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LES ROMANS DE CHEVALERIE EN ESPAGNE:
ORIGINE, TRADITION, INNOVATION
La Chevalerie du Moyen Âge à nos jours. Mélanges offerts à Michel Stanesco.
Mihaela Voicu & Victor-Dinu Vlǎdulescu (éds.),
Bucarest: Editura Universitǎţii din Bucureşti, 2003, p. 345-359.
ISBN: 973-575-809-1.
La matière antique et la matière de Bretagne composent “les deux volets du grand diptyque
romanesque” tracé par les écrivains français au Moyen Âge1. Pour ses origines comme pour son
développement, la première est foncièrement réfractaire à toute mobilité: ni les textes anciens ni la
forme narrative ne tolèrent des libertés aux nouveaux romanciers; en revanche, pour sa souche
comme pour son caractère, la seconde présente une considérable mobilité: il revient au génie créateur
d’agencer convenablement le matériel pour obtenir un nouvel ouvrage indépendant et cohérent. Il en
est de même pour les données historiques, au point que Michel Stanesco puisse affirmer que “le
rapprochement entre le roman arthurien et l’épopée grecque n’a qu’une pure valeur anecdotique”
(2002: 12). L’évolution des trois derniers siècles du Moyen Âge le prouve: face à la rigidité du roman
d’inspiration antique, le roman arthurien se mue, agrège des personnages, des épisodes, des thèmes
et devient centre de cycles majestueux.
Une opinion assez répandue soutient que les romans de chevalerie espagnols ont une structure
extrêmement rigide. Certes, leur charpente est encore loin des affranchissements modernes, mais elle
présente déjà des licences inimaginables pour les romans antiques. La raison en est que ces libros de
caballerías sont imbibés des romans bretons, comme ces pages voudraient le montrer. Pour ce faire,
nous commencerons par évoquer les traces laissées par le principal bâtisseur de la matière arthurienne;
nous aborderons ensuite les ouvrages de fiction proprement dite dont la source est française, puis les
autochtones. Pour ces derniers, il s’agira de montrer quelques-unes de leurs principales singularités:
union de prose et de vers dans la fiction, rédaction conjointe fictive par des scribes jumeaux, certitude,
de la part des auteurs, que leurs ouvrages font partie d’une série issue d’un tronc commun.
Geoffroy de Monmouth
C’est sans doute en raison des étroits rapports entre leur pays et le sud de la France que les
troubadours catalans Guerau de Cabrera et Guillem de Berguedà font allusion à la matière bretonne
dès le XIIe siècle. Pour la Navarre et la Castille, c’est très probablement à l’occasion du mariage entre
Léonore d’Aquitaine, fille d’Henry II, et Alphonse VIII de Castille (1170), que la légende arthurienne
y a été introduite. En 1217, dans les Anales Toledanos Primeros (tout comme dans le Fuero General de
Navarra, c. 1196-1212), apparaît le premier commentaire à la bataille de Camlann:
Lidio el Rey Zitus con Mordret su sobrino en Camblenc, Era DLXXX2,
où, malgré les fautes de transcription, on reconnaît le référent des Annales Cambriæ:
537. Gueith Camlann in qua Arthur et Medraut corruerunt3.
1
L’expression est de Sylvia Roubaud-Bénichou (2000: 44), à qui cet article doit beaucoup.
2
“Le roi Zitus lutta contre son neveu Mordret à Camlenc. C’était en 1053” (cité par Entwistle, 1922: 383 et 1925: 36).
3
Entwistle explique les erreurs du copiste anonyme concernant l’année 542 et Zitus (=Artus).
2
Les affabulations de Geoffroy de Monmouth ont été recueillies par Alphonse le Sage et ses
collaborateurs dans la General Estoria, sorte d’histoire universelle entamée en 1272 et restée inachevée.
Les traducteurs du roi ont omis de mentionner le nom des historiens, à part Gildas, et désignent
l’ouvrage de Geoffroy sous le titre d’Estoria de las Bretannas. Les vingt-trois chapitres qui racontent la
vie de Brutus dans l’Historia regum Britanniæ ont été insérés dans la section biblique des rois de la
General Estoria: ils servent de complément à la narration centrale de l’histoire profane, qui, elle, suit
en parallèle la traduction de la Bible. Malheureusement, les développements correspondant à la
matière arthurienne font défaut, peut-être du fait que la Quinta Parte ne contient que la section
biblique, selon William J. Entwistle (1922: 384), peut-être encore à cause de l’état d’inachèvement de
la narration alphonsine, selon Sylvia Roubaud-Bénichou (2000: 78).
Le Livro das Linhagens –ouvrage collectif portugais également connu sous le nom de Nobiliario–
offre le Titulo II suivant:
Dos Rex da Troya como vem do linhagem de Dradanus que prymeiro pobrou a Troya e dos Rex de
Roma e de Julius Cesar et de Çesar Augustu, e de Brucus que pobrou Bretanha e de Costantim de Roma
e de Rey Artur…4.
L’auteur de ce chapitre, qu’on peut dater de 1325, est don Pedro Alfonso, comte de Barcelos,
précisément arrière-petit-fils d’Alphonse le Sage. Son ouvrage était conçu dans un but généalogique:
l’ascendance d’Arthur y est clairement établie; surtout, il contient un résumé de l’Historia de Geoffroy
de Monmouth. En son temps, Entwistle supposait que ce sommaire de l’histoire bretonne, tant de
fois utilisé par l’historiographie occidentale, avait pénétré dans la Péninsule à travers le Portugal (1922:
386-88); trois ans plus tard, il revenait sur la question, mais admettait des lacunes concernant un
possible original espagnol (1925: 38-41). Cintra, dans son édition de la Crónica Geral de Espanha de
1344, suivait l’hypothèse portugaise, puis penchait pour une source galicienne-portugaise ou castillane
(Crónica, 1951: CDXV). Postérieurement, Diego Catalán a apporté des raisons de croire non seulement
que don Pedro de Barcelos est l’auteur de ladite Crónica (Crónica, 1970: xvii sq.), mais qu’il suit le Libro
de las generaciones, ouvrage navarrais anonyme copié au XVe siècle par Martín de Larraya et dont
Geoffroy et Wace sont des sources importantes (1962: 310, 365 et 375).
Une preuve supplémentaire du bon accueil réservé à l’Historia Regum Britanniæ: les Anales, le
Nobiliario et un roman intitulé la Demanda del Sancto Grial respectent la tradition, instaurée par
Geoffroy, selon laquelle Mordret n’est que le neveu d’Arthur. Elle sera supplantée en France par cette
autre, inaugurée par la Mort Artu, où le roi est le fils du traître, et suivie en Espagne dans le Libro de
las bienandanzas e fortunas de Lope García de Salazar (1471-76).
Ouvrages de fiction de source française
Le matériel romanesque arthurien est acheminé en Espagne surtout grâce aux traductions des
principaux cycles élaborés en France au XIIIe siècle: le Lancelot-Graal ou cycle de la Vulgate et ses cinq
parties enlacées (Estoire del Saint Graal, Estoire de Merlin, Lancelot propre, Queste del Saint Graal, Mort Artu),
le cycle de la post-Vulgate dit “Roman du Graal” (Roman de l’estoire dou Graal, Merlin, Perceval en prose)
et le Tristan en prose. Ces versions hispanisées ne tardent pas à être incorporées dans des compilations
historiques, dont les Livro das Linhagens et Libro de las bienandanzas y fortunas, cités plus haut.
La Vulgate et la Post-Vulgate ont été largement mises à contribution dans la littérature
péninsulaire. Peut-être la première traduction en est le Libro de Josep Abarimatia (1313), version
4
“Des rois de Troie et comment ils descendent du lignage de Dardanus, qui peupla le premier Troie, et des rois de
Rome et de Jules César et de César Auguste et de Brutus, qui peupla la Bretagne, et de Constantin de Rome et du roi
Arthur…” (f. 13-14; cité par Entwistle, 1922: 385, 1925: 39 et par Catalán, 1962: 365).
3
portugaise de João Sánchez, dont le correspondant espagnol est le Libro de Josep Abarimatea (c. 1469,
sans doute copie d’un original précédent). Suivent la Storia del Sant Grasal (1380, catalan), un Lançarote
en trois fragments dérivés de la Mort Artu, la Demanda do Santo Graal (c. 1400-38, portugais) et le petit
fragment de la Demanda del Santo Grial (1469-70). À la charnière des XVe et XVIe siècles paraissent,
imprimés, une série de romans autour de la matière bretonne: la Tragèdia de Lançalot (catalan, c. 1496),
le Baladro del sabio Merlín (1498) et la Demanda del Sancto Grial (imprimé à Tolède en 1515 et à Séville
en 1535). Les récits sur Lancelot ne sont conservés que par des copies tardives et fragmentaires: il est
un Lançarote galaïco-portugais découlant de la IIe partie du Lancelot (c. 1350), un feuillet d’un ms de la
fin du XIVe siècle et un ms du Lançarote de Lago, copié sur un autre datant de 1414, et qui contient les
parties II et III du Lancelot français (Lida de Malkiel, 1959: 408-412 et 1984: 69-75).
Le Tristan en prose a été également bien connu. La première version française est adaptée dans
le Tristán de Leonís (folio ms de la première moitié du XIVe siècle, sans doute contaminé par la
compilation de Rusticiano de Pise); il diffère considérablement du Cuento de Tristán de Leonís (fin XIVe
siècle ou début du XVe siècle), qui provient de la deuxième version française. Lui ressemblent, en
revanche, les deux versions catalanes intitulées Tristany de Leonis et les textes imprimés à Valladolid
(1501) et à Séville (1528 et 1534).
Les romances composent un chapitre privilégié de la réception espagnole du fonds arthurien.
Voici leur premier vers, leur sujet et leur édition ou ms: “Tres hijuelos auia el rey tres hijuelos que no
mas…” (sur Lancelot et le cerf au pied blanc; Cancionero de 1550, f 242 r); “Nunca fuera cauallero de
damas tan bien seruido…” (sur Lancelot et l’Orgueilleux; Cancionero de 1550, f 242 v); “Mal se quexa
don Tristan que la muerte le aquexava…” (sur la mort de Tristan et Iseut; pliego de la Bibliothèque
nationale de Lisbonne, 1605); “Ferido esta don Tristan de vna mala lançada…” (même sujet;
Cancionero de 1550, f 202 v); “Caualga doña Ginebra y de Cordova la rica…” (sur une amourette de
Guenièvre avec un de ses neveux; Silva, tercera parte, de 1551, f 20 r). La popularité des romances ne
fait pas de doute. Cervantès en fournit la preuve puisque ses deux protagonistes citent à trois reprises
celui de Lancelot et “l’Orgueilleus de la Lande” (I, chap. 2, I, 13 et II, 31). Le Cancioneiro de la
Bibliothèque nationale de Portugal contient cinq poèmes lyriques intitulés Lais de Bretanha (fin XIIIe
siècle ou début XIVe siècle), dont deux sont inspirés de la Vulgate et trois du Tristan en prose. Ces
allusions se répètent chez les trovadores ibériques, tant galaïco-portugais que castillans et catalans.
Ouvrages autochtones
Cette large réception, clairement reconnaissable, est à mettre en parallèle avec une autre,
prodigieuse par son envergure et célèbre pour son influence européenne. Sylvie Roubaud-Bénichou
observe la profondeur des empreintes arthuriennes en Espagne:
Mais ce sont surtout les romanciers qui ont puisé à pleines mains dans la “matière de Bretagne” et y ont
pénétré le plus avant; elle n’a cessé de nourrir leur fantaisie créatrice et de servir d’appui à leurs œuvres
qui, proches ou distantes d’elle dans le temps, reprennent en écho, aussi bien à l’époque de l’Amadís
primitif qu’à celle du tardif Belianís, les thèmes, les types humains, les décors, les entrelacements narratifs
qu’avaient mis en place les vieux artisans de la Fiction arthurienne (2000: 84).
Ce que l’on désigne sous le nom de “chevalerie espagnole” a une tonalité nettement indigène.
Aucune littérature ne se développant en vase clos, on doit y remarquer toutefois la présence
d’éléments étrangers. Tout comme l’anonyme auteur du Libro del Cavallero Zifar (Ferrán Martínez,
1300?) connaissait les lais de Lanval et le Merlin, celui d’Amadís ou le compilateur des quatre premiers
livres (Garci Rodríguez de Montalvo, avant 1505) n’ignoraient ni le Tristan ni le Lancelot: outre les
allusions explicites et les lieux communs, nombre d’analogies générales et de détail peuvent être
4
repérées5. On peut en dire autant de bon nombre de libros de caballerías, qui dans leurs thèmes et dans
leurs motifs témoignent du haut degré de perméabilité de la littérature espagnole au Moyen Âge. Ils
le manifestent encore par leur structure et par leur technique narrative.
Le “prosimetrum”
Le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure (écrit avant 1172) fut adapté en espagnol dans
l’anonyme Historia troyana en prosa y verso (c. 1270), dite aussi Polimétrica car elle a la particularité de faire
alterner le vers et la prose, et de contenir onze pièces poétiques. D’après Sylvia Roubaud-Bénichou,
le travail du traducteur ne s’en est pas tenu à cette alternance: il a opéré un véritable processus de
dérimage et de rénovation de la versification originelle; il a aussi combiné de façon nouvelle
l’utilisation de la prose et du vers, puisqu’il les oppose et les assemble tout à la fois. L’Historia troyana
marque ainsi l’apparition dans la Péninsule du prosimetrum –jusque là mode exclusif d’œuvres en latin
telles que le De consolatione Philosophiæ, et qui en France est tôt abandonné au profit de la prose. Mais
la Polimétrica est remarquable surtout car cette rencontre prosimétrique “s’est produite, à l’origine,
dans une œuvre de fiction: c’est-à-dire là où précisément l’emploi du prosimetrum allait se généraliser
et devenir par la suite une des constantes du genre” (2000: 87).
La parution de l’Historia troyana est d’une importance capitale pour l’évolution du genre en
Espagne, dans le sens qu’elle établit un clivage entre les libros de caballerías et les romans bretons
d’origine française. En effet, l’assemblage de prose et vers fonde une ligne nouvelle, naturelle à
l’Espagne, scandée en deux phases: dans la première, la traduction de l’œuvre de Benoît de Sainte-
Maure provoque le prosimetrum de l’Historia troyana; dans la deuxième, ce mécanisme est adapté par les
deux premiers romans chevaleresques espagnols qui réservent la prose aux récits événementiels et le
vers aux effusions lyriques. Dans le Cavallero Zifar, l’auteur inclut deux poèmes galaïco-portugais à la
fin de l’épisode des “Yslas Dotadas”, rehaussant ainsi l’aventure fantastique et amoureuse du roman.
Un demi-siècle plus tard, le chevalier Amadís compose deux courtes pièces, toutes deux mises en
musique: la première est une complainte où le protagoniste exprime son désespoir; la deuxième est
une déclaration d’allégeance par laquelle il veut complaire à la sœur cadette de sa dame. Certains
critiques supposent que l’Amadís primitif (début du XIVe siècle?) comportait plus d’intermèdes
lyriques; mais, faute du texte, c’est une hypothèse invérifiable (Roubaud-Bénichou, 2000: 87-90).
Par ce savant agencement de prose et vers, la matière ancienne déclenche, lors de son
adaptation espagnole, un nouveau mode d’écriture. Mais les pièces sont encore très peu nombreuses:
il faudra l’avènement de la fiction sentimentale pour que le prosimetrum trouve la place qui lui revient
dans la littérature espagnole. Beaucoup plus que dans le Cavallero Zifar ou dans l’Amadís, la poésie
trouve une place de choix au sein de la fiction sentimentale en prose. Sylvia Roubaud-Bénichou
analyse les principales productions faisant preuve de l’implantation de la poésie dans la prose
romanesque: Siervo libre de amor, de Juan Rodríguez del Padrón (c. 1440), Sátyra de felice e infelice vida, du
connétable Pedro de Portugal (c. 1450), Triste deleytaçión, d’auteur anonyme (probablement catalan, c.
1460), Arnalte y Lucenda, de Diego de San Pedro (c. 1480), Continuación de la Cárcel de amor, de Nicolás
Núñez (1495) et la Cuestión de amor, d’auteur anonyme (1513). Ce passage par la narration sentimentale
s’est révélé très fécond pour l’assimilation définitive du prosimetrum. Ce mode d’écriture adopté, il ne
manque plus que son arrangement avec les arguments propres de la chevalerie errante.
S’il est vrai que de nombreux romans ne comportent pas, ou presque, de pièces versifiées, il
ne l’est pas moins que d’autres en contiennent beaucoup. Face à la rareté de compositions poétiques
5
Vid. Menéndez Pelayo, 1943, I: 309, 338 et 348 sq., Bohigas Balaguer, 1951: 222-224, Lida de Malkiel, 1959: 414 et
1984: 170 et Stanesco & Zink, 1992: 65.
5
dans les premiers livres de chevalerie espagnols (Tristán de Leonís, Amadís, Esplandián, Florisando,
Lisuarte, Palmerín, Primaleón), les textes postérieurs en abondent: la série des cinq Clarián (1518-28,
dont les trois derniers sont de Jerónimo López), Clarimundo (c. 1522, de João de Barros), le Florisel de
Niquea (1532, de Feliciano de Silva), les deux Rogel de Grecia (1535-51, du même), le Memorial das proezas
da Segunda Távola Redonda (1550-67, de Ferreira de Vasconcelos), le Policisne de Boecia (1602, de Juan de
Silva y de Toledo) et le Clarisol de Bretanha (1602, de Balthasar Gonçalves Lobato). Tous ces livres
espagnols et portugais associent la prose aux pièces rimées de toute sorte: chansons, romances,
redondillas, quintillas, églogues et sonnets, et ils s’approprient si bien cet aménagement qu’au bout de
trois siècles, celui-ci demeure vivant et fructueux: Cervantès s’en sert dans le Quichotte et dans le Persiles.
L’“auctoritas”
Parallèlement à l’Historia regum Britanniæ, l’ouvrage de Benoît de Sainte-Maure contribua à
étoffer la General Estoria. La légende de Troie occupe, dans la Seconde Partie de la narration
alphonsine, une série de chapitres réunis sous le titre d’“Estoria de Troya”. Les traces structurelles du
Roman de Troie sont manifestes, notamment dans le recours au principe de l’auctoritas: tout comme le
moine français, les commanditaires d’Alphonse s’appuient sur Darès et Dictys (“Dayres” et “Ditis”),
les historiens attitrés par la tradition. Leur nouveauté est que le texte transmis résulte d’un accord
mutuel entre les deux “clercs” troyen et grec, hors de toute passion partisane.
Les auteurs de romans de chevalerie puiseront à pleines mains dans le mode d’exposition
adopté par le roi savant. Trois remarques s’imposent d’abord. Premièrement, le récit par un seul
“chroniqueur” demeure vivant dans certains cas: le moine-ermite Cipriano écrit les haut-faits de
Florambel de Lucea dans l’ouvrage du même nom (1532, de Francisco Enciso de Zárate) et Vadulato
de Bondirmague, évêque de Corvera, commis de Vasperaldo, empereur d’Allemagne, est le témoin
privilégié, puis le narrateur des prouesses relatées dans Clarián de Landanís I-IV (1518-1550, ouvrage
de Gabriel Velázquez, du “maestre Álvaro” et de Jerónimo Lopes). Deuxièmement, la collaboration
de scribes dans la chevalerie espagnole est différente de celle de Luc de Gat et Hélie de Boron dans
le Tristan en prose: d’une part, ceux-ci ne se présentent pas comme les témoins des aventures, d’autre
part, ils correspondent probablement, sous des noms d’emprunt, à deux écrivains réels (Roubaud-
Bénichou, 2000: 139-140). Troisièmement, il est fort probable qu’au lieu de recourir à la General
Estoria, les romanciers espagnols se soient plutôt servis des multiples histoires intermédiaires écrites
à partir du corpus alphonsin.
Quoi qu’il en fût, la fiction des écrivains solidaires, inaugurée en Espagne par les rédacteurs de
la General Estoria, constitue un motif fidèlement respecté par la tradition qui va suivre. La Crónica del
rey don Rodrigo, dite aussi Crónica sarracina, de Pedro del Corral (c. 1430-40), entame le sentier de la
collaboration imaginaire entre deux auteurs. Ce récit pseudo-historique, “premier roman historique
espagnol” (Bohigas Balaguer, 1951: 191), serait le résultat du concours entre les frères Eleastras et
Alanzuri, historiens officiels du règne de Rodrigue. Tout comme dans l’ouvrage d’Alphonse,
l’intention de cette complémentarité est de faire passer le livre pour un récit historique irrécusable.
La Sarracina a inspiré les auteurs des romans chevaleresques, par exemple pour les noms des
personnages: Clarián et son écuyer Carestes (dans Clarián I), Lucencio, petit-fils d’Amadís (dans
Lisuarte de Grecia et dans Amadís de Grecia), et l’enchanteur Alquife (dans les mêmes romans), décalque
du Merlin de Geoffroy. C’est une preuve du succès d’un ouvrage sans cesse réédité tout au long des
XVe et XVIe siècles. Pour Sylvia Roubaud-Bénichou, le livre de Pedro del Corral constitue “une étape
décisive: celle qui marque l’entrée des scribes jumeaux dans la littérature chevaleresque” (2000: 150).
Cette tâche de rédaction solidaire trouve son répondant dans plusieurs couples postérieurs: le
Baladro del sabio Merlín, déjà cité, où Blaysen copie à la dictée de Merlín (suivant ainsi la tradition
6
instaurée par Robert de Boron dans l’Estoire de Merlin), l’anonyme Florando de Inglaterra (1545), où
Polismarco et Palurcio mettent par écrit les aventures que l’enchanteresse Orbicunta leur récite sur
Paladiano et son fils Florando, l’Espejo de príncipes y cavalleros I ou El Cavallero del Febo, de Diego Ortúñez
de Calahorra (1555), où Artemidoro et Lirgandeo, deux enchanteurs encore, rédigent les hauts faits
de Rosicler et du Caballero del Febo respectivement, et Febo el Troyano, d’Esteban de Corbera (1576),
où Claridoro et Rinacheo transcrivent les prouesses de Florante de Troya. Une curiosité, parfois les
historiens sont ouvertement confrontés: les quatre livres de Belianís de Grecia (1547-79, de Jerónimo
Fernández) sont rédigés par le “sabio Fristón” en langue grecque, ce qui n’empêche pas un certain
archevêque de Roselis de s’immiscer ici et là pour faire des ajouts de son cru et retracer, par exemple,
le périple du héros autour du monde; ce qui explique l’intervention du narrateur pour prévenir le
lecteur des incohérences de l’archevêque face à la véracité du magicien.
Cette récurrence des enchanteurs est monnaie courante dans la chevalerie espagnole. Leur
source commune n’est pas l’imaginaire espagnol mais Geoffroy, dont l’Historia a été progressivement
oubliée à partir du XIVe siècle au profit d’Arthur et, surtout, des merveilles de Merlin. La célébrité du
magicien est proverbiale, aussi bien dans l’histoire que dans le roman. Dans la Crónica del rey don Pedro,
de Pero López de Ayala (1322-1407), le savant Benahatín renseigne Pierre le Cruel de la véracité des
prophéties que Merlin avait proférées à son sujet (année XX, chap. III; éd. Martín, 1991: 418). Mais ce
sont surtout les ouvrages de chevalerie qui le font connaître. Tout d’abord, grâce aux traductions des
divers cycles romanesques français; bientôt apprécié, il est accueilli par les Amadises anonymes et par
Garci Rodríguez de Montalvo. À la fin du XVe siècle, il exerce ses puissances divinatoires dans le
Baladro del sabio Merlín (1498) et dans le Tristán de Leonís (1501). Plus tard, il est enfin adapté: Feliciano
de Silva le prend pour modèle du magicien Alquife dans son Lisuarte de Grecia (1514). Cette création
n’était pas la première: déjà l’anonyme auteur des Amadises, puis Montalvo dans ses Sergas avaient
introduit une “sabia Urganda”; elle joue si bien son rôle qu’elle finira par épouser le magicien Alquife
dans l’ouvrage de Silva. C’est sans doute la perfide sœur d’Arthur, Morgain, qui a inspiré la création
des redoutables magiciens: Arcalaus dans les Amadises, et Arcabona et Melia dans les Sergas de
Montalvo (Roubaud-Bénichou, 2000: 155). D’autres magiciens s’ajouteront encore, qui par leurs
qualités prophétiques et scripturales transmettront les aventures des chevaliers errants. Cependant,
leur succès n’atteindra pas impunément la Renaissance, qui les condamne pour leur caractère
fabuleux; ainsi Juan Luis Vives:
Fabulosa sunt magis quæ de Britanniæ originibus quidam est commentus, a Bruto illos Trojano
deducens, qui nullus unquam fuit (Op. omn. VI; cit. Entwistle, 1922: 390);
l’humaniste espagnol n’est pas plus indulgent à leur égard que Montaigne ne le sera plus tard
envers
[les] Lancelot du Lac, [les] Amadis, [les] Huons de Bordeaus, et tel fatras de livres à quoy l’enfance s’amuse
(I: XXVI; vid. aussi Michel Stanesco, 2002: 427-439).
Conscience lignagère
Une caractéristique des romans chevaleresques espagnols est la succession des histoires le long
de plusieurs livres, suivis à leur tour par les histoires d’autres chevaliers apparentés: ascendants et
descendants deviennent les maillons d’une chaîne où les prénoms (Amadís, Belianís, Clarís…) et les
toponymes (de Grecia, de Niquea, de Trapisonda…) effacent à peine les liens: par exemple, Silves de la
Selva, qui relate les prouesses de Don Silves, est le XIIe livre d’Amadís. La conscience d’une série est
fortement ancrée dans l’esprit des romanciers, comme le prouvent les diverses bibliographies
espagnoles et françaises (Gayangos, 1857; Vaganay, 1906; Losada: 1999). Cette conviction explique
7
les efforts mis en œuvre par les auteurs afin de préserver le canon établi. Il n’est pas rare, en ce sens,
qu’un auteur redresse les inadvertances du précédent. Ainsi, “don Guilán el Cuidador” était décédé
dans les Sergas (Ve livre d’Amadís, de Rodríguez de Montalvo), mais réapparaît vivant dans Florisando
(VIe livre d’Amadís, de Páez de Ribera): Juan Díaz répare dans son Lisuarte de Grecia (VIIIe livre
d’Amadís) cette bévue nuisible à l’enchaînement correct de la série. Mais personne n’est à l’abri des
erreurs: plus tard Feliciano de Silva, dans son Amadís de Grecia (IXe livre d’Amadís), réprimande Juan
Díaz d’avoir semé le désordre dans une généalogie que lui, Silva, avait respectée dans son propre
Lisuarte de Grecia (VIIe livre d’Amadís). Ces rappels à l’ordre sont des manières de marquer le territoire
littéraire afin d’évincer les audaces d’autres concurrents; mais ils sont aussi des stratagèmes narratifs
qui témoignent de la conscience d’une lignée propre aux romans chevaleresques espagnols.
On pourrait ajouter une dernière modification opérée par certains auteurs: la substitution des
valeurs chrétiennes à la fantaisie chevaleresque. Páez de Ribera, par exemple, cède à cette tentation
dans Florisando (1510); il reprend ainsi la route empruntée, deux siècles plus tôt, par l’anonyme auteur
du Cavallero Zifar, et qui sera suivie, dix ans plus tard, par celui du Caballero de la Cruz. Cette tendance
restera minoritaire, mais le succès de ce dernier récit (dix éditions entre 1521 et 1563) témoigne du
bon accueil réservé aux innovations, fussent-elles “hétérodoxes”. C’est une preuve, somme toute, que
les romans de chevalerie ne composent pas un bloc monolithique et réfractaire aux changements. Ils
modifient sans cesse leurs sources et leurs stratégies narratives. Ce manque de réglementation a sans
doute contribué à une plus grande liberté du genre et à la configuration du roman moderne.
Bibliographie
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Alianza, 1993, 2 vol.
BOHIGAS BALAGUER, Pedro, 1951: “La novela caballeresca, sentimental y de aventuras”, Historia general de las
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CATALÁN, Diego, 1962: De Alfonso X al conde de Barcelos. Cuatro estudios sobre el nacimiento de la historiografía romance
en Castilla y Portugal, Madrid: Gredos. UCM.A:860-94. “04 / 14” CAT
CRÓNICA GENERAL DE ESPAÑA DE 1344, 1970: éds Diego Catalán & María Soledad de Andrés, Madrid:
Gredos, “Seminario Menéndez Pidal”.
CRÓNICA GERAL DE ESPANHA DE 1344, 1951: éd. Luís Filipe Lindley Cintra, Lisbonne: Academia Portuguesa
da História.
ENTWISTLE, William J., 1922: “Geoffrey of Monmouth and Spanish Literature”, in The Modern Language Review,
17: 381-91.
– 1925: The Arthurian Legend in the Literatures of the Spanish Peninsula (Millwood, NY: Kraus Reprint, 1975).
UCM.A:DP.860.09 / 9.
GARCÍA GUAL, Carlos, 1990: Primeras novelas europeas, Madrid: Istmo.
GAYANGOS, Pascual de, 1857: Libros de caballerías. Con un discurso prelimiar y un catálogo razonado de los libros de
caballerías que hay en lengua castellana o portuguesa, hasta el año 1800, Madrid: M. Rivadeneyra, “Biblioteca de
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8
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– 2000: Le Roman de chevalerie en Espagne. Entre Arthur et Don Quichotte, Paris: Honoré Champion, “Nouvelle
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Olschki (rééd. 1973).

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Les romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdf

  • 1. 1 LES ROMANS DE CHEVALERIE EN ESPAGNE: ORIGINE, TRADITION, INNOVATION La Chevalerie du Moyen Âge à nos jours. Mélanges offerts à Michel Stanesco. Mihaela Voicu & Victor-Dinu Vlǎdulescu (éds.), Bucarest: Editura Universitǎţii din Bucureşti, 2003, p. 345-359. ISBN: 973-575-809-1. La matière antique et la matière de Bretagne composent “les deux volets du grand diptyque romanesque” tracé par les écrivains français au Moyen Âge1. Pour ses origines comme pour son développement, la première est foncièrement réfractaire à toute mobilité: ni les textes anciens ni la forme narrative ne tolèrent des libertés aux nouveaux romanciers; en revanche, pour sa souche comme pour son caractère, la seconde présente une considérable mobilité: il revient au génie créateur d’agencer convenablement le matériel pour obtenir un nouvel ouvrage indépendant et cohérent. Il en est de même pour les données historiques, au point que Michel Stanesco puisse affirmer que “le rapprochement entre le roman arthurien et l’épopée grecque n’a qu’une pure valeur anecdotique” (2002: 12). L’évolution des trois derniers siècles du Moyen Âge le prouve: face à la rigidité du roman d’inspiration antique, le roman arthurien se mue, agrège des personnages, des épisodes, des thèmes et devient centre de cycles majestueux. Une opinion assez répandue soutient que les romans de chevalerie espagnols ont une structure extrêmement rigide. Certes, leur charpente est encore loin des affranchissements modernes, mais elle présente déjà des licences inimaginables pour les romans antiques. La raison en est que ces libros de caballerías sont imbibés des romans bretons, comme ces pages voudraient le montrer. Pour ce faire, nous commencerons par évoquer les traces laissées par le principal bâtisseur de la matière arthurienne; nous aborderons ensuite les ouvrages de fiction proprement dite dont la source est française, puis les autochtones. Pour ces derniers, il s’agira de montrer quelques-unes de leurs principales singularités: union de prose et de vers dans la fiction, rédaction conjointe fictive par des scribes jumeaux, certitude, de la part des auteurs, que leurs ouvrages font partie d’une série issue d’un tronc commun. Geoffroy de Monmouth C’est sans doute en raison des étroits rapports entre leur pays et le sud de la France que les troubadours catalans Guerau de Cabrera et Guillem de Berguedà font allusion à la matière bretonne dès le XIIe siècle. Pour la Navarre et la Castille, c’est très probablement à l’occasion du mariage entre Léonore d’Aquitaine, fille d’Henry II, et Alphonse VIII de Castille (1170), que la légende arthurienne y a été introduite. En 1217, dans les Anales Toledanos Primeros (tout comme dans le Fuero General de Navarra, c. 1196-1212), apparaît le premier commentaire à la bataille de Camlann: Lidio el Rey Zitus con Mordret su sobrino en Camblenc, Era DLXXX2, où, malgré les fautes de transcription, on reconnaît le référent des Annales Cambriæ: 537. Gueith Camlann in qua Arthur et Medraut corruerunt3. 1 L’expression est de Sylvia Roubaud-Bénichou (2000: 44), à qui cet article doit beaucoup. 2 “Le roi Zitus lutta contre son neveu Mordret à Camlenc. C’était en 1053” (cité par Entwistle, 1922: 383 et 1925: 36). 3 Entwistle explique les erreurs du copiste anonyme concernant l’année 542 et Zitus (=Artus).
  • 2. 2 Les affabulations de Geoffroy de Monmouth ont été recueillies par Alphonse le Sage et ses collaborateurs dans la General Estoria, sorte d’histoire universelle entamée en 1272 et restée inachevée. Les traducteurs du roi ont omis de mentionner le nom des historiens, à part Gildas, et désignent l’ouvrage de Geoffroy sous le titre d’Estoria de las Bretannas. Les vingt-trois chapitres qui racontent la vie de Brutus dans l’Historia regum Britanniæ ont été insérés dans la section biblique des rois de la General Estoria: ils servent de complément à la narration centrale de l’histoire profane, qui, elle, suit en parallèle la traduction de la Bible. Malheureusement, les développements correspondant à la matière arthurienne font défaut, peut-être du fait que la Quinta Parte ne contient que la section biblique, selon William J. Entwistle (1922: 384), peut-être encore à cause de l’état d’inachèvement de la narration alphonsine, selon Sylvia Roubaud-Bénichou (2000: 78). Le Livro das Linhagens –ouvrage collectif portugais également connu sous le nom de Nobiliario– offre le Titulo II suivant: Dos Rex da Troya como vem do linhagem de Dradanus que prymeiro pobrou a Troya e dos Rex de Roma e de Julius Cesar et de Çesar Augustu, e de Brucus que pobrou Bretanha e de Costantim de Roma e de Rey Artur…4. L’auteur de ce chapitre, qu’on peut dater de 1325, est don Pedro Alfonso, comte de Barcelos, précisément arrière-petit-fils d’Alphonse le Sage. Son ouvrage était conçu dans un but généalogique: l’ascendance d’Arthur y est clairement établie; surtout, il contient un résumé de l’Historia de Geoffroy de Monmouth. En son temps, Entwistle supposait que ce sommaire de l’histoire bretonne, tant de fois utilisé par l’historiographie occidentale, avait pénétré dans la Péninsule à travers le Portugal (1922: 386-88); trois ans plus tard, il revenait sur la question, mais admettait des lacunes concernant un possible original espagnol (1925: 38-41). Cintra, dans son édition de la Crónica Geral de Espanha de 1344, suivait l’hypothèse portugaise, puis penchait pour une source galicienne-portugaise ou castillane (Crónica, 1951: CDXV). Postérieurement, Diego Catalán a apporté des raisons de croire non seulement que don Pedro de Barcelos est l’auteur de ladite Crónica (Crónica, 1970: xvii sq.), mais qu’il suit le Libro de las generaciones, ouvrage navarrais anonyme copié au XVe siècle par Martín de Larraya et dont Geoffroy et Wace sont des sources importantes (1962: 310, 365 et 375). Une preuve supplémentaire du bon accueil réservé à l’Historia Regum Britanniæ: les Anales, le Nobiliario et un roman intitulé la Demanda del Sancto Grial respectent la tradition, instaurée par Geoffroy, selon laquelle Mordret n’est que le neveu d’Arthur. Elle sera supplantée en France par cette autre, inaugurée par la Mort Artu, où le roi est le fils du traître, et suivie en Espagne dans le Libro de las bienandanzas e fortunas de Lope García de Salazar (1471-76). Ouvrages de fiction de source française Le matériel romanesque arthurien est acheminé en Espagne surtout grâce aux traductions des principaux cycles élaborés en France au XIIIe siècle: le Lancelot-Graal ou cycle de la Vulgate et ses cinq parties enlacées (Estoire del Saint Graal, Estoire de Merlin, Lancelot propre, Queste del Saint Graal, Mort Artu), le cycle de la post-Vulgate dit “Roman du Graal” (Roman de l’estoire dou Graal, Merlin, Perceval en prose) et le Tristan en prose. Ces versions hispanisées ne tardent pas à être incorporées dans des compilations historiques, dont les Livro das Linhagens et Libro de las bienandanzas y fortunas, cités plus haut. La Vulgate et la Post-Vulgate ont été largement mises à contribution dans la littérature péninsulaire. Peut-être la première traduction en est le Libro de Josep Abarimatia (1313), version 4 “Des rois de Troie et comment ils descendent du lignage de Dardanus, qui peupla le premier Troie, et des rois de Rome et de Jules César et de César Auguste et de Brutus, qui peupla la Bretagne, et de Constantin de Rome et du roi Arthur…” (f. 13-14; cité par Entwistle, 1922: 385, 1925: 39 et par Catalán, 1962: 365).
  • 3. 3 portugaise de João Sánchez, dont le correspondant espagnol est le Libro de Josep Abarimatea (c. 1469, sans doute copie d’un original précédent). Suivent la Storia del Sant Grasal (1380, catalan), un Lançarote en trois fragments dérivés de la Mort Artu, la Demanda do Santo Graal (c. 1400-38, portugais) et le petit fragment de la Demanda del Santo Grial (1469-70). À la charnière des XVe et XVIe siècles paraissent, imprimés, une série de romans autour de la matière bretonne: la Tragèdia de Lançalot (catalan, c. 1496), le Baladro del sabio Merlín (1498) et la Demanda del Sancto Grial (imprimé à Tolède en 1515 et à Séville en 1535). Les récits sur Lancelot ne sont conservés que par des copies tardives et fragmentaires: il est un Lançarote galaïco-portugais découlant de la IIe partie du Lancelot (c. 1350), un feuillet d’un ms de la fin du XIVe siècle et un ms du Lançarote de Lago, copié sur un autre datant de 1414, et qui contient les parties II et III du Lancelot français (Lida de Malkiel, 1959: 408-412 et 1984: 69-75). Le Tristan en prose a été également bien connu. La première version française est adaptée dans le Tristán de Leonís (folio ms de la première moitié du XIVe siècle, sans doute contaminé par la compilation de Rusticiano de Pise); il diffère considérablement du Cuento de Tristán de Leonís (fin XIVe siècle ou début du XVe siècle), qui provient de la deuxième version française. Lui ressemblent, en revanche, les deux versions catalanes intitulées Tristany de Leonis et les textes imprimés à Valladolid (1501) et à Séville (1528 et 1534). Les romances composent un chapitre privilégié de la réception espagnole du fonds arthurien. Voici leur premier vers, leur sujet et leur édition ou ms: “Tres hijuelos auia el rey tres hijuelos que no mas…” (sur Lancelot et le cerf au pied blanc; Cancionero de 1550, f 242 r); “Nunca fuera cauallero de damas tan bien seruido…” (sur Lancelot et l’Orgueilleux; Cancionero de 1550, f 242 v); “Mal se quexa don Tristan que la muerte le aquexava…” (sur la mort de Tristan et Iseut; pliego de la Bibliothèque nationale de Lisbonne, 1605); “Ferido esta don Tristan de vna mala lançada…” (même sujet; Cancionero de 1550, f 202 v); “Caualga doña Ginebra y de Cordova la rica…” (sur une amourette de Guenièvre avec un de ses neveux; Silva, tercera parte, de 1551, f 20 r). La popularité des romances ne fait pas de doute. Cervantès en fournit la preuve puisque ses deux protagonistes citent à trois reprises celui de Lancelot et “l’Orgueilleus de la Lande” (I, chap. 2, I, 13 et II, 31). Le Cancioneiro de la Bibliothèque nationale de Portugal contient cinq poèmes lyriques intitulés Lais de Bretanha (fin XIIIe siècle ou début XIVe siècle), dont deux sont inspirés de la Vulgate et trois du Tristan en prose. Ces allusions se répètent chez les trovadores ibériques, tant galaïco-portugais que castillans et catalans. Ouvrages autochtones Cette large réception, clairement reconnaissable, est à mettre en parallèle avec une autre, prodigieuse par son envergure et célèbre pour son influence européenne. Sylvie Roubaud-Bénichou observe la profondeur des empreintes arthuriennes en Espagne: Mais ce sont surtout les romanciers qui ont puisé à pleines mains dans la “matière de Bretagne” et y ont pénétré le plus avant; elle n’a cessé de nourrir leur fantaisie créatrice et de servir d’appui à leurs œuvres qui, proches ou distantes d’elle dans le temps, reprennent en écho, aussi bien à l’époque de l’Amadís primitif qu’à celle du tardif Belianís, les thèmes, les types humains, les décors, les entrelacements narratifs qu’avaient mis en place les vieux artisans de la Fiction arthurienne (2000: 84). Ce que l’on désigne sous le nom de “chevalerie espagnole” a une tonalité nettement indigène. Aucune littérature ne se développant en vase clos, on doit y remarquer toutefois la présence d’éléments étrangers. Tout comme l’anonyme auteur du Libro del Cavallero Zifar (Ferrán Martínez, 1300?) connaissait les lais de Lanval et le Merlin, celui d’Amadís ou le compilateur des quatre premiers livres (Garci Rodríguez de Montalvo, avant 1505) n’ignoraient ni le Tristan ni le Lancelot: outre les allusions explicites et les lieux communs, nombre d’analogies générales et de détail peuvent être
  • 4. 4 repérées5. On peut en dire autant de bon nombre de libros de caballerías, qui dans leurs thèmes et dans leurs motifs témoignent du haut degré de perméabilité de la littérature espagnole au Moyen Âge. Ils le manifestent encore par leur structure et par leur technique narrative. Le “prosimetrum” Le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure (écrit avant 1172) fut adapté en espagnol dans l’anonyme Historia troyana en prosa y verso (c. 1270), dite aussi Polimétrica car elle a la particularité de faire alterner le vers et la prose, et de contenir onze pièces poétiques. D’après Sylvia Roubaud-Bénichou, le travail du traducteur ne s’en est pas tenu à cette alternance: il a opéré un véritable processus de dérimage et de rénovation de la versification originelle; il a aussi combiné de façon nouvelle l’utilisation de la prose et du vers, puisqu’il les oppose et les assemble tout à la fois. L’Historia troyana marque ainsi l’apparition dans la Péninsule du prosimetrum –jusque là mode exclusif d’œuvres en latin telles que le De consolatione Philosophiæ, et qui en France est tôt abandonné au profit de la prose. Mais la Polimétrica est remarquable surtout car cette rencontre prosimétrique “s’est produite, à l’origine, dans une œuvre de fiction: c’est-à-dire là où précisément l’emploi du prosimetrum allait se généraliser et devenir par la suite une des constantes du genre” (2000: 87). La parution de l’Historia troyana est d’une importance capitale pour l’évolution du genre en Espagne, dans le sens qu’elle établit un clivage entre les libros de caballerías et les romans bretons d’origine française. En effet, l’assemblage de prose et vers fonde une ligne nouvelle, naturelle à l’Espagne, scandée en deux phases: dans la première, la traduction de l’œuvre de Benoît de Sainte- Maure provoque le prosimetrum de l’Historia troyana; dans la deuxième, ce mécanisme est adapté par les deux premiers romans chevaleresques espagnols qui réservent la prose aux récits événementiels et le vers aux effusions lyriques. Dans le Cavallero Zifar, l’auteur inclut deux poèmes galaïco-portugais à la fin de l’épisode des “Yslas Dotadas”, rehaussant ainsi l’aventure fantastique et amoureuse du roman. Un demi-siècle plus tard, le chevalier Amadís compose deux courtes pièces, toutes deux mises en musique: la première est une complainte où le protagoniste exprime son désespoir; la deuxième est une déclaration d’allégeance par laquelle il veut complaire à la sœur cadette de sa dame. Certains critiques supposent que l’Amadís primitif (début du XIVe siècle?) comportait plus d’intermèdes lyriques; mais, faute du texte, c’est une hypothèse invérifiable (Roubaud-Bénichou, 2000: 87-90). Par ce savant agencement de prose et vers, la matière ancienne déclenche, lors de son adaptation espagnole, un nouveau mode d’écriture. Mais les pièces sont encore très peu nombreuses: il faudra l’avènement de la fiction sentimentale pour que le prosimetrum trouve la place qui lui revient dans la littérature espagnole. Beaucoup plus que dans le Cavallero Zifar ou dans l’Amadís, la poésie trouve une place de choix au sein de la fiction sentimentale en prose. Sylvia Roubaud-Bénichou analyse les principales productions faisant preuve de l’implantation de la poésie dans la prose romanesque: Siervo libre de amor, de Juan Rodríguez del Padrón (c. 1440), Sátyra de felice e infelice vida, du connétable Pedro de Portugal (c. 1450), Triste deleytaçión, d’auteur anonyme (probablement catalan, c. 1460), Arnalte y Lucenda, de Diego de San Pedro (c. 1480), Continuación de la Cárcel de amor, de Nicolás Núñez (1495) et la Cuestión de amor, d’auteur anonyme (1513). Ce passage par la narration sentimentale s’est révélé très fécond pour l’assimilation définitive du prosimetrum. Ce mode d’écriture adopté, il ne manque plus que son arrangement avec les arguments propres de la chevalerie errante. S’il est vrai que de nombreux romans ne comportent pas, ou presque, de pièces versifiées, il ne l’est pas moins que d’autres en contiennent beaucoup. Face à la rareté de compositions poétiques 5 Vid. Menéndez Pelayo, 1943, I: 309, 338 et 348 sq., Bohigas Balaguer, 1951: 222-224, Lida de Malkiel, 1959: 414 et 1984: 170 et Stanesco & Zink, 1992: 65.
  • 5. 5 dans les premiers livres de chevalerie espagnols (Tristán de Leonís, Amadís, Esplandián, Florisando, Lisuarte, Palmerín, Primaleón), les textes postérieurs en abondent: la série des cinq Clarián (1518-28, dont les trois derniers sont de Jerónimo López), Clarimundo (c. 1522, de João de Barros), le Florisel de Niquea (1532, de Feliciano de Silva), les deux Rogel de Grecia (1535-51, du même), le Memorial das proezas da Segunda Távola Redonda (1550-67, de Ferreira de Vasconcelos), le Policisne de Boecia (1602, de Juan de Silva y de Toledo) et le Clarisol de Bretanha (1602, de Balthasar Gonçalves Lobato). Tous ces livres espagnols et portugais associent la prose aux pièces rimées de toute sorte: chansons, romances, redondillas, quintillas, églogues et sonnets, et ils s’approprient si bien cet aménagement qu’au bout de trois siècles, celui-ci demeure vivant et fructueux: Cervantès s’en sert dans le Quichotte et dans le Persiles. L’“auctoritas” Parallèlement à l’Historia regum Britanniæ, l’ouvrage de Benoît de Sainte-Maure contribua à étoffer la General Estoria. La légende de Troie occupe, dans la Seconde Partie de la narration alphonsine, une série de chapitres réunis sous le titre d’“Estoria de Troya”. Les traces structurelles du Roman de Troie sont manifestes, notamment dans le recours au principe de l’auctoritas: tout comme le moine français, les commanditaires d’Alphonse s’appuient sur Darès et Dictys (“Dayres” et “Ditis”), les historiens attitrés par la tradition. Leur nouveauté est que le texte transmis résulte d’un accord mutuel entre les deux “clercs” troyen et grec, hors de toute passion partisane. Les auteurs de romans de chevalerie puiseront à pleines mains dans le mode d’exposition adopté par le roi savant. Trois remarques s’imposent d’abord. Premièrement, le récit par un seul “chroniqueur” demeure vivant dans certains cas: le moine-ermite Cipriano écrit les haut-faits de Florambel de Lucea dans l’ouvrage du même nom (1532, de Francisco Enciso de Zárate) et Vadulato de Bondirmague, évêque de Corvera, commis de Vasperaldo, empereur d’Allemagne, est le témoin privilégié, puis le narrateur des prouesses relatées dans Clarián de Landanís I-IV (1518-1550, ouvrage de Gabriel Velázquez, du “maestre Álvaro” et de Jerónimo Lopes). Deuxièmement, la collaboration de scribes dans la chevalerie espagnole est différente de celle de Luc de Gat et Hélie de Boron dans le Tristan en prose: d’une part, ceux-ci ne se présentent pas comme les témoins des aventures, d’autre part, ils correspondent probablement, sous des noms d’emprunt, à deux écrivains réels (Roubaud- Bénichou, 2000: 139-140). Troisièmement, il est fort probable qu’au lieu de recourir à la General Estoria, les romanciers espagnols se soient plutôt servis des multiples histoires intermédiaires écrites à partir du corpus alphonsin. Quoi qu’il en fût, la fiction des écrivains solidaires, inaugurée en Espagne par les rédacteurs de la General Estoria, constitue un motif fidèlement respecté par la tradition qui va suivre. La Crónica del rey don Rodrigo, dite aussi Crónica sarracina, de Pedro del Corral (c. 1430-40), entame le sentier de la collaboration imaginaire entre deux auteurs. Ce récit pseudo-historique, “premier roman historique espagnol” (Bohigas Balaguer, 1951: 191), serait le résultat du concours entre les frères Eleastras et Alanzuri, historiens officiels du règne de Rodrigue. Tout comme dans l’ouvrage d’Alphonse, l’intention de cette complémentarité est de faire passer le livre pour un récit historique irrécusable. La Sarracina a inspiré les auteurs des romans chevaleresques, par exemple pour les noms des personnages: Clarián et son écuyer Carestes (dans Clarián I), Lucencio, petit-fils d’Amadís (dans Lisuarte de Grecia et dans Amadís de Grecia), et l’enchanteur Alquife (dans les mêmes romans), décalque du Merlin de Geoffroy. C’est une preuve du succès d’un ouvrage sans cesse réédité tout au long des XVe et XVIe siècles. Pour Sylvia Roubaud-Bénichou, le livre de Pedro del Corral constitue “une étape décisive: celle qui marque l’entrée des scribes jumeaux dans la littérature chevaleresque” (2000: 150). Cette tâche de rédaction solidaire trouve son répondant dans plusieurs couples postérieurs: le Baladro del sabio Merlín, déjà cité, où Blaysen copie à la dictée de Merlín (suivant ainsi la tradition
  • 6. 6 instaurée par Robert de Boron dans l’Estoire de Merlin), l’anonyme Florando de Inglaterra (1545), où Polismarco et Palurcio mettent par écrit les aventures que l’enchanteresse Orbicunta leur récite sur Paladiano et son fils Florando, l’Espejo de príncipes y cavalleros I ou El Cavallero del Febo, de Diego Ortúñez de Calahorra (1555), où Artemidoro et Lirgandeo, deux enchanteurs encore, rédigent les hauts faits de Rosicler et du Caballero del Febo respectivement, et Febo el Troyano, d’Esteban de Corbera (1576), où Claridoro et Rinacheo transcrivent les prouesses de Florante de Troya. Une curiosité, parfois les historiens sont ouvertement confrontés: les quatre livres de Belianís de Grecia (1547-79, de Jerónimo Fernández) sont rédigés par le “sabio Fristón” en langue grecque, ce qui n’empêche pas un certain archevêque de Roselis de s’immiscer ici et là pour faire des ajouts de son cru et retracer, par exemple, le périple du héros autour du monde; ce qui explique l’intervention du narrateur pour prévenir le lecteur des incohérences de l’archevêque face à la véracité du magicien. Cette récurrence des enchanteurs est monnaie courante dans la chevalerie espagnole. Leur source commune n’est pas l’imaginaire espagnol mais Geoffroy, dont l’Historia a été progressivement oubliée à partir du XIVe siècle au profit d’Arthur et, surtout, des merveilles de Merlin. La célébrité du magicien est proverbiale, aussi bien dans l’histoire que dans le roman. Dans la Crónica del rey don Pedro, de Pero López de Ayala (1322-1407), le savant Benahatín renseigne Pierre le Cruel de la véracité des prophéties que Merlin avait proférées à son sujet (année XX, chap. III; éd. Martín, 1991: 418). Mais ce sont surtout les ouvrages de chevalerie qui le font connaître. Tout d’abord, grâce aux traductions des divers cycles romanesques français; bientôt apprécié, il est accueilli par les Amadises anonymes et par Garci Rodríguez de Montalvo. À la fin du XVe siècle, il exerce ses puissances divinatoires dans le Baladro del sabio Merlín (1498) et dans le Tristán de Leonís (1501). Plus tard, il est enfin adapté: Feliciano de Silva le prend pour modèle du magicien Alquife dans son Lisuarte de Grecia (1514). Cette création n’était pas la première: déjà l’anonyme auteur des Amadises, puis Montalvo dans ses Sergas avaient introduit une “sabia Urganda”; elle joue si bien son rôle qu’elle finira par épouser le magicien Alquife dans l’ouvrage de Silva. C’est sans doute la perfide sœur d’Arthur, Morgain, qui a inspiré la création des redoutables magiciens: Arcalaus dans les Amadises, et Arcabona et Melia dans les Sergas de Montalvo (Roubaud-Bénichou, 2000: 155). D’autres magiciens s’ajouteront encore, qui par leurs qualités prophétiques et scripturales transmettront les aventures des chevaliers errants. Cependant, leur succès n’atteindra pas impunément la Renaissance, qui les condamne pour leur caractère fabuleux; ainsi Juan Luis Vives: Fabulosa sunt magis quæ de Britanniæ originibus quidam est commentus, a Bruto illos Trojano deducens, qui nullus unquam fuit (Op. omn. VI; cit. Entwistle, 1922: 390); l’humaniste espagnol n’est pas plus indulgent à leur égard que Montaigne ne le sera plus tard envers [les] Lancelot du Lac, [les] Amadis, [les] Huons de Bordeaus, et tel fatras de livres à quoy l’enfance s’amuse (I: XXVI; vid. aussi Michel Stanesco, 2002: 427-439). Conscience lignagère Une caractéristique des romans chevaleresques espagnols est la succession des histoires le long de plusieurs livres, suivis à leur tour par les histoires d’autres chevaliers apparentés: ascendants et descendants deviennent les maillons d’une chaîne où les prénoms (Amadís, Belianís, Clarís…) et les toponymes (de Grecia, de Niquea, de Trapisonda…) effacent à peine les liens: par exemple, Silves de la Selva, qui relate les prouesses de Don Silves, est le XIIe livre d’Amadís. La conscience d’une série est fortement ancrée dans l’esprit des romanciers, comme le prouvent les diverses bibliographies espagnoles et françaises (Gayangos, 1857; Vaganay, 1906; Losada: 1999). Cette conviction explique
  • 7. 7 les efforts mis en œuvre par les auteurs afin de préserver le canon établi. Il n’est pas rare, en ce sens, qu’un auteur redresse les inadvertances du précédent. Ainsi, “don Guilán el Cuidador” était décédé dans les Sergas (Ve livre d’Amadís, de Rodríguez de Montalvo), mais réapparaît vivant dans Florisando (VIe livre d’Amadís, de Páez de Ribera): Juan Díaz répare dans son Lisuarte de Grecia (VIIIe livre d’Amadís) cette bévue nuisible à l’enchaînement correct de la série. Mais personne n’est à l’abri des erreurs: plus tard Feliciano de Silva, dans son Amadís de Grecia (IXe livre d’Amadís), réprimande Juan Díaz d’avoir semé le désordre dans une généalogie que lui, Silva, avait respectée dans son propre Lisuarte de Grecia (VIIe livre d’Amadís). Ces rappels à l’ordre sont des manières de marquer le territoire littéraire afin d’évincer les audaces d’autres concurrents; mais ils sont aussi des stratagèmes narratifs qui témoignent de la conscience d’une lignée propre aux romans chevaleresques espagnols. On pourrait ajouter une dernière modification opérée par certains auteurs: la substitution des valeurs chrétiennes à la fantaisie chevaleresque. Páez de Ribera, par exemple, cède à cette tentation dans Florisando (1510); il reprend ainsi la route empruntée, deux siècles plus tôt, par l’anonyme auteur du Cavallero Zifar, et qui sera suivie, dix ans plus tard, par celui du Caballero de la Cruz. Cette tendance restera minoritaire, mais le succès de ce dernier récit (dix éditions entre 1521 et 1563) témoigne du bon accueil réservé aux innovations, fussent-elles “hétérodoxes”. C’est une preuve, somme toute, que les romans de chevalerie ne composent pas un bloc monolithique et réfractaire aux changements. Ils modifient sans cesse leurs sources et leurs stratégies narratives. Ce manque de réglementation a sans doute contribué à une plus grande liberté du genre et à la configuration du roman moderne. Bibliographie ALVAR, Carlos, articles dans Diccionario de literatura española e hispanoamericana, dir. Ricardo Gullón, Madrid: Alianza, 1993, 2 vol. BOHIGAS BALAGUER, Pedro, 1951: “La novela caballeresca, sentimental y de aventuras”, Historia general de las literaturas hispánicas, dir. Guillermo Díaz-Plaja, Barcelona: Barna, t. II: 187-236. CATALÁN, Diego, 1962: De Alfonso X al conde de Barcelos. Cuatro estudios sobre el nacimiento de la historiografía romance en Castilla y Portugal, Madrid: Gredos. UCM.A:860-94. “04 / 14” CAT CRÓNICA GENERAL DE ESPAÑA DE 1344, 1970: éds Diego Catalán & María Soledad de Andrés, Madrid: Gredos, “Seminario Menéndez Pidal”. CRÓNICA GERAL DE ESPANHA DE 1344, 1951: éd. Luís Filipe Lindley Cintra, Lisbonne: Academia Portuguesa da História. ENTWISTLE, William J., 1922: “Geoffrey of Monmouth and Spanish Literature”, in The Modern Language Review, 17: 381-91. – 1925: The Arthurian Legend in the Literatures of the Spanish Peninsula (Millwood, NY: Kraus Reprint, 1975). UCM.A:DP.860.09 / 9. GARCÍA GUAL, Carlos, 1990: Primeras novelas europeas, Madrid: Istmo. GAYANGOS, Pascual de, 1857: Libros de caballerías. Con un discurso prelimiar y un catálogo razonado de los libros de caballerías que hay en lengua castellana o portuguesa, hasta el año 1800, Madrid: M. Rivadeneyra, “Biblioteca de Autores Españoles”, vol. 40 (rééd., 1874 et 1931). KASTEN, Lloyd, 1970: “The Utilization of the Historia Regum Britanniæ by Alfonso X”, Hispanic Review, 38: 97- 114. LIDA DE MALKIEL, María Rosa, 1959: “Arthurian Literature in Spain and Portugal”, in Arthurian Literature in the Middle Ages. A Collaborative History, éd. Roger Sherman Loomis, Oxford: Clarendon: 406-418. – 1984: Estudios de literatura española y comparada, Buenos Aires: Losada. LÓPEZ DE AYALA, Pedro, 1991: Crónicas, edición, prólogo y notas de José Luis Martín, Barcelona: Planeta.
  • 8. 8 LOSADA, José Manuel, 1999: Bibliographie critique de la littérature espagnole en France au XVIIe siècle. Présence et influence, Genève: Droz. LUCÍA MEGÍAS, José Manuel (dir.), 2001, Antología de libros de caballerías castellanos, Alcalá de Henares: Centro de estudios cervantinos. UCM.860-39.(08).ANT. MENÉNDEZ PELAYO, Marcelino, 1943: Orígenes de la novela, Madrid: Consejo Nacional de Investigaciones Científicas, t. I. UCM.FF.82-31.09MEN. ROUBAUD-BÉNICHOU, Sylvia, 1999: “Calas en la narrativa caballeresca renacentista. El Belianís de Grecia y el Clarián de Landanís”, in La invención de la novela, éd. Jean Canavaggio, Madrid: Casa de Velázquez: 50-84. – 2000: Le Roman de chevalerie en Espagne. Entre Arthur et Don Quichotte, Paris: Honoré Champion, “Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge”, n 52. UCM.DF.860.09.ROU. STANESCO, Michel & Michel ZINK, 1992: Histoire européenne du roman médiéval. Esquisse et perspectives, Paris: Presses Universitaires de France, “Écriture”. – 2002: D’Armes & d’amours. Études de littérature arthurienne, Orléans: Paradigme, “Medievalia”, 39. THOMAS, Henry, 1920: Spanish and Portuguese Romances of Chivalry. The Revival of the Romances of Chivalry in the Spanish Peninsula, and its Extension and Influence Abroad, Cambridge: The University Press. ZINK, Michel, 2001: Littérature française du Moyen Âge, Paris: Presses Universitaires de France [nlle éd.]. VAGANAY, Hugues, 1906: Amadis en français. Livres I-XII. Essai de bibliographie et d’iconographie, Florence: Leo S. Olschki (rééd. 1973).