“Morisco/Mauresque/Moorish”, Dictionnaire International de Termes Littéraires, Jean-Marie Grassin (dir.), Limoges, Éditons de l’Université de Limoges, 2000. ISBN: 3317016809.
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MORISCO / MAURESQUE / MOORISH
Dictionnaire International de Termes Littéraires, Jean-Marie Grassin (dir.),
Limoges, Éditons de l’Université de Limoges, 2000.
ISBN: 3317016809
Étymologie
Moro, du latin Maurus, désignait à l’époque romane l’habitant des anciennes provinces
romaines de la Mauritania Tingitana et de la Mauritania Cæsarensis. Le terme est repéré pour la première
fois dans les chroniques médiévales européennes lors des invasions des Almoravides et des
Almohades (XIe-XIIIe siècles).
Moro s’oppose à chrétien, du latin Christus, transcription du grec, signifie “l’oint (du Seigneur)”.
Le chrétien est celui qui professe le christianisme comme religion, la foi en Jésus-Christ. En Espagne,
les vieux chrétiens sont les chrétiens de “race”, par opposition aux nouveaux chrétiens, terme désignant les
Maures et les Juifs convertis, et leurs descendants.
Étude sémantique
I. L’appellation Moros peut désigner:
a) Les habitants de l’ancienne Mauretania, région du nord de l’Afrique occupée par les Romains.
b) Les Berbères islamisés au Moyen Âge, qui conquirent et habitèrent l’Espagne jusqu’à leur
expulsion par un décret de Philippe III;
c) Dans quelques expressions, “celui qui est de l’Afrique du Nord, du Maghreb”; par extension,
les populations du nord de l’Afrique soumises aux Turcs.
d) Abusivement, les populations mulsumanes de la côte orientale d’Afrique et aussi de l’Inde.
II. Le mot Morisco / Morisque, “qui appartient à l’art, la littérature des Maures d’Espagne”,
dérivé par suffixation de Moro, revêt, quand à lui, une importance capitale dans le domaine littéraire.
a) On appelait Morisques les musulmans des royaumes de la Péninsule Ibérique (les couronnes
de Castille, d’Aragon et de Navarre), qui, après 1502, furent autorisés à rester en Espagne à condition
de se convertir au christianisme.
b) Par extension, ce terme désigne ceux qui ont été expulsés d’Espagne, notamment vers le
Maghreb et le Moyen Orient, ainsi que leurs descendants. On a des documents sur la présence de
quelques-uns de ces Morisques en France (Provence et Aquitaine) et en Italie (Toscane, Apulie)
jusqu’au début du XVIIe siècle. Plus tard on relève des acceptions de plus en plus péjoratives de cette
expression, qui se teintent d’une nuance d’agressivité de la part des vieux chrétiens par suite de
l’opposition entre les mondes islamique (oriental, musulman et de langue arabe) et hispanique
(occidental, chrétien et de langue romane).
III. L’expression género morisco / genre moresque: désigne la littérature des Maures
d’Espagne après la Reconquête en arabe ou en langue romane d’écriture arabe.
“Liens hypertextes” avec les articles
ACCULTURATION*,
CHEVALERIE / Chivalery, COMEDIA, CONTE / Tale,
FRONTIÈRE / Boundary; Border,
MOROS Y CRISTIANOS,
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ROMANCE.
Mots-clés / Keywords
ARABE / Arabic,
CATÉGORIES GÉNÉRIQUES / Literary kinds,
ESPAGNOL / Spanish studies
GENRES / Genre criticism,
IDENTITÉ / Selfness, INTERCULTURALITÉ / Intercultural relations,
NARRATION / Narrative,
RELIGION / Spirituality.
Mots-clés / Keywords
Équivalents linguistiques
Allemand: Maur(en); Morisk(en); Christ(en).
Anglais: Moor(s); Moorish(es); Christian(s).
Arabe: muslimuna; muriskiyyuna; masihiyyuna.
Chinois: Moeren; Moriskeren; Chitútu.
Espagnol: Moro(s), sens 1: habitants du Maghreb. Sens 2: envahisseurs, hérétiques. Pour
l’adjectif dérivé Morisco, v. l’étymologie et le commentaire. Cristianos, sens 1: disciples du Christ.
Sens 2: anciens habitants de la péninsule Ibérique et qui ont mené à terme la reconquête des territoires
envahis par les Arabes.
Français: Maure(s), anciennement More(s); Morisque(s) (vieux); Mauresque, anciennement
Moresque (variante); chrétien(s).
Hébreu:
Italien: Mauri ou Mori; Moreschi; Cristiani.
Japonais: Moro-Jin; Morisuco; Kirisuto-Kyoto.
Portugais: Mouro(s); Mourisco(s); Cristão(es).
Russe: moro; morisco; kristiananskiy.
Commentaire
1. Histoire
À la suite de l’irruption des Arabes dans la péninsule Ibérique en l’année 711, les anciens
occupants, descendants pour la plupart des Goths chrétiens, avaient été refoulés dans le nord. C’est
de là que commença la longue marche vers la reconquête; dure épreuve ne devait toucher à son terme
qu’avec la chute de Grenade, dernier bastion de l’empire musulman, en 1492.
Si les deux cultures s’étaient jusqu’alors respectivement tolérées d’une manière relative,
désormais les chrétiens allaient afficher à l’égard des musulmans une animosité croissante et inconnue
jusqu’alors, au point qu’en 1502 apparaissait une ordonnance royale donnant à tous les Maures le
choix entre la conversion et l’exil. Au bout de huit siècles de cohabitation problématique, une “race”
et une religion avaient définitivement pris le dessus; c’était à cette race hispanique que revenait la tâche
de tenir les rênes de l’avenir de la nation. Les manifestations de cette fierté “castillane” ont trouvé un
écho dans la littérature, notamment dans les chansons de geste comme le Mío Cid et le Romancero. Les
causes de cet acharnement croissant doivent être cherchées d’abord dans la situation politique et
militaire de l’Espagne d’alors qui était aussi menacée par l’ennemi extérieur (que ce fût le Grand Turc
ou les signataires du traité de Greenwich), que par un éventuel adversaire resté au-dedans des
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frontières (les insurrections des Morisques, celle, notamment, des Alpujarras en 1568-1570, attestent
du danger que représentaient ces ennemis de l’État). Par ailleurs, la race hispanique agissait comme le
ferait une caste dirigeante, fière des exploits qui annonçaient déjà le futur empire espagnol.
2. La question de la pureté de sang
Cependant la tension devait atteindre son apogée lors d’une deuxième ordonnance, datant de
1609, par laquelle tous les Morisques étaient définitivement expulsés d’Espagne. Le problème de la
pureté de sang concerne d’ailleurs également les Juifs à l’époque du Siècle d’Or espagnol. on peut y
voir une manifestation supplémentaire d’une situation sociale qui était devenue insoutenable; les
Morisques subissaient sans cesse des avanies en raison des préjugés raciaux qui considéraient leur
sang comme impur; en effet, malgré leur adhésion au christianisme, rien ne pouvait faire oublier que
ces conversos (convertis) descendaient, somme toute, d’une race réputée inférieure et d’une religion
hérétique. C’est pourquoi, suspects d’une conversion peu sincère, jamais ils ne devaient être
considérés par le peuple espagnol comme de véritables chrétiens mais plutôt, selon l’appellation
communément employée, comme de nouveaux chrétiens. De leur côté, les vieux chrétiens, dont le sang
était resté pur de toute souillure maure ou juive, ne ménageaient pas leurs accusations devant le Saint-
Office: l’on sait parfaitement que de nombreux Morisques continuaient à pratiquer dans la
clandestinité les coutumes et les rites de la religion islamique, ce qui, dans ce pays et à cette époque,
représentait un crime puni par la loi. C’est ainsi que l’on assiste à la naissance d’une nouvelle
conception de l’honneur définie négativement, comme le prouvent les questionnaires d’admission,
par exemple, aux Ordres militaires, ou les continuelles allusions théâtrales à l’ascendance humble et
montagnarde des personnages du bas peuple: par ce biais, ces personnages entendaient prouver que
dans leurs veines ne coulait pas la moindre goutte de sang impur. Les écrivains qui ont partagé cet
état d’esprit sont nombreux et fort connus: les noms de Lope de Vega, Calderón de la Barca, Tirso
de Molina et Cervantes, entre autres, rendent compte d’une situation spécifique de la société
espagnole. Leurs pièces et leurs nouvelles abondent en allusions relatives au souci ressenti par chaque
personnage de bien marquer la pureté de son lignage. Par opposition, le fait d’évoquer une origine
obscure, une coutume étrange ou l’échec lors d’une candidature à un ordre militaire, suffisait
amplement à couvrir un personnage de la plus noire ignominie; conséquence évidente d’une
exaltation dévoyée des principes politiques et religieux.
3. Approche comparatiste du sujet
L’on sait bien à quel point la littérature française de cette époque se nourrissait de la comedia et
de la nouvelle espagnoles. Or la spécificité de ce phénomène hispanique engendrera à coup sûr des
problèmes lorsqu’il s’agira d’adapter ce théâtre outre-Pyrénées. Aussi est-il fréquent de voir que ces
allusions ont pour la plupart disparu, et que, lorsqu’elles demeurent, c’est toujours dans un autre
contexte qu’elles sont interprétées. C’est le cas, par exemple, de quelques pièces de Pierre Corneille –
Le Cid, Don Sanche d’Aragon– ou de son frère Thomas –Le feint Astrologue, Le galant doublé–, où les
considérations sur la race ou sur l’Inquisition ont été savamment esquivées; ce n’est que dans certaines
pièces de Paul Scarron, comme Don Japhet d’Arménie, que ces problèmes apparaissent; mais, il faut le
remarquer, c’est toujours dans le but de tourner quelqu’un en ridicule. C’est logique, car autrement,
comment le spectateur français aurait-il interprété ces allusions propres à la couleur locale de
l’Espagne?
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4. Genre morisque
Quelques précisions sont nécessaires si l’on veut éviter toute ambiguïté concernant la théorie
de ce genre. Notons, par exemple, que l’on ne peut accepter, à proprement parler, l’existence d’un
théâtre morisque: étant donné l’acception péjorative du terme, il n’est pas facile d’imaginer un
personnage plaignant sur les tréteaux les conséquences sociales de sa condition. Qui plus est, face à
la critique traditionnelle, un nouveau courant s’élève qui rejette l’idée du genre morisco. En effet, pour
des raisons d’ordre thématique et fonctionnel, nous ne saurions inclure sous un même signe distinctif
les personnages maures du romancero, de Lope de Vega ou de Scudéry. Nous constatons toutefois la
présence d’une abondante littérature morisca. Elle est bilingue: les moriscos utilisaient, selon les régions,
soit l’arabe, soit la aljamía, c’est-à-dire, la langue romane avec des caractères arabes. Sans doute est-ce
la nouvelle morisca la partie la plus importante de la production littéraire en aljamía; elle comprend de
nombreux aspects (Ancien Testament –avec les cycles de Yussuf (Joseph), de Suleiman (Soliman) et
de Musa (Moïse)–, Nouveau Testament, Mahomet, légendes chevaleresques et autres affaires
profanes). Il convient de remarquer que de nombreux contes de ces nouvelles sont restés dans la
littérature espagnole. Finalement, il faut ajouter aussi les romances moriscos dont l’évolution se déroule
jusqu’au XVIIe siècle et qui font partie des romances fronterizos ou correspondants à la zone intermédiaire.
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