer de voir s’écrouler les bases sur lesquelles toute la société était fondée.
Galanterie
À cela il faut ajouter la fascination que l’Europe a subie de la culture et
des manières espagnoles à l’époque où la Péninsule était une puissance à
l’échelle de la planète. La politesse et la galanterie espagnoles trouvèrent
des admirateurs fervents pendant plus de deux siècles ; Paul Hay disait en
1669 que les Espagnols préféraient la galanterie à tout ce qu’il y a de plus
important (cité par H. Bouvier). Il se produisit alors cet imaginaire selon
lequel les Espagnols étaient considérés comme maîtres incomparables du
discours galant. De même que l’Italie à la Renaissance ou la France aux
Lumières, l’Espagne – notamment celle des XVIe et XVIIe siècles – passait dans
l’imaginaire européen pour le pays des bonnes manières. L’Anglais Byron,
toujours à sa façon, attribue cela à une cause purement climatologique :
« Ce que les hommes appellent la galanterie, et les dieux adultère, est beau-
coup plus commun dans les pays chauds » (I, LXIII ; vid. aussi I, LXIV et LXIX).
À son tour, Azorín définit l’Espagne comme la « terre de l’amour de la galan-
terie (caballería) » (XXXIX, p. 92). Or la galanterie exigeait un statut noble. On
ne sera pas étonné que le résultat soit pour ce qui nous intéresse un noble
débauché tel qu’il est décrit chez Tirso ; c’est précisément dans sa pièce que
l’abusée Arminta s’exclame après sa défloration qu’en Espagne les cheva-
liers sont tous devenus dévergondés (III, v. 1962-1963).
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On ne peut passer sous silence un problème suscité par la manière dont
le héros comprend l’amour. Don Juan est galant envers les femmes, et sans
doute ressent-il parfois l’amour ou du moins croit-il l’éprouver à l’égard des
beautés qu’il croise sur son chemin ; elles se montrent, par ailleurs, le plus
souvent impuissantes à résister à ses appâts et à sa parole séductrice. Bref,
« Don Juan est un mâle qui fait merveilleusement l’amour » (Delteil, IV,
p. 122). Il faut avouer cependant que sa manière de faire l’amour finit tou-
jours mal – à l’exception, bien sûr, de certains ouvrages romantiques. Outre
les « familles déshonorées » et « les parents outragés », on doit attirer l’at-
tention sur les « femmes mises à mal » (Molière, V, 6 ; Frisch, 3e inter-
mède). Don Juan apparaît ainsi comme « le châtiment des femmes » car
après les avoir abusées il les délaisse privées de toute espérance (Tirso, I,
v. 895-896). Le mauvais souvenir qu’elles gardent de lui se répète tout au
long des œuvres depuis le XVIIe siècle jusqu’au XXe. En cela, il faut convenir
que Don Juan est peu caballero : si son esprit chevaleresque est mis en
relief dans ses rapports avec certains nobles, il va à l’encontre du véritable
esprit chevaleresque lorsqu’il est question d’affaires d’amour. Un chevalier
espagnol se doit de rester toujours au service de la femme : cela signifie
qu’il sera prêt à donner sa vie afin de garder sauf son honneur. Entretenir
économiquement les femmes séduites (Montherlant) ou leur trouver un
soupirant de remplacement (Torrente Ballester) n’est pas un alibi suffisant.
Cette démarche est peut-être l’une des moins espagnoles de Don Juan. Son
attitude à l’égard des femmes séduites l’éloigne du génie espagnol et le
rapproche du type du séducteur. Certes, ce n’est pas un séducteur vulgaire,
mais un séducteur hors classe qui vient se ranger à côté de l’Arétin, de
Casanova ou de Lovelace. C’est l’un des paradoxes qui ne cessent de poser
des questions à la critique.
Catholicisme
Indépendamment de toutes sortes de préjugés, il faut admettre que
l’Espagne apparaît depuis le XVIe siècle comme le grand bastion de la
catholicité. C’est là que l’Église catholique connut un développement sans
égal. Qu’on songe au nombre de saints que l’Espagne a donnés ; c’est à
peine si on peut les comparer avec ceux de l’Italie ou de la France. Même
aux périodes où l’État interdit toute pratique religieuse, le peuple resta
toujours fidèle à Rome. D’autre part, pour ce qui est du clergé et de la vie
monastique, nul autre pays n’a joui d’un aussi grand prestige ni attiré
autant de vocations. Dans le domaine littéraire, l’on connaît le goût hispa-
nique pour les débats sur la question de la grâce, les mystères fondamen-
taux de la foi chrétienne et la dévotion populaire. Pour ne parler que du
théâtre, les autos sacramentales et la grande production du théâtre
didactique connurent un apogée qui serait incompréhensible hors des
frontières espagnoles.
Or chez Don Juan l’on assiste à une curieuse symbiose entre les diffé-
rentes conceptions de la noblesse, de l’amour et de la religion. À cet égard,
il faut souligner deux faits incontestables : premièrement, nulle part
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ailleurs le refus de toute activité pratique pour vivre tranquillement et sans
arrière pensée de ses rentes n’a été élevé à ce point au rang d’idéal de vie
officiel : ce « vivre noblement » n’est pas l’une des moindres causes de la
décadence espagnole. Dans ce sens, le personnage de Don Juan sert à
réfuter une mauvaise interprétation du libre arbitre, que seuls les
Espagnols, si pénétrés du « laxisme » des jésuites, auraient pu concevoir
(D. Souiller). Deuxièmement, la religion apparaît intimement liée à la
conception espagnole de l’amour et, plus précisément, à la conception don-
juanesque de l’amour. Nous sommes, en effet, face à un sentiment simul-
tané et contradictoire de fascination sensuelle pour le monde et de déta-
chement ascétique pour mieux tendre vers un au-delà défini comme seule
réalité. Autrement dit, le héros a été conçu pour dénoncer le laisser-aller
des mœurs et l’oubli des valeurs religieuses au sein d’une société qui par-
venait mal à condamner la chair et à y associer l’idée de péché. Les carac-
téristiques du personnage de Don Juan sont la conséquence extrême des
pratiques espagnoles contemporaines, exagérées, voire caricaturées dans
un dessein moralisateur. Le héros donjuanesque incarnerait au plus haut
point les vices de son temps et de sa nation.
On peut parler à ce propos d’un facteur que les historiens ont commu-
nément appelé la deuxième christianisation de l’Europe : on pensera
notamment aux décrets d’application du Concile de Trente, sous l’inspira-
tion évidente de la puissance qu’était alors l’Espagne de Charles Quint.
Dans ces campagnes qui voulaient assurer le contrôle de la religion sur les
mœurs, on insistait sur la réalité de la mort et sur l’importance relative des
affaires du monde par rapport au salut éternel. Certes, Don Juan repousse
sans cesse la pensée de la mort pour mieux s’adonner à sa libido sentiendi
(Tirso, II, v. 1434-1440) ; par cette attitude, il peut être considéré comme
une protestation des forces de l’instinct et il est le reflet d’une conception
plutôt païenne de l’existence : jouir de son être en suivant l’enseignement
de la nature. Au XVIe siècle circulaient de multiples récits et documents ico-
nographiques réunissant de manière antithétique les deux éléments du
mythe de Don Juan : le jeune séducteur et le rapport avec l’au-delà. Le
paradoxe entre ces invariants n’est qu’apparent : si Don Juan existe, c’est
grâce au milieu chrétien qui lui a donné vie. C’est dans ce milieu qu’il
incarne dans le plus profond de son être l’affirmation d’une idée indiscu-
table : celle de la liberté. Il ne faut pas oublier que la liberté (celle que selon
saint Paul le Christ a gagnée sur la croix au profit des hommes) est au
centre de toute la doctrine chrétienne, qui est avant tout une doctrine de
libération de l’esclavage du péché. Or Don Juan fait abstraction de cette
doctrine pour ne garder que l’idée absolue de liberté sans référent précis ;
bref, d’abord il fait de la liberté son idole, puis il se met à genoux devant
elle. Don Juan procède de la sorte à une subversion substantielle du chris-
tianisme et transforme la liberté en libertinage. La fête que le séducteur
offre aux convives chez lui dans l’opéra de Mozart est une célébration en
honneur de la liberté ; même l’amour entre dans le domaine de la liberté :
Don Juan laisse sa porte grande ouverte pour chanter, sinon la liberté, du
moins le libertinage dans l’amour (II, 21). Cette idée de liberté est longue-
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ment développée par Shaw dans sa comédie philosophique lorsque le héros
s’entretient en enfer avec le diable et la statue. Ses interlocuteurs n’ont pas
encore bien compris le sens de la force de la vie dont est inspirée toute la
pensée donjuanesque. Afin de rendre plus facile son raisonnement, il a
recours à l’idée de la liberté telle que la définit le christianisme dont
l’exemple le plus accompli est celui des croisades : « Pourquoi le Croisé
était-il plus courageux que le pirate ? Parce qu’il luttait non pour lui-même
mais pour la Croix ». Cette idée de croyance explique, ajoute-t-il, la force
imparable des musulmans lors de la Guerre Sainte et celle des chrétiens
lors de la Reconquête. Don Juan poursuit sa réflexion sur l’idée principale
de l’Église catholique et plus précisément sur le catholicisme combattant
« pour la liberté universelle et l’égalité ». Autrement dit, la grande idée
catholique est « l’abolition de l’esclavage » (III, p. 145-146). On peut dresser
un parallèle entre cette argumentation donjuanesque et le but du héros qui
est la liberté dans l’amour et l’insoumission aux entraves sociales et trans-
cendantes. L’abstraction de tous les éléments substantiels de cette idée de
liberté (Église catholique, Dieu, État, Amour) fait apparaître le seul motif (le
libertinage, évidemment dépourvu de tout référent objectif) pour lequel Don
Juan est prêt à vivre et à mourir.
Don Juan serait impensable – tout au moins pour son origine littéraire –
dans un cadre païen. Il peut adopter des attitudes païennes, et souvent il
les adopte ; mais lui ne l’est pas. Mieux, son entourage est toujours chré-
tien ou, du moins, garde une tradition fortement ancrée dans le sens chré-
tien de la vie : une vie importante, certes, mais passagère et qui mène
chaque homme et chaque femme à la vie qui n’a pas de fin. Aussi faut-il se
préparer, ne serait-ce qu’à l’instant ultime de la mort. C’est ce que font
nombre de personnages en rapport intime avec le héros. Le capitaine
Gomare, mortellement blessé lors d’une malheureuse escarmouche en
Flandre, mande Don Juan et lui remet sa bourse : il vaut mieux, dit-il,
qu’elle soit à lui qu’à l’ennemi hollandais (ce qui prouve encore une fois que
le héros est censé être chrétien) ; puis, avant de mourir, le capitaine
demande à Don Juan de faire dire quelques messes pour le repos de son
âme. Ce capitaine Gomare est loin d’être le seul chrétien parmi les rangs
de l’armée espagnole : tous, à l’exception de Don Garcia, sont de bons
catholiques. On se souviendra de cet autre capitaine qui, entendant les
blasphèmes de Don Garcia, le prévient du danger qu’il y a à se moquer du
Ciel. Ce capitaine, ajoute le narrateur, « portait un chapelet suspendu à côté
de son épée » (Mérimée, p. 47 et 51-52). Il serait fort surprenant de trouver
dans un ouvrage portant sur un personnage non espagnol un nombre aussi
élevé d’allusions de ce type. Plus tard, Barbey d’Aurevilly abondera dans ce
stéréotype de la religion. Pour décrire son plus bel amour, Don Juan décrit
aux femmes qui l’entourent le caractère d’une jeune fille : « cette enfant
bizarre était très dévote, d’une dévotion sombre, espagnole, Moyen Âge,
superstitieuse » (V, p. 73). Plus tard il force le trait en détaillant les
scapulaires et les « tas de croix » qu’elle se plaquait sur sa poitrine ; c’est
dire l’hypertrophie religieuse qui avait fini par se frayer un passage dans
l’imaginaire européen au sujet des Espagnols.
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Courage
La jonction entre la transcendance et l’honneur espagnols est parfaite-
ment décrite dans la pièce de Mérimée. Don Juan apparaît dans ce conte, tel
que le veut la légende, comme « l’unique héritier d’un grand nom et d’une
grande fortune ». Voulant expliquer les connotations hispaniques de cet état,
l’auteur des Âmes du purgatoire décrit quelle fut l’école de Don Juan : « Sa
mère voulait qu’il fût dévot comme elle, son père voulait que son fils fût brave
comme lui. Celle-ci, à force de caresses et de friandises, obligeait l’enfant à
apprendre les litanies, les rosaires, enfin toutes les prières obligatoires et
non obligatoires. Elle l’endormait en lui lisant des légendes. D’un autre côté,
le père apprenait à son fils les romances du Cid et de Bernard del Carpio, lui
contait la révolte des Morisques, et l’encourageait à s’exercer toute la jour-
née à lancer le javelot, à tirer de l’arbalète ou même de l’arquebuse contre
un mannequin vêtu en Maure qu’il avait fait fabriquer au bout de son jardin »
(p. 11). On découvre ici une réminiscence claire des vers satiriques de Byron ;
chez l’écrivain anglais, on lit que le père du héros étant « décédé intestat,
Juan se vit l’unique héritier ». Puisque la tutelle fut confiée à sa mère Doña
Inez, « elle résolut de faire de Juan un véritable prodige, digne en tout point
de sa haute naissance », c’est-à-dire, de son lignage noble et de son sang
pur. Outre les sciences et les lettres profanes, sa mère l’instruisit dans la
religion : aussi devint-il un lecteur consommé de la Bible et des Saints
Pères ; il était aussi un visiteur assidu de l’église. Pour ce qui est de l’office
des armes, Don Juan n’était pas en reste. Sa mère décida qu’il devait possé-
der « tous les talents d’un chevalier […]. Il apprit donc à monter à cheval, à
faire des armes, à manier un fusil, à escalader une forteresse – ou un cou-
vent de nonnes », rajoute Byron malicieusement (I, XXXVIII, XLVI-XLIX).
L’adolescence du héros fut donc partagée entre la révérence de l’au-delà et
le brillant des armes. Elle évoluera plus tard vers d’autres versants, mais on
aperçoit dans la plupart des versions une connaissance de ces principes aux-
quels s’ajoutera celle de la jouissance amoureuse.
Le Burlador passe à la postérité tel une sorte de héros du défi, toujours
prêt à mettre la main à l’épée et à braver la société, en bafouant ce qu’elle
a de plus sacré : l’honneur. Mais Don Juan n’a gardé de l’honneur que son
côté chevaleresque. Dépourvue de vertu, cet honneur devient un simple
ornement : on comprend alors que la renommée dont jouissaient les
Espagnols du XVIIe siècle fut considérée comme « une bienséance affectée
qui ne roul[ait] que sur un beau dehors » (Jean Pic, cité par M. Bouvier). Ce
goût des apparences est au cœur de l’imaginaire hispanique. D’ordinaire on
considère que les Espagnols sont orgueilleux et fainéants et que leur bra-
voure tourne vite à l’excès de témérité et à l’entêtement. L’orgueil et la bra-
voure de Don Juan n’ont pas à être démontrés. Sa fainéantise est mani-
feste, puisqu’il préfère ses plaisirs à ses devoirs (M. Bouvier, p. 101). Don
Juan est un parasite de la société : non seulement il ne collabore pas au
bien commun, mais il vit aux dépens d’un héritage qu’il n’a pas mérité et au
détriment du bonheur des autres. Gentilhomme redoutable et courageux
jusqu’à l’ostentation : ce sont là des traits purement espagnols (D. Souiller,
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p. 157). Dans la pièce de Zorrilla, l’un des gentilshommes se vante que
jamais en Espagne personne ne fera ce qu’il a fait ; il ignore le caractère et
le courage de Don Juan qui ne tarde pas à lui montrer qu’il ment par la
barbe (1re partie, I, 12, v. 421-428). Don Juan devient ainsi le héros vantard
et courageux. Mais cette bravoure donjuanesque est plutôt une simple atti-
tude qu’un trait de son caractère. Tout comme les danses espagnoles, Don
Juan est altier, orgueilleux et provocant ; cependant il ne tombe jamais ni
dans l’ivresse ni dans le transport dissolvant des peuples du nord, mais, au
contraire, dans le triomphe remporté sur l’ivresse, dans une attitude de
parfaite maîtrise (Frisch, postface, p. 96). Nul rapport, par conséquent, avec
le fanfaron ; ce type, déformation burlesque du courage hispanique, connut
un heureux accueil dans le théâtre italien et français du XVIIe siècle. Mais
Don Juan, comme Don Quichotte, n’a que faire du matamore.
Peut-être est-ce Delteil qui a le mieux perçu ce caractère composite de
Don Juan où s’entremêlent harmonieusement les différents éléments
(l’amour, la foi et le courage) à la manière hispanique. Cet auteur français
voit en Don Juan le véritable conquistador de la chair (III, p. 92). Cependant
le sol qui l’a vu naître réclame ses droits et Don Juan se doit de revenir sur
le bon chemin ; c’est ainsi que le chercheur de la chair devient simultané-
ment le chercheur de l’idéal. En cela il rejoint d’autres grands Espagnols
quêteurs d’idéal : le Cid et Don Quichotte. Mieux, Don Juan est le lien qui
les met en rapport : « Don Juan fait le pont entre la Chevalerie et la
Conquistadorerie. Du Chevalier, il a d’abord la foi aveugle, le culte de la
Dame […], toujours par monts et par vaux en quête de prouesses. Du
Conquistador, il a le goût de l’immédiat et du temporel, de la possession
physique […]. Mais s’il y a novation de proie, il y a toujours identité d’appétit.
Christophe Colomb, Pizarre et Don Juan obéissent tous à l’on ne sait quelle
mission du cœur. Que vont-ils entreprendre aux antipodes ? Dénicher
quelque Terre vierge, porter Jésus aux sauvages, “découvrir” l’Amour ».
Quoique quelque peu parodique, cette réflexion permet d’expliquer le
curieux assemblage psychosomatique que le mythe a adopté tout au long
des siècles. Voilà une raison de la force amoureuse du héros ; Don Juan
n’est pas simplement un séducteur de la chair : c’est à l’école de son pays,
guerrier et religieux en même temps, qu’il a acquis la perfection de ses
conquêtes : « La devise du saint, la devise de Don Juan est : passionné-
ment. […] Les attaches de la chair et de la spiritualité sont délicates et pro-
fondes, légitimes et sacrées. Il y a un pont en l’air par où la sensibilité
rejoint Dieu : la Mystique. […] Au commencement il y a la Foi. La Foi : trait
spécifiquement espagnol, et qui alimente tout leur théâtre. […] Par là Don
Juan, l’un des héros les plus universels, est en même temps un héros du
cru. Catholique espagnol […]. Foi en l’Amour, foi en la Vierge, foi en Dieu
(fût-ce à l’envers parfois, car il y a foi contre Dieu) : voilà la charpente de
son être. Foi en l’Amour. Il l’a toujours imaginé grand, solennel, plein de
majesté ; et l’auréole. En cela, encore une fois, il est bien espagnol, pas
gaulois pour un sou, et moins encore grec » (III, 92-98).
Seul un autre pays aurait pu fournir ce mythe : l’Italie. Cela peut être
démontré par l’accueil que le théâtre italien lui fit dès le début. Puis l’opéra
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de Mozart a été d’un apport assez considérable : « Don Giovanni » a pris
autant d’ampleur que « Don Juan ». Mais il faut convenir que la littérature
italienne, d’une manière générale, ne fait pas la fusion composite de tous
ces éléments : quoique de manière moins prononcée que la littérature fran-
çaise, elle évite autant que possible l’assemblage des invariants donjua-
nesques. Si jamais il y a mélange, c’est de tons entre les personnages ; or
Don Juan et son valet se gardent bien d’adopter un rôle qui leur soit étran-
ger. Et si cela arrive, c’est seulement parce que l’argument l’exige ainsi. Par
ailleurs, le milieu idéal de Don Juan est la représentation et non pas l’opéra.
On se souviendra de Frisch qui, en désaccord avec Kierkegaard, affirme que
le médium de Don Juan « n’est pas la musique […] mais le théâtre où l’être
et le masque ne sont pas identiques, si bien qu’il s’ensuit des méprises
comme dans les vieilles pièces espagnoles à travestis et partout où l’homme
n’est pas, mais se cherche lui-même » (p. 94-95). Nombreux sont les
auteurs de tout temps qui ont attiré l’attention sur l’importance du théâtre
dans la formation de la culture et la mentalité espagnoles. Sans le théâtre,
point de masque et point d’apparence non plus : le baroque s’effriterait entre
nos mains et Don Juan abandonnerait son caractère mouvant pour se fixer à
jamais ; le mythe cesserait alors d’exister.
S’il y a une figure sociale qui ressemble merveilleusement à Don Juan,
c’est sans doute celle du torero. Tous les deux font montre de leur courage.
Don Juan ajoute à la beauté de son courage celle de son profil : « il est
élancé comme un torero », affirme Frisch (postface, p. 92). Mais plus
encore que sa taille c’est son attitude qui donne sens à la comparaison :
« Le torero qui, dans son costume argenté, s’avance vers le taureau noir,
l’homme qui joue le combat à mort de l’esprit n’est autre que Don Juan.
Pour le torero non plus il ne s’agit pas en définitive de conserver la vie. La
victoire ne se situe pas là. C’est la grâce de son jeu qui lui assure la vic-
toire, la précision géométrique, la légèreté du danseur, ce qu’il oppose à la
puissance du taureau : c’est la victoire de l’esprit de jeu qui remplit l’arène
d’allégresse. L’animal noir auquel Don Juan fait face, c’est la violence
naturelle du sexe, mais, contrairement au torero, il ne peut la supprimer
sans se détruire lui-même. C’est la différence entre l’arène et le monde,
entre le jeu et l’être… La meilleure introduction à Don Juan – l’œuvre de
Kierkegaard mise à part – est le spectacle d’une corrida » (Frisch, post-
face, p. 97). On doit souligner que dans une belle corrida jamais l’ornement
ne fera défaut ; on y retrouve le goût de la « pompe grandiose » d’un auto-
dafé (Tolstoï, 1re partie, p. 230). Mais dans cette espèce de parade parfois
le torero est en mauvaise position, comme le héros de Montherlant qui
ressent l’amertume de l’indifférence. Aussi son fils Alcacer exprime-t-il
son souhait de mettre sa cape, une fois de plus, entre le taureau et lui. Et
Don Juan de répondre : « Laisse faire une fois le taureau. Il a droit à sa
chance, lui aussi » (III, 1). Voilà une espèce de rébellion contre les lois de
la corrida. Pourtant il ne la refuse pas entièrement : plus tard il recourt à
la même image pour parler des travaux forcés de la galanterie que tous
les deux mènent face aux femmes : elles sont le taureau, Alcacer le torero
et Don Juan le matador. En cela il n’y a rien à objecter : Don Juan est un
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maître fieffé dans l’ars amatoria dans le sens que pour lui séduire une
femme équivaut à toréer un taureau.
Le grand torero, « le torero génial » dont parle Leporello dans le roman
de Torrente Ballester, n’est pas celui qui invente des beaux tours de passe
avec la cape mais celui qui comprend combien chaque faena est unique.
Comme chaque taureau, chaque femme demande à être combattue d’une
manière particulière. Autrement dit, « pour le grand torero n’existe pas une
technique générale que l’on peut appliquer de manière indistincte à chaque
animal, mais une technique spécifique, celle qu’exige le taureau qui est
devant lui. Celui qui la découvre et la met en pratique parvient à la fin de la
faena avec le taureau d’une pièce, la tête basse et peut le tuer à plaisir
d’une seule estocade » (V, 1). On voit que la corrida est, comme le disait
Frisch, une référence de choix pour mieux comprendre Don Juan. À la fin,
le taureau reste seul, mort et étendu par terre, parfois privé d’une ou des
deux oreilles que le public a octroyées comme prix au savoir faire du maes-
tro. Comme le torero, Don Juan quitte toujours la scène et s’en va, délais-
sant la femme dépourvue de son gage le plus précieux. C’est un spectacle
qui ne finit que lorsque l’un des deux combattants touche à sa fin. Parfois
c’est le torero. Enfin la corrida est un spectacle autant par ce qui se passe
entre le torero et le taureau, que par sa dimension et son sens théâtral : on
ne peut imaginer une corrida sans costumes de lumières, sans banderilles
ou sans phases dûment annoncées par les trompettes comme les actes
d’une pièce de théâtre par le lever du rideau.
Note : Ajoutons sous bénéfice d’inventaire que Don Juan, et plus préci-
sément Don Juan Tenorio, ne peut être entièrement compris que comme
un descendant des anciens conquérants (lui-même en est un) qui, descen-
dus des royaumes de Galice, de León et de Castille, recouvrèrent pour les
chrétiens la ville de Séville à l’époque où l’Espagne commençait à devenir
une nation nettement définie comme entité géopolitique. Mais cela fait déjà
partie de la géographie donjuanesque du mythe.
José Manuel LOSADA
Université Complutense (Madrid)
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Bibliographie
Éditions
ANONYME, « La calavera y el convidado de piedra », romance, Romancero
viejo y tradicional, éd. Manuel Alvar, México, Porrúa, 1979.
AZORÍN, José Martínez Ruiz pseud., Don Juan, éd. José María Martínez
Cachero, Madrid, Espasa-Calpe, 1977.
BARBEY D’AUREVILLY, Les Diaboliques, in Œuvres romanesques complètes,
t. II, éd. Jacques Petit, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la
Pléiade », 1989 (1966).
BYRON, Georges Gordon, Don Juan, trad. Benjamin Laroche, nouv. éd.
Stéphane Michalon et Julie Pribula, Paris, Florent Massot, 1994.
DELTEIL, Joseph, Don Juan, Paris, Bernard Grasset, 1930.
DUMAS, Alexandre, Don Juan de Maraña, in Trois Don Juan. « Don Juan de
Maraña » d’Alexandre Dumas (introd. et annotation Loïc Marcou), « Don
Juan », d’Alexis C. Tolstoï, « L’Étudiant de Salamanque » de José de
Espronceda, préf. Pierre Brunel, Paris, Florent-Massot, 1995.
ESPRONCEDA, José de, L’Étudiant de Salamanque, in Trois Don Juan, op. cit.,
trad. Raymond Foulché-Delbosc, introd. Christiane Séris.
FRISCH, Max, Don Juan ou l’Amour de la Géométrie (Don Juan oder die Liebe
zur Geometrie), trad. Henry Bergerot, Paris, Gallimard, 1991 (1969).
GRAU, Jacinto, El burlador que no se burla. El señor de Pigmalión, Madrid,
Espasa-Calpe, coll. « Austral », nº 1612, 1977 (1927).
KIERKEGAARD, Sören, Ou bien… Ou bien…, (Enten-Eller), trad. O. Prior et M.-
H. Guignot, introd. F. Brandt, Paris, Gallimard, 1991 (1943).
MACHADO, Antonio, Juan de Mairena. Sentencias, donaires, apuntes y
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MÉRIMÉE, Prosper, Les Âmes du purgatoire, in Romans et Nouvelles, t. II,
éd. Maurice Parturier, Paris, Garnier Frères, 1967.
MOLIÈRE, Dom Juan ou le Festin de Pierre, comédie, in Molière. Œuvres
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1992 (1965).
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préf. Jacques de Laprade, préf. complémentaire Philippe de Saint
Robert, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972.
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coproduction Érato / Rias Berlin, 1992.
SHAW, Bernard, Man and Superman. A Comedy and a Philosophy, éd. Dan
H. Laurence, Harmondsworth, Middlesex, Penguin Books, 1957.
TIRSO DE MOLINA (ou Andrés DE CLARAMONTE), El burlador de Sevilla. Atribuida
a Tirso de Molina, éd. Alfredo Rodríguez López-Vázquez, Madrid,
Cátedra, coll. « Letras Hispánicas », nº 57, 7e éd., 1995.
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— L’Abuseur de Séville. (Don Juan). El Burlador de Sevilla, éd. Pierre
Guenoun, bibliogr. nouv. Bernard Sesé, Paris, Aubier, coll. « Domanine
hispanique », 1991 (1968).
TOLSTOÏ, Alexis Constantinovitch, Don Juan, in Trois Don Juan, op. cit., trad.,
introd. et annotation Michel Cadot.
TORRENTE BALLESTER, Gonzalo, Don Juan, Barcelona, Ediciones Destino, coll.
« Destinolibro », nº 14, 1995 (1962).
ZORRILLA, José, Don Juan Tenorio, éd. Luis Fernández Cifuentes, introd.
Ricardo Navas Ruiz, Barcelona, Crítica, 1993.
Note : pour les éditions non françaises, c’est nous qui traduisons.
Études
BOUVIER, Michel, « Dom Juan et les moralistes », in Molière. Dom Juan,
études recueillies par Pierre Ronzeaud, Paris, Klincksieck, coll.
« Parcours critique », p. 100-106.
BOYER, Henri, « Miséricorde de Dieu et Apothéose de l’Amour », in Obliques,
numéro spécial Don Juan, 4-5, 1981, p. 53-59.
BRUNEL, Pierre, dir., Dictionnaire de Don Juan, Paris, Robert Laffont,
« Bouquins », 1999.
GENDARME DE BÉVOTTE, Georges, La Légende de Don Juan. Son évolution dans
la littérature des origines au romantisme, Paris, Hachette, 1906. Il
existe une édition abrégée mais qui prolonge l’étude jusqu’au début du
XXe siècle : Paris, Hachette, 1911, rééd. Genève, Slatkine Reprints, 1993.
HEUGAS, Pierre, « Revenir au Don Juan espagnol », in Hommage à Maxime
Chevalier. Bulletin Hispanique, XCII, 1, 1990, p. 333-353.
MARAÑÓN, Gregorio, « Soy español », in Obras completas, 10 t., Madrid,
Espasa-Calpe, 1966-1977, t. 2, p. 353-355.
SAID ARMESTO, Víctor, La leyenda de Don Juan, Madrid, Espasa-Calpe, coll.
« Austral », 1968.
SOUILLER, Didier, « Pourquoi Don Juan devait-il naître en Espagne ? », in
Gedenkschrift der Universität Burgund für Kurt Ringger. Hommages de
l’Université de Bourgogne, Dijon, Association Bourguignonne de
Dialectologie et d’Onomastique, 1990, p. 145-161.
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Sur le caractère hispanique de Don Juan.pdf

  • 1. Sur le caractère hispanique de Don Juan José Manuel Losada Dans Revue de littérature comparée 2003/2 (n o 306),pages 197 à 208 Éditions Klincksieck ISSN 0035-1466 DOI 10.3917/rlc.306.0197 Distribution électronique Cairn.info pour Klincksieck. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-de-litterature-comparee-2003-2-page-197.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 2. Sur le caractère hispanique de Don Juan Dans l’hôtellerie de Cristófano Buttarelli à Séville, on assiste au dialogue entre le tenancier et Ciutti, le valet de Don Juan. Pendant que le protago- niste écrit une lettre d’amour à Doña Inès, Ciutti décrit à Buttarelli le type d’homme qu’est son maître : fort riche, franc comme un étudiant, noble comme un infant et brave comme un pirate. Il avoue ignorer son nom et suppose qu’il est Espagnol (Zorrilla, 1re partie, I, 1, v. 24-30). Sa supposition devient une évidence lors de la pièce et tout au long des différentes versions que la littérature universelle offre sur le mythe donjuanesque. Or il convient de signaler que la croyance du valet n’est fondée que sur l’attitude d’un homme qui ne pouvait être qu’un Espagnol. Depuis son apparition dans les romances espagnols chantés au Moyen Âge dans les royaumes de Galice, León et Castille, « le galant qui allait à la messe » a revêtu différentes modalités populaires jusqu’à sa cristallisation dans la pièce L’Abuseur de Séville attribuée à Tirso de Molina ; ces métamorphoses du mythe l’ont montré sous des jours nouveaux depuis les toutes premières pièces espa- gnoles jusqu’aux œuvres les plus récentes de tous pays. Il est étonnant que la nationalité n’ait pas changé dans presque aucun cas ; force est de recon- naître que Don Juan est resté dans l’imaginaire littéraire et social comme un personnage espagnol. Il convient d’évoquer les principales raisons qui exigent le caractère hispanique du plus grand séducteur de toute la terre. Don Juan incarne en bonne partie le type traditionnel de l’Espagnol, avec les bonnes et les mauvaises acceptions du « génie » espagnol. L’Espagne, peut-être plus que partout ailleurs, est le pays des paradoxes et des contrastes (on sera étonné d’apprendre que ce pays presque entière- ment côtier a la deuxième altitude moyenne de toute l’Europe). Dans l’amour comme dans la foi, dans le courage comme dans la pensée, per- sonne ne saurait donner raison des incohérences innées à ce pays. Depuis le XVIe siècle, l’Espagne est considérée dans l’imaginaire européen comme le support de la chrétienté contre l’hérésie, indocile jusqu’à la mort face à l’envahisseur, source de grands esprits qui ont rayonné autour d’eux de manière peu commune ; mais l’Espagne est également considérée comme le pays de tous les extrémismes dans la haine, dans le fanatisme religieux, dans la fainéantise et dans la pauvreté intellectuelle : les extrêmes se tou- chent. Il n’y a qu’en Espagne que pouvaient naître tout à la fois le Cid, notes et documents Revue de Littérature Comparée 2-2003 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 197 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 3. Charles Quint, sainte Thérèse ; nulle part ailleurs ne pouvaient germer la Célestine, le pícaro et Torquemada : c’est Don Quichotte chevauchant de pair avec Sancho Pança. Don Juan est à son tour l’homme des paradoxes : homme de grand cœur mais inconstant dans ses engagements, incroyant ou cherchant Dieu dans un pays chrétien jusqu’à la moelle, chevaleresque mais impuissant au travail afin de vivre noblement, logique dans ses rai- sonnements et absurde dans ses actions : Don Juan a les stigmates du contraste dans son âme comme le pays qui l’abrite. Un bon exemple de Don Juan est celui d’Espronceda. Le héros de L’Étudiant de Salamanque est d’ordinaire peu compris, peut-être parce que trop espagnol, sans doute à cause de son intrépidité et de sa vantardise, de son obstination enveloppée de frivolité, de son impiété face à l’évidence sur- naturelle ; autant d’éléments qui font de lui « la synthèse ou, mieux, le noyau le plus espagnol de tous les Don Juan » (Machado, Juan de Mairena, XXVII). Il est aussi un autre Don Juan qui a connu son apogée à l’époque romantique : celui du révolté qui se convertit à la fin de sa vie, celui de Zamora, de Blaze de Bury, de Tolstoï (pour la variante de juin 1862), de Dumas (pour la variante de 1864) et surtout celui de Zorrilla. Cet auteur, dans Les Souvenirs du temps jadis, avouait les vertus et les défauts de son ouvrage et de son protagoniste ; ce sont des caractéristiques qui s’appli- quent à tous les Espagnols car il a été pétri à l’image du peuple espagnol (XVIII, in Don Juan Tenorio, p. 239). Dans la postface de sa pièce, Frisch affirme que « l’Espagnol […] ne connaît pas le peut-être, ni l’ambivalence ; il ne connaît que le oui et le non. Il ne connaît ainsi que deux sortes de vin, le rouge et le blanc ; il ne connaît pas la nuance » (p. 96). Par ce manque de transitions, l’Espagnol devient brusque malgré la grandeur de son cœur. Le caractère multiforme de Don Juan exige sans cesse de nouvelles modalités, des essais et des variantes rajoutées par les auteurs sur des œuvres qui paraissent terminées. Comme le caractère du pays qui l’a vu naître, Don Juan est composite, l’homme des contrastes qui le font sans cesse renaître sous un autre jour de ses propres cendres. Nombreux sont les critiques qui ont essayé d’expliquer le caractère hispanique de Don Juan. Didier Souiller, après avoir exposé la tendance à la représentation de la problématique donjuanesque au XVIIe siècle, montre avec force arguments historiques que le milieu espagnol était seul susceptible de réunir toutes les conditions nécessaires à l’éclosion de L’Abuseur de Séville. Henri Boyer parle à son tour des faiblesses irritantes que l’on peut détecter dans la célèbre pièce de Zorrilla ; pourtant ce Don Juan, sans doute l’un des plus espagnols qui soient, n’a pas cessé de connaître un succès retentissant à cause de ses défauts comme de ses vertus : en Espagne, elle est constam- ment jouée dans de nombreuses salles tous les ans le jour des morts. Chez Marañón, on trouve d’intéressantes réflexions sur le mythe de Don Juan comme sur le donjuanisme. Dans un article étranger au mythe, le poly- graphe développe quelques notes intéressantes sur son idée de l’Espagne : « soif d’idéalisme qui l’a souvent mise en passe de disparaître », disposition aux deux sacrifices les plus durs : « celui de rompre […] la continuité avec le passé et […] celui du désaccord avec le présent » (p. 354). On peut repro- Notes et documents 198 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 198 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 4. cher à Marañón un bon nombre de poncifs sur l’idée de l’Espagne et le peu de rigueur scientifique de certaines de ses approches ; cependant ses réflexions apportent une explication plausible pour comprendre les modali- tés romantiques présentant Don Juan comme chercheur d’idéal et sa rébel- lion face aux structures politiques et religieuses. Marañón n’est pas le pre- mier à les avoir énoncées. Déjà Grau expliquait par la bouche d’un de ses personnages, que la soif d’idéal provient d’une curieuse juxtaposition d’un concept germanique sur le Don Juan espagnol (3e tableau, p. 172). De son côté, la révolte continuelle peut être expliquée par la répugnance hispa- nique face à l’ordre pour l’ordre : « Don Juan est un Espagnol : un Anarchiste » (Frisch, postface, p. 95). Dans les manifestations dramaturgiques européennes, l’amour garde généralement un respect des principes sociaux communément acceptés ; il peut causer des troubles à l’intérieur d’un petit groupe, mais tout son mal s’arrête là. Il est d’autres pays où le jeu dangereux de l’amour s’élève à la hauteur d’un principe d’existence clairement défini en opposition aux valeurs religieuses et sociales. C’était le cas de l’Espagne lors de la gestation du mythe. À cause de son histoire, dans ce pays l’on assistait jadis à une sym- biose extrême entre l’État, la race et la religion. De même qu’être juif ou musulman entraînait immédiatement de mauvaises conséquences pour l’in- dividu, l’inconstance en amour et le refus de se fixer qui caractérise Don Juan prend dès l’abord une portée sociale et religieuse démesurée ; le théâtre de Lope de Vega et de Calderón sont là pour le prouver. En Espagne on ne pouvait pas accepter impunément le libertinage dans l’amour sans ris- quer de voir s’écrouler les bases sur lesquelles toute la société était fondée. Galanterie À cela il faut ajouter la fascination que l’Europe a subie de la culture et des manières espagnoles à l’époque où la Péninsule était une puissance à l’échelle de la planète. La politesse et la galanterie espagnoles trouvèrent des admirateurs fervents pendant plus de deux siècles ; Paul Hay disait en 1669 que les Espagnols préféraient la galanterie à tout ce qu’il y a de plus important (cité par H. Bouvier). Il se produisit alors cet imaginaire selon lequel les Espagnols étaient considérés comme maîtres incomparables du discours galant. De même que l’Italie à la Renaissance ou la France aux Lumières, l’Espagne – notamment celle des XVIe et XVIIe siècles – passait dans l’imaginaire européen pour le pays des bonnes manières. L’Anglais Byron, toujours à sa façon, attribue cela à une cause purement climatologique : « Ce que les hommes appellent la galanterie, et les dieux adultère, est beau- coup plus commun dans les pays chauds » (I, LXIII ; vid. aussi I, LXIV et LXIX). À son tour, Azorín définit l’Espagne comme la « terre de l’amour de la galan- terie (caballería) » (XXXIX, p. 92). Or la galanterie exigeait un statut noble. On ne sera pas étonné que le résultat soit pour ce qui nous intéresse un noble débauché tel qu’il est décrit chez Tirso ; c’est précisément dans sa pièce que l’abusée Arminta s’exclame après sa défloration qu’en Espagne les cheva- liers sont tous devenus dévergondés (III, v. 1962-1963). Notes et documents 199 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 199 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 5. On ne peut passer sous silence un problème suscité par la manière dont le héros comprend l’amour. Don Juan est galant envers les femmes, et sans doute ressent-il parfois l’amour ou du moins croit-il l’éprouver à l’égard des beautés qu’il croise sur son chemin ; elles se montrent, par ailleurs, le plus souvent impuissantes à résister à ses appâts et à sa parole séductrice. Bref, « Don Juan est un mâle qui fait merveilleusement l’amour » (Delteil, IV, p. 122). Il faut avouer cependant que sa manière de faire l’amour finit tou- jours mal – à l’exception, bien sûr, de certains ouvrages romantiques. Outre les « familles déshonorées » et « les parents outragés », on doit attirer l’at- tention sur les « femmes mises à mal » (Molière, V, 6 ; Frisch, 3e inter- mède). Don Juan apparaît ainsi comme « le châtiment des femmes » car après les avoir abusées il les délaisse privées de toute espérance (Tirso, I, v. 895-896). Le mauvais souvenir qu’elles gardent de lui se répète tout au long des œuvres depuis le XVIIe siècle jusqu’au XXe. En cela, il faut convenir que Don Juan est peu caballero : si son esprit chevaleresque est mis en relief dans ses rapports avec certains nobles, il va à l’encontre du véritable esprit chevaleresque lorsqu’il est question d’affaires d’amour. Un chevalier espagnol se doit de rester toujours au service de la femme : cela signifie qu’il sera prêt à donner sa vie afin de garder sauf son honneur. Entretenir économiquement les femmes séduites (Montherlant) ou leur trouver un soupirant de remplacement (Torrente Ballester) n’est pas un alibi suffisant. Cette démarche est peut-être l’une des moins espagnoles de Don Juan. Son attitude à l’égard des femmes séduites l’éloigne du génie espagnol et le rapproche du type du séducteur. Certes, ce n’est pas un séducteur vulgaire, mais un séducteur hors classe qui vient se ranger à côté de l’Arétin, de Casanova ou de Lovelace. C’est l’un des paradoxes qui ne cessent de poser des questions à la critique. Catholicisme Indépendamment de toutes sortes de préjugés, il faut admettre que l’Espagne apparaît depuis le XVIe siècle comme le grand bastion de la catholicité. C’est là que l’Église catholique connut un développement sans égal. Qu’on songe au nombre de saints que l’Espagne a donnés ; c’est à peine si on peut les comparer avec ceux de l’Italie ou de la France. Même aux périodes où l’État interdit toute pratique religieuse, le peuple resta toujours fidèle à Rome. D’autre part, pour ce qui est du clergé et de la vie monastique, nul autre pays n’a joui d’un aussi grand prestige ni attiré autant de vocations. Dans le domaine littéraire, l’on connaît le goût hispa- nique pour les débats sur la question de la grâce, les mystères fondamen- taux de la foi chrétienne et la dévotion populaire. Pour ne parler que du théâtre, les autos sacramentales et la grande production du théâtre didactique connurent un apogée qui serait incompréhensible hors des frontières espagnoles. Or chez Don Juan l’on assiste à une curieuse symbiose entre les diffé- rentes conceptions de la noblesse, de l’amour et de la religion. À cet égard, il faut souligner deux faits incontestables : premièrement, nulle part Notes et documents 200 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 200 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 6. ailleurs le refus de toute activité pratique pour vivre tranquillement et sans arrière pensée de ses rentes n’a été élevé à ce point au rang d’idéal de vie officiel : ce « vivre noblement » n’est pas l’une des moindres causes de la décadence espagnole. Dans ce sens, le personnage de Don Juan sert à réfuter une mauvaise interprétation du libre arbitre, que seuls les Espagnols, si pénétrés du « laxisme » des jésuites, auraient pu concevoir (D. Souiller). Deuxièmement, la religion apparaît intimement liée à la conception espagnole de l’amour et, plus précisément, à la conception don- juanesque de l’amour. Nous sommes, en effet, face à un sentiment simul- tané et contradictoire de fascination sensuelle pour le monde et de déta- chement ascétique pour mieux tendre vers un au-delà défini comme seule réalité. Autrement dit, le héros a été conçu pour dénoncer le laisser-aller des mœurs et l’oubli des valeurs religieuses au sein d’une société qui par- venait mal à condamner la chair et à y associer l’idée de péché. Les carac- téristiques du personnage de Don Juan sont la conséquence extrême des pratiques espagnoles contemporaines, exagérées, voire caricaturées dans un dessein moralisateur. Le héros donjuanesque incarnerait au plus haut point les vices de son temps et de sa nation. On peut parler à ce propos d’un facteur que les historiens ont commu- nément appelé la deuxième christianisation de l’Europe : on pensera notamment aux décrets d’application du Concile de Trente, sous l’inspira- tion évidente de la puissance qu’était alors l’Espagne de Charles Quint. Dans ces campagnes qui voulaient assurer le contrôle de la religion sur les mœurs, on insistait sur la réalité de la mort et sur l’importance relative des affaires du monde par rapport au salut éternel. Certes, Don Juan repousse sans cesse la pensée de la mort pour mieux s’adonner à sa libido sentiendi (Tirso, II, v. 1434-1440) ; par cette attitude, il peut être considéré comme une protestation des forces de l’instinct et il est le reflet d’une conception plutôt païenne de l’existence : jouir de son être en suivant l’enseignement de la nature. Au XVIe siècle circulaient de multiples récits et documents ico- nographiques réunissant de manière antithétique les deux éléments du mythe de Don Juan : le jeune séducteur et le rapport avec l’au-delà. Le paradoxe entre ces invariants n’est qu’apparent : si Don Juan existe, c’est grâce au milieu chrétien qui lui a donné vie. C’est dans ce milieu qu’il incarne dans le plus profond de son être l’affirmation d’une idée indiscu- table : celle de la liberté. Il ne faut pas oublier que la liberté (celle que selon saint Paul le Christ a gagnée sur la croix au profit des hommes) est au centre de toute la doctrine chrétienne, qui est avant tout une doctrine de libération de l’esclavage du péché. Or Don Juan fait abstraction de cette doctrine pour ne garder que l’idée absolue de liberté sans référent précis ; bref, d’abord il fait de la liberté son idole, puis il se met à genoux devant elle. Don Juan procède de la sorte à une subversion substantielle du chris- tianisme et transforme la liberté en libertinage. La fête que le séducteur offre aux convives chez lui dans l’opéra de Mozart est une célébration en honneur de la liberté ; même l’amour entre dans le domaine de la liberté : Don Juan laisse sa porte grande ouverte pour chanter, sinon la liberté, du moins le libertinage dans l’amour (II, 21). Cette idée de liberté est longue- Notes et documents 201 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 201 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 7. ment développée par Shaw dans sa comédie philosophique lorsque le héros s’entretient en enfer avec le diable et la statue. Ses interlocuteurs n’ont pas encore bien compris le sens de la force de la vie dont est inspirée toute la pensée donjuanesque. Afin de rendre plus facile son raisonnement, il a recours à l’idée de la liberté telle que la définit le christianisme dont l’exemple le plus accompli est celui des croisades : « Pourquoi le Croisé était-il plus courageux que le pirate ? Parce qu’il luttait non pour lui-même mais pour la Croix ». Cette idée de croyance explique, ajoute-t-il, la force imparable des musulmans lors de la Guerre Sainte et celle des chrétiens lors de la Reconquête. Don Juan poursuit sa réflexion sur l’idée principale de l’Église catholique et plus précisément sur le catholicisme combattant « pour la liberté universelle et l’égalité ». Autrement dit, la grande idée catholique est « l’abolition de l’esclavage » (III, p. 145-146). On peut dresser un parallèle entre cette argumentation donjuanesque et le but du héros qui est la liberté dans l’amour et l’insoumission aux entraves sociales et trans- cendantes. L’abstraction de tous les éléments substantiels de cette idée de liberté (Église catholique, Dieu, État, Amour) fait apparaître le seul motif (le libertinage, évidemment dépourvu de tout référent objectif) pour lequel Don Juan est prêt à vivre et à mourir. Don Juan serait impensable – tout au moins pour son origine littéraire – dans un cadre païen. Il peut adopter des attitudes païennes, et souvent il les adopte ; mais lui ne l’est pas. Mieux, son entourage est toujours chré- tien ou, du moins, garde une tradition fortement ancrée dans le sens chré- tien de la vie : une vie importante, certes, mais passagère et qui mène chaque homme et chaque femme à la vie qui n’a pas de fin. Aussi faut-il se préparer, ne serait-ce qu’à l’instant ultime de la mort. C’est ce que font nombre de personnages en rapport intime avec le héros. Le capitaine Gomare, mortellement blessé lors d’une malheureuse escarmouche en Flandre, mande Don Juan et lui remet sa bourse : il vaut mieux, dit-il, qu’elle soit à lui qu’à l’ennemi hollandais (ce qui prouve encore une fois que le héros est censé être chrétien) ; puis, avant de mourir, le capitaine demande à Don Juan de faire dire quelques messes pour le repos de son âme. Ce capitaine Gomare est loin d’être le seul chrétien parmi les rangs de l’armée espagnole : tous, à l’exception de Don Garcia, sont de bons catholiques. On se souviendra de cet autre capitaine qui, entendant les blasphèmes de Don Garcia, le prévient du danger qu’il y a à se moquer du Ciel. Ce capitaine, ajoute le narrateur, « portait un chapelet suspendu à côté de son épée » (Mérimée, p. 47 et 51-52). Il serait fort surprenant de trouver dans un ouvrage portant sur un personnage non espagnol un nombre aussi élevé d’allusions de ce type. Plus tard, Barbey d’Aurevilly abondera dans ce stéréotype de la religion. Pour décrire son plus bel amour, Don Juan décrit aux femmes qui l’entourent le caractère d’une jeune fille : « cette enfant bizarre était très dévote, d’une dévotion sombre, espagnole, Moyen Âge, superstitieuse » (V, p. 73). Plus tard il force le trait en détaillant les scapulaires et les « tas de croix » qu’elle se plaquait sur sa poitrine ; c’est dire l’hypertrophie religieuse qui avait fini par se frayer un passage dans l’imaginaire européen au sujet des Espagnols. Notes et documents 202 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 202 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 8. Courage La jonction entre la transcendance et l’honneur espagnols est parfaite- ment décrite dans la pièce de Mérimée. Don Juan apparaît dans ce conte, tel que le veut la légende, comme « l’unique héritier d’un grand nom et d’une grande fortune ». Voulant expliquer les connotations hispaniques de cet état, l’auteur des Âmes du purgatoire décrit quelle fut l’école de Don Juan : « Sa mère voulait qu’il fût dévot comme elle, son père voulait que son fils fût brave comme lui. Celle-ci, à force de caresses et de friandises, obligeait l’enfant à apprendre les litanies, les rosaires, enfin toutes les prières obligatoires et non obligatoires. Elle l’endormait en lui lisant des légendes. D’un autre côté, le père apprenait à son fils les romances du Cid et de Bernard del Carpio, lui contait la révolte des Morisques, et l’encourageait à s’exercer toute la jour- née à lancer le javelot, à tirer de l’arbalète ou même de l’arquebuse contre un mannequin vêtu en Maure qu’il avait fait fabriquer au bout de son jardin » (p. 11). On découvre ici une réminiscence claire des vers satiriques de Byron ; chez l’écrivain anglais, on lit que le père du héros étant « décédé intestat, Juan se vit l’unique héritier ». Puisque la tutelle fut confiée à sa mère Doña Inez, « elle résolut de faire de Juan un véritable prodige, digne en tout point de sa haute naissance », c’est-à-dire, de son lignage noble et de son sang pur. Outre les sciences et les lettres profanes, sa mère l’instruisit dans la religion : aussi devint-il un lecteur consommé de la Bible et des Saints Pères ; il était aussi un visiteur assidu de l’église. Pour ce qui est de l’office des armes, Don Juan n’était pas en reste. Sa mère décida qu’il devait possé- der « tous les talents d’un chevalier […]. Il apprit donc à monter à cheval, à faire des armes, à manier un fusil, à escalader une forteresse – ou un cou- vent de nonnes », rajoute Byron malicieusement (I, XXXVIII, XLVI-XLIX). L’adolescence du héros fut donc partagée entre la révérence de l’au-delà et le brillant des armes. Elle évoluera plus tard vers d’autres versants, mais on aperçoit dans la plupart des versions une connaissance de ces principes aux- quels s’ajoutera celle de la jouissance amoureuse. Le Burlador passe à la postérité tel une sorte de héros du défi, toujours prêt à mettre la main à l’épée et à braver la société, en bafouant ce qu’elle a de plus sacré : l’honneur. Mais Don Juan n’a gardé de l’honneur que son côté chevaleresque. Dépourvue de vertu, cet honneur devient un simple ornement : on comprend alors que la renommée dont jouissaient les Espagnols du XVIIe siècle fut considérée comme « une bienséance affectée qui ne roul[ait] que sur un beau dehors » (Jean Pic, cité par M. Bouvier). Ce goût des apparences est au cœur de l’imaginaire hispanique. D’ordinaire on considère que les Espagnols sont orgueilleux et fainéants et que leur bra- voure tourne vite à l’excès de témérité et à l’entêtement. L’orgueil et la bra- voure de Don Juan n’ont pas à être démontrés. Sa fainéantise est mani- feste, puisqu’il préfère ses plaisirs à ses devoirs (M. Bouvier, p. 101). Don Juan est un parasite de la société : non seulement il ne collabore pas au bien commun, mais il vit aux dépens d’un héritage qu’il n’a pas mérité et au détriment du bonheur des autres. Gentilhomme redoutable et courageux jusqu’à l’ostentation : ce sont là des traits purement espagnols (D. Souiller, Notes et documents 203 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 203 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 9. p. 157). Dans la pièce de Zorrilla, l’un des gentilshommes se vante que jamais en Espagne personne ne fera ce qu’il a fait ; il ignore le caractère et le courage de Don Juan qui ne tarde pas à lui montrer qu’il ment par la barbe (1re partie, I, 12, v. 421-428). Don Juan devient ainsi le héros vantard et courageux. Mais cette bravoure donjuanesque est plutôt une simple atti- tude qu’un trait de son caractère. Tout comme les danses espagnoles, Don Juan est altier, orgueilleux et provocant ; cependant il ne tombe jamais ni dans l’ivresse ni dans le transport dissolvant des peuples du nord, mais, au contraire, dans le triomphe remporté sur l’ivresse, dans une attitude de parfaite maîtrise (Frisch, postface, p. 96). Nul rapport, par conséquent, avec le fanfaron ; ce type, déformation burlesque du courage hispanique, connut un heureux accueil dans le théâtre italien et français du XVIIe siècle. Mais Don Juan, comme Don Quichotte, n’a que faire du matamore. Peut-être est-ce Delteil qui a le mieux perçu ce caractère composite de Don Juan où s’entremêlent harmonieusement les différents éléments (l’amour, la foi et le courage) à la manière hispanique. Cet auteur français voit en Don Juan le véritable conquistador de la chair (III, p. 92). Cependant le sol qui l’a vu naître réclame ses droits et Don Juan se doit de revenir sur le bon chemin ; c’est ainsi que le chercheur de la chair devient simultané- ment le chercheur de l’idéal. En cela il rejoint d’autres grands Espagnols quêteurs d’idéal : le Cid et Don Quichotte. Mieux, Don Juan est le lien qui les met en rapport : « Don Juan fait le pont entre la Chevalerie et la Conquistadorerie. Du Chevalier, il a d’abord la foi aveugle, le culte de la Dame […], toujours par monts et par vaux en quête de prouesses. Du Conquistador, il a le goût de l’immédiat et du temporel, de la possession physique […]. Mais s’il y a novation de proie, il y a toujours identité d’appétit. Christophe Colomb, Pizarre et Don Juan obéissent tous à l’on ne sait quelle mission du cœur. Que vont-ils entreprendre aux antipodes ? Dénicher quelque Terre vierge, porter Jésus aux sauvages, “découvrir” l’Amour ». Quoique quelque peu parodique, cette réflexion permet d’expliquer le curieux assemblage psychosomatique que le mythe a adopté tout au long des siècles. Voilà une raison de la force amoureuse du héros ; Don Juan n’est pas simplement un séducteur de la chair : c’est à l’école de son pays, guerrier et religieux en même temps, qu’il a acquis la perfection de ses conquêtes : « La devise du saint, la devise de Don Juan est : passionné- ment. […] Les attaches de la chair et de la spiritualité sont délicates et pro- fondes, légitimes et sacrées. Il y a un pont en l’air par où la sensibilité rejoint Dieu : la Mystique. […] Au commencement il y a la Foi. La Foi : trait spécifiquement espagnol, et qui alimente tout leur théâtre. […] Par là Don Juan, l’un des héros les plus universels, est en même temps un héros du cru. Catholique espagnol […]. Foi en l’Amour, foi en la Vierge, foi en Dieu (fût-ce à l’envers parfois, car il y a foi contre Dieu) : voilà la charpente de son être. Foi en l’Amour. Il l’a toujours imaginé grand, solennel, plein de majesté ; et l’auréole. En cela, encore une fois, il est bien espagnol, pas gaulois pour un sou, et moins encore grec » (III, 92-98). Seul un autre pays aurait pu fournir ce mythe : l’Italie. Cela peut être démontré par l’accueil que le théâtre italien lui fit dès le début. Puis l’opéra Notes et documents 204 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 204 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 10. de Mozart a été d’un apport assez considérable : « Don Giovanni » a pris autant d’ampleur que « Don Juan ». Mais il faut convenir que la littérature italienne, d’une manière générale, ne fait pas la fusion composite de tous ces éléments : quoique de manière moins prononcée que la littérature fran- çaise, elle évite autant que possible l’assemblage des invariants donjua- nesques. Si jamais il y a mélange, c’est de tons entre les personnages ; or Don Juan et son valet se gardent bien d’adopter un rôle qui leur soit étran- ger. Et si cela arrive, c’est seulement parce que l’argument l’exige ainsi. Par ailleurs, le milieu idéal de Don Juan est la représentation et non pas l’opéra. On se souviendra de Frisch qui, en désaccord avec Kierkegaard, affirme que le médium de Don Juan « n’est pas la musique […] mais le théâtre où l’être et le masque ne sont pas identiques, si bien qu’il s’ensuit des méprises comme dans les vieilles pièces espagnoles à travestis et partout où l’homme n’est pas, mais se cherche lui-même » (p. 94-95). Nombreux sont les auteurs de tout temps qui ont attiré l’attention sur l’importance du théâtre dans la formation de la culture et la mentalité espagnoles. Sans le théâtre, point de masque et point d’apparence non plus : le baroque s’effriterait entre nos mains et Don Juan abandonnerait son caractère mouvant pour se fixer à jamais ; le mythe cesserait alors d’exister. S’il y a une figure sociale qui ressemble merveilleusement à Don Juan, c’est sans doute celle du torero. Tous les deux font montre de leur courage. Don Juan ajoute à la beauté de son courage celle de son profil : « il est élancé comme un torero », affirme Frisch (postface, p. 92). Mais plus encore que sa taille c’est son attitude qui donne sens à la comparaison : « Le torero qui, dans son costume argenté, s’avance vers le taureau noir, l’homme qui joue le combat à mort de l’esprit n’est autre que Don Juan. Pour le torero non plus il ne s’agit pas en définitive de conserver la vie. La victoire ne se situe pas là. C’est la grâce de son jeu qui lui assure la vic- toire, la précision géométrique, la légèreté du danseur, ce qu’il oppose à la puissance du taureau : c’est la victoire de l’esprit de jeu qui remplit l’arène d’allégresse. L’animal noir auquel Don Juan fait face, c’est la violence naturelle du sexe, mais, contrairement au torero, il ne peut la supprimer sans se détruire lui-même. C’est la différence entre l’arène et le monde, entre le jeu et l’être… La meilleure introduction à Don Juan – l’œuvre de Kierkegaard mise à part – est le spectacle d’une corrida » (Frisch, post- face, p. 97). On doit souligner que dans une belle corrida jamais l’ornement ne fera défaut ; on y retrouve le goût de la « pompe grandiose » d’un auto- dafé (Tolstoï, 1re partie, p. 230). Mais dans cette espèce de parade parfois le torero est en mauvaise position, comme le héros de Montherlant qui ressent l’amertume de l’indifférence. Aussi son fils Alcacer exprime-t-il son souhait de mettre sa cape, une fois de plus, entre le taureau et lui. Et Don Juan de répondre : « Laisse faire une fois le taureau. Il a droit à sa chance, lui aussi » (III, 1). Voilà une espèce de rébellion contre les lois de la corrida. Pourtant il ne la refuse pas entièrement : plus tard il recourt à la même image pour parler des travaux forcés de la galanterie que tous les deux mènent face aux femmes : elles sont le taureau, Alcacer le torero et Don Juan le matador. En cela il n’y a rien à objecter : Don Juan est un Notes et documents 205 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 205 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 11. maître fieffé dans l’ars amatoria dans le sens que pour lui séduire une femme équivaut à toréer un taureau. Le grand torero, « le torero génial » dont parle Leporello dans le roman de Torrente Ballester, n’est pas celui qui invente des beaux tours de passe avec la cape mais celui qui comprend combien chaque faena est unique. Comme chaque taureau, chaque femme demande à être combattue d’une manière particulière. Autrement dit, « pour le grand torero n’existe pas une technique générale que l’on peut appliquer de manière indistincte à chaque animal, mais une technique spécifique, celle qu’exige le taureau qui est devant lui. Celui qui la découvre et la met en pratique parvient à la fin de la faena avec le taureau d’une pièce, la tête basse et peut le tuer à plaisir d’une seule estocade » (V, 1). On voit que la corrida est, comme le disait Frisch, une référence de choix pour mieux comprendre Don Juan. À la fin, le taureau reste seul, mort et étendu par terre, parfois privé d’une ou des deux oreilles que le public a octroyées comme prix au savoir faire du maes- tro. Comme le torero, Don Juan quitte toujours la scène et s’en va, délais- sant la femme dépourvue de son gage le plus précieux. C’est un spectacle qui ne finit que lorsque l’un des deux combattants touche à sa fin. Parfois c’est le torero. Enfin la corrida est un spectacle autant par ce qui se passe entre le torero et le taureau, que par sa dimension et son sens théâtral : on ne peut imaginer une corrida sans costumes de lumières, sans banderilles ou sans phases dûment annoncées par les trompettes comme les actes d’une pièce de théâtre par le lever du rideau. Note : Ajoutons sous bénéfice d’inventaire que Don Juan, et plus préci- sément Don Juan Tenorio, ne peut être entièrement compris que comme un descendant des anciens conquérants (lui-même en est un) qui, descen- dus des royaumes de Galice, de León et de Castille, recouvrèrent pour les chrétiens la ville de Séville à l’époque où l’Espagne commençait à devenir une nation nettement définie comme entité géopolitique. Mais cela fait déjà partie de la géographie donjuanesque du mythe. José Manuel LOSADA Université Complutense (Madrid) Notes et documents 206 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 206 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 12. Bibliographie Éditions ANONYME, « La calavera y el convidado de piedra », romance, Romancero viejo y tradicional, éd. Manuel Alvar, México, Porrúa, 1979. AZORÍN, José Martínez Ruiz pseud., Don Juan, éd. José María Martínez Cachero, Madrid, Espasa-Calpe, 1977. BARBEY D’AUREVILLY, Les Diaboliques, in Œuvres romanesques complètes, t. II, éd. Jacques Petit, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1989 (1966). BYRON, Georges Gordon, Don Juan, trad. Benjamin Laroche, nouv. éd. Stéphane Michalon et Julie Pribula, Paris, Florent Massot, 1994. DELTEIL, Joseph, Don Juan, Paris, Bernard Grasset, 1930. DUMAS, Alexandre, Don Juan de Maraña, in Trois Don Juan. « Don Juan de Maraña » d’Alexandre Dumas (introd. et annotation Loïc Marcou), « Don Juan », d’Alexis C. Tolstoï, « L’Étudiant de Salamanque » de José de Espronceda, préf. Pierre Brunel, Paris, Florent-Massot, 1995. ESPRONCEDA, José de, L’Étudiant de Salamanque, in Trois Don Juan, op. cit., trad. Raymond Foulché-Delbosc, introd. Christiane Séris. FRISCH, Max, Don Juan ou l’Amour de la Géométrie (Don Juan oder die Liebe zur Geometrie), trad. Henry Bergerot, Paris, Gallimard, 1991 (1969). GRAU, Jacinto, El burlador que no se burla. El señor de Pigmalión, Madrid, Espasa-Calpe, coll. « Austral », nº 1612, 1977 (1927). KIERKEGAARD, Sören, Ou bien… Ou bien…, (Enten-Eller), trad. O. Prior et M.- H. Guignot, introd. F. Brandt, Paris, Gallimard, 1991 (1943). MACHADO, Antonio, Juan de Mairena. Sentencias, donaires, apuntes y recuerdos de un profesor apócrifo, in Obras completas de Manuel y Antonio Machado, Madrid, Editorial Plenitud, 5e éd., 1973. MÉRIMÉE, Prosper, Les Âmes du purgatoire, in Romans et Nouvelles, t. II, éd. Maurice Parturier, Paris, Garnier Frères, 1967. MOLIÈRE, Dom Juan ou le Festin de Pierre, comédie, in Molière. Œuvres complètes, éd. Georges Mongrédien, t. II, Paris, Garnier-Flammarion, 1992 (1965). MONTHERLANT, Henry de, La Mort qui fait le trottoir (Don Juan), in Théâtre, préf. Jacques de Laprade, préf. complémentaire Philippe de Saint Robert, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972. MOZART, Amadeus et Lorenzo DA PONTE, Il Dissoluto punito ossia il Don Giovanni trad. Gilles de Van (1979), CD : Berlin, Jesus-Christus Kirche, coproduction Érato / Rias Berlin, 1992. SHAW, Bernard, Man and Superman. A Comedy and a Philosophy, éd. Dan H. Laurence, Harmondsworth, Middlesex, Penguin Books, 1957. TIRSO DE MOLINA (ou Andrés DE CLARAMONTE), El burlador de Sevilla. Atribuida a Tirso de Molina, éd. Alfredo Rodríguez López-Vázquez, Madrid, Cátedra, coll. « Letras Hispánicas », nº 57, 7e éd., 1995. Notes et documents 207 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 207 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)
  • 13. — L’Abuseur de Séville. (Don Juan). El Burlador de Sevilla, éd. Pierre Guenoun, bibliogr. nouv. Bernard Sesé, Paris, Aubier, coll. « Domanine hispanique », 1991 (1968). TOLSTOÏ, Alexis Constantinovitch, Don Juan, in Trois Don Juan, op. cit., trad., introd. et annotation Michel Cadot. TORRENTE BALLESTER, Gonzalo, Don Juan, Barcelona, Ediciones Destino, coll. « Destinolibro », nº 14, 1995 (1962). ZORRILLA, José, Don Juan Tenorio, éd. Luis Fernández Cifuentes, introd. Ricardo Navas Ruiz, Barcelona, Crítica, 1993. Note : pour les éditions non françaises, c’est nous qui traduisons. Études BOUVIER, Michel, « Dom Juan et les moralistes », in Molière. Dom Juan, études recueillies par Pierre Ronzeaud, Paris, Klincksieck, coll. « Parcours critique », p. 100-106. BOYER, Henri, « Miséricorde de Dieu et Apothéose de l’Amour », in Obliques, numéro spécial Don Juan, 4-5, 1981, p. 53-59. BRUNEL, Pierre, dir., Dictionnaire de Don Juan, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1999. GENDARME DE BÉVOTTE, Georges, La Légende de Don Juan. Son évolution dans la littérature des origines au romantisme, Paris, Hachette, 1906. Il existe une édition abrégée mais qui prolonge l’étude jusqu’au début du XXe siècle : Paris, Hachette, 1911, rééd. Genève, Slatkine Reprints, 1993. HEUGAS, Pierre, « Revenir au Don Juan espagnol », in Hommage à Maxime Chevalier. Bulletin Hispanique, XCII, 1, 1990, p. 333-353. MARAÑÓN, Gregorio, « Soy español », in Obras completas, 10 t., Madrid, Espasa-Calpe, 1966-1977, t. 2, p. 353-355. SAID ARMESTO, Víctor, La leyenda de Don Juan, Madrid, Espasa-Calpe, coll. « Austral », 1968. SOUILLER, Didier, « Pourquoi Don Juan devait-il naître en Espagne ? », in Gedenkschrift der Universität Burgund für Kurt Ringger. Hommages de l’Université de Bourgogne, Dijon, Association Bourguignonne de Dialectologie et d’Onomastique, 1990, p. 145-161. Notes et documents 208 05 ND Losada 25/06/03 9:32 Page 208 © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39) © Klincksieck | Téléchargé le 19/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.252.39)