1. Le disque de Phaistos – Philippe Plagnol – Les végétaux
Philippe Plagnol - disque.de.phaistos@gmail.com
Version Date Commentaires
1.0 Mars 1994 Création
1.1 Aout 2011 Dernière mise à jour
Extrait de l’ouvrage de Christian Zervos
"L’art de la Crète Néolithique et Minoenne", éditions "Cahiers d’Art", Les Avatars végétaux de la
Grande Déesse, pages 44 à 47
Le caractère tellurique de la grande Déesse est symbolisé par l’arbre sacré et ses dérivés, mât et
colonne. L’arbre sacré est à la fois un arbre cosmique et rite de la régénération végétale. Parfois
il est associé à l’autel, par exemple, dans l’anneau de Mochlos où figure la Grande Déesse dans
une barque en compagnie d’un autel et d’un arbre. D’après l’iconographie établie par les gemmes
et cachets, les arbres rituels crétois seraient tantôt le figuier, tantôt le dattier et tantôt l’olivier.
Bague de Mochlos
Le figuier s’imposait pour ainsi dire à la conscience religieuse des Minoens probablement par
une tradition très ancienne. Nous avons déjà exposé que l’étude des civilisations de l’Inde et de la
Crète fait apparaître des analogies qui ne peuvent guère être expliquées que par des emprunts
communs à une civilisation probablement anaryenne, c’est à dire antérieure à la grande migration
indo-européenne. Or le figuier sacré paraît vers le milieu du IIIème millénaire au centre de la
triade caducéenne figurée sur le sceau de Mochenjo Daro. Le figuier y représente l’arbre cosmique.
La vénération du figuier comme un avatar de la divine Mère est répandue de la vallée de l’Indus, à
travers l’Egée, jusqu’à Rome. Cet arbre serait choisi non seulement parce qu’il vit très vieux, mais
surtout à cause de son lait, qui constitue une connexion entre cet arbre et la mère, partant la
fécondité.
C’est aussi sous l’influence des civilisations d’Asie que le dattier avait été considéré en Crète
comme un arbre sacré. En effet, cet arbre occupe souvent le centre d’un grand nombre de
compositions de l’Inde et de la Mésopotamie où il figure l’axe cosmique.
Quant à l’olivier, dont l’exceptionnelle valeur nutritive le rend précieux aux méditerranéens, il
représente par son feuillage toujours vert et l’abondance de ses récoltes la puissance de la
végétation de porter fruit par inspiration du sacré. Des rameaux d’olivier fleuris sont représentés
sur la fresque d’entrée nord du palais de Cnossos ou sur le pourtour de tasses (fig. 548).
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L’association de la grande Déesse et de l’arbre de vie était connue en Crète. A l’exemple de la
Mésopotamie l’arbre était considéré par les minoens comme al demeure de la Déesse de al
fécondation, des troupeaux, de l’agriculture. Un grand anneau de Mycènes sur lequel est gravée
une scène cultuelle nous montre la déesse, la main sous sa gorge nue se reposant sous l’Arbre de
Vie. Car l’arbre est "l’endroit de repos" de la Grande Déesse minoenne, comme il l’était de la mère
d’Ea, la déesse mésopotamienne Baou, divinité de l’abondance. De même la bague d’or de
Mochlos nous montre la déesse assise sous le feuillage de l’arbre sacré. d’autres bagues d’or, par
exemple de Mycènes et de Vaphio, montrent que l’arbre sacré était intégré dans les cérémonies du
culte minoen. Le dattier sacré orne les flancs d’un très beau vase du style Camarés trouvé à
Cnossos (fig. 390). Un Moule en terre cuite du Minoen Récent I trouvé à Gournia était destiné à
reproduire des exemplaires-miniatures de l’arbre sacré (fig. 517).
La déesse figure souvent sous l’aspect de son avatar, l’arbre, flanqué de figures héraldiques qui en
précisent et complètent la valeur cosmologique. Sur un sceau du Minoen Moyen I, à la déesse s’est
substitué un dattier stylisé placé au centre du cachet et accosté de deux animaux debout affrontés,
dont celui de droite semble brouter l’Arbre de Vie. Le caractère sacré de la scène est renforcé par
la présence de deux étoiles placées derrière chacun des animaux (fig. 307).
Très souvent, la Grande Déesse figurée par l’arbre l’est également par ses dérivés, le mât et la
colonne, images de l’arbre ébranché. Le caractère religieux de ces objets dérivés de l’arbre est
confirmé par les faits. Un objet en terre cuite du Minoen Moyen III composé de trois colonnes
réunies sur une même base est surmontées de colombes est particulièrement instructif car cet
objet faisait partie d’un lot de figurines, de croix, d’animaux, de poissons volants, tous d’un
caractère sacré, recueillis, comme nous l’avons déjà indiqué, dans le Sanctuaire du palais de
Cnossos. Un autre objet atteste que l’arbre-mât continuait à représenter la Grande Déesse au
Minoen Récent I. Il s’agit d’une terre cuite trouvée à Hagia Triada qui montre suspendues à deux
arbres-mâts les deux cordes d’une escarpolette sur laquelle se balance la Déesse-Mère, acte
susceptible de promouvoir la fécondité (fig. 578).
Nous retrouvons l’évocation de la Grande Déesse par l’allusion de l’arbre, dans les colonnes en
bois de tous les sanctuaires minoens. Parfois les représentations des ces sanctuaires nous
montrent la bipenne associée à la colonne. Ainsi, dans la fresque du sanctuaire tripartite trouvée à
Cnossos, le caractère sacré de la colonne est accusé par des bipennes fichées à la volée dans la
partie supérieure des trois colonnes. Un cachet cylindrique trouvé à Mycènes établit que la
colonne était pour les Minoens un objet d’adoration.
De tous ces exemples, on pourrait inférer qu’à la modalité biologique de l’arbre sacré s’est
surajouté avec le temps une entité spirituelle. L’arbre répète la création universelle en même
temps qu’il la symbolise.
L’arbre de Vie est le prototype de toutes les plantes miraculeuses qui guérissent les maladies,
rendent la jeunesse, ressuscitent. la raison en est que ces plantes ont été considérées comme des
substituts de la déesse de la végétation et, à ce titre, accumulées par les artistes crétois du Minoen
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Moyen dans leurs oeuvres peintes ou en relief. Une si fréquente intervention de l’art végétal dans
l’art de cet période indique que les cérémonies agraires occupaient une place importante dans la
vie religieuse de la Crète. Nous en avons la preuve dans la coutume de ses habitants de cultiver
dans leurs maisons des plantes à caractère sacré, coutume attestée par un fragment de fresque du
musée d’Héraklion et par la présence dans les décombres de nombreuses habitations minoennes
de vases percés en dessous et qui ont toutes l’apparence de pot à fleurs. Il devient dès lors évident
que les figurations végétales ne sont pas aux yeux des Minoens de simples ornements, elles
signifient, sans exception, la présence de la Grande Déesse.
Ajoutons que dans la pensée de ces hommes, la végétation n’incarne et ne révèle le sacré que dans
la mesure où elle a sa correspondance dans le monde divin. les plantes en elles-mêmes ne sont
pas sacrées, elles le deviennent lorsqu’elles signifient une réalité transcendante. Aussi, en
désignant la divinité par ses symboles sur les murs ou les vases, l’artiste crétois vise à atteindre
cette divinité directement. C’est elle que le fidèle vénère et sollicite.
La végétation qui, dans sa puissance créatrice, se manifeste sous des formes innombrables et ne
s’épuise jamais, incarne la réalité vivante incorporée dans les plantes dont le rôle d’essences en
rapport avec les caractère naturiste de la Grande Déesse était admis par les hommes. Ce sont ces
plantes qui figurent sur les piliers des cryptes, sur les compositions à fresque, sur les vases
cultuels ou funéraires.
Le signe de l’épi incisé sur le pilier de la crypte de la maison sud de Phaistos figure le fruit de la
Mère des céréales. A ce titre la disparition et la réapparition périodiques du grain en font un gage
de renaissance. Un couvercle de pyxide en ivoire retiré de la troisième tombe de la nécropole de
Minet el Beida, dont il a été question dans le précèdent chapitre, représente la Déesse-Mère
minoenne porteuse de javelles d’épis que deux bouquetins cherchent à atteindre. La Grèce qui
garde le souvenir de l’essentiel du culte minoen lui empruntera avec bien d’autres symboles celui
de l’épi qui jouera un rôle très important dans les mystères d’Eleusis.
Parmi les motifs végétaux figurent sur les fresques des sanctuaires domestiques, sur les objets et
les vases cultuels, nous citerons en premier lieu les plantes bulbeuses, iris, crocus,
anémone, lis. La germination dans la terre de leurs oignons et leur résurrection annuelle
symboliseraient pour les minoens le pouvoir de la Déesse-Mère de régénérer périodiquement la
végétation en même temps que la vie latente des morts et leurs espérances de revenir sur terre.
C’est le caractère sacré de l’iris et du crocus qui explique leur présence dans les chapelles dont
les murs sont ornés de fresques parsemées de ces fleurs (iris de la fresque de l’oiseau bleu et du
relief peint du Prêtre-Roi,, crocus du singe bleu se promenant parmi des bouquets de cette plante).
C’est le souvenir du caractère sacré du crocus qui explique dans les rites éleusiniens l’emploi de
bandelettes couleur de safran pour les initiés lorsqu’ils se rendaient en procession d’Athènes à
Eleusis. Mais pendant la dernière phase du Minoen Moyen le motif indigène du crocus fut
supplanté dans les fresques par le papyrus sacré égyptien, emblème de la Déesse au serpent du
Delta. Le singe se promenant parmi les papyrus souligne, outre l’adoption de ce motif végétal par
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les Minoens, son adaptation à la technique égyptienne de la représentation. L’emploi du motif du
papyrus sur la céramique et les objets cultuels apparaît seulement au Minoen Récent I, copié
d’après les fresques. Il revient très souvent au cours du Minoen Récent, mais en subissant des
stylisations de plus en plus accentuées. Une lampe en pierre nous permet de constater que sa
partie supérieure constitue une élégante adaptation minoenne du feuillage du papyrus (fig. 467).
Les anémones sauvages, très fréquentes sur les collines de la Crète, font également partie des
plantes bulbeuses auxquelles les Minoens avaient attaché un caractère sacré. Elles figurent sur un
tesson trouvé à Cnossos et forment une très jolie bande qui court autour de la panse d’un vase de
Zacro (fig. 389).
Le motif du lis
Lis blanc (Lilium candidum), suivi de motifs minoens du lis
Le motif du lis intervient très souvent dans les fresques comme dans l’ornementation des vases. Il
se présente sous la variété appelée par Evans « pancratium lily », situé en bas et à droite dans la
fresque à l’oiseau bleu. Nous retrouvons le lis sous une autre variété, celle du « Madonna lily »,
très schématisé et combiné avec le papyrus, sur la tête et sur la poitrine du relief peint dit du
Prêtre-Roi. Le même type de lis se rencontre encore sur le chaton d’une bague d’or d’Isopata, où
les danses rituelles ont lieu dans un champ de lis (fig. 632), sur un autre chaton du même style
que le précédent, de stéatite rouge, et représentant un lis aux pieds de la Déesse assise, enfin sur
un fragment d’un récipient en bronze du trésor supplémentaire du palais de Cnossos, près de son
angle nord-ouest. De longues tiges de lis fleuris couvrent toute la surface d’un vase de Cnossos (fig.
425). Le lis avait la même valeur symbolique que la fleur de lotus. D’ailleurs le lotus égyptien,
quand il est stylisé, ressemble beaucoup au lis, et il en est de même pour certaines variétés de
lotus indien. Le caractère symbolique du lotus apparaît en Egypte, à Persépolis, dans l’Inde.
D’après Moret, le lotus était en Egypte un symbole de naissance et de résurrection. Foucher, de
son côté, a insisté sur l’importance de ce symbolisme dans l’art indien. Il est facile de comprendre
que cette plante aux somptueuses fleurs émergées ait pu être identifiée dans l’Inde avec la matrice
maternelle. Son symbolisme s’explique en fonction de ce rapprochement. Il suggérait la capacité
de la Déesse de la Végétation de recueillir toutes les semences, de faire éclore et de réaliser ainsi
l’immense épopée végétale du monde. Si l’on retient d’autre part le fait que le fruit du nénuphar
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est une capsule ronde à plusieurs loges et qu’à maturité il est ramené sur le fond par
renversement du pédoncule où il éclate et dépose ses graines qui séjourneront dans la vase
jusqu’au terme de leur évolution pour réapparaître à la surface de l’eau avec leurs feuilles
nageantes et leurs fleurs à nombreux pétales charnus, il est facile de suivre le processus de la
pensée égyptienne et indienne archaïques qui firent de cette fleur en plus d’un symbole de vie, un
signe de résurrection. Cette plante, qui se réserve jalousement les régions marécageuses, fut
décrite par les Indiens comme surgissant du lac mythique pour permettre au soleil de s’y poser à
l’heure de midi, heure du plein épanouissement de la fleur, et fut, à une époque bien postérieure,
considérée par les Syro-Phéniciens du début du premier millénaire comme figurant l’axe
cosmique. Le symbolisme oriental de cette plante fut adopté par les Minoens comme un des
emblèmes de la grande maîtresse de la Végétation. En plus d’une lampe du Minoen Récent I, dont
le décor en est inspiré, nous avons encore un bol de Cnossos dont le corps est pris dans un calice
de nénuphar blanc. L’association eau-végétation du nénuphar nous la retrouvons avec le roseau
ou le jonc, amphibies comme le lotus. Certains faits donnent à penser que le symbole des roseaux
qui conservait des efficiences lunaires a une origine mésopotamienne. A Sumer, le roseau est le
symbole d’Innin-Ishtar et la botte de roseaux enroulés signifiait le principe féminin. Dans un
passé lointain une parure rituelle babylonienne, faite de joncs et de roseaux, était devenue
l’attribut de la Déesse lorsqu’on l’adorait sous une forme végétale. C’est cette parure rituelle qui,
selon Przyluski, imiterait le vêtement de laine babylonien que les Grecs appelaient kaunakès.
Compte tenu du fait que de nombreux thèmes et symboles nous ont déjà permis de serrer de près
le problème des influences orientales sur la pensée religieuse des Minoens, il est permis de penser
que la signification religieuse attachée au jonc et au roseau par le culte mésopotamien se soit
imposée aux Crétois et qu’ils en aient fait un symbole-ornement. La Grande Déesse est vénérée
dans d’autres plantes encore. Sa puissance végétative continuellement en exercice a aussi pour
équivalents végétaux les plantes à feuillage toujours verdoyant. Parmi ces plantes on rencontre le
myrte qui sera, plusieurs siècles plus tard, consacré par les Romains à Vénus. Des branches de
jeune myrte figurent sur un fragment de fresque de Cnossos. Quant au lierre il est par excellence
la plante sacrée des Minoens. Il est présent dans les peintures murales, par exemple, sur le
fragment de la fresque au singe se promenant parmi des papyrus et il revient très souvent sur
plusieurs objets cultuels. Il est représenté sous deux variétés : l’une à tiges rampantes et feuilles
crénelées (vase de Palaikastro), l’autre à tiges grimpantes et à rameaux florifères avec feuilles en
forme de cœur, telles que les présente fréquemment l’art minoen (lampe en porphyre de
Palaikastro (fig. 466), lampe également en porphyre de la Maison sud-ouest de Cnossos (fig. 468),
vases (fig. 550, 558). Ce sont les petites fleurs en ombelle du lierre que semble tenir dans ses
mains et porter sur sa tête la Grande Déesse figurée sur un moule de Siteia (fig. 744). Le culte du
lierre a été repris par les Grecs et il est devenu le symbole de Dionysos jusqu’en pleine période
classique.
Parmi les autres fleurs représentées sur les murs et sur les vases minoens nous
citerons l’églantier, ou rosier sauvage, dont l’artiste, pour des raisons sans doute esthétiques,
a modifié l’aspect en représentant ses feuilles par groupes de trois et en ajoutant un pétale à ses
fleurs, six, au lieu de cinq, les violettes jaunes (fresque d’Haghia Triada) et surtout la
marguerite. Il se pourrait bien que cette fleur qui apparaît sur plusieurs vases de Phaistos et de
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Cnossos ait eu un rapport avec le soleil, comme sur le relief de basalte trouvé à Tell-Halaf,
actuellement au Musée national d’Alep, où le disque du soleil est placé sur un dais orné de
marguerites stylisées. La marguerite se présente dans l’art minoen parfois à fleurs rapprochées,
mais le plus souvent ses fleurs ligulées blanches sont écartées et entourent un disque de fleurs
tubulaires jaunes. On les rencontre souvent sous ces deux aspects représentées sur des
céramiques polychromes de Cnossos et, principalement, de Phaistos.
Bague minoenne
La déesse tient des fleurs de pavot bague du XVème siècle av. JC
Peut-être faudrait-il ajouter à ces plantes sacrées des Minoens le pavot, dont le fruit en forme de
capsule contient diverses substances narcotiques. Ces propriétés lui ont valu d’être considéré par
les Minoens comme un symbole de l’immortalité. Une statue féminine de Gazi (fig. 774) porte sur
la tête des capsules de pavot, avec lesquelles la Reine des Morts endort les êtres au terme de leur
vie, avant de les enfouir sous terre, pour les réveiller, le temps accompli, dans une nouvelle
existence.