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Les salons et l'Espagne. À propos de quelques querelles
littéraires
José Manuel Losada Goya
Dans Littératures classiques 2005/3 (N° 58),pages 47 à 55
Éditions Armand Colin
ISSN 0992-5279
DOI 10.3917/licla.058.0047
Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin.
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Littératures Classiques, 58, 2006
J o s é M a n u e l L o s a d a G o y a
Les salons et l’Espagne.
À propos de quelques querelles littéraires
Dans une première partie, il sera question de quelques rapports historiques entre
les habitués des salons et l’Espagne ; ensuite nous attirerons l’attention sur certains
aspects culturels (la mode, l’ameublement, les anecdotes piquantes) et sur la
connaissance que les salons avaient de la littérature espagnole. La deuxième partie,
plus longue, sera centrée sur plusieurs débats littéraires dans lesquels les salons sont
intervenus d’une manière ou d’une autre : la Querelle du Cid, le « procès de
l’Arioste » et la « cabale des précieuses » contre Scarron. Sans nullement dédaigner
d’autres salons, celui de Mme
de Rambouillet sera au cœur de notre réflexion.
Les salons et l’Espagne
Une des circonstances qui ont favorisé l’apparition des salons est la fin des
guerres de religion. Mais la paix n’a pas été longue : la lutte pour la prépondérance
en Europe met face à face les puissances espagnole et française. La déclaration de
guerre aux Espagnols par Louis XIII en 1635 aura des conséquences au sein du
salon de Mme
de Rambouillet. En août de l’année suivante, « l’orage hispanique1
»
prend Corbie. Cette occupation ne dure pas, puisque dès le 11 novembre la ville est
reprise. Une curiosité relevée par Barbara Krajewska : deux jours plus tard, le 13,
les occupants de l’hôtel de Rambouillet s’enfuient à Mézières, comme l’atteste une
lettre de Chapelain à Godeau le même mois. En 1643, enfin, les membres du salon
se réjouissent de l’issue de la bataille de Rocroi : Voiture, par exemple, félicite le
duc d’Enghien de sa victoire. Ces événements militaires sont en quelque sorte liés à
l’histoire culturelle du salon, comme le prouve le fait que, pendant le siège de
Corbie, on improvise au château de Rambouillet une représentation de la
Sophonisbe de Mairet, qu’au retour du duc de Montausier les habitués du salon
1
Jean Chapelain, Lettre du 27 septembre 1636 à Montausier, Lettres, éd. Ph. Tamizey
de Larroque, Paris, Imprimerie Nationale, 1880-1883, 2 vol.
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José Manuel Losada Goya
48
assistent à la représentation du Cid qui se donne au Marais, et que peu de temps
après, en 1638, ils célèbrent par une comédie la prise de Brisach2
.
Le marquis lui-même, Charles d’Angennes, avait été envoyé par Concini
en 1614 auprès du duc de Savoie pour négocier la paix entre celui-ci et l’Espagne ;
mais il se montra un diplomate maladroit. Dans une lettre datée le 24 juin 1615,
Malherbe écrit à Peiresc : « M. de Savoie est mal satisfait de M. le marquis de
Rambouillet et il ne désire point qu’il se mêle plus de ses affaires parce qu’il est
plus Espagnol que les Espagnols mêmes3
. » Quelques années plus tard, il fut nommé
ambassadeur extraordinaire en Espagne, de la fin de 1626 au début de 1628. Ce fut
alors que le monarque espagnol offrit à sa fille Julie un fort riche nœud de diamants.
Mme de Châteauroux prenait à tort ce bijou pour un présent du roi de Suède ; la
bévue donna fort à rire à tout le salon4
. Une peccadille : un jour le marquis se
brouilla avec le comte-duc d’Olivarès : au cours de leurs conversations, ils s’étaient
réciproquement refusé les appellations honorifiques auxquelles ils prétendaient
avoir droit5
.
Les Rambouillet ne furent pas les seuls à visiter l’Espagne. Les rapports de
Mme de Chevreuse avec ce pays commencèrent peu après le mariage de Louis XIII
avec Anne d’Autriche en 1615. La haine de tout ce qui était espagnol (la guerre
avait failli éclater en 1610) provoqua le renvoi de toute la suite de la reine, dont la
duchesse de Luynes devint la première dame d’honneur. Cette femme, enjôleuse et
intrigante, fut plus tard approchée par un agent des Espagnols auprès des Frondeurs,
Antonio Sarmiento, vicomte de Crecente ; lors de sa fuite de la cour c’est pour
Madrid qu’elle était partie en 1637, où elle obtint une conversation avec la reine
d’Espagne6
. L’accueil de la Péninsule ne pouvait être plus chaleureux : Mme de
Chevreuse alla en Aragon, et se mit successivement sous la protection du marquis
de Los Vélez, de l’évêque de Barbastro, puis du vice-roi de Saragosse, jusqu’à
l’arrivée d’un carrosse envoyé exprès par Philippe IV pour l’amener à Madrid où
elle devait loger chez le duc d’Albe7
.
2
Voir Maurice Magendie, La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté en
France au XVIIe
siècle, de 1600 à 1660 [Paris, 1925], Genève, Slatkine Reprints, 1993,
p. 127-128 ; Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe
siècle, Paris, Domat-
Montchrestien, t. I, 1948, p. 265.
3
Menagiana, 3e
éd., Paris, 1715, t. III, p. 502. Voir Barbara Krajewska, Mythes et
découvertes. Le salon littéraire de Madame de Rambouillet dans les lettres des
contemporains, PFSCL, « Biblio 17 », 1990, p. 118 ; Alexandre Cioranescu, Le Masque et le
visage. Du baroque espagnol au classicisme français, Genève, Droz, 1983, p. 147.
4
Voir Charles-L. Livet, Précieux et précieuses. Caractères et moeurs littéraires du
XVIIe
siècle, Paris, Welter, 1895, p. 29.
5
Voir ibid., p. 20. Cf. Roger Picard, Les Salons littéraires et la société française (1610-
1789), New York, Brentano’s, 1943, p. 31.
6
Voir A. Cioranescu, op. cit., p. 19, 40 et 53.
7
La Chevrosa, la Chumbrosa, la Chembrosa (ainsi la connaissait-on en Espagne),
« hermana del Duque de Guisa, varonil mujer, que pretendió matar a Rocheliu, vino huyendo
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Les salons et l’Espagne 49
Le cas de Voiture est à remarquer. En Espagne, lorsqu’il avait servi de lien entre
Gaston d’Orléans et le comte-duc d’Olivarès, il avait connu Grenade, Céuta, Séville,
Cadix, San Lucar, Madrid… On garde de lui des lettres écrites de la Péninsule aux
demoiselles de Rambouillet et Paulet. Ces lettres galantes et empreintes de
mélancolie diffèrent considérablement de celle qu’il adressa au cardinal de La
Valette, où il consigna des injures contre Philippe IV (cette bévue faillit lui coûter
cher, et le poète fut contraint d’en rédiger une autre sur un ton apologétique8
). Sa
connaissance du pays de la galanterie était telle que, ajoutée à sa petite taille, elle lui
valut le surnom de « Petit Roi », d’après celui de Boabdil lui-même, le dernier roi de
Grenade9
.
Ces contacts avec l’Espagne ne pouvaient pas ne pas avoir d’effets dans les
salons. Tout d’abord dans la parure (les femmes savaient rehausser leurs vêtements
à l’aide de vertugades10
) et dans les meubles (Mme
de Rambouillet, très sensible au
froid, avait introduit l’alcôve11
), mais surtout dans la langue. Certes, Arthénice
n’avait pas appris l’espagnol en son enfance – Tallemant l’assure –, mais elle finit
par l’apprendre ; d’autres assidus de l’hôtel le connaissaient : Julie d’Angennes, son
époux, le duc de Montausier, Chapelain, Corneille, Voiture, le cardinal de la
Valette, de même Mme de Sablé et Mme de Chevreuse12
.
La connaissance que les dames avaient à l’époque de la littérature espagnole est
proverbiale. Mlle de Gournay, Mmes de Chevreuse, de Maure et de Motteville font
preuve d’une parfaite connaissance du Quichotte13
. Les romans du genre pastoral,
comme La Constante Amarillis de Cristóbal Suárez de Figueroa, font fureur dans les
ruelles, et Mme de Rambouillet n’hésite pas à donner à sa loge le nom de
« Zyrphée », d’après l’enchanteresse des Amadis.
Les anecdotes concernant le royaume d’Espagne couraient les ruelles. Mme de
Sévigné nous apprend qu’à leur retour de l’ambassade en Espagne, les Rambouillet
y corrió la posta en hábito de hombre treinta días, y la semana pasada entró en Madrid »
(Epistolario español, lettre du 11 décembre 1637 ; cité par Asensio Gutierrez, La France et
les français dans la littérature espagnole. Un aspect de la xénophobie en Espagne (1598-
1665), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1977, p. 299).
8
Voir B. Krajewska, op. cit., p. 144.
9
Voir la lettre de Chapelain à Balzac, datée du 8 janvier 1640 (Lettres, éd. cit.). Sarasin
parle de ce « rey chico » dans son dialogue avec Chapelain S’il faut qu’un jeune homme […]
soit amoureux (Sarasin, Œuvres, éd. P. Festugière, Paris, Champion, 1926, t. II, p. 228).
10
Gros et larges bourrelets qu’elles portaient par-dessous leur corps de robe pour le
faire bouffer ; la mode en était venue d’Espagne (voir B. Krajewska, op. cit., p. 23).
11
Voir Tallemant des Réaux, Historiettes, t. I, p. 452.
12
Voir Maurice Bardon, « Don Quichotte » en France au XVIIe
et au XVIIIe
siècle
(1605-1815) [Paris, Champion, 1931], Genève, Slatkine, 1974, p. 74 ; A. Cioranescu, op. cit.,
p. 144-147.
13
Voir M. Bardon, op. cit., p. 60-61 et 76-78.
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José Manuel Losada Goya
50
racontaient « mille choses des Espagnols, fort amusantes14
». Ainsi le bruit courait-il
des amours supposées de Juan de Tassis y Peralta, comte de Villamediana, avec la
reine Isabelle de Bourbon. Suivant la volonté de celle-ci, une fête fut donnée aux
jardins d’Aranjuez pour l’anniversaire de son époux, le 15 mai 1622. Villamediana
prit une part active à l’organisation de l’événement (entre autres, une pièce de lui,
La Gloire de Niquée, y fut jouée). Le palais prit feu lors de la représentation d’une
pièce donnée au cours de ces mêmes festivités, La Toison d’or de Lope de Vega. La
légende prétend que ce fut le comte lui-même qui avait provoqué le feu, afin de
pouvoir sauver la reine en l’emportant dans ses bras : sornette. Mais on imagine les
habituées du salon de Rambouillet s’entretenir de cette « gloire de Niquée,
expression qui qualifie un luxe superlatif et la belle ostentation15
». Tallemant,
Chapelain et Sarasin rapportent cette histoire16
: ce fut le marquis de Rambouillet
qui la leur raconta un soir17
.
Les salons, la scène et l’Espagne
« Quand Le Cid parut, écrit Fontenelle, le Cardinal en fut aussi alarmé que s’il
avait vu les Espagnols devant Paris18
. » Sans nul doute, une pièce mettant en scène
les compatriotes des ennemis de Corbie avait des chances d’exciter l’animosité du
Cardinal. Il n’est pas moins vrai, Pellisson le rappelle, que plusieurs hommes de
lettres en ont profité à l’envi pour écarter un concurrent trop dangereux19
. Personne
n’en doute aujourd’hui ; et la querelle en question est trop connue pour en retracer
l’histoire. L’intérêt est ici de souligner que le salon fut, autant que la Cour ou
l’Académie, le champ de bataille où se livra cette querelle.
Elle fut déclenchée par l’Excuse à Ariste. La pièce était traduite de l’Excusatio
composée vers 1633, et adressée à François de Harlay. Elle ne s’inspirait donc pas
du triomphe récent du Cid. Mais Corneille eut le mauvais goût de la faire publier le
20 février 1637, six ou huit semaines seulement après l’éclatante représentation du
Cid ; du coup, les auteurs de l’époque y virent un manifeste plein de superbe. Ils
crurent que Corneille, grisé par son succès, se jouait à les humilier ; ils en furent
blessés20
. Mieux, il paraît que cette pièce de circonstance a circulé sous forme
14
Mme de Sévigné, Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque
de la Pléiade », t. I, 1972, p. 682 ; cité par A. Cioranescu, op. cit., p. 93, n. 20.
15
A. Cioranescu, op. cit., p. 395.
16
Tallemant des Réaux, Historiettes, éd. A. Adam, Paris, Gallimard « Bibliothèque de
la Pléiade », 1961, t. I, p. 186-189 ; Chapelain, Lettres, éd. cit., t. II, p. 325 ; Sarasin, Œuvres,
éd. cit., t. II, p. 163-164.
17
Voir B. Krajewska, op. cit., p. 119.
18
Cité par Pierre Lièvre dans Corneille, Théâtre, Paris, Gallimard, 1950, p. 1318.
19
Voir Le Cid, éd. M. R. Margitic, Amsterdam, John Benjamins, 1989, p. XXI.
20
Voir A. Adam, op. cit., t. I, p. 515.
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Les salons et l’Espagne 51
manuscrite dans les milieux mondains et littéraires immédiatement après la première
du Cid21
.
La haine succéda à la jalousie. La riposte ne se fit pas attendre : Mairet fit
envoyer du Mans à Paris, pour les faire distribuer par les soins de son ami Claveret,
les six stances que Guillén de Castro, l’auteur des Mocedades del Cid, est censé
adresser à son « plagiaire », Corneille22
. Là encore, ces pièces circulèrent dans le
monde. Autrement, Claveret ne clamerait pas son innocence dans une lettre adressée
à Corneille :
J’ai découvert qu’on vous avait fait croire que j’avais contribué en quelque chose
à la distribution des premiers vers qui vous furent adressés sous le nom du Vrai Cid
espagnol, et qu’y voyant votre vaine gloire si judicieusement combattue, vous
n’auriez pu vous empêcher de pester contre moi, parce que vous ne saviez à qui vous
en prendre. Je ne crois pas être criminel de lèse-amitié, pour en avoir reçu quelques
copies, comme les autres, et leur avoir donné la louange qu’ils méritent.
23
Cette Lettre du Sr
Claveret au Sr
Corneille, soi-disant auteur du Cid (également
de 1637) n’en reste pas là : elle passe nettement à l’attaque personnelle lorsque
l’auteur persifle la présence encombrante de Corneille dans les salons :
La froideur et la stupidité de votre esprit sont telles, que votre entretien fait pitié à
ceux qui souffrent vos visites, et que pour le regard des belles lettres, vous passez
dans le beau monde pour le plus ridicule de tous les hommes.
24
Plus tard, dans ses Observations sur Le Cid, Georges de Scudéry accusa Corneille
d’avoir commis des négligences de plume indignes d’un auteur qui cherchait à être
lu, loué et admiré dans les salons qui avaient décidé du succès de la pièce25
.
Charleval, ami de Scarron et de Sarasin, qui fréquentait chez Ninon de Lenclos, ne
tarda pas à s’adjoindre au parti de Mairet26
. Plus curieux encore, Chapelain, qui
admirait Le Cid 27
, alla jusqu’à prier Boisrobert d’amener Richelieu à croire qu’il
avait trouvé « la pièce défectueuse en ses plus essentielles parties28
». Les exemples
de ce double jeu foisonnent. Ce qu’il convient de relever ici, c’est que les auteurs
préféraient lancer leurs libelles sous le couvert de l’anonymat : tous étant,
21
Voir M. R. Margitic, éd. cit. du Cid, ibid.
22
Voir Armand Gasté, La Querelle du « Cid ». Pièces et pamphlets publiés d’après les
originaux, Paris, H. Welter, 1898, p. 15.
23
Cité ibid., p. 18.
24
Cité par B. Krajewska, op. cit., p. 98.
25
Voir ibid., p. 96, n. 216.
26
Voir A. Gasté, op. cit., p. 41.
27
Il avait écrit à Balzac que Le Cid « était un des ouvrages les plus accomplis qu’on ait
vus dans ces derniers temps » (lettre du 15 janvier 1638).
28
Cité par B. Krajewska, op. cit., p. 98.
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José Manuel Losada Goya
52
notamment, des habitués de la Chambre bleue, ils lançaient incognito leurs écrits et
évitaient ainsi des rencontres désagréables.
Parallèlement à cette querelle, il y en avait une autre : celle que livraient les
salons avec l’Académie. En effet, ces écoles du raffinement – notamment les hôtels
de Mmes de Rambouillet, d’Auchy et de Scudéry – étaient considérés comme des
rivaux de l’illustre Compagnie : non seulement ils promouvaient la littérature, mais
ils établissaient également des critères de la production littéraire29
. Le Cid faisait
fureur dans les salons ; Mme de Chevreuse le connaissait par cœur. En
septembre 1637, fuyant à cheval vers l’Espagne, elle en débite des tirades entières30
.
Chez Mme d’Auchy, les conversations volent haut : les précieuses ne parlent
« jamais du Cid qu’elles ne parlent de l’unité du sujet et de la règle des
24 heures31
».
Pour ce qui est d’Arthénice, on sait tout le soin qu’elle mettait à rester
indépendante vis-à-vis de l’Académie : pas plus que sur les questions de
prononciation, elle n’accepta aucun attentat contre sa souveraineté en matière de
littérature, et elle resta fidèle à son admiration pour Le Cid32
. D’autres se rangèrent
de son côté : sa fille Julie, le Grand Condé et Mlle Paulet, entre autres. Les lettres de
cette dernière et celles de Chapelain à deux de ses amis (Balzac et Carel de Sainte-
Garde) montrent bien toutes les intrigues menées pour discréditer la tragi-comédie
du Rouennais. Ce remue-ménage finit par provoquer un certain sentiment de rejet
vis-à-vis de la Compagnie : qu’on lise La Comédie de l’Académie, farce ingénieuse
contre sa censure du Cid, qui circula dans les salons parisiens dont celui de Mme de
Rambouillet33
.
Quoiqu’elle soit sans rapport avec la Querelle du Cid, nous saluerons au passage
Les Visionnaires, comédie de Desmarets de Saint-Sorlin publiée cette même
année 1637. La pièce peut être lue en clé quichottesque, s’il est vrai que ses huit
fous sont des émules du héros de la Manche : Artabaze veut qu’on l’estime « fort
vaillant », Filidan est « amoureux en idée », etc. D’après Segrais, l’auteur y a fait
plusieurs portraits : ainsi, Mélisse, qui aime Alexandre, est Mme de Sablé, la
coquette Hespérie est Mme de Chavigny, et la vertueuse Sestiane, qui n’aime que la
comédie, est Mme de Rambouillet34
.
29
Voir Faith E. Beasley, « The Voices of Shadows : Lafayette’s Zaïde », dans Elizabeth
C. Goldsmith et Dena Goodman éd., Going Public : Women and Publishing in Early Modern
France, Ithaca (NY), Cornell University Press, 1995, p. 148.
30
Voir Roger Lathuillière, La Préciosité. Étude historique et linguistique, Genève,
Droz, 1966, p. 463.
31
Cette indication sarcastique est de Balzac, cité par H. Sauval, Histoire des Antiquités
de la ville de Paris, Paris, Ch. Moette, 1733, t. II, p. 495 ; voir B. Krajewska, « Quelques
précisions touchant le salon de la vicomtesse d’Auchy », PFSCL, vol. 19, 1992, p. 426.
32
Voir Ch.-L. Livet, op. cit., p. 32
33
Voir B. Krajewska, op. cit., p. 104.
34
Léris, Dictionnaire portatif […] des théâtres, 2e
éd., Paris, Jombert, 1763, p. 452.
Voir M. Bardon, op. cit., p. 181 ; Ch.-L. Livet, op. cit., p. 66.
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Les salons et l’Espagne 53
Deux ans plus tard, le salon de Mme de Rambouillet assiste à une autre querelle,
que Balzac appelle, dans une lettre à Chapelain (datée le 29 avril 1639), le « procès
de l’Arioste » ; or, l’auteur du Roland furieux n’est pas le seul concerné : la
primauté des langues espagnole et italienne était en jeu. Contrairement à certains de
ses contemporains qui préféraient les Italiens, Voiture ne rougissait pas de pratiquer
l’espagnol ; cela lui avait valu des remontrances, ainsi de Chapelain, qui y fait
allusion dans une lettre adressée à Balzac le 17 avril de cette même année :
C’est encore une querelle que j’ai avec M. Voiture, qui ne peut souffrir que je la
préfère [la langue italienne] à l’espagnole, ni les poètes italiens aux poètes
espagnols.
35
Au début de 1639, Chapelain avait envoyé I Suppositi à Voiture, qui était alors à
Rome. À son retour de Rome, Voiture condamna la pièce sans appel, en priant Julie
d’être juge de la polémique. Les Supposés de l’Arioste renfermaient un certain
nombre d’équivoques. La pudeur outrée de Mlle de Rambouillet ne put le supporter.
En donnant lecture de la pièce à sa mère, en exagérant ses scrupules elle passait
arbitrairement sous silence les répliques dont elle prenait ombrage. D’ailleurs, elle
préférait les romans aux comédies et, selon Chapelain, elle n’entendait pas l’italien
suffisamment bien pour saisir la beauté de la pièce. Elle la critiqua ; la guerre éclata.
Chapelain se trouva adversaire de Voiture, à qui il jeta en quelque sorte le gant. En
effet, ils firent une gageure d’une paire de gants d’Espagne que Chapelain envoya à
Voiture dès le lendemain du verdict de Julie (1er
mars 1639). « Voiture releva le
gant. Il accepta ainsi le défi36
. » Deux groupes s’étaient déclarés : Conrart, Arnauld
et Chavaroche se rangèrent sous l’enseigne de Chapelain, Julie et Pisani sous celle
de Voiture. L’important en l’occurrence n’est pas l’issue de la querelle (depuis
Angoulême, Balzac, pris pour arbitre, en appela aux règles d’Aristote), mais plutôt
de constater les clivages qui s’opérèrent au sein du salon. Une question de goût
concernant deux langues modernes de culture permet de la sorte de mieux apprécier
une cristallisation en fonction des tendances éthiques et esthétiques des individus.
Ainsi les querelles étaient monnaie courante dans les salons. Quelques années
plus tard, une comedia de Rojas Zorrilla, Obligados y ofendidos, y gorrón de
Salamanca, allait être à l’origine d’autres démêlés. La tragi-comédie de Scarron
intitulée L’Écolier de Salamanque, ou les Généreux Ennemis fut achevée
d’imprimer le 31 décembre 1654 ; et Les Généreux Ennemis de Boisrobert le
22 janvier de l’année suivante 37
. Or Boisrobert réussit à faire représenter sa tragi-
comédie avant celle de Scarron, dans les premiers mois de 1654. Avait-il traité le
sujet le premier ? On peut en douter ; Scarron lui-même le conteste. Il semble que
35
Chapelain, Lettres, éd. cit., t. I, p. 415.
36
B. Krajewska, op. cit., p. 40-42. Cf. M. Magendie, op. cit., p. 127 ; A. Adam, op. cit.,
t. I, p. 270.
37
En revanche, le privilège de la pièce de Scarron (4 décembre 1654) est plus tardif que
celui de la pièce de Boisrobert (29 septembre 1654).
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José Manuel Losada Goya
54
Scarron ait fait pour quelques amis une lecture de sa pièce. Parmi les auditeurs était
Boisrobert, qui trouva le thème fort à son goût et s’en empara. Au même moment,
Thomas Corneille écrivit Les Illustres Ennemis, comédie inspirée du même sujet.
Peu de temps après, la troupe de l’Hôtel de Bourgogne reçut trois manuscrits : celui
de Scarron, celui de Boisrobert et celui de Corneille le Jeune. Les comédiens
hésitèrent à choisir entre ces trois auteurs ; le prince d’Harcourt, partisan de l’abbé
courtisan, promit une bastonnade à ceux qui marqueraient leur préférence à la pièce
de Scarron. On imagine bien quelle fut la pièce choisie. Scarron dut se contenter de
voir sa pièce représentée au Marais, dans le temps même où l’Hôtel de Bourgogne
maintenait à son répertoire tous ses ouvrages précédents38
.
Scarron se limite à dire dans sa dédicace à Mademoiselle que le sujet « donna
dans la vue à deux écrivains de réputation en même temps qu’à moi39
». Laissons de
côté Thomas Corneille, qui ne paraît pas avoir été impliqué dans la querelle.
Boisrobert et Scarron étaient encore bons amis ; Mme Scarron appréciait beaucoup
l’abbé de Boisrobert, et les deux hommes s’étaient réciproquement obligés : le
premier avait publié des vers en tête du Virgile traversti et le second lui avait rendu
la politesse en en produisant en tête des Épîtres de Boisrobert40
. Cette dispute et
celle concernant la publication par d’Ouville d’une traduction d’une nouvelle de
María de Zayas finirent par brouiller les deux hommes : ceci expliquerait les lettres
et poésies où Scarron raille les mœurs scabreuses de l’abbé41
.
Une chose est sûre : la tragi-comédie de Scarron fut écartée de la scène. Le poète
satirique dénonça alors les manœuvres d’une cabale de précieuses42
. Il suffit de lire
l’épître dédicatoire de la pièce :
On a hay ma comedie devant que de la connaître. De belles Dames qui sont en
possession de faire la destinée des Pauvres humains, ont voulu rendre mal-heureuse
celle de ma pauvre comédie. Elles ont tenu Ruelle pour l’étouffer dés sa naissance.
43
Ces dames le frappèrent rudement : conjurées, elles répandirent contre sa pièce de
venimeux factums, la comparant « à de la moutarde mélangée à la crème44
». On
sait que Scarron fut l’un des premiers à employer le terme de précieuses en
mauvaise part : dans sa Seconde Légende de Bourbon, il critiquait une précieuse en
38
Voir É. Magne, Scarron et son milieu. Documents inédits, Paris, Émile-Paul Frères,
2e
éd., 1924, p. 248 ; L.-S. Koritz, Scarron satirique, Paris, Klincksieck, 1977, p. 216-217.
39
Scarron, Œuvres, éd. J.-Fr. Bastien, VI, p. 79.
40
Voir É. Magne, op. cit., p. 225.
41
Ibid., p. 249-254 ; L.-S. Koritz, op. cit., p. 217-219 ; José Manuel Losada Goya,
Bibliographie critique de la littérature espagnole en France. Présence et influence, Genève,
Droz, 1999, notices 440 et 401.
42
Voir A. Adam, op. cit., t. II, p. 21.
43
L’Escolier de Salamanque ou les Généreux Ennemis, tragi-comédie de Mr Scarron,
dédiée à Son Altesse Royale Mademoiselle, Paris, A. de Sommaville, 1655, n. p.
44
Cité par É. Magne, op. cit., p. 248.
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Les salons et l’Espagne 55
herbe « qui n’avait pas beaucoup d’esprit45
». Mais il distingue les « fausses » de
« celles de prix ». Bref, que peut-on conclure de cette querelle où sont mêlés le
salon et la scène ? Scarron, quant à lui, en retira une gratification de cinquante
pistoles que lui envoya Segrais de la part de Mademoiselle pour le consoler ; quant à
nous, il nous reste cette autre gratification, plus spirituelle : la célèbre expression de
« jansénistes d’amour » que Scarron inventa pour parler des fausses précieuses qui
avaient dédaigné « le talent au profit de la médiocrité ».
José Manuel Losada Goya
Université Complutense de Madrid
45
V. 283-298, dans Poésies diverses, éd. M. Cauchie, Paris, STFM, 1947-1961, t. I.
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  • 1. Les salons et l'Espagne. À propos de quelques querelles littéraires José Manuel Losada Goya Dans Littératures classiques 2005/3 (N° 58),pages 47 à 55 Éditions Armand Colin ISSN 0992-5279 DOI 10.3917/licla.058.0047 Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-litteratures-classiques1-2005-3-page-47.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202) © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202)
  • 2. Littératures Classiques, 58, 2006 J o s é M a n u e l L o s a d a G o y a Les salons et l’Espagne. À propos de quelques querelles littéraires Dans une première partie, il sera question de quelques rapports historiques entre les habitués des salons et l’Espagne ; ensuite nous attirerons l’attention sur certains aspects culturels (la mode, l’ameublement, les anecdotes piquantes) et sur la connaissance que les salons avaient de la littérature espagnole. La deuxième partie, plus longue, sera centrée sur plusieurs débats littéraires dans lesquels les salons sont intervenus d’une manière ou d’une autre : la Querelle du Cid, le « procès de l’Arioste » et la « cabale des précieuses » contre Scarron. Sans nullement dédaigner d’autres salons, celui de Mme de Rambouillet sera au cœur de notre réflexion. Les salons et l’Espagne Une des circonstances qui ont favorisé l’apparition des salons est la fin des guerres de religion. Mais la paix n’a pas été longue : la lutte pour la prépondérance en Europe met face à face les puissances espagnole et française. La déclaration de guerre aux Espagnols par Louis XIII en 1635 aura des conséquences au sein du salon de Mme de Rambouillet. En août de l’année suivante, « l’orage hispanique1 » prend Corbie. Cette occupation ne dure pas, puisque dès le 11 novembre la ville est reprise. Une curiosité relevée par Barbara Krajewska : deux jours plus tard, le 13, les occupants de l’hôtel de Rambouillet s’enfuient à Mézières, comme l’atteste une lettre de Chapelain à Godeau le même mois. En 1643, enfin, les membres du salon se réjouissent de l’issue de la bataille de Rocroi : Voiture, par exemple, félicite le duc d’Enghien de sa victoire. Ces événements militaires sont en quelque sorte liés à l’histoire culturelle du salon, comme le prouve le fait que, pendant le siège de Corbie, on improvise au château de Rambouillet une représentation de la Sophonisbe de Mairet, qu’au retour du duc de Montausier les habitués du salon 1 Jean Chapelain, Lettre du 27 septembre 1636 à Montausier, Lettres, éd. Ph. Tamizey de Larroque, Paris, Imprimerie Nationale, 1880-1883, 2 vol. © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202) © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202)
  • 3. José Manuel Losada Goya 48 assistent à la représentation du Cid qui se donne au Marais, et que peu de temps après, en 1638, ils célèbrent par une comédie la prise de Brisach2 . Le marquis lui-même, Charles d’Angennes, avait été envoyé par Concini en 1614 auprès du duc de Savoie pour négocier la paix entre celui-ci et l’Espagne ; mais il se montra un diplomate maladroit. Dans une lettre datée le 24 juin 1615, Malherbe écrit à Peiresc : « M. de Savoie est mal satisfait de M. le marquis de Rambouillet et il ne désire point qu’il se mêle plus de ses affaires parce qu’il est plus Espagnol que les Espagnols mêmes3 . » Quelques années plus tard, il fut nommé ambassadeur extraordinaire en Espagne, de la fin de 1626 au début de 1628. Ce fut alors que le monarque espagnol offrit à sa fille Julie un fort riche nœud de diamants. Mme de Châteauroux prenait à tort ce bijou pour un présent du roi de Suède ; la bévue donna fort à rire à tout le salon4 . Une peccadille : un jour le marquis se brouilla avec le comte-duc d’Olivarès : au cours de leurs conversations, ils s’étaient réciproquement refusé les appellations honorifiques auxquelles ils prétendaient avoir droit5 . Les Rambouillet ne furent pas les seuls à visiter l’Espagne. Les rapports de Mme de Chevreuse avec ce pays commencèrent peu après le mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche en 1615. La haine de tout ce qui était espagnol (la guerre avait failli éclater en 1610) provoqua le renvoi de toute la suite de la reine, dont la duchesse de Luynes devint la première dame d’honneur. Cette femme, enjôleuse et intrigante, fut plus tard approchée par un agent des Espagnols auprès des Frondeurs, Antonio Sarmiento, vicomte de Crecente ; lors de sa fuite de la cour c’est pour Madrid qu’elle était partie en 1637, où elle obtint une conversation avec la reine d’Espagne6 . L’accueil de la Péninsule ne pouvait être plus chaleureux : Mme de Chevreuse alla en Aragon, et se mit successivement sous la protection du marquis de Los Vélez, de l’évêque de Barbastro, puis du vice-roi de Saragosse, jusqu’à l’arrivée d’un carrosse envoyé exprès par Philippe IV pour l’amener à Madrid où elle devait loger chez le duc d’Albe7 . 2 Voir Maurice Magendie, La Politesse mondaine et les théories de l’honnêteté en France au XVIIe siècle, de 1600 à 1660 [Paris, 1925], Genève, Slatkine Reprints, 1993, p. 127-128 ; Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Paris, Domat- Montchrestien, t. I, 1948, p. 265. 3 Menagiana, 3e éd., Paris, 1715, t. III, p. 502. Voir Barbara Krajewska, Mythes et découvertes. Le salon littéraire de Madame de Rambouillet dans les lettres des contemporains, PFSCL, « Biblio 17 », 1990, p. 118 ; Alexandre Cioranescu, Le Masque et le visage. Du baroque espagnol au classicisme français, Genève, Droz, 1983, p. 147. 4 Voir Charles-L. Livet, Précieux et précieuses. Caractères et moeurs littéraires du XVIIe siècle, Paris, Welter, 1895, p. 29. 5 Voir ibid., p. 20. Cf. Roger Picard, Les Salons littéraires et la société française (1610- 1789), New York, Brentano’s, 1943, p. 31. 6 Voir A. Cioranescu, op. cit., p. 19, 40 et 53. 7 La Chevrosa, la Chumbrosa, la Chembrosa (ainsi la connaissait-on en Espagne), « hermana del Duque de Guisa, varonil mujer, que pretendió matar a Rocheliu, vino huyendo © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202) © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202)
  • 4. Les salons et l’Espagne 49 Le cas de Voiture est à remarquer. En Espagne, lorsqu’il avait servi de lien entre Gaston d’Orléans et le comte-duc d’Olivarès, il avait connu Grenade, Céuta, Séville, Cadix, San Lucar, Madrid… On garde de lui des lettres écrites de la Péninsule aux demoiselles de Rambouillet et Paulet. Ces lettres galantes et empreintes de mélancolie diffèrent considérablement de celle qu’il adressa au cardinal de La Valette, où il consigna des injures contre Philippe IV (cette bévue faillit lui coûter cher, et le poète fut contraint d’en rédiger une autre sur un ton apologétique8 ). Sa connaissance du pays de la galanterie était telle que, ajoutée à sa petite taille, elle lui valut le surnom de « Petit Roi », d’après celui de Boabdil lui-même, le dernier roi de Grenade9 . Ces contacts avec l’Espagne ne pouvaient pas ne pas avoir d’effets dans les salons. Tout d’abord dans la parure (les femmes savaient rehausser leurs vêtements à l’aide de vertugades10 ) et dans les meubles (Mme de Rambouillet, très sensible au froid, avait introduit l’alcôve11 ), mais surtout dans la langue. Certes, Arthénice n’avait pas appris l’espagnol en son enfance – Tallemant l’assure –, mais elle finit par l’apprendre ; d’autres assidus de l’hôtel le connaissaient : Julie d’Angennes, son époux, le duc de Montausier, Chapelain, Corneille, Voiture, le cardinal de la Valette, de même Mme de Sablé et Mme de Chevreuse12 . La connaissance que les dames avaient à l’époque de la littérature espagnole est proverbiale. Mlle de Gournay, Mmes de Chevreuse, de Maure et de Motteville font preuve d’une parfaite connaissance du Quichotte13 . Les romans du genre pastoral, comme La Constante Amarillis de Cristóbal Suárez de Figueroa, font fureur dans les ruelles, et Mme de Rambouillet n’hésite pas à donner à sa loge le nom de « Zyrphée », d’après l’enchanteresse des Amadis. Les anecdotes concernant le royaume d’Espagne couraient les ruelles. Mme de Sévigné nous apprend qu’à leur retour de l’ambassade en Espagne, les Rambouillet y corrió la posta en hábito de hombre treinta días, y la semana pasada entró en Madrid » (Epistolario español, lettre du 11 décembre 1637 ; cité par Asensio Gutierrez, La France et les français dans la littérature espagnole. Un aspect de la xénophobie en Espagne (1598- 1665), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1977, p. 299). 8 Voir B. Krajewska, op. cit., p. 144. 9 Voir la lettre de Chapelain à Balzac, datée du 8 janvier 1640 (Lettres, éd. cit.). Sarasin parle de ce « rey chico » dans son dialogue avec Chapelain S’il faut qu’un jeune homme […] soit amoureux (Sarasin, Œuvres, éd. P. Festugière, Paris, Champion, 1926, t. II, p. 228). 10 Gros et larges bourrelets qu’elles portaient par-dessous leur corps de robe pour le faire bouffer ; la mode en était venue d’Espagne (voir B. Krajewska, op. cit., p. 23). 11 Voir Tallemant des Réaux, Historiettes, t. I, p. 452. 12 Voir Maurice Bardon, « Don Quichotte » en France au XVIIe et au XVIIIe siècle (1605-1815) [Paris, Champion, 1931], Genève, Slatkine, 1974, p. 74 ; A. Cioranescu, op. cit., p. 144-147. 13 Voir M. Bardon, op. cit., p. 60-61 et 76-78. © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202) © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202)
  • 5. José Manuel Losada Goya 50 racontaient « mille choses des Espagnols, fort amusantes14 ». Ainsi le bruit courait-il des amours supposées de Juan de Tassis y Peralta, comte de Villamediana, avec la reine Isabelle de Bourbon. Suivant la volonté de celle-ci, une fête fut donnée aux jardins d’Aranjuez pour l’anniversaire de son époux, le 15 mai 1622. Villamediana prit une part active à l’organisation de l’événement (entre autres, une pièce de lui, La Gloire de Niquée, y fut jouée). Le palais prit feu lors de la représentation d’une pièce donnée au cours de ces mêmes festivités, La Toison d’or de Lope de Vega. La légende prétend que ce fut le comte lui-même qui avait provoqué le feu, afin de pouvoir sauver la reine en l’emportant dans ses bras : sornette. Mais on imagine les habituées du salon de Rambouillet s’entretenir de cette « gloire de Niquée, expression qui qualifie un luxe superlatif et la belle ostentation15 ». Tallemant, Chapelain et Sarasin rapportent cette histoire16 : ce fut le marquis de Rambouillet qui la leur raconta un soir17 . Les salons, la scène et l’Espagne « Quand Le Cid parut, écrit Fontenelle, le Cardinal en fut aussi alarmé que s’il avait vu les Espagnols devant Paris18 . » Sans nul doute, une pièce mettant en scène les compatriotes des ennemis de Corbie avait des chances d’exciter l’animosité du Cardinal. Il n’est pas moins vrai, Pellisson le rappelle, que plusieurs hommes de lettres en ont profité à l’envi pour écarter un concurrent trop dangereux19 . Personne n’en doute aujourd’hui ; et la querelle en question est trop connue pour en retracer l’histoire. L’intérêt est ici de souligner que le salon fut, autant que la Cour ou l’Académie, le champ de bataille où se livra cette querelle. Elle fut déclenchée par l’Excuse à Ariste. La pièce était traduite de l’Excusatio composée vers 1633, et adressée à François de Harlay. Elle ne s’inspirait donc pas du triomphe récent du Cid. Mais Corneille eut le mauvais goût de la faire publier le 20 février 1637, six ou huit semaines seulement après l’éclatante représentation du Cid ; du coup, les auteurs de l’époque y virent un manifeste plein de superbe. Ils crurent que Corneille, grisé par son succès, se jouait à les humilier ; ils en furent blessés20 . Mieux, il paraît que cette pièce de circonstance a circulé sous forme 14 Mme de Sévigné, Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1972, p. 682 ; cité par A. Cioranescu, op. cit., p. 93, n. 20. 15 A. Cioranescu, op. cit., p. 395. 16 Tallemant des Réaux, Historiettes, éd. A. Adam, Paris, Gallimard « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, t. I, p. 186-189 ; Chapelain, Lettres, éd. cit., t. II, p. 325 ; Sarasin, Œuvres, éd. cit., t. II, p. 163-164. 17 Voir B. Krajewska, op. cit., p. 119. 18 Cité par Pierre Lièvre dans Corneille, Théâtre, Paris, Gallimard, 1950, p. 1318. 19 Voir Le Cid, éd. M. R. Margitic, Amsterdam, John Benjamins, 1989, p. XXI. 20 Voir A. Adam, op. cit., t. I, p. 515. © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202) © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202)
  • 6. Les salons et l’Espagne 51 manuscrite dans les milieux mondains et littéraires immédiatement après la première du Cid21 . La haine succéda à la jalousie. La riposte ne se fit pas attendre : Mairet fit envoyer du Mans à Paris, pour les faire distribuer par les soins de son ami Claveret, les six stances que Guillén de Castro, l’auteur des Mocedades del Cid, est censé adresser à son « plagiaire », Corneille22 . Là encore, ces pièces circulèrent dans le monde. Autrement, Claveret ne clamerait pas son innocence dans une lettre adressée à Corneille : J’ai découvert qu’on vous avait fait croire que j’avais contribué en quelque chose à la distribution des premiers vers qui vous furent adressés sous le nom du Vrai Cid espagnol, et qu’y voyant votre vaine gloire si judicieusement combattue, vous n’auriez pu vous empêcher de pester contre moi, parce que vous ne saviez à qui vous en prendre. Je ne crois pas être criminel de lèse-amitié, pour en avoir reçu quelques copies, comme les autres, et leur avoir donné la louange qu’ils méritent. 23 Cette Lettre du Sr Claveret au Sr Corneille, soi-disant auteur du Cid (également de 1637) n’en reste pas là : elle passe nettement à l’attaque personnelle lorsque l’auteur persifle la présence encombrante de Corneille dans les salons : La froideur et la stupidité de votre esprit sont telles, que votre entretien fait pitié à ceux qui souffrent vos visites, et que pour le regard des belles lettres, vous passez dans le beau monde pour le plus ridicule de tous les hommes. 24 Plus tard, dans ses Observations sur Le Cid, Georges de Scudéry accusa Corneille d’avoir commis des négligences de plume indignes d’un auteur qui cherchait à être lu, loué et admiré dans les salons qui avaient décidé du succès de la pièce25 . Charleval, ami de Scarron et de Sarasin, qui fréquentait chez Ninon de Lenclos, ne tarda pas à s’adjoindre au parti de Mairet26 . Plus curieux encore, Chapelain, qui admirait Le Cid 27 , alla jusqu’à prier Boisrobert d’amener Richelieu à croire qu’il avait trouvé « la pièce défectueuse en ses plus essentielles parties28 ». Les exemples de ce double jeu foisonnent. Ce qu’il convient de relever ici, c’est que les auteurs préféraient lancer leurs libelles sous le couvert de l’anonymat : tous étant, 21 Voir M. R. Margitic, éd. cit. du Cid, ibid. 22 Voir Armand Gasté, La Querelle du « Cid ». Pièces et pamphlets publiés d’après les originaux, Paris, H. Welter, 1898, p. 15. 23 Cité ibid., p. 18. 24 Cité par B. Krajewska, op. cit., p. 98. 25 Voir ibid., p. 96, n. 216. 26 Voir A. Gasté, op. cit., p. 41. 27 Il avait écrit à Balzac que Le Cid « était un des ouvrages les plus accomplis qu’on ait vus dans ces derniers temps » (lettre du 15 janvier 1638). 28 Cité par B. Krajewska, op. cit., p. 98. © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202) © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202)
  • 7. José Manuel Losada Goya 52 notamment, des habitués de la Chambre bleue, ils lançaient incognito leurs écrits et évitaient ainsi des rencontres désagréables. Parallèlement à cette querelle, il y en avait une autre : celle que livraient les salons avec l’Académie. En effet, ces écoles du raffinement – notamment les hôtels de Mmes de Rambouillet, d’Auchy et de Scudéry – étaient considérés comme des rivaux de l’illustre Compagnie : non seulement ils promouvaient la littérature, mais ils établissaient également des critères de la production littéraire29 . Le Cid faisait fureur dans les salons ; Mme de Chevreuse le connaissait par cœur. En septembre 1637, fuyant à cheval vers l’Espagne, elle en débite des tirades entières30 . Chez Mme d’Auchy, les conversations volent haut : les précieuses ne parlent « jamais du Cid qu’elles ne parlent de l’unité du sujet et de la règle des 24 heures31 ». Pour ce qui est d’Arthénice, on sait tout le soin qu’elle mettait à rester indépendante vis-à-vis de l’Académie : pas plus que sur les questions de prononciation, elle n’accepta aucun attentat contre sa souveraineté en matière de littérature, et elle resta fidèle à son admiration pour Le Cid32 . D’autres se rangèrent de son côté : sa fille Julie, le Grand Condé et Mlle Paulet, entre autres. Les lettres de cette dernière et celles de Chapelain à deux de ses amis (Balzac et Carel de Sainte- Garde) montrent bien toutes les intrigues menées pour discréditer la tragi-comédie du Rouennais. Ce remue-ménage finit par provoquer un certain sentiment de rejet vis-à-vis de la Compagnie : qu’on lise La Comédie de l’Académie, farce ingénieuse contre sa censure du Cid, qui circula dans les salons parisiens dont celui de Mme de Rambouillet33 . Quoiqu’elle soit sans rapport avec la Querelle du Cid, nous saluerons au passage Les Visionnaires, comédie de Desmarets de Saint-Sorlin publiée cette même année 1637. La pièce peut être lue en clé quichottesque, s’il est vrai que ses huit fous sont des émules du héros de la Manche : Artabaze veut qu’on l’estime « fort vaillant », Filidan est « amoureux en idée », etc. D’après Segrais, l’auteur y a fait plusieurs portraits : ainsi, Mélisse, qui aime Alexandre, est Mme de Sablé, la coquette Hespérie est Mme de Chavigny, et la vertueuse Sestiane, qui n’aime que la comédie, est Mme de Rambouillet34 . 29 Voir Faith E. Beasley, « The Voices of Shadows : Lafayette’s Zaïde », dans Elizabeth C. Goldsmith et Dena Goodman éd., Going Public : Women and Publishing in Early Modern France, Ithaca (NY), Cornell University Press, 1995, p. 148. 30 Voir Roger Lathuillière, La Préciosité. Étude historique et linguistique, Genève, Droz, 1966, p. 463. 31 Cette indication sarcastique est de Balzac, cité par H. Sauval, Histoire des Antiquités de la ville de Paris, Paris, Ch. Moette, 1733, t. II, p. 495 ; voir B. Krajewska, « Quelques précisions touchant le salon de la vicomtesse d’Auchy », PFSCL, vol. 19, 1992, p. 426. 32 Voir Ch.-L. Livet, op. cit., p. 32 33 Voir B. Krajewska, op. cit., p. 104. 34 Léris, Dictionnaire portatif […] des théâtres, 2e éd., Paris, Jombert, 1763, p. 452. Voir M. Bardon, op. cit., p. 181 ; Ch.-L. Livet, op. cit., p. 66. © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202) © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202)
  • 8. Les salons et l’Espagne 53 Deux ans plus tard, le salon de Mme de Rambouillet assiste à une autre querelle, que Balzac appelle, dans une lettre à Chapelain (datée le 29 avril 1639), le « procès de l’Arioste » ; or, l’auteur du Roland furieux n’est pas le seul concerné : la primauté des langues espagnole et italienne était en jeu. Contrairement à certains de ses contemporains qui préféraient les Italiens, Voiture ne rougissait pas de pratiquer l’espagnol ; cela lui avait valu des remontrances, ainsi de Chapelain, qui y fait allusion dans une lettre adressée à Balzac le 17 avril de cette même année : C’est encore une querelle que j’ai avec M. Voiture, qui ne peut souffrir que je la préfère [la langue italienne] à l’espagnole, ni les poètes italiens aux poètes espagnols. 35 Au début de 1639, Chapelain avait envoyé I Suppositi à Voiture, qui était alors à Rome. À son retour de Rome, Voiture condamna la pièce sans appel, en priant Julie d’être juge de la polémique. Les Supposés de l’Arioste renfermaient un certain nombre d’équivoques. La pudeur outrée de Mlle de Rambouillet ne put le supporter. En donnant lecture de la pièce à sa mère, en exagérant ses scrupules elle passait arbitrairement sous silence les répliques dont elle prenait ombrage. D’ailleurs, elle préférait les romans aux comédies et, selon Chapelain, elle n’entendait pas l’italien suffisamment bien pour saisir la beauté de la pièce. Elle la critiqua ; la guerre éclata. Chapelain se trouva adversaire de Voiture, à qui il jeta en quelque sorte le gant. En effet, ils firent une gageure d’une paire de gants d’Espagne que Chapelain envoya à Voiture dès le lendemain du verdict de Julie (1er mars 1639). « Voiture releva le gant. Il accepta ainsi le défi36 . » Deux groupes s’étaient déclarés : Conrart, Arnauld et Chavaroche se rangèrent sous l’enseigne de Chapelain, Julie et Pisani sous celle de Voiture. L’important en l’occurrence n’est pas l’issue de la querelle (depuis Angoulême, Balzac, pris pour arbitre, en appela aux règles d’Aristote), mais plutôt de constater les clivages qui s’opérèrent au sein du salon. Une question de goût concernant deux langues modernes de culture permet de la sorte de mieux apprécier une cristallisation en fonction des tendances éthiques et esthétiques des individus. Ainsi les querelles étaient monnaie courante dans les salons. Quelques années plus tard, une comedia de Rojas Zorrilla, Obligados y ofendidos, y gorrón de Salamanca, allait être à l’origine d’autres démêlés. La tragi-comédie de Scarron intitulée L’Écolier de Salamanque, ou les Généreux Ennemis fut achevée d’imprimer le 31 décembre 1654 ; et Les Généreux Ennemis de Boisrobert le 22 janvier de l’année suivante 37 . Or Boisrobert réussit à faire représenter sa tragi- comédie avant celle de Scarron, dans les premiers mois de 1654. Avait-il traité le sujet le premier ? On peut en douter ; Scarron lui-même le conteste. Il semble que 35 Chapelain, Lettres, éd. cit., t. I, p. 415. 36 B. Krajewska, op. cit., p. 40-42. Cf. M. Magendie, op. cit., p. 127 ; A. Adam, op. cit., t. I, p. 270. 37 En revanche, le privilège de la pièce de Scarron (4 décembre 1654) est plus tardif que celui de la pièce de Boisrobert (29 septembre 1654). © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202) © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202)
  • 9. José Manuel Losada Goya 54 Scarron ait fait pour quelques amis une lecture de sa pièce. Parmi les auditeurs était Boisrobert, qui trouva le thème fort à son goût et s’en empara. Au même moment, Thomas Corneille écrivit Les Illustres Ennemis, comédie inspirée du même sujet. Peu de temps après, la troupe de l’Hôtel de Bourgogne reçut trois manuscrits : celui de Scarron, celui de Boisrobert et celui de Corneille le Jeune. Les comédiens hésitèrent à choisir entre ces trois auteurs ; le prince d’Harcourt, partisan de l’abbé courtisan, promit une bastonnade à ceux qui marqueraient leur préférence à la pièce de Scarron. On imagine bien quelle fut la pièce choisie. Scarron dut se contenter de voir sa pièce représentée au Marais, dans le temps même où l’Hôtel de Bourgogne maintenait à son répertoire tous ses ouvrages précédents38 . Scarron se limite à dire dans sa dédicace à Mademoiselle que le sujet « donna dans la vue à deux écrivains de réputation en même temps qu’à moi39 ». Laissons de côté Thomas Corneille, qui ne paraît pas avoir été impliqué dans la querelle. Boisrobert et Scarron étaient encore bons amis ; Mme Scarron appréciait beaucoup l’abbé de Boisrobert, et les deux hommes s’étaient réciproquement obligés : le premier avait publié des vers en tête du Virgile traversti et le second lui avait rendu la politesse en en produisant en tête des Épîtres de Boisrobert40 . Cette dispute et celle concernant la publication par d’Ouville d’une traduction d’une nouvelle de María de Zayas finirent par brouiller les deux hommes : ceci expliquerait les lettres et poésies où Scarron raille les mœurs scabreuses de l’abbé41 . Une chose est sûre : la tragi-comédie de Scarron fut écartée de la scène. Le poète satirique dénonça alors les manœuvres d’une cabale de précieuses42 . Il suffit de lire l’épître dédicatoire de la pièce : On a hay ma comedie devant que de la connaître. De belles Dames qui sont en possession de faire la destinée des Pauvres humains, ont voulu rendre mal-heureuse celle de ma pauvre comédie. Elles ont tenu Ruelle pour l’étouffer dés sa naissance. 43 Ces dames le frappèrent rudement : conjurées, elles répandirent contre sa pièce de venimeux factums, la comparant « à de la moutarde mélangée à la crème44 ». On sait que Scarron fut l’un des premiers à employer le terme de précieuses en mauvaise part : dans sa Seconde Légende de Bourbon, il critiquait une précieuse en 38 Voir É. Magne, Scarron et son milieu. Documents inédits, Paris, Émile-Paul Frères, 2e éd., 1924, p. 248 ; L.-S. Koritz, Scarron satirique, Paris, Klincksieck, 1977, p. 216-217. 39 Scarron, Œuvres, éd. J.-Fr. Bastien, VI, p. 79. 40 Voir É. Magne, op. cit., p. 225. 41 Ibid., p. 249-254 ; L.-S. Koritz, op. cit., p. 217-219 ; José Manuel Losada Goya, Bibliographie critique de la littérature espagnole en France. Présence et influence, Genève, Droz, 1999, notices 440 et 401. 42 Voir A. Adam, op. cit., t. II, p. 21. 43 L’Escolier de Salamanque ou les Généreux Ennemis, tragi-comédie de Mr Scarron, dédiée à Son Altesse Royale Mademoiselle, Paris, A. de Sommaville, 1655, n. p. 44 Cité par É. Magne, op. cit., p. 248. © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202) © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202)
  • 10. Les salons et l’Espagne 55 herbe « qui n’avait pas beaucoup d’esprit45 ». Mais il distingue les « fausses » de « celles de prix ». Bref, que peut-on conclure de cette querelle où sont mêlés le salon et la scène ? Scarron, quant à lui, en retira une gratification de cinquante pistoles que lui envoya Segrais de la part de Mademoiselle pour le consoler ; quant à nous, il nous reste cette autre gratification, plus spirituelle : la célèbre expression de « jansénistes d’amour » que Scarron inventa pour parler des fausses précieuses qui avaient dédaigné « le talent au profit de la médiocrité ». José Manuel Losada Goya Université Complutense de Madrid 45 V. 283-298, dans Poésies diverses, éd. M. Cauchie, Paris, STFM, 1947-1961, t. I. © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202) © Armand Colin | Téléchargé le 18/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.152.251.202)