L’état des forces militaires étrangères déployées au mali
Les forces tchadiennes au mali mythe et réalités
1. Les forces tchadiennes au Mali : mythe et
réalités
20 janvier 2013
L’arrivée d’un contingent de 2 000 hommes de l’armée
tchadienne au Mali, pour participer à la force
internationale, a fait couler beaucoup d’encre. De
nombreux commentateurs ont salué cette arrivée de
troupes « expérimentées » et « aguerries ». Principalement
composée de membres de l’ethnie zaghawa, celle du
président Idriss Déby, l’Armée nationale tchadienne
(ANT) a cependant aussi ses faiblesses… et même quelques
points noirs hérités d’une guerre civile meurtrière. Revue
de troupes en détail.
« Le Tchad entend assumer sur le terrain sa responsabilité avec toute la
rigueur qu’exige une telle mission » : c’est par ces mots que le président tchadien Idriss Déby a
justifié l’envoi d’un contingent de près de 2 000 soldats de l’ANT au Mali. Pas moins de 200
d’entre eux sont déjà arrivés à la base de Niamey au Niger, où ils devraient être rejoints par des
Burkinabè et des Nigériens, pour ensuite pénétrer en territoire malien. Depuis cette annonce, les
commentaires élogieux n’ont cessé de fleurir, évoquant ici ou là des troupes tchadiennes
« aguerries », « expérimentées ». Mais cette armée est-elle à la hauteur de sa réputation ?
Comparés aux 5 à 7 000 hommes de l’armée centrafricaine, ou aux 7 800 soldats maliens, le Tchad
fait effectivement figure de puissance militaire dans la région, avec ses quelque 30 000 militaires
actifs, dotés qui plus est d’une artillerie conséquente. Avec son escadrille de six bombardiers
Sukhoi-25 et ses hélicoptères de combat MI-24, l’armée de l’air tchadienne est aussi la plus
importante de la région. Par ailleurs, il est vrai que son expérience des combats en milieu aride
confère à cette armée une solide expérience. Confrontée à plusieurs rébellions durant de longues
années, elle a l’habitude d’évoluer sur un terrain, et à des températures identiques à ce qui existe
dans le nord du Mali. D’ailleurs, c’est dans la province de l’Equateur, au Congo-Kinshasa, en juillet
2000, face aux rebelles de Jean-Pierre Bemba et à l’armée ougandaise, que l’ANT a essuyé son seul
échec opérationnel de ces dernières années. Le terrain et le climat étaient alors totalement différents.
Enfin, le conflit inter-frontalier avec la Libye (1983-1987), qui s’est conclu par la victoire des
colonnes tchadiennes commandées par le colonel Hassan Djamouss, a permis à l’ANT d’acquérir
une connaissance des conflits de plus forte intensité.
Une armée forte grâce à sa composante ethnique
Mais ce qui fait la force de l’armée tchadienne, c’est surtout sa composante ethnique.
Essentiellement recrutées parmi les Zaghawa – une ethnie du nord-est du pays –, les unités d’élite
de l’ANT font preuve d’une relative homogénéité et d’une toute aussi relative fidélité au pouvoir en
2. place. Cette montée en puissance des Zaghawa dans l’armée date de l’arrivée au pouvoir de Hissène
Habré, en 1982. Cete année-là, Ndjamena fut prise par des colonnes commandées par le colonel
Idriss Déby, d’origine zaghawa. Cette montée en puissance s’est quasi-systématisée après la prise
du pouvoir en 1990 par Idriss Déby lui-même.
Toutes ces raisons expliquent les nombreuses victoires remportées par l’armée tchadienne contre
l’armée libyenne dans le nord du Tchad (1986-87), contre les rebelles anti-Patassé à Bangui (1996-
97) et contre l’armée centrafricaine pro-Patassé en 2003. Néanmoins, en mettant en place les
opérations Manta (1983) et Epervier (1986), l’armée française a apporté à cette armée une aide
décisive face aux troupes libyennes, alliées à l’opposant tchadien Goukouni Ouéddeï.
Une armée friable… à cause justement de cette composante ethnique
Mais le qualificatif de « relative » n’est pas superflu, lorsqu’on évoque l’homogénéité de l’armée
tchadienne. A plusieurs reprises par le passé, des dissensions au sein de la hiérarchie militaire -et
donc de la communauté zaghawa - ont bien failli provoquer la chute du régime. Dernier exemple en
date, l’attaque de Ndjamena en février 2008. Le mouvement rebelle était dirigé notamment par
Timane Erdimi, un neveu et ancien directeur de cabinet du chef de l’Etat tchadien. L’assaut avait
atteint la capitale, et Idriss Déby avait dû son salut à ses chars lourds et à la sécurisation par l’armée
française de l’aéroport, d’où avaient pu décoller ses hélicoptères de combat.
Un passé trouble
L’autre faiblesse de l’armée tchadienne tient probablement à son manque de professionnalisme, à
commencer par son comportement violent vis-à-vis des populations civiles. Certes, les temps
sombres de la « pacification » du Sud menée après la prise de pouvoir en 1982 par Hissène Habré –
notamment lors des massacres de « septembre noir » en 1984 dans la région de Sarh – semblent
désormais révolus. Mais les soldats de l’ANT se rendent toujours coupables d’exactions. A
plusieurs reprises, des organisations internationales comme Human Rights Watch ont notamment
pointé du doigt les agressions commises par l’armée tchadienne à l’encontre de populations civiles,
en particulier dans le nord-ouest de la République centrafricaine. En mars 2008, l’organisation y
dénonçait « les nombreuses attaques transfrontalières (de l’armée tchadienne) contre des villages
(…) tuant des civils, incendiant des villages, et volant du bétail. » La présence d’enfants soldats au
sein de l’armée a aussi longtemps été reprochée au gouvernement tchadien, jusqu’à ce que ces
enfants soient officiellement démobilisés en 2007.
Depuis la signature de l’accord de paix avec le Soudan en 2010, le président Idriss Déby a entrepris,
selon ses propres mots, une opération de « nettoyage » de l’armée. Celle-ci visait selon lui à
professionnaliser l’institution, à y faire régner « l’ordre et la discipline », et à la purger des « brebis
galeuses et fossoyeurs de l’armée qui doivent rendre le béret et les insignes militaires avant la fin
des opérations ». La réforme prévoyait une meilleure rémunération et une meilleure formation des
forces armées, mais aussi une baisse des effectifs. Simple cure d’amaigrissement ou réelle volonté
de faire évoluer l’armée tchadienne ? Il est encore trop tôt pour répondre.
En envoyant un nombre aussi important de soldats au Mali, bien au-delà de son périmètre d’action
traditionnel, Idriss Déby poursuit bien évidemment un objectif diplomatique. Les premières
réactions élogieuses à l’arrivée de ses troupes répondent à ses attentes, mais nul doute que le
comportement de ses soldats sera suivi de près.
RFI
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