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ACTIVITE COLLECTIVE ET MODALITES DE COOPERATION 
A BORD DES BATEAUX 
DU PÔLE FRANCE DE L’ECOLE NATIONALE DE VOILE (ENV) 
Lerouge O., Dubois J.J. 
Ecole Nationale de Voile, Beg Rohu (France) 
Introduction 
Les entraîneurs de voile considèrent que la dimension collective du travail à bord des bateaux est une composante essentielle de la préparation à la haute performance (Herpin et al, 1997). Depuis 1997, le pôle France de l’ENV développe un dispositif d’aide à l’optimisation des modalités de coopération et étudie le travail collectif des équipages. Dans la continuité des études développées par le service recherche et développement de l’ENV (Saury, 1996 ; Lerouge, 1998), les travaux du pôle s’inspirent des modèles et méthodes issus de la psychologie du travail, de l'ergonomie cognitive et s’inscrivent plus particulièrement dans le cadre de la « théorie du cours d'action » (Theureau, 1992). Ces études se sont intéressées à l’analyse des modalités de coopération en reconstruisant des épisodes de course à partir de la signification que donne chaque acteur à la situation. Confronté à la difficulté de faire émerger la dynamique intrinsèque de l’activité collective et d’évaluer l’efficacité des modalités de coopération utilisées par les équipages, le bateau a ensuite été considéré non plus comme le vecteur des activités du barreur et de l’équipier mais comme l’objet qui produit l’activité collective. Ainsi, ces études ont étudié, en plus des modalités de coopération barreur/équipier, le cours d’action du bateau, les contraintes auxquelles il est confronté et les effets qu’il produit sur la situation (Lerouge et Dubois, 2006). En s’appuyant sur une étude de cas, l’objet de cette communication est donc de présenter les principaux résultats de la recherche développée par le pôle France de l’ENV sur l’organisation du travail collectif des équipages en situation de compétition. 
Méthode 
En référence au cadre théorique du cours d’action et au travail conduit auprès des équipages, nous avons recueilli (1) des récits d’expérience, (2) des données d’observation, (3) des données d’enregistrement audiovisuel extérieur et/ou embarqué et (4) des données d’autoconfrontation. Au travers des 5 étapes présentées ci- contre, nous avons reconstruit la dynamique intrinsèque de l’activité collective afin d’évaluer l’efficacité des modalités de coopération, de faire émerger les organisateurs pertinents du travail collectif et d’aider les équipages à coopérer plus efficacement. Etape 1 Décrire l’activité du bateau Etape 2 Décrire les activités du barreur et de l’équipier Caractériser les formes que prennent les modalités de coopération Optimiser avec l’équipage ses modalités de coopération – en construire de nouvelles Confronter l’activité du bateau aux modalités de coopération barreur équipier permet de : Développer des aides à l’optimisation des modalités de coopérationEtape 3 Evaluer l’efficacité des modalités de coopérationEtape 5Reconstruire la dynamique intrinsèque de l’activité collective, c’est: Etape 4 Faire émerger les « organisateurs » pertinents dutravailcollectif 
Résultats
Nos résultats montrent qu’en cours d’action, le bateau organise les activités du barreur et de l’équipier en s’appuyant sur le modèle de distribution fonctionnelle des charges de travail préalablement défini et l’improvisation de nouvelles modalités de coopération. 
Le modèle de distribution fonctionnelle est la clé de répartition en cours d’action des charges de travail entre le barreur et l’équipier. Nos résultats montrent que chaque équipage construit un modèle singulier qui tient compte de son niveau, des savoir-faire de chacun, des gabarits, et de leur manière de concevoir l’efficacité collective. Ce modèle est intégré par les deux partenaires comme un élément organisateur de l’activité collective et s’y réfèrent pour déterminer en cours d’action, la nature de leur engagement dans la situation. On observe par exemple que barreur et équipier l’utilisent pour organiser le travail collectif qui conduit à la prise de décision. Il permet en effet à chacun d’identifier en cours d’action celui qui a la responsabilité de la décision et les formes que peut prendre le travail collectif. Ainsi, au regard de la disponibilité du partenaire, de l’aide qu’il peut apporter et du temps dont dispose l’équipage, nous avons observé que celui qui a la responsabilité de la décision mobilise des processus décisionnels associant plus ou moins le partenaire (cf. ci-contre). Barreur et équipier sont alors amenés à plus ou moins diriger l’activité de leur partenaire, ce qui implique selon les cas, la capacité de chacun à se soumettre à l’autorité de l’autre, comprendre ce qu’il exige, diriger efficacement le travail. IndividuelsCollectifs Avec consultation du partenaire Débats Négociations Sans consultation du partenaire Validation de la décision 
L’improvisation de nouvelles modalités de coopération est la construction en cours d’action d’une organisation collective externe au modèle de distribution fonctionnelle des charges de travail. Ces organisations « inhabituelles » émergent fréquemment des jugements que barreur et équipier portent sur le travail du partenaire. Nos résultats montrent que c’est lorsque l’équipage a « fortement » ou « très peu » confiance dans l’efficacité de son organisation qu’il improvise de nouvelles modalités de coopération. Parfois très efficaces, ces organisations génèrent cependant des séquences au cours desquelles les activités du barreur et de l’équipier sont asynchrones : séquences au cours desquelles les deux partenaires n’ont plus une vision claire de ce que le bateau cherche à faire et de la manière dont chacun contribue au travail collectif. 
Bibliographie 
Herpin (F), Giraud (H), Champy (A), Surmin (R), Neiras (P), Bernard (D), Lannier (D) et Flamme (D) - Coopération et communication au sein des équipages. In : Saury (J) et Talon (J.F) L'entraînement de Haut Niveau en Voile, 1997, Chateau-Gontier: édition FFV, pp. 227- 252. 
Lerouge (O) - Coopération en situation de compétition d'un équipage de Tornado: étude de cas, 1998, D.E.A. S.T.A.P.S., Université de Montpellier I. 
Lerouge (O), Dubois (J.J) - Aider les équipages à coopérer plus efficacement : l’expérience du Pôle France de l’Ecole Nationale de Voile, 2006, Cahiers de l’ENV n°8 
Saury (J), Durand (M), Theureau (J), Iachkine (P), Salou (J.P) - L'action tactique des régatiers experts en compétition de voile olympique. Projet de recherche, 1996, appel d'offres GDR- Sport CNRS / Ministère de la Jeunesse et des Sports. 
Theureau (J) - Le cours d'action: analyse sémio-logique, 1992, Berne : Peter Lang. 
Paru dans : 4èmes Journées Internationales des Sciences du Sport les 28-30 novembre 2006, Actes.- Edition INSEP, 127-128

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Activité collective et modalités de coopération à bord des bateaux du pôle France de l’Ecole Nationale de Voile (ENV)

  • 1. ACTIVITE COLLECTIVE ET MODALITES DE COOPERATION A BORD DES BATEAUX DU PÔLE FRANCE DE L’ECOLE NATIONALE DE VOILE (ENV) Lerouge O., Dubois J.J. Ecole Nationale de Voile, Beg Rohu (France) Introduction Les entraîneurs de voile considèrent que la dimension collective du travail à bord des bateaux est une composante essentielle de la préparation à la haute performance (Herpin et al, 1997). Depuis 1997, le pôle France de l’ENV développe un dispositif d’aide à l’optimisation des modalités de coopération et étudie le travail collectif des équipages. Dans la continuité des études développées par le service recherche et développement de l’ENV (Saury, 1996 ; Lerouge, 1998), les travaux du pôle s’inspirent des modèles et méthodes issus de la psychologie du travail, de l'ergonomie cognitive et s’inscrivent plus particulièrement dans le cadre de la « théorie du cours d'action » (Theureau, 1992). Ces études se sont intéressées à l’analyse des modalités de coopération en reconstruisant des épisodes de course à partir de la signification que donne chaque acteur à la situation. Confronté à la difficulté de faire émerger la dynamique intrinsèque de l’activité collective et d’évaluer l’efficacité des modalités de coopération utilisées par les équipages, le bateau a ensuite été considéré non plus comme le vecteur des activités du barreur et de l’équipier mais comme l’objet qui produit l’activité collective. Ainsi, ces études ont étudié, en plus des modalités de coopération barreur/équipier, le cours d’action du bateau, les contraintes auxquelles il est confronté et les effets qu’il produit sur la situation (Lerouge et Dubois, 2006). En s’appuyant sur une étude de cas, l’objet de cette communication est donc de présenter les principaux résultats de la recherche développée par le pôle France de l’ENV sur l’organisation du travail collectif des équipages en situation de compétition. Méthode En référence au cadre théorique du cours d’action et au travail conduit auprès des équipages, nous avons recueilli (1) des récits d’expérience, (2) des données d’observation, (3) des données d’enregistrement audiovisuel extérieur et/ou embarqué et (4) des données d’autoconfrontation. Au travers des 5 étapes présentées ci- contre, nous avons reconstruit la dynamique intrinsèque de l’activité collective afin d’évaluer l’efficacité des modalités de coopération, de faire émerger les organisateurs pertinents du travail collectif et d’aider les équipages à coopérer plus efficacement. Etape 1 Décrire l’activité du bateau Etape 2 Décrire les activités du barreur et de l’équipier Caractériser les formes que prennent les modalités de coopération Optimiser avec l’équipage ses modalités de coopération – en construire de nouvelles Confronter l’activité du bateau aux modalités de coopération barreur équipier permet de : Développer des aides à l’optimisation des modalités de coopérationEtape 3 Evaluer l’efficacité des modalités de coopérationEtape 5Reconstruire la dynamique intrinsèque de l’activité collective, c’est: Etape 4 Faire émerger les « organisateurs » pertinents dutravailcollectif Résultats
  • 2. Nos résultats montrent qu’en cours d’action, le bateau organise les activités du barreur et de l’équipier en s’appuyant sur le modèle de distribution fonctionnelle des charges de travail préalablement défini et l’improvisation de nouvelles modalités de coopération. Le modèle de distribution fonctionnelle est la clé de répartition en cours d’action des charges de travail entre le barreur et l’équipier. Nos résultats montrent que chaque équipage construit un modèle singulier qui tient compte de son niveau, des savoir-faire de chacun, des gabarits, et de leur manière de concevoir l’efficacité collective. Ce modèle est intégré par les deux partenaires comme un élément organisateur de l’activité collective et s’y réfèrent pour déterminer en cours d’action, la nature de leur engagement dans la situation. On observe par exemple que barreur et équipier l’utilisent pour organiser le travail collectif qui conduit à la prise de décision. Il permet en effet à chacun d’identifier en cours d’action celui qui a la responsabilité de la décision et les formes que peut prendre le travail collectif. Ainsi, au regard de la disponibilité du partenaire, de l’aide qu’il peut apporter et du temps dont dispose l’équipage, nous avons observé que celui qui a la responsabilité de la décision mobilise des processus décisionnels associant plus ou moins le partenaire (cf. ci-contre). Barreur et équipier sont alors amenés à plus ou moins diriger l’activité de leur partenaire, ce qui implique selon les cas, la capacité de chacun à se soumettre à l’autorité de l’autre, comprendre ce qu’il exige, diriger efficacement le travail. IndividuelsCollectifs Avec consultation du partenaire Débats Négociations Sans consultation du partenaire Validation de la décision L’improvisation de nouvelles modalités de coopération est la construction en cours d’action d’une organisation collective externe au modèle de distribution fonctionnelle des charges de travail. Ces organisations « inhabituelles » émergent fréquemment des jugements que barreur et équipier portent sur le travail du partenaire. Nos résultats montrent que c’est lorsque l’équipage a « fortement » ou « très peu » confiance dans l’efficacité de son organisation qu’il improvise de nouvelles modalités de coopération. Parfois très efficaces, ces organisations génèrent cependant des séquences au cours desquelles les activités du barreur et de l’équipier sont asynchrones : séquences au cours desquelles les deux partenaires n’ont plus une vision claire de ce que le bateau cherche à faire et de la manière dont chacun contribue au travail collectif. Bibliographie Herpin (F), Giraud (H), Champy (A), Surmin (R), Neiras (P), Bernard (D), Lannier (D) et Flamme (D) - Coopération et communication au sein des équipages. In : Saury (J) et Talon (J.F) L'entraînement de Haut Niveau en Voile, 1997, Chateau-Gontier: édition FFV, pp. 227- 252. Lerouge (O) - Coopération en situation de compétition d'un équipage de Tornado: étude de cas, 1998, D.E.A. S.T.A.P.S., Université de Montpellier I. Lerouge (O), Dubois (J.J) - Aider les équipages à coopérer plus efficacement : l’expérience du Pôle France de l’Ecole Nationale de Voile, 2006, Cahiers de l’ENV n°8 Saury (J), Durand (M), Theureau (J), Iachkine (P), Salou (J.P) - L'action tactique des régatiers experts en compétition de voile olympique. Projet de recherche, 1996, appel d'offres GDR- Sport CNRS / Ministère de la Jeunesse et des Sports. Theureau (J) - Le cours d'action: analyse sémio-logique, 1992, Berne : Peter Lang. Paru dans : 4èmes Journées Internationales des Sciences du Sport les 28-30 novembre 2006, Actes.- Edition INSEP, 127-128